Navigation – Plan du site

AccueilNuméros18-2Dossier thématiqueSe préparer pour se dévoiler aux ...

Dossier thématique

Se préparer pour se dévoiler aux abeilles

Preparing to unveil yourself to the bees
Preparándose para revelarse a las abejas
Sich darauf vorbereiten, den Bienen ohne Schleier zu begegnen
Pascale Moity-Maizi et Anna Dupleix-Marchal

Résumés

Un travail d’enquête auprès d’apiculteurs professionnels dans les Pyrénées françaises nous a permis d’observer et d’analyser des situations d’activités apicoles particulières. Ces apiculteurs travaillent au rucher sans les protections habituelles en apiculture (voile, gants, combinaison). Le réseau de pairs qui fait l’objet de cet article partage la même ambition d’interagir avec les abeilles pour pouvoir mieux collaborer. Leur choix repose sur une connaissance spécifique, sur une conception relationnelle et sensible de l’apiculture mais aussi sur des actes qui préparent l’humain et l’abeille à interagir. Ces actes de préparation marquent une posture professionnelle et une relation au vivant. Il s’agit ici d’étudier en quoi travailler sans combinaison, en exprimant une conception des abeilles et des relations qu’il est possible d’entretenir avec elles, transforme les façons de penser et de faire de l’apiculture.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Les activités de préparation qui font l’objet de cet article ont été observées auprès d’apiculteurs professionnels qui se présentent comme des expérimentateurs. Ceux-ci ont initié différentes actions dont la plus remarquable est de travailler dévoilés au rucher, leur corps au contact direct des abeilles. Certains travaux ont étudié le rôle des vêtements de protection – la combinaison, les gants, le voile – dans les interactions humains-abeilles (Armstrong, 2016 ; Green & Ginn, 2014). Le premier effet recherché par l’apiculteur est de limiter l’exposition physique à des milliers d'insectes qui peuvent le piquer : recouvert d’une combinaison, il se protège. Cependant, une question se pose : comment entrer en contact quand on est recouvert de la tête aux pieds d’une armure imperméable et lourde qui masque le regard et limite le toucher ? Habillé, l’apiculteur a les sens altérés, aura tendance à se déplacer de manière moins précise, à être moins prudent dans ses gestes, au risque d’écraser des abeilles qui libèrent alors la phéromone d'alarme (Armstrong, 2016). Toutefois, pour se dépouiller de ses protections, l’apiculteur doit penser et agir différemment.

2Dans la lignée des travaux de J. Butler (2004), certaines recherches ont analysé l’absence de protection, chez des apiculteurs en Angleterre, comme une façon de se rendre tout aussi vulnérables que leurs abeilles, et d’assumer ainsi les risques liés à une cohabitation avec les non humains (Green & Ginn, 2014). Cependant, ces travaux n’interrogent pas les conditions ou les modalités qui orientent la décision de se dévoiler et précèdent l’activité des apiculteurs au rucher. Notre recherche s’inscrit ainsi dans cette perspective qui interroge des conceptions les risques du métier et de la vulnérabilité partagée. Mais elle la prolonge en s’interrogeant sur les motivations à agir sans protection pour travailler au rucher et en se concentrant, ici, sur les préparations qui rendent possible des interactions entre humains et abeilles sans la médiation de la combinaison ou du voile protecteurs.

  • 1 À travers ce terme, les apiculteurs entendent une préparation à être attentifs aux vibrations des a (...)
  • 2 À travers ce terme, les apiculteurs entendent : prendre conscience de leurs intentions d’action au (...)

3Travailler sans voile, on le verra, influe sur la qualité des interactions avec les abeilles et engage l’apiculteur dans une relation différente avec son cheptel : le souhait est d’aborder les abeilles comme des collaboratrices et non comme des moyens de production ou des marchandises agricoles (Mugnier, 2023a). L’enjeu de ce dévoilement est de leur accorder une attention totale et sans barrière, pour s’en rapprocher, pour mieux les comprendre, et afin de réduire les sources de stress et améliorer leur bien-être. En somme, collaborer de manière plus intime avec les abeilles amène ces apiculteurs à se détacher de certaines médiations matérielles et prescriptions courantes en apiculture professionnelle. Cette double dynamique de détachement et d’attachement (Goulet & Le Velly, 2013) qui contribue à reconfigurer les rapports au vivant, suppose à la fois des actes de préparation (matérielle, cognitive, physique, biologique, sensible1 ou énergétique2) qui précèdent une intervention sur un rucher, mais aussi des gestes qui accompagnent certains actes techniques communs de leur métier (tels que retirer des cadres, vérifier l’état du couvain, sélectionner des reines). L’enjeu alors est de se préparer à ces collaborations tout autant que d’y préparer les abeilles (Mugnier, 2023a). Ces préparations au travail sans voile varient peu d’un apiculteur à un autre. Nous les avons prises d’autant plus au sérieux qu’elles nous ont été révélées dans le cours de l’enquête comme des choix qui traduisent un autre rapport au vivant, au travail et à l’économie de la filière.

  • 3 Selon B. Morizot (2020, p. 275), « le souci politique des interdépendances écologiques n’est pas qu (...)

4Notre cadre d’analyse s’appuie sur une approche empirique soucieuse de relever et comprendre, en situation de travail, les décisions et actions préalables à l’intervention proprement dite sur une ruche. Nous nous sommes intéressés aux relations de travail en apiculture en y intégrant, dans la lignée des travaux de D. Van Dam (2019), l’analyse des interactions particulières entre apiculteurs et abeilles, en particulier lorsque ces derniers se revendiquent d’une apiculture bienveillante. Par ailleurs, les concepts d’interdépendance écologique3 et de collaboration interspécifique (Morizot, 2020 ; Kosut & Moore ,2014) nous ont permis d’interpréter ces actes de préparation à l’activité apicole comme des étapes qui engagent les individus et les abeilles dans un processus où s’expriment leur dépendance réciproque et leurs singularités propres. Ces deux notions permettent également de comprendre ce qui, du point de vue de ces apiculteurs, fonde leurs conceptions des abeilles et des relations interspécifiques qu’ils construisent avec elles : ces actes de préparation autorisent des formes de collaboration qui les font accéder à des états de conscience et à des connaissances qui transforment leurs façons de penser et de faire de l’apiculture, et plus largement leur rapport au monde. Ces préparations marquent la volonté de réaliser autrement l’activité apicole. Selon ces apiculteurs, elles ont le pouvoir de transformer leur métier, en l’inscrivant dans d’autres rythmes et temporalités, en instaurant d’autres relations aux abeilles et aux savoirs apicoles, en les plaçant enfin dans d’autres logiques de production.

5Après avoir présenté le cadre empirique de cette enquête et nos interlocuteurs, nous présenterons quelques-unes des conditions et compétences apicoles qu’exigent le choix et les risques du travail sans voile, une pratique que les apiculteurs modulent selon certains signaux. Tout en recueillant leurs discours en situation d’actions, nous avons aussi accordé une attention particulière aux gestes et postures qu’ils adoptent lorsqu’ils sont en prise avec leur environnement matériel et vivant. Pour garantir la qualité relationnelle de leurs collaborations, nous verrons qu’ils assument la nécessité d’une part d’incertitudes liées à la complexité du vivant ou aux intentions des colonies. Nous montrerons ensuite que travailler sans voile et s’y préparer repose sur des apprentissages sensoriels ainsi que sur des savoirs plus formels (en éthologie, en génétique, en menuiserie, en techniques de communication dans différentes dimensions - sensibles, instinctives, orales, gestuelles) qui se construisent à partir d’expériences individuelles, mais aussi de formations et d’échanges entre pairs, où interviennent des figures de référence reconnues pour leur maîtrise des relations sensibles au vivant en apiculture. Pour cet article, nous avons sélectionné quelques actes de préparation dont certains sont envisagés comme des rituels qui permettent d’accéder aux abeilles librement et sereinement. Leurs fonctions varient : certains actes permettent de se mettre dans un état d’esprit favorisant la communication entre espèces, d’autres de garantir un confort du travail et de réduire les risques d’attaques, d’autres encore de percevoir les conditions et l’état des colonies avant d’intervenir et de les préparer à l’interaction. Les préparations se révèlent comme telles par leur régularité, leur intentionnalité, ou encore par leur position particulière et variable dans l’espace et le temps de l’activité apicole, parfois bien avant celle-ci et dans un autre lieu. Elles se distinguent des ajustements tels qu’ils sont définis par exemple par E. Saillot (2022) qui s’exercent dans le cours d’action et ne sont pas anticipés. Nous verrons que ces préparations concernent autant l’espace du rucher que les ruches et les abeilles et qu’elles associent étroitement postures, gestes et langage, et qu’elles combinent différentes formes de communication.

6Enquêter pour comprendre ce que signifie « se préparer » pour ces apiculteurs nous ouvre un univers d’actes inattendus, qui anticipent et font advenir des situations d’actions apicoles particulières. Ces situations permettent plus largement d’identifier de quoi est faite l’apiculture bienveillante que ces professionnels revendiquent. S’intéresser à ces préparations, évoquées dès nos premières rencontres, nous oblige alors à déborder du cadre formel que l’on a l’habitude d’observer ou de mettre en récit quand on traite du travail apicole pour s’intéresser à ses entours. Nous pouvons alors accéder aux objets, aux gestes mais aussi aux relations et aux valeurs qui fondent la réalité de l’activité de nos interlocuteurs. Travailler sans voile nous est apparu comme une singularité évidente de cette dernière. Or, c’est par la découverte des préparations qui autorisent le travail dévoilé au rucher que nous accédons à une autre compréhension de ce qui distingue fondamentalement cette activité apicole partagée par un collectif : se donner les conditions d’un travail centré sur les soins réciproques, permettant de transformer les façons de penser et de construire, dans l’action, les relations entre apiculteurs et abeilles.

