Introduction

1La connaissance des communautés montagnardes et leur implication en termes de gestion agro-sylvo-pastorale est une thématique qui bénéficie en France d’une trentaine d’années d’investigations. Depuis les années 1990, des recherches pluridisciplinaires sont conduites dans les Pyrénées (Galop 1998 ; Davasse 2015), les Alpes (Leveau 2000 ; Segard 2008) ainsi que sur différentes fenêtres du Massif Central (Bündgen 2008 ; Trément 2012 ; Fassion 2013). S’est ainsi élaborée l’idée selon laquelle la connaissance d’un système agropastoral se doit d’être appréhendée à travers le croisement des marqueurs paléoenvironnementaux avec des données plus strictement archéologiques. Dans le cadre de cette approche, la cellule ou l’unité de peuplement – le site – apparaît comme le principal acteur de la gestion d’un territoire (Rendu 2003 ; Leveau 2000). Ainsi, de multiples campagnes sur sites ont permis de dresser une première typologie de l’architecture de l’estive en contextes pyrénéen et alpin (Mocci et al. 2005 ; 2008 ; Calastrenc et al. 2016).

2Au cours du Haut Empire, la ligne de crête des Monts du Forez matérialise une frontière entre différents territoires de cités antiques et provinces d’Ancien Régime (Fig. 1). Moyenne montagne granitique de l’est du Massif Central, elle culmine à 1 634 m d’altitude au sommet de Pierre-sur-Haute et sépare le bassin d’Ambert du bassin du Forez. Cette situation géographique donne au massif une position privilégiée à la croisée de différentes aires culturelles. Plusieurs agglomérations secondaires sont alors fondées. Celles-ci se développent, parfois ex-nihilo, sur tout le pourtour du massif (Scholtès 2020). L’ancrage territorial local, dont témoigne l’occupation du sol régionale, contribue à définir cette région comme une marge intégrée dans l’économie romaine (Trément 2012). Il est probable que les ressources dont dispose en propre la montagne sont à l’origine de l’aménagement du territoire observé à haute et à basse altitude. Comme en témoigne la palynologie, le massif possède une réserve certaine et préservée en matières premières à l’aube de la conquête romaine. En effet, si les premiers indices de déforestation et quelques occurrences de Cerealia sont calés autour de 3700 av. J.-C., et bien que la période au cours de laquelle l’occupation agropastorale devienne permanente commence localement au Bronze final, la couverture forestière reste importante à l’étage montagnard jusqu’au début de l’âge du Fer (Argant et Cubizolle 2005 ; Cubizolle et al. 2014). Ainsi, la hêtraie-sapinière domine encore alors au-dessus de 1 000 m.

3C’est peu après la conquête romaine que l’on assiste à une accentuation de la pression humaine sur les milieux de montagne. À l’étage montagnard, les preuves de céréaliculture apparaissent systématiquement ici dans les diagrammes polliniques tandis qu’à l’étage supra-sylvatique, au-dessus de 1 400 m d’altitude, les landes pastorales connaissent une forte extension (Cubizolle et al. 2014). Les marqueurs archéologiques et paléoécologiques concordent ainsi et actent le début d’une véritable gestion agro-sylvo-pastorale sur le haut Forez. À noter que c’est aussi à partir de l’époque romaine que l’on assiste à une très forte augmentation du nombre de création de tourbières, la plupart associées à des ouvrages bloquant l’écoulement des eaux – barrages, digues, bassins, murs de limites parcellaires – et déclenchant une sédimentation organo-minérale d’abord puis strictement organique (Cubizolle et al. 2004 ; 2012 ; 2013 ; Dendievel et al. 2020 ; 2021). Dans d’autres cas de figure, c’est le détournement des eaux de petits ruisseaux pour alimenter des bâtiments pastoraux qui entraîne le développement de tourbières dans les fonds de vallons des hautes terres de l’étage subalpin (Cubizolle et al. 2022).

