1. Présentation

1Pour des raisons techniques et d’accessibilité demandées par l’éditeur, la présentation a été scindée : d’une part la présentation générale du site, développant le cadre évolutif, les installations domestiques puis productives, et enfin le contexte dans lequel il s’insère afin de mieux argumenter son positionnement élitaire ; d’autre part, les analyses des mobiliers et écofacts essentiels à la compréhension du site ou rarement mis en œuvre dans le contexte régional. Ces dernières sont publiées en complément, en lien. Des liens hypertextes permettent de s’y référer.

2La commune de Tremblay-en-France se situe à l’extrémité septentrionale du département de Seine-Saint-Denis, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Paris, à la marge de sa zone d’urbanisation. Sa frange nord est investie par l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. La fouille de l’établissement des “Cinquante Arpents”, sur 3 ha, a été menée au printemps 2014 par l’entreprise ArchéoLoire. À la suite de sa liquidation judiciaire, et conformément à l’article L.523-13 du code du Patrimoine, l’Inrap a pris en charge son achèvement à l’automne de la même année, puis son étude (Fig. 1).

1.1. Le cadre environnemental

3La commune s’étend au sud de la région naturelle de la Plaine de France ou Parisis, à une altitude moyenne de 77 m. Sur un socle calcaire, plusieurs mètres de limons éoliens se sont déposés durant la dernière grande glaciation, au cours du Weichsélien (Bernigaud et al. 2016 ; Wüscher et al. 2012). Ces sols sont décarbonatés et lessivés, parfois hydromorphes, ici à dominante sableuse et peu épais (Bernigaud et al. 2017 : 391). Ces limons sont entaillés par de petits cours d’eau, comme le ru du Sausset, coulant à 1 km au sud de la fouille. L’emprise même affecte un pendage vers le sud-ouest (2 m de dénivelé). Celui-ci s’explique, outre le relief général dans lequel il s’insère, par une dépression naturelle dans sa moitié ouest, dont les processus de sédimentation nous sont mal connus, eu égard aux modalités de découverte. Il a favorisé l’érosion, accélérée par les pratiques agricoles. En partie est, les labours ont imprimé leur trace dans les vestiges peu profonds ; sur la marge sud-ouest, les limons de plateau ont disparu, laissant apparaître les bancs marno-calcaires altérés directement sous la terre végétale. De façon générale, les vestiges sont mal conservés, et, hormis dans les structures excavées, aucun sol ancien ne subsiste.

4Les terres de la Plaine de France constituent un territoire fertile et, de fait, l’agriculture y apparaît principalement tournée vers la production céréalière dès l’âge du Fer (Bernigaud et al. 2016 ; Ouzoulias et Van Ossel 2009 : 112). Des données polliniques à une échelle locale, dans un rayon de moins de 20 km, nous offrent une image du paysage végétal environnant et de son évolution. Le corpus concerne à la fois des séquences issues de comblements de paléochenaux et des contextes intrasites, avec des prélèvements dans des structures archéologiques.

5Les études palynologiques portant sur des contextes archéologiques, donc directement impactés par l’importance des rejets anthropiques, témoignent d’un milieu extrêmement déboisé, au moins depuis la période romaine (Blanchard, Casasoprana et Sethian 2022 ; Boulen 1999 ; Frère 1998). Les études hors site offrent un cadre environnemental plus général. Une séquence pollinique dans la vallée de la Beuvronne couvre l’ensemble de l’Holocène (Leroyer 1997). Elle est fortement marquée par l’importance d’une aulnaie locale, la chênaie n’apparaissant alors que de manière très discrète depuis le Subboréal (qui couvre le Néolithique récent/final et l’âge du Bronze). Toutefois, l’anthropisation y est perçue dès l’âge du Fer et s’intensifie ensuite au cours de la période médiévale (chronologie non précisée). À Rouvres, les “Prés Pourris” (Bruley-Chabot 2023) et Mitry-Mory, “Chemin de l’Abîme” (Bellido 2022), si le paysage est encore forestier durant la Protohistoire, les déboisements s’intensifient au cours de la période romaine. Enfin, la séquence de Saint-Pathus, “les Petits Ormes” (Hurard 2011) débute à la période mérovingienne. Là, les formations arborées demeurent très discrètes, qu’il s’agisse de l’aulnaie, en bordure de cours d’eau ou de la chênaie-hêtraie sur les versants. En revanche, les rejets anthropiques (plantes cultivées et rudérales) y sont particulièrement importants. Une phase de déprise agricole est enregistrée au xiv^e s., correspondant à la période de la Peste noire (?). Cet abandon favorisera une reconquête forestière qui ne sera que de courte durée, l’activité agricole reprenant de plus belle au xv^e s.

