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Dispositifs de recherche et développement professionnel des acteurs : un regard épistémologique

Rédacteurs.trices en chef invité.e.s (dans l’ordre alphabétique)

Fabienne Brière, Aix-Marseille Université, INSPE site d’Aix-en-Provence, France (fabienne.BRIERE@univ-amu.fr)

Patrick Roy, Haute école pédagogique Fribourg, Suisse (patrick.roy@edufr.ch)

Appel à contribution

Les dispositifs de recherche-formation ou de recherche participative impliquant conjointement des acteurs de terrain et des chercheurs revêtent des formes plurielles. Selon les orientations théoriques adoptées et la manière d’appréhender le travail des acteurs et leurs savoirs professionnels, ces dispositifs se différencient par leurs finalités, leurs contextes de déploiement, leurs modalités opératoires, la nature des savoirs mobilisés ou générés et leurs processus d’élaboration, ainsi que par les statuts/rôles accordés aux différents acteurs de la recherche (Brière et Espinassy, 2021 ; Roy, 2021). Dans ce numéro spécial, nous souhaitons interroger les implications du positionnement épistémologique sous-tendant ces dispositifs de recherche du point de vue : a) de la place et du rôle accordés aux acteurs de terrain en ce qui concerne leur agentivité transformative (Engeström et Sannino, 2013) ; b) des modalités et instruments de l’investigation conjointe (Desgagné et Bednarz, 2005) des acteurs et des chercheurs référés aux savoirs en jeu.

Dans le prolongement des recherches-actions menées dans les années quarante se développent différents types de recherches participatives prenant un fort ancrage dans les milieux de la pratique (Savoie-Zajc, 2001). Ces orientations pénètrent également le monde de l’éducation, en particulier sous l’impulsion des recherches collaboratives menées au Québec (Bednarz, 2013 ; Desgagné, 1997 ; Desgagné et Bednarz, 2005 ; Morisette, 2013). Ces dernières, qui impliquent l’idée de faire de la recherche « avec » plutôt que « sur » les enseignants (Lieberman, 1986), se structurent autour de phases emboitées de co-situation, co-opération et co-production qui remettent en question le travail et la posture du chercheur en lien avec l’implication des professionnels (Bednarz, 2013). Dans ces recherches, la construction d’un espace interprétatif partagé (Bednarz et al., 2015) à propos des objets de savoir et de travail se fonde sur la reconnaissance mutuelle des expertises des chercheurs et professionnels, tout en préservant le principe de la double vraisemblance (Dubet, 1994). Dès lors, les recherches collaboratives ouvrent la voie à l’expansion des recherches menées avec les acteurs de terrain dans leur milieu de travail en réponse à des problématiques professionnelles dans la perspective d’accompagner l’évolution des pratiques par le partage d’analyses réflexives. Regroupées sous le terme générique de recherches participatives, elles se déclinent sous de multiples formes et appellations en lien avec les orientations théoriques qui les sous-tendent. Outre la recherche-action et la recherche collaborative, d’autres dispositifs apparaissent dans le paysage de la recherche en éducation comme l’« ingénierie didactique coopérative » (Daguzon et Marlot, 2019 ; Morales et al., 2017), la « lesson study » (Miyakawa and Winsløw, 2009), la « recherche-intervention » (Marcel, 2023), l’« intervention-recherche » (Amigues, 2009) ou encore l’« intervention formative » (Sannino et al., 2016).

  • 1 L’agentivité transformative « se manifeste lorsque des personnes formulent des intentions et exécut (...)
  • 2 Malgré ces apparentes distinctions, les frontières ne sont pas toujours bien délimitées et des modè (...)
  • 3 En référence au concept d’« acte instrumental » de Vygotski (1994/1925).
  • 4 « Puisque l’outil donne une forme à l’activité, la transformation de l’outil transforme l’activité, (...)

