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Dossier thématique

Sur la piste des préparations

Préparer, répéter, mettre en place pour que les choses adviennent
On the Trail of Preparations. Preparing, Rehearsing, and Setting Up for Things to Happen
Tras la pista de la preparación. Preparar, ensayar, poner en su sitio para que las cosas advengan
Den Vorbereitungen auf der Spur. Vorbereiten, wiederholen, in Gang setzen, damit Dinge geschehen können
Loïc Riom et Mylène Tanferri
Traduction(s) :
Den Vorbereitungen auf der Spur [de]
On the Trail of Preparations  [en]
Tras la pista de la preparación [es]

Résumés

Cet article introductif vise à montrer que suivre la piste des préparations à l’action permet de prolonger et d’enrichir conceptuellement et empiriquement tant les théories de l'action que l’anthropologie des connaissances. Dans un premier temps, nous distinguons les préparations à l’action de l’action planifiée. Pour ce faire, nous inscrivons notre intérêt pour les préparations à la suite les travaux qui, de la sociologie du travail à l’étude des organisations, ont étudié les plans, les prescriptions et la constitution d’habitudes. Dans un deuxième temps, nous esquissons à partir des neuf articles qui composent ce dossier cinq axes de réflexion : les préparations comme embarquement sur le terrain ; le rapport à l’imprévu ; les savoirs des préparations ; les dispositifs des préparations ; et les collectifs que les préparations contribuent à (trans)former.

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Texte intégral

1Ce dossier de la Revue d’anthropologie des connaissances (RAC) a pour but de susciter une attention renouvelée pour les préparations à l’action. Ici, nous entendons préparations au sens large : montages, tests, répétitions, entraînements, établissement de procédures ou de tout autres recours envisagés, par les acteur·ices, comme des préparatifs pour réaliser une action à venir. L’enjeu de notre démarche est de rassembler dans un même cadre d’analyse à la fois les activités et les connaissances – ou les expertises – que les préparations produisent et sur lesquelles elles s’appuient. Nous souhaitons, ainsi, ouvrir de nouvelles pistes pour enrichir et prolonger tant les théories de l’action que l’anthropologie des connaissances. Nous espérons également fournir quelques éléments de réponse à leurs critiques les plus régulières. En nous inspirant des conceptions pragmatistes de l’enquête, nous faisons l’hypothèse que les préparations permettent de remettre certains enjeux de l'action, comme son contexte ou sa structure, entre les mains des acteur·ices, comme son contexte ou sa structure, entre les mains des acteur·ices plutôt qu’entre celle de l’analyste. Par ailleurs, alors que les mots d’ordre appelant à la redirection ou au passage à l’acte se multiplient, se saisir des préparations nous semble une voie productive pour interroger, à nouveaux frais, ce à quoi tiennent nos actions. Nous pourrions y trouver des ressorts pour (re)penser leur caractère collectif et négocié.

  • 1 Cette tradition est particulièrement riche en France et a contribué à de nombreux courants de reche (...)
  • 2 Hormis quelques textes, dont un article de David Kirsh (1990) sur la robotique et un autre de Berna (...)

2De nombreux travaux se sont intéressés à des activités professionnelles, domestiques ou institutionnelles qui visent à préparer une action à venir, qu’il s’agisse de préparer un événement unique ou, au contraire, qui se répète dans le temps. On peut citer pêle-mêle les montages et répétitions avant un spectacle (Finnegan, 2007 ; Riom, 2021 ; Schmidt, 2018 ; Vinck, 2019 ; Vinck & Tanferri, 2020) ou une démonstration technologique (Rosental, 2019) ; l’organisation d’une tournée lors d’une journée de travail (Cholez, 2008 ; Denis & Pontille, 2020) ; la mise en place d’un espace de vente (Cochoy, 2011 ; Grandclément, 2004) ou de consommation (Mears, 2023) ; les montages sur un set de tournage (Grimaud, 2003 ; Rot, 2019) ou d’une exposition (Dominguez Rubio, 2020 ; Kreplak, 2014, 2020) ; la prise en charge d’un accouchement (Gouilhers, 2017) ; ou encore les exercices destinés à entrainer des étudiant·es d’une école de commerce (Lezaun & Muniesa, 2017). De l’élaboration de conventions (Becker, 2010 ; Thévenot, 2006) à l’apprentissage du geste (Bessy & Chateauraynaud, 1995 ; Kaufmann, 1997 ; Leroi-Gourhan, 1964 ; Poitou, 1999) en passant par le travail organisé (Bidet et al., 2006 ; Bidet, Datchary & Gaglio, 2017 ; Cooren et al., 2011), une grande partie de la sociologie du travail et des professions a traité, sans nécessairement les nommer ou les isoler, de préparations1. Toutefois, si l’idée qu’une compréhension de l’action puisse passer par une étude de sa préparation n’est pas en soi originale, cette piste a peu été approfondie2.

3En observant les préparations telles qu’elles se déploient dans différentes activités, nous souhaitons examiner une série de questions finalement rudimentaires : comment passe-t-on à l’action ? Comment les acteur·ices préparent-iels, peaufinent-iels, planifient-iels leurs passages à l’acte ? Et que se passe-t-il au cours de ces moments ? La fécondité de ces questions nous est apparue lors de nos enquêtes respectives sur la numérisation d’archives (Tanferri, 2021 ; 2022 ; Tanferri & Vinck, 2013) et les concerts (Riom, 2021). Ces terrains nous ont conduits à déplacer notre regard de l’activité fugace que nous cherchions à décrire vers le travail que celle-ci requiert pour advenir. Tous deux, nous avons réalisé un « transfert attentionnel » (Denis & Pontille, 2022), en nous attachant à suivre ce qui compte pour les acteur·ices lorsqu’iels se préparent à agir. Ces moments de montage, de répétition ou de mise en place sont devenus, dans nos enquêtes, des moyens de rendre compte à la fois de l’activité à venir et des collectifs que ces moments contribuent à (re)définir et à (re)ajuster. À ce titre, ce dossier s’inscrit résolument dans l’intérêt tant des études des sciences et des techniques pour les choses « ennuyeuses », mundane et invisibles (Bowker & Star, 2023 ; Denis & Pontille, 2022 ; Latour & Hermant, 1998 ; Star, 2002 ; Star & Strauss, 1999 ; Woolgar & Lezaun, 2013), que de la sociologie de l’activité pour les coulisses, le travail de l’ombre ou les sales boulots (Arborio, 1995 ; Becker, 2010 ; Bidet & Schoeni, 2011 ; Hughes, 2010).

  • 3 Si nous partageons certaines préoccupations avec ces auteur·ices – notamment quant à la production (...)

