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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Joël Cornette, Une brève histoire de l’identité bretonne. De Himilcon à nos jours, Paris, Tallandier, 2023, 235 pages

Hélène Jeannin
p. 433-439
Référence(s) :

Joël Cornette, Une brève histoire de l’identité bretonne. De Himilcon à nos jours, Paris, Tallandier, 2023, 235 pages

Texte intégral

1Comment l’identité si singulière de la Bretagne a-t-elle pu se construire ? Quels sont les éléments qui ont contribué à la façonner ? C’est en mettant en lumière des événements, personnages, ruptures, transformations culturelles et politiques constitutifs de son évolution, que l’historien Joël Cornette entreprend de répondre à ce questionnement.

2Son essai explore divers aspects de l’identité bretonne, en commençant par ses origines maritimes et l’importance des échanges commerciaux. Est évoquée la naissance de la Bretagne au vie siècle, marquée par des migrations, une fusion culturelle et la légende des saints fondateurs. La structuration politique de la Bretagne est aussi abordée, avec une division en entités distinctes et une conscience collective renforcée par une stabilité des frontières. Puis, l’indépendance bretonne est illustrée par la succession des ducs et les relations complexes avec le royaume de France, suivie de l’annexion de la Bretagne. Le texte relate la résistance bretonne face à cette annexion, ainsi que les tensions entre l’identité bretonne et le centralisme français. Il décrit le rôle de la mémoire collective dans les luttes pour l’identité, ainsi que les dynamiques économiques et culturelles. Enfin, il conclut sur le réveil culturel de la Bretagne au xxe siècle, marqué par des mouvements sociaux et artistiques qui contribuent à la réappropriation de l’identité bretonne.

3Pour comprendre cette évolution, on peut se plonger dans son histoire lointaine. Au préalable, il faut remonter au « mystérieux passé de l’Armorique » (p. 9). Ainsi dénommée, car « à côté » ou « en face » de la mer, cette péninsule était au cœur de vastes échanges commerciaux avec le monde méditerranéen dès l’âge du Bronze ancien, vers 1500 av. J.-C. Environ 500 ans avant notre ère, le navigateur carthaginois Himilcon aurait été le premier à décrire sa vocation maritime, que Jules César loue aussi dans les Commentaires de la guerre des Gaules (-58-51 av. J.-C). Ces récits historiques soulignent l’importance de la mer dans l’identité bretonne, une thématique qui traverse les siècles. Cependant, à la conquête maintes fois célébrée de l’Armorique par J. César, succèdent trois siècles de silence, interrompus seulement par des raids barbares. L’insécurité croissante que ceux-ci génèrent se solde par la militarisation du littoral avec la création d’un « mur de l’Armorique » (p. 18) destiné à défendre le continent. Ce contexte de défense et d’isolement contribue à forger une identité régionale forte. Cette vocation maritime, illustrée par des figures historiques, pave la voie à une transformation majeure au vie siècle, marquant la naissance de la Bretagne telle que nous la connaissons.

4« Bretagne » ou « Britannia » : ces termes figurent dans plusieurs textes, en lieu et place d’Armorique. Leur apparition coïncide avec les afflux de (Grands-)Bretons qui quittent leur territoire sous l’effet conjoint de leurs propres envahisseurs et d’un surpeuplement devenu insoutenable. Les arrivées successives du ve au vie siècle aboutissent à une fusion culturelle entre les autochtones et les nouveaux venus. Ces vagues migratoires sont conduites par des chefs présentés comme des êtres d’exception, souvent érigés au statut de saints par la croyance commune. Les migrations et la mixité qui en découlent sont des éléments clés dans la construction de l’identité bretonne, mais elles ne constituent qu’une partie de l’histoire complexe de cette région. Au vie siècle, la Bretagne se divise en trois grandes entités politiques : la Domnonée, la Cornouaille et le Bro-Erec. Des spécificités forgées dans l’isolement géographique les rassemblent : une histoire, une langue (la branche brittonique du celte venant cimenter une population hybride), une religion (un christianisme spécifique) et l’appartenance à une communauté en constante confrontation avec les Francs. De cette époque naît la légende des Sept saints fondateurs, protecteurs de l’Église et du territoire de Bretagne, objets de culte et d’une ferveur chrétienne intense et durable. Elle se concrétise encore de nos jours par le pèlerinage aux sept saints des premiers évêchés bretons, le Tro Breiz, ou tour de Bretagne comptant sept villes étapes. Cette circumambulation crée une géographie sacrée unique, conférant une cohérence et une légitimité précoces à cette Bretagne en émergence. En 1505, Anne de Bretagne emprunte ce chemin sacré pour marquer l’autonomie de son duché, illustrant ainsi le lien profond entre la spiritualité et l’identité régionale. Et, fait unique en Europe, la frontière bretonne reste quasi immuable depuis la signature du traité d’Angers en 851. Celui-ci accorde à Erispoë le titre de « roi des Bretons » et marque la reconnaissance officielle par le roi franc de la Bretagne comme royaume subordonné. Cette unité et cette stabilité d’une région définie de manière naturelle et intemporelle font jaillir la conscience d’une intégrité territoriale, mettant en avant, là encore, la perfection circulaire. La terre bretonne est bordée par différents éléments naturels qui la circonscrivent : océan, fleuves (Loire au sud, Couesnon au nord). Ces limites ont conduit certains auteurs comme Francois de Belleforest au xvie siècle, dans La Cosmographie universelle de tout le monde (Paris, Michel Sonnuis, 1575) à la comparer à un « cercle tournant ». Cette géographie armoricaine renvoie à la circumambulation évoquée plus haut et est redondante à l’idée de perfection que symbolise le cercle.