6Ces différentes études convergent ainsi vers l’image de déboisements intenses du secteur au moins depuis la période romaine, et vraisemblablement dès l’âge du Fer puisque, à l’échelle de la France, on note dès cette période une augmentation des défrichements qui s’intensifient à partir du ii^e s. avant n. è. (Blancquaert et al. 2012). De surcroît, il s’avère que la Plaine de France fait précisément état d’une “grande continuité d’occupation entre le Second âge du fer et l’Antiquité” (Bernigaud et al. 2016).

1.2. L’environnement archéologique

7Le site des “Cinquante Arpents” se situe sur l’ancien territoire des Parisii, en limite nord-est (Fig. 2). Sur la commune de Tremblay-en-France, les traces protohistoriques antérieures à l’occupation ici présentée sont rares, avec cinq sites répertoriés. Réunissant le plus souvent moins d’une vingtaine de structures, ils s’échelonnent entre la fin de l’âge du Bronze et le tout début de La Tène A et sont préférentiellement implantés le long du ru du Sausset (Fig. 3).

8L’établissement des “Cinquante Arpents” s’intègre dans un contexte archéologique très riche. La création d’une ZAC sur la commune et divers aménagements annexes, sur une surface de près de 200 ha, a entrainé plusieurs diagnostics archéologiques (Broutin 2013 ; 2014a et b ; 2015 ; 2018 ; 2019 ; Clément 2021 ; Dufayet 2021 ; Quenez 2023). Plusieurs fouilles d’établissements laténiens et gallo-romains, dont celle présentée, en ont découlé, menées par plusieurs opérateurs en archéologie préventive (Ben Kaddour 2016 ; Pimpaud 2016 ; Blanchard 2017 ; Blondeau 2018 ; Delas à paraître). Sur le reste du territoire communal, les indices laténiens se résument surtout à quelques structures dispersées, sinon un établissement partiellement perçu au lieu-dit “le Nouret” (Marcille, Cottiaux et Couturier 1999). Les sites antiques sont plus nombreux, révélés notamment par les multiples prospections de la Jeunesse Préhistorique et Géologique de France et d’autres opérations d’archéologie préventive (Navecht-Domin 2000 ; Legriel 2013 ; Héron 2018 : 276-308 ; Magitteri à paraître). Une villa de grande envergure, sur le même site du “Nouret”, est également connue à 2,8 km au nord-est (Duhamel, Toussaint et Vallet 1991 ; Marcille, Cottiaux et Couturier 1999). Le réseau viaire antique n’est que supposé, à partir des itinéraires anciens qui relient Paris à Soissons et Meaux et traversent la commune (Héron 2018 : 274). Le secteur connaît ensuite une occupation dense pendant tout le haut Moyen-Âge, d’abord le long des chemins et du ru du Sausset (Poirot 2018 ; Mayer à paraître), puis centrée plus à l’est dans les bourgs du Petit et du Grand Tremblay (Gonçalves-Buissart et Lafarge 2021).

9Plus largement, la Plaine de France connaît un maillage dense d’occupations, aux périodes tant laténienne que romaine (Ouzoulias et Van Ossel 2009 ; Bernigaud et al. 2017 ; Laporte-Cassagne 2018). Les installations reconnues, essentiellement rurales et domestiques, montrent une grande diversité. L’établissement des “Cinquante Arpents” occupe une place prééminente au sein de ce corpus, qui tient d’une part à sa longévité, entre la fin du iv^e/début du iii^e s. av. n. è. et le iv^e s. de n. è., d’autre part à son statut éminent dans la hiérarchie des établissements. Un des intérêts de son étude réside dans la lisibilité de son évolution présentant des modèles interprétatifs reconnus.

2. Le cadre spatial et chronologique

2.1. L’établissement laténien (fin iv^e/début iii^e-i^er s. av. n. è.)

11L’établissement laténien des “Cinquante Arpents” est cantonné à la moitié est de l’emprise de fouille. Il connaît deux phases d’occupation, l’une datée de La Tène C et l’autre de La Tène D.

2.1.1. La fondation et l’occupation primitive de La Tène C

13La répartition interne des structures contemporaines laisse une bande vierge le long des fossés, où sont présumés des talus. L’établissement est desservi à l’ouest par deux entrées simples en enfilade, larges de 2,70 m et 4,50 m et dépourvues d’aménagement. Le cheminement est souligné à l’extérieur par le retour du fossé sud-ouest, et à l’intérieur par deux petits tronçons de fossés alignés, reliant les deux ouvertures. Une autre entrée est envisageable à la jonction entre les deux enclos au nord. Néanmoins, elle est large de moins de 1 m et la restitution des niveaux de circulation et des profils supérieurs des fossés induit un espace trop étroit pour permettre le passage, en tout cas de chariots. Enfin, un dernier accès est supposé dans l’angle nord-est de l’établissement, aboutissement d’un long couloir entre les deux fossés d’enclos.

