1Le Projet Éducation 2030 de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE, 2018) appelle les politiques éducatives et les concepteurs de programmes à réfléchir à la manière dont l’enseignement scolaire pourrait contribuer à développer des compétences « transformatives » pour préparer la nouvelle génération à imaginer de meilleures façons de penser et de vivre ensemble, face aux défis « sans précédent », économiques, environnementaux, sociaux et culturels que devront relever ses 38 pays membres ces dix prochaines années.
2Cet appel à contribution des politiques éducatives n’est pas nouveau dans l’histoire de l’enseignement musical à l’école. Cette discipline a figuré aux programmes scolaires, au service de valeurs et d’intérêts que les États-nations ont décidé, selon les époques, de relier de manière plus ou moins explicite à des questions qu’ils ont jugées socialement vives pour structurer la société.
- 1 Pour Logé (2019), l’anthropocène caractérise une nouvelle époque qui apparaît comme une réponse aux (...)
3Aujourd’hui, à l’aube d’une époque qui pose de nouvelles questions sociétales liées à l’« anthropocène1 » (Logé, 2019 ; Rosa, 2018) et alors que les principes directeurs du Projet Éducation 2030 de l’OCDE tentent d’armer les élèves de ses pays membres pour y répondre, l’enseignement musical scolaire a-t-il toujours les bons ressorts pour contribuer à fournir les compétences nécessaires à résoudre les problèmes complexes de l’état du monde aux millions d’élèves de la nouvelle génération ? Pour commencer à penser et agir de manière radicalement différente ? Pour concevoir de meilleures façons de vivre ensemble ?
4En fonction de ce contexte politico-éducatif inédit, nous posons la question suivante : Quels concepts scientifiques qui sous-tendent les projets d’enseignement musical à l’école pourraient entrer en correspondance avec les concepts clés du Projet Éducation 2030 afin que cette discipline contribue au développement des compétences « transformatives » décrites dans ce rapport ?
5Dans un premier temps, nous procéderons à une analyse catégorielle a priori des 36 concepts clés du Projet Éducation 2030 pour tenter de mieux cerner les domaines scientifiques et les fonctions psychologiques auxquels ils se rattachent. Dans un deuxième temps, nous détaillerons la manière dont la fonction affiliative et la fonction éthique/universaliste du Projet Éducation 2030 entretiennent une correspondance scientifique particulièrement pertinente avec les concepts clés qui sous-tendent les théories scientifiques de l’enseignement musical à l’école dans certains de ses projets.
6Dans un troisième temps, pour monter comment cette étroite correspondance conceptuelle s’opérationnalise sur le terrain de l’enseignement musical scolaire, nous fournirons une analyse de pratique de chants d’ensembles avec des élèves en début de scolarité et une analyse de pratique de formation d’étudiants à l’enseignement musical interculturel au secondaire.
En conclusion, nous discuterons des limites de l’enseignement musical à l’école dans sa contribution aux compétences « transformatives » du Projet Éducation 2030 et proposerons des pistes venant des autres disciplines dans le domaine de l’enseignement scolaire des arts pour les compléter.
7En 2018, l’OCDE a adressé aux politiques éducatives et aux concepteurs de programmes de ses 38 pays membres une vision stratégique du futur de l’éducation et des compétences appelé Projet Éducation 2030. Ce rapport dresse le catalogue de 36 concepts clés qui sous-tendent ses principes directeurs pour guider la réflexion sur la manière de réarticuler en profondeur les curriculums scolaires durant les dix années à venir pour impérativement développer des compétences « transformatives » au sein de la nouvelle génération d’élèves. Des attitudes et des valeurs nouvelles seront indispensables pour imaginer de meilleures façons de penser et de vivre ensemble face aux défis économiques et environnementaux « sans précédent » qui l’attend. Les opérationnalisations concrètes de ces principes seront, selon l’OCDE, à même d’armer les élèves à agir de manière radicalement différente pour résoudre les problèmes complexes générés par l’état d’urgence du monde qui leur sera livré une fois entrés dans la vie active.
8En Europe, les États-nations se sont toujours appuyés sur l’école pour prescrire des manières de parler, de penser et d’agir en fonction de systèmes de normes et de valeurs. Des « formes scolaires » (Maulini & Perrenoud, 2005) générées, régulées et transmises à l’intra-muros des systèmes éducatifs ont servi à réarticuler les langages vernaculaires (Langlois, 2012), les savoirs et les comportements des élèves en usage dans leurs milieux naturels pour les reformater en langues de scolarisation, en connaissances scolaires (Gauthier & Tardif, 2005 ; Margolinas, 2014) et en devoir-être en classe (Verhoeven, 2018). Des curriculums ont été aménagés et des pratiques d’enseignement ont été légitimées pour préparer les élèves à acquérir les compétences indispensables à leur insertion dans la vie sociale, économique et culturelle, à devenir des citoyens capables de servir ces États-nations, de les faire perdurer et prospérer.
9L’enseignement musical à l’école a toujours joué un rôle dans l’acquisition de devoir-être que les politiques éducatives ont relié de manière plus ou moins explicite à des questions que leurs États-nations ont jugées socialement vives pour orienter leur action politique dans la structuration de la société à plusieurs niveaux (Alten, 1995 ; Fijalkow, 2003 ; Joliat & Stadler Elmer, sous presse ; Lefèbre, 2014 ; Sprunger, 2012). Le choix des contenus à enseigner durant la leçon de musique à l’école a ainsi prioritairement dépendu « des systèmes symbolico-culturels propres [à ces États-nations] en fonction des périodes historiques et des aires géographiques [...] mais également [en fonction de] ce qui [a été] considéré comme scientifique à une époque donnée par le groupe social dominant » (Tafuri, 2004, p. 570).
10À titre d’exemple, en Suisse, comme le montrent les recherches sur les visées symbolico-culturelles des recueils de chants d’ensemble à l’école (Joliat & Stadler Elmer, sous presse ; Noreau, 2019), les politiques éducatives helvétiques ont sélectionné :
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des chants « à valeur traditionnelle » pour guider l’union patriotique des jeunes citoyens, à l’aube du xxe siècle ;
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des chants « à valeur esthétique » pour guider l’engagement de la jeunesse à maintenir des liens intergénérationnels et à reconstruire l’avenir helvétique, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ;
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des chants « à valeur d’émancipation et d’ouverture au monde » pour guider les élèves dans les transformations sociales et culturelles, après Mai 68 ;
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des chants « à valeur d’altérité » pour guider les élèves à œuvrer au développement d’une société multiculturelle, après les années 1980.
11En France, les politiques éducatives en matière d’enseignement artistique ont beaucoup évolué :
De 1923 à 1977, les textes institutionnels sont restés très prescriptifs et « magistro-centrés », qu’il s’agisse des programmes d’éducation musicale à l’école entre 1819 et 2002 (Fijalkow, 2003), du plan Landowski pour les conservatoires (Lefebvre, 2009) ou ceux du collège ou lycée (Tripier-Mondancin, 2010).
12À partir des programmes de 1985, on remarque une inflexion davantage « puéro-centrée » : « l’élève s’exprime, les occurrences à son sujet sont plus nombreuses que celles concernant les savoirs » (Tripier-Mondancin, 2010, p. 218). C’est au cours de ces années que les recherches en sciences de l’éducation musicale se développent dans ce pays. Certaines portent sur l’analyse des curriculums (Fijalkow, 2003 ; Leroy & Terrien, 2011; Mialaret, 1997 ; Tripier-Mondancin, 2010), d’autres sur des études comparées de pratiques musicales (Maizières, 2011a ; Terrien & Leroy, 2011) ou encore sur les fondements didactiques de l’enseignement de la musique (Bourg, 2008 ; Bourg & Guillot, 2015 ; Marchand, 2009 ; Terrien, 2006).
13Ces travaux accompagnent l’évolution des programmes de 1995 à 2015. La pratique musicale, associée au plaisir de jouer avec sa voix ou les instruments y compris numériques et une reconnaissance accrue des musiques contemporaines (tant populaires que savantes) ouvertes à toutes les approches culturelles, accroît les possibilités d’expérimentations sonores. On apprend en faisant, en découvrant, en explorant, comme le demandent les programmes d’éducation musicale en cycle 2 et 3 de 2015 (BOEN, 2015). Il s’agit de permettre aux élèves d’acquérir des compétences dans la perception et la production de la musique (voir tableau 1). Ces compétences, au nombre de 4, sont fondées sur des verbes d’action (voir tableau 2).
Tableau 1 – Les 4 compétences attendues en éducation musicale à l’école au cycle 2 et 3 en France (BOEN, 2015)
Cycle 2
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Cycle 3
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Expérimenter sa voix parlée et chantée, explorer ses paramètres, la mobiliser au bénéfice d’une reproduction expressive
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Identifier, choisir et mobiliser les techniques vocales et corporelles au service du sens et de l’expression
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Connaître et mettre en œuvre les conditions d’une écoute attentive et précise
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Mettre en lien des caractéristiques musicales d’œuvres différentes, les nommer et les présenter en lien avec d’autres savoirs construits par les enseignements (histoire, géographie, français, sciences, etc.)
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Imaginer des organisations simples ; créer des sons et maîtriser leur succession
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Explorer les sons de la voix et de son environnement, imaginer des utilisations musicales, créer des organisations dans le temps d’un ensemble de sons sélectionnés
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Exprimer sa sensibilité et exercer son esprit critique tout en respectant les goûts et les points de vue de chacun
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Développer sa sensibilité, son esprit critique et s’enrichir de la diversité des goûts personnels et des esthétiques
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Tableau 2 – Les 4 verbes d’action traduisant les 4 compétences attendues en éducation musicale à l’école au cycle 2 et 3 en France (BOEN, 2015)
Cycle 2
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Cycle 3
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Chanter
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Chanter et interpréter
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Écouter, comparer
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Écouter, comparer et commenter
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Explorer et imaginer
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Explorer, imaginer et créer
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Échanger, partager
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Échanger, partager et argumenter
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Comme le montrent ces deux tableaux, les activités vocales et d’écoute restent les fondements de la discipline, même si les pratiques didactiques et pédagogiques de l’enseignement musical scolaire évoluent.
14Après ce survol historique de la manière dont l’enseignement musical à l’école a dialogué avec les politiques éducatives et de la manière dont ce dialogue a influencé ses pratiques d’enseignement, penchons-nous à présent sur le document Projet Éducation 2030 mis à disposition par l’OCDE pour les concepteurs de programmes scolaires de ses 38 pays membres afin de les enjoindre à les revisiter en profondeur.
