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Analyse comparée des curricula en IUT et en Cégep dans le domaine du multimédia : quelles influences des contextes institutionnels ?

Comparative analysis of curricula in iuts and cegeps in the field of multimedia: what are the influences of institutional contexts?
Béatrice Drot-Delange et Anita Messaoui

Résumés

L’article compare la mise en œuvre de l’approche par compétences dans deux formations courtes à vocation professionnelle en France (IUT) et au Québec (Cégep), dans le domaine du web et du multimédia (BUT Métiers du Multimédia et de l’Internet et DEC Techniques d’Intégration Multimédia). S’appuyant sur la didactique du curriculum, l’étude analyse à la fois les référentiels officiels (curricula prescrits) et les programmes effectivement élaborés (curricula réels planifiés). La méthodologie repose sur l’examen comparatif des savoirs, des tâches et des instruments intégrés à l’enseignement. Les résultats montrent d’importantes convergences, notamment la correspondance des champs disciplinaires et des tâches avec un alignement sur les situations professionnelles visées. Des différences émergent néanmoins dans le degré d’explicitation des outils et la place accordée aux différents enseignements a-disciplinaire (ex. : projet). Cette étude met en lumière les interactions entre contextes institutionnels, curricula et approches pédagogiques, tout en soulignant les limites d’une analyse centrée sur les dimensions prescrites et planifiées, sans inclure les acteurs éducatifs.

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Texte intégral

Introduction

1Le domaine du multimédia, et plus spécifiquement du web, est un domaine où les savoirs et les pratiques évoluent rapidement. Les technologies y sont particulièrement évolutives, pouvant vite devenir obsolètes (Graux & Orlandi, 2022). Ces transformations relativement rapides peuvent constituer de véritables défis pour l’adaptation des formations, notamment des formations technologiques courtes de l’enseignement supérieur. Les difficultés soulevées par l’apprentissage du développement web sont connues. Quelques recherches se consacrent à ce que l’on pourrait nommer une didactique du web et proposent des modalités d’apprentissage le plus souvent ancrées dans des situations réelles et/ou collaboratives (Alston et al., 2015 ; Glagolev et al., 2021 ; Margaret et al., 2016 ; Xinogalos & Kaskalis, 2024).

2La réforme mise en œuvre en septembre 2021 dans les Instituts Universitaire de Technologie (IUT) en France vise à rénover les programmes de formation en les fondant sur l’approche par compétences (APC). Or comme le relève Lenoir (2011), la notion de compétences est associée à celle de curriculum. Le curriculum se distingue du cursus, caractérisé lui par une somme de cours, de matières et de contenus enseignés, questionnant les didactiques des disciplines. Lenoir propose de penser le curriculum, à défaut de pouvoir en donner une définition consensuelle, «  d’un point de vue pragmatique, comme un processus évolutif, comme un outil en développement constant qui doit répondre aux besoins du moment et s’adapter aux contextes, aux exigences et aux contraintes  » (Lenoir, 2011, parag. 8). Cette vision du curriculum pose de manière centrale selon Lenoir la question du «  faire  » et porte en elle-même l’approche par compétences. Lenoir décline ensuite les conséquences de cette approche sur l’évaluation des compétences. L’une d’entre elles est que les savoirs ne sont envisagés qu’en tant que leur mobilisation assure la réussite de l’action, preuve de la compétence.

3Au Québec, la réflexion sur la construction des programmes de formation selon l’approche par compétences est ancienne (Désilets & Tardif, 1993 ; Tardif, 2003, 2004). Alors que l’approche par compétences est mise en œuvre depuis 2021 en France dans le premier cycle universitaire dispensé en Institut Universitaire de Technologie (IUT), elle est mobilisée depuis 1993 dans les Cégeps (collèges d’enseignement général et professionnel) au Québec (Monchatre, 2008). Se pose alors la question de savoir comment approche par compétences et savoirs disciplinaires peuvent se combiner dans l’élaboration des curricula.

4Dans cet article, nous nous posons la question de savoir de quelle manière l’APC se traduit dans les curricula pour des formations ayant a priori la même finalité professionnalisante – situations professionnelles identiques mobilisant les mêmes savoirs –, le même environnement technologique, celui du multimédia, mais contrastés sur le plan des politiques éducatives, des mécanismes institutionnels et des cultures nationales. Ces différentes dimensions constituent le contexte que nous interrogeons.

5Le contexte est tissé de plusieurs fils : d’une part la finalité professionnalisante des formations qui font l’objet de l’étude constitue un point commun, d’autre part, l’organisation des systèmes de formation est fortement contrastée. En effet, les IUT en France sont soumis à des programmes nationaux avec un système centralisé, tandis qu’au Québec, les Cégeps disposent d’une autonomie plus large avec des marges de négociation locale conséquentes pour adapter les compétences décidées au niveau du ministère du Québec. Il s’agira donc de mettre en lumière les relations entre les différents niveaux contextuels – finalité des formations, politique éducative, culture nationale – afin d’expliciter les déclinaisons de curricula prescrits dans les deux formations visées. Nous nous concentrons sur l’enseignement de l’intégration web dans des IUT en France (département Métier du Multimédia et de l’Internet – MMI) et dans des Cégeps au Québec (département Techniques d’intégration multimédia - TIM) dans une démarche comparatiste. Il s’agit de comprendre les différences et relations entre systèmes éducatifs non comme des essences figées, mais comme des dynamiques historiquement et culturellement situées (Malet, 2022).

6À cette fin, nous présenterons d’abord les concepts de la didactique du curriculum comme cadre théorique de l’étude. La deuxième partie exposera les contextes des formations en Cégep et en IUT et la troisième partie sera consacrée à la méthodologie mise en œuvre. La quatrième partie présentera les résultats obtenus qui seront ensuite discutés.

