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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Dominique Andolfatto (coord.), Citoyens dans la crise sanitaire, Paris, Classiques Garnier numérique, 2023

Claire Polo
p. 403-412
Référence(s) :

Dominique Andolfatto (coord.), Citoyens dans la crise sanitaire, Paris, Classiques Garnier numérique, 2023

Texte intégral

1Paru en 2023 sous la direction du politologue Dominique Andolfatto, cet ouvrage collectif constitue les actes du colloque « Citoyenneté(s) politique, sociale, sanitaire et numérique face au Covid-19 », organisé en novembre 2022 à la Maison des sciences de l’homme de Dijon, et rassemble les travaux d’une trentaine de chercheurs et chercheuses. Il interroge la place des citoyens et citoyennes dans la crise sanitaire du Covid-19, pandémie sans précédent, avec toutes les ambiguïtés qui ont alors traversé les démocraties contemporaines.

2Ce livre présente un tour d’horizon très complet de la situation française, mais il offre aussi des incursions éclairantes sur les expériences japonaise, italienne, allemande et, dans une moindre mesure, canadienne. Cette mise en perspective permet de mieux cerner les similarités dans les mesures prises, allant parfois jusqu’à une forme de réflexe mimétique, et les spécificités nationales en matière de gestion de crise. Léonard Matala-Tala, spécialiste du droit public, pose la question de la cohérence des réponses apportées à la pandémie au niveau européen, en particulier en matière de « solidarité », valeur pourtant promue par les instances de l’Union européenne. En tout état de cause, les stratégies de communication gouvernementale ont des conséquences claires sur la confiance citoyenne envers les autorités, comme le révèle l’historien Riccardo Brizzi en comparant les méthodes successives de Giuseppe Conte et Mario Draghi en Italie. Quant au cas français, il s’illustre par une infantilisation citoyenne chronique associée à une présidentialisation – 9 adresses présidentielles solennelles au total – et une centralisation exacerbées : il s’agit d’obtenir l’obéissance par « la double peur du virus et du gendarme » (p. 16), sur fond de rhétorique guerrière.

3À la pointe des savoirs en sciences humaines et sociales sur le sujet (droit, science politique, histoire, sociologie), l’ouvrage s’appuie sur des démarches d’enquête rigoureuses sans s’interdire un ton critique vis-à-vis d’une question éminemment vive. L’introduction donne le ton avec, pour titre, « La démocratie défaillante » (p. 9-24). Le livre est structuré en deux parties, la première concernant les aspects politiques de la crise et la seconde ayant vocation à aborder ses conséquences sur le travail et sa régulation. Cependant, aussi large soit-il, ce découpage ne trace pas de frontière hermétique, et certains chapitres, pourtant dans des parties différentes, se font écho. C’est le cas de l’analyse par Charalambos Apostolidis, experte en droit international, de la situation biopolitique (partie i) et le chapitre de Maximilien Lanna, docteur en droit public, sur la surveillance numérique (partie ii), ou encore de la recherche, dans la même discipline, de Joël Mekhantar sur la jurisprudence en matière de mise en cause du gouvernement pour sa gestion de la crise en France (partie i), avec celle sur l’accès aux tribunaux français sur la période (« travail judiciaire » étudié par leur confrère Raphaël Maurel ; partie ii).

4L’ensemble donne à voir comment la résurgence d’un intérêt pour le substantif « citoyen » – et ce, dès le début de la première présidence d’Emmanuel Macron – s’accompagne d’une limitation forte de son périmètre d’action, du fait des mesures sanitaires prises pour lutter contre la pandémie. Au fil des chapitres, on comprend que la place des citoyens et citoyennes ne va manifestement pas de soi. Si, dans leur définition même, les démocraties sont censées être intrinsèquement fondées sur le pouvoir citoyen, celui-ci peut sembler avoir été mis sur « pause », à l’image du monde entier alors confiné. Entre oubli et résurrection, les « simples » ressortissants des pays étudiés auraient une place si évidente « en démocratie » qu’il n’y aurait pas d’urgence à s’en préoccuper – d’autant que les autres urgences sont déjà nombreuses. Or, les premiers résultats des études empiriques rapportés dans cet ouvrage indiquent que cette place, si légitime soit-elle dans les discours, reste plus ou moins octroyée par les autorités publiques susceptibles, en temps de crise, de faire marche arrière.

