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Varia

La production de savoir comme mode d’articulation entre acteurs publics et non publics

Étude d’une pratique d’aménagement du territoire
Knowledge as way of articulation between public and non-public actors. A practice of urban planning
El conocimiento como un medio de articulación entre los actores públicos y no públicos. Una práctica de planteamiento urbano
Silvia Bruzzone

Résumés

L’article vise à comprendre les activités de production de savoir et d’expertise dans la formation de nouvelles alliances pro-environnementales entre acteurs publics et non publics. Cela suppose une vision novatrice de l’expertise et du savoir non pas considérés comme les attributs d’un acteur ou d’une institution, mais au contraire postulés comme émergents du contexte et comme produit de l’interaction des acteurs autour des pratiques situées. Cette perspective est dévoilée à travers l’analyse d’un projet d’aménagement du territoire promu par l’association environnementale Italia Nostra à Milan.

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Notes de la rédaction

Cet article est issu d’une analyse comparative rédigée avec Jean-Pierre Le Bourhis (CURAPP-CNRS) présentée sous forme de communication au Congrès de l’Association Française de Science Politique en 2007 (consultable à l’adresse : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00475602). Le présent texte est de la seule responsabilité de Silvia Bruzzone.

Texte intégral

Les acteurs non publics dans l’étude des politiques publiques environnementales

  • 1 On utilisera ce terme général pour désigner tout acteur ne disposant pas d’un statut d’intervenant (...)

1Les travaux en science politique ont fourni durant les dernières décennies des réponses très différentes à la question relative au statut des acteurs non publics1 dans l’étude des politiques publiques. De ce point de vue, les politiques d’environnement ont progressivement donné un statut de moins en moins marginal à ces acteurs ; en même temps elles semblent être un domaine riche et pas tout à fait encore exploré au niveau des articulations (soit conflictuelles soit de coopération) entre la société civile et les institutions publiques. Malgré le rôle propulsif de la société civile dans ce domaine, on constate, encore récemment, une tendance de la part de la littérature à maintenir séparés deux champs de recherche : d’une part, les politiques d’environnement et, de l’autre, les mouvements sociaux de défense de l’environnement (Bess, 2003). Peu d’analyses dans ces travaux en particulier sont consacrées à l’impact de ces acteurs offrant une vision d’ensemble de la recherche sur les politiques publiques environnementales (Barraqué & Theys, 1998 ; Larrue, 2000). Dans la plupart des cas, il s’agit de mettre en évidence les effets d’influence réciproques entre deux pôles. D’un côté, des groupes de la société civile deviennent de véritables « auxiliaires de légalité » : ils entrent dans les jeux de la vie institutionnelle et sont influencés par les mécanismes du pouvoir public via la sélection d’interlocuteurs, la délégation de fonctions et le financement public. De l’autre côté, les associations exercent un rôle crucial de pression externe incitant au changement et de contrôle des politiques. Elles sont en même temps porteuses de ressources stratégiques (compétences, know-how, flexibilité organisationnelle) au niveau de l’action publique.

  • 2 « Not in my back yard ».

2Les conflits environnementaux, qui s’intensifient à partir de la fin des années 1980, ont représenté la base de la production de nouvelles approches analytiques qui cherchent une meilleure intégration entre les deux composantes en question (Hajer, 1993 ; Dudley & Richardson, 1996 ; Fourniau, 2003). Le nombre croissant de conflits autour de l’implantation d’infrastructures (aéroports, autoroutes, lignes à haute tension) ou d’urgences environnementales (pollution des eaux, visuelle, sonore, effet NIMBY2) offre un terrain propice pour renouveler l’étude des relations entre pouvoirs publics et mouvements environnementaux, qui s’exprime par une confrontation entre les représentants des pouvoirs publics, notamment le ministère de l’Environnement et les fonctionnaires des pouvoirs locaux, et ceux de la sphère privée, notamment le monde associatif et des entreprises. Ces oppositions se résument en deux pôles à l’identité relativement stable : d’un côté des tenants du « développement économique » et de l’autre les « défenseurs de l’environnement ».

3Une évolution similaire apparaît dans la sociologie des mouvements sociaux. Les études sur les mobilisations et les militants de l’environnement des années 1980 parviennent à des conclusions convergentes : d’une part, elles montrent l’importance des coalitions formées avec certains représentants des autorités, élus ou services de l’État dans le succès de ces mobilisations (Hayes, 2002 ; Biorcio & Novello, 2003). D’autre part, elles soulignent les effets en retour de cette articulation avec la sphère politique, en particulier sur les formes d’action collective, les parcours militants et les stratégies de mobilisation de ces organisations (Fillieule, 2001 ; Ollitrault, 2001 ; Della Seta, 2000 ; Diani, 1988).