Didactique du curriculum et approche par compétences

7Le curriculum est un terme issu de la recherche anglo-saxonne (Dewey, 1902 ; Jackson, 1992). De nombreux débats existent quand la définition de la notion, le terme revêt une certaine ambiguïté (Crahay et al., 2006 ; Lebeaume et al., 2020). Les approches les plus restrictives limitent le curriculum aux plans élaborés pour guider l’apprentissage, nous préférons l’acceptation donnée par Forquin (2008) qui souligne sa dimension à la fois systémique et séquentielle. Dès lors, le curriculum doit être considéré comme un processus social et négocié qui prend en compte les aspects matériels, contextuels, et les conditions spatio-temporelles de l’enseignement. Dans le champ de la didactique du curriculum, Martinand (2014) définit ainsi le curriculum comme «  les principes de construction des activités et de leurs contenus, les modalités et ressources matérielles, symboliques et humaines, les principes de progressivité, les instruments et situations d’évaluation  » (p.74). Métral (2020) confirme cette vision et insiste sur la dimension intégrative du curriculum qui doit être pensé à l’échelle de la formation et non au niveau d’une discipline.

8La matrice curriculaire de Métral (2020) a été spécifiquement conçue pour analyser la cohérence curriculaire des formations professionnalisantes. S’appuyant sur les apports de la didactique professionnelle (Pastré, 2011 ; Vergnaud, 2011) et de la didactique du curriculum de Martinand, Métral propose des indicateurs basés sur les tâches, les savoirs en jeu et les situations professionnelles de référence pour évaluer la cohérence d’un curriculum pour une formation professionnelle. Dans ce contexte, ce sont les apprentissages en situation qui priment, qu’ils soient ancrés dans des situations disciplinaires ou a-disciplinaires – comme les stages et projets qui sont particulièrement encouragés dans les approches par compétences (Coulet, 2024 ; Poumay et al., 2022). Métral caractérise les situations professionnelles de formation et a-disciplinaire selon trois composantes : les tâches, les savoirs et les instruments/objets. Les tâches sont ici entendues comme l’ensemble des actions qui concourent à l’atteinte d’un but dans une situation déterminée. La finalité professionnalisante est ici déterminante dans la définition des tâches à réaliser. Pour Métral, les savoirs sont d’abord envisagés comme des outils au service de la résolution des tâches proposées dans une dialectique outil-objet des savoirs inspirée des travaux de Douady (1993). Ainsi les savoirs sont étroitement liés aux situations dans lesquelles ils devraient être mobilisés. La notion d’instrument/objet n’est pas clairement définie dans le texte de Métral, nous considérons ici que cette notion renvoie à celle d’artefact, au sens d’un outil qu’il va falloir apprendre à maitriser pour réaliser les tâches demandées dans l’activité professionnelle.

9Notre objectif dans cet article est de mener une réflexion curriculaire sur deux formations professionnalisantes courtes concernant le multimédia : les métiers du multimédia et de l’Internet en France dans les IUT et les techniques de l’intégration multimédia au Québec dans les Cégeps.

10Les deux formations mettent en œuvre l’approche par compétences. Le référentiel de compétences québécois date de 2002, et n’a pas été revu depuis. Celui de la France date de 2022. Or les évolutions technologiques sont rapides dans ce secteur d’activité. Les Cégeps définissent des programmes de formation leur permettant le cas échéant d’adapter leur curriculum aux besoins des acteurs socio-économiques. Le référentiel de formation est défini au niveau national pour les IUT, rendant potentiellement les adaptations moins aisées.

11Une analyse curriculaire autour des savoirs, des instruments et des tâches dans ces formations peut amener à penser les différences, les convergences ou les divergences (Martinand, 2014) et ainsi mettre en évidence l’influence des contextes sur les contenus à enseigner. La question que nous nous posons est de savoir dans quelle mesure le contexte institutionnel influe sur les programmes ou référentiels de formation. Nous mènerons une analyse comparatiste d’une part des référentiels de compétences visées, qui constituent le curriculum prescrit par les autorités, et d’autre part des programmes de formation que nous considérerons comme le curriculum réel planifié, notamment au niveau «  des ressources réellement affectées » à la mise en œuvre du curriculum (De Ketele, 2011, parag. 14).

Des formations professionnalisantes en contextes différents

Les Cégeps au Québec

12Au Québec, les collèges d’enseignement général et professionnel (Cégep) sont à l’interface entre l’enseignement secondaire et l’enseignement universitaire (Lessard et al., 2020). Ce sont des établissements publics créés en 1967 qui délivrent le Diplôme d’Étude Collégiale (DEC) obtenu en deux ans pour les programmes pré-universitaires ; ou en trois ans pour les programmes techniques qui dispensent une formation professionnalisante. Les formations techniques offertes dans les Cégeps au Québec sont conçues pour répondre aux besoins de main-d’œuvre qualifiée de la province. Elles visent à former des techniciens polyvalents, prêts à intégrer directement le marché du travail dans divers domaines techniques. À cette fin, les Cégeps nouent des relations étroites avec le monde professionnel (Bensouda et al., 2013).

13L’organisation des programmes techniques repose sur une structure bien définie. La formation s’étale généralement sur une période de trois ans, divisée en six sessions. Le parcours de formation comprend à la fois des matières de formation générale obligatoires, telles que le français, la philosophie et l’éducation physique, ainsi que des matières spécifiques liées au programme technique choisi. Parallèlement aux cours théoriques et pratiques, les étudiants effectuent des stages en milieu de travail, leur permettant d’acquérir une expérience pratique dans leur domaine. Cette immersion professionnelle constitue un atout majeur pour faciliter leur transition vers le marché de l’emploi. Cependant, une part importante des étudiants en Technique poursuivent également leurs études à l’université (Ménard, 2010).

14Depuis 1993, la pédagogie appliquée dans les Cégeps repose sur une approche par compétences, axée sur les mises en situation concrète (Gouvernement du Québec, 1993 ; Monchatre, 2008). Les formations sont souvent dispensées en petits groupes, offrant ainsi un encadrement personnalisé aux étudiants. Cette méthode d’enseignement vise à développer une polyvalence chez les futurs techniciens, leur permettant de s’adapter aux changements technologiques et d’évoluer dans différents milieux d’un même champ d’activité.