5Si les frontières géographiques ne varient guère, celles politiques et culturelles du royaume puis du duché de Bretagne sont, à l’inverse, très perméables. À la fin du xe siècle, Conan le Tort, comte de Rennes, prend le titre de duc. Il initie une succession de la couronne sur 27 têtes. Les six siècles d’une lignée ininterrompue renforcent l’idée d’une souveraineté bretonne. Cette volonté émancipatrice est renforcée par l’histoire imaginaire de la Bretagne avec, pour point de départ, le personnage fictif de Conan Mériadec, censé avoir fondé la monarchie chrétienne bretonne au ive siècle. Cette figure a été reprise sans réserve par ses thuriféraires depuis son officialisation par Jean V, duc de Bretagne de 1399 à 1442.

6D’autres éléments confortent l’indépendance bretonne : la mise en place, le développement ou la centralisation d’institutions distinctes, quoique calquées sur celles du royaume de France ; le refus de l’hommage lige au roi (à genoux, selon les cérémonies féodales, il signifiait la totale dépendance d’un vassal vis-à-vis d’un suzerain) ; des revenus fiscaux (le fouage) reposant sur une machine administrative performante ; une diversité économique, commerciale et humaine ; l’existence d’ambassadeurs et la capacité à signer des traités de paix, de commerce ou des alliances. Alors que la Bretagne se structure politiquement, cette homogénéité ne se crée pas sans tensions, en particulier avec le royaume de France. En effet, l’autonomie dont peut se prévaloir ce presque État breton ne doit pas faire oublier les liens séculaires qui reliaient le duché de Bretagne au royaume de France. La porosité de leurs relations se manifestait de diverses manières : la participation de l’armée ducale aux guerres franco-anglaises (1450) et au mercenariat durant la guerre de Cent Ans ; l’occupation de fonctions éminentes comme conseillers du roi (connétables) ou maréchal de France (Pierre de Rohan) avec des recrutements par la monarchie française ; la prise d’intérêts fonciers hors de Bretagne (vicomte de Rohan). Le changement de camp pour préserver les intérêts financiers et la pérennité du lignage était une pratique courante dans les cours de l’époque. Le français restait l’apanage du pouvoir et de l’administration. Nombre de ducs, sans compter A. de Bretagne, avaient peu, voire aucune notion de breton. Pour répondre aux besoins des Bretons désavantagés pour l’accès à des postes par leur langue maternelle, un premier dictionnaire trilingue (breton, français, latin), Le Catholicon de Jehan Lagadeuc, parut en 1460.

7Issue des langues celtiques, la langue bretonne, concrète et imagée, s’est épanouie au sein du peuple, dans les villages et les campagnes. Elle s’est pérennisée grâce à une riche tradition orale, en particulier via les sonioù et les gwerzioù. Ces chansons et ces complaintes constituent une source historique irremplaçable d’informations pratiques et intimes sur la société avec, pour point focal, l’honneur, blessé ou à défendre, profondément enraciné.