15Plutôt que de nous lancer dans l’analyse de la rhétorique (Stumpf, Joliat & Perrin, 2016) de ce texte d’une dizaine de pages, nous avons choisi de nous concentrer sur les 36 concepts fournis dans l’Annexe 2 du Projet Éducation 2030 (OCDE, 2018, p. 19), qui ont présidé à l’écriture de ce texte. Comme nous pouvons le constater, les 36 concepts clés en lien étroit avec les principes directeurs qui sous-tendent sa ligne rédactionnelle sont présentés de manière aléatoire, sans que nous percevions d’intention de classification (voir tableau 3).
Tableau 3 – Les 36 concepts clés basés sur les principes directeurs du Projet Éducation 2030 (OCDE, 2018)
Capacité d’adaptation / flexibilité / ajustement / souplesse
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Aptitudes manuelles pour les TIC (liées aux stratégies d’apprentissages)
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Compassion
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Aptitudes manuelles liées aux arts et à l’artisanat, à la musique, aptitudes physiques nécessaires à l’avenir
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Résolution de conflits
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Méta-apprentissage (notamment capacité d’apprendre à apprendre)
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Créativité/pensée créatrice/inventivité
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Sensibilité
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Raisonnement critique
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Motivation (par ex., pour apprendre ou apporter sa contribution à la société)
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Curiosité
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Ouverture d’esprit (vis-à-vis des autres, de nouvelles idées, de nouvelles expériences)
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Empathie
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Capacité de prendre en compte d’autres perspectives, flexibilité cognitive
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Engagement / sens de la communication / sens du travail en collaboration
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Proactivité
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Égalité/équité
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Aptitude à résoudre des problèmes
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Réflexion globale
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Détermination
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Réflexion orientée vers l’objectif et sa réalisation (par ex., ténacité, persévérance)
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Raisonnement réflexif / évaluation / suivi
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Gratitude
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Résilience / résistance au stress
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Réflexion orientée vers la croissance
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Respect (de soi, des autres, y compris de la diversité culturelle)
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Espérance
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Responsabilité (y compris lieu de contrôle)
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Dignité humaine
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Gestion du risque
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Identité / identité spirituelle
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Conscience de soi / autodiscipline / maîtrise de soi
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Intégrité
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Efficacité personnelle / orientation personnelle positive
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Justice
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Confiance (en soi, dans les autres, dans les institutions)
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16Seules les références bibliographiques délivrées à la fin du Projet Éducation 2030, dont les occurrences sont classées par ordre alphabétique des noms des auteurs, permettent de penser que ces concepts sont tirés d’une littérature savante, professionnelle ou institutionnelle.
Barth (2015) définit la notion de concept « comme une relation entre le mot, ce à quoi le mot se réfère, c’est-à-dire des situations réelles, dans lesquelles ce mot est utilisé, et les caractéristiques ou les attributs qui permettent d’identifier ce à quoi on se réfère » (p. 32).
17Mais pour les besoins de notre recherche, quelle lecture du Projet Éducation 2030 peut-on faire à travers l’analyse de ses concepts ? De quelle manière structurer ces concepts par niveaux d’organisation pour les rendre intelligibles sur ce à quoi ces mots se réfèrent, les situations réelles dans lesquelles ces mots sont utilisés et la caractéristique ou les attributs qui permettent d’identifier ces situations réelles ? Une opération de structuration par niveau d’organisation de ces 36 concepts nous permettra-t-elle de constituer une grille de lecture pertinente pour analyser les concepts clés des théories scientifiques mobilisées dans les recherches en didactique de l’éducation musicale à l’école afin de dégager de possibles compatibilités utiles à confectionner un curriculum musical contributif au Projet Éducation 2030 ?
18Dans un premier temps, notre démarche de recherche compréhensive, à visée inductive et herméneutique (Paillé & Muchielli, 2012), a tenté de reconstituer les cadres psychologiques desquels sont issus ces 36 concepts clés, « ce à quoi chacun de ces concepts réfère » et les définitions de ces cadres et de leurs fonctions, « les caractéristiques ou les attributs qui permettent d’identifier ce à qui on se réfère ». Nous avons préconstruit quatre catégories a priori (Paillé & Muchielli, 2005) (voir tableau 4) centrées sur quatre grands domaines scientifiques de la psychologie (développementale – sociale – créative – interculturelle) et une de leurs fonctions clés (exécutive – affiliative – créative – éthique/universaliste), et nous avons fourni pour chacune d’elles une définition « probante » tirée de la littérature scientifique francophone, afin d’en retirer les caractéristiques conceptuelles.
Tableau 4 – La définition des quatre catégories de domaines scientifiques et leurs fonctions psychologiques pour l’analyse des 36 concepts du rapport Éducation 2030 (OCDE, 2018)
1 Psychologie du développement « Étudie l’ensemble des changements qui se produisent en nous au cours du temps. Cette discipline offre […] une vue d’ensemble sur les étapes qui mèneront l’enfant à l’état d’adulte ». Laval, V. (2019). La psychologie du développement : modèles et méthodes. Dunod.
Fonctions exécutives
« Renvoie à un terme parapluie qui englobe un ensemble d’habiletés de haut niveau nécessaires à la réalisation de comportement dirigé vers un but […]. Elles ont pour fonction de faciliter l’adaptation à des situations nouvelles […]. Les habiletés cognitives regroupées derrière le concept des FE incluent […] divers processus, tels que la planification et les résolutions de problèmes, les possibilités d’abstraction, le contrôle attentionnel et l’inhibition, la flexibilité cognitive ou […] les capacités de mémoire de travail » (p. 246). Roy, A., Le Gall, D., Roulin, J.-L. & Fournet, N. (2012). Les fonctions exécutives chez l’enfant : approche épistémologique et sémiologie clinique. Revue de neuropsychologie, 4, 287-297.
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2 Psychologie sociale
« Est au carrefour de l’individuel et du social […]. Elle étudie l’interaction du sujet avec autrui, pour les autres ». Moser, G. (2006). Psychologies sociales : application de la psychologie sociale et psychologie sociale appliquée. Les cahiers internationaux de psychologie sociale, 2(70), 89-95.
Fonction affiliative Peut être « définie comme le rattachement d’un individu à un groupe. La première affiliation est celle qui rattache l’enfant à sa famille et constitue […] grâce à la présence d’événements familiaux ritualisés […] et repose sur des mécanismes d’imitation et concourt à l’établissement de l’identification. L’affiliation […] préside au foncement de la continuité intergénérationnelle […] et la transmission des cultures et des modèles de relations interpersonnelles. Elle concourt fortement à la construction de l’identité sociale et personnelle, à l’accès au statut de sujet. Elle sous-entend un concept important […], la loyauté, qui implique l’internalisation de l’esprit, des expectatives du groupe et un comportement en accord avec ces injonctions internalisées : la loyauté permet la survie du groupe. Le besoin d’affiliation dépasse le cadre du groupe familial […]. C’est le désir d’être avec les autres dans une relation de sympathie ou d’amitié, qui se manifeste dans le souci d’établir, de maintenir ou de restaurer une relation affective positive avec une autre personne, surtout si cette personne nous ressemble ou nous aime » (p. 81). Pourtois, J.-P. & Desmet, H. L’éducation postmoderne. PUF.
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3 Psychologie de la créativité
« La créativité est sollicitée sitôt qu’il s’agit, dans la vie personnelle et professionnelle, de résoudre de nouveaux problèmes ou de s’adapter avec souplesse aux évolutions environnementales ; elle est l’un des moteurs, sinon le moteur premier de la croissance économique et culturelle, et nos sociétés la valorisent ou prétendent la valoriser de plus en plus ». Lubart, T. (2003). Psychologie de la créativité. Armand Colin.
Fonction créative
« Microprocessus cognitif tel que la pensée divergente/convergente (capacité à générer le plus d’idées et à retenir la plus pertinente), la comparaison ou combinaison sélective (l’association de plusieurs idées appartenant à des domaines proches ou lointains), la flexibilité, etc. ». (p. 36) Capron Puozzo, I. & Wentzel, B. (2016). Créativité et réflexivité : vers une démarche innovante de formation des enseignants. Revue française de pédagogie, 4(97), 35-50.
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4 Psychologie interculturelle
« Étudie l’impact de l’exposition prolongée à d’autres cultures sur l’organisation psychique de l’individu. […] et les stratégies identitaires permettant de répondre au besoin de (re)construction d’une identité culturelle. Le rapport à l’altérité culturelle est également largement sollicité dans la mesure où il va bouleverser la structuration culturelle de l’individu au niveau du temps, de l’espace, des mythes, des valeurs, etc. ». (p. 27) Plivard, I. (2014). Psychologie interculturelle. De Boeck.
a) Fonction éthique
« Désigne tout ce qui dans l’ordre du bien et du mal se rapporte à des lois, des normes, des impératifs […] et situe la socialisation de l’individu dans un compromis entre le désir de liberté individuelle et les situations déjà qualifiées éthiquement (par la société). L’éducation consiste à inscrire le projet de liberté de chacun dans l’histoire commune des valeurs à condition que l’histoire sociale des valeurs puisse aussi s’inscrire dans le projet de liberté de chacun ». (p. 23) Siksou, M. (2007). Morale, éthique et psychologie. Dans O. Bourguignon (dir.), Éthique et pratique psychologique. Mardaga.
b) Fonction universaliste
« Il existerait une culture originelle de l’humanité à partir de laquelle toutes les autres cultures se sont développées, ont évolué. Grâce à l’étude de “survivances” culturelles (sortes de traits culturels originels), particulièrement présentes dans les sociétés primitives, il serait possible de reconstituer cet ensemble culturel originel ». (p. 10) Plivard, I. (2014). Psychologie interculturelle. De Boeck.
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- 2 Nous avons supprimé de cette liste tous les autres documents à caractère prescriptif ou informatif (...)
Dans un second temps, nous avons distribué les 36 concepts clés du rapport Éducation 2030 selon la définition de ces quatre catégories et de leur fonction et les avons mis en correspondance avec les sources bibliographiques fournies par le rapport (voir tableaux 5, 6, 7, 8), préalablement expurgées pour ne garder que les ouvrages et les articles scientifiques2 qui nous semblaient les documenter précisément.
19Chacun des 36 concepts a pu être classé en fonction des quatre grands domaines de la psychologie et de leur fonction. Nous avons ensuite ordonné ces domaines en fonction du nombre de concepts qui s’y rattachaient (du mieux représenté au moins représenté), à savoir :
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15 concepts ont été attribués au domaine « Psychologie du développement – Fonctions exécutives » (voir tableau 5) ;
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7 concepts ont été attribués au domaine « Psychologie sociale – Fonction affiliative » (voir tableau 6) ;
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9 concepts ont été attribués au domaine « Psychologie interculturelle – 5 pour la Fonction éthique et 4 pour la Fonction universaliste » (voir tableau 7) ;
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5 concepts ont été attribués au domaine « Psychologie de la créativité – Fonction créative » (voir tableau 9, en annexe).
