2Les uns et les autres s’intéressaient principalement aux nombreux puits du site (Fig. 2), même si quelques travaux furent aussi menés sur l’enceinte. D’autres travaux devaient suivre au xx^e s. (Lavendhomme 1997, n^o 254 : 205-213 ; Bonaventure 2003).

3Il en ressort qu’enfermé dans un murus gallicus, l’oppidum fut occupé principalement au i^er s. av. n. è. et qu’une agglomération gallo-romaine lui succéda jusqu’au Bas-Empire. Leur structuration interne reste cependant inconnue, faute de fouille des habitats et de la voirie. Les 36 puits fouillés par A. Chaverondier, V. Durand et J. Déchelette se trouvaient pour la plupart vers 385-395 m d’altitude, autour du point culminant du site, à 401 m environ ; ils ont livré un abondant mobilier (Périchon et Péronnet 1984). Le puits IV est un des plus occidentaux de cette série, sans qu’on sache combien de puits s’ouvraient en fait sur la colline : “deux cents” selon les habitants (Durand 1900 : 390) qui pouvaient avoir intérêt à faire croire aux chercheurs qu’ils étaient innombrables.

4Outre un mobilier divers, plus ou moins fragmentaire et principalement en céramique, la fouille de ce puits livra des fragments de vannerie et trois objets complets, un bassin de bronze, des entraves de fer, une figurine en bois – d’époque romaine comme nous le verrons – qui pourraient avoir appartenu à un même dépôt rituel non reconnu comme tel au moment de la fouille.

La fouille du puits IV du Crêt-Chatelard et l’enregistrement du mobilier

5La fouille se déroula les 23 et 24 septembre 1872, sur un jour et demi. Le puits IV, dont le parement, “en pierres de moyen appareil” sans mortier comme le précise V. Durand à l’occasion de la fouille du puits I (Périchon et Péronnet 1984 : 30), est conservé dès “un pied de la surface du sol”. Il était profond de 3,20 m et de plan circulaire, comme les autres à une exception près, son diamètre étant de 0,83 m au milieu et de 0,93 m au fond (note d’A. Chaverondier aux archives de La Diana).

6Son comblement nous est connu par les “procès-verbaux” des fouilleurs, qui enregistraient journellement et par niveau de profondeur les principaux objets qui étaient découverts (Périchon et Péronnet 1984). Antérieurement vidé “superficiellement” par le propriétaire du terrain, le puits IV, où l’eau apparut “au deuxième mètre” soit au-delà de 1 m de profondeur, livra d’abord de la terre végétale et des fragments de tegulae et d’imbrices, remblais sans doute de la fouille superficielle précédente (Périchon et Péronnet 1984 : 33-34).

7Entre 2 et 3 m de profondeur, l’inventaire des fouilleurs, qui s’est arrêté aux objets les plus remarquables sans prendre en compte les moindres fragments recueillis, notamment céramiques (Périchon et Péronnet 1984 : 19), fait successivement état de plusieurs tegulae entières et d’une imbrex, de deux gros fragments de sigillée à décor de guerrier, d’un “fragment de planche” de 2 cm d’épaisseur, d’une corne et d’une dent de bœuf, d’un tibia et d’autres fragments d’os ainsi que de “nombreux morceaux de bois”. Puis apparurent “des tuiles à rebord placées toutes debout” (“il en a été retiré 22 entières ou à peu près de ce puits”), une “dent d’auroch (?), (des) débris de menu bois, (de) nombreux fragments de vannerie dont les lames ont 0,065 m de longueur (où) les ouvriers et les autres personnes présentes ont cru pouvoir identifier un van”, “deux entraves d’âne”, “un chaudron de cuivre rouge posé à plat”, la “statuette” de bois, acéphale, et une tête qui devait la compléter (Fig. 3), deux fragments de sigillée à décor d’animaux et d’amours.

8À 3 m de profondeur on rencontra encore un fragment de sigillée décorée, des débris de tegula, une “corne de cerf” ; le fond, atteint à 3,25 m, présentait en son centre une cupule “creusée dans le roc” : observée au fond de plusieurs puits, cette “cupule” résulte simplement du travail au pic, au fond du puits, en fin de creusement.

9Depuis son entrée dans les collections de La Diana, ce mobilier a fait l’objet de deux inventaires. Le premier, sommaire, fut rédigé par Henri Delporte (1958) ; le second, dû à Robert Périchon (1994), fut établi à partir d’un retour aux caisses de mobilier et comporte 69 “lots” numérotés, prenant en compte la totalité du matériel issu du puits IV et parvenu jusqu’à nous.

11Enfin, les “fragments de vannerie” et la figurine en bois, que les fouilleurs avaient isolés dans un emballage particulier ont été longtemps perdus avant d’être redécouverts en 2005 : ils étaient restés au sec, enfermés dans une boîte en carton et avec le journal daté du 22 octobre 1885 où, sans doute, V. Durand les avait emballés, la tête étant, quant à elle, dans une petite boîte de plumes à encre à l’intérieur de la boîte en carton. Conservés dans le grenier d’un familier du découvreur (Charbonnier, Perrier et Crozier 2006), ces vestiges ne figurèrent donc pas dans les inventaires d’H. Delporte et de R. Périchon.

12Ce dernier inventaire signale enfin quelques objets que les fouilleurs n’avaient pas pris en compte ou considéraient comme négligeables, une pierre à aiguiser en quartzite (lot 1572), trois clous de menuisier (lots 1410, 1412 et 1414) et six fragments de plaquette de pierre (lot 1415).

Le mobilier

13Nous ne reprendrons pas ici l’examen en détail du mobilier en céramique déjà étudié par Hervé Petiot (1993 ; 1994) puis par François Dumoulin (2008) dont nous rappellerons seulement les conclusions, mais nous nous intéresserons aux objets exhumés dans la partie basse du puits et demeurés, pour deux d’entre eux, inédits.