4Depuis 2016, des recherches conduites sur ces hautes terres ont permis d’associer ces signatures polliniques à des marqueurs archéologiques récurrents et, pour certains, clairement identifiés. Les découvertes ont été faites dans le cadre du programme “Archéologie des Hautes-Chaumes du Forez” en parallèle duquel a été effectuée une thèse de doctorat relative à la gestion agropastorale depuis l’époque romaine (Scholtès 2020). Pendant quatre années, des campagnes de prospection pédestre et de sondages sur différents sites ont été menées. Ces opérations ont abouti à la création d’une base de données diachronique relative à l’occupation du sol. La confrontation des données d’époque romaine avec la documentation paléoécologique disponible a été une opportunité pour reconnaître l’investissement sociétal sur les hautes terres de la montagne forézienne.

5La problématique adoptée pour le haut Forez s’est construite autour de trois grands axes de recherches. Un premier axe a consisté à estimer si les tendances mises en évidence par la palynologie pouvaient, effectivement, être corroborées par l’archéologie. La seconde question, qui découlait de la première, était de savoir si ces signaux reflétaient une mosaïque de pratiques et de cycles socio-économiques inscrits dans le temps long ou, plutôt, une présence humaine occasionnelle et opportuniste sur la montagne. Enfin, et en lien avec cette question, il s’agissait de comprendre si la structuration de l’habitat agropastoral et son évolution au cours du Haut-Empire pouvaient être associées à des seuils techniques et économiques tributaires du mode de gestion.

Cadre de l’étude

Contexte géographique

6Le haut Forez ou “Hautes-Chaumes du Forez” correspond à un système de plateaux de la partie sommitale des Monts du Forez. Le massif est une moyenne montagne granitique varisque de la bordure orientale du Massif Central. Il se situe à l’interface entre les départements de la Loire et du Puy-de-Dôme. Le relief actuel est hérité d’une longue histoire géologique qui démarre il y a environ 350 millions d’années (Cubizolle 2021 ; Étlicher 1986). Néanmoins, la configuration actuelle du relief a été déterminée par trois ensembles de facteurs qui ont agi à trois échelles de temps différentes. Le dispositif général du relief, qui se compose d’un étagement de plateaux défoncés par le réseau hydrographique et l’érosion différentielle, reliés entre eux par des talus correspondant à de grands escarpements de ligne de faille, trouve son origine dans l’activité tectonique et sismique de la période cénozoïque, principalement à partir de -35 millions d’années (Cubizolle 2021). Les modelés de grande échelle – cirques glaciaires, de névé, vallée en auge, terrasses de gélifluxion, vallons périglaciaires, etc. – et les formations superficielles périglaciaires et glaciaires associées se sont mis en place sous les climats froids et secs du Würm (-110 000 ans/-12 750 ans) (Cubizolle 1997 ; Étlicher 1986). Enfin, les modelés de détail – colluvions de bas de pente, banquettes d’érosion agricole, anthroposols, tourbières anthropiques, etc. – sont le fait de l’action des sociétés agropastorales dans le contexte bioclimatique postglaciaire des 6 000 dernières années (Cubizolle 1997 ; 2005 ; 2009 ; 2019).

Historique des recherches

7En 2015, un stage de Master de géographie a été entrepris sur les Hautes-Chaumes de la commune de Sauvain. Centré sur la Réserve de Colleigne, il avait pour objectif de recontextualiser le phénomène agropastoral dans sa dynamique historique (Bérini 2015). L’objectif était de mettre en évidence l’importance des facteurs anthropiques et sociaux dans la construction et l’aménagement des paysages ouverts actuels. Débute alors un partenariat entre le Conservatoire d’Espaces Naturels Rhône-Alpes (CEN-RA) et des archéologues du Service Régional de l’Archéologie Auvergne-Rhône-Alpes (SRA AuRA). Au terme de l’étude, le potentiel des données acquises, jusqu’alors inconnues, a ainsi appuyé la création d’un programme pluridisciplinaire dédié aux Hautes-Chaumes des Monts du Forez.

