Viviane Alary, Sébastien Rouquette et Benjamin van Wyk de Vries (dirs), Percevoir, représenter, communiquer les risques naturels, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2024, 393 pages
Viviane Alary, Sébastien Rouquette et Benjamin van Wyk de Vries (dirs), Percevoir, représenter, communiquer. Les risques naturels, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2024, 393 pages
Texte intégral
1Les sociétés vivent sous la menace des déchaînements de la nature. Désormais s’ajoutent d’inquiétants dysfonctionnements de l’anthropocène comme la récurrence d’épidémies anciennes ou nouvelles. Le programme de recherche Interactions risques et représentations socioculturelles (Interrsoc) de l’Université Clermont Auvergne est consacré aux échanges et débats sur ce sujet dans sa dimension mondialisée. Il invite au dialogue interdisciplinaire. Le présent volume d’actes réunit les savoirs, méthodes et positions de recherche de 32 contributeurs qui ont produit des textes distribués en 15 chapitres, dont 11 sont rédigés à plusieurs mains. Il s’agit de géologues-vulcanologues, de linguistes, de spécialistes de la communication, de géographes, de statisticiens ou encore de chercheurs issus d’autres horizons. Le livre œuvre à ouvrir un dialogue à propos des formes de représentation des risques dans tous leurs états. Structuré en trois parties, il débute (p. 17-144) avec la représentation médiatique des risques dans la presse, les récits, les romans et le cinéma. Les risques traités sont prioritairement les avalanches, le volcanisme, les crues, les astéroïdes tueurs et les scénarios d’apocalypse véhiculés dans les jeux vidéo. La deuxième partie (p. 145-250) traite des perceptions des risques et catastrophes à partir de l’aléa. La population, les scientifiques et les politiques ne portent pas le même regard sur cet inconnu et l’effet domino qu’il provoque. Les publics concernés ont différentes façons d’aborder les mémoires des risques archivés, oubliés, exhumés s’ils renouent avec l’actualité, parfois médiatisés par des prévisions à la Cassandre. Le danger peut être sous ou surévalué, peu visible ou largement étalé dans la presse qui joue sur son aspect sensationnel – par exemple, les milliers d’hectares de bois calcinés ou les quartiers submergés par des eaux menaçantes et grises. Dans tous les cas, le danger potentiel mérite le déploiement de campagnes de prévention. Le spectaculaire est éclairé alors que beaucoup de risques sont insidieux, difficiles à mesurer, comme les effets du gonflement puis de la rétractation des argiles ou schistes carton. Ce processus alternatif détériore, déchausse les fondations et lézarde les maisons, en particulier à la suite d’épisodes caniculaires.
2Le risque est affaire d’information, de communication, de construction collective, de défiance à entretenir par la conservation de la mémoire et aussi, de récit. La dernière partie du volume (p. 225-377) aborde la recherche appliquée concernant cette gestion et défense des territoires. Comment communiquer sur les risques qui peuvent déferler sans prévenir ? Comment créer et entretenir une culture du risque à l’image du travail opéré par les Japonais là où l’archipel tremble, où les versants glissent, où la déferlante de l’océan devient tsunami ? Chacune des trois parties de l’ouvrage est éclairée par des contributions représentatives du cheminement de pensée, ce qui fait l’unité de ce volume autour des formes de communication et médiatisation.