Une démarche ancrée

  • 4 C’est ainsi que nous qualifions cette pratique. Mais les apiculteurs utilisent leurs propres expres (...)

7Comment sommes-nous arrivées à enquêter sur le dévoilement4 de certains apiculteurs ? C’est en 2022, lors d’une enquête hivernale, que nous avons rencontré quatre apiculteurs professionnels qui vivent de leur activité apicole, en Ariège et dans les Hautes-Pyrénées. Dans la continuité d’une recherche conduite depuis 2017 (Dupleix et al., 2023 ; Regert, 2019), nous les interrogions au départ sur les liens qu’ils établissaient entre leurs types de ruche et la santé des colonies avec un objectif : identifier les éventuelles adaptations techniques de la ruche en réponse aux événements climatiques ou autres changements environnementaux perçus.

  • 5 Le recueil de récits d’expériences a été couplé à l’observation participante et à l’entretien en si (...)
  • 6 L’expérience personnelle d’une approche des abeilles sans protection, de notre part, ne fait pas l’ (...)

8Dans les récits de leurs trajectoires5 et de leurs pratiques, certains apiculteurs précisent qu’ils travaillent désormais sans voile. Cette évocation retient notre attention, non seulement parce qu’ils nous invitent à en faire autant pour nous dévoiler avec eux au rucher, mais aussi parce que, dans leurs discours, c’est l’abandon des vêtements de protection qui, en réduisant leur distance avec les abeilles, les oblige à y être plus attentifs et les amène à se mettre en harmonie avec elles pour agir dans une interdépendance assumée. À notre tour, nous laissons de côté notre objet d’étude initial, à savoir la ruche comme outil d’intermédiation entre l’homme et l’animal, pour nous consacrer à cette apiculture sans voile, en nous y préparant avec eux6. Nous sommes revenues sur ces évocations dans une seconde vague d’entretiens (en saison, cette fois) à laquelle ils ont consenti, avec l’objectif d’observer simultanément les gestes et techniques au rucher ainsi que la relation physique qu’ils entretiennent avec leurs abeilles quand ils travaillent sans protection. Nous avons alors partagé leurs expériences en décidant d’appréhender les actes de préparation à l’activité apicole dévoilée comme un nouvel objet d’enquête. Comment, à partir de quels indices et de quels apprentissages, ces apiculteurs peuvent-ils agir sans protection ? Quelles mises en conditions physiques et psychiques, ou quels types de signaux – des abeilles, de leur environnement, de leur propre corps – les autorisent à travailler au rucher et à prendre soin des abeilles sans craindre d’être piqués ?

  • 7 Nous faisons référence ici à la définition du concept de « groupe alternatif » proposé par Demeulen (...)
  • 8 Catherine Ballot-Flurin apicultrice dans les Hautes-Pyrénées (Maubourguet) a créé une entreprise, q (...)

9Ces quatre apiculteurs forment un réseau de pairs dont les chemins se sont croisés au moment de leur conversion à l’apiculture. L’un d’eux a accueilli les autres pour se former. Ce panel s’est enrichi d’un autre apiculteur, habitant dans les Hautes-Pyrénées, qui ne fait pas partie de ce réseau d’apprentissage, mais témoigne d’une proximité de pratiques. Engagés dans un modèle économique commun, contre une apiculture de type industrielle, ils ne se considèrent pourtant pas comme des défenseurs d’un modèle alternatif7, mais comme des professionnels-expérimentateurs. Ils ont chacun adopté, ou testent encore, des formats de ruches différents (Warré, Kenyane, Dadant). Certains d’entre eux ont été inspirés par les défenseurs d’une apiculture douce qu’ils ont connus par la lecture d’ouvrages orientés vers la connaissance de l’abeille (notamment Gatineau, 2006). Ils ont, à des degrés divers et sans se considérer comme biodynamistes, une référence partagée à Catherine Ballot-Flurin8 que nous avons aussi rencontrée.

  • 9 Christophe, initialement professionnel dans une apiculture conventionnelle pendant presque trente a (...)

10À l’exception de l’un d’eux, Vincent, qui aborde l’apiculture comme une activité secondaire, ces apiculteurs possèdent une centaine de ruchers. Ils y travaillent une grande partie de l’année (de février/mars à octobre/novembre) en commercialisant du miel, mais aussi, pour certains, des reines, des essaims, de la propolis, du pollen, ou encore de la gelée royale et des ruches qu’ils fabriquent. Ils ont démarré l’apiculture en s’installant progressivement il y a au moins dix ans (et plus de trente ans pour Christophe) alors que la situation apicole était déjà fragilisée par une surmortalité des abeilles, victimes de crises sanitaires, climatiques et environnementales. Aujourd’hui, ils orientent explicitement leur métier vers une recherche d’autonomie, de l’abeille autant que de l’apiculteur9, perspective que nous avons cherché à préciser au travers de leurs récits, points de vue et pratiques.

11Localisés sur un vaste territoire dans les Pyrénées, ils communiquent entre eux par courriels, téléphone ou rencontres, dans une logique de coopération qui n’est ni formalisée ni stabilisée. Ils forment à ce titre une communauté de pratiques (Wenger, 1998) qui permet, au fil des saisons et de leurs expériences, de diminuer les coûts (en partageant des reines produites en excédent) et le temps de travail individuel (en mettant en commun des ruchers), de s’informer (de risques ou d’opportunités sur les plans matériels, environnementaux, réglementaires, sociaux), ou encore de réduire l’incertitude de certains choix techniques (en comparant leurs pratiques) et les risques liés à la solitude du travail apicole. Cette communauté de pratiques leur permet enfin de se construire une culture professionnelle commune, ouverte sur la possibilité de découvrir et d’évaluer d’autres façons de collaborer avec les abeilles qui tend vers plus d’autonomie, plus de confort au travail et plus de bien-être animal et humain.

Moduler le dévoilement selon les situations d’action

12On ne se dévoile pas systématiquement pour ouvrir les ruches. L’équipement est considéré comme une protection utile, mais encombrante voire handicapante : elle présente le risque d’ignorer les conséquences de l’intervention humaine au détriment du soin à porter aux abeilles. Patrice reconnaît par exemple que lorsqu'il est protégé, ses gestes sont moins précis : « ne serait-ce que sans gants, tu ne fais pas la même chose que lorsque tu es équipé ». Le choix de se voiler partiellement ou en totalité dépend d’abord du type d’action que l’on a prévu d’effectuer. Lorsqu’ils transfèrent des abeilles de ruchettes six cadres vers des ruches dix cadres par exemple (Fig. 1) ou pour répéter une action qui nécessite de secouer les cadres, Patrice et Mathias préfèrent se voiler partiellement (un voile simple sur la tête, sans combinaison ni gants), car les colonies des ruches voisines pourraient réagir à la succession des vibrations perçues. Nous observons aussi qu’ils enlèvent le voile sur un rucher comportant de petits essaims, mais le remettent parfois sur un rucher dont les ruches sont abondantes en abeilles : c’est un va-et-vient de voilement-dévoilement auquel nous assistons. Pour la récolte de miel sur plusieurs ruches successives, tous affirment qu’ils préfèrent se voiler car c’est une intervention longue et brutale, qui consiste à transformer le milieu de la ruche en la vidant de son miel (Florent, Christophe).

Figure 1 : transvasement d’une ruchette

Figure 1 : transvasement d’une ruchette

Légende. Mathias est ici dévoilé pour effectuer cette opération a priori risquée qui consiste à « enrucher » ou transvaser une ruchette six cadres dans une ruche dix cadres. Toutefois, il n’a pas jugé utile de se voiler puisque c’est le dernier enruchement de la journée : pas de risque d’énerver une ruche voisine par les vibrations lorsqu’il va taper la ruchette sur la ruche pour y faire tomber les dernières abeilles.

Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal

13Ne pas se vêtir d’une combinaison, agir sans voile, ne relève pas d’un dogme, mais d’une décision en situation, soumise à l’appréciation de l’apiculteur à partir de différents signes. D’ailleurs, pour se rendre au rucher, chacun transporte dans son véhicule une combinaison et des gants accessibles rapidement. Les apiculteurs sont donc en mesure de remettre au moins le voile qui protège le visage (tout en restant bras et mains nus) lorsque les conditions ne sont pas réunies : « le chapeau n’est pas loin. On va voir comment elles se comportent » (Patrice). Ils restent humbles par rapport à cette pratique du dévoilement, conscients des préparations qu’elle exige, des précautions à prendre et des risques qu’elle présente en situation : « il ne faut pas vendre du rêve non plus […] parce qu’en fait tu ne sais pas où tu vas. Les débutants, je leur dis : elles peuvent te tuer un jour [...] même si elles sont super douces et que tu y vas tous les jours sans voile » (Christophe). Faire face aux abeilles n’est jamais sans risque et tout apiculteur se sent démuni face à la piqûre d’abeille : « au visage, ce n’est pas le top de se faire piquer […] et puis, est-ce que tu as envie de ressembler à Elephant man ce soir ? » (Mathias). Agir sans combinaison ou sans voile n’est donc pas conseillé aux non-initiés, car c’est un choix qui repose à la fois sur une expertise empirique de l’apiculture et sur des actes de préparation qui permettent d’y arriver.