8L’objectif initial de ce programme était d’approfondir les connaissances archéologiques relatives aux hautes terres des Monts du Forez et de les corréler étroitement aux sciences paléoenvironnementales. Inspiré des recherches menées dans les Alpes et les Pyrénées, il poursuivait l’objectif de construire un discours relatif aux relations sociétés-milieu. Ainsi, le programme “Archéologie des Hautes-Chaumes du Forez” a vu le jour en 2016, à l’initiative de F. Delrieu et de P. Chapuis du SRA AuRA. Il s’empare de la thématique de l’agropastoralisme et des modes de gestion qui lui sont associés dans le temps long. L’ensemble des données acquises ont été détaillées au sein d’un rapport final d’opération publié au terme de la triennale (Chapuis et Verrier 2021). Quant aux résultats présentés ci-après, ils sont le fruit d’une collaboration étroite avec le programme en question. En effet, il a été un cadre en parallèle duquel s’est effectuée une thèse de doctorat déjà citée, relative à la gestion agropastorale sur les Hautes-Chaumes au cours de l’Antiquité, du Moyen Âge et de l’époque moderne (Scholtès 2020).

Acquisition des données

9Les campagnes de prospections pédestres réalisées dans le cadre triennal du programme “Archéologie des Hautes-Chaumes du Forez”, ont été l’occasion d’appréhender le potentiel archéologique de ces hautes terres (Chapuis et Verrier 2021). Du nord au sud, la zone des recherches s’étire sur 5 000 ha entre le col de la Chamboîte (commune de Chalmazel) et le col des Supeyres (commune de Valcivières). Les caractéristiques morphologiques de la fenêtre où les pentes à forte déclivité sont récurrentes ont contraint d’écarter certaines zones trop abruptes ou difficiles d’accès. En outre, la nature du couvert végétal (pâturages et forêts) a favorisé la tenue d’une maille de plutôt large (5 à 10 m), permettant ainsi de parcourir rapidement de larges surfaces. Des prospections pédestres ont été réalisées à raison d’environ 20 jours par an pendant 3 ans et ont permis de couvrir près de 45 km² du territoire.

10De façon parallèle, des investigations complémentaires ont été réalisées et viennent compléter ce premier panorama. L’une, antérieure, est recentrée autour du secteur méridional des Allebasses (Scholtès 2015) tandis que la seconde a concerné le secteur le plus septentrional des Hautes-Chaumes autour du col du Béal (Scholtès 2020). La nature des terrains prospectés concerne essentiellement des landes rases à herbacées. Ces dernières ont colonisé cette frange de l’étage montagnard supérieur et de l’étage subalpin, regroupées sous l’appellation de Hautes-Chaumes. L’activité agropastorale est principalement représentée par le pastoralisme, principal acteur de l’entretien actuel des paysages dans cette fenêtre située au-dessus de 1 200 m d’altitude.

11Au sein du corpus de données recueillies, celles d’époque romaine comprennent 23 indices de sites (Fig. 2). Parmi ceux-ci, 17 sont datés du Haut-Empire, 1 de l’Antiquité tardive et 5 ne bénéficient pas d’une datation précise à l’échelle de la période.

12La totalité des sites se répartit entre 1 300 et 1 450 m d’altitude (Fig. 3). Seules des concentrations de mobilier ont permis de reconnaître l’existence des sites antiques. En effet, ces derniers n’ont pas laissé de traces visibles dans le paysage contrairement aux vestiges médiévaux et modernes souvent encore visibles dans la topographie. Dans la plupart des cas, ces témoins ne sont caractérisés que par du mobilier épars et mis au jour de manière isolée. Toutefois, au moins cinq d’entre eux ont été reconnus grâce à la découverte d’une abondante quantité de mobilier bien caractérisé et délimité en surface. Ces informations ont permis d’envisager l’implantation proche de potentiels vestiges immobiliers et ont donc motivé la conduite d’opérations de sondages archéologiques. Ainsi, ce sont les résultats obtenus sur les sites de “Garnier”, “Colleigne”, “le Gros Fumé”, “la Jacine” et “les Pradeaux” qui, désormais, vont être présentés. Leur étude permet d’apprécier les changements qui opèrent dans les formes de l’occupation du sol pendant le Haut-Empire. En effet, les différents sites sont le probable reflet de pratiques qui évoluent dans le temps et l’espace en fonction de dynamiques agropastorales alors à l’œuvre. Si le plus précoce (“Garnier”) est daté des dernières décennies précédant le changement d’ère, deux autres sont datés du i^er s. ap. J.-C. (“Gros Fumé”) et de la seconde moitié de ce siècle (“la Jacine”) ; un quatrième site est quant à lui daté du milieu du ii^e s. (“Colleigne”), tandis qu’un dernier est attribué au Haut-Empire sans bénéficier pour le moment d’une datation plus précise (“les Pradeaux”).

