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Notes de lecture
Histoire, sociétés

Yvonnick Denoël et Renaud Meltz (dirs), Mensonges d’État. Une autre histoire de la Ve République, Paris, Nouveau Monde Éd., 2023, 560 pages

Jean-Philippe De Oliveira
p. 444-446
Référence(s) :

Yvonnick Denoël et Renaud Meltz (dirs), Mensonges d’État. Une autre histoire de la Ve République, Paris, Nouveau Monde Éd., 2023, 560 pages

Texte intégral

1L’ouvrage a pour ambition de présenter les scandales, les affaires ou les dossiers d’État qui ont jalonné la Ve République française. Structuré en 79 notices réparties en 12 chapitres thématiques et rédigées par des chercheurs et des journalistes spécialisés, ce livre couvre l’ensemble des mandats qui se sont succédé depuis 1958 jusqu’au début du gouvernement Jean-Marc Ayrault en 2012, en fonction des membres de l’exécutif impliqués dans les « mensonges » évoqués. Le découpage par thématique a ceci d’avantageux qu’il offre aux lecteurs la possibilité de naviguer dans le livre selon des domaines qui les intéressent plus particulièrement, comme la santé publique, le nucléaire ou l’armée. Ceux qui souhaiteraient se concentrer sur une période ou un mandat présidentiel devront effectuer une sélection plus fine en piochant dans chaque chapitre les notices relatives à leur recherche. Seul le mandat de Charles de Gaulle fait l’objet d’un chapitre identifié comme tel : « Petits et grands mensonges du pouvoir gaulliste » (p. 101-149). On pourra aussi décider de lire l’ouvrage de façon linéaire en enchaînant les notices dans l’ordre où elles sont disposées. Dans tous les cas, l’ouvrage permet d’acquérir ou de renforcer sa culture générale sur les « affaires d’État » dont certaines sont très connues, sans pour autant que le contexte et le déroulé de leur médiatisation soient bien identifiés, ni leurs conséquences minimes ou importantes sur le capital politique des acteurs impliqués et/ou les pratiques du pouvoir – par exemple, l’affaire du Rainbow Warrior du nom du bateau de l’ONG Greenpeace saboté par les services secrets français en 1985. En effet, chaque notice veille à donner de façon synthétique des éléments de contexte et une analyse des enjeux et des rapports de force qui ont poussé au « mensonge » les différentes parties prenantes et ce que l’affaire a pu révéler au grand jour. Comme pour tout ouvrage à vocation quasi encyclopédique, certaines notices, qui retracent des dossiers aux ressorts complexes, n’éclaireront pas le profane qui n’en connaît pas déjà quelques éléments, limite inhérente à ce type de projet, nécessité de synthèse oblige quand il faut aborder 79 sujets en 560 pages, moins l’espace occupé par l’introduction et la conclusion générales. Toutefois, une bibliographie sélective accompagne chaque notice. Elle peut être mobilisée par les lecteurs qui souhaitent approfondir ou aborder l’affaire avec des références spécialisées.

2L’objectif de l’ouvrage n’est pas seulement d’offrir une vision d’ensemble des « mensonges d’État ». Il soutient aussi la thèse que chacun d’entre eux, ainsi que l’accumulation des affaires affaiblissent la confiance des citoyens envers le pouvoir politique et, de fait, la démocratie, dans le sens où celle-ci se fonde, entre autres valeurs, sur l’« exigence de transparence » (p. 10). Ainsi les coordinateurs proposent-ils une définition et une classification des mensonges d’État. Ils les abordent comme le résultat d’une décision délibérée – l’intentionnalité est donc présente, même si les auteurs soulignent qu’elle peut avoir parfois comme motivation une bonne intention, comme celle d’éviter les mouvements de panique – et dont la nature peut être de quatre ordres : par travestissement, par occultation, par oubli et comme fabrique de l’ignorance. Cette classification peut faire écho à un ouvrage qui ne figure pas dans la bibliographie, celui d’Emmanuel Henry sur la « fabrique des non-problèmes » (La Fabrique des non-problèmes. Ou comment éviter que la politique s’en mêle, Paris, Presses de Sciences Po, 2021). Néanmoins, la différence entre chacun de ces types de mensonge est difficile à saisir. Par exemple, le « mensonge occultation » est présenté contre le principe de publicité quand les autres sont associés à un discours contre la sincérité, le réel ou la connaissance. Or, il pourrait être avancé que toute forme de mensonge s’oppose de fait au principe de publicité, ce qui accréditerait la thèse qu’en effet, tout mensonge d’État affaiblirait le débat dans l’espace public et donc la démocratie. D’ailleurs, ces dernières années, de nombreux dispositifs ont été mis en place, souvent après un scandale politique ou financier, pour favoriser la transparence – avec plus ou moins de crédibilité sur leur réelle capacité à « moraliser la vie politique ». Ceci étant dit, il ne s’agit pas là de remettre en question la pertinence de la classification proposée, mais de souligner les questions et discussions qu’elle peut soulever, d’autant plus que la structure de l’ouvrage ne permet pas toujours de déterminer dans quelle catégorie se situe une affaire évoquée et en quoi cela peut avoir des effets sur sa perception par le public.