15Les mécanismes de révision et d’actualisation des programmes constituent une différence de taille avec le contexte français. En effet, les établissements sont co-responsables de la production avec le ministère de l’Enseignement supérieur et ils « se sont dotés de politiques et de mécanismes pour réviser localement les programmes afin d’en assurer la qualité » (Cormier et Pelletier, 2022). Ainsi, les équipes des différents départements d’enseignement des Cégeps semblent assez autonomes pour adapter localement les compétences définies au niveau ministériel et proposer un parcours de formations adaptées aux contraintes locales.

Les IUT en France

16Créés en 1966, les IUT visaient à répondre aux besoins en cadres intermédiaires des entreprises et à ouvrir l’université sur le monde économique (Le Nir et Seguy, 2018). Leur création s’inscrivait dans une volonté d’instaurer une «  orientation rationnelle  » des étudiants vers des formations professionnalisantes, dont la France avec grand besoin à cette époque. Dès leur origine, les IUT ont été conçus comme «  des laboratoires d’innovations institutionnelles et pédagogiques  » au sein de l’université (Le Nir et Seguy, 2018). Leur pédagogie repose sur l’alternance de cours et de stages en entreprise, un encadrement renforcé avec le tutorat, et une organisation en départements par filières professionnelles. Tout comme les Cégeps, le parcours de formation comporte des enseignements généraux (communication, anglais, économie-gestion) et des enseignements de spécialité.

17L’objectif de professionnalisation est central dans le modèle pédagogique des IUT. Cela passe par un ancrage fort dans les réalités du monde du travail, avec le développement de nombreux partenariats avec les entreprises locales (Le Nir, 2017). Le tutorat et l’accompagnement personnalisé des étudiants sont aussi des marqueurs identitaires de cette approche (Tralongo, 2017). Dès leurs origines, les IUT ont été pensés dans une logique de démocratisation territoriale de l’enseignement supérieur, avec un maillage fin du territoire visant à favoriser l’accès aux études (Soldano, 2018). Cet ancrage local s’est renforcé au fil des années par la multiplication des liens avec les acteurs économiques régionaux.

  • 1 Article 14 de l’arrêté du 6 décembre 2019 portant réforme de la licence professionnelle, 2019 (Pub. (...)

18Une réforme majeure a été engagée en 2021 avec la transformation des diplômes de DUT (Diplôme universitaire de Technologie) à bac +2 en Bachelor Universitaire de Technologie (BUT) à bac +3. Cette réforme est basée sur les principes de l’APC et vise à renforcer les débouchés professionnels à l’issue du BUT, limitant ainsi les poursuites d’étude vers un bac+5. L’arrêté de création du BUT prévoit ainsi un objectif de 50 % d’insertion professionnelle à l’issue du cursus1. Le BUT conserve les fondamentaux de la formation en IUT (professionnalisation, départements par filières, tutorat, etc.), mais se décline désormais en 6 semestres au lieu de 4. Cette réforme permet aussi un alignement dans le système européen Licence-Master-Doctorat (LMD).

19Bien que les IUT soient rattachés aux universités, l’élaboration du curriculum se fait de manière centralisée avec des programmes nationaux pour chacune des spécialités. Ils sont élaborés par des groupes de travail qui réunissent des professionnels, des enseignants et les chefs des départements de chaque spécialité (Hinault, 2024 ; Houache, 2024), mais in fine ce sont les commissions ministérielles qui tranchent et valident les contenus (Drouhain et Lépinasse, 2024).

Constitution du corpus et méthodologie d’analyse

Corpus et méthode d’analyse des curricula prescrits

20Le programme d’études techniques TIM2 référencé 582A1, a été approuvé par le ministère en 1999 et modifié en 2002. Il est défini par compétences, formulées en objectifs et standards (voir le référentiel). Il est structuré en quatre types de compétences relevant (1) de la formation générale commune à tous les programmes de formation, (2) de la formation générale spécifique à ce programme, (3) de la formation complémentaire et (4) de la formation spécifique à ce programme. Cette dernière représente environ 75 % des unités de la formation. C’est cette formation qui nous intéresse ici. Dans ce référentiel, la compétence est définie de la manière suivante : «  ensemble intégré d’habiletés cognitives, d’habiletés psychomotrices et de comportements socioaffectifs qui permet d’exercer, au niveau de performance exigé à l’entrée sur le marché du travail, un rôle, une fonction, une tâche ou une activité  » (cf. page 3 du référentiel TIM). L’objectif est défini comme une « compétence, habileté ou connaissance, à acquérir ou à maitriser » (p. 3 du référentiel). Chaque objectif fait l’objet de standards, vus comme un « niveau de performance considéré comme le seuil à partir duquel on reconnaît qu’un objectif est atteint » (p. 3 du référentiel).