20Ce classement permet de mieux discerner la clé de différenciation que les rédacteurs d’Éducation 2030 ont décidé d’appliquer pour marquer l’importance de chacune des fonctions de ces catégories qui sous-tendent les principes directeurs de ce Projet pour guider leurs attentes curriculaires à l’intention de futures contributions des concepteurs de programmes scolaires : d’abord les fonctions exécutives (15 occurrences), puis la fonction affiliative (7 occurrences), ensuite la fonction éthique/universaliste (9 occurrences divisées en 5 occurrences éthiques et 4 universalistes), enfin la fonction créative (5 occurrences).
21Rappelons notre question de recherche : quels concepts scientifiques qui sous-tendent l’enseignement musical à école d’aujourd’hui et quelles pratiques musicales rattachées à ces concepts pourraient entrer en correspondance avec les concepts clés du Projet Éducation 2030 afin de contribuer à développer les compétences « transformatives » attendues ?
22À première vue, la plupart des fonctions de l’enseignement musical à l’école semblent correspondre aux fonctions de ces quatre catégories :
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des fonctions exécutives pour réaliser des tâches musicales motrices, vocales, gestuelles, représentatives,
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une fonction affiliative pour créer du lien, chanter et bouger ensemble,
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une fonction interculturelle pour passer d’une culture musicale à l’autre (culture populaire / culture savante) (ma culture / la culture de l’autre),
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une fonction créative pour créer, écrire, composer la musique.
- 3 Le lecteur intéressé trouvera en annexe la distribution des 5 concepts clés (voir tableau 9, en ann (...)
23Discutons plus en avant les points de rencontre possible entre les fonctions exécutives, affiliatives et interculturelles identifiées dans Projet Éducation 2030 et les fonctions de l’enseignement musical à l’école. Précisons cependant que, limités par les normes de longueur d’article, nous avons fait le choix de mettre de côté la fonction créative qui arrivait en fin de classement des concepts du Rapport 2030 (5 occurrences), sachant que, de son côté, l’enseignement musical scolaire priorise cette fonction3.
24Pour un projet d’enseignement musical à l’école, le développement des fonctions exécutives n’est pas une priorité, comme nous le verrons ci-dessous. Mais quel dialogue le poids des fonctions exécutives du Rapport 2030 peut-il établir avec le poids des fonctions exécutives dans l’enseignement musical au conservatoire ?
Il nous paraît cependant opportun de clarifier ce point, tant il est vrai que les objectifs, les manières d’enseigner et les résultats obtenus par l’enseignement musical scolaire, « celui qui a pour mission de former des élèves […] et qui demande des résultats impondérables, mais essentiels et seulement perceptibles à échéance lointaine » (Martenot, 1970/1996, p. 19) ont souvent pâti de la comparaison avec les objectifs, les manières d’enseigner et les résultats obtenus par l’enseignement musical au conservatoire, « celui qui a pour mission de former des artistes, et qui demande des résultats tangibles pour les musiciens professionnels » (p. 19).
Tableau 5 – La catégorie « Psychologie du développement – Fonctions exécutives » reliée à 15 concepts Éducation 2030 (OCDE, 2018) et leurs références scientifiques
Psychologie sociale
Définition du domaine
« Étudie l’ensemble des changements qui se produisent en nous au cours du temps. Cette discipline offre […] une vue d’ensemble sur les étapes qui mèneront l’enfant à l’état d’adulte ». (Laval, 2019, p. 12)
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Fonctions exécutives
Définition de la fonction
« Renvoie à un terme parapluie qui englobe un ensemble d’habiletés de haut niveau nécessaires à la réalisation de comportement dirigé vers un but […]. Elles ont pour fonction de faciliter l’adaptation à des situations nouvelles […]. Les habiletés cognitives regroupées derrière le concept des FE incluent […] divers processus, tels que la planification et les résolutions de problèmes, les possibilités d’abstraction, le contrôle attentionnel et l’inhibition, la flexibilité cognitive ou […] les capacités de mémoire de travail » (Roy et al., 2012, p. 246).
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Concepts Éducation 2030
1 Aptitudes manuelles liées aux arts et à l’artisanat, à la musique (Aptitudes physiques nécessaires à l’avenir)
2 Aptitudes manuelles pour les TIC (liées aux stratégies d’apprentissage)
3 Capacité d’adaptation (Flexibilité/Ajustement/Souplesse)
4 Capacité de prendre en compte d’autres perspectives, flexibilité cognitive
5 Méta-apprentissage (Capacité d’apprendre à apprendre)
6 Conscience de soi / autodiscipline / maîtrise de soi
7 Aptitude à résoudre des problèmes
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8 Détermination
9 Efficacité personnelle / orientation personnelle positive
10 Gestion du risque
11 Proactivité
12 Raisonnement critique
13 Raisonnement réflexif / évaluation / suivi
14 Réflexion orientée vers l’objectif et sa réalisation (ténacité, persévérance)
15 Résilience / résistance au stress
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Références scientifiques Éducation 2030 – Fonctions exécutives
Barrick, M., Mount, M. & Judge, T. (2001). Personality and Performance at the Beginning of the New Millennium: What Do We Know and Where Do We Go Next? International Journal of Selection and Assessment, 9(1-2), 9-30. Carneiro, P., Crawford, C. & Goodman, A. (2007). The Impact of Early Cognitive and Non-Cognitive Skills on Later Outcomes. CEE Discussion Papers. Centre for the Economics of Education, LES. Cunha, F., Heckman, J. & Schennach, S. (2010). Estimating the Technology of Cognitive and Noncognitive Skill Formation. Discussion Paper Series, no 4702, IZA. Gregory, A. & Sadeh, A. (2012). Sleep, emotional and behavioral difficulties in children and adolescents. Sleep Medicine Reviews, 16(2), 129-136. Gutman, L. & Schoon, I. (2003). The Impact of Non-cognitive skills on outcomes for young people: Literature Review. Institute of Education, Université de Londres. Harris, K., Berkowitz King, R. & Gordon-Larsen, P. (2005). Healthy Habits among Adolescents: Sleep, exercise, diet, and body image. Dans K. Moore & L. Lippman (dir.), What do children need to flourish? Conceptualizing and measuring indicators of positive development. Springer Science + Business Media. Haste, H. (2001). Ambiguity, Autonomy, and Agency: Psychological Challenges to New Competence. Dans D. Rychen et L. Salganik (dir.), Defining and selecting key competencies. Hogrefe & Huber. Hawkins, J., Oesterle, S. & Hill, K. (2004). Successful Young Adult Development. Bill & Melinda Gates Foundation. Kegan, R. (2001). Competencies as working epistemologies: Ways we want adults to know. Dans D. Rychen & L. Salganik (dir.), Defining and selecting key competencies. Hogrefe & Huber. Lai, E. (2011). Metacognition: A Literature Review Research Report. Pearson. Lai, E. (2011). Motivation: A Literature Review. Pearson. Mevarech, Z. & Kramarski, B. (2014). Critical Maths for Innovative Societies: The Role of Metacognitive Pedagogies. Éditions OCDE. Proctor, R., Reeve, T. & Weeks, D. (1990). A Triphasic Approach to the Acquisition of Response-Selection Skill. Psychology of Learning and Motivation, 26, 207-240. Schneider, W. (2008). The Development of Metacognitive Knowledge in Children and Adolescents: Major Trends and Implications for Education. Mind, Brain, and Education, 2(3), 114-121. Rasberry, C. et al. (2011). The association between school-based physical activity, including physical education, and academic performance: A systematic review of the literature. Preventive Medicine, 52, 510-520.
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25Avec un catalogue de 15 concepts rattachés (voir tableau 5), le poids de la catégorie « Psychologie du développement – Fonctions exécutives » pour réaliser le Projet Éducation 2030 serait parfaitement compatible avec le poids des fonctions exécutives clés que réalise un projet d’enseignement musical au Conservatoire qui vise la maîtrise et l’expertise (François, 2004). Le contexte institutionnel du Conservatoire (facultatif, payant, ouvert à certains élèves sélectionnés pour leur talent, avec un enseignement semi-individualisé), le contexte d’enseignement (un enseignant expert qui connaît exactement comment programmer son enseignement pour que ses élèves augmentent leur capacité d’exécution instrumentale ou vocale virtuose) et les objets d’apprentissage (le répertoire écrit de la musique occidentale savante, classique et jazz) permettent un développement optimal de l’image musicale opérative experte (pour une revue de la littérature, voir Joliat, 2008, 2010).
26En effet, les concepts de l’expertise musicale définis par Barry et Hallam (2002) procèdent exactement des 15 fonctions exécutives priorisées par le Projet Éducation 2030 (voir tableau 5), à savoir :
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s’engager dans une approche de la pratique, délibérée et systématique, structurée et orientée vers un but (en relation avec les concepts 1, 2, 6, 8, 10, 12, 14 du Projet Éducation 2030) ;
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s’engager dans la pratique mentale (en relation avec les concepts 3, 5, 7 du Projet Éducation 2030) ;
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s’engager dans l’analyse métacognitive des partitions, surtout en début de travail (en relation avec les concepts 3, 4 du Projet Éducation 2030) ;
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s’engager dans la planification régulière de la pratique, avec une gestion du temps qui privilégie les sessions de courte durée (en relation avec les concepts 8, 9, 11 du Projet Éducation 2030) ;
-
être conscient du rapport entre le temps consacré et les résultats obtenus et dégager le temps nécessaire à atteindre ses objectifs (en relation avec les concepts 13, 14, 15 du Projet Éducation 2030).
Cela n’a rien d’étonnant, au regard du rôle des fonctions exécutives pour acquérir des connaissances spécialisées (Ackerman & Beier, 2003) nécessaires aux futurs musiciens professionnels dans le domaine de l’interprétation musicale (Joliat, 2008) formés au Conservatoire.
27L’enseignement musical à l’école est très engagé dans le « faire », le « concevoir » et le « réaliser ». À ce titre, il participe d’une manière ou d’une autre au développement des fonctions exécutives de ses élèves. Certaines de ses productions d’ensemble, vocales ou instrumentales sont souvent de qualité remarquable. Mais son projet prioritaire n’a jamais été de former des musiciens experts, mais des citoyens sociables, capables de vive de manière harmonieuse et de partager des valeurs communes.
28Comme nous l’avons développé plus haut, l’enseignement musical à l’école (obligatoire, gratuit, pour tous les élèves et dans des classes) a toujours joué un rôle important dans l’acquisition de devoir-être reliés de manière plus ou moins explicite à des questions que les États-nations ont jugées socialement vives, afin de structurer la société à plusieurs niveaux.