5C’est particulièrement visible dans le domaine de la santé, pourtant au cœur du défi posé par le virus : la « démocratie en santé » (p. 347) recule précisément au moment où se posent plus que jamais des questions éthiques fondamentales, avec des soignants contraints de hiérarchiser leur temps entre patients et affections, dans un contexte non seulement d’urgence, mais aussi de manque de moyens criant. Ainsi Elodie Derdaele, toujours dans le domaine du droit public, enquête-t-elle sur le rôle des instances où siègent les représentants des usagers dans la gestion de la crise et conclut-elle qu’elles ont été « écartées voire ignorées » (p. 348) : Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), Haute Autorité de santé (HAS), Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), Conférence nationale de la santé (CNS), Conseil de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), Fonds national pour la démocratie sanitaire (FNDS) ; et ce, sans nommer les instances plus techniques ou relevant d’un échelon infranational. En parallèle, à l’échelle locale en 2020, seules 40 % des commissions des usagers ont tenu leurs 4 réunions annuelles réglementaires au sein des établissements de santé. Un rapport sénatorial de 2020 (Santé publique : pour un nouveau départ. Leçons de l’épidémie de Covid-19) va même jusqu’à parler de « démocratie sanitaire confinée » (cité p. 354), à l’heure même où les associations de patients, patientes, usagers et usagères commencent à peine à s’établir en France et pourraient, comme aux États-Unis, devenir des « co-stratèges » de l’industrie du médicament (Hugues Feutze Nanguem, doctorant en droit pharmaceutique, et sa directrice de thèse, Isabelle Moine-Dupuis ; p. 363-372), tandis qu’une réflexion sociétale sur les choix de santé est rendue indispensable par la crise.

6Cela résonne avec la hausse des suicides au Japon, en particulier de femmes (chapitre de Daizo Egashira, vice-doyen de la faculté de Droit d’Hiroshima ; p. 313-324), qui questionne la notion même de « santé » : saurait-elle être préservée par des moyens qui augmentent la détresse psychique d’une part non négligeable de la population ? C. Apostolidis interroge précisément la logique biopolitique qui conduit à un décompte macabre régulier des victimes et des décès et au solutionnisme technologique du contact tracing, n’offrant, en opposition au repoussoir de la mort, qu’une version appauvrie « vidée » de corps dits « sains » (p. 213), privés de visages par le masque et enfermés dans des « gestes barrière » parfaitement intégrés.

7La démocratie en matière de droit du travail est aussi touchée, comme le détaillent Cécile Caseau-Roche, experte en droit de la famille, et David Jacotot, spécialiste de droit privé (p. 257-268) : tant sur le fond, avec l’imposition de nouvelles conditions de travail associées aux différents protocoles sanitaires et sans véritable concertation, que sur la forme, avec un passage subit de l’ensemble des négociations des partenaires sociaux en distanciel. Ce dialogue social « reformaté » ou « e-dialogue social » (p. 269-270) est plus affaibli que renforcé (Céline Laurichesse, diplômée de droit privé et sa collègue Angélique Thurillet-Bersolle ; p. 269-282). En particulier, il se concentre sur la réorganisation du travail face à la crise sanitaire et la santé au travail en termes de risques liés au Covid-19, ainsi que sur les aspects économiques des mesures prises, comme le chômage partiel, au détriment de sujets de fond moins urgents – donc du progrès social. En outre, avec la généralisation du télétravail, le passage au distanciel fragilise le lien entre élu⸱es et personnels, et met à mal le principe de confidentialité avec l’enregistrement systématique des réunions en visioconférence.

8Cette numérisation forcée se retrouve jusque dans le fonctionnement des tribunaux français, avec en cours d’assises et criminelles la pratique de télé-audiences sans accord des partis, malgré les réticences des avocats de la défense soulignant la difficulté à cerner les « biais des jurés » (p. 248) en l’absence de langage non verbal (« ordonnance du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés » ; suspendue en référé le 25 novembre 2020). Cela pose la question de ce que R. Maurel nomme une « éthique du numérique » (p. 247), alors même que la fracture numérique n’a pas disparu, puisque 7 % de la population française n’a ni smartphone ni connexion internet, et que les problèmes posés par cette télé-justice sont multiples : cybersécurité, accès aux audiences précédemment publiques, difficultés techniques, formation des personnels. Au-delà de la sphère judiciaire, M. Lanna s’inquiète du renforcement de la surveillance numérique, avec une tendance à la centralisation des données dans le contexte français où l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) est désormais seulement consultatif. Versé dans le droit privé, Pierre Bordais complète le tableau en documentant les atteintes à l’autodétermination informationnelle, soit la « faculté d’une personne de contrôler les informations relatives à sa personnalité » (p. 235) dans la mise en place de bases de données de santé et l’usage d’applications de suivi de contacts à propos des contaminations par le Covid-19.