Description des sites étudiés

Le site de “Garnier”

Le site de “la Jacine”

15Le site de “la Jacine”, découvert lors de prospections pédestres conduites en 2018, a été identifié grâce à un abondant lot de mobilier en céramique découvert dans la proximité de la jasserie du même nom (Chapuis 2018). Le sondage conduit en 2019 a confirmé la présence d’un bâtiment associé à ce mobilier de surface.

16Situés à 1 434 m d’altitude, les vestiges sont conservés dans une rupture de pente encadrée par deux talus à faible déclivité. La fenêtre de sondage de 9 × 3 m a permis d’étudier une partie du bâtiment associé à cette occupation (Fig. 6). Deux bâtiments semblent se dessiner. Un premier, situé au nord-ouest du sondage (P1), se subdivise en deux pièces distinctes, mesurant respectivement 2,20 × 2,20 m (P1.1) et de 2,20 × 2 m (P1.2). Notons toutefois que la seconde n’a pas été dégagée dans la totalité de sa longueur vers le sud-est. Au nord-est, se distingue l’extrémité d’une troisième pièce. Un lambeau de sol a été mis au jour au sein de cet espace. Il se démarque des autres séquences stratigraphiques par sa matrice limono-organique noirâtre et par l’incorporation de céramiques disposées à plat sur son sommet. À l’extrémité sud-est du sondage, un second espace d’au moins 1,60 × 1,20 m se devine (P2) avec deux murs à angles droits, une partie de cette pièce demeurant hors emprise du sondage. Chacune de ces pièces est délimitée au sol par des alignements de blocs (MR) qui matérialisent des bases de murs. Leur largeur au sol varie de 0,30 à 0,50 m. Aucun liant n’a été observé. Ceci permet de supposer la mise en place d’une maçonnerie en pierres sèches, ou plutôt des élévations en matériaux périssables. Cependant, quant à la construction en pierres sèches, la fouille des unités stratigraphiques supérieures a permis de renseigner les horizons relatifs à l’effondrement de la structure. La matrice effondrée de l’élévation est formée d’un conglomérat de blocs de petits calibres de taille décimétrique. Pour le bâtiment P1, au nord-est, ces blocs sont surmontés d’une unité stratigraphique riche en fragments de tegulae. Une toiture en tuiles est donc fortement supposée ici.

J. Verrier, 2019 ; A. Scholtès, 2022

17Au sein de ce dernier bâtiment (P1), une saignée est creusée dans l’arène granitique (SA.1). D’une longueur d’1,70 m, elle est agencée perpendiculairement aux murs nord-est et sud-ouest, entre deux très gros blocs saillant de ces murs vers l’intérieur. Elle sépare les espaces notés P1.1 et P1.2. Quatre trous de poteau à calages de pierres ont été notés dans cette première aire, en lien avec ce bâtiment. Avec leurs diamètres de 0,30 m, ils permettent d’envisager l’implantation de poteaux porteurs. Dans l’état actuel des choses, l’interprétation relative à l’espace situé au sud-est (P2) est plus délicate. Ici encore, des alignements de blocs d’une largeur d’environ 0,50 m dessinent au sol de probables bases de murs. Un trou de poteau à calage, de 0,20/0,30 m de diamètre, est agencé à l’intérieur du mur MR.5.

18L’étude du mobilier permet de dater l’occupation entre 50 et 100 ap. J.-C. Il se démarque par une importante quantité de récipients de stockage. Ce sont notamment des restes de dolia qui ont été découverts dans des proportions abondantes. L’incorporation de productions spécifiques telles qu’une amphorette régionale dont la production est connue à Lezoux ou encore de sigillées de Lezoux Phase 4 constituent de précieux indicateurs chronologiques (Bet 1987 ; Bet, Fenet et Montineri 1989 ; Trescarte 2013). Les comparaisons avec les productions de l’aire ségusiave sont également rendues possibles. En effet, de nombreux récipients en céramiques communes possèdent une typologie équivalente avec le mobilier référencé dans les horizons de la fin du i^er s. ap. J.-C. et découvert lors des fouilles des agglomérations de Feurs et de Roanne (Genin et Lavendhomme 1997 ; Bocquet et Giry 2018).