3L’éclairage de la médiatisation des risques est mis dans la première partie sur les dangers réels, mais sournois et peu valorisés, dénués de construction collective du risque, peu spectaculaires, peu dramatisés : les avalanches dans les Vosges et le gonflement des argiles, pourtant reconnus comme état de catastrophe naturelle. Ce sont des risques moins « médiagéniques » (p. 65) que d’autres, comme les grandes crues (voir le regard porté par Tacite sur la crue du Tibre de 69 apr. J.-C) ou la diffusion des épidémies, sujet à propos duquel les sources sont disertes. Par exemple, c’est le Journal de confinement de Wajdi Mouawad, réalisé sous forme de podcast lors de l’épisode de Covid-19 de 2020 (disponible sur différentes plateformes) est un éphéméride des jours passés, des ressentis et des sentiments qui assaillent l'auteur de ce texte. À l’ère de la globalisation, le déchaînement du risque ne relève plus de l’irrationnel, de la fureur divine et de sa résultante, l’organisation de processions et l’incantation de prières. Néanmoins, il continue à poser la question de l’habitabilité de la planète devenue « Urbanocène » (M. Lussault, Cohabitons. Pour une nouvelle urbanité terrestre, Paris, Éd. Le Seuil, 2024) et traduite en suites de systèmes qui s’articulent, se télescopent et interagissent entre eux. Les jeux vidéo mettent en scène ces apocalypses poisseuses (p. 114). Armageddon de Michael Bay (1998) est une autre déclinaison de la planète détruite par des astéroïdes tueurs (p. 130). Les imaginaires fertiles évoqués participent à la conscience d’une menace transposable dans la réalité.
4La deuxième partie traite de la perception des risques et catastrophes, de nos aptitudes à s’adapter à l’inconnu ou à ce qui est effrayant, paroxysmique. Les risques d’irruption liminiques et leur cortège de dégazages parfois d’une violence inouïe (par exemple, les trombes lacustres) sont évoqués à propos des lacs de cratère (le lac Belinga au Cameroun, le lac Pavin en Auvergne, en France). De quelle façon les habitants s’identifient-ils aux risques ? Se sentent-ils suffisamment informés ? Quels liens sont entretenus entre les scientifiques porteurs d’alertes, les politiques et les populations ? Comment doser la communication écartelée entre l’objectif de protéger les populations et le souci de ne pas les affoler ? La communication concernant ce sujet s’inscrit-elle entre les approches médiatiques, le contenu socio-économique de toute prise en compte du risque au nom du principe de précaution ou encore ce que véhicule l’imaginaire ? Les habitants co-construisent-ils cette mesure du risque avec leurs élus en négociant cette peur ? Le livre retient le cas de la neige dans les Alpes en avançant deux paramètres : le développement des stations d’altitude et les effets du changement climatique dans les adaptations des pratiques. La biopolitique (p. 193) souffre de la dépolitisation appliquée à des territoires mobiles, non figés, qui vivent et évoluent avec les habitants qui l'investissent. Dans ce contexte, quid de la mémoire des événements et des formes de construction du souvenir ? La mémoire relève des connaissances capitalisées, utiles pour comprendre l’actuel et se projeter dans l’avenir des territoires. Elle s’aborde comme une matrice socio-spatiale qualitative. Ses perceptions diffèrent, sont infléchies par l’histoire et les conditions naturelles. Par exemple, pourtant géographiquement très proches, les deux communes du Grau-du-Roi et de Port-Saint-Louis-du-Rhône abordent différemment le risque des remontées marines. Dans la première, cette perturbation est enracinée, alors que la priorité touristique prime pour la seconde. Au Pérou, la cohabitation avec le risque semble acceptée tant s’entrecroisent les effets des vulnérabilités (sur l’économie, la société, la culture, les institutions). Le volcan Misti est assailli sur ses pentes aux sols fertiles par l’urbanisation précaire et les cultures. Les mesures de protection sont d’autant plus méconnues que le cône volcanique est complexe et qu’il se réveille rarement. Ainsi le volcan est-il source de vie et de mort. Il détruit et invite aussi à s’y réinstaller.