14Ces derniers sont diversement investis. L’enclos interne, résidentiel, s’étend sur 7 100 m². Il rassemble la majorité des structures (de 2 à 7 bâtiments, 6 fosses, de 4 à 10 silos) et est polarisé par un grand bâtiment situé en son centre, face aux entrées. Il s’agit manifestement de l’habitation principale. Les autres constructions, de moindre envergure, se concentrent de part et d’autre de l’entrée principale et bordent l’accès à la résidence, alors que les silos, et singulièrement les plus importants, sont rejetés contre les talus nord et sud. Les secteurs périphériques nord et est sont peu investis. À l’est, une surface apparaît totalement vierge de structures. Comme les autres, cet espace n’est pas délimité, sinon par une concentration de creusements sur son bord ouest, suggérant une clôture non conservée. Une fonction de verger ou de potager y est envisageable, comme à Poulainville (Somme) par exemple (Malrain et al. 2016 : 52). Cette structuration apparaît donc assez originale dans le cortège des très nombreux établissements fouillés, où les aménagements sont généralement rejetés le long des flancs de l’enclos, l’espace central, vierge, étant alors interprété comme une cour (Malrain, Matterne et Méniel 2002 : 137).

2.1.2. Les modifications de La Tène D

17La distribution générale des aménagements à l’intérieur de l’enclos est sensiblement la même que celle qui prévalait à La Tène moyenne. L’habitation principale perdure dans un premier temps. Puis elle est reconstruite et décalée vers le sud lors du creusement du dernier fossé (enclos 2c). Elle conserve sa position centrale, face à la nouvelle entrée. De nouveaux bâtiments (au moins trois) sont élevés, se superposant ou se juxtaposant aux précédents, tout comme les nouveaux silos (au moins sept) cantonnés aux mêmes espaces qu’auparavant.

18L’investissement de l’ancien enclos externe (1b) est partiellement modifié mais aucune limite externe nouvelle n’est connue. Au nord-ouest, le puits reste le seul approvisionnement en eau connu ; au sud-ouest, au moins deux silos sont creusés. Au sud et à l’est, le parcage et le cheminement lié semblent abandonnés puisqu’ils sont recoupés par les fossés 2a et 2c.

19Malgré ces remaniements, dont les modifications de la circulation, aux implications non négligeables mais difficilement mesurables, la permanence spatiale et fonctionnelle est notable. Elle traduit la continuité de l’occupation et la stabilité de l’établissement pendant trois siècles. Le point le plus original de cette phase, plus encore que pour la précédente, tient à la quantité importante de silos, alors que ce mode de stockage tend à être remplacé par les greniers aériens à la fin de la période (cf. infra).

2.2. De la “grande ferme gallo-romaine précoce” à la villa (i^er-milieu du iii^e s. de n. è.)

2.2.1. La refondation augustéenne

20L’époque augustéenne marque une véritable rupture. Après un nivellement général, un nouvel établissement est implanté, reprenant toutes les caractéristiques des “grandes fermes gallo-romaines précoces” d’abord mises en évidence en Picardie (Collart 1996).

22Si l’établissement paraît ainsi totalement refondé, plusieurs éléments indiquent une filiation directe avec les phases précédentes. Elle est d’une part chronologique puisque lui succédant immédiatement. D’autre part, la persistance de certaines logiques spatiales transparaît dans l’axe directeur, toujours NE-SO, et la localisation du cœur de l’établissement. L’enclos résidentiel augustéen 3a se superpose au tracé du dernier fossé en L laténien 2c et l’enclos annexe 3b à l’espace vierge depuis l’origine. Enfin, la totalité de l’enclos laténien primitif est comprise dans l’emprise du nouvel établissement gallo-romain qui a donc respecté des limites fortes. L’ambivalence chronologique de plusieurs des bâtiments est aussi révélatrice de cette continuité.

2.2.2. Du i^er s. au milieu du iii^e s.

25Ce plan, classique dans la moitié nord de la Gaule, repose sur un axe de symétrie reliant l’entrée principale à la pièce de réception supposée. Le pendage assez prononcé du terrain a certainement été mis à profit pour valoriser la perspective vers le bâtiment résidentiel, celle-ci étant amplifiée par l’alignement des bâtiments de part et d’autre de la cour, assimilant l’établissement aux villae à pavillons multiples (Ferdière et al. 2010).

26Durant le Haut-Empire, et surtout au ii^e s., l’établissement connaît donc une montée en puissance. La relative discrétion des éléments du i^er s. ne doit pas oblitérer sa prospérité durant cette phase, que signale la mobilisation de moyens importants pour sa reconstruction more romano au début du ii^e s. De la fin de ce même siècle et de la première moitié du iii^e s. date le mobilier issu du comblement de la majorité des structures de cette phase. Si quelques nuances chronologiques doivent sans doute être apportées, le mouvement est net et général.