Ces nouvelles modalités de recherche se particularisent par la priorisation donnée aux objectifs de recherche ou de formation (Nizet et Monod-Ansaldi, 2017) qui rejoint la question de l’articulation des visées de la recherche. Marcel, par exemple, considère que la « recherche-intervention » se caractérise par des visées heuristique (connaissance « sur »), praxéologique (connaissance « pour ») et critique (connaissance « par »), cette dernière « permettant d’assumer la dimension politique du changement » en contribuant à « une dynamique émancipatrice » (2023, p. 12). L’« intervention-recherche » (Amigues, 2009) et l’« intervention formative » (Sannino et al., 2016) mettent au premier plan « l’agentivité transformative des acteurs1 » (Engström et Sannino, 2013) selon une orientation développementale référée aux théories de l’activité en psychologie du travail2. Par-delà leurs spécificités, les recherches participatives poursuivent une double finalité, épistémique et transformative. D’une part, elles visent à accompagner le développement professionnel des acteurs en leur permettant d’agir sur la transformation de leurs pratiques, voire dans certaines orientations de s’émanciper. Dans ces recherches, les instruments et les outils techniques et culturels mobilisés dans les différentes phases de la recherche contribuent à façonner l’activité (Vygotski, 1994/1925)3 des acteurs professionnels et à enrichir leurs « épistémologies pratiques » (Sensevy, 2007) dans un domaine de connaissance spécifique. En retour, ces recherches octroient la possibilité à ces acteurs de les transformer (Wirthner et Schneuwly, 2004)4. D’autre part, les recherches participatives poursuivent une visée épistémique qui interroge la nature même des connaissances pouvant être produites au sein d’une communauté et leur transférabilité au-delà de celle-ci (Roy, Orange et Hindryckx, 2024). Dans ces recherches où circule une pluralité des savoirs (Marlot, 2020) issus de différents registres (Johsua, 1998) se pose la question du rôle des instruments et des outils techniques et culturels mobilisés pour acter la coopération (Lyet, 2011) entre les acteurs d’un point de vue épistémique. Plus spécifiquement, les contributions singulières de chacun des types d’acteurs et leur participation active à la coconstruction de « savoirs de métier » (Brière, 2023 ; Brière et Simonet, 2021 ; Marlot et Roy 2024 ; Roy, Gremaud et Masserey, 2024) particularise chaque recherche en lien avec les orientations théoriques les sous-tendant. L’articulation des perspectives épistémiques et transformatives (Vinatier et Morrissette, 2015) des recherches participatives questionne finalement ce qui fait résultat pour chacun des types d’acteurs, et plus largement les retombées tangibles dans les communautés professionnelles et scientifiques.

Dans ce numéro spécial, nous souhaitons interroger différents dispositifs de recherche adossés à des contextes professionnels spécifiques en mettant la focale sur le positionnement épistémologique retenu pour questionner les savoirs en jeu, le rôle, la place et l’agentivité transformative des acteurs impliqués. Il est attendu des contributions un positionnement théorique et méthodologique précis et détaillé pour interroger le potentiel de ces recherches en termes de développement professionnel des acteurs dans différents domaines. Les contributions répondront en particulier aux questionnements énoncés ci-après en lien avec le positionnement épistémologique choisi.

- Comment sont articulées les visées épistémiques, épistémologiques, didactiques, (trans)formatives et développementales dans ces dispositifs ?

- En lien avec ces visées, les savoirs produits par la recherche portent-ils sur l’objet de la transformation (ce qui se transforme) et/ou sur le processus de transformation, c’est-à-dire les trajectoires et chemins du développement (comment les transformations s’opèrent-elles) ?

- Suivant quelle épistémologie se définit le développement professionnel et par quel processus est-il soutenu au fil de la recherche ?

- Quels types ou registres de savoirs circulent-ils dans les recherches participatives ?

- Comment sont pris en compte et articulés les savoirs disciplinaires, professionnels ou de métier des organisations professionnelles concernées dans la recherche participative ?

- Comment conceptualiser les contributions spécifiques de chacun des types d’acteurs et par quels processus s’opère la coconstruction de savoirs ?

- Quelles postures sont-elles adoptées par les chercheurs et les acteurs professionnels dans la mise en œuvre d’une investigation conjointe ? Comment les acteurs sont-ils associés aux différentes phases de mise en œuvre de la recherche, par exemple celles de co-problématisation, de co-construction de ressources, de co-analyse de situations, de co-construction, de co-production de savoirs ou encore de co-transformation de l’activité ?

- Au-delà de la contribution des différents acteurs au collectif de l’organisation professionnelle concernée, comment envisager la nature des conditions d’expansion et de diffusion des résultats de ces recherches ?

