1Les Inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) sont les cadres de proximité dans le système éducatif primaire français. Au sein de l’Éducation nationale, ils sont les pilotes locaux d’une circonscription, un territoire géographique délimité selon le nombre d’écoles primaires, élémentaires et maternelles. Par délégation de pouvoir du Directeur Académique des Services de l’Éducation Nationale (DASEN), les IEN assurent la mise en œuvre des politiques nationales et académiques. Ils veillent aussi à la conformité des enseignements au regard des programmes et assurent l’évaluation des personnels enseignants.
2Le concours de recrutement des IEN est annuel et national, l’épreuve d’admissibilité consiste à rédiger un rapport d’activité et celle d’admission est un entretien. Après chaque session de concours, une équipe restreinte de jury rédige et publie son rapport d’observations et de conseils. Cet écrit institutionnel fait apparaître les attendus du métier. Il donne une lecture des priorités sur le territoire, met en exergue les attentes de l’institution dans les missions confiées, et décrit les qualités et postures recherchées chez un IEN. Ce rapport de jury est un outil de cadrage sur les normes prescrites par l’institution.
3À partir de ces éléments introductifs, dans cet article, notre recherche interroge la professionnalisation des IEN. Elle cible plus précisément dans cette notion leur appropriation des normes prescrites et la construction de leur identité professionnelle. L’enquête repose sur deux recueils de données : un corpus de 4 rapports de jury de concours, puis des données issues de 11 entretiens individuels semi-dirigés avec des inspecteurs. Dans le premier, les données textuelles analysées par thématique permettent d’identifier les normes prescrites du métier. Dans le second, la chercheuse demande à l’IEN de raconter son récit de carrière, comme dispositif d’analyse de pratique professionnelle. Ces deux méthodes aboutissent à une description de l’identité professionnelle prescrite par l’institution (IPP) et une autre de l’identité professionnelle exprimée par les IEN (IPE). L’analyse des récits de carrière met en lumière les facteurs de professionnalisation et d’appropriation des normes du métier, et le processus de construction identitaire des IEN.
4Les IEN forment un corps de métier créé, recruté et formé par une institution ministérielle. Cette dernière décrète et fixe les missions et les attendus de la profession. Chaque fonctionnaire inspecteur est le représentant de l’État et l’acteur local du pilotage de sa circonscription. Leur professionnalisation s’inscrit dans une dynamique aux dimensions institutionnelle et sociale.
5Wittorski définit ainsi la professionnalisation (2008, pp. 9‑36) :
Il semble bien […] que l’appel à la professionnalisation rejoigne, par ailleurs, un appel grandissant aux compétences au service des nouvelles normes de travail. […] La professionnalisation présente une connotation positive au service d’une nouvelle mobilisation des salariés dans des contextes de travail plus flexibles, faisant davantage appel aux ressources subjectives des personnes.
6La professionnalisation réside donc entre une dynamique d’institutionnalisation par la norme et une dynamique de socialisation et d’adaptabilité selon les individus. Davezières et Wittorski (2022) relèvent même trois facettes du processus de professionnalisation parmi les réalités sociales :
-
discours et politiques institutionnels de changement dictés par les organisations à destination du travail et des salariés et répercutés en environnements de formation censés favoriser la diffusion de ces changements ;
-
règles qui encadrent le travail et leurs évolutions (nouvelles formes de gouvernance) qui pèsent sur l’exercice professionnel ;
-
itinéraires et trajectoires de construction et de développement des personnes au fil de l’activité qu’ils déploient au travail et en formation (2022, p. 289).
7Dans le cadre de cette étude sur la professionnalisation des IEN, nous ne distinguons pas les « discours et politiques institutionnels » des « règles qui encadrent le travail » de l’inspecteur dans la mesure où tous deux sont régis par l’institution. Ils font partie de la dynamique d’institutionnalisation. Ils sont les normes constituantes et structurantes de l’organisation. Waldenfels (2005) définit les normes comme des « habitus, coutumes et mœurs » et sont « les référents quand il s’agit d’évaluer ou d’apprécier ce qui en résulte, selon leur convenance ou leur inconvenance » (2005, p. 60). Les normes sont « soutenues par des institutions plus ou moins formelles, dont les règles déterminent quels comportement ou procédure vaut comme correct. [Par ailleurs], il n’y a pas de normes sans qu’elles soient apprises et appropriées ». Prairat (2012) va plus loin dans sa définition de la norme et prend en compte la visée (2012, p. 37) :
La norme opère des tris, arrête des choix, affirme des comportements à suivre ou recommande des pratiques à mettre en œuvre ; a contrario elle interdit des attitudes ou des manières de faire. Le respect d’une norme peut toujours être posé comme un objectif à atteindre (2012, p. 37).
8Dans notre contexte de recherche sur les cadres de l’Éducation nationale, la professionnalisation par la dynamique d’institutionnalisation relèverait de manière interdépendante de l’incorporation des normes. Ce processus d’appropriation des normes revêt une dimension sociale et correspond dans la définition de Davezières et Wittorski (2022) à la part du subjectif, de l’individu et de la « construction et de développement des personnes au fil de l’activité [déployés] au travail et en formation » (ibid.). Nous intégrons dans cette dynamique de socialisation la construction de l’identité professionnelle.
9Nous justifions notre lien entre professionnalisation et construction de l’identité professionnelle dans les travaux de Ricoeur (1990), Dubar (2015) et d’Osty (2003). Pour comprendre notre raisonnement, il convient de reprendre leurs théories sur l’identité et sur la culture de métier.
10Tout d’abord, pour Ricoeur (1990), une des dimensions de l’identité est le caractère. Ce dernier désigne « l’ensemble des dispositions durables à quoi on reconnaît une personne […] un ensemble d’habitudes en train d’être ou déjà acquises, et ce sur quoi reposent les identifications acquises telles que les valeurs, les normes, les idéaux » (1990, p. 143‑150). Pour Dubar (2015), « l’identité n’est autre que le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions. » (2015, p. 109). En adhérant à ces définitions de l’identité, nous reconnaissons dans la professionnalisation définie précédemment le processus de construction identitaire. Ce dernier apparait chez Dubar de manière interdépendante dans la construction de soi comme individu, dans sa subjectivité, et dans la définition des institutions encadrées par des normes.