2.3. La rupture du milieu du iii^e s.

27À compter du milieu du iii^e s., la trajectoire de l’établissement change radicalement. La réorganisation et le changement de conception sont complets, avec le passage d’un vaste plan multipolaire bien structuré, dont les différents espaces fonctionnels sont clairement identifiés, à un plan ramassé et plurifonctionnel, non délimité (Fig. 11). L’occupation se concentre désormais dans l’angle nord-ouest de l’établissement, dans l’ancienne aile agricole. Toutes les installations précédentes sont abandonnées, à l’exception d’un puits (st.1023) et une des mares (st.1369) qui reçoit des rejets, signe d’une utilisation secondaire.

2.4. Une fréquentation dans le dernier tiers du iv^e s.

29Enfin, après un hiatus apparent de plus d’un demi-siècle, de nouveaux équipements marquent une réoccupation des lieux, sans doute alors largement ruinés, dans la deuxième moitié – voire à la fin – du iv^e s. Leur reconnaissance est certainement partielle, en raison de leur taphonomie et des modalités d’intervention par la première équipe archéologique qui ont pu en détruire une partie. Ils se développent dans la cour de l’ancienne villa, au sein d’une nappe de sédiments comblant une faible dépression a priori naturelle, comme l’indique la microtopographie (cf. Fig. 1 et Fig. 12). La taphonomie de cette sédimentation est mal appréhendée. On ne sait si elle est naturelle ou anthropique, ni, dans ce dernier cas, de quand elle date, aucune structure protohistorique ou antique n’ayant été découverte au-dessous. Des nivellements partiels ou plus complets ont aussi pu être mis en place durant l’Antiquité tardive, comme cela a pu être démontré ailleurs (Guiot 2013 : 235-238).

30S’étendant sur 5 000 m², les vestiges consistent en deux groupes de trous de poteau, appartenant sans doute à autant de bâtiments, quelques fosses et trois fours domestiques. Des lentilles sédimentaires ayant piégé du mobilier sont aussi à signaler. La sépulture 1085 déjà mentionnée pourrait appartenir à cette phase. Cette petite occupation semble brève et est peut-être opportuniste. Rien ne témoigne d’une quelconque prospérité, ni dans les aménagements, sommaires et peu développés, ni dans le mobilier, au demeurant peu important. On ne peut que l’interpréter comme un petit habitat tourné vers des activités agropastorales. Cette occupation illustre les nouveaux modes d’occupation des campagnes de l’Antiquité tardive, où le cadre de vie des populations est souvent difficilement perceptible avant que de nouvelles conditions plus favorables permettent une autre dynamique, ce dont témoigne ici le contexte local. Pour ces différentes raisons, cette occupation sera peu évoquée au cours des développements suivants.

3. La vie domestique : structures et mobilier

31La longue histoire du site des “Cinquante Arpents” permet de mesurer l’évolution des manières de vivre dans les campagnes de Celtique puis de Lyonnaise centrale. Plusieurs traceurs sont les témoins des différents aspects de la vie quotidienne, qu’il s’agisse de l’architecture et des structures associées ou du mobilier, livrant des indices sur le cadre et le niveau de vie des occupants.

3.1. Le second âge du Fer

3.1.1. Le bâti

32Dans l’enclos résidentiel, l’habitation principale primitive est construite sur poteaux plantés (UA 11) (Fig. 13). Son plan est à module porteur et parois rejetées, architecture désormais bien démontrée (Villard-Le Tiec 2018), menant sa surface à plus de 100 m². Au vu de la date de création de l’établissement, il s’agit d’un des exemplaires connus les plus anciens. Elle est reconstruite selon des proportions similaires, bien que l’assemblage de poteaux soit incomplet, à la toute fin du ii^e s. ou au début du i^er s. av. n. è., lors de la phase de remaniements (UA 18). À chacun de ces états est associé respectivement un et deux silos, de petite ou moyenne dimensions (st.1294, 1475 et 1899) appuyant leur phasage : le premier livre du mobilier de La Tène C2, les deux autres couvrent La Tène D1b à La Tène D2b.

33Trois autres bâtiments, éventuelles habitations, pourraient être de mêmes conceptions. Ils sont très arasés et seuls leurs modules porteurs ont été mis en évidence (entre 20 et 28 m²). L’un d’eux, à l’entrée de l’enclos interne, fonctionnerait avec la première phase (UA 26), et aurait généré des rejets dans le fossé 1146 adjacent. Un autre se trouve immédiatement au sud (UA 20, reconstruite une fois : UA 21). Il obstrue l’entrée primitive, autorisant son attribution à la seconde étape de l’occupation. C’est l’unique construction à posséder des avant-trous quadrangulaires. Le seul indice d’aménagement interne consiste en des fragments de plaque foyère, rejetés dans un silo proche (st.1187). Quatre autres édifices présentent des plans a priori simples sur quatre poteaux corniers, couvrant des surfaces de 11 à 14 m². Trois sont dans l’enclos principal, un dans l’avant-cour. Sans caractéristiques architecturales particulières ni mobilier, ils peuvent être qualifiés de bâtiments de service, voire de greniers (Maguer et Robert 2013 : 252-253). Ils sont attribuables à l’une ou l’autre des phases de l’occupation gauloise. Le nombre de constructions reconnues, auxquelles il faut ajouter une dizaine de greniers (cf. § 4.1.1), est peu important au regard de la durée d’occupation. Quand bien même certaines nous échappent, ceci signale leur longévité, et donc leur entretien.