21Alors que le programme TIM est focalisé sur l’approche par compétences, le programme national du BUT MMI3 intègre à la fois les compétences et le programme de formation. La conception des référentiels pour l’ensemble des 24 filières d’IUT s’est construite sur l’approche proposée par Georges et Poumay (2020), qui s’organise autour de la définition de la compétence de Tardif : « un savoir-agir complexe s’appuyant sur la mobilisation et la combinaison efficaces de ressources internes et externes à l’intérieur d’une famille de situations » (Tardif, 2006 cité dans Georges et Poumay, 2020). Pour chaque compétence, il s’agit d’identifier ses composantes essentielles, de définir des familles de situations dans lesquelles ces compétences sont mobilisées, des niveaux attendus de développement des compétences et enfin de définir les apprentissages critiques. Les apprentissages critiques correspondent « à des changements majeurs du regard des étudiants sur leur environnement » (Georges et Poumay, 2020, p. 14). Ils correspondent à ce que les étudiants doivent maitriser. Ces différents éléments (compétence, composante essentielle, famille de situations, niveau, apprentissage critique) forment le référentiel de compétences proprement dit. Le programme national du BUT MMI intègre également la liste des ressources, c’est-à-dire les cours, qui « reprennent les savoirs, savoir-faire, attitudes professionnelles, normes, règles, schèmes, etc., que l’étudiant doit mobiliser et combiner pour mettre en œuvre la compétence à un niveau donné » (Georges et Poumay, 2020, p. 16). Le programme national prescrit aussi des situations d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ), une SAÉ étant une « tâche authentique consciemment organisée pour permettre le développement et l’évaluation de compétences » (Georges et Poumay, 2020, p. 16). Le BUT MMI se décline en trois parcours à partir du semestre 3 : (1) Création numérique, (2) Stratégie de communication numérique et design d’expérience et (3) Développement web et dispositifs interactifs. Chacun des parcours donne une coloration différente à la formation avec notamment des SAÉ spécifiques. Or le programme TMI aborde aussi bien le développement Web que les applications multimédias, en mettant l’accent sur la programmation Web et le design d’interface. Pour mettre en œuvre une analyse comparatiste, nous avons donc choisi de ne retenir qu’un un seul parcours du BUT MMI, le parcours Développement web et dispositifs interactifs (DWeb-DI).

22La méthode que nous retenons pour comparer ces référentiels de compétences est de mettre en lien les objectifs du programme TMI et les apprentissages critiques du BUT MMI que nous considérons comme un grain similaire dans leur formulation. Nous assimilons ces référentiels aux curricula prescrits selon la définition de De Ketele (2011).

Corpus et méthode d’analyse des curricula réels planifiés

23Nous souhaitons ensuite comparer les curricula réels planifiés, en appliquant la démarche de Métral (2020), c’est-à-dire en mettant l’accent sur les savoirs, les instruments et les tâches. Nous avons considéré que les programmes de formation des Cégeps tels que ces établissements les présentent sur leur site web aux étudiants, parents, entreprises ou partenaires pouvaient être considérés comme un curriculum réel planifié. Nous n’avons pas ce degré d’information pour les IUT qui présentent pour la plupart le programme national sur leur site web. Nous avons considéré que ce programme national constituait de fait le curriculum réel planifié puisqu’il comporte une partie avec le référentiel de compétences et une partie avec le référentiel de formation détaillé.

  • 4 Ressources numériques : offre, intermédiations, réseaux en Institut universitaire de Technologie. h (...)

24Notre connaissance des curricula en France s’appuie sur le travail mené lors du projet ANR RENOIR-IUT4, durant lequel nous avons travaillé sur les programmes adoptés lors de la réforme. Nous avons également dans le cadre de ce projet mené des entretiens avec des acteurs de cette réforme et réalisé 4 entretiens avec des enseignants des filières MMI et 2 chefs de département MMI. Nous avons enfin pu mener un entretien avec une enseignante de TMI du Cégep de Sainte-Foy. Ces entretiens ne seront toutefois pas exploités directement dans cet article.

25Pour mener à bien l’analyse comparatiste des curricula réels planifiés, et face à l’ampleur du corpus constitué (cf. Tableau 1), nous avons procédé en deux temps. Dans un premier temps, nous avons mené une analyse thématique « manuelle » du programme d’étude du Cégep de Sainte-Foy et de Lanaudière5. Le programme de Sainte-Foy n’est cependant accessible que par leur site web dans un format difficilement exploitable. C’est pourquoi nous retenons le cahier programme du Cégep de Lanaudière qui présente l’intégralité du programme dans un document au format PDF, il est de surcroit plus récent que celui de Sainte-Foy, qui date d’octobre 2016. Le programme de Lanaudière a été adopté par le comité de programme le 27 février 2024, a reçu un avis favorable de la commission des études le 12 mars 2024 et adopté par le conseil d’établissement le 16 avril 2024. Il est élaboré en référence au programme de formation TIM de 2002, tout en tenant compte de l’évolution des technologies et des méthodes. Il est donc susceptible d’être comparé au programme du BUT MMI. Le programme TIM de ce Cégep comporte six axes de compétence. Les trois principaux axes sont le design - d’interfaces, d’expériences et d’interactions - ; la production vidéo – captation et traitement ; et l’animation de l’image 2D et 3D. Trois axes secondaires les complètent : la gestion professionnelle, le traitement de l’image 2D et la préparation à la profession. Cette première étape nous a paru essentielle pour garantir l’interprétation et l’analyse des résultats produits ensuite par un traitement automatisé du corpus.

26Dans une démarche exploratoire, nous avons mobilisé dans un second temps une intelligence artificielle et plus spécifiquement NoteBookLM, un outil de génération augmentée de récupération (RAG), que nous avons alimenté avec les documents de notre corpus. La limite au moment du traitement de notre corpus est de 500 000 mots par source. Le traitement a été réalisé en décembre 2024.

27Le prompt utilisé pour comparer les curricula réels implantés selon les concepts de Métral est le suivant :

« Analyser les convergences et les divergences entre les deux programmes de formation en tâches, instruments et savoirs. Concernant le programme MMI, l’analyse portera uniquement sur le parcours «  Développement du web  ». En ce qui concerne le programme TMI, l’analyse portera uniquement sur la description des cours. Les tâches désignent l’ensemble des actions qui concourent à l’atteinte d’un but dans une situation donnée. Les savoirs sont des outils au service de la résolution des tâches proposées. Les savoirs sont étroitement liés aux situations dans lesquelles ils devraient être mobilisés. Les instruments sont des artefacts, des outils qu’il va falloir apprendre à maitriser pour réaliser les tâches. La réponse sera présentée sous forme de tableaux. Le premier tableau comprend les savoirs. Dans ce tableau, les deux programmes sont en colonne. Une troisième colonne synthétise les convergences et les divergences. Les lignes reprennent les différents savoirs. Un second tableau comprend les instruments. Dans ce tableau, les deux programmes sont en colonne. Une troisième colonne synthétise les convergences et les divergences. Les lignes reprennent les différents instruments. Un troisième tableau comprend les tâches. Dans ce tableau, les deux programmes sont en colonne. Une troisième colonne synthétise les convergences et les divergences. Les lignes reprennent les différentes tâches ».