Cela rend la mobilisation de la catégorie « Psychologie du développement – Fonctions exécutives » relativement discutable pour justifier un rapprochement historiquement fondé entre le projet d’enseignement musical à l’école et le Projet Éducation 2030.
29La catégorie « Psychologie sociale – Fonction affiliative », avec son catalogue de 7 concepts (voir tableau 6), devrait entretenir un rapport de grande compatibilité avec les concepts clés de l’enseignement musical à l’école pour qu’il puisse participer au Projet Éducation 2030.
Ci-dessous, nous allons parcourir les concepts scientifiques qui sous-tendent son enseignement d’aujourd’hui avec les jeunes élèves, puis nous discuterons de la manière dont ces concepts participent aux fonctions affiliatives du Projet Éducation 2030.
Tableau 6 – La catégorie « Psychologie sociale – Fonction affiliative » reliée à 7 concepts Éducation 2030 (OCDE, 2018) et leurs références scientifiques
Psychologie sociale
Définition du domaine
« Est au carrefour de l’individuel et du social […]. Elle étudie l’interaction du sujet avec autrui, pour les autres ». (Moser, 2006, p. 89)
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Fonction affiliative
Définition de la fonction
Peut être « définie comme le rattachement d’un individu à un groupe. La première affiliation est celle qui rattache l’enfant à sa famille et constitue […] grâce à la présence d’événements familiaux ritualisés […] et repose sur des mécanismes d’imitation et concourt à l’établissement de l’identification. L’affiliation […] préside au foncement de la continuité intergénérationnelle […] et la transmission des cultures et des modèles de relations interpersonnelles. Elle concourt fortement à la construction de l’identité sociale et personnelle, à l’accès au statut de sujet. Elle sous-entend un concept important […], la loyauté, qui implique l’internalisation de l’esprit, des expectatives du groupe et un comportement en accord avec ces injonctions internalisées : la loyauté permet la survie du groupe. Le besoin d’affiliation dépasse le cadre du groupe familial […]. C’est le désir d’être avec les autres dans une relation de sympathie ou d’amitié, qui se manifeste dans le souci d’établir, de maintenir ou de restaurer une relation affective positive avec une autre personne, surtout si cette personne nous ressemble ou nous aime ». (Pourtois et al. 1997, p. 81)
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Concepts Éducation 2030
1 Confiance (en soi, dans les autres, dans les institutions)
2 Empathie
3 Motivation (pour apprendre ou apporter sa contribution à la société
4 Résolution de conflits
5 Respect (de soi, des autres, y compris de la diversité culturelle)
6 Ouverture d’esprit (vis-à-vis des autres, de nouvelles idées, de nouvelles expériences)
7 Engagement – Sens de la communication – Sens du travail de collaboration
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Références scientifiques Éducation 2030 – Fonction affiliative
Goodman, A. et al. (2015). Social and emotional skills in childhood and their long-term effects on adult life. Institute of Education. Greenberg, P. (1992). Ideas that work with Young Children. Young Children, 10-17. Lippman, L. et al. (2015). Key Soft Skills that Foster Youth Workforce Success; Toward a Consensus Across Fields. Child Trends Publishing. Lippman, L. et al. (2014). Positive and protective factors in adolescent well-being. Dans A. Ben-Arieh et al. (dir.), Handbook of Child Well-Being: Theories, Methods and Policies in Global Perspective. Springer. Shapiro, J. (2002). How Do Physicians Teach Empathy in the Primary Care Setting? Journal of The Association of American Medical Colleges, 77(4), 323-328.
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30Les formes de jeux musicaux interpersonnels basés sur les règles de la protoconversation en milieu naturel ont longtemps été écartées des répertoires de pratiques musicales à l’école en tant que premières formes culturelles à part entière, même avec de jeunes élèves dans les premiers degrés du primaire (Joliat, 2011). Rappelons que cet état de fait découlait du principe que l’école, à la fin du xixe siècle, devait séparer l’enfant de son milieu naturel et l’extraire de l’influence de la culture de l’oralité (Langlois, 2012) pour le reformer aux usages de la vie scolaire officielle, fondée sur la culture de l’écrit. La formation des élèves était guidée par des discours déclaratifs de la part des enseignants adressés de manière formelle (Gauthier & Tardif, 1996/2005), selon les normes et les règles de fonctionnement régies par « la forme scolaire » en vigueur à l’époque (Maulini & Perrenoud, 2005).
31Or, les débats sur la question de nature/culture en psychologie psychanalytique (Bowlby 1969/1978 ; Lebovici, 1983 ; Marcelli, 2006) et en psychologie socioculturelle vygotskienne (Grison, 2009) ont toujours soutenu l’idée fondamentale que l’homme est un animal social (Vygotski, 1934/2013) et que « la nature humaine est culturelle avant toute chose » (p. 196). Les racines de l’entrée dans la culture, dès la naissance, sont reliées aux fonctions humaines affiliatives à très forte valence affective. Cette affiliation à la culture humaine est facilitée par des dialogues intentionnels de protoconversation de la part des parents pour éveiller les nourrissons à participer au monde des choses et des humains qui les entourent.
32Dans les années 1980, les recherches en psychologie sociale sur les séquences de dialogues interpersonnels mère/enfant ont montré qu’ils étaient constitués « d’accordages affectifs » (Stern, 1985/1989), d’accordages tonico-posturaux et visuels (Bullinger, 2007), de vocalisations réciproques pour accorder leur « processus postural » et construire un sens relationnel, à soi, aux autres, au monde (Leroy, 2005).
- 4 Selon l’étymologie grecque de se mouvoir et ressentir avec. Le « cerveau social » du nouveau-né per (...)
33Dans les années 2000, un pas supplémentaire a été franchi par les ethnopsychologues qui ont montré que, d’une part, ces discours affiliatifs étaient en réalité un « musilangage », l’origine commune du langage et de la musique (Brown, 2000/2001 ; Stadler Elmer, 2020). D’autre part, les nourrissons étaient prédisposés génétiquement à percevoir, imiter, prendre part et répondre aux jeux de vocalisation de leurs parents et de leur entourage (Papoušek, 1995 ; Trehub, 2003) par des mécanismes neuronaux de sympathie4 (Trevarthen, 2004). Ces jeux de protoconversation permettent d’établir un accordage affectif favorable aux liens d’attachement et au renforcement de l’empathie : « Notre vie mentale est le produit d’une co-création d’un dialogue continu avec les esprits des autres que moi j’appelle matrice intersubjective, le creuset indispensable au développement de l’esprit humain » (Stern, 2004, cité par Onnis, 2016, p. 257). Au sein de cette matrice intersubjective se jouent des dialogues de protoconversation qui éveillent, stimulent ou apaisent, en fonction de l’état d’homéostasie du jeune enfant, un répertoire d’éléments sur lequel se structurent l’éducation, l’art et la culture (Dissanayake, 2009).
34Les caractéristiques de protoconversation ne se réduisent pas à la modalité auditive, comme on serait tenté de le croire lorsque l’on parle de musique. Ce discours intuitif est multimodal puisqu’il s’organise à l’aide d’un répertoire de mimiques et d’échanges visuels, gestuels, tactiles, cinétiques et prosodiques. Les activités de protoconversation s’apparentent davantage à la définition de la musique telle qu’elle était pratiquée dans la Grèce antique : la conjonction de tous les arts temporels, le théâtre, la danse et la poésie.
35L’enseignement informel de chansons aux jeunes enfants se produit traditionnellement dans le contexte familial et a pour fonction la transmission intergénérationnelle de la culture et la transmission des codes du langage. Les plus petites unités de transmission sont les syllabes d’une chanson (Stadler Elmer, 2015), avec des mots répétés et qui complètent les mises en scène musicalisées de discours intuitifs à visées « artifiante » (Dissanayake, 1992) adressés aux nourrissons durant les activités de maternage (Papoušek, 1995) dont nous avons parlé plus haut. La grammaticalisation de ces activités de « musilangage » (Dissanayake, 2011, 2012) repose sur les cinq règles suivantes : l’exagération, la simplification, la surprise, la répétition et la variation.
36La qualité des chants des élèves s’améliore avec l’âge, à condition qu’ils reçoivent un enseignement informel et formel. La pratique culturelle du chant avec les jeunes enfants peut être considérée comme un précurseur des contextes formels ultérieurs même si le contexte formel de l’enseignement du chant en classe est différent (car tributaire de la forme scolaire) et requiert une formation professionnelle spécifique. La littérature internationale sur l’enseignement de chansons en contexte scolaire (Liao & Campbell, 2016) montre que les enseignants en fonction ont tendance à négliger la phase de focus qui consiste à diriger leurs élèves sur les objectifs d’enseignement. Ils omettent de donner le ton, de soutenir le contour mélodique et la pulsation de leur chanson fluctue. Ils chantent souvent trop bas et leurs retours aux élèves sont trop généraux ce qui ne permet pas à ces derniers de comprendre clairement comment améliorer leurs productions.
- 5 Pour Anne-Nelly Perret-Clermont, l’espace de pensée est « physique (là où l’on pense), symbolique ( (...)
- 6 Pour Pierre Zurcher, c’est le mode d’action particulier de la musique, celui qui est basé sur l’ass (...)
37En conclusion, la littérature scientifique sur l’enseignement musical scolaire montre que faire chanter sa classe est la capacité essentielle des enseignants généralistes pour les débuts de la scolarité, à l’école primaire et secondaire (Joliat, 2009 ; Stadler Elmer & Joliat, 2019 ; Maizières, 2011b ; Terrien, 2013). Créer des mises en scène multimodales avec des chansons, c’est appareiller son corps, sa voix, un objet, un instrument pour communiquer une intention à autrui et décoder les intentions d’autrui et y répondre dans un but de former « une matrice subjective » (Stern, 2004), « un espace de pensée5 » (Perret-Clermont, 2001), un « espace d’usage musical » (Zurcher, 2011) à forte composante affiliative et motivationnelle dans lequel des personnes qui font la même chose et qui attendent la même chose vont naviguer dans des mondes possibles communément partagés, pour faire œuvre commune6.
38Avec un catalogue de 7 concepts (voir tableau 6) pour la catégorie « Psychologie sociale – Fonction affiliative », le poids de ces concepts affiliatifs pour réaliser le Projet Éducation 2030 est parfaitement compatible avec le poids des concepts affiliatifs pour réaliser un Projet d’enseignement musical scolaire du chant d’ensemble et ses précurseurs dans les premiers degrés de la scolarité.