3.1.2. Équipements domestiques et personnels : le mobilier

3.1.2.1. L’équipement et les usages domestiques

35La céramique, reflet par excellence de la vie quotidienne, n’est pas particulièrement abondante ni représentative, comme souvent, de la phase de création de l’établissement. Les lots sont équivalents pour les deux phases d’occupation. Les formes en usages et leurs proportions relatives sont également conformes au faciès du territoire des Parisii historiques et au contexte francilien. Les importations sont très limitées (amphores italiques, vases de type Besançon), comme dans le reste de la Plaine de France. Ce constat n’est manifestement pas en rapport avec un niveau social et économique limité ou un accès restreint aux circuits commerciaux. La céramique liée aux deux phases ne paraît pas être autre chose que celle d’un habitat lato sensu (vaisselle vouée à la cuisine, à la présentation et au stockage). “Elle ne véhicule aucun message d’ordre statutaire” (J.-M. Séguier, étude spécialisée 1, § 2.1).

36Les habitudes alimentaires et les pratiques culinaires sont illustrées par deux couteaux et un anneau de poignée de chaudron, mais surtout par les rejets fauniques, bien que ceux-ci soient quantitativement peu importants (783 restes), comme souvent en contexte rural, et disséminés dans de nombreux contextes. Presque tous les ossements correspondent à des déchets de consommation, sur lesquels les stigmates de la préparation sont visibles. Ceux de grands animaux (bœuf et cheval) dominent nettement les assemblages, comme sur les sites contemporains de Plaine de France. Ils résultent de choix. Cette proportion diminue néanmoins progressivement, alors que celle du porc augmente nettement et que celle des oiseaux apparaît à la fin de la période. Cette évolution s’accentuera durant l’Antiquité. Le cheval, et peut-être le chien, font partie de la diète carnée. Les os des membres de bœuf sont très largement représentés, supposant un choix alimentaire se portant sur les parties charnues des pattes. “L’étalement des âges d’abattage des porcs renvoie une image de consommation opportuniste plus que de réels choix ciblés sur une catégorie de sujets” (G. Auxiette, étude spécialisée 2, § 1). C’est également le cas pour les autres espèces.

37L’alimentation végétale est moins bien renseignée et concerne uniquement les céréales (orge vêtue, blé amidonnier puis blé nu). “Le statut privilégié du site à La Tène C et D ne transparaît pas dans le matériel carpologique” (M. Derreumaux, étude spécialisée 4, § 3).

3.1.2.2. La sphère personnelle et l’armement

39Bien que relativement peu fourni, l’ensemble de mobilier correspondant à la sphère personnelle et à l’armement est notamment composé de pièces rares, voire exceptionnelles. Ainsi, une attache d’anse anthropomorphe de bassin dédié à la toilette, issue du silo 1899 comblé à La Tène D1b/D2a. Il s’agit d’une “réalisation d’un très haut niveau technique” (L. Leconte, étude spécialisée 3, § 2.1). Elle figure parmi les objets de prestige, luxueux, rarement découverts et toujours issus de sites aristocratiques. De même, une agrafe de ceinturon et les fragments d’une bouterolle de fourreau d’épée sont notables. Ils restent de façon générale plutôt rares en contexte d’habitat, même s’ils sont les plus fréquemment retrouvés au sein de la panoplie guerrière. Les autres éléments sont plus communs : une bague, deux bracelets, une fibule et des anneaux. Il faut néanmoins noter l’assemblage vraisemblable de certains d’entre eux en un dépôt, au sein du silo 1340. Un bracelet y a été retrouvé brisé en deux fragments, pliés volontairement, rendant l’objet inutilisable, rappelant en cela des pratiques cultuelles sur les armes. Il était associé à cinq anneaux en bronze et un bronze (LT 7137), datant ce dépôt de La Tène D2. L’emplacement de la structure réceptrice, à l’entrée de l’enclos résidentiel primitif (1a) n’est certainement pas anodin. Il peut supposer que, bien que condamnée, son souvenir persiste, sans doute en raison de son rôle symbolique à l’entrée de l’espace le plus privé de l’établissement. Sa datation basse doit peut-être être reliée à la transformation de l’établissement à l’époque augustéenne et alors éventuellement être interprété comme un dépôt de clôture ou de condamnation.