4Notre pari pourrait se résumer en ces termes : qu’est-ce que cela fait à l’analyse de l’action d’investir les préparations et, ce faisant, de remettre les enjeux de celle-ci entre les mains des acteur·ices ? Nous proposons d’explorer, à partir de leur propre horizon de pratiques, ce qui leur permet d’agir sans présupposer a priori une forme de détermination ni des éléments de socialisation qui expliqueraient l’action. En suivant cette piste résolument pragmatiste, nous souhaitons envisager la fertilité tant analytique que méthodologique de ces moments où des acteur·ices préparent une activité. Pour autant, nous ne visons pas une théorie générale de la préparation. Au contraire, adoptant une approche classique, au moins depuis Everett C. Hughes (1996), ce dossier est avant tout une collection d’études de pratiques et d’activités. Suivant des chemins proches de nos expériences de terrain, les auteur·ices de ce dossier reviennent, eux aussi, et depuis les préparations, sur des opérations, des enjeux et des moments qui apparaissent aux acteur·ices comme les entours nécessaires de l’activité laquelle iels se préparent. À ce titre, ce dossier s’éloigne de la preparedness et de la préparation à des évènements extérieurs et incertains dont la possibilité est envisagée (p. ex. catastrophes naturelles, pandémies, accidents nucléaires, attaques informatiques, crises économiques…)3. En effet, nous souhaitons moins lier la question de la préparation à celle de la prévention ou de la résilience, qu’à celle de l’action.

5Cinq articles composent le premier volume de ce dossier. Gérard Dubey examine les moments qui précèdent une opération chirurgicale en partant de la descente au bloc pour remonter à l’élaboration d’une stratégie opératoire. Toujours à l’hôpital, Claire Bodelet décrit le travail des clowns hospitaliers. Elle revient sur les différentes étapes qui concourent à leur mise en condition. Sur un terrain différent, Célia de Pietro s’immerge dans les préparations des actions des militant·es pour le climat d’Extinction Rebellion. Elle examine les « faire être » que celles-ci permettent aux militant·es d’entrainer. Mathilde Lagrola s’intéresse aux nettoyages et au rangement dans la production fromagère. Elle introduit d’autres modalités de mise en condition : celle des microbes dont le concours est indispensable à la fabrication du fromage. Anna Dupleix-Marchal et Pascale Moity-Maizi analysent, elles, les étapes nécessaires à la pratique d’une apiculture sans voile. Elles mettent en lumière la façon dont abeilles et humains s’ajustent lors des préparations qui permettent cette rencontre.

6Un deuxième volume composé de quatre autres articles sera publié dans le numéro de la RAC de décembre 2024 (vol. 18, n° 4). Dans celui-ci, Jean Danielou suit l’activité d’un intermédiaire qui prépare les projets d’investissement d’une multinationale de l’énergie. Il montre de quelle façon les espaces et leurs ressources sont ressaisis au cours de cet exercice de prospection. Sophie Tabouret rend compte de la mise en place d’une expérimentation variétale dans la filière viticole. Elle décrit de quelle manière l’espace expérimental se voit redéfini pour y intégrer de nouveaux éléments (coopératives, conditions climatiques régionales, marchés, etc.). Maxime Le Calvé s’intéresse au geste chirurgical, mais sous l’angle de la formation. Son article rend compte d’un projet visant à produire un « dummy » de cerveau humain destiné l’apprentissage de la neurochirurgie. Enfin, Claude Rosental étudie les activités d’un accélérateur de startups. Il s’intéresse, plus particulièrement, aux formations destinées à préparer un « pitch » et la façon dont ceux-ci contribuent à incarner les projets entrepreneuriaux.

7La suite de cette introduction s’organise en deux temps. D’abord, nous reviendrons sur les notions d’action située et d’action planifiée afin de clarifier ce que nous désignons comme des préparations à l’action. De cette manière, nous tenterons de positionner les préparations vis-à-vis de plusieurs courants qui, à l’instar de l’ethnométhodologie, de l’interactionnisme symbolique ou des sociologies pragmatistes, ont proposé différentes conceptions de l’action. Ensuite, nous montrerons que passer par les préparations offre des pistes fructueuses pour discuter, prolonger et enrichir ces traditions. Pour ce faire, nous esquisserons quelques lignes possibles pour nourrir de futures enquêtes à partir des neuf contributions qui constituent ce dossier.

De l’action planifiée à la préparation des actions

8Avant de s’engager pleinement sur la piste des préparations, il nous semble utile de préciser nos intentions en distinguant la préparation à l’action de l’action planifiée. Revenir sur cette distinction permet d’opérer au moins trois clarifications. Premièrement, le registre des préparations possède une ampleur de pratiques plus large que celui de la planification. Il permet, en outre, de dépasser un débat centré sur la question de l’intentionnalité et de traiter les préparations comme n’importe quelle autre action. Deuxièmement, en élargissant le propos, s’intéresser aux préparations esquisse des articulations productives entre connaissances et actions. Celles-ci évitent notamment les oppositions parfois stériles entre routine et improvisation. Troisièmement, enfin, les préparations permettent d’envisager des situations où les acteur·ices s’engagent à faire advenir une action sans pour autant en être assuré·es. En cela, nous proposons de les rapprocher des conceptions pragmatistes de l’enquête.

La planification-comme-activité, reprendre une intuition productive

  • 4 En France notamment, de nombreuses recherches se sont inspirées de travaux américains à ce sujet (v (...)

9Depuis plus de cinquante ans, de l’ethnométhodologie à l’interactionnisme symbolique en passant par les approches pragmatistes, les études des sciences et des techniques ou la cognition située, les sciences sociales ont porté une attention particulière aux activités dans leurs dimensions contingentes, situées, interactionnelles et matérielles4. Cette attention pour l’action s’est positionnée comme une réponse forte aux paradigmes explicatifs dominants, appuyée sur des compréhensions du monde social en termes de structures, d’ordres, d’intention ou d’institutions. Le cours d’action, ou l’activité en train de se faire, devenait de cette manière son propre cadre de référence : sa structure (ou sa forme finale) en émergerait sans lui préexister, se traduisant ainsi en autant de situations spécifiques (voir Goffman, 1964 ; Quéré, 1997). De la sociologie des mouvements sociaux, à la sociologie du travail en passant par l’étude des organisations, ces approches se sont interrogées sur les « ressorts » de l’action et ont développé différents appareils conceptuels permettant de saisir son déroulé, ses rebonds et ses incertitudes, en insistant souvent sur le caractère contingent de l’action.

10Au sein de ces réflexions, la mobilisation, en situation, de plans, d’instructions ou de toute autre procédure a fait l’objet d’une production abondante orientée à la fois vers des études empiriques et vers des élaborations théoriques (voir, par exemple, en français Conein, 1990 ; Conein & Jacopin, 1994 ; Kirsh, 1999 ; Quéré, 1997). Largement inspirés par le célèbre ouvrage de Lucy Suchman (1987) Human–Machine Reconfigurations – Plans and Situated Actions, ces travaux ont amené à distinguer deux conceptions de l’action : l’action planifiée et l’action située. L’action planifiée conçoit l’action et sa signification comme le résultat de plans sous-jacents (mentaux et individuels) qui en seraient la cause. De ce point de vue, la planification serait découplée de l’action. Elle lui préexisterait et la prescrirait. À cette conception, qui a longtemps orienté les recherches en sciences cognitives embarquées dans les projets d’intelligence artificielle (IA) et de robotique, Suchman entendait opposer la seconde. Cette conception alternative – très largement inspiré de l’ethnométhodologie – considère l’action comme un phénomène émergeant dans et par une situation à laquelle les acteur·ices s’adaptent. Il serait donc difficile d’envisager un système autonome qui n’agirait qu’en fonction d’un plan d’origine sans tenir compte des contingences. Ce point permettait à Suchman de revenir sur les spécificités humaines difficilement reproductibles pour l’IA à partir d’une représentation exclusivement mentaliste de l’action.