Le site de “Vieux-Colleigne”

20Les vestiges (Fig. 7) souffrent de perturbations occasionnées par l’implantation d’un site moderne à l’endroit même où ont été découverts les vestiges d’époque romaine. Une fenêtre de 2 × 2 m, intercalée entre les structures modernes, a permis de découvrir un niveau de sol matérialisé par un réaménagement et un aplanissement de l’arène granitique du substrat.

21Les structures mises au jour se résument à trois trous de poteau aménagés dans un horizon de blocs décimétriques assimilé à un radier ou solin. Les diamètres de ces éléments oscillent entre 0,30 m pour le plus important, 0,20 m et 0,15 m pour les deux autres. Tous possèdent un plan ovoïde et un profil évasé. Au sein de la stratigraphie, ce pseudo-radier est directement surmonté par un horizon irrégulier à la fabrique massive et à la teinte rougeâtre, riche en inclusions gravillonneuses. Il est épais d’environ 2 cm et s’interrompt là où le radier se termine. Un prélèvement non perturbé a été réalisé dans un secteur non perturbé de cette strate pour en déterminer la nature. Dans ce cas, l’apport de la micromorphologie a permis de reconnaître les restes de matériaux de construction en terre crue fortement remaniés et mélangés à des plages de matériaux naturels (Scholtès 2020). Il est donc possible d’envisager l’existence d’une élévation en terre crue pour la construction des élévations de la structure de Vieux-Colleigne. Enfin, à l’extrémité sud-ouest du sondage, un léger surcreusement de l’arène granitique a été identifié. Par comparaison avec l’exemple de Garnier où ce procédé a été étudié, nous supposons la volonté de régulariser le terrain pour l’installation du site.

22Cet hypothétique bâtiment demeure toutefois difficile à caractériser. La taille, ainsi que la proximité des différents trous de poteau pourraient orienter notre réflexion sur la présence initiale d’une structure de type grenier. L’hypothèse reste ouverte, faute d’éléments de plan ou structurels réellement caractéristiques. En parallèle, il est intéressant de noter la découverte, à quelques mètres en aval, d’une fosse aménagée dans le substrat local. Cette structure, ovoïde, présente un diamètre de 2 m pour une profondeur comprise entre 50 et 75 cm. Le mobilier associé à cette fosse permet d’entrevoir une occupation plus précoce du site. La céramique étudiée rend compte, en effet, d’un établissement actif, au moins, entre 40 av. et 10 ap. J.-C. (Scholtès 2020).

Le site de “Gros-Fumé”

23Le site de “Gros-Fumé” a été identifié dans les landes du plateau de Colleigne, à une centaine de mètres en aval du précédent. De la céramique commune dispersée en surface le long du bien d’une jasserie a permis de concentrer les investigations sur un replat topographique, encadré par deux ruptures de pentes, à l’aplomb de la tourbière du Gourd-des-Aillères. Lors de cette opération, une fenêtre de 2 × 2 m a été ouverte. Le mobilier associé recense une dizaine de tessons de céramiques communes à cuisson oxydante du i^er s. ap. J.-C. et de quelques fragments de terre cuite architecturale.

24Un supposé canal de drainage a été mis au jour (FO.1) (Fig. 8). Il a été surtout reconnu dans la coupe stratigraphique sud du sondage. Repéré à 0,50 m sous la surface actuelle, le creusement mesure 0,35 m de large pour 0,30 m de profondeur conservée. Le profil est de forme trapézoïdale et est encadré de blocs de granite décimétriques fichés de front. Le comblement se démarque des séquences extérieures par une structure pédologique limono-argileuse de type eutrophique. De probables structures annexes seraient présentes à proximité. À l’endroit où a été ouvert le sondage, deux piédroits encadrent le canal (Pi.1 et Pi.2). Il s’agit de deux blocs granitiques aux dimensions imposantes, qui semblent marquer une limite entre le canal et un compartiment entièrement décaissé dans l’arène granitique (P.1). L’espace ainsi décaissé forme une structure de nature indéterminée de plan rectangulaire mis au jour sur une surface de 0,65 × 1,25 m. Enfin, un hypothétique trou de poteau accompagné de son calage pourrait se dessiner dans l’angle nord-est du sondage (TP.1).