11Par ailleurs, pour Osty (2003), le métier est un « espace d’identification revendiqué comme mode de définition de soi » (2003, p. 99). Une culture de métier s’assimile par :
l’incorporation des attributs d’une catégorie sociale au sein d’une organisation des normes, des valeurs et des systèmes de représentations. […] La dimension sociale de l’individu correspond au système d’idées, de sentiments et d’habitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes dont nous faisons partie (2003, p. 98).
12Ainsi, par la professionnalisation, la dynamique de socialisation permet l’incorporation des normes et des valeurs de la culture de métier sur laquelle se fonde en partie l’identité telle que définie par Ricoeur (1990) et Dubar (2015). Elle assure l’intégration stable de l’individu au sein de [l’institution] et fait prévaloir l’identité collective en s’imposant à l’identité individuelle » (Bouhila, 2023, p. 90).
- 1 https://www.cnrtl.fr/definition/appropriation
13Plutôt qu’incorporation, nous préférons le terme « appropriation » des normes du métier et d’une institution. Car en effet, l’appropriation dans son sens commun1 renvoie à la notion d’adaptation [de la norme] pour que l’individu la fasse sienne. Elle accepte l’écart entre le prescrit de l’institution et l’individu. Cet « espace d’appropriation des normes » (Bouhila, p. 182) est vecteur de construction de l’identité professionnelle de l’IEN.
14Dans sa définition citée plus haut, Osty (2003) inclut également les valeurs comme composantes d’une culture de métier et d’une institution (ibid.) et par extension de l’identité professionnelle. Prairat (2012) distingue norme et valeur :
En revanche les valeurs, appliquées au monde des activités humaines, si l’on s’en tient au seul domaine des activités humaines, semblent plutôt indiquer des idéaux et des préférences. Elles fonctionnent donc moins comme des objectifs que comme des orientations ou des horizons régulateurs. Si les normes visent à supprimer, à modifier ou à conforter certaines pratiques, les valeurs, relatives au domaine des pratiques et des comportements humains tendent, elles, à les apprécier, à les évaluer voire à les hiérarchiser (2012, p. 37).
15Sur ces fondements de porosité entre appropriation des normes et construction de l’identité professionnelle dans le concept de professionnalisation, les travaux de Schwartz concernant les valeurs viennent instruire notre cadre théorique. Il caractérise les valeurs en 4 domaines structurants : « la conservation, l’ouverture au changement, le dépassement de soi et l’affirmation de soi » (2006, p. 932‑935) et en sous-catégories.
Les valeurs d’autonomie, de stimulation et d’hédonisme font preuve d’ouverture au changement, quand celles de tradition, de sécurité et de conformité s’y opposent par conservation et continuité. L’universalisme et la bienveillance tendent vers le dépassement de soi, le pouvoir et la réussite vers l’affirmation de soi (Bouhila, 2023, p. 93).
Schéma 1 : La catégorisation des valeurs selon les théories de Schwartz de 2006 (Bouhila, 2023)
16La catégorisation des valeurs de Schwartz (2006) sert d’ancrage à notre recherche. Le cadre théorique sur les dynamiques de professionnalisation met en exergue le lien entre logiques d’institutionnalisation et de socialisation. L’appropriation des normes et des valeurs de l’institution est vectrice de construction de l’identité professionnelle d’IEN. Notre problématique interroge alors ce processus de professionnalisation.
17Pour y répondre, il convient d’abord de définir les caractéristiques de la culture et de l’identité prescrite par l’institution, puis d’identifier les facteurs d’appropriation par les IEN en analysant leur identité professionnelle telle qu’ils l’expriment. Pour ce faire, dans cet article, nous distinguons Identité Professionnelle Prescrite d’IEN (IPP) pour celle attendue par l’institution, et Identité Professionnelle Exprimée par les IEN eux-mêmes (IPE). Cette ambivalence est illustrée et reprise dans nos choix méthodologiques d’enquête.
18La posture épistémologique de la chercheuse s’inscrit dans une visée heuristique de production de connaissances sur la professionnalisation des IEN et leur construction identitaire, et sur l’institution Éducation nationale.
19Pour répondre à notre problématique, nous avons cherché à mettre au jour :
-
les caractéristiques de l’IEN attendu et prescrit par l’institution, l’IPP ;
-
les caractéristiques de l’identité de l’IEN sur le terrain, l’IPE ;
-
les facteurs d’appropriation du premier vers le deuxième pour comprendre le processus de professionnalisation.
20Pour arriver à ces caractérisations, l’enquête est réalisée en deux phases distinctes : l’analyse de données textuelles des rapports de jury de concours, puis l’analyse de pratiques professionnelles lors d’entretiens individuels semi-dirigés.
Tableau 1 :Les volets de la méthodologie de la recherche
Volet
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Focale
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Recueil de données
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Analyse des données
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Résultats
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1
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IPP
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Données textuelles extraites des rapports de jury de 2019 à 2022
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Thématique : catégorisation des valeurs et des normes
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- Caractéristiques de l’IPP.
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2
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IPE
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Entretien semi-dirigé : analyse de pratique professionnelle par le récit de carrière
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Chronologique : les changements dans la trajectoire professionnelle
Thématique : catégorisation des valeurs et des normes appropriées
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- Caractéristiques de l’IPE
- Identification des facteurs d’appropriation des normes
|
- 2 https://www.education.gouv.fr/le-concours-de-recrutement-d-inspecteurs-de-l-education-nationale-ien (...)
21En rappel à notre introduction, l’IEN est recruté sur concours national annuel sur une épreuve écrite d’admissibilité et un entretien d’admission. Chaque année, après les résultats du concours de recrutement des IEN, un jury est chargé de la rédaction d’un rapport. Il est nommé pour quatre ans. Le rapport est un écrit institutionnel et officiel, il a vocation à commenter « les principaux atouts et faiblesses des candidats, et [à] formuler quelques recommandations qui seront utiles à la préparation des futurs candidats »2. Ce document est structuré en 7 parties : la réglementation, le jury, les données générales de la session, une introduction, les observations du jury et les conseils aux candidats sur l’épreuve d’admissibilité, ceux sur l’épreuve d’admission, des statistiques.
