Marie David, Sociologie des savoirs au lycée et à l’université, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Enfance, éducation et société, 2024, 155 pages
Marie David, Sociologie des savoirs au lycée et à l’université, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Enfance, éducation et société, 2024, 155 pages
Texte intégral
1Dans cet ouvrage, la sociologue Marie David questionne les modalités de construction des savoirs au lycée et à l’université et déconstruit plusieurs idées reçues à ce sujet. Elle reconsidère en particulier l’idée selon laquelle le passage à l’université impliquerait des ruptures franches dans les méthodes d’enseignement, d’évaluation et d’apprentissage. M. David s’intéresse aux continuités, s’affranchissant des « frontières institutionnelles » (p. 16) qui séparent les cycles des enseignements secondaires et du supérieur. À la croisée de la sociologie de l’éducation et de celle du travail, et s’appuyant sur les méthodologies et épistémologies de l’École de Chicago, M. David envisage les institutions éducatives comme des entreprises collectives par lesquelles les interactions de l’ensemble des acteurs, enseignants comme apprenants, façonneraient les savoirs, participeraient à leur sélection et transformation, dans les salles de classe et en dehors. Cette perspective interactionniste « consiste à étudier l'action collective, c'est-à-dire l'action de tous les individus impliqués dans une activité ou un phénomène, en incluant le fait que les gens tiennent compte, pour leur propre action, de celles des autres » (p. 13). Elle se fonde sur une enquête de terrain conduite par observation directe et prolongée de classes et groupes d'étudiants. L'enquête s'est déployée dans une grande ville de l’ouest de la France et sa périphérie, au sein de deux lycées généraux, l’un présentant une apparente mixité sociale, l’autre étant plus populaire, ainsi que dans une université. S'appuyant sur son expérience de 12 ans d'enseignement des sciences économiques et sociales (SES), M. David a principalement réalisé des observations pendant les cours de SES et physique-chimie, au lycée, et de sociologie, physique et chimie en première année de licence (L1), suivant ces groupes pendant au moins un semestre à chaque fois. Elle a aussi constitué un recueil de données complémentaires renseignant sur le travail réalisé en dehors de la classe et composé de cahiers d'élèves, de supports de préparation de cours et de discussions informelles. Enfin, l'autrice a mené 73 entretiens après de ces élèves et des enseignants intervenant dans ces cours. Elle revendique une approche intuitive par la théorie ancrée discutée ici pour appréhender les réponses que les acteurs trouvent aux problèmes concrets qui se présentent dans la construction, l’enseignement et l’apprentissage des savoirs.
2Le premier chapitre aborde les problèmes pratiques rencontrés par les enseignants. Au lycée comme à l’université, le temps qu’ils dédient à l’enseignement entre en concurrence avec d’autres activités (activités personnelles et gestion de relations au lycée, administration et recherche à l’université). Ceux-ci doivent aussi être vigilants à couvrir le programme ou le sujet du cours dans une temporalité bien délimitée, veillant à équilibrer le temps alloué à chaque séance et tenant compte de possibles modifications des programmes et maquettes d’une année à l’autre. S’ajoutent à leur quotidien les contraintes de matériel, par exemple lors de travaux pratiques (TP) de physique ou chimie qui nécessitent un équipement particulier. Dans ce contexte, les enseignants négocient entre eux la définition et la répartition de leur service dans des rapports de force que l’on pourra juger inégaux. La participation et le poids dans cette négociation dépendent de leur ancienneté, de leur grade et de leur connaissance du système, marqueurs d’une hiérarchie présente au lycée, mais surtout au sein de l'université où « la répartition des services matérialise une division symbolique et morale du travail pédagogique » (p. 40). On remarquera qu’il incombe donc aux perdants de cette négociation, à savoir les derniers arrivés et les enseignants plus précaires – vacataires, doctorants et attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) –, d’assurer les cours dont personne d’autre ne veut, en particulier ceux de L1 souvent jugés moins intéressants que ceux des masters par leurs pairs. Bien qu’il s’agisse souvent des enseignants les moins qualifiés, ceux-ci doivent s’adapter à une grande diversité de contenus qu’ils maîtrisent souvent peu ou mal. Malgré le fait que la « division du travail scientifique » (p. 44), issue des spécialisations universitaires, soit censée renforcer les expertises pédagogiques, les contenus enseignés ne correspondent pourtant pas nécessairement aux compétences des enseignants-chercheurs, qui répartissent leurs services en fonction d’autres critères (pénibilité perçue, intérêt intellectuel, gratification symbolique).