8Malgré les capacités de la Bretagne à affirmer et maintenir ses prérogatives, le royaume de France, puissance hégémonique voisine, allait bientôt prendre le dessus. Il réussit à s’imposer par la force, limitant de facto l’autonomie bretonne et intégrant progressivement la Bretagne dans son giron. Cette dynamique illustre les clivages entre les aspirations régionales et les ambitions centralisatrices du royaume de France. Ce dernier réalise alors l’annexion sous contrainte de la Bretagne en trois actes : la défaite de Saint-Aubin-du-Cormier en 1488 qui oblige l’héritière du duché à demander l’accord du roi de France pour se marier ; le mariage de celle-ci, la duchesse A. de Bretagne, avec le roi de France Charles VIII en 1491 ; l’édit d’Union de 1532. Celui-ci officialise la transformation du duché en une province du royaume, tout en garantissant les privilèges fiscaux, judiciaires et ecclésiastiques de la Bretagne. S’instaure de la sorte une « servitude volontaire » (p. 67) : la royauté s’appuie sur les élites locales bretonnes pour administrer la province. Les États de Bretagne, assemblée représentative dominée par la noblesse, deviennent une instance de dialogue et de négociation avec la monarchie, permettant une relative modération fiscale. Ils accroissent progressivement leurs attributions, depuis leur soumission apparente jusqu’au pouvoir progressif qui fut le leur, en particulier au xviiie siècle.

9Le tournant douloureux de cet assujettissement hante depuis, et sans doute pour toujours, la mémoire collective bretonne. Il est incarné par la duchesse A. de Bretagne qui tente jusqu’au bout de s’y opposer. Son image vénérée inspire les mouvements de résistance, telle la conspiration de Pontcallec en 1719, et cristallise les aspirations autonomistes. Du nom de son principal instigateur, le marquis de Pontcallec, cela réfère à une tentative d’insurrection en Bretagne visant à rétablir l'indépendance de la province face à la politique de centralisation du pouvoir royal. Cependant, le complot est découvert, entraînant l'arrestation des conspirateurs en 1719 et l'exécution de Pontcallec en 1720. Cet événement est considéré comme un tournant dans l'histoire bretonne, marquant la fin des révoltes nobles et devenant un symbole de la résistance bretonne à l'oppression française. Pontcallec reste célébré comme un héros par certains et sa mémoire est entretenue par des groupes culturels bretons. De fait, la Bretagne est souvent associée à une terre de prêtres et de paysans réactionnaires en guerre contre la République et farouchement opposés à l’autorité centrale, au nom d’une société fidèle à son roi, à son clergé, à sa noblesse. Cependant, la Révolution française montre une participation active des Bretons aux mouvements révolutionnaires, modérant ce cliché. Si certaines régions, comme le Poher, se montrent patriotes et républicaines, d’autres, en particulier le sud de la Bretagne, se soulèvent contre la République dans des mouvements chouans, ce qui va dans le sens d’une Bretagne rebelle et attachée à ses traditions. Un autre exemple de cette lutte pour l’identité est l’amputation administrative, en 1941, de la Loire-Atlantique et de Nantes – la ville capitale de ses ducs. Présentée comme provisoire par le régime de Vichy, mais jamais réparée, elle continue à nourrir le ressentiment des populations indigènes et de leurs édiles.

10Dès le ixe siècle, les Bretons font l’objet de nombreux préjugés. Ils sont représentés sous des traits stéréotypés : sauvages, arriérés, incultes, obstinés, paresseux… Les qualificatifs péjoratifs ne manquent pas. Cette image dépréciative véhiculée par de nombreux auteurs, chroniqueurs et historiens perdurera longtemps. La caricature de Bécassine, servante naïve et godiche née dans un périodique pour fillettes en 1905, La Semaine de Suzette, illustre ce regard condescendant tenace. Son portrait évolue vers plus de complexité, bien que reposant sur une réalité : la grande majorité des 100 000 bonnes parisiennes en 1905 étaient des Bretonnes ayant fui la misère.

11Toutefois, la Bretagne ne se laisse pas enfermer dans ces uniques représentations passéistes et dévalorisantes. En effet, sa vocation océanique, éclipsée pendant plusieurs siècles avec les raids vikings, resurgit. Du xive au xviie siècle, son commerce s’internationalise. Florissante du Moyen Âge au xviiie siècle, l’industrie de la toile de lin révèle une économie rurale dynamique. Le xixe siècle est marqué par une industrialisation inégale. Si des villes comme Saint-Malo, lieu de la pêche à la morue, Nantes, pivot du commerce triangulaire, Brest avec son arsenal, ou Concarneau et Douarnenez avec leurs conserveries de sardines ou de légumes, se développent, la grande majorité de la Bretagne reste paysanne et pauvre. L’émigration massive vers Paris et d’autres régions témoigne de la difficulté économique qui ne prendra fin que vers les années 1950-1960.