39En effet, la dimension affiliative de l’enseignement du chant d’ensemble à l’école, en particulier dans les premiers degrés de la scolarité, procède exactement des 7 fonctions affiliatives priorisées par le Projet Éducation 2030, à savoir :
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s’engager dans des formes de jeux précurseurs du chant d’ensemble (musilangage) et mettre en œuvre des chants d’ensemble constitués d’accordages effectifs (Stern, 1985/1989) grâce à des mécanismes neuronaux de sympathie (Trevarthen, 2004) pour construire un sens de la relation à soi, aux autres, au monde (Leroy, 2005) (en relation avec les concepts 1, 2, 4 du Projet Éducation 2030) ;
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s’engager à former un « espace d’usage musical » (Zurcher, 2011), une « matrice intersubjective » (Stern, 2004) la racine d’un « espace de pensée » (Perret-Clermont, 2001) pour accéder aux « usages musicaux » (Zurcher, 2011) (en relation avec les concepts 3, 5, 6, 7 du Projet Éducation 2030) ;
-
s’engager dans l’acquisition de devoir-être reliés de manière plus ou moins explicite à des questions que leurs États-nations ont jugées socialement vives pour orienter leur action politique, afin de structurer la société à plusieurs niveaux, la servir et la faire prospérer (Alten, 1995 ; Fijalkow, 2003 ; Joliat & Stadler Elmer, sous presse ; Lefèbre, 2014 ; Sprunger, 2012 ; Tafuri, 2004) (en relation avec le concept 3 « […] apporter sa contribution à la société » du Projet Éducation 2030).
Pour autant, les messages des acteurs, des œuvres et des artistes, alliés au projet de mise en jeu des élèves en tant que personnes dans cet « espace de pensée » offert par l’enseignement des précurseurs du chant d’ensemble et du chant d’ensemble à l’école, ont une valeur « transformative » compatible terme à terme avec le Projet Éducation 2030.
40La catégorie « Psychologie interculturelle – Fonction éthique », avec son catalogue de 4 concepts (voir tableau 7), devrait entretenir un rapport de grande compatibilité avec les concepts clés de l’enseignement musical scolaire interculturel lié à l’éthique pour soutenir un rapport réciproque quantitatif et qualitatif pertinent.
41En France, l’école a été pensée comme un outil d’instruction, puis d’éducation et d’intégration des enfants au Projet républicain. Son ambition était de lisser les inégalités sociales par l’acquisition de savoirs et savoir-faire partagés par tous, et plus récemment, de favoriser l’accès à la culture au plus grand nombre. Les pratiques artistiques, plastiques, théâtrales, musicales entre autres, ont toujours bénéficié d’un temps et d’un espace d’enseignement au sein des programmes ou des curriculums scolaires.
42Jusqu’à une période récente, il semblait acquis que ces pratiques artistiques étaient partagées de tous et par tous. La pratique des arts, de la danse, de la musique, du théâtre, du cinéma était un outil d’acquisition de nouveaux savoirs et savoir-faire, en même temps qu’elle permettait l’intégration au modèle républicain et la découverte de l’altérité. Il allait de soi pour le professeur d’éducation artistique que la place de l’enseignement musical ou plastique était légitimée par la prescription académique et institutionnelle. Ces pratiques permettaient d’aller à la rencontre d’autres cultures, d’autres manifestations de l’imaginaire et poétique et donnaient un sens partagé de notre humanité. Les pratiques artistiques et musicales offraient une explication à la nécessité d’intégrer l’interculturalité dans les démarches pédagogiques, de dépasser l’ethnocentrisme occidental pour faire l’expérience d’autres façons de penser et de voir le monde. Mais peut-être avions-nous une acception exogène et faussement inclusive de l’interculturalité, une compréhension de la culture des autres sans vraiment tenir compte de l’autre. C’est ce que semblent révéler les travaux actuels sur ce concept.
Tableau 7 – La catégorie « Psychologie interculturelle – Fonction éthique/universaliste » reliée à 9 concepts Éducation 2030 (OCDE, 2018) et leurs références scientifiques
Psychologie interculturelle
Définition du domaine
« Étudie l’impact de l’exposition prolongée à d’autres cultures sur l’organisation psychique de l’individu. […] et les stratégies identitaires permettant de répondre au besoin de (re)construction d’une identité culturelle. Le rapport à l’altérité culturelle est également largement sollicité dans la mesure où il va bouleverser la structuration culturelle de l’individu au niveau du temps, de l’espace, des mythes, des valeurs, etc. ». (Plivard, 2014, p. 27)
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a) Fonction éthique
Définition de la fonction
« Désigne tout ce qui dans l’ordre du bien et du mal se rapporte à des lois, des normes, des impératifs […] et situe la socialisation de l’individu dans un compromis entre le désir de liberté individuelle et les situations déjà qualifiées éthiquement (par la société). L’éducation consiste à inscrire le projet de liberté de chacun dans l’histoire commune des valeurs à condition que l’histoire sociale des valeurs puisse aussi s’inscrire dans le projet de liberté de chacun ». (Siksou, 2007, p. 23)
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Concepts Éducation 2030
1 Égalité – Équité
2 Intégrité
3 Justice
4 Dignité humaine
5 Responsabilité (y compris lieu de contrôle)
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Références scientifiques Éducation 2030 – Fonction éthique
Furlong, M. et al. (2003). Multiple Contexts of School Engagement: Moving Toward a Unifying Framework for Educational Research and Practice. The California School Psychologist, 8(1), 99-113. Halstead, M. & Taylor, M. (2000). The Development of Values, Attitudes and Personal Qualities-A Review of Recent Research. National Foundation for Educational Research. Rychen, D. (dir.) (1979). Understanding human values: Individual and Societal. Free Press. Rychen, D. & Salganik, L. (dir.) (2003). Key Competencies for a Successful Life and Well-Functioning Society. Hogrefe & Huber. Schwartz, S. (2012). An Overview of the Schwartz Theory of Basic Values. Online Readings in Psychology and Culture, 2(1). Schwartz, S. & Bohner, G. (2001). The Construction of Attitudes. Dans A. Tesser & N. Schwarz (dir.), Intrapersonal Processes. Blackwell. Schwartz, S. & Bilsky, W. (1987). Toward a universal psychological structure of human values. Journal of Personality and Social Psychology, 550-562.
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b) Fonction universaliste
« Il existerait une culture originelle de l’humanité à partir de laquelle toutes les autres cultures se sont développées, ont évolué. Grâce à l’étude de “survivances” culturelles (sortes de traits culturels originels), particulièrement présentes dans les sociétés primitives, il serait possible de reconstituer cet ensemble culturel originel ». (Plivard, 2014, p. 10)
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Concepts Éducation 2030
6 Espérance
7 Gratitude
8 Identité – Identité spirituelle
9 Compassion
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Références scientifiques Éducation 2030 – Fonction universaliste
Canto-Sperber, M. & Dupuy, J.-P. (2001). Competencies for the Good Life and the Good Society. Dans D. Rychen & L. Salganik (dir.), Defining and selecting key competencies. Hogrefe & Huber. Francis, L. & Kay, W. (1995). Teenage Religion and Values. Gracewing Fowler Wright. Li, Y. et al. (2008). Out-of-School Time Activity Participation, School Engagement and Positive Youth Development: Findings from the 4-H Study of Positive Youth Development, Journal of Youth Development, 3(3), 22-31. Lippman, L. et al. (2014). Positive and protective factors in adolescent well-being. Dans A. Ben-Arieh et al. (dir.), Handbook of Child Well-Being: Theories, Methods and Policies in Global Perspective. Springer.
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43Du pluri- au trans- en passant par l’interculturel, un certain nombre de travaux ont précisé depuis la fin des années 1990 les spécificités des préfixes (Hamel, 2015 ; Rege Collet, 1993 ; Tortochot, Rezzi & Terrien, 2019). Pour Cohen-Emerique (2011), le terme « interculturel » désigne à la fois un espace commun, une construction ou « une des conceptions sociopolitiques relatives à la gestion de la diversité culturelle au sein d’une même société » (p. 11). L’interculturalité sous-tend une volonté de dresser des ponts, de proposer des points de rencontre pour faciliter l’intégration et l’assimilation dans le respect des différences (Sayad, 1994). Il s’agit aussi de se méfier des « illusions universalistes » (Kerbrat-Orecchioni, 1994) en faisant preuve d’humilité pour construire des espaces communs de dialogues et de compréhension mutuelle. Pour Kiechl (1997), la compétence interculturelle s’ajouterait à trois autres compétences « métier », « méthodologique », « sociale ». Il s’agirait d’« une adaptation à la spécificité de la situation d’interaction culturelle, mais pas une simple adaptation à la culture de l’autre » (Eder, 1996, cité par Bartel-Radic, 2009, p. 13). Ce qui conduit Bartel-Radic à écrire : « On peut définir la compétence interculturelle comme la capacité de comprendre les spécificités d’une situation d’interaction interculturelle et de s’adapter à cette spécificité de manière à produire un comportement qui permette que le message émis soit interprété de la manière souhaitée » (p. 15). On peut comprendre que l’interculturalité puisse servir les finalités liées à l’éducation à la citoyenneté, aux droits humains et à la culture démocratique (Ravez, 2019) et par extension à créer la notion de « citoyenneté interculturelle » (Byram, 2017).
44En pédagogie, une approche interculturelle devrait prendre en compte les spécificités de l’autre. Éduquer les futurs citoyens reposerait sur l’acquisition de connaissances qui leur permettent de dépasser les stéréotypes et l’ethnocentrisme en développant leur réflexion sur l’altérité. Si l’éducation cherche à développer les capacités des élèves à se décentrer, « l’enjeu ne peut donc être de connaître les cultures, même celles des autres, mais de comprendre l’expérience humaine dans ses singularités et aussi dans sa totale universalité » (Abdallah-Pretceille, 2008, p. 53). Il s’agit d’identifier des valeurs qui peuvent être collectivement partagées par les enseignements artistiques en s’appuyant sur des pratiques et sur la rencontre avec les œuvres (peintures, sculptures, œuvres musicales, dansées, théâtrales, cinématographiques, littéraires, etc.) qui favorisent le questionnement de l’élève sur l’altérité (Joliat & Lebrun, 2021).
- 7 Ces compétences s’opposent à l’idée de performance pour favoriser le développement individuel du su (...)