3Le cycle secondaire n’est pas en reste quant aux contradictions qu’il charrie. Au lycée, les programmes scolaires couvrent un grand nombre des savoirs académiques qui ne sont pas tous intégralement maîtrisés par les enseignants de la discipline. Pour préparer leurs cours, ceux-ci ont recours à des savoirs reformulés et diffusés dans des manuels scolaires. Les concepts issus de la recherche académique subissent donc un processus de transformation produisant des « savoirs ad hoc » (p. 43) prêts à l’emploi, tout en s’appuyant sur une « légitimité académique » (p. 44). Toujours au lycée, les programmes sont perçus comme trop denses par les enseignants, si bien que ces derniers doivent procéder à des sélections. Celles-ci s’opèrent lors d’échanges avec l’inspecteur à l’occasion de réunions de coordination de la discipline ou lorsque les enseignants utilisent les fiches Éduscol auxquelles ils se fient particulièrement en raison de leurs avantages pratiques. Il s'agit de documents officiels, détaillant les savoirs par discipline, recommandés et contrôlés par l'inspection générale et qui « acquièrent un statut de quasi-programme » (p. 47). Si ces recommandations officielles ne suffisent pas à lever les incertitudes des enseignants vis-à-vis des contenus à dispenser, ceux-ci ont alors recours à une forme de « bricolage » (M. de Certeau, L’Invention du quotidien, vol. 1, Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990) via des manuels scolaires grand public, des ouvrages achetés personnellement ou des sites internet élaborés par d’autres enseignants. À l’université, le cadrage national des contenus est plus lâche et se limite au processus d’accréditation local – les maquettes n'étant plus examinées nationalement mais localement, une fois les établissement accrédités par le conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche –, et aux référentiels de compétences de chaque mention de licence. Les principaux concepts ou théories importantes n’étant pas définis au préalable, les maquettes sont définies dans chaque université, si bien qu’elles ne présentent ni les mêmes contenus, ni le même niveau de détail d’un établissement à l’autre. L’enseignement de la physique fait figure d’exception dans la mesure où il s’appuie sur un référentiel commun qui précise les contenus attendus pour les trois années de licence.
4Dans le deuxième chapitre, l’autrice déconstruit l’idée reçue selon laquelle la préparation des cours se fonderait exclusivement sur l’activité solitaire de l’enseignant. Au contraire, elle démontre que les savoirs dispensés au lycée sont le fruit du travail d’autres parties prenantes, comme les rédacteurs de manuels ou les enseignants qui partagent leurs contenus sur internet. Cette « division du travail » (p. 63), entre un petit nombre de concepteurs de savoirs et de nombreux utilisateurs, constitue une action collective qui participe à la standardisation des enseignements. À l’université, dans l’unité de formation et de recherche (UFR) de sciences, le recours à des polycopiés communs favorise aussi l’uniformisation et l’institutionnalisation des contenus. Les enseignants de sociologie, qu’ils soient expérimentés ou non, s’appuient de manière relative sur des contenus rédigés par d’autres pour la préparation de leurs cours, se limitant à utiliser des plans, des recueils de textes ou parfois d’anciens cours qui circulent de manière informelle, jouant d’une « forme différée de préparation collective » (p. 68). Ces différences entre UFR s’expliquent par le fait que les enseignements de l’UFR de sciences nécessitent du matériel partagé, concentrent des flux d’étudiants plus importants et reposent sur des évaluations communes imposant un rythme similaire dans l’acquisition des savoirs. Des raisons épistémologiques pourraient aussi expliquer la moindre standardisation des enseignements en sociologie, cette discipline étant caractérisée par un manque de consensus sur ses questionnements, objets, méthodes et analyses.