Le mobilier en céramique

Caractéristiques générales

14Sur un ensemble de 285 fragments de céramique commune, H. Petiot a reconnu les fragments appartenant à onze vases ovoïdes au moins, dont les fonds, principalement, ont été conservés dans le puits, à un pichet, à deux jattes carénées ou plutôt à des “vases bi-tronconique” et à un vase de stockage (“dolium”) à fond poissé (deux fragments). Les vases à puiser sont majoritaires et soulignent le rôle du puits IV dans l’approvisionnement en eau du voisinage. S’y ajoutaient un fragment d’un vase en céramique peinte et trois fragments d’une amphore Dr. Ib, dont l’estampille, sur la lèvre, n’est pas lisible. Des cinq fragments de sigillées signalés par les fouilleurs subsistent deux fragments d’un Drag. 37 de Gaule centrale, décoré d’Amours et de dauphins (Petiot 1993 : 277-285, Pl. 3-4 ; Dumoulin 2008 : 140, Pl. 51, Fig. 12 à 15, p. 267, Pl. 131, Fig. 17-18).

Datation du mobilier en céramique

15Au terme de l’analyse des fragments de céramique commune, H. Petiot retenait une datation du comblement vers la fin du i^er s. av. n. è. et le tout début du i^er s. de n. è. Faute de disposer des fragments de sigillée au moment de sa publication de 1993, il émettait l’hypothèse qu’il s’agît de céramique arétine, italienne ou lyonnaise, compatible en tout cas avec la fourchette chronologique qu’il proposait.

16Cependant, Fr. Dumoulin a montré l’on devait distinguer deux périodes. La plupart des récipients en céramique commune appartenait à des vases de stockage ou à des vases à puiser, datables effectivement de la seconde moitié du i^er s. av. n. è., voire encore du début du i^er s. de n. è. et qui renvoient à la phase d’utilisation du puits. En revanche, deux fonds de vases à puiser en céramique commune sont datables du milieu du ii^e s., et le vase sigillé Drag. 37 est datable de la seconde moitié du ii^e s. (Dumoulin 2008 : 140-141 et 237).

Les fragments de vannerie

17Plusieurs fragments de bois ouvragé ont été conservés avec la statuette. Il s’agit tout d’abord d’une plaquette en bois partiellement conservée en huit fragments ; large de 96 mm, encore longue de 112 mm, elle n’est plus épaisse aujourd’hui que de 0,5 mm. Cette plaquette est en hêtre (Fagus sylvatica) et a été obtenue sans doute par fendage sur le plan radial (le long des rayons médullaires du bois, facilitant le trait de fente). Ce fragment de plaquette ou planchette reste difficile à identifier en l’état comme un fragment de vannerie et doit être écarté des autres éléments en bois.

18D’autres fragments, au nombre de trois, semblent plus se rapprocher de fragments de vannerie (Fig. 4). Il ne s’agit sans doute que d’une infime partie des nombreux débris de vannerie signalés par les fouilleurs. Ces trois fragments sont, comme la plaquette précédente, en hêtre et ont été façonnés avec le même mode opératoire. Ils sont en revanche beaucoup plus fins, car ils n’excèdent pas 2 mm d’épaisseur. Ils sont “revêtus” sur leurs deux faces d’éclisses disposées dans le sens opposé du fil du bois des planchettes. L’analyse anatomique n’a pas permis d’identifier l’essence avec certitude, mais il pourrait s’agir de saule (cf. salix). En effet, si la dessication de ces éclisses a rendu très difficile la conservation de marqueur anatomique fiable, on a reconnu des rayons unisériés hétérogènes qui pourraient correspondent à du saule, encore que le manque de visibilité du plan transversal et radial rende difficile de confirmer avec exactitude cette hypothèse.

19Des fragments similaires ont été découverts dans d’autres puits, ce qui permet d’identifier le type de vannerie de manière certaine. Il s’agit de paniers d’osier (Salix sp.) à fond de bois. Les bords de la vannerie correspondent à de fines planchettes revêtues par tressage de brins d’osier (Chabal et Feugère 2005). Les bords taillés en sifflet sont enchâssés dans des trous sur le pourtour du fond bloqué par de petites cales. De nombreux exemplaires de ces vanneries sont connus, à Lattes (Hérault ; Chabal et Feugère 2005), à Toulon (Var ; Bernard-Maugiron et al. 2007), à Nîmes (étude inédite de Pierre Mille), ou encore à Mont-Ferrier (Gard) et Roumèges (Hérault ; Compan 2011). Les fonds et les bords sont tous en hêtre (Fagus sylvatica) ou en chêne (Quercus sp.), plus rarement en cornouiller (Cornus sp.), et la vannerie est uniquement réalisée à partir de jeunes pousses de saule (osier). L’intérieur – voire même l’extérieur des contenants – sont le plus souvent poissés, de très infimes vestiges de poix étant encore conservés sur certains brins des fragments de vannerie du Crêt-Chatelard.

20Certains exemplaires très bien conservés sont munis d’une anse, tels que l’exemplaire découvert dans l’épave d’Arles Rhône 3 avec l’intérieur poissé (étude inédite de P. Mille). Un bouchon dans le fond permet au contenant d’être vidé.

21La forme tronconique et l’étanchéité de ces paniers amènent à penser qu’ils devaient servir au transport de liquide : de la saumure, de la mélasse, ou encore des pâtes molles ou tout simplement de l’eau.

Le bassin en alliage cuivreux

Description

22Mentionné dans les deux inventaires de référence (inventaire Delporte, n^o 59.02.20 ; inventaire Périchon : lot 1980), l’objet avait été dessiné d’abord, peut-être, par V. Durand, à en juger par le mode de représentation. Qualifié de “chaudron” par les fouilleurs, le vase (diam. à l’ouverture : 252 à 249 mm) est plutôt un bassin (Fig. 5) : ni un vase à puiser ni un vase à cuire, mais un récipient de présentation. Il a été découvert “posé à plat” sans que soit précisé si c’était à l’endroit ou à l’envers (Périchon et Péronnet 1984 : 36). Alors que le rebord et la partie supérieurs sont intacts, un choc, au moment du dépôt ou antérieurement, a enfoncé la partie inférieure, rendant le vase inutilisable : les cabossages y sont nombreux et le pied a subi un enfoncement oblique qui fait que la hauteur du vase varie de 91 à 109 mm.