3Sur ce point, il est possible de s’interroger sur le réel impact que ces affaires produisent sur la crise de la démocratie. Il serait vain de démêler l’importance des « mensonges » d’État dans la crise de confiance des citoyens envers les pouvoirs publics par rapport à d’autres facteurs qui ont participé à affaiblir la crédibilité des acteurs politiques depuis au moins les années 1970. Cette décennie est marquée par une remise en question par les citoyens de la prégnance des experts et des conseillers dans la prise de décision politique, le retrait progressif de l’État dans le champ économique et le sentiment d’une impuissance politique locale face à des instances supranationales. Cependant, il est indéniable que chaque affaire publique qui révèle un « mensonge » ne peut que renforcer ce processus de détachement des citoyens vis-à-vis du champ politique, voire même une méfiance vis-à-vis des processus de délibération mis en place depuis la fin des années 1990 par les pouvoirs publics pour restaurer un lien entre élus et citoyens (Marie-Gabrielle Suraud, « Communication ou délibération : les échanges dans la société civile », Hermès. La revue, 47, 2007, p. 177-184).

4À cet égard, le décalage entre les discours du président Emmanuel Macron sur les décisions qui seraient prises à l’issue de la Convention citoyenne sur le climat ou du Grand Débat national – mesures de consultation directe des citoyens à la suite desquelles peu de recommandations citoyennes furent réellement appliquées – et la réalité des actes ne constitue-t-il pas aussi un mensonge d’État relevant du manque de sincérité, similaire à celui relatif à la sélection dans les universités (p. 14) ? Il ne fait nul doute que si la temporalité de l’ouvrage avait pu englober les deux mandats du président E. Macron, les auteurs auraient offert des notices précieuses, comme l’est cette somme qui rassemble tout ce qu’il convient de ne pas oublier de la participation des responsables politiques à l’affaiblissement de leur propre champ d’action. Par exemple, le domaine des sciences de l’information et de la communication, qui s’intéresse à la communication politique, aux controverses publiques ou encore aux liens entre citoyenneté et champ politique, ne pourrait qu’apprécier de survoler sous cet angle près de 60 ans d’exercice du pouvoir. Cela permet aussi d’interroger le rôle des acteurs politiques – mais encore des médias, de plus en plus soupçonnés de connivence et de manipulation par les communicants (Anne-Marie Gingras [éd.], La Communication politique. État des savoirs, enjeux et perspectives, Québec, Presses universitaires du Québec, 2003) – dans le renforcement des théories complotistes et du crédit donné aux fake news. Car le « mensonge », quand il est révélé, menace en effet « de laisse[r] place à un soupçon systématique de manipulation par les élites […]. Ce soupçon confine au complotisme lorsqu’il aboutit à la conviction que […] la décision procède de circuits occultes » (p. 10). Ou, pourrait-on dire : de « motivations personnelles », quand il s’agit de mentir à ses administrés. En tout cas, on ne peut qu’être d’accord avec les auteurs quand ils écrivent que le mensonge participe à la « vulnérabilité de notre vie sociale » (p. 8).

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Philippe De Oliveira, « Yvonnick Denoël et Renaud Meltz (dirs), Mensonges d’État. Une autre histoire de la Ve République, Paris, Nouveau Monde Éd., 2023, 560 pages »Questions de communication, 47 | 2025, 444-446.

Référence électronique

Jean-Philippe De Oliveira, « Yvonnick Denoël et Renaud Meltz (dirs), Mensonges d’État. Une autre histoire de la Ve République, Paris, Nouveau Monde Éd., 2023, 560 pages »Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/39207 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14abe

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Auteur

Jean-Philippe De Oliveira

Élico, Université Jean Moulin Lyon 3, F-69008 Lyon, France
jean-philippe.de-oliveira[at]univ-lyon3.fr

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