  • 5 Rassemblées dans la deuxième édition de son ouvrage (Suchman, 2007), ses réponses ont été composées (...)
  • 6 Suchman (1993, p. 75) explique : « To reach that understanding [of how plans arise out of situated (...)

11Pour illustrer cette opposition, Suchman (1987) mobilisait l’exemple d’une descente de rapides en canoë : si la canoéiste peut avoir un plan – une idée de la manière dont elle souhaite traverser les rapides –, lorsqu’elle s’y trouve plongée, ce plan deviendrait peu utile et il s’agirait avant tout, pour elle, de compter sur ses compétences incorporées. Cette illustration a fait l’objet d’une série de critiques. La principale portait à remarquer que les plans ne disparaissent pas intégralement ni ne deviennent complètement ineffectifs dans le cours de l’action (Sharrock & Button, 2003). Suchman, elle-même, a apporté des précisions à plusieurs occasions pour nuancer et clarifier sa position5. Pour expliciter son appréhension des plans en situation, l’autrice a notamment proposé de distinguer les éléments suivants : la planification-comme-activité ; les résultats de celle-ci sous la forme d’artefacts (elle précise : conceptuels, linguistiques ou autres) ; et les activités subséquentes auxquelles ces artefacts sont reliés de façon signifiante6 (Suchman, 1993). La question principale, pour Suchman, porte sur le rôle rempli par ces artefacts dans l’action : comment sont-ils mobilisés ? Comment contribuent-ils à informer l’action lors de son déroulé ? Suchman (2011) s’est appuyée sur cette piste dans la suite de son travail et, en particulier, pour s’intéresser à ce qu’elle dénomme des « représentations prescriptives ». Les propositions de Suchman ont ainsi donné l’impulsion à de nombreux travaux axés sur le rôle des plans en situation. Cependant, la piste qui consistait à s’intéresser aux activités qui façonnent ces représentations n’a pas reçu la même attention.

  • 7 Suchman (2011) mentionne les travaux en histoire sur la constitution des horaires de trains aux Éta (...)
  • 8 Ce numéro n’inclut malheureusement pas d’article sur le sport qui est assurément un des domaines le (...)
  • 9 Voir à ce sujet les travaux sur les amateur·ices (Hennion, 2009 ; Hennion & Teil, 2004 ; Teil, 2004 (...)

12Ces débats ont certainement contribué à cristalliser l’attention sur la mise en pratique de plans. Étudier les préparations permet de revenir sur la piste ouverte par les planifications de l’action et de la prolonger d’au moins trois manières. Pour commencer, la production située d’artefacts pour un usage ultérieur (plans, procédures, prescriptions) mérite un intérêt ethnographique7. En outre, préparer ne se restreint pas uniquement à une telle production. En parlant de préparations, le registre lexical de l’enquête se trouve enrichi : mise en place, entraînement, répétition, mise en conditions, etc. À ce titre, les préparations ne sont pas nécessairement visibles dans l’action sous la forme de représentations prescriptives. Les sportifs parlent bien du « travail invisible » pour décrire cette attention à tout ce qui, de la nutrition à la préparation physique en passant par le sommeil, contribue à leurs performances8. Ensuite, les préparations, prises depuis une perspective située, ne se résument pas à des intentions ou des phénomènes d’ordre exclusivement mental ou discursif. Elles relèvent de pratiques et de gestes. Ceux-ci visent à agencer des espaces et à préparer des corps, mais également à aplanir toute une série d’obstacles qui pourraient empêcher l’action ou encore parfois à apprendre à lâcher prise, à renoncer ou à simplement ne rien faire9. Avant même d’être une question d’organisation et de coordination, les préparations consistent à enquêter sur les conditions et circonstances jugées indispensables pour pouvoir agir. Suivre les préparations esquisse ainsi un mouvement inverse de celui qui se concentre sur les plans mobilisés dans l’action située. Autrement dit, il s’agit de résoudre les problèmes qui pourraient s’opposer à la réalisation d’une action, de s’assurer d’un concours local et de se donner les conditions de son accomplissement. Enfin, les préparations sont opératoires : elles constituent une catégorie d’activités que les acteur·ices distinguent d’une activité principale et qui souvent se déroule en coulisses. Plutôt que de vouloir discerner préparation et action de façon arbitraire ou théorique, nous proposons de suivre les acteur·ices dans ce qui leur permet d’opérer une distinction ou au contraire d’envisager des continuités entre préparer et agir. À ce titre, les préparations peuvent faire l’objet de discussions, de simulations, de controverses, voire de conflits.

Réarticuler action et connaissances, routines et improvisation

13Préparer amène assurément à « faire connaissance » (Despret, 2002). Cette piste a d’ailleurs déjà été esquissée par Jean-Pierre Poitou (2007, p. 3) lorsqu’il cherchait à définir ce que pourrait être une anthropologie des connaissances. Les « pratiques de préparations » figuraient dans la longue liste des éléments qui méritaient, selon lui, d’être pris en compte pour saisir les connaissances-en-action. À travers des notions telles que « savoir-y-faire » et « savoir-s’y-prendre », Poitou suggérait déjà que les préparations permettent de s’intéresser aux savoirs de l’action, qu’il s’agisse de connaissances formalisées ou, au contraire, de savoirs plus informels, expérientiels ou incorporés. De la même manière, les préparations invitent à interroger l’inscription de ces savoirs dans des dispositifs techniques à travers diverses pratiques d’équipement (Vinck, 2006 ; 2011) ou d’aménagement de l’espace (voir à ce sujet Lynch, 1991 ; Zarama & Vinck, 2011).

  • 10 Il est toujours surprenant de la part d’auteur·ices revendiquant les apports des méthodes ethnograp (...)
  • 11 Nous disons imaginer parce qu’aucun de nous n’a pratiqué le canoë en compétition. En revanche, ce c (...)

14De ce point de vue, réintégrer la question des connaissances aux activités de planification permet de redéployer en profondeur leur relation à l’action. Nous l’avons vu, Suchman relève qu’une fois dans le feu de l’action, la canoéiste compte avant tout sur ses compétences incorporées (embodied skills). Comme le mentionnent Alonso Vera et Herbert Simon (1993), si l’on peut admettre que la description minimale de Suchman correspond à celle d’une personne pratiquant ce sport en amatrice, il suffit de suivre une compétition olympique pour prendre la mesure de l’épaisseur des compétences qui s’inscrivent dans la préparation à une course10. Après une reconnaissance minutieuse du parcours, les concurrentes se préparent longuement à la descente et la répètent mentalement à plusieurs reprises avant de se lancer dans la course. Intégrer des façons de réagir dans les rapides, de s’orienter et de diriger son embarcation fait assurément partie de la préparation à la course. On peut même imaginer que certains gestes ont été travaillés en prévision d’un passage en particulier ou, a minima, d’un type de passages sensible11. Opposer a priori le travail de préparation aux compétences et aux connaissances des acteur·ices, nous semble le déposséder de l’une de ses composantes essentielles : ces compétences sont, elles-mêmes, préparées, entrainées ou exercées. Sur ce point, Louis Quéré (2016) observe que la prise sur les choses découle non seulement d’une habileté haptique, mais également d’habitudes constituées et entrainées qui permettent de projeter une action à venir.