3.1.2.3. Les monnaies

3.2. Le Haut-Empire

3.2.1. Le bâti

41Durant l’époque augustéenne, les modes de construction n’évoluent pas (Fig. 15). Le creusement de l’enclos résidentiel 3a traduit aussi le fort ancrage des traditions laténiennes. Il est même possible que l’habitation de La Tène finale (UA 18) soit encore en usage. Selon une autre hypothèse, une nouvelle construction lui succède : l’UA 13. Son implantation dans le quart nord-est de l’enclos est fréquente à La Tène finale, comme en Bassée par exemple (Gouge et Séguier 1995). Mal définie, elle est marquée par un alignement de trois poteaux massifs, auxquels ne répondent que partiellement d’autres creusements de moindre envergure. Parmi les divers appariements admissibles, il pourrait s’agir du type III.0 défini par P. Maguer et G. Robert, où seul les soutiens de la poutre faitière sont conservés (2013 : 252 et Fig. 2). Ce type de construction est logiquement plus difficile à mettre en évidence.

44Le i^er s. de n. è. marque un changement important dans les modes de construction, avec l’introduction de la pierre dans l’architecture. La fondation du bâtiment résidentiel est difficile à dater, compte tenu de sa mauvaise conservation. Elle semble cependant intervenir assez tôt, dès l’abandon de l’enclos résidentiel augustéen. Des exemples proches indiquent que, dans les établissements de statut privilégiés, les usages architecturaux de tradition méditerranéenne sont déjà en cours (voir les deux villas de Charny, à moins de 20 km (Mallet 2006 ; Adam et al. 2018). Cet édifice, construit sur fondations de pierres, se compose d’une grande pièce de 12,80 × 14,40 m (pièce de réception ?), flanquée au nord de trois pièces plus petites (espaces privés ?) et d’un espace moins bien défini au sud, contenant une cave et un cellier (B.13 et st.1444) (espace de service ?) (Fig. 16). Par ailleurs, un puits (st.1524) et deux latrines (st.1408 et 1631) sont situés à proximité, mais semble-t-il hors du bâtiment. À notre connaissance, seuls trois autres exemples de latrines sont suspectés ou avérés en Plaine de France au Haut-Empire : à Charny (Seine-et-Marne), “les Champs de Choisy” (Mallet 2006), à Épiais-lès-Louvres (Val d’Oise), “la Fosse” (Bruley-Chabot 2013) et à Compans (Seine-et-Marne), “le Poteau du Mesnil” (Séguier et Mallet 2005 ; Bertin et Séguier 2008).

45Cette phase est donc marquée par l’utilisation nouvelle de la pierre, qui pourrait n’avoir servi que pour les soubassements. C’est du moins ce qu’indique la cave B.13 : sur une banquette périphérique de 0,20 m de haut sont construits des murets de pierre calcaire liés à la terre. Ces derniers supportaient des élévations en matériaux périssables, dont les négatifs subsistent dans les coupes. Sur le site, quatre fosses polylobées, comblées vers le milieu du ii^e s. ont pu servir de carrières lors de cette phase comme de la suivante. Le métal apparaît visiblement plus fréquemment dans l’architecture (pièces de fixation, grands clous, clés). Il n’est pas certain que la tuile ait été utilisée dès cette époque. En revanche, un tesson de verre à vitre de couleur vert pâle est à signaler. Les mentions de ce type de découverte sont peu nombreuses à une date aussi haute (De transparentes… 2005 : 15).

46Les fosses de stockages et d’aisance du bâtiment résidentiel sont comblées à la fin du i^er/début du ii^e s., lors du programme d’embellissement affectant l’ensemble de l’établissement. L’ordonnancement du bâtiment principal n’est pas modifié, pour autant qu’on puisse en juger, sinon par le creusement d’une nouvelle cave, d’une pièce semi-enterrée et d’un cellier, dans le même espace que précédemment (B.7, B.10 et st.1895). Il est néanmoins assez largement agrandi. Au nord, quelques tronçons de fondations de murs pourraient indiquer sa poursuite sur au moins 16 m. Du moins, la symétrie d’ensemble souvent constatée pour ce type d’édifice l’évoque, mais les indices sont ici trop lacunaires. Au sud, la construction est complétée par l’édification d’un balnéaire de 80 m² environ, tout à fait comparable à d’autres exemples franciliens (À la romaine 2016 : 40-42). Les récupérations et l’arasement ne permettent de restituer ni son organisation générale, ni la fonction précise des quatre pièces découvertes. Ce balnéaire était alimenté par le puits déjà en fonction auparavant, et l’eau évacuée vers la mare située au sud-est. L’emplacement du praefurnium peut être supposé dans les pièces de service, adossées à cet espace, comme à Servon (Seine-et-Marne), “l’Arpent Ferret” par exemple (Gentili et Blanchard 2015 : 85-95). Cet espace d’hygiène et de confort était complété par de nouvelles latrines (st.1408). Plus au sud encore, une série inintelligible de trous de poteau et de petites fosses suggère une annexe liée au complexe.

