1La réputation du site du Camp de Saint-Symphorien à Paule n’est plus à faire. Divers articles en avaient révélé quelques-uns des aspects les plus spectaculaires, comme ses fortifications (Menez et Arramond 1997) ou ses extraordinaires sculptures (Menez 1999). D’autres avaient permis de souligner sa place déterminante dans les problématiques régionales, notamment en ce qui concerne la céramique et sa contribution à la maîtrise des séquences chronologiques (Menez 2012 ; Menez 2018), ou encore la connaissance des pratiques métallurgiques protohistoriques (Menez et al. 2007). De la sorte, le renom de Paule avait largement dépassé le cadre de l’âge du Fer armoricain, le site étant connu, presque familier, de la communauté des protohistoriens.
2L’engagement d’Yves Menez et de son équipe dans l’enquête nationale consacrée à l’habitat du second âge du Fer (Malrain et al. 2013) a aussi contribué, à sa manière, à placer le site sur le devant de la scène, sur le plan national et européen. Mais, en dehors de quelques happy few familiers du site et des lecteurs de la thèse qu’Yves Menez a présentée en 2008 devant l’université de Paris 1, peu de chercheurs disposaient d’une vue complète de Paule et, du fait même de sa complexité, le site restait un peu masqué par l’aura qui entoure les gisements archéologiques d’exception, ceux qui permettent des avancées majeures dans la connaissance des sociétés anciennes aussi bien en raison de leur valeur intrinsèque que pour l’analyse dont ils ont été l’objet.
3La réputation de Paule n’était pas usurpée et l’on doit savoir gré à Yves Menez d’avoir magistralement dirigé la publication qui nous est offerte. Publié dans la collection des Documents d’archéologie française, cet ouvrage, permet enfin de prendre la mesure du site dans toute sa richesse et toute sa complexité, sa trajectoire depuis une ferme de haut rang de la fin du premier âge du Fer jusqu’à un habitat groupé fortifié de La Tène finale en étant probablement l’un des traits les plus marquants.
4L’ouvrage vient conclure une longue recherche dont le point de départ fut une fouille préventive conduite de 1984 à 1988 par Claude Le Potier, suivie d’une série de fouilles programmées réalisées successivement sous la direction de Jean-Charles Arramond, d’Yves Menez et d’Anne Villard-Le Tiec de 1989 à 2008, et parachevée par la thèse d’Yves Menez dont des parties sont intégrées au manuscrit.
5L’immense intérêt de cet ouvrage tient à l’enchaînement logique et remarquablement maîtrisé de ses trois parties constitutives. La monographie proprement dite d’abord (chapitres 1 à 9). L’intégration de celui-ci dans le cadre de l’âge du Fer du Massif armoricain fondée sur une recherche pluridisciplinaire exemplaire (chapitre 10). Une réflexion sur les résidences élitaires de l’âge du Fer dans un cadre élargi à l’Europe occidentale (chapitres 11 et 12) vient clore l’ouvrage. En réalité, en imbriquant ces trois focales, les auteurs convient d’emblée le lecteur sur la voie de la synthèse historique en convoquant, au fur et à mesure de l’analyse des données de terrain, nombre de comparaisons choisies dans le contexte régional et dans celui de la Gaule du nord.
- 1 Et d’un maniement peu commode, il faut bien l’avouer.
- 2 L’expression “ gobelets à pâte métallescente ” (p. 210) est malheureuse, tout comme la confusion à (...)
- 3 Les communes de Barbey et de Grisy-sur-Seine ne sont pas dans l’Oise (p. 35), ni Ronchère dans l’Yo (...)
6L’ouvrage bénéficie d’une édition très soignée et d’une présentation d’une grande qualité formelle. On pourra s’étonner du format (30 × 30 cm), peu usuel dans le domaine de l’édition scientifique1 pour se rapprocher plutôt de celui de l’édition d’art. Mais celui-ci se révèle adapté à la reproduction de nombreuses illustrations en double page qui permettent de mettre à la disposition du lecteur tout à la fois des plans, des coupes, des photographies de terrain, des illustrations de mobilier, voire des restitutions. Dès lors, on comprend mieux le choix, au départ déroutant, de placer ces illustrations en fin de chapitre. On saluera également le choix de faire précéder chaque chapitre d’un résumé et de sa traduction en anglais qui permettra à ceux de nos collègues qui ne manient pas le français de se faire une idée très précise du contenu de chacun d’entre eux. Bien entendu, il reste quelques coquilles (pouvait-il en être autrement dans un texte aussi dense ?), quelques erreurs2 ou approximations dans la localisation géographique de sites de comparaison3 qu’une relecture plus attentive aurait pu faire disparaître, mais elles ne nuisent pas à la lecture du texte.