22Ce texte est une référence prescriptive dans laquelle les éléments de la culture de l’institution et du métier d’IEN sont diffusés. Notre corpus est composé des rapports de 2019, 2020, 2021, 2022. Nous prélevons nos données dans la partie intitulée « Observations et conseils », et procédons à une analyse en deux étapes présentées dans le schéma ci-dessous :
Schéma 2 :Les étapes de l’analyse des rapports de jury de 2019 à 2022 (Bouhila, 2023)
23La catégorisation est construite en deux grandes thématiques : les valeurs et les normes prescrites par l’institution. Les valeurs relevées sont classées selon le modèle de Schwartz (2006) en quatre domaines et leur sous-domaine : « la conservation, l’ouverture au changement, le dépassement de soi et l’affirmation de soi » (2006, p. 936‑938). Nous ne retenons que les valeurs itérées. Elles sont analysées ensuite quantitativement afin d’être ordonnées. Nous considérons que plus une valeur est répétée dans les rapports, plus elle est importante dans l’institution.
24Concernant les normes, nous avons relevé les extraits qui correspondent à la définition de Prairat (2012) exposée précédemment. Il s’agit là de retrouver des caractéristiques, des bonnes pratiques ou des interdits dans lesquels reconnaitre un IEN tel qu’attendu. À titre d’exemple, nous avons retrouvé cet extrait dans le rapport de jury de 2019 : « La posture est bien adaptée à la situation ; L’émotion sans doute très présente chez certains est bien maîtrisée. La qualité de la langue est adaptée ».
25L’analyse de ces résultats aboutit à la caractérisation de l’identité professionnelle prescrite de l’IEN.
26Le deuxième volet de notre enquête a pour but de caractériser l’identité professionnelle des IEN de terrain. Nous choisissions pour cela comme méthode de recueil l’entretien semi-dirigé. Celui-ci est pensé dans le but d’analyser les pratiques professionnelles. Le dispositif de recherche « récit de carrière » doit permettre l’émergence des caractéristiques identitaires des IEN.
2711 IEN en France métropolitaine ont été volontaires dans cette enquête. Le tableau ci-dessous montre une faible majorité de femmes, 5 départements sont représentés, la proportion d’IEN par ancienneté dans le métier est homogène.
Tableau 2 : Profils des IEN du corpus (Bouhila, 2023)
IEN
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Genre
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Ancienneté dans le métier
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Département
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Homme
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Femme
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< 3 ans
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De 3 à 10 ans
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>10 ans
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A
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B
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C
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D
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E
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IEN 1
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X
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X
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X
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IEN 2
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X
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X
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X
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IEN 3
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X
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X
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X
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IEN 4
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X
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X
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X
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IEN 5
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X
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X
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X
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IEN 6
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X
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X
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X
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IEN 7
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X
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X
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X
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IEN 8
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X
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|
X
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|
|
X
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|
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IEN 9
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X
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|
X
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|
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|
|
|
|
X
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IEN 10
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X
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|
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X
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X
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IEN 11
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X
|
|
X
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|
X
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|
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|
28Chaque entretien individuel a duré environ une heure. La modalité distancielle a été privilégiée par restriction sanitaire, contrainte géographique ou convenance d’agenda. Le déroulement de l’entretien a été annoncé lors de la prise de contact. Il commence par une présentation de la chercheuse, le rappel des règles d’anonymat et l’enregistrement de la session. Puis, à partir d’un support diaporama, la chercheuse diffuse et lit la consigne suivante : « Ce que je voudrais que vous me racontiez, c’est ce qui a fait que vous êtes devenu IEN, et comment vous êtes arrivé à vous forger cette identité d’IEN telle qu’elle est aujourd’hui ». À partir de là, le récit de carrière de l’IEN interviewé débute. La doctorante relance en demandant de clarifier les propos, les reformule, et situe les événements chronologiquement.
29Les récits de carrière recueillis sont traités individuellement et comparés selon la méthode d’analyse thématique similaire à celle des rapports de jury.
Schéma 3 :Les étapes de l’analyse des récits de carrière (Bouhila, 2024)
30D’abord, chaque récit fait l’objet d’un relevé des changements professionnels dans la trajectoire. Ensuite, nous procédons à un recueil des valeurs citées en entretien, puis nous les catégorisons selon les théories de Schwartz (2006). Concernant les normes, le récit de carrière fait apparaître des éléments de professionnalisation et d’appropriation des normes du prescrit. Ils sont analysés par thématique : les représentations du métier, le contexte territorial, les expériences antérieures, et une dimension subjective spécifique à l’identité personnelle de l’individu.
31L’analyse de ces résultats aboutit à la caractérisation de l’identité professionnelle exprimée par les IEN, à l’identification de facteurs d’appropriation des normes de l’institution et du métier, et conduisant à la professionnalisation des IEN.
32Les résultats de la première phase de l’enquête font apparaitre des caractéristiques de l’IPP. L’analyse des valeurs et des normes de l’une et de l’autre ouvrira sur une discussion des résultats au regard de la problématique.
33Dans le tableau ci-dessous, les valeurs relevées sont présentées et ordonnées par fréquence d’apparition dans l’ensemble des rapports. Ce travail a permis de dégager les valeurs suivantes : l’engagement, la cohérence, l’adaptabilité, la loyauté, le respect, la conformité, la bienveillance, la laïcité et l’autorité.
Tableau 3 :Pourcentage des occurrences des valeurs sur l’ensemble des rapports de jury de 2019 à 2022
Valeurs prescrites
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Nombre d’occurrences entre 2019 et 2022
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Pourcentage
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engagement
|
44
|
29
|
laïcité
|
28
|
18
|
respect et conformité
|
28
|
18
|
cohérence
|
19
|
12
|
adaptabilité
|
14
|
9
|
loyauté
|
13
|
8
|
bienveillance
|
8
|
5
|
autorité
|
8
|
5
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34L’engagement est la valeur dominante dans les recommandations des rapports de jury. Il représente environ 29 % des valeurs citées » Les dossiers des candidats retenus […] montrent un engagement dans les missions confiées. […] Le rapport d’activité est aussi l’occasion d’exprimer une personnalité, des valeurs qui portent un engagement au service de l’école et de la fonction visée ».
