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Notes de lecture
Culture, esthétique

Michel Rautenberg, L’Imaginaire patrimonial. Figures de l’urbanité contemporaine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Essais, 2024, 258 pages

Fabrice Thuriot
p. 373-376
Référence(s) :

Michel Rautenberg, L’Imaginaire patrimonial. Figures de l’urbanité contemporaine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Essais, 2024, 258 pages

Texte intégral

1Michel Rautenberg est anthropologue, professeur émérite de sociologie à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, chercheur au Centre Max Weber, membre du laboratoire d’excellence Intelligence des mondes urbains et de l’International Urban Symposium. Ses travaux portent sur l’habitat, le patrimoine culturel, la mémoire collective et les imaginaires sociaux en privilégiant les terrains urbains et industriels, en France et en Europe. Cet ouvrage synthétise ses recherches menées depuis de nombreuses années sur le patrimoine, en privilégiant l’approche à partir de l’image et de ce qu’elle produit sur l’imaginaire. En résumé, on pourrait dire que les représentations du patrimoine ont une existence et une valeur propres, parfois différentes ou plus fortes que le patrimoine lui-même considéré de manière objectale et historique. Il s’agirait d’une approche du patrimoine lui-même, fondée sur le primat de la relation, voire de l’attachement que l’on peut porter aux objets (matériels ou immatériels) qu’on cherche à préserver et à transmettre.

2Partant du constat de la force des représentations artistiques du patrimoine, pouvant influencer l’évolution de celui-ci, par exemple à Plovdiv, capitale européenne de la culture de la Bulgarie en 2019, l’auteur formule l’hypothèse d’une puissance propre à l’imaginaire sur la réalité des choses. En effet, qui n’a jamais pensé à une peinture lorsqu’iel voit un lieu ou un paysage y ressemblant, donnant une sorte de préséance à la représentation sur la réalité, comme celle-ci était créée par son interprétation ? Les choses existent-elles seulement en elles-mêmes ou bien aussi, voire surtout, par la vision que l’on en a ? La réalité est-elle donnée ou perçue ?

3C’est à ces questions philosophiques et scientifiques que l’auteur tente de répondre par plusieurs exemples de patrimoines urbains et industriels, en particulier dans la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq, le bassin minier du Pas-de-Calais ainsi qu’à Saint-Étienne et alentours, cumulant les deux aspects. Dans tous les cas, il constate l’exclusion de l’immigration dans les représentations majoritaires et officielles du patrimoine ainsi que l’importance des photographies, spectacles et événements dans la diffusion de ses représentations qui peuvent changer au fil du temps.

4L’ouvrage est divisé en 3 chapitres ou plutôt parties. Le chapitre 1, « Les chemins croisés du patrimoine et de l’imaginaire » (p. 13 à 52), est centré sur les relations entre les deux termes du titre dans le temps et dans l’espace, du national au local stéphanois, mais aussi dans leurs représentations, de l’individuel au collectif, du social à l’institutionnel, en passant par les emblèmes, stéréotypes et idées-images. Cette dernière notion est très intéressante pour montrer le double caractère théorique et pratique, abstrait et concret de l’imaginaire. La seconde partie, « La nostalgie de l’urbanité perdue » (p. 53-136), se fonde sur les liens avec le passé, la mémoire, l’histoire, voire le mythe. Il en va ainsi de l’ancien capitalisme industriel qui a été très violent à l’égard des ouvriers mais leur a aussi apporté travail, logement et parfois des avantages considérés comme des acquis sociaux. Ce sont ces aspects qui sont valorisés dans une certaine nostalgie de l’avant, lorsque le travail était dur mais constitutif des individus, des groupes et des communautés, voire de villes et de régions entières.

5L’idée du « c’était mieux avant » transparaît dans cette réminiscence d’un passé glorifié dont on met de côté les aspects moins gratifiants ou glorieux, surtout vis-à-vis des immigrés maghrébins qui y ont pourtant grandement participé, mais pour des raisons qui paraissent propres à leurs communautés et non partagées avec tous les travailleurs de manière pérenne aux yeux des Stéphanois (habitants de Saint-Étienne). La réutilisation du patrimoine industriel devient alors un enjeu de visibilité de cette histoire, avec ses avancées sociales et ses contradictions internes, révélées au fil du temps selon les intérêts en présence ou leur oubli. En ce sens, les photographies représentent une aide précieuse, tout comme les écrits et autres manifestations de ce passé, telles les fêtes rituelles et les commémorations, évitant ou tolérant les récupérations économiques et touristiques, l’insertion dans la marchandisation ou dans le développement durable.