Apprentissages pour un modèle productif relié au vivant

14Les apiculteurs que nous avons suivis se sont installés à leur compte après dix ans de pratique environ auprès d’autres professionnels. A tâtons, ils ont pris le temps de multiplier les expériences dans des formes d’apiculture parfois très différentes de celle qui les réunit aujourd’hui et sans idée précise du modèle qu’ils suivraient plus tard. Florent, suivant le titre du premier ouvrage qu’il avait lu sur l’apiculture (Javaudin, 2016), s'est lancé dans l'apiculture professionnelle après avoir d’abord envisagé qu’il n’aurait que deux ruches dans son jardin pour y défendre sa conviction d’une autonomie à retrouver (la sienne et celle des abeilles). Vincent se sent investi d’un « autre rapport avec les abeilles » qui ne s’exprime pas seulement en termes de volume de miel produit : il est conscient d’être passé d’un « élan d’orpailleur » à une relation privilégiée avec l’abeille qui l’a également fait évoluer dans d’autres domaines, au-delà de l’apiculture. Tous sont aussi passés par une phase initiale du métier sans gros investissement de départ, pendant laquelle le manque de matériel ou l’équipement rudimentaire les contraignaient à prendre plus de temps sur les opérations quotidiennes au rucher : aujourd’hui encore ils réduisent les dépendances financières et matérielles, en bricolant leurs propres outils : « Je vais mettre 15 à 20 min de plus que mon collègue qui a la grue dernier modèle, qui coûte TTC 12 000-16 000 €, alors que la grue que j’ai fabriquée est moins pratique mais elle m’a coûté 400 € ; la nuance est là » (Patrice).

  • 10 Les abeilles étant considérées comme des sujets collaborateurs et non comme des travailleuses moder (...)

15C’est dans ce processus d’apprentissages et de familiarisation, avec peu d’intermédiation technique, qu’ils sont parvenus à prendre la décision d’entrer en relation directe, sensible, avec leur cheptel. À l’écoute de leurs colonies, d’une ruche à l’autre et d’un rucher à un autre, ils ont tissé cette relation humain-non humain au fil du temps pour se penser et agir aujourd’hui dans un travail d’égal à égal entre l’individu et ses abeilles10, où chacun est capable de réagir aux conditions de l’environnement et à l’interaction elle-même.

  • 11 « Taper » est le verbe utilisé par ces apiculteurs pour parler d’attaques, car c’est le bruit qu’on (...)

16Chez Mathias, c'est l’observation régulière – attentive, à l’écoute – des comportements variés des abeilles qui a déclenché son dévoilement comme preuve de détachement matériel renforçant son attachement au vivant : « Plus ça allait, plus je voyais qu'elles ne tapaient plus11 ; c’est comme si elles me le demandaient au final ». Il reconnaît par ailleurs qu’il a une affinité particulière avec le rythme lent de la nature et de l’animalité en général : « Moi, je n’ai pas un caractère à speeder. Jamais je n’ai été comme ça, je ne sais pas faire. Je ne suis pas bien dans ma peau quand il s’agit d’aller vite parce que je suis vraiment ça, juste un animal ». Certains apiculteurs se sont inscrits dans des parcours d’installation aidée, donc encadrés et contraints à des retours sur investissement à court terme (quatre à cinq ans). Ce choix limite les options non normatives du métier, telles que travailler sans voile, prendre le temps qu’il faut pour communiquer avec le cheptel, ou encore adopter des ruches différentes du modèle standard (Dadant). Toutefois, ils ont choisi de résoudre le problème économique de la rentabilité de leur exploitation « ailleurs », « pas sur le dos des abeilles […] parce que, quand tu leur fous la pression, c’est elles qui paient. Ce sont elles qui en partie ont acheté le matériel » (Patrice).

17Ils développent ainsi des débouchés commerciaux qui valorisent leurs miels. La majorité se conforme aux prix du marché des miels certifiés AB. Ils vendent aussi leurs produits dans des régions plus au nord ou dans des réseaux de proximité territoriale et sociale. Ils limitent, enfin, les charges d’exploitation (réduction des parcours de transhumances) afin de construire et de pérenniser leur autonomie, mais aussi celle des abeilles. En étant moins productive, cette apiculture qu’ils qualifient de douce, bienveillante et lente, mais aussi plus autonome, incite donc à valoriser d’autres ressources produites par ou pour les abeilles (propolis, gelée royale, pollen, cire, reine, essaim, ruche). Ils se forment progressivement aux connaissances particulières que ces autres productions exigent, auprès de pairs ou d’experts en sélection, en menuiserie ou encore en production de gelée royale. Et quand de futurs apiculteurs se présentent à eux, leur principale préoccupation est de les avertir qu’aujourd’hui on ne peut plus vivre exclusivement de ce métier sans proposer différents produits sur le marché et sans mettre en question le sens même de cette relation avec le vivant (Christophe). 

Préparer le travail sans voile : organiser l’espace et adapter la ruche

  • 12 Organisation et répartition spatiales rappellent ici l’agencement des ruchers sur un territoire, an (...)

18Les apiculteurs qui optent pour des interventions sans voile au rucher sont sensibles à la répartition des ruches dans l’espace12. Ils interviennent d’abord en créant une distance entre les ruches pour avoir la possibilité d’être en contact physique avec chacune et d’avoir une bonne amplitude de mouvements. Cette organisation de l’espace procure du confort et autorise à se mouvoir librement, mais aussi à agir lentement (pour sortir les cadres ou seulement observer la colonie) sans risquer d’être attaqués par les abeilles d’une autre ruche trop proche. Florent a rapproché ses abeilles de son domicile, en même temps qu’il souhaite réduire ses coûts et son empreinte carbone en limitant ses transports. En s’organisant ainsi, il a créé un habitat où humains et non-humains peuvent vivre et collaborer, dans le respect d’une interdépendance qui garantit aussi à chacun son autonomie. Tous ajustent également la hauteur de la ruche sur des parpaings ou des socles en bois pour travailler debout et non à demi-penché, évitant de cette manière des actes brutaux ou hâtifs souvent causés par des douleurs dorsales (Fig. 2b) : « si on est cassé, le dos plié en deux, la pratique est un peu faussée... », explique Christophe. Ils orientent ensuite les entrées des ruches pour pouvoir intervenir sur chacune d’elles par l’arrière. Ils veillent par ailleurs à ce que l’environnement combine ombrage, abondance de la diversité florale (qu’ils entretiennent) et parfois même une belle vue sur le paysage (Fig. 2a). Vincent, dont certaines ruches sont au contraire accolées les unes aux autres, reconnaît qu’il doit justement rester en combinaison pour pouvoir intervenir sur ce rucher. Pratiquer une apiculture dévoilée nécessite donc de préparer l’espace pour qu’il garantisse aux abeilles un confort à vivre dans et autour de leur habitat, mais aussi un confort au travail de l’apiculteur lui autorisant des gestes plus mesurés.

Figure 2 : le rucher de Christophe

Figure 2 : le rucher de Christophe

Légende : a. (gauche) Belle vue depuis le rucher de Christophe dont les ruches sont ajustées à hauteur pour pouvoir travailler confortablement, le dos bien droit, et sans voile. L’espace à côté y est dégagé pour intervenir confortablement (b.) (droite)

Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal

  • 13 L’adaptation de cette ruche au climat tempéré fait toutefois l’objet d’une controverse technique pa (...)

19Certains façonnent également leurs propres ruches selon différents formats qu’ils ajustent afin de faciliter une pratique peu interventionniste sur le cycle biologique de l’abeille. En effet, les ruches conventionnelles à cadres de type Dadant ou Langstroth qui dominent le marché de l’apiculture professionnelle impliquent beaucoup d’interventions humaines. Les conditions matérielles de vie des abeilles y sont éloignées des conditions naturelles et seraient de ce fait sources de stress et d’agressivité. Florent a ainsi choisi la ruche Kenyane pour redonner de l’autonomie à l’abeille : elles y bâtissent leurs propres rayons de cire et y sont plus aptes à thermo-réguler un volume plus restreint13. Dans ce type de ruche, seules des barrettes en bois (Fig. 3c), avec ou sans amorce de cire, sont proposées aux abeilles. Les rayons qu’elles façonnent ont alors une forme trapézoïdale sans être fixés aux parois de la ruche. Selon Florent et certains auteurs, ces cadres permettent plus de vibrations qui assurent des fonctions de communication dans la colonie et favorisent la santé des abeilles (Tautz, 1996). La configuration de la ruche Kenyane (forme horizontale) facilite aussi le travail sans voile, car seule une partie de la colonie est « mise à nu » lors de l’ouverture de la ruche. Elle est donc peu perturbée (Fig. 3a). D’autres apiculteurs travaillent en ruches Warré pour les mêmes raisons : avoir des abeilles autonomes, qui récoltent le nectar sans attendre le sirop de « nourrissement » que leurs distribuent les humains. Catherine innove avec une ruche Kenyane hybride (Fig. 3c) qu’elle a conçue comme un compromis technique entre la ruche Kenyane classique et la ruche Dadant et qu’elle fait fabriquer dans l’atelier de menuiserie de l’entreprise Ballot-Flurin®. Ces apiculteurs conçoivent donc la ruche comme un habitat modulable, un objet intermédiaire (Vinck, 2009) qui doit favoriser le bien-être et le cycle biologique de l’abeille, qui prépare également la possibilité de leur propre dévoilement et d’interactions de proximité.

Figure 3 : ruches Kenyane et ruches hybrides

Figure 3 : ruches Kenyane et ruches hybrides

Légende : Ruches Kenyane de Christophe (gauche, a), Catherine (milieu, b) et ruches hybrides de Catherine (droite, c). Toutes plus propices au travail sans voile parce que les abeilles y fabriquent leur propre cire à partir d’une barrette (droite, c). Elles y sont donc plus calmes.

Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal

Préparer l’intervention au rucher : avertir plutôt qu’alerter

20En apiculture, enfumer la ruche est un acte courant pour avertir et préparer les abeilles à l’ouverture de la ruche. Les abeilles quittent alors les têtes de cadres pour descendre au fond de la ruche, ce qui facilite la manipulation des cadres. La fumée constitue un accessoire de protection de l’humain en même temps qu’elle modifie le comportement des abeilles qui vont se préparer au départ, car la fumée est un « signal d’alerte au feu » (Patrice) qui active une mémoire comportementale : les abeilles vont se gorger de miel pour constituer leurs réserves en vue de quitter la ruche apparemment menacée d’incendie. Pourtant, lorsqu’ils décident de travailler sans voile, les apiculteurs limitent le recours à l’enfumoir. Ils cherchent alors à limiter ou éviter ce qu’ils estiment être un facteur de stress. La fumée ne doit être qu’un signal rapide d’avertissement d’une présence humaine : en étant moins abondante, elle informe plutôt qu’elle n’alerte. Pour ceux qui en réduisent l’usage, la fumée n’est pas nécessaire pour se défendre des risques d’être piqués puisque c’est la moindre quantité de fumée associée à la lenteur et à la précision attentive de leurs gestes qui les protègent de réactions violentes.