Le site des “Pradeaux”

25Depuis les années 1960, le secteur des Allebasses – les Pradeaux a fait l’objet de nombreuses découvertes ponctuelles de mobilier d’époque romaine (Peillon 1991 ; Dupré 2010 ; Scholtès 2015). Un site en particulier – celui de Fayevie – a fait l’objet d’importantes découvertes, référencées, au sein d’une emprise topographique réduite. Cependant, malgré la mention d’un probable élément bâti non décrit, la localisation du site demeure, à ce stade, imprécise et souffre donc de lacunes certaines concernant son interprétation réelle.

26L’exception vient du barrage des Pradeaux. Lors des prospections autour de ce dernier, alors que les eaux étaient basses, un alignement de blocs granitiques est apparu. Un nettoyage de surface a permis de mettre au jour une partie des fondations partielles d’un angle de mur d’une largeur d’environ 0,55 m (Fig. 9). Le phénomène de battements, de montées et de descentes régulières des eaux depuis la création du barrage il y a 80 ans, ainsi que la récupération des matériaux pour la construction des bâtiments d’estive du Petit Fayevie, sont vraisemblablement la cause de ce très mauvais état de conservation.

27Dans cette assise, mais aussi emportés en contrebas par l’érosion, figurent de nombreux fragments de terre cuite, principalement tuiles à rebords et céramique à cuisson oxydante principalement. Ces derniers sont très érodés par leur séjour dans l’eau et par l’action du gel. Quelques clous sont aussi présents. Ce petit bâtiment, si on se réfère à la faible largeur des murs, semble donc bénéficier d’une architecture à la romaine avec une couverture en tuiles. Il sera nécessaire de poursuivre les investigations afin de caractériser précisément le type d’architecture et la fonction de la construction découverte ici.

Mise en perspective

Gestion du territoire sur les Hautes-Chaumes à l’aube de l’époque romaine

L’intégration des Monts du Forez au sein de l’économie régionale

29Au Haut-Empire, le haut Forez est un territoire partagé entre deux entités administratives et politiques que sont la civitas Arvernorum à l’ouest et la civitas Segusiavorum à l’est. Tandis que la première est intégrée à la Province d’Aquitaine, la seconde est en Lyonnaise. De nombreuses agglomérations secondaires se développent, parfois ex nihilo, sur ses piémonts peu après la conquête des Gaules. Ainsi, Ambert, Moingt/Chézieu, ainsi qu’Ailleux (Loire) et Vollore (Puy-de-Dôme) se développent sur les contreforts du massif. L’implication de ces différents centres urbains dans les schémas de gestion de la montagne est encore difficile à interpréter, sur le plan tant économique que démographique. Pour la plupart, ils succèdent à d’anciennes occupations laténiennes dont le statut demeure encore difficile à appréhender. À titre d’exemple, à l’échelle de la région, l’unique témoignage de la transition entre un habitat de la fin de l’âge du Fer devenu une agglomération romaine est le cas d’Icidmago (Usson-en-Forez) située en limite du territoire vellave (Bleu 2012). Le début du Haut-Empire est contemporain d’une croissance économique que favorisent tant la démographie en hausse que l’essor de l’urbanisme à l’échelle régionale (Trément 2012). La société gallo-romaine est alors confrontée à des besoins croissants afin de soutenir cette dynamique.

