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1Sait-on que le phénomène de régénération de l’air vicié par les plantes a été découvert seulement par le chimiste anglais Joseph Priestley en 1771 ? Sait-on qu’il faut attendre la fin du XVIII^e siècle et Lamarck pour que soit confectionnée une « flore française » sur la base de clés dichotomiques, comme dans bon nombre de flores (guide des plantes) actuelles ? Sait‑on que la classification des plantes selon leurs organes sexuels devra pratiquement attendre Linné pour être reconnue internationalement ? Sait‑on que la clé de répartition des plantes en fonction de la disposition des feuilles sur la tige, qui est si fréquente dans nos flores doit attendre Charles Bonnet et 1753 pour être proposée ? Sait‑on même que le terme de « taxonomie » est introduit en français par Augustin‑Pyramus de Candolle seulement en 1813 ?

2Toutes ces questions qui font partie des acquis de la botanique, si populaire parmi les sciences naturalistes, ont donc une histoire que Jean-Marc Drouin nous retrace avec brio. Mais cette histoire de la discipline ne peut se suffire à elle-même. Elle est étroitement liée à la réflexion qui, au XVIII^e siècle, s’appelait encore « philosophie naturelle ». Et de fait, l’ouvrage de Jean‑Marc Drouin, relate également l’histoire de cette part philosophique de la botanique, en allant chercher chez Rousseau, bien sûr, mais aussi chez Goethe, Leibniz ou encore Hegel, les références à la botanique qui n’ont pas manqué de teinter leur philosophie respective. On se tromperait si on s’arrêtait aux seules ressemblances entre les classiques de la philosophie et la botanique. En effet, ce qu’aujourd’hui nous nommons la philosophie, est une pratique tard venue. Les auteurs comme Adanson ou Étienne Geoffroy Saint‑Hilaire parlaient tous de « philosophie » naturelle. Il s’agissait d’un savoir préalable à la spécialisation que l’on connaît à l’heure actuelle, d’un savoir appartenant à la philosophie avant qu’elle ne se voie confinée à l’histoire de l’entendement humain. Jean-Marc Drouin se propose de faire l’histoire de la botanique en redonnant toute son ampleur aux considérations qui y sont associées, aussi bien dans les domaines de la grammaire et de la linguistique, de la sociologie des savants ou encore de la sociologie, et pour lesquelles la botanique a servi de référence.

3Drouin nous introduit à une histoire intellectuelle des obstacles, des associations d’idées, des expérimentations qui ont construit la botanique dans toutes ses dimensions, floristique, végétale, morphologique et phytosociologique. Cette œuvre est riche de très nombreuses références et de traductions du latin par l’auteur. On y trouvera cependant très peu de considérations sur le contexte social de la botanique, comme d’ailleurs les précédents travaux de Jean-Marc Drouin sur l’histoire de l’écologie. Il ne s’agit pas d’une histoire sociale des sciences, mais d’une histoire intellectuelle, une histoire de la pensée. Elle s’établit sur le franchissement successif d’obstacles intellectuels dans le souci didactique d’explication simple de comment a historiquement procédé la connaissance sur les plantes ; du coup, cette résolution a des accents quasi anthropologiques. Les questions de nomenclature, de classification, de terminologie, d’évolutionnisme, sont abordées dans un ordre qui évite la redite et nous plonge progressivement dans les distinctions subtiles entre auteurs classiques et entre sous‑disciplines. Drouin restaure les filiations depuis les Grecs jusqu’à la « cladistique » dans un enchevêtrement sans être jamais répétitif ni caricatural. On appréciera cette déconstruction et reconstruction de la botanique qui adopte un plan à la fois historique complexe et thématique, pour finalement retracer les retards et les sauts, les accélérations et les pauses dans cette histoire intellectuelle.

4Le livre est consacré aux obstacles intellectuels et épistémologiques qu’il a fallu surmonter pour obtenir les sciences des plantes que l’on connaît aujourd’hui, comme le signale le sommaire, avec un chapitre sur « nomenclature et consensus » ou encore un autre sur « classer : entre nature et artifice ». À lire cette évolution, on se prend à penser à une voie qui serait toute tracée vers un progrès ininterrompu de la pensée occidentale botanique. Au contraire Jean‑Marc Drouin suggère tout un entrelacs de relations, d’avancées, de pauses et de retours qui remplacent la norme du progrès par l’érudition. Drouin, en reprenant Rousseau, présente cette avancée comme une œuvre collective en montrant « comment les botanistes élaborent des règles de description et de dénomination de leurs objets d’études qui transforment la multitude des observateurs dispersés dans le temps et dans l’espace en un sujet collectif » (p. 242). L’herbier des philosophes ne se réduit donc ni tout à fait à l’histoire des grands hommes, ni tout à fait à celle, nominaliste, d’une catégorie de la réflexion ; il est le produit de l’histoire de ce « sujet collectif ».