21La fumée a cependant valeur de « premier test » du tempérament de la colonie, de son aptitude à être visitée ce jour-là : selon sa réaction « au tout petit coup de fumée à l’entrée » (Patrice), l’apiculteur va alors décider d’ouvrir ou non la ruche. C’est par analogie l’équivalent de taper à la porte avant d’entrer ou du petit coup de frappe évoqué par Marc Gatineau (2006), un apiculteur dont l’ouvrage a inspiré Christophe :

Moi, je glisse le lève-cadre. Je décolle d'un côté. Je reprends l’enfumoir et je donne un petit coup de fumée en haut, mais Gatineau, lui, il tapotait la planche d’envol. Si les abeilles lui sautent sur le doigt, ce n’est même pas la peine [d’ouvrir]. Si elles viennent et qu’elles repartent, c’est limite. Tu tapotes et il ne se passe rien : là, tu peux ouvrir.

22Le maniement de l’enfumoir lui-même est prudent, suivant une gestuelle lente et délicate, afin de produire une fumée indirecte ou peu abondante pour limiter le stress et la sur-consommation de miel des abeilles (« parce qu’elles s'en gorgent au signal d’alerte »). Dans une relation de confiance, à l’occasion d’une simple visite de ruche (pour vérifier que les reines sont bien là par exemple), on peut même oublier l’enfumoir : « depuis le début de saison, je n’enfume presque plus. J’oublie mon enfumoir. Elles sont tellement cool... Je crois que c’est lié aussi à moi, mon énergie avec elles » (Mathias). Les apiculteurs sélectionnent aussi les combustibles pour leur « douceur » ; par exemple des granulés de pailles de lavande et de luzerne. Cette conception de l’enfumage conduit finalement à se détacher de l’outil pour mieux s’attacher les abeilles et l’acte d’enfumer, qui prépare toute intervention dans une ruche, est repensé, ajusté, voire éliminé quand on a choisi de travailler sans protection.

Se préparer à être attentif : accorder les rythmes et temporalités

23Nos interlocuteurs jugent qu’ils peuvent se dévoiler si trois conditions sont réunies lors de la visite au rucher : la colonie paraît calme quand on ouvre la ruche ; l’environnement ne présente pas d’éléments météorologiques défavorables ni de perturbateurs extérieurs (bruits) ou énergétiques (en référence au calendrier biodynamique) ; enfin, eux-mêmes se sentent calmes et sereins, en capacité de prendre le temps d’une communication (orale ou silencieuse et gestuelle) avec les abeilles, avant ou au moment de l’action. Le dévoilement implique donc une étape préalable d’évaluation de ces conditions, qui requiert une analyse sensible de la situation, par de simples observations ou parfois aussi par la médiation d’un calendrier lunaire.

24Avant d’aller au rucher, l’apiculteur vérifie que les prévisions météorologiques sont favorables au rythme biologique de l’abeille : un temps chaud, ensoleillé et sans vent favorise les miellées et autorise à travailler sans voile puisque l’environnement est exempt de stress et que les abeilles sont occupées à la collecte. Ces apiculteurs sont également sensibles aux « influences cosmiques qui agissent [dès l’ouverture] à l’intérieur de la ruche » (Christophe), laquelle est avant tout un lieu d’obscurité où les abeilles sont à l’abri de la « lumière solaire » (Christophe). Ils témoignent néanmoins d’un sens critique vis-à-vis de certains principes de ce calendrier, qu’ils considèrent parfois comme des croyances qui « limitent la pensée [et l’action] libre » (Patrice). Tous réalisent librement un arbitrage entre ces prescriptions biodynamiques, les conditions de milieu et leur propre calendrier de travail qui intègre des impératifs techniques précis, notamment en période d’élevage de reines ou de production de gelée royale.

25Ils évitent cependant d’aller au rucher les jours « en pointillés », représentation symbolique des nœuds lunaires. Ces ponctuations agissent comme des phases de respiration pour l’apiculteur lui-même, dont il profite pour mieux se préparer à travailler les jours favorables : « tiens, il y a une journée défavorable, je ne vais donc pas aux ruches même s’il fait beau, il y a autre chose qui se passe et ça laisse du temps pour se préparer » (Mathias). Cet arbitrage entre injonctions dé-contextualisées et impératifs de situation, oriente donc aussi leur décision de se dévoiler pour intervenir :

Quand tu es apiculteur professionnel, il y a des jours, il faut que tu ailles aux ruches [...] : il m’est arrivé d’avoir un parapluie au-dessus de la ruche pour pouvoir introduire des cellules, car là, ce n’est pas les mêmes conditions. Tu ne peux pas dire, je vais y aller sans voile. Tu leur demandes leur avis ; elles ne sont pas d’accord si tu les ouvres alors qu’il fait froid et qu’il pleut... Et puis, ces jours-là [de mauvais temps], tu as toutes les abeilles qui sont dans la ruche : les gardiennes, les butineuses, les vieilles, etc. Alors qu’aujourd'hui, les abeilles butinent donc elles s'en foutent qu'on soit là. (Patrice)

26Par ailleurs, lorsqu’ils arrivent sur le rucher, les apiculteurs sont attentifs à leur propre « état intérieur » (Sophie). Pour y parvenir, ils pratiquent une introspection préparatoire, inspirée par des expériences personnelles et par les principes d’une « apiculture douce » développés par Catherine Ballot-Flurin. Ils expérimentent différents outils qui jouent sur l’aspect vibratoire ou énergétique des mouvements et de l’environnement.

  • 14 Ses premières étiquettes de pots de miel ont un dessin de flûte, signe de la valeur qu’il attribue (...)

27Selon Christophe, la colonie présente des aspects similaires à ce qui définit l’énergie en médecine chinoise : fluide, chaude, vibrante, en mouvement : « Ces gestes lents, c’est un peu cette boule d’énergie qu’on a entre ses mains en tai-chi. C’est un peu ça qu’on sent avec les abeilles. On s’adresse rarement à une abeille mais à un groupe, un pool d’énergie, qui est là, bouillonnante, chaude, vibrante » (Christophe). Mathias et Patrice utilisent occasionnellement le pendule pour choisir les emplacements et vérifier l’état vibratoire du rucher. Mathias qualifie sa pratique d’instinctive, proche du magnétisme : « C’est complètement instinctif. Je l’ai toujours dans la voiture [le pendule]. Je le fais quand j’en ai envie. Je me dis que ça apporte quelque chose, peut-être une forme de magnétisme. On magnétise un peu les ruches au final ». Jouer de la flûte en arrivant au rucher ou faire tinter un bol de cristal (Fig. 5a) sont des actions qui ont accompagné et détendu Vincent et Mathias au début de leurs apprentissages de l’apiculture ; c’est, selon Vincent, une autre façon de se concentrer mais aussi de prévenir les abeilles sur le plan vibratoire14.

28Enfin, c’est le toucher direct des abeilles à main nue (Fig. 4a), en ouvrant la ruche, qui leur permet de sentir leur état, leurs vibrations et de s’accorder rapidement à elles. Force est de constater qu’ils jugent tous utile de nous signaler ces actes préparatoires occasionnels comme fondateurs d’un état d’esprit, d’une façon de vivre au quotidien, d’un lien privilégié avec leurs colonies, qui les animent et marquent leurs trajectoires professionnelles. Ces actes ne suivent pas un protocole de préparation proprement dit (qui ferait fi des conditions de milieu et d’interaction) : « C’est de l’improvisation ce geste. Ça vient avec le temps », nous dit Mathias qui passe une main sur les abeilles avant d’intervenir. C’est une diversité de paramètres ou de signaux, devenus accessibles par ces actes préparatoires, qui orientent, en situation, la décision d’agir sans protection et qui permettent à l’apiculteur d’entrer en contact direct avec la colonie pour collaborer.

29Nos entretiens ont lieu en période d’essaimage, période pendant laquelle l’apiculteur doit passer en revue chacun des cadres pour en enlever les cellules royales pondues ou pour les récupérer afin de constituer d’autres essaims. Cette tâche nécessite dans tous les cas de passer du temps à chercher la reine. Mathias, qui possède entre 200 et 300 ruches prend en moyenne dix minutes par ruche (soit six ruches par heure et donc un rucher de 25 ruches en une demi-journée). Lui qui reconnaît « être à la bourre cette année » ne déroge pourtant pas à la lenteur de ses gestes : « [il] faut prendre le temps, faire du cas par cas, pas d’urgence, pas tout faire en même temps. C’est vraiment ce truc de maladie de société : tout faire en même temps ». Pour lui, seule cette « apiculture tranquille » a du sens : « c’est la vraie apiculture ». En se détachant de l’urgence temporelle qui caractérise les activités agricoles en général, l’apiculteur prend le temps de laisser les abeilles lui révéler la reine plutôt que de les chasser pour la trouver plus rapidement. Ses gestes lents garantissent l’établissement d’un lien physique avec la colonie que l’apiculteur prolonge en diversifiant les formes visibles et invisibles de communication. Mathias caresse les abeilles sur les cadres et entre en communication vibratoire avec elles : il manifeste ainsi son intention d’intervenir dans la ruche. Florent les calme par les mains qu’il pose sur les barrettes « et je leur dis : c’est moi » (Fig. 4b). Il associe son geste à une parole audible en s’adressant parfois à une abeille en particulier : « bouge, bouge, cocotte », dit-il en refermant la ruche alors que les autres autour sont susceptibles de le piquer, ou en s’adressant à l’ensemble (« les filles »). Mathias leur rappelle la relation de filiation qui se construira inéluctablement avec l’introduction d’une reine : « ça fait longtemps qu’elle est bourdonneuse, ça s’entend bien. Elle n’a pas de maman. Je vais vous en donner une de maman, une super maman ». Sans réciprocité verbale, ils se sentent toutefois entendus : « elle m’a peut-être piqué parce qu’on a parlé de piqûre », dit Christophe à la suite d’une piqûre inattendue. Catherine considère que les abeilles « savent ce qu’elles veulent me faire quand elles me piquent [car] elles piquent même à travers une combi étanche quand elles en ont l’intention ». Réciproquement, « si je ne me sens pas bien dans ma tête, mais qu’il faut que j’y aille, consciemment à l’intérieur de moi, je vais prévenir. C’est une communication invisible par la pensée, mais ce n’est pas scientifiquement prouvé » (Mathias). Une double intentionnalité (entre l’humain et l’animal) est donc au cœur de ces échanges qui précèdent et préparent l’intervention technique.