Calendrier de soumission 

  • Déclaration d’intention à envoyer aux co-rédacteurs en chef invités : 20 décembre 2024

  • Retour d’intention du comité éditorial aux auteurs : 20 janvier 2024

  • Date limite de soumission des articles complets : 20 mars 2025

  • Retour expertise : 20 mai 2025

  • Nouvelle soumission (au besoin) : 20 juin 2024

  • Seconde expertise (au besoin) : 20 juillet2024

  • Parution prévue : à partir de novembre 2025

La déclaration d’intention sera limitée à une page maximum au format .pdf. Elle pourra mentionner une revue de littérature sur la thématique ou proposer des retours d’expériences intégrant le contexte, les objectifs, les principales questions de recherche traitées, la méthodologie et les contributions majeures de l’article. Cette déclaration d’intention est à envoyer par email à la rédactrice et au rédacteur en chef invités du numéro spécial : Fabienne.BRIERE@univ-amu.fr ; Patrick.Roy@edufr.ch

Bibliographie

Amigues, R. (2009). Le travail enseignant : prescriptions et dimensions collectives de l’activité. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, 42, 11-26. https://doi.org/10.3917/lsdle.422.0011

Bednarz, N. (2013). Recherche collaborative et pratique enseignante : regarder ensemble autrement. L’Harmattan.

Bednarz, N., Rinaudo, L. et Roditi, E. (2015). La recherche collaborative. Carrefours de l’éducation, 39 (1). https://doi.org/10.3917/cdle.039.0171

Brière, F. (2023). The professional development of physical education student trainees at the articulation of didactic and meta-didactic systems. Swiss Journal of Educational Research, 45(2), 178-189. https://doi.org/10.24452/sjer.45.2.8

Brière, F. et Espinassy, L. (2021). De l’analyse de l’activité aux analyses didactiques : une recherche participative. Mise en œuvre de l’évaluation par compétences au cycle 3 en réseau d’éducation prioritaire. Phronesis,10(1),18-36. https://doi.org/10.7202/1076180ar

Brière, F. et Simonet, P. (2021). Développement professionnel et co-construction de savoirs de métier d’étudiants stagiaires dans l’activité conjointe avec le formateur-chercheur  : Analyses didactique et clinique de l’activité d’autoconfrontation croisée. Éducation et didactique, 15‑1, 49‑76. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.8259

Daguzon, M. et Marlot, C. (2019). Co-enseignement et ingénierie coopérative : les conditions d’un développement professionnel. Éducation & didactique, 13 (2), 9-30. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.3938

Desgagné, S. (1997). Le concept de recherche collaborative : l’idée d’un rapprochement entre chercheurs universitaires et praticiens enseignants. Revue des sciences de l’éducation, 23 (2), 371–393. https://doi.org/10.7202/031921ar

Desgagné, S. et Bednarz, N. (2005). Médiation entre recherche et pratique en éducation : faire de la recherche « avec » et plutôt que « sur » les praticiens. Revue des sciences de l’éducation, 31 (2), 245-258. https://doi.org/10.7202/012754ar

Dubet, F. (1994). Sociologie de l’expérience. Éditions du Seuil.

Engeström, Y. et Sannino, A. (2013). La volition et l’agentivité transformatrice : perspective théorique de l’activité. Revue internationale du CRIRES : innover dans la tradition de Vygotsky, 1(1), 4-19. https://doi.org/10.51657/ric.v1i1.41017

Johsua, S. (1998). Des « savoirs » et de leur étude  : Vers un cadre de réflexion pour l’approche didactique. L’année de la recherche en sciences de l’éducation, 1‑15.

Lieberman, A. (1986). Collaborative research : Working with, not working on. Educational leadership, 43(5), 28‑32. https://doi.org/10.7202/000305ar

Lyet, P. (2011). Traduction, transaction sociale et tiers intermédiaire dans les processus de collaboration de chercheurs et de praticiens dans le cadre de recherches-actions. Pensée plurielle, 3(28), 49‑67. https://doi.org/10.3917/pp. 028.0049

Marcel, J-F. (2023). Une « vraie » place dans la recherche-intervention. Recherches en éducation [En ligne], 51 | 2023, mis en ligne le 01 mars 2023. https://doi.org/10.4000/ree.11631

Marlot, C. (2020). Éditorial  : Les enjeux de la circulation des savoirs. Formation et pratiques d’enseignement en questions, 26, 7‑14. https://revuedeshep.ch/pdf/26/26-10-Gruson-Le-Henaff

Marlot, C. et Roy, P. (2024). Émergence de savoirs de métier au sein d’une ingénierie didactique coopérative sur l’enseignement du vivant : analyse de la schématisation des objets et sujets de discours. In F. Athias, D. Cariou, L. Coco-Goletto, M.-J. Gremmo, M. Le Paven et F. Louis (Eds), Actes du 3e Congrès International de la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique : Coopération et dispositifs de coopération, 4, 129-148. Congrès mené à l’Université de Bretagne Occidentale, Brest, TACD_2023_Actes_Volume_4_vf4.pdf (sciencesconf.org).