35La laïcité, valeur républicaine, arrive en troisième position des occurrences. Il est à noter que sur les 28 occurrences relevées dans les rapports, 21 sont issues de 2021 et 2022. Nous associons cette recrudescence à l’assassinat d’un enseignant français en octobre 2020 au nom du terrorisme religieux. Cet acte, portant atteinte à la laïcité de l’État et de l’École, a donné suite à des mesures de protection et des plans de prévention au sein des écoles. Le principe de laïcité s’est vu réaffirmé et renforcé dans les textes, notamment dans les rapports de jury.
36La loyauté est employée à 13 reprises dans les rapports de jury, soit 8 % des valeurs relevées. Elle est en sixième position de notre répertoire.
37Ces valeurs sont catégorisées selon la classification de Schwartz (2006) en grands domaines (ibid.) : le dépassement de soi, la conservation, l’ouverture au changement et l’affirmation de soi. Il est à noter que certaines valeurs – la laïcité, la loyauté et l’engagement – sont présentes dans le grand domaine de la « conservation » puisqu’elles font référence à la protection, et au « dépassement de soi » dans la mesure où ce repli est tourné vers l’institution et non sur soi.
Schéma 4 : Catégorisation par proportion des valeurs de l’IPP des IEN
38La « conservation » particulièrement et « le dépassement de soi » sont les catégories dominantes dans les rapports de jury. Nous notons cependant que l’idéal du dépassement est en fait orienté vers l’institution. Les valeurs attendues chez un IEN visent donc principalement la protection du système. L’ouverture au changement, sous la valeur d’adaptabilité, reste souhaitée et même nécessaire.
39Le recueil des normes dans les rapports a permis de dégager 3 sous-catégories dans l’IEN prescrit par l’institution. Celui-ci se distingue par le raisonnement stratégique, le paraître IEN et le positionnement de cadre. Nous illustrons nos travaux dans les extraits de 2019 ci-dessous.
Tableau 4 : Extraits de classification des normes dans le rapport de jury de 2019
Les normes
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Le raisonnement stratégique
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Le paraître IEN
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Le positionnement de cadre
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-Les candidats qui se distinguent sont ceux qui ont une vision stratégique des missions qui les attendent
-Rappelons que la méconnaissance des programmes constitue un obstacle rédhibitoire à l’exercice des missions d’évaluation, de contrôle, et d’accompagnement.
-En capacité de s’exprimer sur les questions d’actualité les plus marquantes du système éducatif
-L’épreuve cherche aussi à apprécier le bon sens, qui est souvent la clé d’un pilotage serein
- Les réponses montrent qu’ils ont du mal à imaginer comment accompagner une équipe, un établissement, identifier la plus-value d’un inspecteur dans le cadre de la contractualisation ou de l’évaluation d’un établissement.
|
-La posture est bien adaptée à la situation ; L’émotion sans doute très présente chez certains est bien maîtrisée. La qualité de la langue est adaptée.
-Les candidats qui se distinguent sont ceux qui font preuve de sincérité, de modestie, de conviction
-À cet effet, signalons que l’usage d’un jargon pseudo-pédagogique serait plutôt de nature à convaincre de l’absence de maîtrise des contenus, et doit être évité.
|
-Leur capacité à se positionner en cadre de l’éducation nationale.
-La posture réelle et le positionnement de l’inspecteur avec les différents acteurs, notamment les liens entre le chef d’établissement et l’IEN, les prérogatives dans le cadre scolaire des uns et des autres restent pour nombre de candidats difficiles à appréhender.
-Dans cette partie de l’épreuve d’admission, les meilleurs candidats sont ceux qui font aux questions du jury des réponses contextualisées permettant à la commission d’apprécier une posture et un positionnement au regard du futur métier.
|
40L’exemple de 2019 ci-dessus ne rend pas compte de l’émergence du terme « créativité » dans les rapports de jury de 2021 et 2022, il nous semble pourtant opportun de le souligner dans son contexte repris à par deux fois : « un bon dossier sait mettre en relief la créativité, l’intelligence humaine et l’enthousiasme qui susciteront l’adhésion des équipes ». Cet extrait met en exergue une valorisation des individuations et des singularisations par l’expression de personnalité, de valeurs, et de créativité.
41Un profil d’IPP se dégage de l’ensemble des rapports. L’IEN prescrit est un défenseur loyal et respectueux de l’institution, il est le représentant et le garant de la « laïcité ». Du point de vue du paraître, nous déduisons de notre étude que l’IEN fait preuve de neutralité dans l’expression de ses émotions. Cette gestion passe par une forme de contention, sans expansion ni décalage. L’IEN dans son IPP ne se distingue pas par son aspect et doit rester conforme et exemplaire pour représenter l’institution. Il fait preuve de compétences communicationnelles et de connaissances actualisées lors de ses représentations. Aussi, son pilotage ne dépasse pas le cadre des mesures relatives aux enseignements, aux formations, à l’évaluation… Sa posture est présentée comme celle d’un cadre d’autorité, figure de l’institution en toute instance. Du point de vue des singularités et des individuations, les rapports ne permettent pas de spécifier leur nature. Seuls les rapports de 2021 et 2022 stipulent la créativité comme mise en exergue de soi et de son individuation.
42L’analyse des récits de carrière définit les traits de l’IEN en activité. Elle fait émerger les facteurs d’appropriation des normes du prescrit et de leur professionnalisation.
43Les données des récits de carrière sont traitées par analyse chronologique et thématique pour faire émerger l’IPE et comprendre les facteurs d’appropriation des normes du métier d’IEN. La première étape consiste à repérer les changements dans la trajectoire professionnelle des IEN en entretien.
44Les données recueillies concernant le parcours des 11 IEN figurent dans le tableau ci-dessous.
Tableau 5 : Parcours des IEN en entretien
|
Nombre d’IEN concernés
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Issus du corps enseignants 1er degré
|
9
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Issus du corps enseignants 2nd degré
|
2
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Obtention de certifications diverses internes à l’EN après le concours de professeurs
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11
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Reprises d’études universitaires
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5
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Ont assuré d’autres missions entre le métier d’enseignant et IEN
|
11
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Volonté exprimée d’évoluer vers une autre mission, une reprise universitaire ou autre
|
10
|
|
N =11 IEN
45Ainsi :
-
Tous les IEN de notre corpus ont été enseignants dans le premier ou le second degré, majoritairement en école primaire.