4La démarche vise à reformuler la question de la place accordée aux acteurs non publics dans l’étude des politiques publiques. Plus précisément elle propose un cadre d’analyse permettant le suivi empirique de ces reconfigurations mettant l’accent sur les activités de production de savoir et d’expertise. C’est au cours du travail de construction de savoir que les acteurs entrent en interaction, créent des alliances et transforment leurs trajectoires d’actions. Le point de départ de l’analyse ne serait plus de s’interroger sur les relations a priori entre acteurs publics et non publics mais de les envisager comme produit des pratiques contextuelles. Dans cette perspective la production de savoir est saisie comme lieu privilégié autour duquel les interactions entre différents acteurs, publics et non publics, sont mis en place. Cette affirmation nécessite d’être mieux détaillée et incorpore une vision spécifique de l’idée d’expertise et de connaissance non pas comme attribut d’un acteur, agent, institution. Elle est postulée comme émergente d’un contexte et comme produit de l’interaction des acteurs du contexte.

5Dans les prochains paragraphes, on rendra compte de cette approche qui s’inspire d’autres disciplines, notamment la sociologie de l’organisation et celle des sciences et des techniques. Ensuite ces outils seront mis en valeur dans une étude de cas qui concerne un projet d’aménagement du territoire en Italie. Il s’agit de l’introduction d’une pratique innovante de gestion de l’espace vert, née de l’initiative de l’association écologiste Italia Nostra en partenariat avec la mairie de Milan. L’analyse vise à suivre le développement de cette pratique experte ainsi que la construction d’une coalition d’acteurs spécifiques autour de la production de savoir.

Production de savoir et formation de réseaux

6Comme on vient de l’annoncer, notre grille d’analyse porte une attention spécifique au rôle des activités de production du savoir comme vecteur de la formation de nouvelles alliances pro‑environnementales. En particulier, elle met l’accent sur le rôle des groupements informels dans la circulation des idées et des pratiques sociales. Il faut pour cela dépasser certaines difficultés.

7D’une part, l’expertise dans l’action publique est souvent pensée comme l’attribut fixe d’un agent, d’une institution, c’est‑à‑dire comme une expertise instituée, en général à base technoscientifique. Ceci a généralement conduit à étudier en détail le rôle des experts, des savoirs et de l’incertitude dans l’élaboration des politiques environnementales, puisqu’elles présentent très souvent des enjeux à fort contenu scientifique (Jacob & Genard, 2004). Ce type de définition a aussi incité à analyser les modes de contestation du pouvoir technocratique, propriétaire souvent exclusif de cette expertise (Beck, 2004 ; Bucchi, 2002). L’étude des conflits sur l’environnement a poussé à mettre en lumière une contre-expertise issue de la société civile et correspondant à l’émergence de formes alternatives de production de savoir, hors des institutions officielles ou s’éloignant des formes des savoirs reconnues (Callon et al., 2001 ; Centemeri, 2006). L’accent est alors mis sur les acteurs porteurs de compétences, de savoirs dits « profanes », la façon dont ils entrent progressivement dans le cercle de négociation et dans les processus décisionnels. Cependant, malgré leur intérêt, ces conceptions dessinent plutôt une scène de conflits où l’expertise légitime est mise en débat et où l’action publique apparaît comme un champ de bataille entre savoirs concurrents. D’autre part, les interactions entre le domaine politico-administratif et de la société civile ne sont véritablement prises en compte qu’à partir du moment où l’attention se déplace sur les trajectoires de formation et changement des coalitions entre les deux sphères. Dans l’ensemble, la problématique dominante reste celle de l’impact du mouvement social comme entité indépendante sur l’État.

8Toutefois, la formulation et la transmission des besoins et des demandes sociales par les associations a fait l’objet de travaux plus récents qui montrent l’usage privilégié des canaux informels dans les relations avec le pouvoir, les interactions entre les acteurs des mouvements sociaux et ceux de la sphère politique en se concentrant sur leur accès au pouvoir et sur les effets, tempérés, de ces collaborations : institutionnalisation du mouvement et moindre force d’attraction des groupes environnementaux (Della Porta & Diani, 2004). Cela suggère de focaliser l’attention sur la façon selon laquelle les coalitions d’acteurs publics et non publics naissent et évoluent dans le temps, modifiant la nature des intérêts et les identités des acteurs qui les composent, elles procèdent progressivement à des redéfinitions du contenu de l’action publique. Celui-ci n’est donc pas perçu comme appartenant à un domaine « technique » (au sens d’opposé à des « choix » ou à des « valeurs ») ou « naturel » (au sens de « donné » ou taken for granted) ; il est au contraire toujours dans un processus de définition, redéfinition et ajustement par rapport aux différentes interprétations. En travaillant sur les processus de production d’un intérêt général territorialisé (Lascoumes & La Bourhis, 1998) ou sur les modes de mise en débat des enjeux technico-scientifiques (Callon, Lascoumes & Barthes, 2001), ces recherches ont fait porter le questionnement sur les processus de transformation des réseaux d’acteurs publics et non publics, et parallèlement sur la (re)construction continue des objets de l’action publique.

9Dans cette perspective, la modélisation ci proposée vise à saisir comment les activités de production du savoir participent à la formation de réseaux où s’élabore l’action publique. Il s’agit cependant d’une notion de savoir qui n’est pas nécessairement codifiée, ni instituée dès l’origine mais émerge du contexte local dans l’interaction permanente entre acteurs publics et non publics.