Figure 4 : relation aux abeilles

Figure 4 : relation aux abeilles

Légende. (gauche, a) Mathias caresse les abeilles sur les cadres. Florent les salue par le toucher. (droite 4.b)

Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal

30La communication n’est pas toujours audible ou visible. C’est à l’apiculteur de nous traduire en mots son expérience, au risque de rester incompris :

Des fois, la communication ne s’opère pas. Hier, il s’est passé pas mal de choses, avant-hier, non. Pourquoi ? Je ne sais pas. C’est par la réponse que je reçois d’elles que je sais si la communication a été établie ; mais la société m’empêche de prendre ça en compte, par les chiffres, les résultats  (Mathias).

31Pour Catherine, les gestes techniques apicoles, comme celui d’introduire une reine, doivent être accompagnés du langage qui « prépare cet état exigeant qui permet d’être avec les abeilles » proche « d’un état méditatif sans se départir de l’intention qu’on a [de travailler ensemble sans voile] » et il faut le faire savoir, le formaliser.

32Le cahier des charges de l’Apiculture DOUCE®, récemment mis au point par l’équipe qualité de l’entreprise Ballot-Flurin®, mais auquel nous n’avons pas eu accès, intègrerait ainsi de nouvelles règles permettant d’objectiver la nécessité de demander l’accord des abeilles, de les questionner, ou encore des points de contrôle vérifiables afin de ne pas intervenir « quand les abeilles ne sont pas en état » (Catherine). Une visite aux ruches est pour Catherine une expérience qui mobilise l’ensemble du corps et de l’esprit : elle nous y prépare en nous invitant à nous déchausser. Pieds nus, nous prenons quelques instants avec elle pour respirer allongées dans l’herbe tout en restant attentives aux abeilles autour. C’est ainsi qu’elle se prépare pour être à l’écoute de l’énergie vibratoire d’une colonie et décider d’ouvrir ou non une ruche : « celle-là a l’air occupée à bâtir » (elle ne l’ouvrira pas). Tous les sens sont donc convoqués dans ces moments de communication parfois qualifiés de « communion avec le vivant » qui préparent et anticipent l’action, en particulier quand on décide d’intervenir sans voile.

Assumer les dilemmes de la sélection pour préparer une collaboration apaisée

33Pour travailler sans voile, ces apiculteurs ont aussi en commun de vouloir orienter la génétique de leur cheptel au travers d’un travail préparatoire de sélection de reines chargées de produire pour eux des abeilles douces et dociles « [qui] ne font pas de cellule [royale], font du miel, passent l’hiver sans nourrissement, sont complètement autonomes, hyper homogènes : c’est une crème cette abeille » (Mathias). Grâce à cette sélection, agir sans voile au rucher présente moins de risques et les visites de ruches sont moins intrusives. Pour sélectionner ces caractères, ils n’hésitent pas à intervenir sur le cycle de la colonie : éliminer des reines ou les inséminer pour les réintroduire une fois fécondées. Mathias s’est formé, expérimente et partage encore ses expériences de sélection, en rejoignant un réseau local de sélectionneurs qui reproduit les souches autrichiennes et allemandes de l’abeille Carniolienne (Apis mellifera carnica) et dont les actions sont cadrées par le programme de sélection européen Beebreed (beebreed.eu). Il assume ce dilemme apparent entre la recherche d’autonomie de l’abeille et le contrôle partiel de sa génétique. Il justifie en effet ces apprentissages formels de sélection par le fait que ces savoirs et ce collectif lui permettent de mieux connaître les abeilles dans leurs dimensions biologiques, pour aborder la sélection de manière plus réfléchie, plus adaptée aux configurations de ses ruchers et de leurs colonies.

  • 15 Croisement de races.

34D’autres sélectionnent leur souche de façon plus empirique, seuls face à leurs colonies, en observant leurs comportements : « si elles me sautent à la tête ou qu’elles ne tiennent pas bien le cadre, je ne vais pas les choisir » (Patrice). Ils sont aussi attentifs aux traits morphologiques tels que la couleur grise caractéristique de l’abeille carniolienne : « celle-là est beaucoup moins grise, elle a beaucoup d’anneaux oranges. Je ne vais pas la sélectionner parce qu’il y a sans doute des bourdons Buck ou italiens » (Christophe). Ils veulent tous éviter l’hybridation15 qui les empêcherait justement de travailler sans voile : « ce qui est bien avec le travail de sélection, c'est qu'elles y vont cool les colonies, doucement... J’aurais que de l’hybride, ce serait l'agitation totale » (Mathias).

35Florent en revanche travaille davantage avec son intuition que par un contrôle morphologique strict. Lui aussi prend le temps d’observer les comportements pour ensuite sélectionner les reines qu’il gardera pour de nouvelles lignées. Par ailleurs, en intervenant sur la sélection au cas par cas, de manière non systématique et par observations régulières qui favorisent la familiarisation réciproque, Florent est convaincu que les abeilles reconnaissent l’apiculteur qui s’adresse à elles (à l’odeur, au son de la voix, au visage) et sont donc de plus en plus confiantes et calmes. Selon Christophe,

elles me connaissent, me reconnaissent même. La reconnaissance faciale, quand les hommes ont voulu bosser là-dessus, on s’est tourné vers les apiculteurs et vers l’abeille, parce que, elle, elle le fait. Tu peux avoir des lunettes et une fausse moustache, elle sait que c'est toi. L'abeille a des capteurs super subtils qui fonctionnent (Christophe).

  • 16 Remplacer la vieille reine par une plus jeune.

36Enfin, tous, même ceux qui inséminent, veulent conserver « une part de non-contrôle » dans le travail de sélection : « Je laisse au moins 25 % des reines remérer16 naturellement » (Mathias). Ils laissent par ailleurs certaines colonies essaimer, la nouvelle reine être fécondée naturellement et compagnonner avec des abeilles domestiques à l’état sauvage. Se préparer à agir sans voile ne repose donc pas toujours sur une sélection génétique systématique, mais adaptative. Et même si certains, comme Mathias, apprennent à faire de la sélection génétique, ils se détachent en partie de la technique et de ces savoirs formels dans leur approche des colonies. Ils considèrent qu’il est en fait objectivement impossible et dangereux de vouloir tout contrôler du cycle biologique des abeilles : le risque est, comme pour les cultures végétales, de ne sélectionner que des critères réduisant la biodiversité et fragilisant le vivant. Ils font aussi confiance aux abeilles elles-mêmes : « l’abeille a suffisamment de ressources et de moyens. Elle s’est sélectionnée toute seule pendant des millions d'années et, nous, on veut jouer aux apprentis sorciers » (Christophe). En mettant clairement leurs savoir-faire de sélection au service d’interactions apaisées, ils nous révèlent la priorité qu’ils donnent à la densité des relations (entre eux et les abeilles, entre les abeilles des ruches et celles à l’état sauvage), faisant écho à une conception du monde « où vivre consiste à être pris dans et fait par des relations » (Morizot, 2020).

Se préparer pour se rapprocher du vivant et transformer le travail

37En suivant les pratiques des apiculteurs se préparant à travailler sans protection, nous avons mis à jour des savoir-faire spécifiques sur l’action à mener auprès de l’abeille et de son environnement (à l’intérieur et à l’extérieur de la ruche). Ces savoir-faire sont façonnés au fil des expériences et des échanges entre professionnels comme avec les abeilles. Ils organisent et singularisent l’activité apicole, sa temporalité et ses objectifs. On comprend que se préparer à travailler sans voile n’induit pas une maîtrise totale de l’activité apicole. D’abord chaque visite au rucher, chaque ruche elle-même, est l’occasion d’une situation nouvelle et les actes techniques apicoles n’ont pas le caractère routinier qu’impose pourtant la conduite d’un grand nombre de ruches sur différents espaces. De fait, chaque rencontre dévoilée, aussi familière et routinière soit-elle en apparence, présente son lot de contingences, de risques et d’incertitudes avec des comportements parfois inattendus des colonies.

38Mais chacune d’elles est appréhendée comme un ensemble vivant doté d’une intentionnalité, capable de réagir aux variations de l’environnement et de l’humain lui-même, exigeant en retour de l’apiculteur une attention permanente aux abeilles comme à ses propres gestes, autant qu’à son confort et à son plaisir. Intervenir sans voile oblige aussi l’apiculteur à prendre conscience des limites de son propre corps : « tout s’enclenche quand il fait beau et chaud, il faut être à fond, et on s’excite un peu ; et le corps, il faut qu’il suive, mais, des fois, il ne veut pas » (Christophe). Se dévoiler transforme l’apiculteur sur le plan psycho-émotionnel, mais il faut en être conscient, s’y préparer. Christophe et Mathias, qui ont tous les deux pratiqué le yoga et le tai-chi, retrouvent dans la lenteur gestuelle (Fig. 2b) qu’impose le dévoilement les principes et effets de ces gymnastiques sur leurs états de conscience : « ça pourrait être considéré comme une méditation. […] On approche la profondeur en allant dans la lenteur » (Christophe). Cet état de conscience et la lenteur, qu’il favorise, garantissent la prudence et la bienveillance, vis-à-vis des abeilles et de soi-même.