45Les différents dispositifs existant actuellement au sein de l’institution scolaire (PEAC ; les ateliers artistiques, les pratiques chorales, théâtrales, plastiques, etc.) ou les initiatives individuelles de rencontres avec les œuvres ou avec les artistes sont des occasions pour développer cette reconnaissance de l’altérité. Les objectifs de ces dispositifs sont de favoriser une école inclusive. Pour réaliser ces objectifs, il semble nécessaire que les enseignants acquièrent des compétences interculturelles. Toussaint, Fortier et Lachance, dans un rapport pour l’enseignement des compétences interculturelles au Québec de 2002, ont cherché à les identifier pour former les enseignants. S’appuyant sur les travaux de Lenoir et al. (1999), ils reprennent les cinq modèles de compétences : comportementales, fonctionnelles, escientes, génératives ou interactives7 et de statut. Ils constatent que cette notion de compétence interculturelle revêt des définitions très variées, mais qui s’accordent sur l’importance de maîtriser la communication interculturelle (Cossette & Verhas, 1999), d’intercompréhension (Geoffroy, 1998) ou de « médiateurs interculturels » (Geoffroy). Ils reprennent la proposition de Bennett (1999) pour qui « la compétence interculturelle est la capacité d’interpréter les actes de communication intentionnels (paroles, signes, gestes) et inconscients (langage du corps) et les coutumes d’une personne issue d’une culture différente de la nôtre. L’accent est mis sur l’empathie et la communication. L’objectif est de prendre conscience qu’à partir de leur propre culture, les gens font des suppositions à propos des comportements et des croyances des gens d’autres cultures » (cité par Toussaint et al., 2002, p. 9). L’enseignant ne doit plus seulement transmettre un savoir culturel, mais prendre en compte ce qu’il représente dans la culture de l’autre (Lucy, Baugnies & Terrien, sous presse).
46On retrouve certaines de ces qualités chez Putsche (2016) pour qui la compétence interculturelle est fondée sur la capacité des enseignants à interagir avec des locuteurs de cultures différentes. Radhouane (2017), puis Abdallah-Pretceille (2017), relèvent que le discours prescriptif dans l’éducation prend deux principales directions : donner une place aux cultures des élèves et des parents issus de la migration et renforcer l’ouverture d’esprit de tous les élèves. Pour Byram (2017), « la compétence interculturelle comporte certaines compétences sous-jacentes de nature cognitive, affective et comportementale » (cité par Ravez, 2019, p. 30) qui incluent des connaissances sur les autres cultures de manière à interagir avec les personnes, des attitudes de respect de l’altérité, d’empathie, des savoir-faire de découverte pour acquérir de nouvelles connaissances sur une culture et ses pratiques, une sensibilité culturelle critique ou la capacité à évaluer de manière critique des pratiques et des produits d’autres cultures (Byram).
47Une approche interculturelle en éducation consisterait à ouvrir davantage « le dialogue entre les différents groupes culturels » (Unesco, 2006, p. 18) et à « dépasser les différences et frontières culturelles » (Akkari & Radhouane, 2019).
Que peut-il en être en éducation musicale ? Est-ce que la pratique de la musique peut être un moyen pour que chacun accède à la culture de l’autre ? Jouer la musique de l’autre permet-elle de se décentrer ? Et pour quel impact ? Ne pas penser la pratique musicale avec sa seule perception de la musique occidentale et de performance ?
48La valeur « transformative » des pratiques interculturelles à l’école ne peut être observée qu’à travers l’acquisition des compétences interculturelles. Ces dernières font l’objet de nombreux travaux de recherche depuis les années 1980 afin de mieux les cerner (Bartel-Radic, 2009 ; Conseil de l’Europe, 2016 ; Iles, 1995 ; Kiechl, 1997 ; Ravez, 2019 ; Ruben, 1985 ; Toussaint, Fortier & Lachance, 2002 ; Unesco, 2013). Il en ressort que les compétences interculturelles sont un construit cognitif, comportemental et affectif (Dirks, 1995 ; Iles, 1995 ; Kiechl, 1997). Une des missions de l’école étant d’« apprendre à vivre ensemble et avec les autres » (Pilier 3 du rapport de Unesco, 1996), la nécessité de former les enseignants pour former les élèves semble être une priorité afin de développer :
l’aptitude à naviguer habilement parmi les milieux complexes, marqués par la diversité croissante des peuples, des cultures et de modes de vie, autrement dit l’aptitude à jouer son rôle « de manière efficace et appropriée dans les interactions avec les autres, différents par la langue et la culture ». (Fantini & Timizi, 2006, dans Unesco, 2013, p. 5)
49Une autre étude de 2016 réalisée par le Conseil de l’Europe sur les Compétences pour une culture de la démocratie en propose une autre synthèse :
La compétence démocratique et interculturelle se définit comme la capacité de mobiliser et d’employer des valeurs, attitudes, aptitudes, connaissances et/ou une compréhension pertinentes afin de répondre de manière efficace et appropriée aux exigences, défis et opportunités qui se présentent dans des situations démocratiques et interculturelles. (Conseil de l’Europe, 2016, p. 6)
50Cette dernière citation souligne la porosité entre la compétence démocratique et interculturelle qui ressort des recherches menées sur la nature et les fonctions de l’interculturalité. Les compétences interculturelles sont fondées sur des valeurs, des attitudes et des aptitudes, des connaissances et une compréhension critique, et elles ont des buts et objectifs qui visent à répondre aux attentes des 4 piliers de l’éducation, et notamment du pilier 3. Le tableau ci-dessous en propose une synthèse (voir tableau 8) :
Tableau 8 : Proposition de synthèse des compétences interculturelles (Bennett, 1999 ; Conseil de l’Europe, 2015 ; Ravez, 2019, Toussaint et al., 2002 ; Unesco, 2013).
Compétences
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Compétences de communication
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Compétences d’intercompréhension
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Compétences de médiateur interculturel
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Compétences cognitive, fonctionnelle, personnelle et éthique
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Valeurs fondamentales
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Respect de la dignité humaine
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Acceptation et appréciation de la diversité
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Respect de la planète
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Responsabilité envers la communauté mondiale
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Respecter et valoriser la diversité culturelle
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Valoriser la démocratie, la justice, l’équite, l’égalité et l’état de droit
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Attitudes
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Ouverture à l’altérité
|
Respect
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Esprit civique
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Responsabilité
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Sentiment d’efficacité personnelle
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Tolérance à l’ambiguïté
|
Disponibilité sémantique
|
Convivialité
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Curiosité
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Empathie
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Prise de risque
|
Aptitudes
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Apprentissage en autonomie
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Capacité d’analyse et de réflexion critique
|
Écoute et observation
|
Empathie
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Souplesse et adaptabilité
|
Aptitudes linguistiques, communicatives, voire plurilingues
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Coopération
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Résolution de conflit
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Réflexive
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Créative
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Dialogue, langagière et communicationnelle
|
Résilience
|
Connaissances et compréhension critique
|
Connaissance et compréhension critique de soi
|
Connaissance et compréhension critique de la langue et de la communication
|
Connaissance et compréhension critique du monde : politique, droit, droits de l’homme, culture et cultures, religions, histoire, média, économies, environnement, développement durable
|
Alphabétisme interculturel
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Buts et objectifs
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Développer plusieurs perspectives historiques
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Augmenter la conscience culturelle
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Augmenter la compétence interculturelle
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Combattre le racisme, le sexismes et toute forme de préjugé et de discrimination
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Accroître la sensibilité à l’état de la planète et à une dynamique globale
|
Acquérir des compétences en action sociale
|
51Ce tableau des compétences interculturelles renseigne sur leurs valeurs « transformatives ». Lorsque l’on croise les compétences attendues des programmes d’éducation musicale et celles de l’interculturalité, on saisit leur perméabilité. Développer des compétences d’intercompréhension, de médiation, d’analyse et d’esprit critique, de respect des points de vue ne sont que quelques exemples. L’enseignement musical scolaire peut atteindre ces objectifs par la pratique d’expérimentations sonores créatives et innovantes, qu’elle soit vocale ou instrumentale. Cette pratique musicale devrait permettre de développer les compétences interculturelles des professeurs et des élèves par la rencontre avec des œuvres musicales traditionnelles ou contemporaines d’autres cultures.
Avec un catalogue de 5 concepts pour la catégorie « Psychologie interculturelle – Fonction éthique », le poids de ces concepts éthiques pour réaliser le Projet Éducation 2030 est parfaitement compatible avec le poids des concepts éthiques pour réaliser un Projet d’enseignement musical scolaire interculturel dans tous les degrés de la scolarité.
52En effet, la dimension éthique de l’enseignement musical interculturel procède exactement des fonctions éthiques priorisées par le Projet Éducation 2030 (voir tableau 7), à savoir :
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s’engager à des formes de curiosité, d’empathie mais aussi de résilience (en relation avec les concepts 1, 2, 4 de la fonction éthique du Projet Éducation 2030) ;
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s’engager à des formes d’ouverture à l’altérité, d’acception et d’appréciation de l’altérité, ainsi qu’à une prise de risque (en relation avec les concepts 3, 5, 6, 7 de la fonction éthique/universaliste du Projet Éducation 2030) ;
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s’engager à des formes d’intercompréhension et de médiation culturelles s’appuyant sur une attitude de tolérance, d’écoute et d’observation (en relation avec le concept 3 du Projet Éducation 2030).
53Afin d’aider le lecteur à saisir dans quelle mesure des projets de pratiques d’enseignement musical d’aujourd’hui partagent de mêmes réseaux de catégories conceptuelles que ceux que nous avons identifiés dans le Projet Éducation 2030, nous présentons ci-dessous la synthèse de deux recherches qui analysent les tenants et aboutissants de la fonction affiliative et de la fonction interculturelle dans deux cadres scolaires différents. Le premier, en Suisse romande, concerne une classe d’élèves en début de scolarité. Il donne à voir la manière dont une enseignante généraliste expérimentée décrit l’enseignement de chansons qu’elle a mis en œuvre. Le second, en France, concerne la manière dont une classe d’étudiants en formation professionnelle est introduite à une séquence d’enseignement interculturel par un collectif de formateurs et enseignants-chercheurs de l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) d’Aix-Marseille.
- 8 The song leading capacity: developing professionalism in teacher education (Projet So-lead, FNS No (...)
54Dans le cadre du projet de recherche So-lead8 financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), qui s’intéresse à la manière dont des enseignants généralistes du primaire s’y prennent pour conduire une leçon de chansons (Stadler Elmer & Joliat, 2019), nous avons interrogé Jenny (nom d’emprunt). Qu’est-ce qui la préoccupe durant son enseignement ? Pour le savoir, nous l’avons filmée en leçon avec ses élèves de sept ans, puis nous lui avons demandé de visionner la vidéo de sa leçon et de faire des arrêts sur image pour commenter son travail selon un protocole d’autoconfrontation (Clot, 1999). Voici quelques extraits de son verbatim :
Voilà, ça c’est le plaisir de chanter ensemble […]. Ce sont des petites comptines, il n’y a pas besoin qu’elles soient très compliquées, on se met déjà en voix, simplement la voix, le mouvement avec… on prend du plaisir en fait. […] C’est vraiment prendre du plaisir à faire ensemble. […] Et plus on va les faire, plus je vais voir d’accélération au fil de l’année… même pour les élèves qui ont de la peine, parce qu’il y a les autres et le groupe qui les emmènent en fait.