5La dernière partie concerne la recherche appliquée attachée à des expériences de développement et de mise en garde contre les dangers. Dessins, pictogrammes, courts métrages, bandes dessinées (BD) apportent un langage icono-verbal entendu par tous, facile à diffuser et à décrypter. L’expérience a été tentée en Haïti, encore traumatisé par l’immense catastrophe provoquée par le séisme du 12 janvier 2010. Ce drame a affecté une île surpeuplée (410 hab./km2) et fait 300 000 morts. Il a été l’occasion d’élargir le débat de société avec, par exemple, une réflexion sur la place des femmes dans les métiers du bâtiment et travaux publics lors de la reconstruction du pays. Haïti commence à penser et à échanger des idées en dessins, qui sont ensuite intégrés et animés dans des outils numériques pédagogiques. Communiquer sur les fureurs et déclenchements paroxysmiques de l’écorce terrestre (les tremblements de terre) reste un sujet difficile, mais les réticences reculent. Une position nouvelle émerge, à la convergence entre l’expression artistique, la médiatisation et le discours scientifique. Le risque sismique peut être abordé au prisme de la BD, comme avec l’œuvre When the Earth Quakes de Simon Winchester (New York, Smithsonian, 2015), une BD tchèque écrite en anglais avec, pour but pédagogique, la prévention. Un des messages de ce travail est de montrer que le risque relève d’une approche transversale. C’est pourquoi des linguistes, géologues, vulcanologues et spécialistes de communication ont uni leurs efforts en créant les géomojis pour répondre à des besoins d’urgence, faire diffuser et comprendre par tous le danger qui survient. Le dessin doit être simple, épuré ; par exemple, c’est l’association d’une faille qui cisaille et d’une maison coupée en deux (p. 332) ou encore le graphisme stylisé d’un versant qui s’effondre ou glisse à proximité d’un épicentre. Cependant, il est moins aisé d’évoquer une pollution pour apporter un message de prévention. Un arbre dénué et un poisson mort tracés sur fond jaune restent évocateurs.
6En conclusion, le croisement des savoirs exposés fait de cet ouvrage une contribution originale pour identifier, anticiper, prévoir, combattre et cicatriser les dégâts et drames engendrés par le déploiement des risques naturels. Cette ambition, cette lutte nécessaire trouve des issues dans la conduite de postures interculturelles nourries par les apports de la pluridisciplinarité. Il s’agit d’une belle façon de communiquer sur ce sujet sensible, multiface et complexe qui affecte toute la planète et nous concerne tous. Par exemple, c’est la conception d’un portail ludo-éducatif de sensibilisation aux risques naturels à destination des élèves du primaire au Maroc, avec en mémoire le cisaillement de la ville d’Agadir par une faille chevauchante le 29 février 1960. Ce genre d’initiative prédispose à l’usage du numérique dans les classes. Par ailleurs, le livre sert de carrefour pour rapprocher les sciences du risque ainsi que les formes de communication et de veille nécessaires pour éviter ou atténuer les impacts des crises. Enfin, malgré son sujet grave, il instille des brins de poésie, retient des formes d’art graphique ou musical pour souligner que la vie domine le drame. Une jonque vent debout qui est aussi une sorte d’arche de Noé figure en couverture du livre. Ce dessin est souvent repris comme en-tête des chapitres. Ce bateau invite au voyage, mobilise l’inventivité, la créativité dans ce combat salutaire contre séismes, crues, glissements de terrain, éruptions volcaniques et pandémies. Ce livre ne dramatise ni ne sous-estime les cortèges de cruels malheurs qui peuvent nous assaillir. Il apporte des contributions originales pour s’armer contre leurs effets et surtout apprendre aux enfants que ces dysfonctionnements existent et peuvent être surmontés. Traiter des risques est une autre façon d’aborder le degré de démocratie et de fonctionnement des solidarités dans nos sociétés. Il renouvelle aussi notre perception de la mort. In fine, le poète ayant toujours le dernier mot, ce volume livre des messages d’espoir et d’inventivité créatrice tout en nous conduisant autour du monde via Haïti, le Mexique, le Pérou, l’Italie, le Cameroun, le Maroc, voire, virtuellement, les États-Unis ravagés par la catastrophe planétaire du jeu vidéo Death Stranding d’Hideo Kojima (2019) qui met en scénario les défis du développement à distance sur une planète intensément connectée.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Pierre Husson, « Viviane Alary, Sébastien Rouquette et Benjamin van Wyk de Vries (dirs), Percevoir, représenter, communiquer les risques naturels, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2024, 393 pages », Questions de communication, 47 | 2025, 524-528.
Référence électronique
Jean-Pierre Husson, « Viviane Alary, Sébastien Rouquette et Benjamin van Wyk de Vries (dirs), Percevoir, représenter, communiquer les risques naturels, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2024, 393 pages », Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/39423 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14abu
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