30L’équilibre qui se met en place dans l’occupation du sol contribue à remodeler les paysages et les systèmes agraires des grandes plaines alentour dès le tournant de l’ère. Les fondations et expansions des noyaux de peuplement de la Limagne, de la Dore et de la plaine ligérienne dictent les transformations que connaissent et supportent les agrosystèmes (Trément 2004). L’ouverture massive des milieux en est l’une des conséquences directes. Elle intervient pour répondre aux nécessités de ces centres nouvellement créés (Argant 1992 ; Cubizolle et al. 2004 ; 2014 ; Trément 2004 ; 2012 ; Trément et al. 2002 ; 2005). Par exemple, avec un pourcentage de pollens arboréens culminant autour de 3 % après le changement d’ère, l’environnement proche d’Ambert rend clairement compte de l’avancement de ce processus (Argant 1992 ; Gagnaire 1992). Dans la Grande Limagne, le constat est similaire. En effet, les recherches identifient alors la mise en place d’un système de gestion du sol intensif (Trément et al. 2008). Dès le changement d’ère, les forêts disparaissent complètement des études polliniques locales et ne parviennent alors plus à se régénérer.

31À l’instar des observations faites en plaines et dès cette période, la couverture forestière du massif entame une baisse désormais continue. Alors que les franges inférieures et intermédiaires de la montagne concentrent l’essentiel des dynamiques de la fin du second âge du Fer, l’anthropisation des hauts plateaux s’intensifie dès le Haut-Empire. À l’échelle de la région, la multiplication des indices d’habitats corrobore l’hypothèse d’une gestion agropastorale alors en hausse (Bündgen 2008 ; Fassion 2013). Les informations paléoenvironnementales relevées sur les Hautes-Chaumes sont proches de celles mises en évidence ailleurs dans le Massif Central, telles qu’en Aubrac (Faure 2012), dans le Mézenc (Dendievel 2017) ou en Limousin (Miras, Richard et Guénet 2007). Une tendance similaire bien que de moindre importance est également relevée alors dans les Pyrénées (Galop 2000) et les Alpes (Mocci et al. 2008). Le schéma ne peut toutefois être généralisé. Les signaux polliniques associés au Haut-Empire diffèrent dans certaines régions de montagne telles que le Morvan (Jouffroy-Bapicot 2010), les Vosges (Goepp 2007) ou encore le Cantal, pour le Massif Central (Fassion et al. 2015). Au sein de ces fenêtres, la période ne révèle pas ou peu de changements significatifs. Même si les forêts locales enregistrent les contrecoups d’une gestion qui se développe clairement (Jouffroy-Bapicot 2010), les indicateurs polliniques de l’élevage et des cultures restent plafonnés, encore, à des pourcentages très anecdotiques.

Un intérêt pour les ressources de la montagne

32Dans le système économique romain, l’approvisionnement en matières premières constitue une problématique qui rythme la vie des centres de productions, pour notamment le fer et la céramique. Dès le changement d’ère, de nombreux ateliers et places artisanales se développent dans la proximité du massif. Les agglomérations d’Ambert, Moingt-Chézieu (Aquae Segetae) ou bien Usson-en-Forez (Icidmago) canalisent ces flux et régissent l’économie locale dans laquelle s’intègrent les Monts du Forez s’intègrent.

33Le développement de l’habitat agropastoral sur le haut Forez ferait écho à un essor urbain exacerbé dans les plaines voisines. Deux principales phases se démarquent. La première, liée à l’intégration du territoire dans le système provincial romain, voit émerger bon nombre d’agglomérations d’envergure dans lesquelles s’inscrivent Augustonemetum, Ambert, Aquae Segetae-Moingt ou encore Forum Segusiavorum-Feurs. Une seconde phase interviendrait entre la fin du i^er s. ap. J.-C. et le début du ii^e s. La plupart des centres urbains enregistrent alors une phase d’expansion notable dont rend compte l’archéologie (Gagnaire 1992 ; Fassion 2013 ; Blondel 2018 ; Bocquet et Giry 2018). Rappelons-le, le i^er s. est contemporain d’une disparition globale de la couverture forestière dans les zones basses. Les forêts régressent au profit d’un système ouvert dans lequel se généralisent cultures et pâtures, tel qu’observé dans le bassin de Clermont (Argant 1992 ; Prat 2006 ; Trément et al. 2008). Ainsi, la mise en valeur de l’environnement du haut Forez interviendrait en réponse aux mutations socio-économiques et environnementales appréhendées dans ces zones de basses altitudes.