Le savoir comme pratique

10Le regard sur la connaissance et le savoir fait l’objet d’une tradition d’études surtout en sociologie de l’organisation dont le thème de la production, transfert et apprentissage du savoir représente un enjeu central. Cette démarche trouve son origine dans la critique du paradigme fonctionnaliste selon lequel la connaissance demeure dans la tête des personnes et elle est appropriée, transmise et collectée à travers des processus mentaux (Poitou, 2007 ; Brassac, 2007). Cette idée de connaissance est liée à une image de capitalisation (banking) (Hooks, 1994) du savoir. Selon cette perspective, la connaissance existe a priori, indépendante du sujet qui connaît ; ainsi il ne crée aucune connaissance dans l’acte même de l’appropriation. Dans ce sens‑là, la production, circulation et consommation de connaissance sont perçues comme activités autonomes du sujet connaisseur. On retrouve cette même approche dans le « knowledge management » selon lequel la réification de la connaissance serait perçue comme une « objectified transferable commodity » (Gherardi, 2000, p. 241) dont la connaissance serait utilisée comme synonyme de l’information qui est créée, diffusée et incorporée dans les produits, les services et les systèmes. Selon cette logique, le déplacement de connaissance peut être accompli sans distorsion : dans ce sens‑là déplacer ne signifie pas transformer. Cette conception de la connaissance comme marchandise (commodity) renvoie à l’idée d’intentionnalité et de contrôle délibéré.

11Cette approche a été récemment mise en question par plusieurs courants d’études qui, au-delà de leurs différences et origines, partagent l’idée que la connaissance n’est pas de la matière inerte qui peut être fixée et contrôlée. Au contraire, elle peut être articulée soit dans sa dimension spatiale soit dans sa fabrication et tenant compte des éléments transformatifs du contexte (Gherardi, 2000). C’est en effet dans le contexte de ces recherches empiriques que se développe l’idée de connaissance et d’apprentissage à travers la participation à des pratiques quotidiennes.

  • 3 Pour une revue de la littérature sur ce concept, voir Gherardi (2006).

12La notion de pratique est en effet au centre de cette perspective3. Les approches qui se reconnaissent sous l’étiquette de practice‑based studies (Gherardi, 2000) refusent la distinction entre action et savoir, faire et connaître ; connaître ne peut être séparé de faire. Participer à une pratique signifie acquérir de la connaissance mais aussi intervenir, changer ou perpétuer cette connaissance, produire et reproduire la société. Le savoir devient alors un accomplissement pratique plutôt qu’un compte rendu transcendantal d’une réalité décontextualisée. Dans ce sens‑là, les critiques de la rationalité scientifique dans le milieu de la sociologie des sciences et des techniques ont mis en évidence le décalage entre théorie scientifique et expérience pratique (Lynch, 1997, pp. 335-344). Depuis l’œuvre de Latour et Woolgar Laboratory life (Latour & Woolgar, 1979), beaucoup d’études sont apparues qui, influencées par la philosophie des sciences, proposent une idée de connaissance scientifique comme strictement sociale et qui doit être étudiée comme un ensemble de pratiques sociales historiquement situées (Conein & Jacopin, 1994, pp. 475-499). Dans ce sens et d’une façon plus spécifique, les études connues sous le nom de ANT (Actor Network Theory) (Callon & Latour, 1992) conçoivent la connaissance comme le produit de l’interaction des différents éléments du contexte dans lesquels la compétence codifiée (de l’expert, du chercheur, de la technologie) ne représente qu’un aspect qui interagit avec toute une série de conditions, variables, acteurs et savoirs encastrés (embedded) dans le contexte local (Callon, 1986, pp. 169-207 ; Law, 1994 ; Latour, 1988). Selon cette démarche, la connaissance est conçue comme produit local qui met en relation différents éléments du contexte qui le mobilisent dans un réseau. Le réseau (entre acteurs) est donc le résultat de cette mobilisation autour de la formation d’un savoir pratique et émergent.

13Nous nous intéresserons donc à ces formes d’expertise qui ne sont pas l’attribut a priori d’un acteur ; elles sont plutôt le produit émergent d’une série d’interactions en situation. Sur cette base, nous proposons de tester une double hypothèse que l’on peut présenter sous la forme de deux affirmations : d’une part, le changement public (dans le cas qui nous préoccupe, l’orientation environnementaliste des politiques publiques) s’opère par la reconfiguration des relations entre acteurs publics et non publics (société civile), menant à la construction ou à l’extension de réseaux d’intervenants autour d’une action publique (environnementale). Il s’agit de lutter contre une lecture trop superficielle du changement public, comme résultat de la mise en place d’une nouvelle institution, production d’une loi, mise en œuvre d’une décision, etc. Cette vision simplificatrice trouve son origine dans une sociologie spontanée : après une épreuve de force entre coalitions opposées qui aboutit à une victoire tranchée, à une loi marquant un revirement de politique, à l’annulation d’une décision publique antérieure, etc. (Cefai, 2007). En s’intéressant à la reconfiguration des coalitions, l’analyse vise à réintégrer ces conflits dans une chronologie plus longue, à formuler des hypothèses sur la façon dont les coalitions en présence se forment et donc à faire place à l’histoire et à la dynamique propre de ces groupements. D’autre part, la production de savoirs localisés favorise la construction de ces réseaux (ou leur extension) en contribuant à l’émergence de causes environnementales et à la légitimation d’objets d’action publique. Cette hypothèse vise à souligner le rôle central de la production de connaissances dans l’émergence de coalitions, qui doivent associer des acteurs publics et non publics. Ceux‑ci ne partagent souvent pas les mêmes références cognitives tout en devant légitimer leur cause à partir d’affirmations sur l’existence de problèmes, d’états du monde ou de liens de causalité. Par ailleurs, l’application de connaissances nouvelles, générales et universelles, à des espaces et des situations localisées paraît constituer un facteur central de changement, puisqu’elles agissent sur la perception de ces situations et des problèmes associés à ces espaces et partant sur les actions publiques devant y être développées.