  • 12 Cette remarque amène également à considérer que le travail de reproduction à l’identique par exempl (...)

15La constitution d’habitudes a été abondamment discutée par les routines studies. En distinguant la mise en forme de routines (patterning) et leur performance (performing), ces recherches proposent de saisir l’activité qui vise à faire tenir une routine tout comme celle qui consiste à l’examiner ou à la modifier (Feldman et al., 2016 ; López-Cotarelo, 2021 ; Redaelli & Carassa, 2018). Pour souligner le caractère interdépendant de ces deux modes d’action, ces auteur·ices montrent que les routines sont à la fois source de stabilité et de changement dans les organisations (voir également Quéré, 2022). Envisagées sous l’angle des préparations, les routines peuvent se comprendre comme le résultat d’une tentative de dépasser le caractère toujours unique de chaque situation et de produire de l’ordre, ou du moins de gérer le désordre. Comme le notent Martha Feldman et ses collègues (2016, p. 507): « ironically, doing the same thing can be more difficult than doing something different »12. Cette même idée amène, inversement, à suivre le travail qui vise à produire le moins de « sérialité » possible ou à aboutir à quelque chose d’unique. Articuler ainsi les préparations aux compétences et aux connaissances permet de sortir de l’opposition stérile entre routine et improvisation. En effet, de nombreux débats ont cherché à distinguer une action mécanique, dépourvue de volition, d’une action créative et improvisée souvent plus valorisée (Bachir-Loopuyt et al., 2010). Pourtant, comme le relève Suchman (2011, p. 28) :

Routines presuppose unremarkable acts of improvisation. The difference between routine and exceptional situations is not one of kind, in other words, but of degree, and is itself an effect of practices of boundary-making, of identification of what falls within, or outside, the bounds of the “normal” case.

16On pourrait ajouter sous forme de boutade que les improvisations présupposent des routines peu remarquables. À ce titre, le jazz est un cas exemplaire (Faulkner & Becker, 2011 ; Hennion, 2010 ; Sudnow, 1993).

  • 13 Sur la recherche d’effet de surprise, voir Zimmermann (2015) ou Riom (2022).

17Les préparations offrent une piste fertile pour ressaisir l’un et l’autre de ces mouvements (routinisation ou improvisation) comme le résultat du rapport des acteur·ices à l’action qu’iels cherchent à réaliser. Préparer ne consiste donc pas seulement à adapter en cours de route pour réagir aux contingences. C’est également travailler à faire une place plus ou moins importante à ces contingences dans l’action à venir. Si l’on reprend l’exemple de la descente en canoë, si la sportive se prépare autrement plus sérieusement que l’amatrice, c’est aussi parce qu’elle envisage cette action très différemment. En tant qu’athlète de haut niveau, elle cherche à réaliser des gains marginaux et ne peut « rien laisser au hasard » ! Ce twist pragmatiste n’est pas sans conséquence. Il permet de remettre certains enjeux – comme la constitution d’une régularité, l’ouverture à l’imprévu ou l’ampleur de l’investissement dans l’action – entre les mains des acteur·ices (voir Bidet & Gayet-Viaud, 2023). Autrement dit, l’idée n’est pas de savoir si cette contingence peut ou non être maîtrisée en pratique, ni d’ailleurs si elle peut l’être dans l’absolu. Il s’agit bien plutôt de suivre de quelle manière les participant·es l’intègrent dans leurs préparations et, si, normativement, il leur semble important de pouvoir restreindre cette contingence, l’accueillir ou même la provoquer13.

Faire advenir

  • 14 Nous reprenons cette expression à Didier Debaise et Isabelle Stengers (2021). En s’appuyant sur l’e (...)

18Nous avons proposé d’envisager les préparations comme une série d’opérations dépassant largement la production de plans. Les préparations, de ce point de vue, sont bien ce qui précède l’action (ce qu’indique le préfixe pré-) et la produit (parare en latin qui pourrait venir de l’indo-européen per : enfanter, produire). Insister sur ce point permet de poursuivre le décalage que nous avons entamé. Nous souhaitons, en effet, « épaissir »14 l’action pour envisager la préparation comme un moment où quelque chose advient : « passer à l’action » est non seulement l’enjeu des pratiques et de connaissances, mais également d’un passage, au sens d’un moment d’émergence d’associations nouvelles (Hennion & Monnin, 2020 ; Hennion & Sintive, 2016). De ce point de vue, les préparations permettent d’examiner l’action non pas simplement comme un déroulé, mais plutôt comme la superposition, l’entassement, voire l’habile intensification de multiples couches de préparations travaillées par les acteur·ices. Comme le souligne Antoine Hennion (2018), sous les doigts d’une pianiste, il y a non seulement les touches de son instrument, mais également son solfège, ses gammes répétées des heures durant, une œuvre souvent maintes fois jouée et rejouée. Dès lors, on pourrait envisager de décrire les transformations produites par une action autant par ce qu’elle fait arriver, comme résultat ou comme conséquence, que par ce qu’elle appelle par sa préparation.

19Considérer les préparations comme un moment où quelque chose advient nous permet d’envisager les préparations comme une expérience. Le dossier précédent de la RAC proposait de revenir sur l’expérience vécue (Rix-Lièvre, Cahour & Guibourdenche, 2024), c’est-à-dire, la manière dont un·e participant·e (et non un·e observatrice extérieure) peut décrire son activité telle qu’elle se déroule et documenter, au moins en partie ses perceptions, ressentis, cognitions, actions. Enquêter sur les préparations offre une solution partielle, quoiqu’inattendue, à l’étude de l’expérience vécue. Les préparations mettent en lumière, par une attention à l’amont de l’action, ce qui compte pour les acteur·ices dans cette expérience et ce qu’iels cherchent à en faire advenir en se donnant des conditions pour agir.

20Le terme d’advenir est important pour au moins deux raisons. D’abord, il permet de nuancer l’idée qu’il y aurait a priori un sujet fort de l’action en soulignant qu’il n’est pas toujours évident de savoir qui, dans l’action, agit sur qui et que, parfois, l’enjeu est bien de se laisser agir par quelque chose (Gomart & Hennion, 1999 ; Hennion, 2009). Ensuite, le terme advenir amène à envisager d’une manière bien particulière le rapport entre préparation et action. D’une part, il souligne l’effort à fournir pour qu’une situation advienne. D’autre part, il insiste sur le caractère épais, incertain, ouvert, « en train de se faire », pour emprunter une célèbre formule à Williams James (1998), de l’action. C’est dans ce sens que les préparations font advenir l’action. Il ne s’agit pas de conditionner l’action ou de l’expliciter, mais bien de la rendre possible.