-
Tous les IEN ont suivi une évolution interne à l’Education Nationale. Ils ont changé de mission après avoir enseigné, obtenu des certifications attestant leurs compétences et leurs capacités à exercer dans un champ spécifique tel que la formation, les pratiques de l’éducation inclusive et l’accueil des élèves allophones.
-
Près de la moitié des inspecteurs interrogés ont fait le choix d’une reprise d’études universitaires avant ou pendant l’exercice du métier d’IEN.
-
10 expriment une volonté d’évolution à l’avenir et/ou un besoin récurrent de changement professionnel ou associé à une reprise d’études universitaires. Le onzième IEN sera en départ en retraite dans les semaines suivant l’entretien.
46Ces trajectoires communes de changements dans le parcours et d’évolution laissent penser que la mobilité professionnelle est une caractéristique de l’identité professionnelle exprimée.
47L’analyse thématique par la catégorisation des valeurs est schématisée ci-dessous. Chaque valeur exprimée est représentée, sans tenir compte de son itération dans les discours.
Schéma 5 : Catégorisation des valeurs de l’IPE selon Schwartz (2006) (Bouhila, 2023)
48Les résultats mettent en exergue la dominance du grand ensemble du dépassement de soi et de l’ouverture au changement. Ce sont donc des caractéristiques majeures de l’IPE.
49Cette attention à tendre vers autrui est dirigée vers les élèves : « la première chose que je veux, c’est que le gamin il soit bien à l’école (IEN 7) », vers le personnel : « mon rôle, c’était d’accompagner les personnels et d’être bienveillant (IEN 11) », « c’est s’engager tout le temps avec enthousiasme, parce qu’il faut donner de l’enthousiasme aux équipes (IEN 10) », vers les pairs IEN : « j’essayais d’affiner au maximum, d’être toujours en travail collectif, partager (IEN 8) », vers un collectif pluricatégoriel : « c’est le collectif qui va, qui va, qui va permettre la réussite, et le collectif que je traduis par la réunion (IEN 3) », et vers l’institution :
Mais moi, je crois que la loyauté, elle s’inscrit, […] donc dans le fait qu’on n’est pas, on n’appartient pas à une entreprise privée, on appartient à quelque chose qui est l’État, on est fonctionnaire et je crois que ça c’est une grande valeur et parfois c’est oublié (IEN 4).
50Les valeurs de conservation tiennent une part relativement importante dans l’IPE. Dans notre recueil, elles s’expriment plus finement par :
-
la discrétion sur soi et sur l’institution, l’humilité : « je suis plutôt discret et heu, après pas très sûr, pas très confiant en moi (IEN 11) », « on doit pouvoir dégager à la fois de l’assurance sans prétention », « ce qui m’importe aussi d’être, d’être humble, que les gens soient humbles et je supporte pas l’inspecteur tout puissant le coq dans sa basse-cour (IEN 2) »,
-
la cohérence, l’exigence, la fiabilité : « pour que tout le monde adhère et comprenne finalement le discours que je tiens et la cohérence de ce discours-là qui s’inscrit pleinement dans ce projet (IEN 9) », « je suis assez cash, et je suis très exigeante vis-à-vis des enseignants, et heu, et vis-à-vis de la conduite qu’ils peuvent avoir dans une école et, et vis-à-vis des parents, voilà (IEN 7) », « C’est-à-dire qu’un directeur académique a besoin de se dire voilà cette personne-là elle est fiable, je pourrais m’appuyer sur elle et je pourrais l’avoir dans mon équipe »
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la loyauté et l’engagement envers l’institution : « l’IEN doit être loyal à son institution (IEN 11) », « loyauté vis-à-vis de l’institution (IEN 4) », « c’était plutôt quelque chose qui sur lequel je m’engageais à réfléchir et à m’engager ».
51Tout comme pour les valeurs de conservation, les IEN ont exprimé de manière conséquente leur ouverture au changement. Ce constat correspond à notre analyse sur la mobilité professionnelle des IEN dans l’étude de leur trajectoire.
52Nous avons relevé les valeurs d’adaptabilité, d’indépendance, de disponibilité et de réactivité : « réussir à m’adapter à des situations diverses (IEN 1) », « c’est mon métier d’enseignant qui me permet aussi d’avoir développé des compétences d’écoute, d’ajustement, d’agilité (IEN 8) », « leur ressembler dans le sens d’une autonomie, d’une certaine autonomie hein (IEN 8) », « Donc moi je voudrais partir en fait, mais partir soit à l’étranger, heu soit heu, soit partir sur les territoires d’outre-mer (IEN 7) »,
Parce que je m’installais, mon gamin avait fait des dessins, donc je mettais ça au mur comme tout le monde fait. Et en fait, je me souviens d’une conseillère pédagogique qui m’a dit : mais de toute façon ce dessin il va rester mais vous vous partirez, voilà (IEN 3).
53Les valeurs d’affirmation de soi sont les moins exprimées par les IEN. Elles représentent une caractéristique mineure de l’IPE. Elles sont tournées vers la quête de pouvoir et de réussite. Ces valeurs sont manifestées chez les IEN dès qu’il est question d’un attrait pour le pilotage, les responsabilités et le rapport hiérarchique « inspecteur, c’est-à-dire que tout le monde sache que c’est quelqu’un qui prend ses responsabilités […] qui sait recadrer (IEN 10) », « c’est surtout à la hiérarchie de prendre soin du métier d’enseignant (IEN 8) », « être cadre c’est aussi piloter pour que les agents soient au rendez-vous de cette efficience recherchée par différentes méthodologies (IEN 3) ».