7Le caractère exceptionnel du site tient moins à son état de conservation, tout à fait ordinaire (il ne subsiste aucun niveau d’occupation) en dehors de certaines de ses composantes majeures (ses enceintes et leurs talus dont certains tronçons encore en élévation ont longtemps marqué le paysage) qu’à l’ampleur des surfaces explorées (51 500 m²). La longévité de l’occupation (huit siècles au moins) et certaines des découvertes (la statuaire celtique, les architectures, les bois gorgés d’eau du puits no 1…) contribuent au caractère exceptionnel du site. Mais l’étude de Paule est surtout servie par une recherche exemplaire mise en œuvre dans un cadre pluridisciplinaire. Cette dernière s’appuie sur une méthodologie classique mais éprouvée, sur la mise en œuvre de certains des outils les plus actuels de la recherche (intégration des données de terrain dans un SIG, relevés lidar…) et sur la lecture exigeante d’un site très complexe alliée à une fine connaissance du contexte régional. Le travail de terrain et l’analyse impressionnent : il faut prendre la mesure de la difficulté de lecture d’un site érodé aux stratigraphies peu développées en dehors des fossés et où s’enchevêtrent les structures témoignant de six phases d’occupation qu’il a fallu décortiquer, le tout dans un contexte géologique des plus difficiles constitué de schistes et de grès. En effet, le site ayant été occupé sans discontinuité de la fin du vie s. av. J.-C. jusqu’à l’époque romaine, il s’en est suivi une série de bouleversements et de recoupements et l’on suppose la complexité de l'interprétation de secteurs où les enceintes se recoupent, mais aussi du cœur de l’habitat puisque le corps d’habitation principal et ses annexes ont été systématiquement rebâtis au même endroit.
8La méthodologie fait l’objet d’un long exposé au chapitre 1, lequel s’attache à décrire le cadre de l’intervention (p. 19-30). L’archéologue qui œuvre dans le domaine préventif n’y trouvera peut-être que le déroulé de son quotidien le plus banal, mais force est de reconnaître qu’en dehors de quelques ouvrages méthodologiques, il est rare que cet aspect soit mis en avant de manière aussi détaillée dans une publication. Et aussi honnête doit-on ajouter : à aucun moment Yves Menez ne passe sous silence les écueils potentiels d’une fouille largement mécanisée sans laquelle il était impossible de fouiller un tel site (pas plus qu’aucun établissement rural fossoyé protohistorique d’ailleurs). On ne peut que se féliciter de voir publié un plan général faisant état de la méthode de fouille appliquée à tel ou tel segment de fossé (Fig. 6) ce qui permettra, le cas échéant, de pondérer telle ou telle interprétation.
9On ne peut faire l’économie de récapituler les principales caractéristiques des transformations du site de Paule, chaque phase étant marquée par des modifications tantôt radicales, tantôt subtiles. Avant d’entrer dans le vif du sujet, Yves Ménez et Anne Villard-Le Tiec rappellent que les première traces d’occupation consistent en deux tumuli du Bronze moyen installés sur la crête de terrain sur laquelle est installé le site (p. 33). Ces monuments participent déjà d’un jalonnement territorial élaboré et serviront de point d’ancrage à l’ensemble cultuel installé à l’époque romaine après la destruction de l’habitat (p. 205). L’ouvrage insiste à juste titre, sur l’importance et la pérennité des axes de circulation qui semblent avoir servi de point de fixation à l’habitat autour d’un carrefour et subiront de nombreux remodelages, parfois spectaculaires, surtout à la fin de l’âge du Fer. L’intégration de ces axes, véritables voies à partir du iie s. av. J.-C., explique en grande partie, avec les sources pérennes, l’organisation du territoire dans lequel s’insère le site de Paule.