14Le cas d’étude empirique mobilisé dans cet article vise à étayer ces hypothèses. Le processus de changement public concerne l’instauration d’une politique d’aménagement d’un territoire périurbain (notamment un « parc urbain ») dans la ville de Milan, comme résultat de l’évolution d’un réseau d’expertise liant la municipalité et une association locale. À travers cette étude empirique, on montrera comment un réseau d’acteurs publics et non publics se structure autour de l’émergence d’une pratique experte, en distinguant trois phases élémentaires (émergence, institutionnalisation, reconnaissance). Il s’agira pour l’essentiel de suivre la formation et/ou la recomposition du réseau autour de cette pratique, les formes de partage des connaissances et les formes d’institutionnalisation qui se mettent en place à partir de ce réseau. L’intérêt portera donc sur la chronologie de la formation originelle d’une coalition, basée sur la production, la mise en commun et la circulation des savoirs, à ces savoirs eux-mêmes, et aux pratiques liées et contribuant à l’écologisation des politiques.

La formation d’un réseau autour d’une expertise émergente

  • 4 « Le bois dans la ville ».

15Le présent cas illustre la création d’un objet d’intervention publique : un parc urbain à la périphérie de Milan nommé « Boscoincittà »4. Il s’agit d’une pratique inédite d’aménagement du territoire qui émerge des échanges entre l’association écologiste Italia Nostra et la municipalité de Milan. L’analyse diachronique porte sur trente ans à partir de 1975 et consiste à suivre le développement d’une expertise localisée d’aménagement urbain « vert », ainsi que la construction d’une coalition d’acteurs spécifiques autour de cette production de savoir.

16Dans les années 1970, Italia Nostra, une des premières associations environnementalistes d’Italie, est déjà reconnue depuis une quinzaine d’années comme une association de préservation du paysage et des sites naturels et historiques. Lors de sa constitution dans les années 1950 à Rome, l’Italie est en plein boom économique, connaît une forte croissance industrielle et une forte urbanisation. Des intellectuels commencent alors à s’interroger publiquement sur les effets de cette croissance et sur son maintien dans le temps, en particulier face à des ressources naturelles limitées. On commence aussi à parler en Italie, vingt ans après la fin de la guerre, d’un « saccage urbanistique » des villes. Au centre des critiques se trouve en particulier ce qu’on appelle la « bétonisation sauvage » liée à une forte spéculation immobilière. La question environnementale est de ce fait durablement liée en Italie à des enjeux urbains. C’est dans ce contexte que naît Italia Nostra en 1954. Sa mission témoigne du souci de préservation du patrimoine historique et environnemental et de lutte contre l’urbanisation sauvage, accusée de défigurer les centres urbains. Des initiatives sont lancées par lobbying et mobilisation des relations personnelles et du prestige des membres de l’association afin de faire pression sur le monde politique et sur les organes d’information. Pendant les premières années, l’initiative réussit à obtenir une grande visibilité : le ministre de l’Agriculture en charge indiqua « Boscoincittà » comme best practice parmi les pratiques innovantes de gestion du territoire et le Président de la République, Sandro Pertini, rendit visite au nouveau « park metropolitain » (Entretien avec le premier président de la section milanaise d’Italia Nostra, 17 septembre 2004). Entre mai et juin 1974, l’agence de presse Young & Rubicam Italia, une des principales agences de presse, déjà engagée dans la défense de l’environnement, décida de fêter son cinquantième anniversaire en organisant une campagne dédié à « Boscoincittà » et diffusée dans la presse nationale (Toeschi, 1984). En outre, un court métrage intitulé Un bois pour Milan fut réalisé en 1976 et circula au niveau international et obtint une visibilité remarquable à l’Ekofest de Belgrade en 1978.

17Comme le souligne Della Seta (2000), les membres de l’association étaient alors surtout des intellectuels appartenant à la vieille bourgeoisie conservatrice, très influente du fait de ses accès privilégiés aux cercles institutionnels et aux décideurs. En 1964, l’association atteignit 10 000 membres, puis consolida durant la décennie sa position en ouvrant nombre de branches locales et en développant son action éducative, principalement ciblée sur les écoles. Comme le note Diani (1995) à propos du contexte associatif milanais, on constate au sein de celui‑ci une tendance à combiner les styles et les stratégies d’action, en créant des alliances avec des groupes défendant des lignes politiques différentes, ou en mêlant plusieurs types d’action à l’intérieur des associations mêmes. La section milanaise d’Italia Nostra ne fait pas exception et développe des formes d’action qui se différencient de la ligne nationale purement axée sur la sensibilisation et l’information de l’opinion publique. Elle marque également sa différence en s’alliant avec d’autres groupes écologistes, en particulier Legambiente, pour des campagnes de sensibilisation typiques de l’écologie politique.