28Pour tenir compte des recommandations concernant l’usage de l’IA dans l’analyse qualitative des données (Bjelobaba et al., 2024), nous avons vérifié et évalué l’exactitude de chacune des propositions générées par l’IA. Les résultats générés par l’IA et validé par les auteures sont présentés dans les Tableaux 5, 6 et 7 (section 5.2).

Corpus final étudié

29Notre corpus (cf. Tableau 1) comprend les textes des deux programmes et celui spécifique du Cégep de Lanaudière. Notre analyse porte donc sur 3 documents : 2 référentiels de compétences (programme TIM et programme national MMI) et 1 programme d’étude, celui du Cégep Lanaudière. Nous n’intégrons pas ici les sites web des formations consultés.

Tableau 1. Constitution du corpus étudié

Nom du document

Nb. de pages

Nb. de mots

Nb. de caractères

Programme TIM PE13-582A1

142

23 437

160 652

Programme national MMI

281

68 178

452 060

Programme d’étude du Cegep Lanaudière (TIM)

152

36 754

256 265

Analyse des curricula prescrits et réels implantés

Analyse des curricula prescrits

30Nous présentons les convergences entre les deux programmes TIM et MMI sous forme de tableaux mettant en regard les compétences exprimées sous forme d’objectifs pour le programme québécois et sous forme d’apprentissages critiques pour le programme français. Nous précisons parfois des éléments de la compétence pour éclairer l’étendue de l’objectif.

31Nous avons choisi d’analyser ce corpus à l’aune de trois dimensions, que l’on pourrait qualifier de macro, méso et micro, dans le domaine de l’apprentissage du multimédia. Une première dimension concerne l’environnement dans lequel s’exercent les différentes professions liées au multimédia et au développement web. Une deuxième dimension concerne la stratégie et la conception multimédia et web. Enfin une troisième dimension, technique, concerne la production multimédia et web. Les tableaux produits n’ont pas vocation à être exhaustifs, mais doivent permettre d’avoir une meilleure compréhension des deux programmes.

Compréhension de l’écosystème du multimédia

Tableau 2. Catégorie « Compréhension de l’écosystème du multimédia ». Source : Extraits des programmes TIM et MMI

Programme TIM

Programme MMI

Objectif

Éléments de compétence

Compétence

Apprentissages critiques

0157 – Analyser la fonction de travail

2. Examiner les tâches et les opérations liées à la fonction de travail.

4. Examiner les tendances d’évolution dans le domaine du multimédia.

Entreprendre/ Niveau 2. Entreprendre un projet au sein d’un écosystème numérique

AC25.02 - Cartographier un écosystème (identification des acteurs, synthèse des propositions de valeur)

32Le programme TIM est plus centré sur la connaissance de la profession et de son contexte, alors que le programme MMI est davantage centré sur l’entrepreneuriat et la filière multimédia.

Conception et stratégie

Tableau 3. Catégorie «  Conception et stratégie  ». Source : Extraits des programmes TIM et MMI

Programme TIM

Programme MMI

Objectif

Éléments de compétence

Compétence

Apprentissages critiques

015N – Analyser la conception du projet

1 Participer à l’idéation du projet.

2 Analyser le scénario.

3 Analyser le scénarimage.

4 Analyser les besoins en termes de ressources humaines et matérielles nécessaires à la réalisation du projet

5 Proposer des adaptations au scénario

6 Planifier la stratégie d’intégration

Comprendre/comprendre les écosystèmes, les besoins des utilisateurs et les dispositifs de communication

Concevoir/ Concevoir ou co-concevoir une réponse stratégique pertinente à une problématique complexe

Entreprendre / Entreprendre un projet au sein d’un écosystème numérique

Comprendre/Comprendre la stratégie de communication et l’expérience utilisateur

AC11.04 | Analyser des formes médiatiques et leur sémiotique

AC11.06 | Réaliser des entretiens utilisateurs pour construire des personae et des récits utilisateurs (user stories)

AC22.03 | Co-construire une recommandation stratégique (en structurant un plan d’action)

AC25.01 | Gérer un projet avec une méthode d’amélioration continue par exemple une méthode agile

AC21.05 | Cartographier les expériences utilisateur : points de contact, points de friction et de satisfaction, carte d’empathie.

33Les deux programmes insistent sur la compréhension des enjeux, des besoins des utilisateurs et des technologies du numérique. La capacité à concevoir et à élaborer des stratégies de communication numérique est centrale dans les deux programmes. On note cependant que le programme TIM est par construction centrée sur l’intégration multimédia, et plus particulièrement la conception, les outils mentionnés (scénarimage, etc.) étant typiques de ces activités (Séguy, 1999). Le programme MMI porte davantage sur la gestion de projet, en mentionnant par exemple la méthode de gestion de projet agile que l’on ne retrouve pas dans le programme TMI. Le programme MMI insiste sur l’expérience utilisateur avec différentes méthodes proposées (Lallemand & Gronier, 2018) qui sont absentes du programme TMI.