Miyakawa, T. and Winsløw, C. (2009). Un dispositif japonais pour le travail en équipe d’enseignants : étude collective d’une leçon. Éducation & didactique, 3 (1), 77–90. https://doi.org/10.4000/educationdidactique.420

Morales, G., Sensevy, G. et Forest, D. (2017). About cooperative engineering : theory and emblematic examples. Educational Action Research, 25 (1), 128 – 139. https://doi.org/10.1080/09650792.2016.1154885

Morrissette, J. (2013). Recherche-action et recherche collaborative : quel rapport aux savoirs et à la production de savoirs ? Nouvelles pratiques sociales, 25 (2), 35-49. https://doi.org/10.7202/1020820ar

Nizet, I. et Monod-Ansaldi, R. (2017). Construction de bénéfices mutuels en contexte collaboratif : pistes théoriques et méthodologiques. Phronesis, 6 (1-2), 140-152. https://doi.org/10.7202/1040224ar

Roy, P. (2021) ; Des recherches participatives en éducation : Convergences et divergences. Conférence introductive. Dans P. Roy (dir.), Des recherches participatives dans les didactiques disciplinaires et autres domaines de connaissance. Quelles finalités ? Quels savoirs ? Et quelles stratégies méthodologiques pour favoriser leur circulation dans les milieux de la recherche, de la formation et de la pratique ? (p. 12-34). Haute école pédagogique.

Roy, P., Orange, C. et Hindryckx, M.-N. (Dir.). (2024). Construire et mobiliser des savoirs en éducation scientifique et dans le champ des « Éducations à » au moyen des recherches participatives. Presses Universitaires de Liège.

Roy, P., Gremaud, B. et Masserey, B. (sous presse). Développer la professionnalité d’enseignant∙es du primaire sur le processus de conception technique : fondements théorico-méthodologiques et mise en œuvre d’une communauté discursive de pratiques professionnelles (volet 1). Revue Formation et pratiques d’enseignement en questions.

Sannino, A., Engeström, Y. et Lemos, M. (2016). Formative Interventions for Expansive Learning and Transformative Agency [Article]. Journal of the Learning Sciences, 25(4), 599-633. https://doi.org/10.1080/10508406.2016.1204547

Savoie-Zajc L. (2001). La recherche-action en éducation : ses cadres épistémologiques, sa pertinence, ses limites. In M. Anadón et M. L Hostie (Éds.), Nouvelles dynamiques de recherche en éducation (p. 15-49). Québec : PUL.

Sensevy, G. (2007). Des catégories pour décrire et comprendre l’action didactique. In G. Sensevy et A. Mercier (Éds.), Agir ensemble. L’action didactique conjointe du professeur et des élèves (p. 13‑49). Presses universitaires de Rennes.

Vinatier, I. et Morrissette, J. (2015). Les recherches collaboratives : enjeux et perspectives. Carrefours de l’éducation, 39 (1),137-170. https://doi.org/10.3917/cdle.039.0137

Wirthner, M. et Schneuwly, B. (2004). Variabilité et contraintes dans la construction des significations d’un objet d’enseignement  : L’effet d’un outil pour enseigner le résumé d’un texte informatif. In C. Moro et R. Rickenmann (Éds.), Situation éducative et significations (p. 107‑133). De Boeck et Larcier.

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Notes

1 L’agentivité transformative « se manifeste lorsque des personnes formulent des intentions et exécutent des actions volontaires qui vont au-delà des habitudes acceptées et des conditions données de l’activité et de l’organisation dans laquelle elles s’inscrivent, pour ensuite les transformer » (Engeström et Sannino, 2013, p. 5).

2 Malgré ces apparentes distinctions, les frontières ne sont pas toujours bien délimitées et des modèles mixtes se développent, souvent encouragés par les recherches scientifiques pluridisciplinaires.

3 En référence au concept d’« acte instrumental » de Vygotski (1994/1925).

4 « Puisque l’outil donne une forme à l’activité, la transformation de l’outil transforme l’activité, les manières de se comporter face à l’objet et aux autres » (Wirthner et Schneuwly, 2004, p. 110).

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