9Enfin, ce sont les libertés fondamentales, en particulier la liberté de circulation et de réunion, qui sont mises à mal avec les mesures sanitaires, confinements ou couvre-feux successifs. Si de telles restrictions ont pu paraître proportionnées face à une situation d’exception et à la nécessité de santé publique – notamment par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), dont l’activité autour de la crise sanitaire est étudiée par Sophie Monnier du point de vue du droit public ; p. 373-382 –, des disparités dans leur application questionnent le principe juridique d’égalité devant la loi et de non-discrimination. Par exemple, Thérèse Ova Obame, dans la même discipline (p. 337-346), relate qu’en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres du Grand Paris, le taux d’amende pour non-respect de ces mesures est trois fois plus élevé que la moyenne nationale et que les quartiers niçois les plus populaires concentrant davantage de minorités ethniques ont été soumis à des couvre-feux plus longs que les autres.

10La place forte n’est donc pas celle des citoyens et citoyennes, et certainement pas de l’ensemble d’entre eux sans distinction. Cependant, on ne saurait pleinement parler d’un pouvoir citoyen confisqué ou absent. Au contraire, nombreux sont les domaines où des initiatives citoyennes non seulement résistent, mais se réinventent dans l’adversité. Par exemple, entre juillet et décembre 2021 en France, près de 20 000 plaintes ont été déposées auprès de la Cour de Justice de la République à l’encontre de membres du gouvernement pour engager leur responsabilité pénale dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions – elles ont toutes été rejetées. Mais au plan civil, le juge administratif a pleinement rempli ses fonctions de protection des libertés en tranchant sur un nombre important de recours, comme le souligne J. Mekhantar (p. 177-191). Ainsi le Conseil d’État a-t-il ordonné la cessation immédiate de la surveillance par drones des mesures sanitaires le 18 mai 2020, pour non-respect du droit sur les données personnelles. Au Japon, alors que l’État, sur fond de nationalisme exacerbé, prend très peu en charge les effets délétères de la crise sur les migrants, c’est la société civile qui se mobilise au secours de cette population particulièrement démunie. Bien que Takahito Araki, spécialiste du droit canadien (p. 301-312), explique que les autorités canadiennes, fortes d’une tradition de multiculturalisme, se distinguent par des mesures plus solidaires, là encore les organisations non gouvernementales continuent de jouer un rôle essentiel. La crise du Covid-19 n’est donc pas seulement sanitaire, mais pleinement sociale et ébranle nécessairement les formes de citoyenneté en place.