23Obtenu par martelage, le bassin, dont la paroi est épaisse de moins de 1 mm en moyenne et montre quelques déchirures, présente, à son embouchure, un profil en baïonnette, d’abord oblique puis vertical, qui lui permettait de recevoir éventuellement un couvercle. Le profil de la panse s’incurve en direction d’un pied à fond convexe (diam. : 135 mm). Les traces de martelage sont très visibles, particulièrement sur le fond, ainsi que quelques traces de polissage dans le haut de la partie interne de la panse.

24Le bassin ne présente à peu près pas de traces d’oxydation, comme on peut le constater sur d’autres vases en alliage cuivreux découverts en milieu humide et anaérobie. Les dépôts de vases en alliage cuivreux dans des puits sont assez nombreux à des époques diverses de l’Antiquité (Petit 1988 : 202).

Datation du bassin

25On rapprochera ce bassin des deux exemplaires d’origine lyonnaise conservés au musée gallo-romain de Lyon (Boucher et Tassinari 1976 : 137, n^os 172-173, diam. à l’ouverture : 268 et 269 mm, renvoyant à un exemplaire de Waldkirch en Allemagne), de ceux de Saint-Martin-en-Campagne (Seine-Maritime) conservés au musée de Rouen (Tassinari 1995 : 95, n^os 98-99 ; diam. à l’ouverture : 245 et 300 mm), avec anneau de suspension (ii^e-iii^e s.), ou de celui d’Amiens (Somme) conservé au Musée des Antiquités Nationales (Tassinari 1975 : 52-53, n^o 112, Pl. XXV ; diam. à l’ouverture : 250 mm) qui comportait cependant primitivement, lui aussi, un anneau de suspension. La forme s’apparente aussi à celle du bassin des Ilettes à Annecy (Savoie : Baratte et Painter 1989 : 211, n^o 163), qui faisait partie d’un dépôt de vaisselle “de fabrication provinciale non datable avec précision, sans doute des 2^e-3^e siècles”. On peut la rapprocher enfin de celle du bassin d’Augst (Suisse) découvert dans un dépôt de la première moitié du iii^e s. (Tomasevic-Buck 1980 : 104, n^o 6, Fig. 5, n^o 6, Fig. 9, n^o 2, Pl. 9.2). Si donc la chronologie de ce type de bassin reste large (ii^e-iii^e s.), son absence des collections pompéiennes et les quelques parallèles datés qu’on lui connaît excluent une datation haute, autour du changement d’ère.

Les entraves

26Au témoignage même du Dictionnaire de l’Académie Française, le lien destiné à gêner la marche des animaux ou des êtres humains est nommé, suivant les périodes, entraves (au pluriel) ou entrave (au singulier) ; plus encore, la “paire d’entraves” trouvée à Famechon (Somme) est constituée d’une paire de bracelets reliés par des boucles à un cadenas (Vermeersch 1976). C’est ainsi qu’il faut comprendre que les “deux entraves d’âne” signalées par les fouilleurs du puits IV soient deux bracelets reliés par une chaîne et non deux objets distincts.

27Ces entraves sont mentionnées par Jean Renaud qui a dû les voir (Renaud 1956 : 293 : “une chaine en fer”), mais elles sont omises dans l’inventaire Delporte. Figurant, en revanche, dans l’inventaire Périchon (lot n^o 1806), elles ont alors fait l’objet d’un traitement anticorrosion qui leur a donné un aspect brillant qu’elles ont conservé (Fig. 6) et ont été dessinées à cette occasion (Fig. 7, A).

28Au centre de l’objet, une tige, bouletée à une extrémité tandis qu’elle est sommairement torsadée sur elle-même à l’autre, retient deux anneaux allongés (L. : 80 mm), ovale à droite, en D très étiré à gauche, dans lesquels étaient passés, à droite comme à gauche, deux autres anneaux, circulaires (diam. int. : à droite : 38 × 30 mm ; à gauche : 50 mm) ; l’un d’eux est aujourd’hui brisé et libre.

30On reconnaît ici d’une part la succession bracelets-boucles-anneaux circulaires que l’on voit sur les entraves à cadenas de Sombernon (Côte-d’Or) où quatre anneaux circulaires sont enfilés sur une même barre et peuvent en être dégagés par la manœuvre du cadenas, pour accéder aux bracelets (Thompson 1993, Fig. 75 ; voir ici la Fig. 7, B), ce qui n’est pas le cas ici. On identifie aussi la tige bouletée reliée à un anneau allongé qu’on voit sur les entraves à cadenas de Bengel (All. – Rhénanie-Palatinat), à gauche et à droite du cadenas : chacune des tiges se termine alors par une clenche qui pénètre dans le cadenas (Thomson 1993, Fig. 72-73 ; voir ici la Fig. 7, C). L’ouverture du bracelet libère la tige et permet l’accès au bracelet correspondant.

31Mais, sur les entraves du puits IV, rien ne permet d’accéder aux bracelets sauf à les briser ou à briser les anneaux circulaires, ce qui ne permettrait pas de les employer à nouveau.

32On peut donc avoir affaire à des entraves définitives récupérées après la mort de leur porteur ou, plutôt, à la réunion sommaire – qu’on pense à la tige rapidement torsadée sur elle-même pour assembler deux parties de l’objet – de fragments d’entraves, peut-être par un forgeron désireux de faciliter le stockage dans son atelier des pièces dont elles étaient faites.

La statuette de bois

La documentation ancienne

35Chaverondier, de son côté, en a rédigé une description dont le manuscrit a été retrouvé dans le même dossier. Ce texte, comme le dessin de V. Durand, constitue un témoin précieux de l’aspect de la statuette au sortir de la fouille, mais aussi de la façon dont on la comprenait. Aussi en donnons-nous la transcription d’après l’édition qu’en ont faite S. Charbonnier et ses collègues (Charbonnier, Perrier et Crozier 2006 : 37), que nous avons amendée en nous reportant au document original à l’écriture parfois difficile à déchiffrer :

“Statuette en bois de pin d’un très faible relief. Personnage accroupi, les jambes croisées sur un coussin. Vêtu d’une robe talaire qui laisse voir seulement l’extrémité du pied gauche. La tête a été trouvée séparée du corps. Elle est fort altérée, les traits du visage ne peuvent plus être distingués. La chevelure est indiquée par masse et paraît avoir été assez courte.