34Au début du Haut-Empire, les ressources disponibles dans l’étage des Hautes-Chaumes favorisent autant le développement d’une gestion agropastorale qu’un approvisionnement en matières premières usuelles (Argant et Cubizolle 2005 ; Cubizolle et al. 2014 ; Janssen et Van Straten 1982). L’importance de la ressource forestière à l’aube du changement d’ère aurait donc permis l’élaboration d’une véritable politique de gestion sylvicole. À l’échelle régionale, la multiplication des opérations archéologiques à l’échelle régionale permet d’estimer l’importance du bois au sein de l’architecture d’époque romaine. De récents travaux replacent au premier plan le rôle et l’importance des forêts au sein de l’économie et la société antique (Blondel 2018 ; Cabanis et Marguerie 2013 ; Figueiral, Fabre et Bel 2010). Ainsi, la dendrochronologie et la xylologie rendent compte de la prépondérance d’essences telles que le sapin (Abies) ou le chêne (Quercus) en contextes archéologiques (Ollivier et al. 2016 ; Viscusi 2015 ; Blondel 2018 ; Bonaventure et Ancel 2018). En se focalisant sur l’âge d’abattage des échantillons, on décèle une accélération du rythme des coupes dès la fin du i^er s. ap. J.-C.

35Les Hautes-Chaumes sont proches de la limite supérieure de la hêtraie-sapinière dont l’essor se produit à partir de 5500 BP environ sur l’ensemble du Forez, en raison du climat devenu plus frais et plus humide. Hêtres et sapins concurrencent les chênaies dont la représentation pollinique chute alors significativement. En même temps, dès le début de l’âge du Fer, les diagrammes polliniques traduisent des coupes sporadiques avec ouverture temporaire de clairières et légers signes de cultures dont l’effet s’amplifie partout pendant la période romaine. Un lien évident existe entre les fluctuations de la représentation pollinique des formations forestière et l’existence des sites d’occupation mis en évidence par les recherches récentes.

36Ces ressources en bois ont connu d’autres utilisations qui à l’heure actuelle ne sont pas quantifiables pour l’époque romaine mais ont certainement joué un rôle économique non négligeable pour les Hautes Chaumes. Tout d’abord, une activité connexe au bûcheronnage, la distillation du pin sylvestre pour fabriquer de la poix, qui a été mise en évidence et datée à Usson-en-Forez (Verrier 2012). La fabrication du charbon de bois, très importante sur la périphérie du plateau des Allebasses dans une exploitation, groupée en plateformes ou excavations circulaires, une activité qui n’a malheureusement pas été datée. Il en est de même pour la verrerie, activité plus discrète par ces indices matériels, mais très présente pour des périodes plus récentes dans le nord des Hautes Chaumes.

Conclusion

37Au début du Haut-Empire, les ressources de la montagne forézienne constituent un vivier encore préservé au sein de l’agrosystème romain. De plus en plus, les recherches considèrent pleinement les communautés montagnardes comme actrices d’une gestion agro-sylvo-pastorale pleinement intégrée aux trajectoires régionales de l’économie antique (Trément 2012).

38L’archéologie et la paléoécologie permettent d’apprécier la nature et l’intensité des changements à l’aube de l’époque romaine. Ainsi, le Haut-Empire correspond à une phase de seuil réelle. L’implication des sociétés agropastorales dans la dynamique de gestion du milieu apparaît alors clairement. Celle-ci débuterait au second âge du Fer à plus basse altitude avant d’atteindre les hauts plateaux au i^er s. de n. è. Les évolutions appréhendées sur le plan paléoenvironnemental sont désormais corroborées par l’archéologie.

39Au Haut-Empire, un réseau de sites se met en place sur les Hautes-Chaumes. La typologie des bâtiments mis au jour permet de reconnaître deux phases de construction. La première recouvre les dernières décennies avant le changement d’ère (50 av.-10 ap. J.-C.), tandis que la seconde débuterait dans le courant du i^er s. de n. è. L’hypothèse qui prime est que ces phases témoigneraient d’une évolution des pratiques associée à un net développement de l’agropastoralisme et de ses débouchés, notamment urbains. Aux constructions légères et sans doute mobiles du i^er s. av. J.-C. succèdent des bâtiments construits en dur avec des matériaux pérennes (briques, tuiles). On peut supposer ici une volonté d’ancrer durablement l’habitat dans un territoire.