48Le reste des matériaux se rapportant à la construction est plus abondant et diversifié qu’antérieurement. Un claveau paré en épis sur sa face principale pourrait provenir d’un soupirail. Plusieurs petits blocs retrouvés dans les contextes de la deuxième moitié du iii^e s. ont manifestement été récupérés dans les édifices antérieurs. Ils sont façonnés dans un calcaire coquillier, et au moins une de leur face est incisée au ciseau droit, dessinant une à deux bandes de stries obliques d’orientation alternée. Par ailleurs, beaucoup d’autres éléments sont liés au chauffage et/ou au balnéaire (fragments de sol en béton de tuileau, briques de pilettes, tubulures, tegulae mammatae, bobines, tiges en T à queue : Fig. 17).

49Le décor intérieur est tout aussi remarquable. Néanmoins, l’arasement et l’éparpillement des découvertes ne permettent pas d’en restituer l’agencement. Si les enduits peints sont mal conservés, quatre ensembles différents ont été identifiés. Les compositions, sommaires ou élaborées, signalent autant d’espaces aux fonctions différentes. “Les aspects techniques prouvent par ailleurs leur emplacement dans une pièce chauffée pour l’un et peut-être en voûte ou en abside pour l’autre, probablement donc dans des pièces de confort au statut privilégié” (J. Boislève, étude spécialisée 6, conclusion). Bien que certainement assez communs dans ce type d’établissement, ces décors restent encore mal connus dans cette aire géographique. Quant aux 36 fragments de dalles de calcaire découverts, ils devaient habiller les murs et les sols, un seul conservant une couche d’enduit blanc et ligne rouge symbolisant un joint tiré au fer. Quelques fragments moins épais pourraient signaler un revêtement en opus sectile. Un unique élément de dalle de marbre blanc, de type Châtelperron, complète l’inventaire.

50Aucun autre espace domestique n’a été clairement reconnu dans le reste de l’établissement. Néanmoins, trois fosses de stockage en suggèrent la présence (st.1496, 1460, 1229 puis 1739) (Fig. 18). Elles sont localisées dans l’aile sud de la pars urbana et sont comblées fin ii^e/début iii^e s. Ces petits creusements (entre 1,25 et 5 m²), rectangulaires et peu profonds, peuvent être munis de cupules ou être partiellement maçonnés. À l’extrémité ouest de l’aile sud, dans la pars rustica, une pièce maçonnée et semi-enterrée de plus grande surface sert sans doute également de stockage (B.11). Les importants assemblages des céramiques, et leur diversité, ainsi que le lot d’objets métalliques recueillis dans leurs comblements suggèrent des espaces de consommation et donc peut-être domestiques. Ces aménagements apparaissent aujourd’hui isolés, sans doute en raison de l’arasement très important de la marge sud du site. Il est pourtant loisible de penser qu’ils étaient recouverts de superstructures, qui pourraient alors être interprétées comme habitations, logiquement du personnel.

3.2.2. Équipements domestiques et personnels : le mobilier

3.2.2.1. L’équipement et les usages domestiques

3.2.2.2. La sphère personnelle

3.2.2.3. Les monnaies

54Outre les monnaies gauloises, dont certaines, très usées, circulent encore certainement au début de l’Empire, 33 monnaies antiques, flaviennes et antonines, sont dénombrées (cf. catalogue des monnaies). Ce corpus, centré sur le ii^e s., est représentatif de la phase d’expansion de la villa. Un nombre non négligeable d’entre elles a été découvert dans des contextes plus récents, illustrant la poursuite de leur utilisation.

3.3. Le troisième quart du iii^e s.

3.3.1. Le bâti

55Dans le troisième quart du iii^e s., l’édifice résidentiel procède d’une conception radicalement différente, où activités domestiques et productives sont associées en un même espace, B.1. Le bâtiment mesure entre 168 et 210 m². (Fig. 19). Comme il a été dit, une incertitude demeure sur sa date de construction. Il a pu être édifié au début du ii^e s., puis remanié au milieu du iii^e s. Son agrandissement vers le nord s’appuie sur l’ancien angle nord-est, conservé. Sa façade sud est remplacée par une ligne de poteaux partiellement préservée, peut-être complétée par un mur depuis récupéré. Elle est doublée par quatre autres trous de poteau, isolant un espace de 2,50 m de large. Dans l’espace interne, deux petites structures de stockage munies de cupules, ainsi qu’un probable foyer, signalent sa dévolution domestique ; trois grands creusements, dont l’un occupe tout l’arrière du bâtiment et un autre s’appuie sur l’ancien mur nord, suggèrent eux une autre attribution. Leur forme oblongue et leurs parois droites sont remarquables. Une partie du fond de l’une d’elles est tapissée d’un cailloutis pris dans une matrice argileuse. Les remplissages, stratifiés, n’éclairent pas plus leur usage que leur morphologie. Enfin, un petit fossé part de l’intérieur du bâtiment et s’écoule vers l’ouest. Vu son arasement, le sens de son écoulement n’a pu être mesuré.