De ses mains elle soutient les extrémités d’une espèce d’éventaire ou de corbeille qui repose sur les genoux. La main droite manque. On peut conjecturer cependant que son mouvement rappelait celui de l’autre main, à moins qu’elle n’ait soutenu un objet sphérique d’un petit diamètre que l’on voit à côté de l’éventaire.

De l’épaule gauche descend verticalement un objet assez difficile à définir affectant la forme d’un tore de grosseur à peu près constante ; il se recourbe légèrement en avant à la partie inférieure qui repose sur l’éventaire ; il se termine en coin comme une tête de serpent. À la surface de l’éventaire on semble remarquer plusieurs coups de gouge verticaux qui avaient pour but de figurer un ouvrage en vannerie.

Une base fort peu élevée dont l’arête supérieure est abattue en chanfrein supporte la statuette.

La planche d’une assez faible épaisseur dans laquelle cette figurine a été taillée offre par derrière une surface parfaitement plane. Elle était déjà lors de son immersion percée de trous de vers.

Cette statuette à peine ébauchée est d’un travail très grossier. L’artiste paraît avoir procédé à grands coups mais non sans une certaine sureté de main et quelque sentiment de l’art.

Sujet inconnu probablement divinité topique ou laraire.

Lorsque la statuette a été retirée du puits, le bois était complètement à l’état spongieux ; on l’a laissée sécher naturellement à l’ombre ; le bois s’est raffermi en séchant, mais il a subi un retrait énorme tant en hauteur qu’en largeur et épaisseur. Ses dimensions actuelles ne sont plus que …[le texte est interrompu]”.

36Chaverondier est donc le premier à avoir identifié formellement une divinité dans la figurine du Crêt-Chatelard, quand Durand en restait à l’image d’un “personnage”, représentation réaliste, voire pittoresque, d’un commerçant peut-être, soutenant un “éventaire”.

Description de la statuette

37Telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui (Fig. 8), la statuette (Esp., XV, n^o 9011, Fauduet, Deyts et Riffaud- Longuespé 2021 : 58, n^o 37), façonnée dans une planche prélevée dans un hêtre de gros calibre et débité sur maille, sur le plan radial, est encore haute de 191 mm et large de 105 mm. Mais le dessin de Durand montre, à l’échelle 1/1 très vraisemblablement, une statuette de 237 mm, dimension retenue à peu près (240 à 250 mm) par J. Renaud et R. Lantier (Renaud 1956 ; Lantier 1966 : 295-296). C’est donc par erreur que Jean-Paul Guillaumet retient une hauteur de 145 mm “d’après le dessin” (Guillaumet 2003 : 179). L’épaisseur de la plaquette est actuellement de 15 mm en bas à droite, et de 5 mm seulement en bas à gauche, celle-ci s’amincissant en outre du bas vers le haut. On l’a vu, Chaverondier avait noté ce retrait énorme après séchage. La comparaison des dimensions prises sur le dessin à échelle 1/1 et les dimensions actuelles montre une différence de 46 mm en hauteur et de 32 mm en largeur, soit un retrait de 19 et 23 %. Celui-ci est très important sur un bois, même archéologique et gorgé d’eau à l’origine, et soulève la question des conditions extrêmement défavorables de conservation de cette statuette. Il ne faut pas exclure la possibilité de dimensions originelles faussées par l’absence d’échelle sur le dessin et des techniques de relevé non renseignées, car cette différence de dimensions entre celles du relevé et celles de l’état actuel de la statuette reste très importante et ne s’explique guère par le seul retrait du bois en séchant, même dans les conditions extrêmes de conservation qu’on lui connaît.

38Le personnage, au torse redressé, est assis en tailleur – et non “accroupi”, mot employé par Chaverondier (sur la précision nécessaire du terme, voir Duval 1957) – sur un coussin posé sur le socle biseauté de la figurine. La tête, dont il ne subsiste plus que le contour, a été retrouvée séparée du corps et les surfaces tangentes avec le tronc sont trop érodées pour permettre un assemblage physique des deux parties, mais leur examen sous microscope montre une parfaite cohérence des fibres du bois de l’une à l’autre. J. Renaud a souligné l’absence de torque au cou du personnage.

39Le personnage porte une tunique resserrée à la taille, dont les manches couvrent partiellement les avant-bras, et peut-être des braies. Deux incisions obliques sur le coup de pied gauche du personnage marquent en effet la limite inférieure d’un vêtement, à notre avis celle de braies plutôt que d’une tunique “talaire”, c’est-à-dire descendant jusqu’aux talons, dont on n’a pas d’exemple.

40Un éclat de bois, disparu depuis longtemps à en juger par la patine actuelle de la statuette, a entraîné la disparition partielle des avant-bras et du giron du personnage. Faute de l’avoir remarqué, au contraire de Chaverondier pour qui “la main droite manque”, V. Durand a dessiné des membres courts, s’achevant à droite par une main en forme de pince, ce qui correspond en fait à une ligne de fracture du bois ; il parle à tort d’un “éventaire”, Renaud, d’une “corbeille” ou peut-être d’“un van […] au rôle purificateur” (Renaud 1956), R.-M. Liaigre d’une “calebasse” et H. Petiot, d’un “récipient” posé sur les genoux (Liaigre 1990 : 459 ; Petiot 1993 : 285). J.-P. Guillaumet retient pour sa part “un grand objet au fond bombé […] interprétable comme un chaudron ou un van” (Guillaumet 2003). En fait, il faut restituer ici le creux des jambes repliées et le giron recouverts par la tunique, comme on le voit sur d’autres personnages assis en tailleur, par exemple à Saint-Marcel (Indre) ou à Chassenon (Charente) (Deyts 1998 : 82, n^o 37 et 84, n^o 39). Quant aux “coups de gouge verticaux” portés, selon Chaverondier, “à la surface de l’éventaire” pour “figurer un ouvrage en vannerie”, il s’agit sans doute des traces d’outils, ciseau droit plutôt que “gouge”, dont les coups furent portés de haut en bas lors de l’exécution de la statuette et qui entaillent le bois là où les avant-bras disparus se rattachaient à la taille.