21Nous suggérons de cette manière de sortir du hic et nunc de l’action pour suivre, sur un temps plus long, les continuités et les ruptures, entre sa préparation et son accomplissement, et ce pour remettre cette distinction entre les mains des acteur·ices plutôt que celles de l’analyste : comment envisagent-iels l’action à partir de sa préparation ? Dans quelle mesure les préparations s’intègrent ou se détachent de l’action en tant que telle ? Et comment les acteur·ices conçoivent-iels ces distinctions ou au contraire n’y reviennent-iels pas ? Peut-on observer alors, des moments durant lesquels ces passages s’effectuent ? Les limites qui sont posées ou au contraire absentes ? Glisse-t-on de l’une à l’autre sans heurts ou, à l’inverse, s’agit-il d’un effort ou d’une frontière qui s’impose, par exemple, entre une répétition et une représentation publique ? Les acteur·ices suivi·es dans les terrains présentés dans ce dossier sont tous et toutes mobilisé·es par ces questions, et cherchent à établir les circonstances qui leur permettront de passer à l’action.

Enquêter sur les préparations

22Après avoir remis la notion de préparation en perspective, nous proposons de déployer plusieurs pistes de travail à partir des articles de ce dossier. La diversité des terrains rassemblés (santé, agriculture, monde de l’entreprise, arts, militantisme) permet d’établir une série d’observations qui, nous l’espérons, ouvriront sur de futures enquêtes s’intéressant aux préparations. Nous avons choisi de les organiser autour de cinq axes thématiques : l’embarquement sur le terrain par les préparations ; le rapport de l’imprévu ; les savoir des préparations ; les dispositifs préparatoires ; et la consistance collective des préparations.

Embarquer par les préparations

23Étudier les préparations constitue souvent un pari, y compris, parfois, aux yeux des acteur·ices de terrain. Pourquoi prendre le temps de prêter attention aux moments qui semblent périphériques en regard d’une activité généralement plus visible ou spectaculaire à laquelle l’enquête s’intéresse ? Les différents articles rassemblés dans ce dossier démontrent pourtant que ce pari s’avère fructueux : suivre de près les préparations amène à explorer des sites et des temporalités autres que celles de l’action étudiée et à côté desquels l’enquête pourrait facilement passer. À ce titre, on peut se demander si analyser les préparations ne relève pas d’une ficelle méthodologique, au même titre que la panne (Bourrier & Nova, 2019 ; Latour, 2010) ou une expérience de déstabilisation (Garfinkel, 2009).

  • 15 C’est une expérience que nous avons également faite sur nos terrains respectifs.

24Toutefois, accéder aux préparations ne va pas de soi. Cela relève parfois d’un concours de circonstances sur lesquelles l’ethnographe n’a pas forcément prise. Gerard Dubey raconte ainsi que c’est à force de passer du temps entre les blocs opératoires qu’il a pris la mesure du travail préparatoire. Anna Dupleix-Marchal et Pascale Moity-Maizi, comme Claude Rosental, font également état de l’importance du temps passé sur le terrain. Dans d’autres situations, cet accès passe par les fonctions attribuées à l’enquêteur·ice (Jean Danielou ou Claire Bodelet) ou par les petites tâches qui lui sont confiées (Sophie Tabouret ou Mathilde Lagrola). Dans l’article de Maxime Le Calvé, c’est un dispositif d’enquête – le dessin – qui facilite cet accès. Dans tous les cas, et l’article de Célia de Pietro sur les militant·es d’XR en est l’exemple le plus flagrant, accéder aux préparations résulte d’un engagement sur le terrain15.

25Les auteur·ices de ce dossier ont tou·tes en commun d’avoir fait le choix fort de s’embarquer dans l’activité qu’iels cherchaient à décrire. Toutefois, l’enjeu de cet embarquement n’est pas tellement celui qui est généralement attribué à ce terme (voir Bourrier, 2017). Il s’agit non pas d’évaluer d’un regard un peu suspicieux les conditions d’accès au terrain pour gagner en objectivité, mais de se donner les moyens de se laisser prendre par celui-ci (Favret-Saada, 1977 ; Hennion, 2015), d’y « être pour de vrai » (Riom, 2021) ou de s’interroger plus précisément sur les moments et les activités auxquelles l’enquêteur·ice est amené·e à participer activement (Tanferri, 2021). De ce point de vue, comme l’illustrent remarquablement bien Anna Dupleix-Marchal et Pascale Moity-Maizi, les préparations constituent, pour l’enquêteur·ice, des moments durant lesquels iel peut construire des problèmes communs avec les acteur·ices.

26Les préparations ne sont pas uniquement une ficelle méthodologique, mais également narrative. Difficile, en effet, de parler de préparations si les enjeux de l’activité qu’elles préparent ne sont pas connus. Faire comprendre l’importance des préparations exige de l’auteur·ice un effort pédagogique supplémentaire pour embarquer son ou sa lecteur·ice. C’est le cas, par exemple, de l’article de Claude Rosental : passer par la préparation des pitchs lui permet d’expliquer en quoi cet exercice est fondateur pour un projet entrepreneurial. Ainsi, l’auteur peut rendre compte de ce qui se joue dans un « accélérateur à startups ». Cet effort pédagogique requiert de s’attacher aux résultats escomptés et/ou produits préparés, tout en décrivant des activités qui, comme dans l’exemple de la chirurgie (Dubey et Le Calvé), peuvent se dérouler dans lieux et des temps distincts. En d’autres termes, raconter des préparations contribue à produire une « totalisation ethnographique » (Dodier & Baszanger, 1997), c’est-à-dire la possibilité de restituer les matériaux collectés dans un même ensemble cohérent.

Intégrer l’imprévu, provoquer l’inattendu

27Les préparations décrites dans ce dossier sont plus ou moins marquées par des tâtonnements et des discussions ou, au contraire, le fruit de protocoles bien huilés. S’il apparait de manière différenciée, le rapport à l’incertitude et/ou à l’instabilité traverse les différentes contributions. Les clowns suivis par Claire Bodelet se préparent pour s’adapter aux réactions de leurs spectateur·ices et les intégrer à leur performance. Pour ce faire, iels s’appuient sur des séquences d’action bien établies (comme la répartition clown rouge/blanc) ou les détails glanés auprès des équipes soignantes. D’autres articles décrivent un accueil différent à l’incertitude. Mathilde Lagrola souligne, par exemple, qu’à la spontanéité des microbes, la fromagère répond en organisant son espace et ses gestes de sorte à garantir la qualité de sa production. À travers les routines de nettoyage, elle ne planifie pas tant l’action des microbes qu’elle la rend tout simplement possible.