- 4 Les auteurs qualifient curieusement de “ nécropoles ” ces deux enclos funéraires (p. 40-42).
10La phase 1 correspond au “ premier domaine familial ”, créé vers 550 av. J.-C. et utilisé jusque vers 300 av. J.-C. (chapitre 2, p. 31-75). Délimité par un enclos curviligne, l’établissement est déjà hors du commun pour la période du fait de ses dimensions (9 000 m²). Tout aussi remarquables sont le possible talus parementé, l’adjonction d’un “ corral ” de 4 000 m² et les dimensions du “ logis ” (410 m²). Ce dernier est complété par quatre souterrains, un atelier de tissage et deux celliers implantés de long de l’enceinte. À cet habitat, qui présente déjà tous les traits d’une résidence de haut rang, sont associés, selon une norme commune en Bretagne, deux ensembles funéraires4 distincts, localisés aux abords de l’habitat, délimités par des enclos quadrangulaires palissadés et comportant crémations, inhumations et stèles en granit, un tertre circulaire étant restitué dans l’ensemble no 1. Fait exceptionnel, les chemins qui reliaient ces enclos au réseau viaire principal ont pu être fouillés. Les auteurs s’interrogent, sans pouvoir apporter de réponse, sur la différence de statut ou de lignage des sujets destinés à ces deux espaces funéraires.
11Lors de la phase 2, la ferme de fort statut est remplacée par une “ résidence monumentale ” (chapitre 3, p. 77-98). Résultant d’une refonte complète de l’établissement, la physionomie de l’habitat a radicalement changé : deux enclos quadrangulaires totalisant 5 500 m² séparés par un fossé sont entourés par une enceinte de forme irrégulière. L’enclos 1, la résidence, comporte un logis de 103 m² doté d’un étage, de cinq souterrains, d’une citerne et d’une grande annexe. L’enclos 2 est une avant-cour destinée, entre autre, au stockage. La grande originalité de cet établissement, daté entre 300 et 250 av. J.-C., réside dans la fortification de l’enclos 1, constituée par de profonds fossés doublés d’un rempart à poutrage interne parementé à sa base, auquel s’ajoutent quatre tours portières et deux tours d’angle. L’accent est mis sur la mise en défense du site, même si celui-ci demeure un établissement rural. L’hypothèse est d’ailleurs émise que les souterrains s’ouvrant sous le sol de la demeure ont pu jouer un rôle dans la défense passive en plus de leur fonction de lieu de stockage en milieu frais et humide (p. 83).
12Un cran supplémentaire est franchi avec la phase 3 qui voit le site restructuré et transformé en “ résidence fortifiée ” entre 250 et 175 av. J.-C. (chapitre 4, p. 99-110). L’enclos 1 est maintenu, mais son fossé oriental est tout de même agrandi et son accès modifié par la construction d’un pont protégé par une porte monumentale qui n’a rien à envier à celles de certains oppida. Autre modification majeure, l’enclos 1 est entouré d’un second fossé pouvant atteindre jusqu’à 4,30 m de profondeur. Dans le même temps, le fossé de délimitation de l’enclos 2 est recreusé pour atteindre jusqu’à 4,50 m de profondeur. Le système défensif est également transformé : le rempart de terre, renforcé et taluté, atteint 5 m de large, sa façade étant désormais verticale, alors que les tours d’angle sont rehaussées et que trois des portes de la phase 2 sont condamnées. Si le logis est maintenu sans changement notable, l’accès à celui-ci, comportant des chicanes, est désormais devenu si complexe que c’est bien la résidence et ses occupants que l’on a cherché à défendre. Le rempart n’est pas seulement une construction ostentatoire : le site est désormais une fortification dotée d’une basse-cour (Fig. 68).