5Cette dernière hypothèse semble se confirmer dans le troisième chapitre, lors duquel M. David mobilise la notion de convention d’Howard S. Becker pour désigner les manières pratiquées et acceptées de faire cours, d’apprendre et d’interagir en classe. M. David s'intéresse aux traces matérielles dans lesquelles ces conventions s'expriment, à savoir le vocabulaire utilisé, la mise en texte d'énoncés, exercices et rédactions, mais aussi les symboles, formes et dessins propres à chaque discipline. En physique et en chimie, les savoirs se transmettent surtout sous la forme mathématique, en particulier dans le cadre d’exercices à convertir en équations à résoudre. La découverte de ces symboles et langages au lycée, ainsi que la normalisation du vocabulaire et la formalisation des consignes, participent à l’institutionnalisation de ces conventions qui seront reconduites en L1 dans le cadre de l’exploration des savoirs. Les sciences humaines, qu’il s’agisse des SES au lycée ou de la sociologie en L1, impliquent des conventions plus faibles, portant sur les modalités de rédaction spécifiques à la mise en forme des savoirs ou l’utilisation d’idiomes propres à la discipline. La formation de conventions ne dépend pas seulement des disciplines, mais elles sont « en partie définies par l’aval de l’enseignement, c’est-à-dire, l’évaluation » (p. 85). En classe de terminale, les exigences et les modalités de réponses attendues sont calquées sur les épreuves du baccalauréat si bien que les lycéens perçoivent l’adéquation de leurs apprentissages à cette épreuve comme un critère discriminant pour identifier les savoirs importants. Dans l’UFR de sciences, les examens communs pour l’ensemble des étudiants de L1 participent aussi à modeler les enseignements, afin de préparer de manière identique les candidats. Les évaluations des connaissances en sociologie sont organisées de manière plus disparate et des raisons épistémologiques sont de nouveau avancées par l’autrice (« moindre intégration de la discipline », « plus grande variabilité des savoirs enseignés » [p. 90]). Néanmoins, les analyses démontrent que l’enseignement et l’évaluation des connaissances s’appuient sur le poids relatif de conventions préexistantes d’une discipline à l’autre et surtout les renforcent.
6Il est intéressant de noter que les interventions du professeur et des élèves correspondent aussi à des conventions. Le cours « expositif » sur le modèle de la conférence, développé dans les années 1960, tend à se faire plus rare en raison de la taille plus réduite des groupes d’aujourd’hui par rapport à ceux de l’époque. Cette modalité pédagogique retrouve ses lettres de noblesse dans le cadre de cours magistraux (CM) particulièrement adaptés à la configuration en amphithéâtre. C’est le « cours dialogué » (p. 91), fondé sur différentes prises de parole, qui domine aujourd’hui, bien que les enseignants n’aient aucune obligation à le pratiquer. Il convient particulièrement aux enseignements réalisés dans les groupes de taille moyenne que l’on retrouve au lycée et à l’université et permet aussi à l’enseignant de vérifier l’activité intellectuelle de son auditoire. Pourtant, le CM, « au sens où c’est l’enseignant qui énonce le savoir » (ibid.), tient toujours une place importante dans les « cours dialogués », malgré les modalités conversationnelles que celui-ci semble présenter : comme en CM, l’enseignant distribue la parole, énonce l’organisation et les modalités du cours. Par ailleurs, le dialogue n’inclut pas l’ensemble des élèves, mais concerne souvent les mêmes apprenants, qui représentent une minorité dans la classe, si bien que la répartition de la parole du « cours dialogué » semble loin d’être égale.