54Les valeurs de réussite de soi, d’ambition et de légitimité sont catégorisées dans l’affirmation de soi : » Seulement le parcours, il s’est forgé avec du travail. Il est pas tombé comme ça, avec de l’envie. Oui, avec une ambition raisonnée, raisonnable (IEN 1) », « j’ai des doutes, des doutes sur cette légitimité (IEN 9) », « cette confiance-là et c’est ce qui fait que cette autorité de compétence »
Il faut avoir de l’ambition, mais moi, je suis assez fier de moi dans le sens que j’ai jamais marché sur quelqu’un, j’ai jamais volé, voilà, le métier à quelqu’un, voilà, j’ai jamais pris la place de quelqu’un, j’y suis arrivée par moi-même (IEN 8).
55Concernant l’appropriation des normes prescrites par l’institution, le récit de carrière permet d’en faire apparaître des facteurs. L’analyse de l’ensemble a abouti à une catégorisation par thématique en lien avec les normes prescrites dans les rapports de jury : les expériences antérieures, la reconnaissance hiérarchique, les contextes territoriaux, la dimension subjective et personnelle, les représentations du métier et de l’identité professionnelle prescrite, et l’appropriation les normes.
Tableau 6 : Extraits des données recueillies des récits de carrière
Expériences antérieures
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« Un conseiller pédagogique, il est le collaborateur ou la collaboratrice direct d’un IEN. On a quand même les premiers jalons. »
« Les 4 années précédentes ont permis d’avoir maintenant une professionnalité plus évidemment plus aiguisée »
« Décalage avec les autres IEN quand on est en reconversion »
« Une conquête de marches. Si ce qui t’anime, et qui correspond à l’élan institutionnel, si tu le fais avec 24 gamins, que tu peux le faire avec 24 adultes, tu le feras avec 24x24 gamins. Alors je suis devenu formateur d’enseignants. La formation n’est pas l’alpha et l’oméga des transformations des pratiques professionnelles. Si on ne joue pas le levier transformation des organisations et responsabilisation avec les enseignants, on n’y arrive pas. Alors je suis devenu IEN. »
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Reconnaissance hiérarchique
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« Le DASEN m’a appelé en disant, « il y a un poste, j’ai toute confiance en vous, vous y arriverez ».
« Je travaille avec des gens qui m’ont aidé à forger cette identité-là, d’abord un DASEN avec qui j’ai pu travailler, et un DASEN qui était d’une rare qualité, deux hommes très brillants qui m’ont appris mon métier »
« mes chefs d’établissements qui m’avaient dit que je devrais devenir chef d’établissement »
« j’ai été encouragée par le directeur académique »
« Donc l’inspecteur d’académie m’a reçu en entretien et il m’a fait une proposition »
« Et puis, à un moment donné, on m’encourageait, notamment par une inspectrice. Bon, allez, je, j’y vais, je je vais tenter le tenter le concours »
« c’est vrai que les deux IEN ASH m’ont conforté dans cette idée en me disant que oui il fallait que, que j’évolue dans ma carrière, et que effectivement le, le concours d’IEN ou de chef d’établissement »
« » j’ai été suivie par une IEN à l’époque qui m’a aidée à le préparer, donc voilà, qui a suivi mon écrit, et qui m’a aidée à préparer l’entretien et, et voilà. Et j’ai été recrutée »
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Contextes territoriaux
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« Appétence pour ce qui relève un peu du management, porter des projets, s’engager »
« Part de défi […] idée de s’engager effectivement dans différentes directions qui, d’une manière ou d’une autre, servent toujours la même ambition, celle que j’ai, la réussite de tous les élèves. »
« Appétence à travailler avec d’autres. »
« Une histoire familiale, j’avais besoin de lier le domaine médical à ce que je faisais »
« Envie de pilotage après plusieurs missions successives »
« J’ai besoin de porter, qu’on me porte, d’émulation, de ne pas m’engluer intellectuellement »
« J’ai eu une scolarité chaotique, et je voulais faire de l’école un endroit où les élèves peuvent apprendre sans sentiment d’injustice »
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Dimension subjective et personnelle
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« Appétence pour ce qui relève un peu du management, porter des projets, s’engager »
« Part de défi […] idée de s’engager effectivement dans différentes directions qui, d’une manière ou d’une autre, servent toujours la même ambition, celle que j’ai, la réussite de tous les élèves. »
« Appétence à travailler avec d’autres. »
« Une histoire familiale, j’avais besoin de lier le domaine médical à ce que je faisais »
« Envie de pilotage après plusieurs missions successives »
« J’ai besoin de porter, qu’on me porte, d’émulation, de ne pas m’engluer intellectuellement »
« J’ai eu une scolarité chaotique, et je voulais faire de l’école un endroit où les élèves peuvent apprendre sans sentiment d’injustice »
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Les représentations du métier et de l’IPP
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Aspect : « Ce statut se traduit par un changement d’habits. » ; « Se positionner physiquement, se tenir droite, lever la tête, travailler l’intonation. »
Caractéristiques identitaires et de métier : « Réactif, disponible, à l’écoute » ; « Mon but était de devenir un IEN efficient. » ; « Pas d’admiration pour les IEN classiques, sans ambition. Sans relation. » ; « Travail très prenant » « Ne pas être « escroc » ; « L’inspecteur ne doit pas être le copain, il est le patron. C’est celui qui donne la direction, qui dit comment on va arriver à l’objectif quels moyens on a à disposition et quels outils il va donner pour y arriver, et qui est là quand quelque chose dysfonctionne, qui est là pour dire quand les choses ne vont pas, qui est là pour dire quand l’institution demande ça donc on doit faire ça, qui est là pour que tout le monde soit dans son rôle et ses missions dans le respect le plus total des personnes et de leur profession, parent, enseignant ou maire » ; « Je suis cadre. Je suis IEN »
Ethique : « Il y avait plus de valeurs partagées et donc une identité collective quand l’État obligeait à cette mobilité géographique. » ; « Attitude par rapport à l’éthique professionnelle, une compréhension du système par rapport à la hiérarchie, c’est savoir trouver sa place et savoir la garder tout en disant les choses qui feraient avancer les dossiers et les situations. C’est être à sa place, au bon moment et avoir la bonne attitude » ; « Dégager de l’assurance sans prétention et savoir rassurer l’interlocuteur qui est face à nous. Le directeur académique doit pouvoir se dire « c’est une personne fiable sur qui je pourrai m’appuyer » ; « L’incontournable de l’ien, c’est le pilotage qui permet une cohésion quel que soit le nombre d’écoles et l’éloignement, on va tous dans le même sens, on est tous impliqués, on a tous qu’un seul objectif : la réussite de l’élève » ; « C’est le collectif qui va permettre la réussite. Il ne peut pas y avoir de collectif si on n’a pas d’ambition partagée. »