28Si les clowns décrits par Claire Bodelet ou les fromagères accompagnées par Mathilde Lagrola suivent des protocoles relativement clairs et stabilisés, d’autres articles rendent compte de préparations beaucoup moins assurées. Dans l’article de Maxime Le Calvé, le dummy préparé pour la simulation en neurochirurgie n’est encore qu’un prototype dont la production est en cours de standardisation. Les concepteurs avancent pas à pas, en testant, par exemple, la matière animale la plus à même de reproduire la sensation tactile d’inciser dans un cerveau. Ils espèrent être bientôt capables de stabiliser cette innovation pour la commercialiser. Il en va de même dans l’expérimentation variétale décrite par Sophie Tabouret. Les acteur·ices sont en train d’élaborer un protocole et de s’accorder à son sujet afin d’intégrer la filière viticole et ses enjeux commerciaux. Si les procédures ne sont pas toujours consolidées, c’est même parfois la surprise qui est recherchée, voire provoquée. Le secret joue ainsi un rôle central dans la préparation des actions des militant·es d’XR décrits par Célia de Pietro. Celui-ci garantit non seulement la réussite de l’action auprès du public, mais également la sécurité de celleux qui participent à l’action. Chacune des préparations décrites dans ce dossier fait émerger une définition de l’incertitude et de ses qualités, qu’elle soit considérée comme souhaitable ou au contraire à limiter. Y prêter attention permet de rendre compte des façons dont les préparations engagent une conception de l’action à mener.

Les savoirs des préparations

29Les différents articles qui composent ce dossier décrivent également une activité épistémique intense. Sa richesse dépasse largement la simple production de plans. Un vaste ensemble de compétences incorporées, d’expertises et de savoirs déborde de ces préparations. Ce point soulève des questions qui parcourent les articles de ce dossier : comment les participant·es connaissent-iels la bonne façon de (se) préparer et de mettre en place ? Qui sont les professionnel·les des préparations et que font-iels ? De la collecte d’informations, à la préparation d’un espace de travail en passant par la lecture de documents et d’images, ces expertises tiennent alors non seulement à des savoirs sur l’action, mais aussi des savoirs pour mener à bien sa préparation.

30Les préparations rendent ainsi visibles une gamme de compétences incorporées ainsi que l’entrainement de dispositions. Celles-ci sont développées par des simulations, des exercices ou des mises en situation. Une partie des préparations des activistes d’XR pour « faire être rebelle » consiste à expérimenter dans leurs corps, les techniques qui permettent de réagir face à une intervention des forces de l’ordre. Ces simulations les amènent également à explorer leurs émotions et à les apprivoiser. Ainsi, les préparations peuvent se comprendre comme une action sur l’expérience telle que les participant·es la travaillent et l’organisent (Bidet, 2008 ; 2011).

31Selon les terrains, ces compétences et ces connaissances sont plus ou moins valorisées et reconnues comme telles. Elles peuvent faire l’objet de savoirs stabilisés et qui circulent de façon extensive. On pense, par exemple, aux connaissances du formateur rencontré par Mathilde Lagrola. Celui-ci diffuse les « bonnes pratiques » d’hygiène auprès des fromagères et fromagers. Toutefois, ces expertises peuvent faire l’objet de désaccords ou de controverses : la façon de préparer l’expérimentation variétale décrite par Sophie Tabouret ne fait pas consensus. Agronomes, viticulteur·ices et administrations s’opposent sur la forme que doit prendre cette expérimentation. Ici, les préparations permettent de revenir par la bande sur le rôle de prescriptions moins locales et les connaissances qui n’ont pas été directement élaborées par les acteur·ices suivis sur le terrain. Nous pensons non seulement à la législation française sur l’expérimentation variétale (Tabouret), mais également aux procédures formulées par Ballot-Flurin dans son manuel d’apiculture (Dupleix-Marchal & Moity-Maizi) ou aux objectifs d’XR publiés sur un site web (de Pietro). Ces situations interrogent les façons dont ces prescriptions sont reprises dans le travail de préparation.

32À ce titre, la qualité des préparations, que ce soit « à l’interne » ou en regard de prescriptions plus larges, est un point qui revient dans plusieurs articles du dossier. C’est, par exemple, tout l’enjeu de la préparation de la simulation décrite par Maxime Le Calvé : permet-elle de reproduire fidèlement l’expérience de l’opération ? Et dans quelle mesure est-il possible de produire ce dispositif d’une manière suffisamment stable pour le commercialiser ? Ce point pose la question des modalités de l’évaluation des préparations et de ses responsables. Qui décide de la qualité non seulement des résultats, mais aussi de la façon dont on mène des tests ou des mises en place ? Ces enjeux rejoignent pour partie les travaux sur la preparedness (voir par exemple Collier, 2008 ; Deville, Guggenheim & Hrdličková, 2014). Elles interrogent les processus d’autorisation qui permettent de certifier la qualité de ce qui a été préparé et déplacent la question du succès d’une préparation au-delà ses résultats effectifs.

  • 16 Les études de cas dans les business schools en sont un exemple particulièrement éloquent (Lezaun & (...)

33Sur certains terrains, les préparations peuvent même être envisagées comme un domaine spécifique d’activité. Les articles de Claude Rosental et de Jean Danielou illustrent bien ce trait. Les différentes formations proposées par l’incubateur décrit par Rosental sont le fait d’acteur·ices qui pourraient être qualifiées de véritables « pros de la préparation ». Dans l’article de Jean Danielou, Marcus peut également être présenté comme un professionnel de la préparation. Son activité consiste bien à préparer les redéploiements d’une grande multinationale de l’énergie. À ce titre, l’article met en valeur l’importance des activités stratégiques et bureaucratiques au sein des pratiques de préparation. Ces activités de soutien apparaissent, d’ailleurs, ponctuellement dans différentes contributions (les aides de blocs chez Dubey, ou les technicien·es fromager·es chez Lagrola, par exemple). Ces exemples laissent imaginer, à l’instar de travaux sur la maintenance (Denis & Pontille, 2022 ; Graham & Thrift, 2007 ; Strebel, Bovet & Sormani, 2019), l’existence des continents professionnels peu étudiés et d’une véritable économie de la préparation allant du conseil aux formations, en passant par l’édition de manuels ou la vente d’équipements. On pourrait d’ailleurs se demander si les préparations ne sont pas en partie le versant opposé de ce que certains auteurs ont appelé la « société de la performance » (McKenzie, 2002 ; Muniesa, 2018 ; Stark, 2020) ou de la « démonstration » (Rosental, 2019). En effet, ces nouvelles exigences qui pèsent tant sur les individus que sur les collectifs amènent à mieux se préparer, à s’entrainer ou à se former16.

Les dispositifs des préparations

34Un autre aspect frappant à la lecture des différents articles du dossier est la présence de dispositifs qui concourent aux préparations à l’action. Ces « ordering devices », pour reprendre la terminologie de Lucy Suchman (1987), sont nombreux : des tableurs Excel ou des procès-verbaux de réunion (Tabouret) ; des plannings ou des schémas d’intervention (Dubey, Le Calvé) ; des PowerPoint (Rosental) ; des cahiers de transmission (Bodelet) ; ou encore des rapports (Danielou). Si s’intéresser à de tels dispositifs n’est pas particulièrement original, entrer par les préparations permet de leur réserver une attention décalée. Non seulement ils agissent dans l’action, mais l’on saisit mieux de quelle façon ils sont produits, remodelés et ajustés ainsi que les savoir-faire qui s’y attachent.