Émergence : la « forêt urbaine » comme problème public (1975-1984)

18En 1975, la section milanaise d’Italia Nostra demande et obtient en concession de la municipalité de Milan un lot foncier destiné à la création d’une forêt urbaine, Boscoincittà. Ce projet de « forêt urbaine » se veut la dénonciation d’un certain modèle de développement urbain. Le discours de l’association sur la nature traduit ses principales préoccupations : la critique de l’urbanisation incontrôlée et de l’immobilisme politique, la défense de la nature comme élément décoratif et esthétique. Surtout, la revendication centrale ne vise pas seulement à créer plus d’espaces verts, mais à opérer ce qu’on pourrait appeler une reconquête de la ville. L’oxymore (« forêt urbaine ») constitue clairement une provocation, en même temps qu’elle esquisse l’idée d’un développement urbain alternatif passant par la mobilisation des « technologies pauvres » (Toeschi, 1984). L’expression désigne notamment le recours au travail sur la base du volontariat, une planification non technocratique des travaux, du matériel donné ou prêté (par exemple, fourniture des végétaux par l’administration des Forêts, de l’outillage par les agriculteurs de la région, etc.). Le service des Parcs et Jardins de la municipalité de Milan, avec lequel la négociation a lieu, donne ainsi en concession un lot public de 35 hectares situé dans la périphérie ouest de Milan. Le contrat signé en 1975 attribue le terrain pour une durée de 9 ans, après quoi il est prévu que le lot revienne à la municipalité. Le travail de replantation est ensuite effectué par des bénévoles, ce qui fait du projet l’une des premières expériences d’engagement participatif. Des programmes d’éducation sur l’environnement sont également très vite mis sur pied dans les écoles primaires et secondaires, en collaboration avec les services de la mairie. Enfin, le service civil national et certaines opérations ponctuelles (les « dimanches du citoyen ») constituent d’importantes sources de main-d’œuvre gratuite sur le terrain.

19À ses débuts, l’organisation du projet se caractérise par l’absence de structure de gestion ad hoc : les membres de l’association sont directement et personnellement engagés dans sa mise en œuvre. Les compétences organisationnelles et les ressources cognitives et matérielles (concernant tous les aspects pratiques d’organisation et gestions du bénévolat, le travail sur le terrain, la communication, etc.) viennent du groupe que forme l’association elle-même. Tous les aspects techniques concernant les plantations sont supervisés par un adhérent de l’association, agronome de profession, qui sera nommé par la suite directeur du parc en 1982. Deux avocats, membres de la section, sont chargés de l’ensemble des aspects juridiques découlant de la concession et du partenariat public-privé. De manière générale, le projet dépend principalement des ressources internes de l’association et de ses réseaux informels. Ainsi, la négociation avec la mairie de Milan se déroule directement entre le président de l’association et le maire de Milan, qui militent à un niveau élevé dans le jeu politique municipal. C’est ce qui explique la rapidité avec laquelle la convention est signée (15 jours). De même, les pourparlers avec les services de la mairie chargés de l’éducation sont grandement facilités du fait que l’adjoint est un sympathisant d’Italia Nostra, à laquelle il a adhéré et dont il a été le vice-président. Ainsi, l’association et son projet tirent profit du prestige et de la reconnaissance déjà bien établie de ses membres auprès des institutions locales, en particulier de la mairie.