7Pour autant, M. David envisage en quatrième et cinquième parties l’apprentissage des savoirs comme une construction collective qui se joue dans la participation, les prises de parole, voire les silences des apprenants. M. David s’attache à décrire la répartition de la parole en classe entre trois groupes d’élèves, selon qu’ils interviennent de manière systématique, ponctuelle ou nulle. La fréquence d’intervention serait dépendante de caractéristiques personnelles (comme la timidité), des interventions des autres participants et de la position dans la salle de classe. Dans cette perspective, les savoirs appris ne proviennent pas uniquement du travail de l’enseignant ou de l’élève lui-même, mais aussi des interactions entre apprenants. Certains élèves trouvent les explications de leurs camarades plus accessibles que les réponses publiques données par l’enseignant, même si elles sont imprécises ou incorrectes. Les prises de parole en classe contribuent à établir une norme collective qui fixe le niveau d’exigence attendu, tant en termes de difficulté que de quantité de travail à fournir. Les enseignants perçoivent cette norme comme un indicateur de la capacité des élèves à réussir et l’intègrent dans la conception des examens. Les savoirs évalués sont aussi souvent le résultat de négociations grâce aux questions posées par les étudiants. Finalement, les élèves transforment le savoir en « pratique du savoir », c’est-à-dire « en des façons de faire » pour « répondre d’une manière acceptable aux attentes professorales » (p. 112). À ce titre, l’autrice constate que les étudiants développent des « pratiques hétérodoxes » (p. 116) dans la mise en œuvre des savoirs, comme s’en remettre au hasard dans le cadre d’une expérience scientifique lors des manipulations en TP de physique ou chimie. Les élèves et étudiants définissent collectivement les savoirs qu’ils considèrent importants par des fiches qui sont des résumés, forme de « retraitement » du cours (A. Barrère, Les Lycéens au travail. Tâches objectives, épreuves subjectives, Paris, Presses universitaires de France, 1997), pour réduire le volume des savoirs enseignés jugé trop important (p. 127).
8Enfin, M. David envisage l’assiduité comme une activité collective qui renseigne sur la valeur attribuée à un enseignement. L’assiduité dépend de représentations partagées quant au confort en classe, à la facilité estimée à pouvoir rattraper un cours (ce qui serait le cas des CM) et à la performance du professeur. L’assiduité alimente les liens de camaraderie entre étudiants et leur capacité à s’entraider en cas d’absence ; mais si les absences sont trop fréquentes, les liens deviennent plus lâches et la solidarité se tarit. Quelle que soit la discipline, on peut repérer des « fidèles » qui assistent à tous les cours et des étudiants « sélectifs » dont la présence varie. À ce titre, l’autrice aurait pu considérer davantage le parcours scolaire antérieur et l’origine sociale des étudiants, critères qu’elle sait pourtant corrélés à l’assiduité. Il est intéressant de noter que les comportements des étudiants inscrits dans l’UFR de sciences diffèrent de leurs homologues en sociologie sur un point : certains étudiants en physique et chimie affirment ne pas se rendre en cours pour des questions d’efficacité dans l’apprentissage, préférant le travail solitaire à partir des notes prises par d’autres. Cette différence de comportement interroge : les conventions propres à chaque discipline expliqueraient-elles pourquoi la présence en cours de certains étudiants en sciences leur semble optionnelle ? Peut-on en déduire que ces étudiants développent un rapport plus instrumental à leurs études ?
9Au fil des cinq chapitres, le lecteur est donc happé par le détail de monographies fournies de notes de terrain et verbatims issus d’une enquête rigoureuse et dense qui permet d’analyser en creux les incohérences du système éducatif. Sans les dénoncer, ni même les nommer explicitement, le livre met pourtant en lumière les paradoxes des dispositifs étudiés. Pourquoi confier les cours perçus comme les plus difficiles aux enseignants les moins expérimentés, ceux-là mêmes qui ont le plus de difficulté à se procurer les contenus qui circulent de façon informelle et en dépit des conséquences sur leur évolution de carrière, et cela afin que leurs collègues puissent jouir de plus de confort ou de prestige ? Et que dire du fait que les élèves les plus en difficulté osent le moins poser leurs questions en classe et ne sont presque jamais interrogés par les enseignants ? De quelle qualité éducative parle-t-on quand les apprenants estiment que la justesse de leur réponse importe davantage que le raisonnement alors que leurs enseignants cherchent au contraire à développer celui-ci en priorité ? Cependant, il est intéressant de noter que la construction des savoirs n’est pas seulement le résultat de logiques antagonistes, mais aussi de stratégies similaires. Par exemple, étudiants et enseignants cherchent à optimiser leur temps, les uns en évitant les cours jugés peu intéressants ou faciles à rattraper et les autres en fuyant le « sale boulot » (p. 34) ou, au contraire, dispensant les mêmes cours pendant des années. Les deux populations étudiées participent aussi à des bricolages dans la production des savoirs, en « braconnant » (voir M. de Certeau, L’invention du quotidien. I. Arts de faire, éd. L. Giard, Paris, Gallimard, 1990, p. 239-2551990) des contenus produits par d’autres, favorisant leur circulation et donc leur trivialité (Y. Jeanneret, Penser la trivialité, vol. 1, La vie triviale des êtres culturels, Paris, Hermès-Lavoisier, 2008). De ces logiques émergent donc des savoirs contingents, dont la fabrication repose sur des « considérations déconnectées des savoirs » eux-mêmes (p. 41). On serait tenté d’en déduire que la méritocratie scolaire, qui stipule que seul l’engagement de l’apprenant est responsable de sa réussite, est non seulement mise à mal par la reproduction sociale, mais aussi par les logiques collectives d’apprentissage et la contingence des conventions participant au processus de fabrication et d’institutionnalisation des savoirs.