35De ce point de vue, l’enquête de Danielou est particulièrement parlante. En entrant dans l’écriture même des rapports qui permettront à une multinationale de se positionner sur des projets de production d’énergies renouvelables (dans ce cas précis, la biocombustion), nous pouvons saisir la constitution de ces dispositifs d’organisation en train de se faire, et non leur mobilisation dans le cours de l’action. Ce qui ensuite apparaitra comme une ressource pour l’ensemble des acteur·ices est ici encore en cours d’élaboration. Dans d’autres situations, la préparation passe par des dispositifs plus inattendus. C’est le cas, par exemple, des ruches dans l’article de Dupleix-Marchal et Moity-Maizi. Qu’elles soient de modèle Warré, Kenyane ou Dadant, leur architecture compte. Celle-ci prépare la rencontre entre l’apiculteur·ices et les abeilles et peut la faciliter, en agissant sur le comportement de l’essaim. Cet exemple permet de souligner que les préparations concourent souvent non seulement à mettre en place un espace, mais également à stabiliser des gestes ou des postures. La prise en compte des aspects matériels et de l’embodiment dans le déroulé de l’action constitue déjà une ligne d’intérêt bien développée (Denis & Pontille, 2010 ; Hutchins, 2020 ; Lave, 1984 ; Marres & Lezaun, 2011 ; Streeck, Goodwin & LeBaron, 2011 ; Vinck, 2012). Néanmoins, les articles de ce dossier prolongent ces questionnements en interrogeant les modalités d’aménagement des espaces, des temps et des corps.

  • 17 Sur une telle remise en temporalité, voir Alač et ses collègues (2011) sur le « quand » un robot es (...)

36Ces passages par les « régions postérieures » de l’action, pour emprunter une expression d’Ervin Goffman (1973), permettent ainsi de mettre en évidence des rapports très différents au rôle joué par l’environnement. La question oriente alors plutôt vers « quand » l’environnement détermine l’action, qu’une réponse valable une fois pour toutes17. Dans les pratiques routinières d’hygiène, de nettoyage et de rangements des fromagères et des fromagers, l’espace de travail est une ressource incontournable (Lagrola). Il oriente, guide, facilite les différentes opérations menées en permettant notamment de séparer le propre du sale : à telle partie de l’évier correspondent les instruments propres et à telle autre, ceux qui sont sales. Il s’agit de ne pas s’y tromper. L’autrice montre, toutefois, de quelle façon cet espace est justement pensé et retravaillé par les professionnelles, par exemple, lors d’une nouvelle installation. Les préparations créent ainsi des espaces et des temporalités pour l’action, les organisent et contribuent à les mettre en ordre (Law, 1993 ; Mol & Law, 1995). À ce titre, les articles de ce dossier montrent que les préparations produisent des « contraintes productives » ou « généreuses » (Gomart & Hennion, 1999) qui permettent de réaliser l’action à venir. Ces pratiques résonnent avec des verbes comme « faire faire », « faire en sorte que » ou « se mettre dans les conditions de » qui soulignent bien ce difficile travail qui consiste à orienter les choses pour qu’une certaine forme d’action advienne.

Former un collectif

37Un dernier point nous semble émerger de ce dossier sur lequel nous souhaitons conclure sous forme d’ouverture : chacune des préparations décrites met en jeu un collectif. Ces collectifs peuvent prendre des formes très différentes. Ils peuvent être plus ou moins étendus, que l’on parle d’un apiculteur face à son ruché ou d’une expérimentation variétale mobilisant une bonne partie d’une filière économique d’une région. Ils peuvent être éphémères, comme un duo de clowns se retrouvant simplement pour une journée, ou s’inscrire dans la durée de l’investissement d’une multinationale de l’énergie pour une stratégie visant à rediriger son activité. Comme nous l’avons vu, ces collectifs peuvent être également plus ou moins professionnalisés, hétérogènes ou consensuels.

38Ce point rapproche encore les préparations des conceptions pragmatistes de l’enquête (Cefaï, 2016 ; Cefaï et al., 2015 ; Dewey, 2010). On retrouve un même effort collectif pour passer d’une situation indéterminée à une situation dont la description, les rôles et les places font sens pour ses acteur·ices. À ce titre, les préparations sont autant d’ontographies, au sens de Michael Lynch (2013). Elles correspondent à un moment où un collectif travaille à produire son existence, à établir ce qui la définit pour mieux se connaitre. Le cas des startups décrites Claude Rosental est, à ce titre, exemplaire : les projets entrepreneuriaux existent notamment parce que les individus qui les portent se sont entrainés à les « pitcher ». Le pitch constitue un élément incontournable de ce qui fonde leur consistance. Les contributions à ce dossier permettent ainsi d’interroger ce travail de composition d’éléments disparates qui s’affermit et dessine ses contours, dans le temps et dans l’espace, en distribuant des rôles, en attribuant des qualités et en faisant intervenir tout une série d’expertises.

39Les articles de ce dossier montrent aussi que le passage à l’action est une mise à l’épreuve pour ce collectif : est-ce que les choses ont été assez bien accordées et est-ce qu’elles font suffisamment consensus ? Qui agit de concert pour que quelque chose advienne ? Les préparations sont également un moment où les adéquations de chacun·e et de chaque chose à un projet sont mises à l’épreuve. Suivre ces processus permet d’identifier ce qui se renforce ou, au contraire, est abandonné d’une répétition ou d’un ajustement à l’autre. Par exemple, travailler au rucher passe bien par le fait de s’attacher à une attention différente aux abeilles et de se détacher de certains équipements ou dispositifs pour faire exister une apiculture alternative (Dupleix-Marchal & Moity-Maizi). Étudier les préparations permet de rendre compte des formes que ce travail de composition peut prendre et de ce qui contribue ou, au contraire, limite une action collective.

40Ce dossier, nous le pensons, démontre l’intérêt de saisir l’action à partir de ses préparations. Nous remercions les auteur·ices d’avoir relevé l’invitation que nous avions lancée sous forme de défi. Ce faisant, iels ont offert bien des prolongements à nos interrogations en accordant leur attention à cette fragile et difficile activité qui consiste à préparer. Nous espérons que d’autres se saisiront de ces pistes pour les poursuivre et les faire fructifier et, ainsi, contribuer à préparer des rencontres originales entre analyses de l’activité, études des sciences et des techniques et sociologies pragmatistes.

Nous tenons à remercier le comité de rédaction de la Revue d’anthropologie des connaissances pour sa confiance ainsi que les trente-cinq évaluateur·ices internes et externes à la revue sans qui la publication de ce dossier n’aurait pas été possible. Ce dossier a également bénéficié du soutien financier de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales (ASSH). Enfin, cette introduction a profité des précieux retours d’Alexandra Bidet, de Solène Gouilhers, de David Pontille, de Géraldine Rix-Lièvre, de Pascale Trompette et de Dominique Vinck. La thèse défendue et ses défauts nous restent imputables sans réserve.