20En 1984, l’accumulation d’expérience pendant les premières années, les hectares déjà plantés et aménagés qui progressivement donnent forme à un nouvel « objet » – un parc urbain – se traduisent par la parution d’un ouvrage collectif, Un boscoincittà. Analisi di un’esperienza di forestazione urbana [Une forêt en ville. Études d’une expérience de boisement urbain], dirigé par la présidente de la section milanaise d’Italia Nostra, Luisa Toeschi. Cette synthèse rassemble une série de témoignages des membres de l’association et de leurs collaborateurs faisant le point sur les aspects juridiques (nature et types de contrats public-privé pour la gestion de l’espace en question, réglementation pour les usagers, etc.), économiques (détails des différentes sources surtout informelles, bénévolat, etc.), sociologiques (programmes éducatifs et de travail mis en place avec les écoles, les groupes de volontariat locaux, nationaux et internationaux, campagnes de recrutement citoyen, communication/relation avec la presse, questions de sécurité liées au vandalisme, etc.), techniques (plan des interventions, appui sur le savoir technique des écoles professionnelles, en particulier des géomètres, stages avec des étudiants d’architecture, collecte et gestion des outils et du matériel de travail pour la plupart empruntés aux paysans du milieu et d’autres associations, bénévoles), biologiques et zoologiques (études sur les aspects écosystémiques du milieu naturel et son développement à travers des « technologies pauvres », collaborations avec le corps des forestiers pour la collecte des espèces d’arbustes typiques de la région, etc.) relatifs à l’espace géré. Cet ouvrage témoigne de la volonté de l’association de tirer un premier bilan de l’expérience, de faire la somme et de rendre visibles les compétences mises en œuvre, puis développées sur le terrain. Les neuf premières années du projet Boscoincittà revêtent un caractère expérimental, non seulement à cause de la durée limitée dans laquelle s’inscrit l’essai dans sa conception originale, mais aussi parce que le projet devait apporter les preuves de la faisabilité d’un nouveau modèle de développement urbain dit « alternatif ». Ces forts enjeux externes se traduisent, comme on l’a vu, par une large médiatisation du projet et de ses résultats : campagne publicitaire confiée par Italia Nostra à l’agence Young & Rubicam (prestation sous la forme d’un mécénat) ; réalisation d’un film, présenté par la suite dans diverses manifestations internationales (Ekofest de Belgrade). Le renouvellement de la concession par la mairie de Milan conduit à la clôture de la phase expérimentale et annonce le renforcement de la coalition de promotion de la « forêt urbaine ». Selon les termes de la convention de 1983, « après neuf années (...), il convient de ne pas disperser l’héritage des expériences faites [dans l’opération] “Boscoincittà” et de le mettre en valeur pour son incontestable intérêt public ». Le nouveau contrat stipule en outre que l’administration concède d’autres lots adjacents : le parc s’agrandit, passant de 35 à 85 hectares et un financement public est octroyé. Cette aide reste cependant insuffisante pour contribuer de manière significative à l’aménagement du parc, charge qui continue de reposer sur l’association et des donations.

Institutionnalisation d’une pratique d’aménagement du territoire (1984-1998)

21La deuxième phase correspond à la consolidation de l’expérience Boscoincittà et à un début de structuration des pratiques et des formes de savoir-faire expérimentées dans la période précédente. Avec le renouvellement de la concession et la sortie de la dimension démonstrative, la priorité pour l’association est de se doter d’une structure opérationnelle, le CFU (Centro di Forestazione Urbana) pour gérer la suite des travaux et l’aménagement du parc urbain agrandi. Pour cela, un siège logistique est créé pour assurer la gestion des fonctions d’intervention. L’installation du CFU dans une ancienne ferme située sur le lot initial représente une autonomisation significative ; la structure locale se distingue territorialement de la section d’Italia Nostra. Jusque-là, toutes les interventions étaient en effet coordonnées par le siège de la section milanaise situé dans le centre-ville, sur la place principale (place du Dôme). D’un point de vue organisationnel, le CFU connaît une division du travail et des secteurs d’intervention accrue : administration, aménagement des espaces verts, activités liées aux utilisateurs du parc (programmes d’éducation environnementale avec les écoles, collaboration avec les appelés du service civil national) et planification. Ces différentes activités restent gérées par les membres d’Italia Nostra, à l’aide de bénévoles.

  • 5 La proposition d’Italia Nostra de créer des jardins familiaux se heurte à beaucoup d’oppositions de (...)

22La spécialisation des activités entreprises dans la période précédente se développe. La technique de replantation fait l’objet de consultations et des experts s’engagent sur des projets spécifiques, par exemple en ce qui concerne les enjeux zootechniques (participation d’un biologiste) ou de planification (architectes, par l’intermédiaire du service civil national ou encore des étudiants du Politecnico de Milan faisant des stages au CFU). De nouvelles techniques et compétences viennent en outre s’adjoindre aux anciennes. Il s’agit, en 1988, de l’inauguration des orti urbani, lots de terrains à cultiver attribués sous la forme de « jardins familiaux » à des habitants. Jusque-là, l’association s’était investie en faveur d’un environnement naturel avec comme référence la nature préservée de toute intervention, tandis qu’avec les jardins familiaux, l’intention est de renouer avec la vocation agricole traditionnelle de l’ouest de Milan et de la région. Il s’agit en l’occurrence de fournir un service spécifique nécessitant un certain degré de planification et de gestion5. Le CFU est également chargé de la gestion des contrats avec les locataires des jardins. En 1991, l’association via le CFU soumet également au service des Parcs et Jardins un projet intitulé « Parco dei Sentieri Interrotti », visant à relier le parc aux autres espaces verts de la ville et de la périphérie ouest de Milan grâce à un système de parcours pédestres, équestres et cyclables. Ce projet marque une autre étape dans l’institutionnalisation du projet, puisque l’aménagement du territoire ne concerne plus seulement le parc lui-même. Le CFU s’affirme comme acteur ancré au niveau local et comme facteur de connexion entre les espaces verts d’une partie de la zone métropolitaine. Du point de vue des activités liées au public, les relations avec les écoles, le bénévolat, les activités sportives pour les enfants se poursuivent et s’intensifient. De plus, la création d’un siège logistique est aussi l’occasion pour le CFU d’ouvrir un centre documentaire dédié à l’aménagement des espaces verts, mettant à la disposition du public les études et les données produites tout au long du projet. En 1997, la mairie étend la convention au Parco delle Cave, le Parc des carrières, ce qui fait passer la superficie totale aménagée et gérée par le CFU à 250 hectares. Cette extension s’accompagne d’un financement public plus important, qui couvre à présent 80 % des dépenses des deux parcs (Boscoincittà et Parco delle Cave).