13Un incendie suivi de “ la reconstruction et [de] l’extension ” de la résidence marque la rupture avec une très brève phase 4 datée des années 175-150 av. J.-C. (chapitre 5, p. 111-148). Le fossé de l’enclos 1 est comblé et c’est le fossé périphérique qui délimite désormais l’ensemble. Le logis, agrandi et modifié, demeure au même emplacement. Pas de changement significatif dans l’avant-cour en dehors du fait qu’elle est délimitée par des douves de 7 m de large et 3 m de profondeur. L’une des principales nouveautés est que l’ensemble est désormais intégré à une enceinte oblongue de 560 × 180 m dont seuls quelques tronçons des quelque 1,5 km de longueur ont été fouillés. Autre innovation majeure, c’est dans ce périmètre que sont créés trois nouveaux aménagements qui permettent de mesurer le rang social et économique du site. Au sud de l’enclos 1, il s’agit d’une vaste construction composée de trois corps disposés autour d’un espace vide. Cet aménagement, qui a abrité une écurie, est comparé à l’édifice à quadriportique de Bibracte et aux macella de l’Occident romain. Dans la partie orientale, ce sont deux enclos quadrangulaires qui sont créés, l’un abritant une construction à quatre poteaux et l’autre un entrepôt qu’Yves Menez compare à juste titre aux horrea romains et à certaines granges dîmières médiévales.
14C’est dans le périmètre de cette vaste enceinte que va naître, au cours de la phase 5, une agglomération dont le développement est situé entre 150 et 20 av. J.-C. (chapitre 6, p. 149-200). Les fossés de l’avant-cour et de ce qui subsiste de l’enclos 1 sont colmatés et remplacés par une palissade alors que trois côtés de la résidence sont désormais ceints d’un rempart de 8 m de large, de 3 m de haut, doté d’un parapet, d’un chemin de ronde et d’une entrée en chicane : un château fort ! Si le logis ne subit pas de transformation majeure, la cour accueille un aménagement en hémicycle qui a pu accueillir assemblées et banquets, comme son homologue de l’oppidum de Corent. C’est dans cette cour qu’est aménagé un puits de 18 m de profondeur dont la fouille a livré les restes tout à fait remarquables d’une machine à puiser, accompagnés d’un seau et de macro-restes végétaux. Les deux enclos localisés dans la partie orientale de la grande enceinte subissent, eux aussi, des transformations importantes (création d’un porche monumental, reconstruction de l’entrepôt…). Fait notable, le mobilier découvert dans le fossé témoigne d’une occupation domestique qu’Yves Menez met en relation avec le gardiennage des récoltes. Le reste de la basse-cour est investi par les bâtiments de l’agglomération “ placée sous le contrôle de la résidence ” (p. 160) ; peu ont cependant pu être fouillés.
- 5 Avec des contributions de Gérard Aubin, Paul-André Besombes, Vincent Drost et William Van Andringa.
15La dernière phase est d’abord marquée par l’abandon et le démantèlement de l’habitat, les matériaux étant récupérés pour être évacués ailleurs entre 20 av. J.-C. à 15 ap. J.-C. (chapitre 7 : p. 201-228)5. C’est alors que l’espace contenant les tumuli de l’âge du Bronze est délimité par une clôture en navette qui accueillera un ensemble dédié au culte funéraire attaché au lignage aristocratique ayant présidé aux destinées du site depuis sa fondation (p. 201). Cette hypothèse, solidement argumentée, mais qui fait fi des lacunes documentaires entre l’âge du Bronze et la période augustéenne, n’est recevable que si l’on considère que les tumuli font alors l’objet d’une réappropriation symbolique et si l’on considère que les statues de l’âge du Fer sont bien celles d’ancêtres.
- 6 Avec des contributions de Gérard Aubin, Clémentine Barbau, Anna Baudry, Marion Berranger, Maryse Bl (...)
16Le chapitre 8, intitulé “ Quelques considérations sur le mobilier ” (p. 229-311)6, ne prétend pas à une vision exhaustive du mobilier mais apporte un éclairage ponctuel sur certains des aspects qui éclairent, les équipements de l’établissement, les activités et le statut des occupants. Sont passés en revue notamment :
17Les amphores italiques, dont une majorité de gréco-italiques et de Dr. 1 anciennes ; l’effectif, le plus important qui soit à ce jour disponible en Bretagne souligne, si besoin était, la place du site et de ses occupants dans la hiérarchie régionale et celle du vin dans les repas de commensalité, tout en illustrant, une fois de plus, les spécificités du faciès atlantique.
18Le mobilier en métal parmi lequel la rareté des accessoires du banquet et de l’armement est expliquée par le recyclage systématique du fer et des alliages cuivreux.
19Le travail du fer décrit comme intensif et destiné à la production de pièces volumineuses.