10Les constats réalisés dans cet ouvrage sont donc très éclairants pour renseigner l’action sociale dans le domaine de l’Éducation nationale. Il serait intéressant de confronter les objectifs et les résultats des dernières réformes des programmes, trop brièvement évoquées en p. 82 et p. 140, aux conclusions du livre, même si la recherche de M. David couvre une période antérieure. En quoi ces réformes participent-elles aux problèmes ou aux réponses qu’enseignants et apprenants tricotent ensemble ? Les politiques actuelles, qui envisagent le niveau scolaire comme le résultat d’une stratégie individuelle d’apprentissage, semblent présenter des solutions simplistes pour contrer la baisse de niveau, ne tenant pas compte des agencements complexes que déploient les acteurs pour gérer les contraintes du système éducatif.
11En conclusion, M. David craint de se voir reprocher de pratiquer « une sociologie relativiste » (p. 141) en remettant en question l’idée de savoirs construits a priori. Pourtant, la critique pourrait davantage se porter sur la relativité de la conceptualisation qui semblerait, a posteriori, annoncée dès le titre de l’ouvrage mentionnant l’approche comparative, les terrains, mais pas vraiment l’interprétation. Le style épuré, ainsi que l’usage de termes et d’images issus du langage courant, fluidifie la lecture, mais je regrette que les concepts structurants n’émergent pas de manière aussi limpide. La théorie serait-elle si enracinée qu’elle finirait par adhérer au terrain ? En quoi les « concepts dégagés, en particulier ceux de convention, de perspective, de division du travail » (p. 142) ont-ils émergé par les « sauts théoriques » supposés par la théorie ancrée plutôt qu’ils ne relèvent d’analyses préexistantes (B. Glaser et A. Strauss, The Discovery of Grounded Theory. Strategies for Qualitative Research, New York, A. de Gruyter, 1967) ? Ces concepts font-ils figure de résultats ou d’outils analytiques ? Dans quelle mesure les choix de terrain ont-ils été définis au fil de l’enquête selon une logique d’« échantillonnage théorique » ? Une théorisation plus formelle et peut-être plus unifiée des résultats favoriserait un rapprochement fertile avec d’autres approches. Je pense à la « théorie de l’acteur réseau » de Bruno Latour (Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, Éd. La Découverte, 1991) qui suppose que l’action sociale (la constitution des savoirs, en l’occurrence) résulte d’un réseau d’humains (enseignants, élèves) et non-humains (manuels, sites, fiches, etc.) ; ou bien au concept plus récent de ventriloquie (F. Cooren, « Studying agency from a ventriloqual perspective », Management Communication Quarterly, 29 [3], 2010, p. 475-480) qui explore la place des objets dans les décisions et organisations humaines. J’imagine aussi volontiers le dialogue que M. David pourrait avoir avec ses collègues des sciences de l’information et de la communication qui seront certainement intéressés par ce livre informant sur les médiations produites pour faire cours, la « trivialité » et la circulation médiatique des savoirs, la performativité du langage sur les modalités éducatives et l’organisation des disciplines ou encore la polyphonie nécessaire à la constitution des apprentissages.
Pour citer cet article
Référence papier
Claire Burlat, « Marie David, Sociologie des savoirs au lycée et à l’université, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Enfance, éducation et société, 2024, 155 pages », Questions de communication, 47 | 2025, 569-576.
Référence électronique
Claire Burlat, « Marie David, Sociologie des savoirs au lycée et à l’université, Paris, Éd. L’Harmattan, coll. Enfance, éducation et société, 2024, 155 pages », Questions de communication [En ligne], 47 | 2025, mis en ligne le 26 juin 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/39531 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14ac2
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