41Posé sur l’épaule gauche, un serpent, dont la queue s’étire obliquement dans le dos du personnage (Fig. 9), descend par devant jusqu’à son giron ; sa tête est dégradée. J.-P. Guillaumet suggère qu’il puisse s’agir d’une “étole”, interprétation qu’empêche l’observation de la face arrière de la figurine ; les deux serpents croisés du personnage assis en tailleur de Sommerécourt (Haute-Marne ; Esp. 4839 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 55, n^o 35, ii^e s. de n. è. ?) ont la même attitude, parmi la douzaine de personnages assis en tailleur qu’un serpent accompagne (Deyts 1992 : 43-44 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 14, 16 et 69). Contre le pli de l’avant-bras droit, apparaît une forme arrondie, un fruit sans doute, que d’autres pouvaient accompagner dans la partie disparue du giron. L’hypothèse d’un torque, à la place du fruit (R. Périchon, dans Lavendhomme 1997 : 213), ou celle d’une bourse, d’abord récusée puis retenue par H. Petiot, n’ont pas lieu d’être.

42Sur les côtés, des entailles en biseau, à peu près perpendiculaires aux faces principales, soulignent la découpe de la silhouette et suggèrent l’épaisseur de la figurine. À l’arrière, seule la queue du serpent est figurée (Fig. 9), par deux incisions au couteau, obliques et convergentes.

Analyse

43La production statuaire sur bois est, certes, mal connue pour la période antique, mais elle existe (Legrottaglie 2011 ; Vernou 2014). À s’en tenir à la petite statuaire religieuse d’époque impériale et en dehors des ex-voto de bois dont les découvertes sont de plus en plus nombreuses (voir, par exemple, ceux de la Sources des Roches à Chamalières [Puy-de-Dôme ; Romeuf et Dumontet 2000] ou des Sources de la Seine [Côte-d’Or ; Deyts 1983] ou la découverte toute récente de Bessans [Vernou 2023] pour ne citer qu’eux), on peut rappeler d’abord les Priape de bois évoqués par Martial (Épigrammes, VI, 49 et 73), les Lares de bois de Tibulle (Élégies, I, X, 15-20), la statuette de Mercure commandée par Apulée, “pour faire devant elle [ses] dévotions”, à un artisan qui y employa un assemblage de planchettes d’ébène (Apulée, Apologie, LXI) et Tertullien, qui parle d’un Mars fait en bois de tilleul (Tertullien, De I’idolatrie, VIII,3).

44En Gaule romaine, plusieurs statuettes religieuses de bois ont été retrouvées en milieu humide. Ainsi, une déesse-mère (H. : 0,51 m) a été découverte dans un puits du Bernard (Vendée ; Baudry et Ballerot 1873 : 180-181 (Fig.) et 316-318 ; Bourgeois 1991 : 140). Une Épona (H. : 0,16 m ; L. : 0,15 m ; ép. : 0,04 m.) en bois provient d’un puits du quartier de Saint-Saloine à Saintes (Charente ; Dangibaud 1905 ; Esp., II, n^o 1716). Endommagée par les insectes xylophages avant d’être rejetée, une autre statuette d’Épona (H. : 0,35 m ; L. : 0,40 m ; ép. : 0,07-0,08 m), en bois revêtu de tôle de bronze provient d’un puits de l’agglomération antique de Saint-Valérien (Yonne) dont le comblement est daté entre la fin du iii^e s. et la première moitié du iv^e s. (Driard et Deyts 2013). Christian Vernou s’est enfin demandé, sans oser conclure, si l’une des statues des sources de la Seine (Source-Seine, Côte-d’Or) et deux autres, à Chamalières (Puy-de-Dôme), ne seraient pas des divinités (Vernou 2014 : 126 et 129) ; mais on ne connaît pas, en tout cas, d’autre statue en bois de personnage assis en tailleur.

45Façonnée dans une planche dans l’épaisseur de laquelle ses flancs sont esquissés et au dos de laquelle figure seulement un détail, la statuette du Crêt-Chatelard se trouve aux confins d’un travail en bas-relief et d’une sculpture en ronde-bosse. Elle est, de ce point de vue, très proche de la statuette de Pforzheim (All., Bade-Würtemberg ; voir ici, Fig. 10) dans laquelle E. Krüger a proposé, sans beaucoup d’arguments, de voir l’image de la déesse Sirona (Krüger 1950). Haute de 34,5 cm, elle est faite dans une planche (ép. : 4,5 cm) dont seule la face antérieure est sculptée (Dauber 1950 ; 1951). Aucune des deux figurines ne peut tenir seule debout et si la base de celle de Pforzheim présente une entaille qui permettrait de la fixer sur un support, ce n’est pas le cas de celle du Crêt-Chatelard. Peut-être pouvait-on l’insérer néanmoins dans une rainure large ménagée dans un support horizontal, à moins qu’elle n’ait pas été destinée à être présentée en position verticale : le Mercuriolus d’Apulée était de taille à ce qu’il l’emporte en voyage, “inter libellos conditu(s) (rangé parmi ses papiers)”.

46On a beaucoup glosé sur l’identification de la statuette du Crêt-Chatelard et extrapolé à partir des données publiées, alors que la position du personnage assis en tailleur n’est pas en soi discriminante (Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 18-19). Pour J. Renaud (Renaud 1956 : 196), le personnage, qu’il rapproche du dieu assis en tailleur de Néris (Allier ; Esp., II, n^o 1566 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 32, n^o 12), est un “Mercure”, une “divinité fécondante des eaux du Crêt-Chatelard”, interprétation que R.-M. Liaigre reprend à sa manière (Liaigre 1990 : 459-460). En revanche, H. Petiot propose de l’identifier comme “Cernunnos” (Petiot 1993 : 286-287), dieu dont le nom, rencontré quatre fois en Gaule romaine (chez les Trévires, à Montagnac [Hérault] et à Paris), est étymologiquement en rapport avec le bois de cerf (Jufer et Luginbühl 2001 : 12 ; Altjohann 2001 : 68-71). Pour H. Petiot, les “massacres de cerf” trouvés, selon lui, dans le même puits IV “semblent être en étroite relation avec la statuette” et doivent être interprétés “comme un complément [à l’image du dieu] et non comme une offrande”. “La pomme et la bourse” conviendraient à une divinité de l’abondance, le “chaudron” et les restes du “van” trouvés à proximité étant des offrandes liées à la fonction du dieu. Enfin, J.-P. Guillaumet a distingué, parmi les personnages assis en tailleur, un groupe ancien, de représentations d’ancêtres figurés sans offrande, et un groupe plus récent (La Tène C et l’époque gallo-romaine), auquel appartiendrait celui du Crêt-Chatelard, de personnages qui “portent tous des torques et un ou des attributs ou offrandes” et qu’il désigne comme des “porteurs d’offrandes […] témoins de pratiques religieuses encore énigmatiques” (Guillaumet 2003).