[J’ai enchaîné] les activités pour pas qu’ils aient trop de moments… de regarder à gauche, à droite et puis essayer de faire… les pitres. […] Ce qui me permet d’avoir tous les enfants et de les captiver, de les capter vers moi en fait, pour qu’ils soient toujours avec moi dans les activités. Ça fait une espèce de « synchronicité » entre nous et voilà : on sait que là, on travaille.
Je veille vraiment à ce qu’il y ait du silence : vraiment, c’est important pour qu’on puisse commencer notre activité sinon j’arrête et vraiment je pose un cadre qui est très net pour moi… vraiment j’y tiens. Parce que si je veux qu’on commence dans une activité claire pour chaque élève, il faut du silence, pour que chacun respecte l’autre.
On met aussi en place un groupe de spectateurs : « vous êtes spectateurs ». Mais ce sont des règles qu’on met en place toute l’année : les spectateurs ne parlent pas, ils n’interfèrent pas avec les acteurs (ils ne leur font pas des croche-pieds, ils ne les touchent pas et les acteurs ne vont pas leur faire des chicanes, ou n’importe quoi d’autre).
55Ce qui frappe immédiatement à la lecture de premier bloc d’extraits de verbatim, c’est la préoccupation constante de Jenny de concerner tous ses élèves, dès le début de la leçon, en instaurant une ambiance joyeuse, un rythme soutenu de nouveaux événements, mais avec des règles explicites (qui deviennent implicites avec le temps) pour créer et maintenir une « matrice intersubjective » (Stern, 2004), un « espace de pensée » (Perret-Clermont, 2001) pour favoriser l’accès aux « usages musicaux » (Zurcher, 2011). Cet espace de pensée permet de créer « un cadre de travail » spécifiquement souhaité par Jenny pour motiver ses élèves à vivre ensemble et maintenir, au même moment et dans la même énergie, des manières de chanter, de raconter des histoires, de bouger. La construction de cette forme sociale groupale, pour ne pas dire tribale et communautaire, a aussi pour objectif d’inclure les élèves à la traîne grâce à l’impact mimétique du groupe déjà constitué qui les encourage à le rejoindre. À l’inverse, sa perspective différenciative (un groupe de chanteurs spectateurs, un groupe de danseurs, mais tous inclus dans l’espace de jeu) contribue à développer l’acceptation et le respect réciproque, dans les rôles et des fonctions définies des uns et des autres, mais aussi dans l’acceptation de la diversité des expressions culturelles des élèves en tant qu’individus singuliers.
56Les principes didactiques de devoir-être en classe (Verhoeven, 2018) mis en œuvre par Jenny relèvent des concepts du Projet Éducation 2030 (voir tableau 6) tels que la motivation pour apprendre ou apporter sa contribution à la société, l’engagement, le sens de la communication, le sens du travail de collaboration, l’ouverture d’esprit vis-à-vis des autres, de nouvelles idées, de nouvelles expériences, la confiance en soi, dans les autres, dans les institutions.
Comment je conduis mes séquences de chansons ? Avec des consignes ? Non, pas forcément : c’est assez naturel, ça se passe dans ma manière d’être […] je dois être corporellement là. Si je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils font pendant quinze fois, ben je vais quinze fois leur dire avec un geste avec les yeux : « Pas besoin de parler ! » C’est à moi d’être très précise sur ce que je veux.
Comment je donne les départs ? Vous me posez la question parce que là je n’ai pas fait : « 1, 2, 3, 4 » (mime geste de direction, ndr). Mais on n’est pas dans un concert : on commence en même temps, c’est presque naturel.
(Jenny s’arrête d’accompagner la chanson La ronde du soleil dans la vidéo, ndr). Je me suis arrêtée parce que c’est important. Je veux qu’ils chantent fort, mais fort c’est pas crier. Je veux qu’ils apprennent à chanter fort, doucement, qu’ils m’entendent [chanter] et qu’ils s’entendent [chanter].
Ce sont des chansons qu’on connaît nous tous, qu’on fait tout au long de l’année ou qu’on fait même le matin, […] à l’accueil ou entre deux leçons. Tout à coup je ne les sens pas bien : hop, on chante une chanson et ça repart !
57Enfin, Jenny utilise un mode de communication « sensoriel » (Fröhlich, 2009) et visuel, les yeux dans les yeux (Bullinger, 2007 ; Marcelli, 2006), sans consignes verbales inutiles pour se déclarer et pour que les élèves se déclarent, ce qui réactive les processus affiliatifs primordiaux. Ces processus sont si bien développés, que Jenny et ses élèves ressentent la même chose au même moment, le départ d’une chanson ou le déclenchement d’un mouvement : de puissants mécanismes d’accordages effectifs (Stern, 1985/1989) grâce à des mécanismes neuronaux de sympathie (Trevarthen, 2004) pour construire un sens de la relation à soi, aux autres, au monde (Leroy, 2005).
58Ce même processus affiliatif est aussi réservé à la production de la chanson d’ensemble. Pour le faire respecter à tout prix, Jenny n’hésite pas à interrompre la conduite de la chanson assise à son piano pour faire conscientiser à ses élèves que si certains d’entre eux chantent trop fort, plus personne ne peut les entendre et que personne ne va apprécier de les écouter chanter. Les élèves doivent au contraire ajuster leur voix à celle des autres pour participer au projet commun du chanter ensemble.
Les principes didactiques de devoir-être en classe (Verhoeven, 2018) mis en œuvre par Jenny relèvent de concepts (voir tableau 6) du Projet Éducation 2030 tels que l’empathie et la motivation (pour apprendre ou pour apporter sa contribution à la société).
- 9 Cet ESPE porte aujourd’hui le nom d’Institut national supérieur du professorat et de l’enseignement (...)
59Dans le cadre de la formation des futurs professeurs des écoles (PE), des professeurs d’éducation musicale (EM) et d’arts plastiques (AP) à l’interdisciplinarité, un collectif de formateurs et enseignants-chercheurs de l’École supérieure du professorat et de l’éducation (ESPE) d’Aix-Marseille9 met en place en 2017 un projet croisant des pratiques artistiques et culturelles à partir de l’exposition d’œuvres d’un plasticien en résidence dans un centre d’arts de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ce collectif associe à ce projet les étudiants du Centre de formation des musiciens intervenants (CFMI) d’Aix-Marseille Université et des étudiants en formation au diplôme national supérieur professionnel (DNSP) de danse de Marseille. Le projet « Emprunt/empreinte : entre traces et références » engage alors des artistes professionnels, des étudiants en formation au métier de professeurs (ESPE et CFMI) et des jeunes d’une école de danse.
60Les étudiants de Master 1re et 2e année et du CFMI en formation aux métiers de l’enseignement croisent peu leurs regards et leurs pratiques professionnelles sur l’enseignement artistique à l’école et au collège alors même qu’ils étudient et se forment dans les mêmes lieux. Il s’agit de former les futurs professeurs, qui s’orientent vers des pratiques pédagogiques spécifiques fondées sur la polyvalence à l’école (PE) ou sur une discipline d’enseignement artistique à l’école (CFMI) ou au collège (EM ou AP), à la réalisation de Projet d’éducation artistique et culturelle (PEAC) en s’appuyant sur trois volets :
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la sensibilisation à la création-performance par le dialogue avec les artistes (plasticien, musicien-compositeur, danseuse-chorégraphe) ;
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le développement de connaissances sur l’éducation artistique par la confrontation aux travaux de la recherche dans ces disciplines ;
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la formation au métier d’enseignant par la réalisation de PEAC et la rencontre avec des partenaires culturels institutionnels (musées, centres chorégraphiques, centres de création musicale).
- 10 Pour rappel, la pratique de la danse à l’école ou au collège dans le programme français relève de l (...)
61L’équipe de formateurs souhaite favoriser la rencontre des futurs enseignants à l’école et au collège avec le monde de la création artistique contemporaine en arts plastiques, en musique et en danse10, par le dialogue et la pratique. Cette formation par la création d’artefacts artistiques et pédagogiques (séquences de cours d’un PEAC) vise à approcher autrement les savoirs fondamentaux enseignés à l’école (lire-écrire-compter-raisonner et vivre ensemble). Le croisement des expériences artistiques et des expériences scolaires crée des espaces qui favorisent l’acquisition de compétences interculturelles. Le décentrement qu’induit la rencontre des futurs professeurs avec des professionnels, des lieux, des pratiques, des langages, etc., qui ne leur sont pas communs pouvait les encourager à développer leur créativité pédagogique et les ouvrir sur d’autres mondes.
62L’équipe de formation de l’ESPE est constituée de 6 formateurs et 4 enseignants-chercheurs qui collaborent pour ce projet de formation avec la directrice du centre d’arts, le directeur et compositeur du centre de création musicale, le responsable pédagogique du centre chorégraphique et une danseuse chorégraphe, l’artiste plasticien en résidence, la responsable de formation CFMI. Ce projet concerne 196 étudiants de l’Inspé, 22 étudiants du CFMI, et 10 étudiants au DNSP de danse. Les étudiants en Master 1re et 2e année et du CFMI11 sont engagés dès le début de l’année dans l’élaboration de PEAC sur la thématique « Emprunt/empreinte : entre traces et références12 » sur une proposition de la directrice du centre d’arts à partir du travail du plasticien. Les étudiants au diplôme national supérieur professionnel (DNSP) de l’École nationale de danse de Marseille assurent la création du ballet CORPUS TORQUEM13.
63Le dispositif de formation se déroule sur une année universitaire, et prévoit des rencontres entre les artistes et les étudiants sous trois formes : des sessions plénières de discussion avec les artistes (2) ; des sessions en petits groupes pour des pratiques artistiques (8) ; des cours où les étudiants élaborent en trinôme leur PEAC.
À cela s’ajoute un colloque international sur le thème de la transdisciplinarité, et un vernissage avec la performance CORPUS TORQUEM.
64Des trinômes d’étudiants (deux PE associés avec un CFMI) disposent pour chaque semestre de 8 cours de 3 heures pour réaliser leur PEAC. Outre les disciplines artistiques, ils doivent intégrer dans leur projet des savoirs fondamentaux et savoir-faire en français, mathématiques, histoire, géographie et enseignement moral et civique. La présentation orale en dix minutes du projet s’appuie sur un diaporama et doit montrer l’articulation entre savoirs académiques, productions artistiques et liens avec des partenaires institutionnels et culturels. Pour ce qui concerne la pratique musicale et artistique, la production sonore doit être originale et en lien avec la thématique retenue pour le PEAC (enregistrement et montage audio sur des bruits de la ville, de la nature, d’ambiances d’intérieurs, expressions corporelles, voire dansées, plastiques ou autres).