Production multimédia

Tableau 4. Catégorie « Production multimédia ». Source : Extraits des programmes TIM et MMI

Programme TIM

Programme MMI

Objectif

Éléments de compétence

Compétence

Apprentissages critiques

015F Exploiter les langages de programmation utilisés en multimédia

1 Choisir un outil de programmation multimédia

2 Produire des algorithmes.

3 Programmer l’interactivité

Développer / Développer pour le web et les médias numériques

AC24.01 | Produire des pages et applications web responsives

AC24.03 | Intégrer, produire ou développer des interactions riches ou des dispositifs interactifs

015G Adapter l’interactivité des pages-écrans

Développer / Développer pour le web et les médias numériques

AC24.03 | Intégrer, produire ou développer des interactions riches ou des dispositifs interactifs

015P Programmer des produits multimédias

2 Produire des algorithmes pour la programmation

des interfaces

3 Programmer l’interactivité des interfaces

4 Exploiter un système de gestion de bases de données dans Internet

5 Programmer les fonctions particulières des interfaces

6 Adapter la programmation aux différentes plates-formes

Développer / Développer pour le web et les médias numériques

AC14.02 | Produire des pages web fluides incluant un balisage sémantique efficace et des interactions simples

AC14.03 | Générer des pages web à partir de données structurées

AC14.04 | Mettre en ligne une application web en utilisant une solution d’hébergement standard

34Sans surprise, cette catégorie présente le plus d’items dans les deux programmes, même si nous n’avons pas repris l’intégralité des items ici, puisqu’ils visent à former des professionnels capables de produire des contenus multimédias pour divers supports. Le programme TMI étant plus ancien, il mentionne moins que le programme MMI le web, même si les prémices de la programmation web sont présentes (compétence 015F Exploiter les langages de programmation utilisés en multimédia et compétence 015P Programmer des produits multimédias). De même certaines préoccupations, comme le design réactif (responsive), sont apparues avec la diversification des supports de visualisation des pages web, questionnement moins présent en 2002. Le programme TMI met l’accent sur le traitement du texte, même s’il aborde aussi les images, les animations 2D, la modélisation 3D, les animations interactives. Les deux programmes prévoient une initiation à la programmation via le développement multimédia ou web.

Analyse des curricula réels implantés

35Pour analyser les curricula réels implantés, nous nous appuyons sur le programme national du BUT MMI et le cahier de programme TIM du Cégep Lanaudière.

Les savoirs présents dans les curricula réels implantés

36La comparaison des deux curriculas réels implantés permet de constater l’existence d’un socle commun de savoirs disciplinaires tels que des savoirs issus de l’informatique et des sciences de l’information et de la communication (culture numérique, design d’expérience, programmation) (cf. Tableau 5). Il s’agit par exemple de comprendre les standards du web, les normes d’accessibilités, les concepts de programmation, les modèles de conception, la gestion des bases de données, la sécurité des systèmes et des données. Des savoirs que l’on pourrait qualifier de transversaux sont aussi partagés par ces deux curricula réels implantés : le marketing, la communication, l’entrepreneuriat et la gestion de projet.

37Des divergences ressortent malgré tout dans l’importance donnée à certains domaines. Ainsi, le programme de MMI donne un poids conséquent à l’ergonomie dans son aspect global, le programme de TIM aborde ce champ de savoir selon trois entrées complémentaires : l’expérience utilisateur (UX), l’interface utilisateur (UI) et la conception des interactions (IxD). Le programme de MMI couvre les modèles de conception d’applications tels que le modèle MVC, la modélisation n’étant évoquée en TIM que lorsqu’il s’agit de 3D.

Tableau 5 : Synthèse des savoirs présents dans les curricula MMI et TIM

Savoirs

Programme B.U.T. (Parcours Développement web)

Programme TIM Cégep Lanaudière

Convergences et divergences

Culture artistique

Abordée indirectement via la production de contenus multimédias

(SAÉ 1.03 Produire les éléments d’une communication visuelle)

Abordée dans la détermination du processus de création des séquences d’images en mouvement

La culture artistique est présente dans les deux programmes, mais de manière plus implicite dans le parcours Développement web du B.U.T.

Culture numérique

Acquise à travers les différentes SAÉ et ressources, notamment R1.16 économie, gestion et droit du numérique

Présente implicitement dans plusieurs éléments de compétence (O15R, O15S, 015T, O15U)

Les deux programmes abordent la culture numérique, mais le B.U.T. semble l’aborder de manière plus formelle.

Design d’expérience

R3.03. Design d’expérience

Savoir central, abordé dans plusieurs cours et compétences

Le design d’expérience est un élément clé des deux programmes, avec une approche plus formelle dans le programme TIM.

Gestion de projet

R1.15. Gestion de projet avec un accent sur les méthodes agiles

Enseignée dans un cours dédié (410-TMD-CA)

La gestion de projet est présente dans les deux programmes, avec une orientation plus agile dans le B.U.T. et plus traditionnelle dans le TIM.

Économie, gestion et droit du numérique

R1.16. Économie, gestion et droit du numérique

Abordée partiellement dans l’analyse des besoins en ressources

Le B.U.T. met davantage l’accent sur les aspects économiques, de gestion et juridiques du numérique que le programme TIM.

Programmation

De nombreuses ressources abordent la programmation :

R1.12 : Développement web

R2.12 : Intégration

R2.13 : Développement web

R3.12 : Développement Front et intégration

Elle est également fortement présente dans les SAÉ du parcours

Savoir central, abordé dans plusieurs cours et compétences

La programmation est un savoir central des deux programmes.

Les tâches présentes dans les curricula réels implantés

38Dans une logique d’approche par compétences, les tâches reflètent les situations dans lesquelles sont ancrés les apprentissages. Les tâches proposées aux étudiants dans les deux curricula réels implantés sont de concevoir et développer un site web, de produire des contenus multimédias, d’intégrer des interfaces utilisateurs, et de concevoir un dispositif interactif (cf. Tableau 6). Lorsque l’on analyse plus finement le corpus, on relève que la filière TIM insiste sur la planification, la structuration et le contrôle alors qu’en MMI, les verbes d’action utilisés sont plus génériques (installer, intégrer, développer), sauf pour le respect des normes d’accessibilité qu’il s’agit de vérifier.

39Les modalités pédagogiques varient entre les deux curricula réels implantés. Le programme de MMI met ainsi l’accent sur les situations d’apprentissage et d’évaluation, alors que le programme du Cégep de Lanaudière prévoit des cours intégrateurs en troisième année (projet d’expérimentation multimédia et projet de fin d’études). Ces cours visent l’intégration de l’ensemble des compétences du programme au sein d’un projet complexe. Les deux curricula prévoient des stages. Ils encouragent le travail en équipe, même si le programme MMI est plus explicite sur ce point.