47À s’en tenir aux faits, il faut rappeler qu’on n’a pas trouvé de “massacres de cerf” dans le puits IV, mais un fragment d’épois (la “corne de cerf”), ni de “chaudron” mais un bassin, ainsi qu’un panier et non un “van” et des entraves que les interprétations proposées ne prennent pas en compte ; l’hypothèse que les personnages assis en tailleur d’époque romaine seraient des “porteurs d’offrandes” ne résiste pas à l’analyse : dans le sanctuaire domestique de la Confiturerie Humbert de Clermont-Ferrand, par exemple, c’est bien un dieu et non un serviteur du culte qui se trouve aux côtés de Diane, Fortune, Mercure, Abondance, Sucellus, et d’un Génie du maître de maison ou de l’Empereur (Deyts 1998 : 144-148, n^o 105-3, iii^e s. ?).

48Pour tentante qu’elle soit, la stricte identification nominale du dieu, notamment comme “Cernunnos”, serait sans doute méthodologiquement peu prudente, faute d’arguments absolument explicites. À s’en tenir aux critères d’identification les plus clairs retenus par J. M. Blazquez (1988), la tête, barbue ou non, de la divinité ne peut être ici caractérisée, non plus que celle du serpent, en forme de tête de bélier ou non ; il n’y a ni torque ni bois de cerf. En revanche, si sa position de personnage assis en tailleur, dont la tradition, iconographiquement attestée depuis les vi^e-v^e s. av. n. è. dans la statuaire de Gaule méridionale (Arcelin et Rapin 2003), était alors celle d’ancêtres, de héros et de dieux, au Crêt-Chatelard et en pleine époque impériale, sa représentation associée au fruit et au serpent en fait sans conteste une divinité gallo-romaine, en lien avec la terre, sa régénérescence et sa fertilité.

50On retirera cependant de ce groupe la statuette trouvée au lieu-dit Trocésar “près de Saint-Galmier” (Loire ; Déchelette 1895 : 63, n^o 396 ; ESP, 1804) et sans doute plutôt à Marcenod (Loire) où le toponyme existe à une douzaine de kilomètres de Saint-Galmier (et donc “près de Saint-Galmier”) : connue seulement par un moulage assez confus, elle montre un personnage, ou un animal, accroupi et non assis en tailleur. Cette représentation est rejetée de l’inventaire des Cernunnos fait par Pray-Bober ou de la carte de répartition de Ney (Pray-Bober 1951 : 50 ; Ney 2015, Fig. 2) et retenue, à tort, nous semble-t-il, sur d’autres cartes (Girond 2011, Fig. 2 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021, Fig. 4, n^o 32b).

Datation de la statuette

51La datation des représentations de personnages assis en tailleur est complexe. En dehors de l’approche stylistique, on dispose, dans quelques cas, de données objectives pour proposer un terminus à leur réalisation.

52Ces données peuvent être d’ordre stratigraphique et constituent un terminus ante quem, dans les cas suivants :

53– à Amboise (Indre-et-Loire), où deux statuettes sont datées l’une de 70-30 av. n. è. (Moreau 2016 : 92-93, n^o 18 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 36, n^o 19), l’autre du dernier quart du i^er s. av. n. è. (Laruaz 2017 : 116 ; Laruaz 2018 : 94, photo 11 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 38, n^o 18),

54– à Angers (Maine-et-Loire), où une ébauche provient du comblement d’une fosse dans la première moitié du i^er s. de n. è. (Moreau 2016 : 91-92, n^o 17 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 44, n^o 23),

55– à Genainville (Val-d’Oise), où une statuette provient d’un contexte compris entre le milieu du i^er s. av. n. è. et la fin du i^er s. de n. è. (Mitard 1994 : 312-313, Fig. d., n^o 1 a-b ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 53, n^o 33),

56– à Antigny (Vendée), où une statuette provient d’un contexte de la seconde moitié du i^er s. et du début du ii^e s. de n. è. (Blanchard et Van Andringa 2018 : 420-422 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 41, n^o 21),

57– à Saintes (Charente-Maritime), où une statuette est issue d’un niveau de comblement d’un puits qui a livré un sesterce d’Hadrien tandis que le niveau inférieur livrait une monnaie de Domitien (Moitrieux et Tronche 2017 : 9, n^o 009, Pl. 10 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 46, n^o 25).

58– à Saint-Marcel (Argentomagus, Indre), où le “laraire” découvert en 1986 dans les fouilles du Musée, qui renferme deux statuettes de personnages assis en tailleur, est aménagé dans la seconde moitié du ii^e s., et abandonné au début du iii^e s. (Coulon et Krausz 2013 : 530-532 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 28, n^o 5).

59Dans deux cas, l’épigraphie contribue à la chronologie :

60– à Argentomagus, sur le socle d’une statue subsiste un lambeau d’inscription, n]V[m(ini) . AUG . E[t --- (Picard 1972 ; AE 2013, 1056), dédicace de la statue divine au numen impérial et à une divinité, qui ne saurait être antérieure au tout début du culte du numen impérial en Gaule (Van Andringa 2002 : 168-170), à partir de la seconde décennie du i^er s. de n. è. (Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 27, n^o 4, datation proposée : ii^e s. de n. è.).