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Appropriation des normes du métier
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Vis-à-vis des équipes d’école : « Je ne voulais pas sortir mon CV aux enseignants pour ne pas paraître celle qui sait des choses quand je les rencontre. Je le dis plus tard pour leur montrer que je sais de quoi je parle » ; « Pendant le confinement, j’ai envoyé des mails quotidiens aux directeurs avec une playlist, des vidéos de ce que j’aime, de street art… et j’ai eu des réponses et des retours allant dans le même sens »
« Prendre soin de l’enseignant en faisant évoluer les pratiques professionnelles »
La perception du pilotage : « je partais du principe que j’avais une entreprise avec un objectif, celui de la réussite des élèves » ; « j’ai horreur d’être le chef, Mais je veux bien être le guide. Voilà ce que j’aime, ce que je voudrais, c’est travailler en équipe. Construire un collectif. » ; « il faut que l’autre ait de l’importance à mes yeux. Mes objectifs passent par les valeurs que je défends respect de la personne, équité, il faut que l’autre se sente professionnellement important à mes yeux. »
Dans les injonctions : « j’ai été borderline pas contre le cadre mais pour les gamins, mais j’ai dû tirer des ficelles même dans les injonctions, contre-injonctions… » ; « Je connais bien les forces et les faiblesses de l’institution. Je cerne bien les limites de ce qu’on demande aux enseignants, je les cerne bien et j’en tiens compte dans mon pilotage de circonscription. »
Pour son identité : « faire mon métier le plus correctement possible en fonction de ce que je suis. » ; « ce métier me plait bien, j’aurais dû faire ça beaucoup plus tôt »
« Je suis capable de résoudre beaucoup de problèmes de relation » ; « J’ai cherché des repères, c’est à dire comment, comment dans les IEN que je connaissais ce qui m’intéressait, ce qui me convenait. Ce qui m’intéressait, c’est la bienveillance et l’écoute. Il avait aussi une capacité à analyser très rapidement les situations, mais ça se développe. Et puis que ce qui m’importe aussi c’est d’être humble, que les gens soient humbles, et je ne supporte pas l’inspecteur tout puissant. »
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56Le traitement de ces données montre que :
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Les personnes interrogées ont toutes travaillé aux côtés d’IEN dans leurs expériences. Elles expriment que ce parcours antérieur construit leur représentation du métier.
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10 IEN affirment qu’un inspecteur ou DASEN les a encouragés à passer le concours. Cette reconnaissance a eu un effet déclencheur.
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Les contextes territoriaux et sociaux (en Réseau d’Education Prioritaire, en milieu rural...) sont présentés comme des facteurs de construction identitaire. L’IPE se forge selon la culture territoriale dans laquelle l’IEN s’inscrit et évolue, mais aussi en fonction des IEN proches géographiquement avec qui il partage des problématiques communes. La construction identitaire varie en fonction de l’isolement et de la socialisation au sein d’un territoire.
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Les ambitions, les appétences, les valeurs personnelles et l’histoire sont des facteurs subjectifs d’appropriation des normes et de construction de l’IPE. C’est à ce niveau que se rejoignent identité personnelle et identité professionnelle, et que peuvent se jouer certaines singularités identitaires à travers les projections de l’IEN dans le métier.
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Les IEN en entretien expriment des représentations du métier relevant du paraître IEN : des codes vestimentaires, une posture physique, une attitude envers autrui et l’institution. Il est question ici aussi de la représentation de soi dans le métier, construite à partir des IEN admirés ou dépréciés.
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Mettre de soi, de sa créativité, de sa personnalité dans l’activité est un moyen d’exprimer sa singularité dans son travail, sur son territoire et avec les acteurs côtoyés. Ici se jouent les caractéristiques identitaires sociales de ce que l’IEN veut donner à voir de lui et de son travail.
57L’analyse des récits de carrière met en exergue les leviers de la construction de l’identité professionnelle et ses caractéristiques. L’IEN recherche le changement dans son parcours, sa mobilité et son adaptabilité sont des caractéristiques de son IPE. La reconnaissance hiérarchique est présentée comme un déclencheur et un facteur d’appropriation des normes du métier et de l’institution. Aussi, il existe des signes distinctifs tels que le code vestimentaire ou la posture qui donnent à voir un paraître IEN. La socialisation par le territoire est une spécificité dans la construction de l’identité professionnelle. De même, « la mise de soi » (Bouhila, 2023, pp. 182-184) dans le travail semble un moyen de s’approprier le métier et ses normes, et d’affirmer ses singularités.
58Ces deux phases d’analyses des données des rapports de jury et des récits de carrière ont abouti à une description de l’IEN attendu par l’institution et de l’IEN en activité. La problématique de cette recherche interroge la professionnalisation des IEN, plus précisément l’appropriation des normes dans leur construction identitaire. Notre cadre théorique a mis au jour des éléments de ce processus, notamment les normes et les valeurs que nous avons considérées dans notre méthodologie.
59Les résultats ont permis de décrire l’IEN idéal et son identité prescrite par l’institution, puis l’IEN sur le terrain et les caractéristiques de son IPE. La discussion met en regard ces deux facettes et offre des perspectives d’exploitation.
60En comparant les valeurs relevées, l’identité professionnelle exprimée par les IEN ne semblent pas en décalage avec les attendus institutionnels. L’ouverture au changement est cependant plus exprimée dans l’IPE que dans l’IPP. Cet enclin au changement se traduit par la mobilité dans la trajectoire professionnelle. Nous retrouvons cependant l’adaptabilité dans les rapports de jury et dans les récits de carrière.
61Aussi, tous les IEN en entretien ont cité la loyauté et l’engagement comme valeurs : « l’IEN doit être loyal à son institution (IEN 11) », « loyauté vis-à-vis de l’institution (IEN 5) ». Ces valeurs sont présentées comme un prérequis du métier.