Reconnaissance : les gestionnaires du parc urbain comme experts (1998-2002)

23Les dernières années voient le CFU se renforcer, la mairie de Milan reconnaissant de façon croissante son utilité publique tandis qu’il tend à être davantage perçu localement comme organisme expert en matière d’aménagement du territoire. L’autonomisation progressive du CFU par rapport à Italia Nostra s’accroît également. L’organisation écologiste reste en fait l’inspiratrice du projet et le signataire, d’un point de vue juridique, de la convention passée avec la mairie. Toutefois, le CFU accumule des ressources en information et en compétences qui ne relèvent pas d’Italia Nostra. La complexification de l’organisation interne et la diversification des savoir-faire du CFU soulignent ces évolutions. La structure de gestion du parc conquiert de nouveaux domaines d’activité et développe les compétences correspondantes : construction et aménagement du parc (espaces verts, équipements et installations), promotion du développement local (services aux usagers, communication), études et projets (bureau technique, aménagement forestier), services logistiques (nettoyage et entretien, gestion de réseau informatique). La professionnalisation s’accroît du fait de l’introduction du salariat. Le CFU occupe alors 15 salariés à temps plein, en plus des experts et des collaborateurs ponctuels. Ceux-ci suivent des formations en aménagement des espaces verts et en éducation environnementale. Le personnel salarié à temps plein est extérieur désormais à Italia Nostra, hormis le directeur du parc. Le recrutement s’opère sur la base des compétences professionnelles, parfois acquises au sein d’autres ONG.

24Il est intéressant de constater que se développe à partir de la fin des années 1990 une nouvelle rhétorique : il ne s’agit plus seulement d’aménager un parc urbain, mais un « système parc ». Par cette expression, le CFU indique son intention de rattacher son travail au projet de ceinture verte urbaine à l’étude à la mairie de Milan depuis les années 1970. L’idée est de se faire le promoteur de ce projet au travers de la production d’études – consacrées au territoire géré par le CFU – et la mise à disposition d’outils d’aide à la décision. Concrètement, ceci se traduit par la production de cartes, des études de zones et des recherches sur différents aspects ayant trait aux deux parcs (Boscoincittà et Parco delle Cave) ainsi qu’à leurs zones limitrophes (mobilité, météorologie, géopédologie, étude de la faune, pollution acoustique, étude de la topographie). Cette progression est entérinée dans la dernière convention passée entre la mairie et Italia Nostra, qui étend une nouvelle fois les compétences du CFU pour lui donner un rôle d’expert dans la définition de la ceinture urbaine de Milan. Le parc urbain de l’origine est devenu le principal espace vert de la commune et une des pièces principales de sa politique environnementale. L’expérience pilote est devenue une politique publique : « La liaison de ces lots [Parc de Trenno, Parco delle Cave et Boscoincittà] et l’inclusion d’espaces publics à vocation agricole ou de terrains particuliers pourront compléter les espaces verts existants pour créer une ceinture verte urbaine comme envisagée dans le Plan général de la Ville et par les objectifs de l’administration municipale (...). Le CFU contribuera à la définition des interventions appropriées afin d’intégrer les aires agricoles aux espaces verts publics (...) et rechercher les fonctions et les services à offrir dans cette partie de territoire dans le souci d’améliorer son usage public » (Convention, 2002).

Conclusion

25Le cas permet de conforter empiriquement deux affirmations relatives à l’évolution des politiques et au rôle des interactions entre sphères publique et sociale. D’une part, la formation de coalitions entre intervenants publics et non publics joue un rôle central dans le changement des politiques environnementales. Dans le cas étudié, l’écologisation ne naît pas de la création de structures ab nihilo, mais de l’extension et du renforcement de liens, qui prennent la forme de réseaux stables entre la puissance publique et des acteurs sociaux. Ce processus conduit à la définition d’une nouvelle politique et la construction de nouvelles institutions : un parc municipal est créé, s’étend jusqu’à 250 hectares, gérés par une équipe de professionnels financés à 80 % par la Commune. De tels acteurs émergents dans le jeu local résultent bien de l’interaction entre pouvoirs publics et mouvement social : le CFU est un organisme à la fois lié et distinct des deux acteurs engagés dans la cause du parc urbain, la mairie de Milan et Italia Nostra. Les compétences, le savoir-faire développés dans le CFU ne sont pas présents à l’origine au sein de l’association ni après ; ils sont accumulés du fait de la croissance et de la professionnalisation de cette structure, ainsi que par la mise en pratique quotidienne des savoirs sur le territoire en question. De façon convergente avec Hayes (2000), le cas montre qu’on ne peut comprendre le changement public en opposant autorités publiques (État ou autres) et mouvements sociaux ; ce changement s’explique plutôt par la formation et l’institutionnalisation de coalitions entre les deux types d’intervenants, liés par la défense d’une cause commune. La nature des liens noués, leur origine et leur intensité changent selon les époques : liens forts entre autorité publique et relais associatifs ; liens plus faibles mais décisifs avec le public plus large, mobilisé par les relais associatifs pour légitimer la nouvelle action publique en émergence (via des actions de communication, de pédagogie, de participation, etc.). Plus spécifiquement, on a vu que la création d’une politique d’espace vert passe majoritairement par des canaux informels et par les relations directes entre dirigeants officiels et responsables associatifs locaux. Ce type de fonctionnement persiste par la suite : la reconnaissance et la légitimation du CFU comme acteur expert bénéficient du support que trouvent ses sympathisants auprès des institutions communales, en particulier par le biais des réseaux de sociabilité des membres de la section milanaise d’Italia Nostra.