39Le dévoilement crée par ailleurs un lien de proximité au vivant en général, lien retrouvé à chaque ouverture de la saison apicole par Mathias, Vincent ou Florent, lien réactivé à chaque piqûre pour Catherine. La piqûre opèrerait un rapprochement, fondateur d’une empathie inter-espèces à même de faire comprendre à l’homme la souffrance qu’il opère sur le vivant. Ce que revit Catherine à chaque piqûre accidentelle, c’est l’absence de séparation entre humain et non humain. C’est selon elle une expérience de communion avec l’animal, qu’elle recherche par ailleurs avec d’autres moyens. Mathias se remémore son enfance dans un village rural vendéen :

j’ai été sensibilisé, jeune, avec mon grand-père, à la vraie paysannerie, aux petites exploitations […], à faire revivre les cultures d’autrefois, une certaine forme de ruralité. J’y ai découvert l’importance de la relation humaine, des gens […] sans distinction, et avec l’abeille, c’est pareil.

40En se préparant et en préparant les abeilles à leurs interventions sans voile au rucher, les apiculteurs garantissent au fond que chacun agira en connaissance de cause, dans un intérêt réciproque et sans risque. En nous intéressant aux modalités de ces actes de préparation en situation, ainsi qu’aux discours qui les accompagnent ou les justifient, nous accédons finalement à une conception essentiellement relationnelle du métier. Celle-ci met au second plan les ambitions productives de l’activité. Elle prône un engagement du corps, une adaptation du temps de l’action et de la gestuelle aux spécificités de la colonie, comme conditions d’une réponse bienveillante – donc productive et sans risques – des abeilles. Ces actes de préparation comme les actes d’ajustements observés en général dans les relations de soin (Saillot, 2022) permettent d’apprendre à se connaître, de construire une relation de confiance, d’anticiper des imprévus, de mieux travailler ensemble.

Conclusion

41L’anthropologie des techniques intègre en général les actes de préparation d’une activité quand ils sont visibles et explicites, en tant qu’étapes dans l’analyse de chaînes opératoires reconstruites. Ils sont alors abordés sous plusieurs angles : par leurs fonctions techniques, organisationnelles, sociales et symboliques ; mais aussi parfois comme des pratiques qui révèlent des compétences d’anticipation et une maîtrise technique autorisant chaque individu à développer un style (Martinelli, 2005 ; Moity-Maïzi, 2010). Nos observations et les arguments des apiculteurs enquêtés illustrent ces dimensions particulières des préparations. On comprend également que ces dernières reposent sur des apprentissages d’expériences et sur des échanges qui autorisent les individus à se singulariser. Il y aurait donc un style technique, propre à cette apiculture, dans la façon d’intervenir au rucher, mais aussi de préparer les abeilles à l’interaction ou encore son corps devant les ruches avant d’agir.

42Cependant ces actes préparatoires ne sont pas motivés par la perspective d’une reconnaissance ou d’une réputation individuelle. Ils sont justifiés par un objectif commun qu’on peut résumer ainsi : se dévoiler pour se rapprocher des abeilles, pour se relier au vivant, est une façon de s’engager dans des interactions plus confortables, parce qu’elles améliorent le bien-être de chacun des partenaires dans le travail en réduisant les contraintes matérielles, les sources de stress et donc les risques. En outre, ces interactions assument pleinement l’importance de nouer et entretenir des interdépendances interspécifiques, entre humains et abeilles, pour accéder à plus d’autonomie.

43Ces actes de préparation ne suivent aucun protocole qui serait partagé collectivement. Ils relèvent d’abord de décisions individuelles, s’appuient sur des apprentissages et échanges d’expériences, sur une bonne connaissance des abeilles (biologie, comportements collectifs et vibratoires) ainsi que sur des savoirs empruntés à différents registres d’action (sélection génétique, méditation, arts martiaux notamment). S’ils sont jugés nécessaires pour pouvoir agir sans protection au plus près des abeilles, ces savoirs ne sont ni l’objet d’une transmission formelle ni revendiqués auprès d’autres professionnels apicoles, ni directement valorisés sur le marché. De plus, les apiculteurs qui les mobilisent considèrent qu’on apprend toujours de ces interactions entre pairs et avec les abeilles : aucun savoir, aucun acte de préparation non plus, n’est jamais totalement stabilisé.

44Nos observations montrent également que ces préparations à interagir au rucher ou qui facilitent la collaboration, supposent de se détacher de certains objets (voile, enfumoir, gants) comme de certaines normes et des rythmes dictés par les calendriers de production les plus courants. Car au même titre que d’autres dispositifs techno-scientifiques dont les effets sur la connaissance ou le rapprochement de l’humain et de l’animal ont été analysés par V. Despret (2009) – pour les rats – ou R. Mugnier (2019) – pour l’abeille –, la combinaison apicole empêcherait les apiculteurs de percevoir l’état de leurs colonies et de prendre en compte leurs attentes. Toutefois, les apiculteurs restent humbles par rapport aux abeilles et à leurs propres choix : se préparer permet certes d’évaluer, par exemple, le niveau d’agressivité de la colonie, mais n’élimine jamais totalement le risque d’être piqué. Les apiculteurs assument ici leur propre vulnérabilité face aux abeilles. Car c’est bien en se détachant du voile, en se rendant aussi vulnérables qu’elles et en s’y préparant qu’il est selon eux possible de construire une relation plus intime avec les abeilles (Green & Ginn, 2014).

45S’attacher les abeilles et communiquer en confiance avec elles passe par la médiation d’autres objets (la flûte, le pendule), mais aussi du corps, de la voix, de la main. Ces médiations permettent de se préparer soi-même et de préparer les abeilles bien avant ou en accompagnement de toute intervention au rucher. Les postures, les actes et les objets qui préparent l’action au rucher ont ainsi un pouvoir d’interpellation en même temps qu’une capacité à faire faire (Hennion, 2015), puisqu’ils préparent, d’un côté les abeilles à produire (du miel, de la propolis, des reines) dans de meilleures dispositions individuelles et relationnelles, et de l’autre, les apiculteurs à mettre en actes des valeurs et un objectif commun : réaliser une activité qu’ils qualifient eux-mêmes de bienveillante. M. Kosut et L.J. Moore (2014) ont montré que les collaborations entre humains et abeilles (interspécifiques) inscrites dans cette visée bienveillante permettent de dépasser les crises qui touchent actuellement les abeilles comme les apiculteurs et même de produire une nouveauté, une esthétique, un art.

46Nous avons observé que ces préparations organisées, réflexives, matérielles et sensibles, qui passent par l’agencement des objets et des corps dans l’espace du rucher et se concentrent sur le bien-être réciproque, le confort dans le travail comme sur l’esthétique des lieux ou des objets, contribuent à transformer l’individu face aux abeilles, et au-delà, à transformer l’activité apicole. Les apiculteurs affirment avoir désormais d’autres façons de considérer leur métier : c’est un travail avec le vivant, détaché d’une économie de la filière qui réduirait l’abeille à une ressource ou un moyen de production ; c’est une activité qui privilégie les dimensions relationnelles et sensibles des interactions qu’ils ont nécessairement avec elles s’ils veulent les inciter à produire (entre autres) du miel. La préparation par la communication non verbale est essentielle à ces interactions : les apiculteurs y accordent du temps en toutes saisons. Elle est la condition d’un lien privilégié avec leurs colonies. Et dans la façon qu’ils ont de s’adresser aux abeilles ou d’en parler on retrouve l’implication affective que constatait J. Porcher (2002) à propos du travail des éleveurs. Les observations indissociables de l’écoute empathique, de même que les différentes formes de communication avec les abeilles, permettent d’abord aux apiculteurs de dégager des éléments significatifs dans chaque configuration de travail pour prendre la décision d’intervenir, avec ou sans voile ; plus largement ces formes d’attention et de communication leur garantissent la possibilité d’« agir pour, sur et avec autrui » (Barbier, 2017), d’entretenir et de renouveler chaque année (à l’ouverture de la saison apicole) une relation privilégiée avec les abeilles, qu’il faut toujours reconstruire, qui fait toute la richesse et la singularité du métier qu’ils exercent.

  • 17 Une « contribution poétique », composée collectivement par les apiculteurs interrogés, quelques sem (...)

47Si la communication sous diverses formes apparaît comme une action centrale qui s’exerce avant et pendant le travail apicole, le soin aux abeilles est un autre élément de discours relevé en entretien. Il est souligné en tant qu’impératif qui guide l’action en situation, mais il est aussi pensé comme un résultat évident de ces actes qui préparent une collaboration bienveillante : « on s’en rapproche, on les accompagne, on les soigne, en se mettant à leur service, quand elles-mêmes se mettent à notre service en produisant du miel et en pollinisant » (Patrice). La priorité n’est pas de produire plus mais de se relier aux abeilles et plus largement au vivant, pour mieux le comprendre, en prendre soin, l’accompagner pour produire en confiance. Le dévoilement de soi contribue alors au dévoilement des vulnérabilités et des rapports de pouvoir ainsi qu’à la construction d’interdépendances (Van Dam, 2019) que nous qualifions d’efficaces quand apiculteurs et abeilles, ou plus largement humains et non humains17, travaillent ensemble à produire et prendre soin. Ces situations reflètent bien ce que D. Van Dam qualifie d’apiculture du care (2019).