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Notes

1 Cette tradition est particulièrement riche en France et a contribué à de nombreux courants de recherche dont cette revue est largement l’héritière.

2 Hormis quelques textes, dont un article de David Kirsh (1990) sur la robotique et un autre de Bernard Conein sur la cuisine (1990), très peu d’articles portent explicitement sur les préparations.

3 Si nous partageons certaines préoccupations avec ces auteur·ices – notamment quant à la production et à la formalisation des connaissances ou aux tests –, ce type de préparation fait l’objet d’une littérature abondante (voir Bidet, 2015 ; Collier, 2008 ; Deville, Guggenheim & Hrdličková, 2014 ; Lakoff, 2007 ; Laurent, Saraç-Lesavre & Violle, 2019).

4 En France notamment, de nombreuses recherches se sont inspirées de travaux américains à ce sujet (voir, par exemple, Barbier, 2000 ; Bidet, 2012 ; Bidet et al., 2006 ; Bidet, Datchary & Gaglio, 2017 ; Pharo & Quéré, 1990).

5 Rassemblées dans la deuxième édition de son ouvrage (Suchman, 2007), ses réponses ont été composées à la suite de lectures collectives de la première édition (voir Koschmann, 2003 ; Norman, 1993). L’ensemble de Human–Machine Reconfigurations revient sur ces malentendus dans une série de notes de bas de page – qui illustre bien l’ampleur du débat et son importance théorique.

6 Suchman (1993, p. 75) explique : « To reach that understanding [of how plans arise out of situated activity and how they are subsequently brought to bear on it] will require an account of the relation between planning-as-activity, the artifacts of that activity, and the subsequent activities to which those artifacts (conceptual, linguistic, or otherwise) are meaningfully related ». Le chapitre 11 de Human-Machine Reconfigurations propose par ailleurs une liste extensive de ces artefacts.

7 Suchman (2011) mentionne les travaux en histoire sur la constitution des horaires de trains aux États-Unis pour justifier le fait qu’elle ne revenait pas elle-même sur cette production, mais plutôt leurs usages en action.

8 Ce numéro n’inclut malheureusement pas d’article sur le sport qui est assurément un des domaines les plus fascinants pour aborder des préparations à l’action, tant cette notion a été théorisée et développée. Dans Comment gagner un match de foot ?, dans lequel les journalistes Raphaël Cosmidis, Julien Momont, Philippe Gargov et Christophe Kuchly (2021) mènent une enquête fascinante sur la recherche de la performance dans un club de football. Ils décrivent de manière approfondie l’épaisseur des savoirs, des dispositifs et des professionnel.les qui contribuent à optimiser la performance de l’équipe première durant les nonante minutes que dure un match. Voir également dans le dossier précédent de la RAC, Michel Récopé, Stéphane Héros, Simon Boyer, Simon Flandin et Géraldine Rix-Lièvre (2024) ou Thibault Kerivel, Julien Guibourdenche, Magali Prost et Cyril Bossard (2024).

9 Voir à ce sujet les travaux sur les amateur·ices (Hennion, 2009 ; Hennion & Teil, 2004 ; Teil, 2004), sur le renoncement voir Monnin (2023).

10 Il est toujours surprenant de la part d’auteur·ices revendiquant les apports des méthodes ethnographiques de s’appuyer sur des exemples fictifs. Si ces emprunts et métaphores peuvent parfois être heuristiques, ils encourent toujours le risque de simplifications voire d’apories. Sur le cas du théâtre comme métaphore, voir par exemple Atkinson (2006) ou Vinck et Tanferri (2020).

11 Nous disons imaginer parce qu’aucun de nous n’a pratiqué le canoë en compétition. En revanche, ce commentaire est informé de notre pratique d’autres sports, notamment l’escrime. Sur la préparation du geste du sportif, voir également Hennion (2010).

12 Cette remarque amène également à considérer que le travail de reproduction à l’identique par exemple d’objets en série ou d’aliments standardisés dans la production industrielle est un travail particulièrement complexe qui vise à stabiliser des cours d’action dont les préparations pourraient permettre de rendre compte. Voir par exemple sur le concert dans l’industrie musicale (Riom, 2023a ; 2023b).

13 Sur la recherche d’effet de surprise, voir Zimmermann (2015) ou Riom (2022).

14 Nous reprenons cette expression à Didier Debaise et Isabelle Stengers (2021). En s’appuyant sur l’empirisme radical de William James (2005), Debaise et Stengers nous invitent à résister à l’amincissement du monde, c’est-à-dire la réduction de la pluralité des relations entre les êtres et l’hétérogénéité des existences. De ce point de vue, il nous semble que certaines théories de l’action lorsqu’elles la réduisent à une séquence chronologique (A, puis B, puis C) tendent justement à l’amincissement du monde plutôt qu’à son épaississement. Si le compte-rendu de l’action nous parait un passage obligé, ce n’est pas pour lui-même, mais bien pour ce qu’il permet de déplier.

15 C’est une expérience que nous avons également faite sur nos terrains respectifs.

16 Les études de cas dans les business schools en sont un exemple particulièrement éloquent (Lezaun & Muniesa, 2017 ; Muniesa, 2020).

17 Sur une telle remise en temporalité, voir Alač et ses collègues (2011) sur le « quand » un robot est social ou encore Bruno Latour (2013) sur les deux moments de l’existence des organisations.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Loïc Riom et Mylène Tanferri, « Sur la piste des préparations »Revue d’anthropologie des connaissances [En ligne], 18-2 | 2024, mis en ligne le 01 juin 2024, consulté le 11 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/rac/33745 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11r9q

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Auteurs

Loïc Riom

Premier assistant à l'Université de Lausanne, il enseigne à l'École polytechnique fédérale de Lausanne. Il est titulaire d'un doctorat en études des sciences et des techniques (Centre de sociologie de l'innovation, Mines Paris), dans le cadre duquel il a étudié l'économisation de formats de concerts intimistes et secrets. Ses recherches actuelles portent sur l’innovation dans l'industrie musicale.
ORCID : https://orcid.org/0000-0001-5122-5590

Adresse : STS Lab, Institut des sciences sociales (ISS), Université de Lausanne, Quartier UNIL-Mouline, Bâtiment Géopolis, CH-1015 Lausanne (Suisse)
Courriel : loic.riom[at]unil.ch

Articles du même auteur

Mylène Tanferri

Titulaire d’une thèse en études des sciences et des techniques (STS Lab, Université de Lausanne), chercheuse postdoctorale Marie Sklodowska Curie à l’IT University de Copenhague, ses recherches portent sur les pratiques de numérisation de patrimoines culturels et naturels comme processus sociotechniques.
ORCID : https://orcid.org/0000-0003-1650-8442

Adresse : Center for Climate IT (CCIT), IT University of Copenhagen, Rued Langgaards Vej 7, DK-2300 Copenhagen (Danmark)
Courriel : mylt[at]itu.dk

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