12La seconde moitié du xxe siècle connaît un réveil spectaculaire de la Bretagne. La « révolution verte » des années 1960 transforme l’agriculture bretonne et la propulse au premier rang européen. Grâce à son orientation productiviste, la Bretagne devient une région dynamique et prospère – ce qui aura pour revers un désastre écologique (p. 121). Il est avéré que le « modèle agricole breton », construit dans les années 1950 et 1960, caractérisé par le productivisme fondé sur l’automatisation, les exploitations agricoles de grande taille ainsi que l’altération des mentalités et des pratiques a donné lieu à des pollutions multiples : contamination des eaux de surface et souterraines, des terres et de tous les organismes vivants par des phytosanitaires toxiques et cancérigènes, se soldant parfois par l’apparition d’algues vertes sur les plages bretonnes ; remaniement des paysages ruraux avec des prairies artificielles, l’arasement des haies et des talus bocagers accélérant le ruissellement des eaux et l’érosion des sols. Aujourd’hui, ce modèle s’essouffle et est fragilisé sous l’effet de nombreuses crises. Parallèlement à cette mutation économique, on observe une réappropriation de l’identité bretonne.

13En effet, les années 1970 en France sont marquées par le renouveau culturel breton. La langue bretonne est plébiscitée, la musique traditionnelle se modernise. Les événements de mai-juin 1968 jouent un rôle catalyseur : les luttes sociales s’accompagnent d’une revendication identitaire prononcée, portée par une nouvelle génération de musiciens engagés comme Gilles Servat et Alan Stivell. Des actions convergentes viennent balayer définitivement l’image négative de la Bretagne. Que ce soit par la promotion de l’enseignement bilingue de l’association Diwan, la constitution d’archives sonores folkloriques, le rôle moteur dans les mouvements sociaux de 1968 associé à une revendication identitaire portée par la musique protestataire, les festivals interceltiques ou la vitalité de la création littéraire grâce à des auteurs comme Pierre-Jakez Hélias (Le Cheval d’orgueil. Mémoires d’un Breton du pays bigouden, Paris, Plon, 1975) et bon nombre de maisons d’édition : tout concourt à rendre la Bretagne à la mode.

14Le mouvement des Bonnets rouges de 2013, en réaction à l’écotaxe et à la crise économique, transcende les divisions traditionnelles et atteste d’une identité bretonne dynamique et décomplexée, capable de se mobiliser pour défendre ses intérêts, tout en restant attachée à la « nation France » (p. 164). Désormais, la Bretagne revendique fièrement ses particularités. Marquée par une culture vivante et une ouverture sur le monde, elle offre un exemple réussi de la manière dont une région peut concilier son identité propre avec son intégration à un ensemble plus vaste.

15En fin connaisseur et amoureux de la Bretagne, J. Cornette a exploré les différentes dimensions de cette identité à partir d’une sélection de périodes clés et d’événements marquants. Si son introduction commence par une interrogation, son pari a été gagné : sans avoir de visée exhaustive, son texte éclaire le lecteur sur certaines séquences fondatrices. Le parti pris qui est le sien de ne pas adopter une temporalité linéaire (ce qu’il a déjà fait dans d’autres ouvrages), mais de procéder à une série d’allers-retours thématiques et temporels, peut dérouter au fil de la lecture, car il conduit à passer parfois abruptement d’un sujet à un autre. Cependant, cette circulation rapide, ponctuée par des anecdotes à titre d’illustration, est justement ce qui rend le texte vivant. En reprenant un ordre chronologique et en détaillant point par point les grandes périodes, la dernière partie (« Une histoire de la Bretagne en 80 dates [ve-xxie siècle] » ; p. 165-208) vient, quoi qu’il en soit, corriger cet aspect somme toute mineur et répond à la curiosité d’un lecteur cherchant à en savoir plus.

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Pour citer cet article

Référence papier

Hélène Jeannin, « Joël Cornette, Une brève histoire de l’identité bretonne. De Himilcon à nos jours, Paris, Tallandier, 2023, 235 pages »Questions de communication, 47 | 2025, 433-439.

Référence électronique

Hélène Jeannin, « Joël Cornette, Une brève histoire de l’identité bretonne. De Himilcon à nos jours, Paris, Tallandier, 2023, 235 pages »Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 17 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/39173 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14abd

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Auteur

Hélène Jeannin

XDLab/Sense, Orange Innovation, F-92320 Châtillon, France

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