65Les thématiques traitées par les étudiants lors de ces deux sessions universitaires doivent toutes aborder des problématiques interculturelles. Qu’il s’agisse de la découverte de cultures, de pratiques artistiques, d’éléments ou de phénomènes naturels ou de faits historiques marquants, l’interculturalité est questionnée à l’aune des traces et des empreintes laissées par l’activité humaine. Les problématiques interrogent l’esclavagisme, le racisme, les discriminations sociales à travers l’analyse de pratiques artistiques tant musicales, plastiques que dansées, voire cinématographiques. Elles abordent les questions scientifiques et écologiques par l’enregistrement de paysages sonores sur les mouvements de l’eau, du ruisseau à la mer, sur le mouvement du vent, sur le bruit dans la cité et dans la nature. Elles sensibilisent aux formes, aux couleurs et aux matériaux produits et utilisés dans les différentes cultures étudiées. Le regard est porté sur toute trace de l’activité humaine laissant une empreinte dans nos cultures.
66La confrontation entre les pratiques professionnelles des futurs professeurs des écoles et celles des futurs musiciens intervenants, apparemment différentes dans l’esprit des étudiants, est dépassée par la prescription de formation fondée sur la créativité et l’innovation pédagogique par les pratiques artistiques. Sur ce point, la rencontre et le dialogue entre les artistes professionnels et les étudiants au métier du professorat ont favorisé cette émulation. Il est à noter que les artistes ont dû confronter leurs points de vue et leurs pratiques artistiques sur la thématique « Emprunt/empreinte : entre traces et références14 » lors de quatre séances de travail nécessaires à la réalisation de la performance, tout comme les futurs enseignants à l’école, PE et musiciens-intervenants, ont dû collaborer pour construire un PEAC. Chaque projet est adressé, destiné à un public scolaire en cycle 2 ou 3 choisi par le groupe. Il est interdisciplinaire et interroge le monde, la culture de l’autre sur des sujets allant de l’éducation à l’écologie en passant par les formes d’expressions sociales. La confrontation à l’art contemporain et à ses pratiques a contraint les étudiants à aller à la rencontre d’autres cultures, d’autres institutions culturelles et pratiques sociales, d’autres manières de penser le monde et le rapport aux autres. Comme le souligne un groupe d’étudiants PE/CFMI, il s’agit pour eux d’apprendre à « s’affirmer dans un débat sans imposer son point de vue aux autres » pour apprendre à leurs élèves. Cette contrainte du lien à l’art contemporain, qu’il soit musical, visuel, corporel, transforme le rapport des étudiants aux savoirs et savoir-faire académiques et pédagogiques. Cette transformation s’est faite par le développement de compétences de communication par les interactions entre étudiants sur des questions professionnelles et dans le respect des points de vue de chacun. Le rapport au corps, à l’écoute de l’environnement, à la place que l’on occupe dans le monde, ont été quelques aspects travaillés par les étudiants.
Cette confrontation aux pratiques culturelles et artistiques pour construire un PEAC témoigne que « la compétence interculturelle est une adaptation à la spécificité de la situation d’interaction culturelle, mais pas une simple adaptation à la culture de l’autre » (Bartel-Radic, 2009, p. 13-15).
67Le projet de cette contribution était de discuter des liens de correspondance envisageables entre le projet d’enseignement musical à l’école et le Projet Éducation 2030 pour penser la manière dont cet enseignement pourrait contribuer à développer les « compétences transformatives » des élèves à imaginer de meilleures façons de penser et de vivre ensemble face aux défis économiques, environnementaux, sociaux et culturels « sans précédent ». Plutôt que de nous engouffrer de manière vaine et sans lendemain dans des débats idéologiques sur les bienfaits de la musique à l’école pour répondre à la rhétorique, elle aussi idéologique, du texte du Projet Éducation 2030, nous avons opté pour une approche scientifique analytique raisonnée. À l’aide d’une méthode de recherche inductive catégorielle, nous avons d’abord construit 4 catégories conceptualisantes a priori pour organiser le sens de ces concepts en fonction de leur appartenance scientifique d’origine. Nous avons ensuite présenté trois cadres théoriques qui sous-tendent trois dimensions clés de projets d’enseignement musical à l’école : la fonction affiliative, la fonction d’expertise et la fonction interculturelle. Les catégories d’analyse conceptualisantes nous ont ensuite servi à « médiatiser » la discussion à la hauteur du terrain scientifique au sujet des liens de correspondance envisageables entre le projet d’enseignement musical à l’école (fonction affiliative, fonction d’expertise et fonction interculturelle) et le Projet Éducation 2030.
68Le constat de notre recherche est clair : l’enseignement musical scolaire est un partenaire de première importance du Projet Éducation 2030. Nous en avons donné un avant-goût avec deux analyses de pratiques. Les pratiques liées aux chansons et les pratiques de médiation interculturelles offrent des possibilités de construire des expériences affiliatives et culturelles capables de créer un « espace de pensée » (Perret-Clermont, 2001), chacune à des niveaux différents, favorable à la construction de communautés scolaires humaines singulières à forte valence identitaire et ouvertes aux autres par le développement de compétences d’interculturation (Demorgon, 2005). Il ne s’agira pas simplement de découvrir l’autre dans sa nature ou l’autre culturel, mais d’interroger, à partir de l’autre, sa propre nature et sa propre culture : la recomposition de son identité qui va conjuguer l’ouverture et le jugement de goût et de valeur « pour dire le mélange de l’autre et de soi qui fait évoluer : un processus ouvert et heuristique qui a pouvoir de transformer le sujet » (Joliat & Lebrun, 2021, p. 127) Nous pouvons espérer que dans cette perspective, l’enseignement musical à l’école pourra transformer quelque chose dans la manière d’œuvrer au monde de demain pour la génération d’élèves à qui ce Projet Éducation 2030 s’adresse.
69Cela étant, il va être nécessaire de modifier les formes pédagogiques des activités musicales fondées sur la pratique du chant et de l’écoute. Pour développer les capacités des élèves à percevoir et produire de la musique, les dernières orientations des curriculums insistent sur l’importance d’activités qui suscitent l’imagination et la créativité de l’élève. Conduire l’élève à découvrir d’autres modalités d’expression musicale en s’ouvrant à d’autres pratiques et d’autres cultures de la musique semble être un moyen pour développer ses compétences de musicien, de citoyen et changer son rapport aux autres et au monde. Aujourd’hui, force est de constater que l’enseignement musical, qu’il soit vocal, instrumental ou théorique, à l’école, au collège et lycée est encore très (trop) largement fondé sur un modèle descendant top-down. Cette tradition pédagogique, issue de l’histoire de l’enseignement musical depuis les scholae et autres ospedali, devenus au fil du temps nos conservatoires, a servi de modèle à l’enseignement musical scolaire, comme nous l’avons discuté dans notre recherche. Dans cette forme d’enseignement, l’élève reproduit un modèle dont il ne perçoit qu’une infime partie des apprentissages (Terrien, 2013). D’autres pratiques pédagogiques collaboratives empruntant à la créativité dans d’autres cultures sont envisageables. L’école de 2030 va devoir s’ouvrir aux pratiques musicales personnelles et quotidiennes des familles dont sont issus les élèves. Inviter des parents d’élèves à chanter ou à faire écouter des musiques de leur culture aux élèves est un moyen qui engage le professeur, les parents et les élèves dans une attitude de tolérance, de découverte de l’altérité, de dialogue, qui crée des espaces d’intersubjectivité. L’expertise pédagogique et musicale et les compétences interculturelles du professeur acquises par la formation seraient le garant de la qualité de ces échanges. Cette expertise permettrait aussi une réelle co-construction des activités musicales avec les parents et engendrerait des transformations dans le rapport à la culture.
70Dans l’exemple de pratique de chanson avec de jeunes élèves évoquée par Jenny dans son verbatim dans cet article, la perméabilité de la « forme scolaire » aux formes informelles vécues dans les milieux naturels lui a permis de remettre la créativité intrinsèque des acteurs (enseignants et élèves) au centre d’un « espace de pensée » affiliatif authentiquement partagé discursivement, qui redonne toute sa valeur à ce qu’est « qu’être humain », selon la formule d’Edgar Morin (2013).
71Dans l’exemple de formation des futurs enseignants que nous avons donné, la confrontation des étudiants aux artistes professionnels et la contrainte imposée par l’équipe de formation d’interroger les savoirs, savoir-être ou savoir-faire fondamentaux à l’aune des pratiques culturelles et artistiques contemporaines vont faire émerger leurs compétences pédagogiques et interculturelles.
72Enfin, une organisation constellaire des enseignements artistiques (danse, arts visuels, arts plastiques, arts de la scène) permettrait de lever les aspects limitants de l’enseignement musical scolaire, pour compléter son apport à l’efficience et la durabilité des compétences à visée « transformative » dans la mise en œuvre curriculaire du Projet Éducation 2030. Mais plus que cela, ce dispositif de formation transformera le rapport du professeur de musique aux autres et au monde en éclairant différemment son expertise de musicien et de pédagogue.
Tableau 9 – La catégorie « Psychologie de la créativité – Fonction créative » reliée à 5 concepts Éducation 2030 (OCDE, 2018) et leurs références scientifiques
Psychologie de la créativité
Définition du domaine
« La créativité est sollicitée sitôt qu’il s’agit, dans la vie personnelle et professionnelle, de résoudre de nouveaux problèmes ou de s’adapter avec souplesse aux évolutions environnementales ; elle est l’un des moteurs, sinon le moteur premier de la croissance économique et culturelle, et nos sociétés la valorisent ou prétendent la valoriser de plus en plus ». (Lubart, 2003, p. 15)
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Fonction créative
Définition de la fonction
« Microprocessus cognitif tel que la pensée divergente/convergente (capacité à générer le plus d’idées et à retenir la plus pertinente), la comparaison ou combinaison sélective (l’association de plusieurs idées appartenant à des domaines proches ou lointains), la flexibilité, etc. ». (Puozzo et al., 2016, p. 36)
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Concepts Éducation 2030
1 Créativité – Pensée créatrice- Innovation
2 Curiosité
3 Sensibilité
4 Réflexion globale
5 Réflexion orientée vers la croissance
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Références scientifiques Éducation 2030 – Fonction créative
Pas de références scientifiques identifiées dans le rapport Éducation 2030.
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