11Comme les enfants confinés ont pu avoir du mal à tenir en place, les personnalités politiques qui ont dû gouverner – au sens étymologique, manier le gouvernail dans la tempête –, se trouvent fragilisées, menacées de perdre leur place une fois le calme relatif retrouvé. Bien qu’ayant d’abord réussi à maintenir une popularité en réunissant sous le sceau de l’urgence, les leaders gouvernementaux italiens finissent par voir l’opposition remporter les élections dans un vote-sanction classique à l’issue de la crise. Cela ne se limite pas aux pays « latins », dont la réputation de mécontentement n’est plus à faire. Au Japon, après une première phase d’union derrière le cabinet Abe, qui a su, par une communication innovante, mobiliser la confiance citoyenne, les critiques se sont développées lorsque l’épidémie s’est amplifiée, remettant en question l’efficacité de l’action gouvernementale, en particulier « son » fameux masque en tissu – et pointant les limites d’un « modèle japonais » (p. 105) dont se targuaient les nationalistes. Cependant, un simple changement de visage a permis au parti au pouvoir d’éviter une alternance lors des élections législatives de novembre 2021, avec la substitution de Fumio Kishida à Yoshihide Suga, associé aux mesures sanitaires impopulaires. En France, la défiance citoyenne à l’égard du gouvernement lui rend son manque de confiance dans la responsabilité du peuple. À cet égard, la crise sanitaire fonctionnerait comme un révélateur de la crise démocratique latente, surtout avec les crispations autour de la vaccination. À propos des antivaccins, Patrick Moreau (p. 165-176), historien et politologue, se penche sur le courant Querdenker – littéralement des personnes qui « pensent autrement » – en Allemagne et en Autriche, de 2020 à 2022. Cette mouvance antisystème et complotiste, dont une partie des membres est allée jusqu’à fomenter un attentat contre le ministre de la Santé germanique et a réussi à s’incarner dans le parti d’extrême droite Die Basis, recueillant suffisamment de suffrages pour s’assurer des financements publics grâce à son « visage souriant basiste et écologique » (p. 173). En France, Laurent Olivier, archéologue et historien (p. 135-150), explique que le mouvement « anti-vax », là aussi très hétérogène, ne recouvre pas les délimitations partisanes habituelles, mais se développe plutôt sur les réseaux sociaux numériques (RSN), sur fond de défiance envers les politiques… qui le leur rendent bien, car leur soutien à cette contestation apparaît très conjoncturel et ambigu, même dans l’opposition. Souvent, les politiques ont oscillé entre techniques habituelles de navigation et innovations plus ou moins hasardeuses, n’hésitant parfois pas à se contredire (par exemple, sur les limites du passe sanitaire), mais toujours en invoquant la sacro-sainte science, surtout contre les anti-vaccins présentés comme irrationnels.

12Reste que, dans le cas français, les organes de représentation habituels de la science n’ont presque pas été considérés. Étonnamment, le plan interministériel français préexistant « Pandémie » n’a pas été déclenché et aucun dispositif national antérieur de santé publique, fondé sur des savoirs universitaires (Santé publique France, Haut Conseil de santé publique, HAS, etc.) n’a été sollicité, mais un conseil scientifique Covid-19 a été instauré ad hoc, dont le président, Jean-François Delfraissy, est aussi celui du CCNE, ce qui pose le problème de son indépendance. De même, sans s’appuyer sur les processus habituels de démocratie participative, le gouvernement français met en place un Collectif citoyen sur la vaccination dont la genèse, l’activité et le fonctionnement sont décrits par Elina Lemaire, constitutionnaliste (p. 151-164). Réuni pour la première fois le 16 janvier 2021 et pour la dernière fois lors de la création du pass sanitaire, cet organe présente de nombreuses contradictions (en particulier sur sa conception et orchestration à un coût élevé par un cabinet de conseil privé) et un bilan très critiquable : représentativité limitée, opacité, manque de régularité, propositions maigres et peu formalisées, processus délibératif orienté. En définitive, cette expérience apparaît plutôt comme un « détournement » (p. 163) de démocratie participative aux fins de légitimation a posteriori de décisions prises en amont ou ailleurs.

13Une telle improvisation, tout comme l’hyperactivité normative (ou « hypernomie ») avec l’accélération de la production de nouveaux textes juridiques (12 projets de loi consacrés et de multiples ordonnances) et l’instauration puis la prolongation de l’état d’urgence (dès le 23 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2022), ne garantit pas le fonctionnement démocratique contre le chaos ambiant. Au contraire, ces deux tendances court-circuitent les dispositions et institutions préexistantes précisément conçues pour l’exercice de la démocratie, dans l’urgence, sans prendre le temps de questionner en profondeur leurs effets à moyen et long terme, en particulier les risques de fragilisation de cette démocratie. Ainsi les coups de force en démocratie passent-ils par le droit lui-même, qui perd alors le pouvoir de s’y opposer. Cela ravive la question de savoir qui décide des politiques à conduire et sur quels critères. En particulier, comment certains éléments parmi les résultats scientifiques deviennent la norme et sont érigés en savoirs de référence ? Le travail de Benoît Pigé, expert en sciences de gestion (p. 193-204), montre que cette « normalisation » opère en rendant suspectes les personnes qui exprimeraient des doutes vis-à-vis de ces éléments. Or, en France, les conditions dans lesquelles se définit la stratégie de politique de santé sont particulièrement obscures. Le Conseil de défense sanitaire, instance ad hoc présidée par le président de la République et réunissant de façon quasi hebdomadaire le Premier ministre et les ministres de la Santé, de l’Intérieur, de la Défense, de l’Économie et du Travail et, ponctuellement, d’autres acteurs publics de la santé, est tenu au secret défense, et aucun compte-rendu ne garde trace de ses séances. Un tel fonctionnement contraste nettement avec la proposition du CCNE qui, dans son avis du 13 mars 2020, recommandait la mise en place d’une instance mixte et interdisciplinaire auprès du ministre de la Santé réunissant des experts scientifiques ainsi que des membres de la société civile « en capacité de prendre en compte l’avis des différentes catégories de la population » (CCNE, Enjeux éthiques face à une pandémie. Réponse à la saisine du ministre en charge de la santé et de la solidarité, 2020, p. 6).