6La gentrification de quartiers et de villes ne peut se réaliser que si des élus ou des associations de citoyens ne s’y opposent pas pour des raisons valables et actualisées. La nostalgie des utopies des origines et de la « bonne ville » ne suffit pas à revendiquer une identité ancienne qui ne serait plus partagée par une majorité des habitants ou par un groupe ou une communauté active. Il existe toujours le risque d’une folklorisation ou d’une muséification. L’auteur donne quelques exemples contrastés en France et ailleurs.

7La troisième partie intitulée « Figures de l’imaginaire : stéréotypes, emblèmes, idées-images » (p. 137 à 219) se concentre sur Saint-Étienne et son bassin minier. M. Rautenberg replace les mines en tant que troisième industrie de la région derrière la métallurgie et le textile, et non première, comme elle peut l’être dans les représentations de ce territoire tant chez les habitants que ceux qui lui sont extérieurs. En cela, il montre la force des représentations face à la réalité factuelle, de leur place dans la nation, en particulier après la Seconde Guerre mondiale, quand l’industrie minière a servi à reconstruire le pays. Saint-Étienne n’est donc pas seulement le lieu de l’intimité culturelle des ouvriers, mais l’emblème d’une nation tout entière au service du progrès économique et technique d’une époque, avec le devoir de maintenir cette idée-image grâce à la revalorisation du design d’objets grâce à la création d’une Cité du design.

8Les représentations reposent en partie sur des stéréotypes locaux dans lesquels on se reconnaît et qui contribuent à renforcer les liens entre les membres de la communauté. En revanche, on les réfute lorsque d’autres les utilisent pour qualifier le groupe que l’on valorise, a contrario, face aux oppositions. Tel est le cas de la bourgeoisie lyonnaise et même aux canuts de Lyon, considérés comme des ouvriers privilégiés. Cela passe aussi par Guignol dont l’évolution bourgeoise prouverait le caractère différent des Lyonnais par rapport aux Stéphanois, incarnés après la fin des mines par l’emblématique équipe de football, assimilée à des ouvriers du sport. L’auteur aurait pu ajouter les artistes chanteurs et musiciens tels Bernard Lavilliers, ou ceux du groupe Terrenoire, pour incarner et perpétrer cette fierté du travail ouvrier, respectivement métallurgiste et mineur.

9Ainsi, Saint-Étienne devient-elle une ville imaginée autant que réelle, qui dépasse les stigmates du passé en les valorisant dans des musées et centres culturels ou d’interprétation, ou dans des fêtes maintenues ou revivifiées différentes d’une ville à l’autre du bassin minier. Les couleurs, la figure héroïque du mineur, les trous de mémoire et le militantisme prennent une tournure variable selon les époques, valorisée ou minimisée, pleinement ou partiellement selon les intérêts et les souvenirs. On pourra percevoir des différences entre la grande ville qui assume son rôle de pôle culturel métropolitain et les petites villes, davantage tournées vers l’expression plus folklorisée des traditions. Il en va en partie ainsi pour la Fête de la Sainte-Barbe (patronne catholique des mineurs) à Saint-Étienne et à Roche-Molière, ainsi que pour les 4 musées de la mine sur le territoire.

10La conclusion en forme de synthèse de l’ouvrage laisse un peu sur sa faim sur le plan de la conceptualisation de l’apport de cet ouvrage particulièrement important pour développer une approche patrimoniale, dépassant les artefacts et les discours en plongeant dans leur substance. On trouvera aussi quelques exemples internationaux avec Plovdiv déjà citée, mais aussi Brooklyn pour l’évolution de sa population et son influence sur la mémoire et le patrimoine de ce secteur new-yorkais. Pour finir, saluons cet effort de « revisitation » d’enquêtes, d’études et de recherches antérieures, à l’aune d’un concept fédérateur apparu au fil du travail et avec du recul : « l’imaginaire patrimonial », lui-même constitué de plusieurs notions présentées dans le livre et très référencées dans l’imposante bibliographie, complétée par des index, thématique et des auteurs.

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Pour citer cet article

Référence papier

Fabrice Thuriot, « Michel Rautenberg, L’Imaginaire patrimonial. Figures de l’urbanité contemporaine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Essais, 2024, 258 pages »Questions de communication, 47 | 2025, 373-376.

Référence électronique

Fabrice Thuriot, « Michel Rautenberg, L’Imaginaire patrimonial. Figures de l’urbanité contemporaine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Essais, 2024, 258 pages »Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/39051 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14ab2

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Auteur

Fabrice Thuriot

CRDT, Université de Reims Champagne-Ardenne, F-51100, Reims, France
fabrice.thuriot[at]univ-reims.fr

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