48Enquêter sur les préparations incite finalement à « recueillir l’expérience dans les liens, les fils, les attachements, les pesées et les durées qui la font tenir » (Hennion, 2015, p. 10), à suivre les personnes concernées, au plus près de leurs expériences, construisant ainsi entre eux et nous des formes d’attachements. Par ailleurs, s’il n’y a ici « que des récits d’expérience », « pas de général des particuliers » (Hennion, 2015, p. 11), il est pourtant possible d’envisager des prolongements exploratoires et comparatifs à cette enquête. Autrement dit, il serait tout à fait possible d’aller à la rencontre d’autres apiculteurs relevant d’autres logiques économiques (qui n’ont pas de cahier des charges en AB par exemple) pour découvrir et saisir avec eux, au plus près de leurs expériences et s’ils y consentent, d’autres actes de préparation qui font exister et singularisent leur activité, qui traduisent leurs propres attachements, leurs propres conceptions des abeilles et du vivant, pour nous révéler peut-être des valeurs qu’ils partagent avec cette communauté de pratiques en apparence si singulière, au-delà de savoirs communs. Les changements et les crises qui marquent la filière apicole aujourd’hui amènent en effet tous les apiculteurs à reconsidérer leur métier, à repenser leurs façons de faire et les rapports de production qui s’y exercent avec les abeilles, à revoir même leurs conditions d’existence et avec elles celles de l’apiculture. Ces urgences environnementales dont les effets sont visibles au rucher depuis quelques années, les incitent à reconstruire d’autres types de ruches mais aussi d’autres relations au travail, au vivant et au monde, dont nous voyons bien ici qu’elles se préparent non seulement en pensée mais aussi en actes, avant et pendant l’activité apicole au rucher.

Cette recherche a bénéficié d’un financement du Labex AGRO 2011-LABX-002, intégré à l’I-Site Muse, coordonné par Agropolis Fondation dans le cadre du projet HaBeeTat (How to Adapt Beehive To climATe Change ; référence : 2101022), pour douze mois en 2022-2023 et du projet européen 101081444-Better-B (WP3, WP6, WP7) dans le cadre du programme européen HORIZON-CL6-2022-BIODIV-02-two-stage sur l’apiculture résiliente (2023-2027).

Nous tenons à remercier les apiculteurs concernés par cette recherche (Mathias, Christophe, Vincent, Florent, Sophie, Patrice) qui se sont fortement mobilisés dans la lecture d’une première version et ont contribué aux corrections et modifications attendues pour une version publiable (Fig. 5b). Cet article scientifique est donc le fruit d’une collaboration précieuse entre scientifiques et professionnels, entre « sciences et société ».

Haut de page

Bibliographie

Armstrong, K. N. (2016). Being with bees: An anthropological study of human-animal relations in southern beekeeping. The University of Southern Mississippi.

Barbier, J.M. (2017). Le concept de couplage d’activités entre sujets. In : J-M. Barbier & J. Thievenaz (dir.). Agir pour, sur et avec autrui. L’Harmattan, coll. « Action & savoir ».

Butler, J. (2004). Precarious Life: The Powers of Mourning and Violence. Ed. Verso: London.

Demeulenaere, E. & Goulet, F. (2012). Du singulier au collectif. Agriculteurs et objets de la nature dans les réseaux d'agricultures « alternatives ». Terrains & travaux, 20(1), 121-138.

Despret, V. (2009) Penser comme un rat. Éd. Quae.

Dupleix, A., Moity-Maïzi, P., Amiet, E. & Jullien, D. (2023). Fabriquer ses ruches, est-ce prendre soin des abeilles ?. Archéologie, société et environnement, 3(1). https://doi.org/10.21494/ISTE.OP.2023.1034

Dupré, L. (2020). Faire lutte de tout arbre. Techniques & Culture [En ligne], Suppléments aux numéros, mis en ligne le 23 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/tc/14671. https://doi.org/10.4000/tc.14671

Gatineau, M. (2006). L'apiculture, telle que je l'aime et la pratique. Ed. Serres

Goulet, F. & Le Velly, R. (2013). Comment vendre un produit incertain ? Activités de détachement et d’attachement d’une firme d’agrofourniture. Sociologie du travail, 55(3), 369-386.

Green, K. & Ginn, F. (2014) The smell of selfless love: Sharing vulnerability with bees in alternative apiculture. Environmental Humanities, 4(1), 149-170.

Guide Mieux-Etre (2023). Prendre soin de soi et des autres. SAS Ballot-Flurin.

Hennion, A., (2015). Enquêter sur nos attachements. Comment hériter de William James ?. SociologieS. https://doi.org/10.4000/sociologies.4953

Javaudin, P. (2016). Une ruche dans mon jardin. Ed. Larousse.

Kosut, M. & Moore, L. J. (2014). Bees Making Art: Insect Aesthetics and the Ecological Moment. Humanimalia, 5(2), 1-25. https://doi.org/10.52537/humanimalia.9949.

Martinelli, B. (2005). L'interrogation du style : anthropologie, technique et esthétique. Publ. de l'Université de Provence.

Moity-Maïzi, P. (2010). Le style et l’efficacité techniques mis en question. In : J. Muchnik & C. de Sainte Marie (éd.). Le temps des SYAL : Techniques, aliments et territoires (pp. 47-66). Ed. Quae.

Morizot, B. (2020). Manières d’être vivant. Enquêtes sur la vie à travers nous. Ed. Actes Sud.

Mugnier, R. (2019). L’apiculture numérisée et connectée. Connaître et sauver les abeilles grâce aux technologies informatiques ?. Le monde en pièce. Pour une critique de la gestion II – Informatiser. La lenteur éditions.

Mugnier, R. (2023a). Le travail inter-espèces de pollinisation dans les écologies perturbées. Revue d’Anthropologie des connaissances, 17(1).

Porcher, J. (2002). Éleveurs et animaux : réinventer le lien. Paris : Presses Universitaires de France.

Regert, M., Biron, D., Bonmatin, J. M., Dussy, D., Garnery, L., Giurfa, M., Jullien, D., Zucker, A. & Ameisen, J. C. (2019). Abeilles : une histoire intime avec l'humanité (p. 127). Ed. Le Cherche-Midi; CNRS.

Saillot, E. (2022). Structuration conceptuelle des activités d’ajustement : un modèle d’analyse pour les métiers de l’interaction humaine. Revue Savoirs, 60, 69-91. https://doi.org/10.3917/savo.060.0069.

Tautz, J. (1996) Honeybee waggle dance: recruitment success depends on the dance floor. Journal of Experimental Biology, 199(6), 1375-1381.

Van Dam, D. (2019) L’apiculteur, au cœur d’une éthique du care. Le cas de l’Alsace, in D. Van Damme, J. Nizet & M. Streith (éd.). Humains et animaux dans les agricultures alternatives (pp. 99-115). Ed. Éducagri.

Von Frisch, K. (1965). Le langage de la danse et l'orientation des abeilles. Berlin : Ed. Springer Verlag.

Vinck, D. (2009). De l’objet intermédiaire à l’objet frontière. Revue d’anthropologie des connaissances, [En ligne], 3(1).|

Wenger, E. (1998). Communities of Practice: Learning as a Social System. Ed. Systems Thinker.

Haut de page

Annexe

Figure 5 : journée de discussions collectives

Légende : (gauche, 5a) Christophe montre à Sophie l’utilisation du bol de cristal. (droite, 5b) Journée de discussions collectives chez Mathias pour commenter nos propositions de réponses aux demandes de corrections des relecteurs.

Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal

Contribution poétique : Et si on enlevait le voile !

Au début,
Nous qui pensions
Visiter les abeilles
En gardant nos "combis"
Nos gants et nos voiles réglementaires
Voilà que nos hôtes "api"
En guise de bienvenue
Déjà déployant tous leurs tacts
Nous invitaient plutôt
À se mettre à nu
À être avec elles
À découverts
Têtes en vue
D'égal à égal
À la rencontre
D'un dévoilement inattendu
Au risque d'une piqûre
Accidentelle.
Qui sait, le signal prévu d'un rapprochement inter-espèces !?
Cependant, loin d'une absence de protection
Ou bien d'une insouciance printanière
De la part de nos pairs en apiculture,
Mêlant autant Prudence
À Bienveillance
Dans "un rituel de gratitude",
Et visant une non-séparation choisie,
D'emblée nous étions initiés à cet art ainsi éprouvé
De nos passeurs intemporels,
Défaits de leurs inquiétudes souvent passagères
Ou bien adeptes d'une sérénité restée vive.
Ces bergers ou ces humbles bergères donc
Nous montrèrent avec quels soucis ils aiment ajuster les gestes à tout leur corps
Faisant acte de foi totale
Dans leurs présences
Afin de bien se présenter
À ces dignes ambassadrices
De la Terre
Qui nous dispensent tant de trésors
Depuis les premières Lueurs,
Tant de coulées de parfums de délices
Tant de floraisons de Lumière !

Quel régal dès lors
De lever enfin le voile
En leurs compagnies
À cet envol aussi retrouvé
De nos pensées devenues sœurs d'abeilles!
(Abeilles co-créatrices !?)
Sortis de nos empreintes routinières,
Faisant fi de nos chapeaux,
D'oser avec tous nos sens,
Se tenir en face de leurs ailes,
D'être avec elles peau à peau
De libérer la grande frontière,
De l'humain avec le non-humain,
Vivre en sentiment,
Fragile écho, l'Appartenance
À ce monde commun
D'être des partenaires à part entière
S'entremêlent dans un rêve lointain de Miel !
Que nous importait soudain
De perdre notre nom
Un instant, en devenant bourdon ?

Chaque appel sonore
Nous portait
Au cœur de la maison mère
Où nous étions aussi reine
Comme un emblème.
À moins que nous ne suivions d'un regard redessiné
Ces pourvoyeuses de pollens
Qui vont des alvéoles nourricières
À la fleur généreuse qui sème ?
Et qu'à leurs retours
Pour chacune c'est la fête
En les suivant dans leurs danses grégaires qui frétillent,
Relayées par des sœurs magasinières
Vivant encore dans l'obscurité matricielle
Et d'où murmurent et scintillent
Tous ces milliers de greniers sertis
d'un nectar étoffé de Soleil!