14La stupéfaction passée et la difficile routine des mesures sanitaires privatives de liberté mise en place, citoyens et citoyennes ne savaient plus qu’espérer entre désir de « retour à la normale » rassurante et familière, et utopie d’un « monde d’après », plus vertueux comme la terre des élus ayant survécu au Déluge. Place à l’avenir, donc, et avec lui au citoyen de demain, qui, sans doute, ne saurait s’accorder uniquement au masculin singulier à valeur prétendument universelle. Son ou plutôt leur portait-robot ? Prompts à dégainer ou ranger le masque au gré des annonces des autorités, rompus aux tests nasopharyngés et à l’usage d’application de contrôle comme StopCovid. Pour s’en sortir, les jeunes doivent montrer patte blanche (attention, sans poignée de main) en témoignant d’un esprit de responsabilité envers les plus vulnérables et en particulier leurs aînés. Dans son étude des discours présidentiels, Dominique Labbé, spécialiste de statistique appliquée aux faits sociaux et au langage (p. 25-37), constate que le vocable « citoyen » apparaît associé à des droits, mais surtout à des devoirs : se sentir européen, ne pas troubler l’ordre public et s’investir sans relâche pour le bien commun. Si crise de la citoyenneté il y a, ce serait ainsi les « jeunes citoyens », « insuffisamment formés, pas assez encadrés et trop peu informés », qui en seraient les « principaux responsables » (p. 34). Est-ce à dire qu’on oublie leurs droits et que l’on aurait sacrifié une génération ?

15Au-delà du confinement de la jeunesse et du passage généralisé des cours en distanciel de la maternelle au supérieur – avec des effets sur la santé mentale – l’urgence est à l’aide alimentaire. Si la précarité étudiante ne date pas de 2020, la nécessité criante d’action contre la misère qu’elle engendre a donné lieu à une multiplication des initiatives en la matière, surtout de la part d’associations étudiantes elles-mêmes. Avec l’exemple de l’Université de Bourgogne, Quentin Genelot, doctorant de D. Andolfato (p. 283-300), affirme que ce contexte a été propice à l’entrée en jeu d’un nouvel acteur dans ce domaine, mais que toute action étudiante demeure tributaire des autres acteurs institutionnels locaux. Aussi exhorte-t-on la jeunesse citoyenne à développer et entretenir un esprit critique face à la montée des complotismes en tout genre et leur lot de désinformation, dans une opinion publique submergée par les RSN et le pouvoir sournois des influenceurs et influenceuses qui ont, pour la plupart, in fine, quelque chose à vendre. Là, c’est la place du marché. Pourtant, avec le fameux « quoi qu’il en coûte » du président français E. Macron (dans son adresse aux Français du 12 mars 2020), on a pu croire à l’entrée dans une ère post-marchande, mais c’était aller trop vite en besogne.