Mais moi, je crois que la loyauté, elle s’inscrit, […] donc dans le fait qu’on n’est pas, on n’appartient pas à une entreprise privée, on appartient à quelque chose qui est l’État, on est fonctionnaire et je crois que ça c’est une grande valeur et parfois c’est oublié (IEN 4).
62Dans les récits de carrière, ces valeurs ne sont pas questionnées ni remises en question. La loyauté semble ancrée dans les discours. Nos travaux de 2023 ont relevé une origine impériale à cette valeur. Un décret de 1808 présente l’organisation de l’Université impériale (berceau du système éducatif actuel), avec à sa tête un « Grand Maître » :
« [Les membres de l’Université impériale] promettront obéissance au Grand-Maître dans tout ce qu’il leur commandera pour notre service et pour le bien de l’enseignement ». Nous retenons cette promesse de loyauté comme caractéristique de la culture de l’organisation de 1808 (Bouhila, 2023, pp. 50-51).
63Pour autant, dans les rapports de jury, la loyauté n’apparait pas en priorité. Un prolongement de notre enquête mériterait d’interroger cet écart. De même, l’étude n’a pas permis de repérer les situations où les valeurs de l’IEN sont mises en dilemmes avec celles de l’institution. Nos travaux de thèse proposent cette perspective et questionnent les effets des réformes et des crises sociales.
64Les rapports de jury constituent l’expression d’un système d’attentes de l’institution à l’égard des IEN. Le DASEN, en tant que figure d’autorité et supérieur hiérarchique, est le représentant de ce système. Dans les extraits en catégorie « reconnaissance hiérarchique » (tableau 5), sa confiance témoignée aux IEN est comprise comme une validation à exercer ce métier. Les inspecteurs expriment alors avoir conscience de leur conformité.
65Dejours (1980) distingue deux types de reconnaissance, celle manifestée par le « jugement d’utilité » venant de la hiérarchie et celle par la « beauté » manifestée par les pairs (1980, pp. 71-107). Pour Jorro et Wittorski (2013), l’utilité « s’attache aux résultats obtenus, aux objectifs atteints », tandis que la beauté repose sur « la manière d’accomplir son activité, de s’y engager » (Jorro et Wittorski, 2013). « [La reconnaissance] confère l’appartenance à une communauté de professionnels » (Bouhila, 2023, p. 128). Par cette reconnaissance et la confiance témoignée, le supérieur hiérarchique légitime l’IEN ou le futur IEN. Il entretient l’engagement et la loyauté. La reconnaissance semble donc être un facteur d’appropriation des normes de l’institution et du métier. Elle contribue à la professionnalisation des IEN.
66La professionnalisation se joue aussi dans la manière dont l’IEN s’approprie les normes de ce prescrit. Plus les IEN s’approprient les normes, plus ils s’autorisent à mettre de leur personnalité dans leur travail « Pendant le confinement, j’ai envoyé des mails quotidiens aux directeurs avec une playlist, des vidéos de ce que j’aime, de street art… et j’ai eu des réponses et des retours allant dans le même sens (IEN 6) ». Réciproquement, plus ils individuent leur travail, plus ils s’approprient les normes : « j’ai créé une unité, moi par exemple on travaille de manière collégiale avec des directeurs d’école, des enseignants spécialisés ou autre sur le projet de circonscription (IEN 9) ». Les stratégies individuelles de pilotage sont des facteurs qui permettent l’appropriation des normes. Celle-ci et l’expression des singularités renforcent la créativité dans l’activité des inspecteurs tout en maintenant la conformité. Singularité et créativité dans l’activité apparaissent comme des indicateurs d’appropriation des normes.
67S’approprier les normes et se professionnaliser, c’est aussi devenir un professionnel autonome capable de jouer de distance avec le prescrit tout en restant dans le cadre.
J’ai été borderline pas contre le cadre mais pour les gamins, mais j’ai dû tirer des ficelles même dans les injonctions, contre-injonctions… (IEN 10) ; Je connais bien les forces et les faiblesses de l’institution. Je cerne bien les limites de ce qu’on demande aux enseignants, je les cerne bien et j’en tiens compte dans mon pilotage de circonscription. (IEN 7)
68L’analyse des récits de carrière fait apparaître un effet territoire :
- 3 Circonscription
- 4 Autre circonscription
On dit les inspecteurs de X3, les autres IEN disent les inspecteurs de X. […] donc je suis l’inspecteur de X. Je sais pas bien pourquoi. C’est un territoire quand même qui est particulier. Tu dis pas l’IEN de Y4, ça n’a aucun sens. Par contre tu dis les IEN de X, parce que […] c’est reconnu comme un territoire particulièrement complexe, […] du coup, t’es l’IEN de X, parce que quand il y a un truc qui se passe, c’est à X (IEN 2).
69Ces sectorisation et socialisation de l’IEN décrivent une spécificité, voire l’émergence d’une singularité dans la construction de l’identité professionnelle et de la professionnalisation.
70De même, l’isolement géographique et l’absence de collaboration sont des marqueurs exprimés de la souffrance de l’IEN : « je trouve que tout est très cloisonné, y a pas de partage. Donc ça a été une très grande souffrance, en fait. Et avec les chefs d’établissement il se passe rien (IEN 6) ». Cette recherche ne permet pas de faire état des stratégies pour lutter contre l’isolement dans les zones dites désertiques ou retirées. Il conviendrait d’exploiter ce champ afin d’observer les créativités génératrices d’appropriation des contraintes territoriales.
71Au travers d’une enquête dévoilant les normes de l’institution Éducation nationale et l’identité professionnelle des IEN, notre recherche met en exergue les facteurs de professionnalisation de ces cadres. L’identité professionnelle exprimée se construit dans l’appropriation de ces normes, entre des valeurs conservatrices et protectrices du système, un raisonnement et un paraître IEN attendu, ainsi qu’un positionnement de cadre exigé. Par leur ouverture au changement, leurs valeurs tournées vers autrui et l’expression de leurs singularités, les IEN s’adaptent et parviennent à s’approprier les normes. Aussi, la reconnaissance institutionnelle est un facteur favorable à la professionnalisation. Elle est vectrice de légitimité et renforce la loyauté.