À cet abandon transmis,
Scellé grâce à la perception
D'une lenteur nouvelle,
Nos gestes ont entrouvert
Au bord du merveilleux,
Sidération première,
Des moments privilégiés
Où sensations non retenues et pleines
Créent cet subtil espace relationnel
Où l'intime conversation
S'approfondit en délicatesses,
Où la confiance établie
Par l'audace du respect,
Nous délivrèrent à la fin de ces visites
De la tristesse de ce filet initial
Désormais suspendu
Nous aidant à vibrer en lien direct avec elles.
Et d'apprendre à s'accorder
À cette musique multidimensionnelle
En vue d'une mutuelle Autonomie!

Il y a parfois des prouesses inaperçues
Qui vous donnent au cœur ainsi ouvert
Les perspectives d'une abondance encore méconnue
Mais avec pour seul défi
De troquer nos vieilles peurs
Que l'on défrisent ou jettent en l'air
À mesure que l'on pointe vers le sommet imprévu
D'une connaissance intuitive,
Tels ont été ces témoignages recueillis d'expériences singulières
En quête toujours du vivant
Ou qui cherchent à en rallumer les Braises!


Vincent et les Abeilles, œuvre collective.

Haut de page

Notes

1 À travers ce terme, les apiculteurs entendent une préparation à être attentifs aux vibrations des abeilles, à se mettre parfois dans un état méditatif permettant de se détacher de leurs propres stress, contingences et contraintes, pour être acceptés en arrivant au rucher et pour se relier aux abeilles.

2 À travers ce terme, les apiculteurs entendent : prendre conscience de leurs intentions d’action au rucher, avertir les abeilles à distance de leur arrivée. En admettant que les abeilles sont au sommet d’une communication instinctive et vibratoire (Von Frisch, 1965), elles sont donc en mesure de capter les intentions humaines.

3 Selon B. Morizot (2020, p. 275), « le souci politique des interdépendances écologiques n’est pas qu’une stratégie pour réagir à la crise écologique systémique, c’est aussi l’expérience d’une autre réponse à la question de savoir qui nous sommes, c’est-à-dire de qui nous sommes faits ».

4 C’est ainsi que nous qualifions cette pratique. Mais les apiculteurs utilisent leurs propres expressions : ils travaillent « à visage découvert », « sans voile » ou bien « sans s'isoler par des équipements ».

5 Le recueil de récits d’expériences a été couplé à l’observation participante et à l’entretien en situation, c’est-à-dire sur un rucher, avec chaque apiculteur. Les transcriptions intégrales des enregistrements des récits et des entretiens dans l’action (dont certains ont duré 8h) ainsi que des photos constituent les matériaux de notre analyse.

6 L’expérience personnelle d’une approche des abeilles sans protection, de notre part, ne fait pas l’objet d’une analyse ici.

7 Nous faisons référence ici à la définition du concept de « groupe alternatif » proposé par Demeulenaere et Goulet (2012) qui fait écho à celle d’apiculteurs sans voile et membres d’un collectif que restituent Green et Ginn (2014). Ici les apiculteurs défendent un modèle économique orienté vers la réduction des coûts et des investissements (intrants, nombre de ruches, volumes produits, temps de travail, etc.), même si le résultat en volumes de miel est parfois moins important. Toutefois, la perspective de la décroissance n’est pas l’enjeu de ces stratégies puisque certains produisent autant de miel par ruche qu’en apiculture conventionnelle.

8 Catherine Ballot-Flurin apicultrice dans les Hautes-Pyrénées (Maubourguet) a créé une entreprise, qualifiée d’« éco-lieu fabricant » valorisant les produits de la ruche ainsi que le contact direct avec les abeilles. Une marque porte son nom et nous autorise à la mentionner ainsi. Elle a aussi déposé un brevet sur l’appellation « Apiculture DOUCE®, solidaire et locale » dont elle est une pionnière en France. Outre ses produits de bien-être et cosmétiques haute gamme, elle prône une apiculture consciente qui vise « l’épanouissement commun des abeilles, de la nature et des humains » (Guide Mieux-Etre 2023).

9 Christophe, initialement professionnel dans une apiculture conventionnelle pendant presque trente ans a décidé de changer sa relation aux abeilles et son modèle de production : sédentarisation, réduction du rucher, formation de nouveaux apiculteurs à une apiculture douce et dévoilée ainsi que diversification des revenus générés.

10 Les abeilles étant considérées comme des sujets collaborateurs et non comme des travailleuses modernes (Mugnier, 2023a).

11 « Taper » est le verbe utilisé par ces apiculteurs pour parler d’attaques, car c’est le bruit qu’on entend quand les abeilles se heurtent au voile ou à la combinaison.

12 Organisation et répartition spatiales rappellent ici l’agencement des ruchers sur un territoire, analysé par L. Dupré (2020), à une différence près : nous observons un agencement des ruches à l’échelle d’un rucher, espace mis à disposition par un tiers pour poser des ruches (en faisant en sorte d’avoir toujours un nombre limité à 24 ruches par rucher – ce nombre permettant de bénéficier d’une aide au maintien de la biodiversité (MAE) pour un cheptel minimal de 192 ruches).

13 L’adaptation de cette ruche au climat tempéré fait toutefois l’objet d’une controverse technique parmi les apiculteurs : son « ventre » ne faciliterait pas la thermo-régulation.

14 Ses premières étiquettes de pots de miel ont un dessin de flûte, signe de la valeur qu’il attribue à cette préparation dans son travail.

15 Croisement de races.

16 Remplacer la vieille reine par une plus jeune.

17 Une « contribution poétique », composée collectivement par les apiculteurs interrogés, quelques semaines après nos enquêtes, est ajoutée en annexe. Il nous semble qu’elle illustre ces ambitions.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : transvasement d’une ruchette
Légende Légende. Mathias est ici dévoilé pour effectuer cette opération a priori risquée qui consiste à « enrucher » ou transvaser une ruchette six cadres dans une ruche dix cadres. Toutefois, il n’a pas jugé utile de se voiler puisque c’est le dernier enruchement de la journée : pas de risque d’énerver une ruche voisine par les vibrations lorsqu’il va taper la ruchette sur la ruche pour y faire tomber les dernières abeilles.
Crédits Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/33213/img-1.png
Fichier image/png, 497k
Titre Figure 2 : le rucher de Christophe
Légende Légende : a. (gauche) Belle vue depuis le rucher de Christophe dont les ruches sont ajustées à hauteur pour pouvoir travailler confortablement, le dos bien droit, et sans voile. L’espace à côté y est dégagé pour intervenir confortablement (b.) (droite)
Crédits Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/33213/img-2.png
Fichier image/png, 1,3M
Titre Figure 3 : ruches Kenyane et ruches hybrides
Légende Légende : Ruches Kenyane de Christophe (gauche, a), Catherine (milieu, b) et ruches hybrides de Catherine (droite, c). Toutes plus propices au travail sans voile parce que les abeilles y fabriquent leur propre cire à partir d’une barrette (droite, c). Elles y sont donc plus calmes.
Crédits Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/33213/img-3.png
Fichier image/png, 893k
Titre Figure 4 : relation aux abeilles
Légende Légende. (gauche, a) Mathias caresse les abeilles sur les cadres. Florent les salue par le toucher. (droite 4.b)
Crédits Crédits illustration : Anna Dupleix-Marchal
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/33213/img-4.png
Fichier image/png, 1,3M
URL http://journals.openedition.org/rac/docannexe/image/33213/img-5.png
Fichier image/png, 976k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Pascale Moity-Maizi et Anna Dupleix-Marchal, « Se préparer pour se dévoiler aux abeilles »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 18-2 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/rac/33213 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11r9l

Haut de page

Auteurs

Pascale Moity-Maizi

Professeure en socio-anthropologie à l’Institut Agro, Montpellier. Elle est membre de l’UMR SENS (IRD, CIRAD, Université P. Valéry). Ses travaux s’inscrivent dans l’anthropologie des techniques et des savoirs, dans le champ de l’agriculture et de l’artisanat agro-alimentaire. Elle s’intéresse aux modalités et ressorts de l’action collective, aux apprentissages et aux formes d’engagements individuels ou collectifs pour changer des pratiques ou des systèmes d’activités dans des contextes d’incitations ou d’injonctions politiques. Dans le champ de la sociologie de l’action collective, elle conduit aussi des travaux visant à accompagner, analyser et évaluer des dispositifs collaboratifs associant des acteurs académiques et non académiques. Ses recherches actuelles se déroulent en France, en Argentine et en Afrique du Nord.
ORCID : https://orcid.org/0000-0002-9929-0874

Adresse : UMR SENS, Université Paul Valéry, FR-34000 Montpellier (France).
Courriel : pascale.maizi[at]supagro.fr

Articles du même auteur

Anna Dupleix-Marchal

Initialement formée à l’École Centrale avec une spécialisation en ingénierie du matériau bois (Double Doctorat Aalto University, Finlande & Arts et Metiers, ParisTech), Anna Dupleix a aussi une formation d’apicultrice. Elle oriente ses travaux vers l’anthropologie des techniques pour étudier la relation homme-bois-abeilles, depuis 2016, avec P. Moity-Maïzi. En 2021, elle co-fonde le collectif de chercheurs Alt-RD au sein de la coopérative de travailleurs (CAE) Co-Actions. Elle est chercheure associée au laboratoire CRISES (Montpellier).
ORCID : https://orcid.org/0000-0002-9048-8462


Adresse : laboratoire CRISES, EA 4424, Université Paul Valéry, FR-34000 Montpellier (France).
Courriel : anna.dupleix[at]alt-rd.com; anna.dupleix[at]univ-montp3.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search