16D’ailleurs, ce tour d’horizon expose que les « coûts » de la crise et des choix opérés pour la gérer sont multiples et pas seulement financiers, même s’ils pourraient être en partie quantifiables en monnaie, si tant est qu’il soit souhaitable de réaliser une telle conversion du malheur humain en devise sonnante et trébuchante. En tout état de cause, les effets de cette crise multiple sur la citoyenneté ont laissé des traces dans la langue, comme le souligne judicieusement le chapitre final où Claude Patriat, chercheur en droit sur les questions du pouvoir politique et de la culture (p. 383-392), propose de lister de quoi « Covid » pourrait être l’acronyme. Une évolution langagière qui dépasse l’anecdote symbolique et traduit des changements dans les mentalités, puisque par exemple, on voit apparaître les termes « comitologie » (tendance à la multiplication des comités), « illectronisme » (défaut de compétences liées à la fracture numérique), « dictature sanitaire », « distanciation » (sociale, quand l’exercice de la citoyenneté suppose un lien social suffisant pour comprendre et appréhender l’intérêt général), « vaccinocritique » (pour qualifier la posture critique, mais non opposée au vaccin ; p. 389-391). On aurait pu espérer un renouvellement du rapport citoyen à la science, avec la mise en évidence dans les médias des controverses et incertitudes liées à l’activité de recherche. D’ailleurs, dans une comparaison entre la France et l’Italie, les sociologues Riccardo Emilio Chesta et Damiano De Facci (p. 87-96) montrent que les institutions et les forces politiques sont déterminantes des possibilités même de mobilisation collective autour de contre-expertises, facilitées par la centralisation hexagonale, même si des citoyens et citoyennes à la marge questionnent aussi, en Italie, l’état des savoirs dominant dans l’espace public.

17En définitive, malgré la hâte avec laquelle les différentes contributions ont pris à bras le corps le cœur du problème de savoir ce que cette crise faisait à nos démocraties, à peine en étions-nous sortis – si tant est que nous soyons réellement tirés de cette période tragique –, elles réussissent, toutes ensemble, à dessiner les contours d’une réflexion profonde et éclairée, avec la rigueur universitaire qui manque parfois au débat public. Ce livre est donc une lecture nécessaire pour chaque citoyen et citoyenne qui se soucie de la préservation de la démocratie, un idéal jamais parfaitement atteint, mais qui, sans doute, représente l’horizon désirable à poursuivre, repère solide comme un phare dans la tempête. Et, qu’il s’agisse de la guerre russo-ukrainienne ou à Gaza, ou encore des dernières prévisions du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec), une chose certaine est bien que de nouvelles tempêtes s’annoncent. À défaut de modèles parfaits, c’est peut-être à partir d’anti-modèles qu’il nous faudra alors inventer le futur de la démocratie, non comme promesse pour l’après, mais comme moyen, signature d’une façon de vivre ensemble, fût-ce en temps de crise, sans céder aux tentations autoritaires.

18Ici, Sébastien Evrard, expert de l’histoire des droits civil et pénal, ainsi que du droit de l’édition et de la propriété intellectuelle (p. 61-70), rappelle que, dans l’histoire, faute de solutions médicales, gérer les épidémies a conduit à « altér[er] les libertés des populations » (p. 68), et Régis Matuszewicz, politologue (p. 165-134), souligne que, dans un contexte d’activité parlementaire globalement malmenée, la mise en place du pass sanitaire en France s’est faite via un débat éclair où chaque prise de parole était limitée à une minute. Par ailleurs, P. Bordais nous apprend que la collecte des données réalisée par StopCovid est plus large qu’annoncée et souligne le manque de transparence des autorités qui présentent TousAntiCovid comme une version améliorée de cette première application, alors qu’elle est rigoureusement identique. Quant au fonctionnement de la justice, garante des institutions démocratiques, il semblerait que le montant des cautions des prévenus ait tendance à être plus élevé quand ils comparaissent à distance. Au-delà de l’adaptation dans l’urgence, nécessairement imparfaite, la pandémie de Covid-19 a donné lieu à des modifications qui ont vocation à se pérenniser. Ainsi le règlement de la Cour Internationale de Justice a intégré durablement le passage à la visioconférence non seulement en cas d’urgence sanitaire, mais aussi « sécuritaire », notion non définie à ce jour. C’est via ce type d’éclairage que l’ouvrage prend toute sa force pour accompagner le tri que nous souhaiterons effectuer dans l’héritage légué par le Covid-19 face aux nouvelles crises qui ne manqueront pas de défier nos démocraties.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claire Polo, « Dominique Andolfatto (coord.), Citoyens dans la crise sanitaire, Paris, Classiques Garnier numérique, 2023 »Questions de communication, 47 | 2025, 403-412.

Référence électronique

Claire Polo, « Dominique Andolfatto (coord.), Citoyens dans la crise sanitaire, Paris, Classiques Garnier numérique, 2023 »Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/39110 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14ab7

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Auteur

Claire Polo

Ispef, Université Lyon 2, F-69007 Lyon, France
claire1.polo[at]univ-lyon2.fr

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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