61– à Paris, le Pilier des Nautes est, d’après son inscription même, tibérien (CIL XIII, 3026 ; Lavagne 1984),

62Enfin, l’observation des realia a permis de proposer une datation à partir, principalement, de la caractérisation des torques des statues suivantes :

63– à Saint-Paul-d’Eyjeaux (Haute-Vienne), un torque torsadé a été rapproché de torques britanniques du i^er s. av. n. è. et de celui que porte l’un des personnages d’Amboise (Moreau 2016 : 102-103, n^o 34 : ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 51, n^o 31),

64– à Néris (Allier), sur le site des Crotes, le torque à tampon paraît attribuable au i^er s. av. n. è. ou au tout début de notre ère (Moreau 2016 : 97, n^o 25 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 32, n^o 12),

65– à Verteuil (Charente), la forme des torques se rapprocherait de celle du torque du Pilier tibérien des Nautes même si les fouilleurs retiennent une datation stylistique un peu plus tardive, vers le dernier quart du i^er s. (Baigl et Vernou 2002, Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 47, n^o 26),

66– à Argentomagus, la stratigraphie de la cella du temple 3 des Mersans était très perturbée et inexploitable (Coulon et al. 1991 : 13 et 46-47) mais la forme du torque a été rapprochée de celle des torques de Verteuil et du [C]ernunnos de Paris (Coulon et Krausz 2013 : 524 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 26, n^o 3),

67– à Saintes, la coiffure de la parèdre du personnage assis en tailleur serait comparable à celle de princesses julio-claudiennes (Moitrieux et Tronche 2017 : 7-9, n^o 008, Pl. 8-9 ; Fauduet, Deyts et Riffaud-Longuespé 2021 : 45, n^o 24).

68Il se trouve donc que, dans la plupart de ces cas, la datation est du i^er s. av. n. è. ou du i^er s. de n. è., à l’exception de la statuette du laraire d’Argentomagus et, peut-être, de deux statuettes d’Antigny et de Saintes.

69La statuette du Crêt-Chatelard a été considérée comme une œuvre tantôt laténienne, tantôt gallo-romaine. J. Renaud l’attribuait à “La Tène III” (c’est-à-dire, à la fin de la Tène C et à la Tène D : 150-30 av. n. è.), ou au tout début de l’époque romaine, surtout parce que c’était pour lui la période principale de l’occupation du site et que le puit IV d’où elle provenait se trouvait dans ce qu’on considérait alors comme la partie “ancienne” de l’oppidum (Renaud 1956 : 293 ; Delporte 1961) ; il fut suivi par Paul-Marie Duval (1957 : 356). En revanche, Raymond Lantier soulignait dans l’œuvre “le sens des proportions” et considérait que la statuette “reflét[ait] un classicisme qu’on ne retrouve que dans la grande sculpture de pierre gallo-romaine” (Lantier 1966 : 295-296).

70La statuette a fait l’objet de deux analyses de datation. La première est une recherche de ¹⁴C effectuée au laboratoire Beta Analytic de Miami (Beta – 605197 : 1880 ± 30 BP) à partir d’un prélèvement réalisé sur les derniers cernes de croissance conservé (au niveau du bord inférieur droit). Elle retient comme la plus vraisemblable (à 90,3 %) une fourchette chronologique entre 110 et 236 de n. è. (1840-1714 cal BP) et une seconde fourchette entre 81-98 de n. è. (1869-1852 cal BP), mais avec une plus faible probabilité (de 5,1 %). Dans tous les cas, les datations sont d’époque romaine et excluent une attribution laténienne.

Fig. 12 - Tableau présentant les meilleurs résultats de la valeur t de Student et du coefficient de corrélation r sur les référentiels du chêne pour la série individuelle de la statuette du Crêt-Châtelard (GL = coefficient de coïncidence (Gleichläufigkeit) ; W = Coefficient d’Eckstein ; t = test de Student (standardisation indice except [iE]) ; r = valeur de corrélation (standardisation iE), Overlap = recouvrement du nombre de cernes entre la série individuelle de la statuette avec les référentiels datés).

Références	Auteurs	GL	W	r/iE	t/iE	Overlap
OaksAntiquity (F.)	LCE Univ. UBFC/CERDRE (F. Blondel, O. Girardclos, Ch. Perrault)	66,67	2,24	0,7	6,29	46
Bourgogne.Classic (F.)	LCE Univ. UBFC/CEDRE (O. Girardclos ; G.-N. Lambert ; C. Lavier ; Ch. Perrault)	62,22	1,64	0,6	4,11	46
Franche-Comté.Classic (F.)	LCE Univ. UBFC/CEDRE (O  Girardclos ; G.-N. Lambert ; C. Lavier ; Ch. Perrault)	68,89	2,53	0,6	4,94	46
Classic.Oaks (F.)	LCE Univ. UFC (S. Durost ; G.-N. Lambert)	68,89	2,53	0,6	4,14	46
NEF2014 (F.)	LCE Univ. UBFC/CERDRE (O. Girardclos, Ch. Perrault)	66,67	2,24	0,7	5,66	46
Auvergne. Classic (F.)	LCE Univ. UBFC/CERDRE (F. Blondel, O. Girardclos, Ch. Perrault)	68,89	2,53	0,7	5,63	46
Neuchâtel-Avenches (CH)	Laténium (P. Gassmann)	68,89	2,53	0,6	4,78	46

72Au vu des nombreuses réplications et de valeurs statistiques satisfaisantes sur de nombreux référentiels, cette datation peut être attribuée avec un risque d’erreur léger. En effet, elle ne correspond pas à la fourchette du radiocarbone la plus vraisemblable, mais à la deuxième fourchette comprise entre 81 et 98 de n. è. Cette attribution chronologique rend les acquisitions discutables, tant pour l’une que l’autre méthode, et doit donc être prise avec les précautions qui en découlent.

73Cette datation au début du ii^e s. du moment où le bois a été prélevé pour réaliser la sculpture constitue un jalon important dans un domaine où les chronologies fondées sur des données non stylistiques restent rares et concernent plutôt une période antérieure.