20Le travail des alliages à base de cuivre documenté par de nombreux creusets et au moins deux moules portatifs originaux.
21Le travail de l’or prouvé par des creusets, notamment de tessons réutilisés dans le cadre de la concentration des paillettes d’or alluvionnaire, le caractère régional, voire local de la matière première étant étayé par la signature géochimique des résidus.
22L’outillage en pierre composé de meules à va-et-vient et de moulins rotatifs, instruments liés à la mouture des céréales et au broyage du minerai de fer, mais aussi de nombreux disques perforés en schiste interprétés comme des pesons discoïdes et des fusaïoles.
23Les sculptures, déjà publiées, mais dont les principaux caractères sont rappelés : matière non locale de grande qualité ; technique de fabrication ; étude stylistique ; interprétation (bustes d’ancêtres dont un barde à la lyre).
- 7 La lecture de cette étude tranche singulièrement avec la fluidité d’écriture qui caractérise le res (...)
24La machinerie en bois du puits, très élaborée et unique en domaine celtique dont l’analyse détaillée est publiée pour la première fois7.
25La faune dont si peu est conservé en terrain acide qu’on ne peut que s’interroger sur sa représentativité et sur la pertinence de ce qui en dit.
26Le chapitre 9 est consacré à “ quelques considérations sur l’architecture ” (p. 313-330). Cette synthèse sur les usages du bois, de la terre et de la pierre est riche de perspectives, notamment lorsqu’est abordé avec beaucoup de pertinence le problème de la gestion sur le moyen et long terme du patrimoine forestier attaché au domaine (p. 315), mais aussi lorsque les fortifications de Paule sont replacées dans le contexte régional (p. 318). Cependant, en dépit de ses qualités intrinsèques, ce chapitre comporte de nombreuses répétitions, parfois mot à mot, des interprétations et hypothèses formulées dans la partie strictement monographique (chapitres 2 à 8).
- 8 Avec des contributions de Thierry Lorho, Joseph Le Gall et Patrick Naas.
27Le chapitre 10, intitulé “ l’enceinte et le territoire ” (p. 331-353)8 propose une brillante synthèse diachronique fondée sur l’insertion de Paule dans son territoire. Observée depuis un premier cercle de 10 km jusqu’à l’échelle de la cité des Osismes, la place du site dans le maillage territorial est analysée à l’aune des données lidar, de la carte archéologique, de la prise en compte des ressources naturelles, notamment des gites d’or, d’argent, de cuivre et de plomb, et de la trajectoire historique qui conduit jusqu’à la création ex nihilo de l’agglomération antique de Carhaix qui constituera le chef-lieu de la cité, à l’origine de laquelle les élites qui dominaient Paule n’ont peut-être pas été étrangères après la conquête. L’une des conclusions de l’étude est qu’en dépit du caractère exceptionnel des découvertes qui y ont été effectuées, Paule dénote d’une morphologie d’occupation sans doute beaucoup plus répandue que ce que le registre archéologique pourrait laisser croire. Sur la base des quelque 4 000 enclos connus, Yves Menez propose de restituer en Bretagne des centaines de sites comparables à celui de la phase 1, une centaine d’établissements de même nature que celui de la phase 2 et probablement quelques rares sites d’une teneur similaire à celle de la phase 3. L’immense intérêt de la nature des vestiges des phases 5 et 6 est de conduire l’auteur à interroger le concept même d’oppidum, notamment sur la question de la genèse multifactorielle des oppida. Jamais, la trajectoire d’un lignage familial n’avait été intégrée à cette question avec autant d’acuité.
- 9 On peut regretter que l’intégration au corpus des sites du Massif Armoricain conduise de facto à ne (...)
- 10 Á titre d’exemple, la profondeur des fossés ne peut pas constituer un critère pertinent dans les va (...)