26D’autre part, la formation de coalitions repose de façon privilégiée sur le partage de savoirs, d’information et de connaissances spécialisées. Ceux-ci constituent une ressource cruciale pour l’acteur public (mairie), qui en est dépourvu face à des enjeux naissants qu’il souhaite promouvoir. En échange d’autres ressources (soutien en termes financiers, de légitimation, de reconnaissance juridique), les acteurs non publics produisent l’information qui permet la consolidation des causes publiques (l’ingénierie d’espaces verts en ville, contre la « bétonisation » incontrôlée). La définition précise et localisée des causes environnementales suppose une activité de production de connaissance sur les objets concrets de l’action. Cette activité de construction de causes concrètes, de problèmes publics locaux, ne peut pas s’appuyer sur des savoirs généraux mais sur leur application in situ par des intervenants défendant une vision alternative des enjeux sociaux et politiques. On note dans le cas étudié une accumulation initiale de connaissances, la construction de problèmes par agrégation d’informations spécialisées, la production et la publication de discours de problématisation fondés sur ces connaissances. Le CFU constitue une forme d’institutionnalisation pratique des savoirs, inscrite dans les personnes (groupement de compétences détenues par le directeur et ses agents) et dans les objets (centre de documentation accumulant des données sur l’objet d’action publique, ouvrages). L’expertise concernée n’existe pas avant l’émergence de la cause. Mais on peut aller plus loin. C’est autour des activités pratiques expertes que le réseau d’acteurs va se mettre en place et que les rôles et les identités des acteurs vont se définir et se redéfinir. Un nouvel acteur, le CFU, apparaît comme porteur de cette expertise. Il n’existait pas auparavant et c’est au cours des activités contextuelles et dans l’interaction entre plusieurs éléments du contexte – principalement l’association écologique, la mairie de Milan mais aussi les éléments matériaux qui en font partie – que ses compétences et caractéristiques se développent, s’institutionnalisent et peuvent changer au fil du temps.

27La notion d’expertise qui vient d’être proposée est donc particulièrement prometteuse par rapport aux questionnements avancés dans cette contribution. L’inclusion des pratiques d’expertise dans le savoir en tant que pratiques contextuelles permet de rendre compte du travail d’interaction et d’articulation entre acteurs publics et non publics. C’est une notion de savoir qui n’est pas détachée des pratiques quotidiennes des acteurs engagés dans le contexte. La participation à une pratique est conçue comme une façon d’acquérir de la connaissance-en-action mais aussi de changer ou de perpétuer cette même connaissance, et de produire et reproduire la société. Le programme de recherche qui en dérive suggère d’approcher l’analyse de l’action publique et de son changement à partir du travail mis en place par les acteurs en train de « faire » et participer aux pratiques concrètes du politique. Celles-ci sont les loci où de nouvelles articulations d’acteurs hétérogènes se composent et prennent la forme d’une connaissance pratique.

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Notes

1 On utilisera ce terme général pour désigner tout acteur ne disposant pas d’un statut d’intervenant légitime (élection, recrutement bureaucratique) dans la fabrication de l’action publique. Le terme renvoie donc aux représentants d’intérêts privés, syndicaux ou associatifs, aux membres de groupes d’intérêts organisés ou plus généralement relevant d’un mouvement social.

2 « Not in my back yard ».

3 Pour une revue de la littérature sur ce concept, voir Gherardi (2006).

4 « Le bois dans la ville ».

5 La proposition d’Italia Nostra de créer des jardins familiaux se heurte à beaucoup d’oppositions de la part de l’administration, les orti existants, ouverts sans autorisation en particulier dans le centre ville, étant généralement considérés comme un symbole d’insalubrité.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Silvia Bruzzone, « La production de savoir comme mode d’articulation entre acteurs publics et non publics »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 3-3 | 2009, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rac/17521 ; DOI : https://doi.org/10.3917/rac.008.0530

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Auteur

Silvia Bruzzone

Chercheuse associée au Curapp-CNRS, Amiens en Politiques Urbaines et d’Environnement. Elle conduit des recherches principalement sur les politiques en matière de risques environnementaux (inondations, incendies de forêt, réfugiés environnementaux), en particulier sur le rôle du savoir dans la gestion de risques naturels et dans les politiques d’aménagement de l’espace urbain.

Adresse : Curapp-CNRS - Faculté de Droit et Science Politique Pôle Cathédrale 10, Placette Lafleur BP 2716 FR-80027 Amiens Cedex 1 (France)
Courriel : Silvia.bruzzone[at]u-picardie.fr

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    Paru dans Revue d’anthropologie des connaissances, 8-3 | 2014
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