Tableau 6 : Synthèse des tâches présentes dans les curricula MMI et TIM

Tâches

Programme B.U.T. (Parcours Développement web)

Programme TIM Cégep Lanaudière

Convergences et divergences

Concevoir un site web

SAÉ 2.03, SAÉ 4. DWeb-DI. 01

Implicitement présente dans l’intégration des médias

La conception de sites web est une tâche centrale des deux programmes.

Produire des contenus multimédias

SAÉ 3.02

Tâche centrale du programme, abordée dans plusieurs éléments de compétence

La production multimédia est une tâche importante des deux programmes.

Concevoir des visualisations de données

SAÉ 3.DWeb-DI.03

La visualisation de données est une spécificité du programme B.U.T., présente dans le parcours Développement web.

Intégrer des interfaces utilisateurs

SAÉ 3.DWeb-DI.01

Tâche importante, présente dans plusieurs éléments de compétence

L’intégration d’interfaces utilisateurs est une tâche commune aux deux programmes.

Développer pour le web

SAÉ 4.DWeb-DI.01, SAÉ 5.DWeb-DI.01

Tâche centrale, présente dans plusieurs éléments de compétence

Le développement web est une tâche centrale des deux programmes.

Concevoir un dispositif interactif

SAÉ 4.DWeb-DI.02

Tâche importante, présente dans plusieurs éléments de compétence

La conception de dispositifs interactifs est une tâche commune aux deux programmes.

Les instruments présents dans les curricula réels implantés

40Les deux curricula (cf. Tableau 7) mentionnent une variété de familles de logiciels professionnels pour la création et l’intégration multimédia. Outre ces logiciels, on peut considérer que les langages de programmation constituent aussi des instruments. En cela, ils permettent la mise en œuvre des compétences en programmation. Les deux curricula incluent l’apprentissage des langages web (HTML, CSS, JavaScript). Le programme de MMI mentionne en plus l’utilisation de frameworks de développement. Les étudiants sont également formés à l’utilisation d’outils de planification et de gestion de projet dans les deux programmes.

Tableau 7 : Synthèse des outils et instrumenta présents dans les curricula MMI et TIM

Instruments

Programme B.U.T. (Parcours Développement web)

Programme TIM Cégep Lanaudière

Convergences et divergences

Logiciels de gestion de projet

Mentionnés dans la ressource 3.16 « Gestion de projet »

Mentionnés dans le cours dédié et dans plusieurs éléments de compétence

Le programme B.U.T. encourage l’utilisation de logiciels de gestion de projet, notamment pour les méthodes agiles.

Logiciels de design et de prototypage

Implicitement utilisés dans les SAÉ

Mentionnés explicitement dans plusieurs éléments de compétence

Les deux programmes utilisent des logiciels de design et de prototypage, avec une plus grande précision dans le programme TIM.

Langages de programmation

Mentionnés et utilisés dans les SAÉ

Mentionnés explicitement et utilisés dans plusieurs éléments de compétence

Les langages de programmation sont des instruments essentiels des deux programmes.

Logiciels de montage vidéo et audio

Implicite dans la ressource R1.10 « Production audio et vidéo  »

Mentionnés explicitement dans plusieurs éléments de compétence

Le programme TIM accorde une large place aux logiciels de montage vidéo et audio.

Logiciels d’animation 2D et 3D

Implicite dans la ressource R3.11 : Audiovisuel et Motion design

Mentionnés explicitement dans plusieurs éléments de compétence

L’animation 2D et 3D est un domaine important du programme TIM, nécessitant la maitrise de logiciels spécialisés.

Discussion et conclusion

41Bien que les deux formations comparées se situent dans des contextes différents, nous avons relevé de nombreux points communs entre elles sur le plan des savoirs à enseigner et des tâches à réaliser. Les mêmes champs disciplinaires apparaissent avec un accent appuyé sur la programmation web, la conception d’interfaces ergonomiques, et la production multimédia. Les deux premiers éléments sont au cœur des activités professionnelles visées par le parcours Développement web (intégrateur web, développeur front, développeur back…) et par le DEC TIM (intégrateur, webmestre). Nous constatons donc un alignement curriculaire entre savoirs, tâches et situations professionnelles. La visée professionnalisante se traduit également dans les enseignements liés à la gestion de projet, au droit ou à l’économie qui préparent les étudiants à toutes les dimensions de la vie professionnelle.

42Par ailleurs, les activités pratiques sont très présentes dans les deux programmes (heures de travaux pratiques en MMI et de laboratoire en TIM). En BUT MMI, les SAÉ doivent créer les synergies entre les enseignements dispensés ; en DEC TIM, ce sont les projets intégrateurs qui jouent ce rôle, mais contrairement au SAÉ, ils se concentrent sur la fin du cursus (session 5 et 6) quand les SAÉ interviennent dès le semestre 1. Malgré des temporalités différentes, ces enseignements a-disciplinaires constituent le cadre pour opérationnaliser les savoirs dans des situations proches des activités professionnelles et ainsi contribuer au développement et à l’évaluation des compétences.

43Au-delà des points de convergences que nous avons soulignés, des différences ont aussi émergé des analyses. Concernant les outils et instruments à maitriser, le programme TIM et le cahier de programme du Cégep Lanaudière y font abondamment référence alors qu’ils sont moins explicites dans les textes du BUT MMI : leur apprentissage, bien que nécessaire et indispensable pour réaliser les tâches demandées, est souvent implicite. Cela peut s’expliquer par la dimension universitaire du programme du BUT MMI qui met plus l’accent sur les savoirs théoriques que sur les outils toujours susceptibles d’évoluer. À l’interface entre le secondaire et l’université, les programmes techniques des Cégeps mettent plus en avant le côté pragmatique dans leurs curricula. Par ailleurs, la dimension locale du programme du Cégep permet des choix précis et concertés alors que la dimension nationale du programme MMI permet aux équipes de département de s’entendre localement sur les choix d’instrument.