28Le chapitre 11, intitulé “ L’aristocratie du second âge du Fer et ses résidences ” (p. 355-378) est extrait de la thèse d’Yves Ménez. L’auteur y développe notamment une approche des résidences élitaires selon une typologie fondée sur une grille constituée de 18 critères statutaires allant de la superficie des sites aux traces matérielles d’écriture, en passant, entre autres, par les capacités en matière de stockage ou la présence de sépultures riches, voire d’un sanctuaire… Cette grille de lecture appliquée à 48 sites sélectionnés à partir de la base de données élaborée pour la Gaule septentrionale (Malrain et al. 2013) permet de proposer une hiérarchie en trois groupes en fonction du nombre de critères auxquels ils répondent. Le premier est constitué par les établissements ruraux qui se distinguent du commun répondant de deux à cinq des critères. Le deuxième l’est par “ les vastes habitats très particuliers ” répondant à presque tous les critères, qui se distinguent par un programme architectural ambitieux et sont occupés par les élites celtiques. Le dernier ne rassemble qu’un tout petit nombre de sites qui, comme Paule, sont dotés d’ouvrages défensifs imposants et de portes monumentales et sont associés à des bourgades de quelques hectares. C’est finalement la trajectoire singulière de ces derniers qui les distinguent le plus nettement de ceux du deuxième groupe. On pourra toujours discuter du bien-fondé des critères9, du corpus analysé qui s’est considérablement enrichi ces dernières années et de la place de tel ou tel site dans la hiérarchie proposée… cette méthode de classement a le grand mérite de tendre vers une forme d’objectivité et permet un classement efficace des sites. Autre grand mérite, elle tend à abolir, pour la dernière classe, les limites entre les campagnes au travers de leurs résidences élitaires et les oppida, en tout cas avec ceux qui ne figurent pas parmi les plus grands (Bibracte, Manching…). Pour rendre opérante cette grille partout (ou presque) en Gaule, il faudra certainement introduire des nuances tenant compte de spécificités régionales10.
29Dans le chapitre 12, “ épilogue ” (p. 379-395), Yves Menez livre, sur la base des données exposées tout au long de l’ouvrage, sa vision de la société gauloise. Il replace celle-ci dans le sens de l’Histoire en intégrant de multiples facteurs (climatiques, économiques, fonciers, militaires…), en n’oubliant ni d’invoquer (avec parcimonie) les sources antiques, ni d’envisager les parallèles avec la société de la Rome républicaine, ce qui lui permet d’aborder la question de la formation d’un système agraire fondé sur des “ solidarités familiales ” et sur l’existence d’une aristocratie foncière dans laquelle est recrutée la classe des equites et des druides, celle-ci étant légitimée par le culte des ancêtres dont témoignent les statues découvertes à Paule. On suivra Yves Menez lorsqu’il propose de voir dans Paule et dans les sites de ses groupes 2 et 3, des points de contrôle des voies et des réseaux économiques et, finalement, des chefs-lieux de pagi. Il propose de réserver le terme de “ noblesse ” à la classe des magistrats et des chefs de guerre.
- 11 Une réserve cependant : le rendu des courbes de niveau en traits épais de la Fig. 80 n’est pas des (...)
- 12 Par L. Stefanon/AGP.
- 13 Je reste cependant réservé sur le parti pris de restituer des créneaux au sommet des remparts qui c (...)
30On l’aura compris, on ne peut que conseiller la lecture de cet ouvrage riche et rigoureux, servi par un discours clair, un style irréprochable, un vocabulaire précis et une iconographie toujours pertinente et de grande qualité11. Les propositions de restitution en 3D des divers états et de certains corps de bâtiment (entrepôts…), réalisées avec beaucoup de retenue12, sont du meilleur effet : elles donnent vie aux hypothèses relatives aux architectures domestiques et aux ouvrages de poliorcétique13 et, sans y participer directement, concourent à l’administration de la preuve. On doit enfin saluer le choix, courageux et assumé de la part de l’auteur, d’avoir recouru à un vocabulaire descriptif et interprétatif emprunté à l’histoire et à l’archéologie médiévale (basse-cour, douves…). Le comparatisme invoqué par l’auteur ne bascule pas dans l’anachronisme et la transformation d’une ferme en maison forte, puis en château fort, puis en bourg castral constitue un modèle des plus stimulants. On ne saurait mieux résumer l’importance de cet ouvrage qu’en soulignant que l’étude de Paule permet de dessiner les contours d’une société fondée sur “ l’insertion des campagnes dans une économie ouverte ” (p. 387). Pour une fois que la Celtique ne se résume pas au concept de “ civilisation des oppida ”, ne boudons pas notre plaisir !