Interprétation de la découverte

75En engageant en 1872 la fouille des puits du Crêt-Chatelard, V. Durand et, plus encore, A. Chaverondier espéraient découvrir des “puits funéraires” (Déchelette 1893 : 34) et donnèrent à leurs ouvriers des consignes pour qu’ils observent “ce qui pourrait dénoter une disposition intentionnelle des matériaux” (Périchon et Péronnet 1984 : 41, puits XVII), “une cachette funéraire” (id. : 59) ou la dispersion des fragments d’un même vase sur la hauteur du remplissage des puits (ibid. : 65, puits XXIX). C’est à ces consignes qu’on doit les observations sur les 22 tegulae “placées toutes debout” et le bassin “posé à plat” dans le puits.

76La question des “puits funéraires” était en effet alors débattue, depuis le début des fouilles du Bernard (Vendée) en 1859 (Baudry et Ballereau 1873) et le rapport de Jules Quicherat (1866). Il est du reste notable que l’ouvrage de Baudry et Ballereau ait été l’une des quatre acquisitions de la bibliothèque de La Diana pour l’année 1889 (Anonyme 1889 : 131) et que V. Durand l’ait lu et annoté (pièce B4, folios 1 à 10 du Fonds V. Durand de la Bibliothèque Déchelette à Roanne).

77Pourtant, au Crêt-Chatelard, il fallut déchanter : répondant à une question sur ce sujet au cours du congrès archéologique de France de 1885, V. Durand redit que “les puits du Crêt-Chatelard, à peine vidés, se remplissent aussitôt d’une eau excellente [et] semblent donc avoir été creusés uniquement en vue de l’alimentation” en eau (Travers 1886 : 33). Curieusement, R. Périchon et P. Péronnet reviennent à l’hypothèse de puits funéraires, considérant à propos de “certains puits”, non sans ambiguïté, que l’“on saisirait mal la présence de céramique de luxe jetées entières sans une intention religieuse” (Périchon et Péronnet 1984 : 25).

79On sait que les objets que nous avons étudiés ont été mis au jour dans la section inférieure du puits, haute de 1 m pour un diamètre de 0,80 à 0,90 m et dont le tiers supérieur était occupé majoritairement par l’apport des nombreuses tegulae “placées toutes debout”, au-dessus desquelles le mobilier était plus riche en “morceaux de bois” et en restes de faune. Le dépôt des objets paraît donc concerté et, quoiqu’on ne dispose pas d’un enregistrement stratigraphique des céramiques communes, il peut s’agir, au vu de la datation des objets étudiés, distincte de celle du reste du mobilier, d’un rituel de clôture du puits après le milieu du ii^e s., les dieux étant honorés, au moment de la fermeture, par la consécration d’objets dont le matériau, au moins, a une certaine valeur et qui accompagnent le dépôt d’une image divine en bois.

80Localement, il faudrait rapprocher le dépôt du Crêt-Chatelard d’autres découvertes d’époque impériale faites en territoire ségusiave, notamment du dépôt, en plus de vases à puiser, de six vases miniatures de la fin du ii^e s. ou du début du iii^e s. au fond d’un puit à Fourneaux (Loire ; Vaginay et Samuel 1981). Au Crêt-Chatelard même, J. Déchelette a signalé avoir découvert, lors de la fouille, en août 1895, du puits XXXV, “réunis ensemble, cinq bols [Drag.] 37, tous de décors similaires” dont deux portaient l’estampille du potier lédosien Cinnamus (Déchelette 1904 : 152 ; Périchon et Péronnet 1984 : 153). On a voulu y voir la même pratique (Poncet 1987 : 86), mais le procès-verbal de la fouille n’est pas explicite sur cette découverte (Périchon et Péronnet 1984 : 75-76).

81Plus récemment, S. Krausz et G. Coulon ont évoqué cette interprétation à propos d’un dépôt d’objets remarquables en bronze dans le comblement du puits n^o 269 de Châteaumeillant (Cher) vers la fin du ii^e s. ou le début du iii^e s., en renvoyant à d’autres cas plus ou moins convaincants de Bliesbruck (Moselle), Allonnes (Sarthe) ou Limoges (Haute-Vienne) notamment (Krausz et Coulon 2015). On rappellera seulement ici la découverte de Saint-Valérien (Yonne) : la statuette de la déesse Épona, dont nous avons déjà parlé, a été trouvée à 4,50 m de profondeur dans un puits de 0,55 m de diamètre, associée à un groupe de vases en alliage cuivreux en plus ou moins bon état (Driard et Deyts 2013, Fig. 2, US 140 ; Driard et al. 2010), dans un contexte de la fin du iii^e s. ou de la première moitié du iv^e s. Les auteurs proposent de voir dans cet ensemble “une réserve de métal destiné au recyclage” et placée dans une “cachette” dont ils conviennent qu’elle serait d’un accès “compliqué”, mais on peut y voir plutôt l’offrande, au moment de la condamnation du puits, d’objets d’une certaine valeur dans un milieu d’artisans des métaux.

82Au terme de cette étude, il apparaît qu’après un mobilier en céramique datable de la fin du i^er s. av. n. è. et du tout début du i^er s. de n. è., reflet de son usage comme puits à eau, le puits IV du Crêt-Chatelard a reçu, dans un espace contraint, une masse de fer issue du ré-assemblage d’éléments d’entraves, un bassin en alliage cuivreux, une statuette de bois figurant une divinité assise en tailleur et quelques gros fragments de céramique, principalement de sigillée à décor figuré ; un panier en vannerie faisait aussi partie de cet ensemble. Ceux de ces objets qui peuvent être datés sont sensiblement plus récents que le reste du mobilier et on peut évoquer l’hypothèse que l’ensemble ait été déposé rituellement lors de la clôture du puits dans la seconde moitié du ii^e s. au plus tôt.

83L’analyse de la statuette permet d’y voir un produit de petite sculpture sur bois de hêtre, représentant une divinité, type de sujet parvenu jusqu’à nous plus rarement que les ex-voto. Objectivement datable vers le début du ii^e s. par le ¹⁴C et la dendrochronologie, cette figure d’un dieu assis en tailleur fournit un jalon chronologique rare et précieux dans l’iconographie de ce dieu anonyme.