44Ensuite, concernant les savoirs, nous avons pu constater que la place accordée à différents domaines est variable dans les deux formations. Dans le parcours de DWeb-DI de MMI, les fondamentaux des enseignements de la communication visuelle et de l’animation 2D/3D sont donnés en première année puis leur importance décroit, alors qu’en TIM, ils occupent une place à parts égales avec la programmation web. C’est là un effet direct de la réforme du BUT et de la structuration en parcours qui joue un rôle de spécialisation dès le début de la seconde année. L’étude menée ne nous permet cependant pas d’expliquer les différences constatées, par exemple sur le poids accordé à l’ergonomie ou à l’accessibilité. Ces constats soulèvent des interrogations pour la didactique disciplinaire des sciences du web autant que pour la didactique curriculaire : comment et par qui s’effectuent ces choix ? comment sont-ils arbitrés ?

45Concernant notre méthodologie, l’utilisation d’un outil de RAG dans l’analyse des données qualitatives constituait une nouveauté pour les auteures. Cette démarche exploratoire s’explique par le volume du corpus à traiter et la volonté de systématicité. Le bilan de son usage est mitigé. On peut en effet s’interroger sur le temps nécessaire à l’élaboration des prompts et la validation des textes produits. Il se peut cependant que cela soit dû en partie à notre faible expérience en la matière. On peut aussi relever que les outils et modèles de langage évoluant très rapidement, les résultats que l’on obtiendrait avec les mêmes prompts et le même corpus ne seraient probablement plus les mêmes si nous les resoumettions quelques semaines ou mois après cette première mise en œuvre. Il nous semble que c’est une démarche à poursuivre et à documenter, les usages de l’IA générative en sciences de l’éducation et de la formation étant nécessairement amenés à se développer. Eu égard à la thématique du numéro de la revue, c’est un point que nous avons considéré comme important à prendre en compte.

46Plus globalement, la méthode mise en œuvre visait à comparer deux formations courtes technologiques de l’enseignement supérieur, dans le domaine du web et du multimédia, s’adressant à un public similaire. Ces domaines disciplinaires se caractérisent par une forte labilité des savoirs et des pratiques de référence. Notre démarche visait à comprendre comment l’approche par compétences se décline dans ces contextes culturels québécois et français pour ce type de formation en particulier, en mettant la focale sur les curricula prescrits et réels implantés. Cette approche nous a permis de mettre en évidence des savoirs disciplinaires communs. Elle reste cependant limitée dans la perspective d’hybrider didactique curriculaire et didactique disciplinaire.

47Notre approche des curricula prescrits concerne uniquement le curriculum que Martinand qualifie d’hétéroprescrit. Martinand (2014) distingue quatre formes de curriculum. Le curriculum prescrit peut-être à la fois autoprescrit, c’est-à-dire défini par les enseignants eux-mêmes, et hétéroprescrit, c’est-à-dire imposé par des autorités extérieures. Cette dualité met en lumière la dynamique entre les directives officielles et l’autonomie des enseignants dans la mise en œuvre du curriculum. Le curriculum potentiel, quant à lui, renvoie au curriculum que les enseignants ou un groupe d’enseignants considèrent comme réalisable et pertinent à mettre en œuvre dans leurs conditions de travail réelles. Ainsi, cette forme reconnaît la capacité des enseignants à adapter et à modifier les prescriptions éducatives en fonction de leur contexte spécifique et peut inclure des discussions et négociations au niveau de l’établissement (Coquidé-Cantor et al, 2013). Ensuite, le curriculum produit, aussi appelé curriculum réalisé, met en évidence le processus de coproduction entre enseignants et apprenants. Cela souligne l’importance des interactions et des influences mutuelles dans le processus éducatif, ainsi que l’existence d’un « curriculum caché » résultant d’effets imprévus ou de divergences d’interprétation. Enfin, le curriculum possible concerne la réflexion sur des curricula envisageables, ouvrant le champ des possibles dans l’éducation. Nous n’avons pas intégré dans notre démarche les enseignants et les étudiants, même si les entretiens menés nous donnent des indications sur les adaptations réalisées par les enseignants (Drot-Delange et al., 2021). Notre approche du curriculum réel implanté pourrait être revisitée de ce point de vue. Cela constitue autant de pistes de recherche possible à explorer.

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Notes

1 Article 14 de l’arrêté du 6 décembre 2019 portant réforme de la licence professionnelle, 2019 (Pub. L. No. 0288, Journal officiel de la République française (2019). https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000039481561/).

2 https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/education/publications-adm/cegeps/services-administratifs/Programmes-etudes-techniques/PE13-582A1-Integration-Multimedia.pdf

3 https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-12/m-tiers-du-multim-dia-et-de-l-internet-30867.pdf

4 Ressources numériques : offre, intermédiations, réseaux en Institut universitaire de Technologie. https://anr.fr/Projet-ANR-18-CE38-0011

5 https://tim.cegep-lanaudiere.qc.ca/

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Pour citer cet article

Référence électronique

Béatrice Drot-Delange et Anita Messaoui, « Analyse comparée des curricula en IUT et en Cégep dans le domaine du multimédia : quelles influences des contextes institutionnels ? »Questions Vives [En ligne], N° 42 | 2024, mis en ligne le 13 octobre 2025, consulté le 14 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/questionsvives/9743 ; DOI : https://doi.org/10.4000/14wa2

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Auteurs

Béatrice Drot-Delange

Université Clermont Auvergne, ACTé, F-63000 Clermont-Ferrand, France

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Anita Messaoui

LIRDEF, Université de Montpellier. IUT Montpellier-Sète. Membre de l’Observatoire de la Transformation Pédagogique. Associée à ACTé, Université Clermont-Auvergne

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