56Ce bâtiment présente des analogies avec plusieurs exemplaires connus chez les Médiomatriques (Boulanger 2012 ; Mondy et al. 2016). Les constructions y sont en activité au Haut-Empire et jusqu’à la fin du iii^e s. Elles sont de surface équivalente à celle de Tremblay-en-France. Leur plan stéréotypé présente quatre voire cinq espaces aux fonctions distinctes : habitat, lieu de travail ou de stockage, grange, étable. Cette dernière, étroite, est isolée par une ligne de poteaux. Les dimensions de l’espace ainsi défini seraient adaptées pour abriter huit bœufs de trait, selon les préconisations des auteurs antiques et modernes et qui se vérifient dans de nombreux exemples archéologiques (Rouppert 2017 : 527-529). Il est rigoureusement identique à la partition individualisée au sud du bâtiment B.1. Le principal obstacle à la comparaison tient néanmoins à l’absence de rigole d’évacuation des fluides, pourtant essentielle (id. : 535). Les exemples lorrains ne livrent en revanche ni fosse de stockage, ni fosse oblongue. Celles-ci se retrouvent opportunément sur le site d’Épiais-lès-Louvres, “la Grande Fosse”, à environ 7 km plus au nord et légèrement postérieure (iii^e-iv^e s. : Gambier, Zech-Matterne et Avinain 2012). Elles y sont associées à un bâtiment sur poteaux d’environ 130 m², réparties selon leur type à chacune de ses extrémités. Les analyses carpologiques menées sur les deux fosses oblongues ont conclu que les résidus étudiés sont issus de litières ou de fumiers car minéralisés, et dominés par les taxons des champs cultivés et des prairies. À l’échelle du site, les analyses fauniques ont mis en évidence un taux élevé d’équidé sans que leur consommation soit avérée. Il a alors été proposé que le site accueillait un élevage équin, l’analyse du mobilier métallique allant dans le même sens. Les deux hypothèses, rapprochées, ont permis d’interpréter ce bâtiment comme lieu de stabulation, alors que la cave et le cellier, ainsi que l’abondant mobilier qu’ils recèlent, relèvent quant à eux de sa fonction domestique.

57Ces comparaisons suggestives, la configuration générale de l’occupation et la concentration du mobilier dans cet espace permettent de proposer un édifice multifonctionnel. Ce “modèle” architectural, nouveau dans le contexte francilien, doit sans doute être mis en parallèle avec une évolution des modes d’occupation.

58Une quantité non négligeable de matériaux de construction est recensée dans ce bâtiment, toujours en position secondaire. Ainsi en est-il de quelques dalles de calcaire dont la surface d’utilisation est très érodée, de plusieurs fragments de tuiles, briques et tubulures, de deux fragments de verre à vitre, de très nombreux clous et de restes de pentures de portes. Ils ne prennent pas nécessairement part à la construction proprement dite et pourraient indiquer une récupération des équipements de la villa.

3.3.2. Équipement domestique et personnel : le mobilier

59Lors de cette courte phase d’occupation du troisième quart du iii^e s., le mobilier provient en très grande majorité du bâtiment B.1. L’évolution du faciès de la céramique, traduisant celle des usages, se poursuit (diminution des pots et des jattes/augmentation des patinae, des bouteilles et des gobelets). D’autres apparaissent à cette époque. La proportion des amphores, avant tout régionales, est beaucoup plus importante que pour toutes les autres phases du Haut-Empire (30 %). Elle signale des changements d’approvisionnements, mais peut-être aussi des modes de consommation, comme la banalisation de la consommation du vin plutôt que le signe d’un niveau de vie élevé (cf. J.-M. Séguier, étude spécialisée 1, § 2.2). Le vaisselier, ou du moins la batterie de cuisine, est encore illustré par deux couperets, une fourchette à chaudron et un cuilleron de louche (cf. L. Leconte, étude spécialisée 3, Fig. 15).

60La part de la faune est encore une fois très limitée, répartie inégalement entre les bâtiments B.1 et B.4. Il est délicat d’en tirer des conclusions. Cependant, tous les rejets sont issus de la consommation (pièces charnues). Ils sont souvent très fragmentaires, illustrant une récupération poussée. La triade classique domine toujours, mais ses proportions évoluent. Si la part du porc est stable, celle du bœuf augmente et celle du mouton diminue. Les oiseaux sont moins consommés, les coquillages plus du tout. Les restes d’individus jeunes des trois espèces principales ont été rejetés dans le cellier 2312 du bâtiment B.1. “Il s’agit probablement des déchets liés à une consommation qui sort du cadre ordinaire avec des préparations culinaires de grandes qualités, réalisées à partir de viandes tendres” (G. Auxiette, étude spécialisée 2, § 2).

61Le mobilier est peu représenté, par des clous à tête décorative, une penture et des charnières. Parmi celles-ci, certaines, en os, témoignent de l’intervention probable d’un ébéniste pour la fabrication de meubles élaborés. De même, la parure n’est pratiquement pas illustrée, puisque seuls un anneau de ceinture et une perle en verre vert pâle ont été retrouvés. La patère déjà mentionnée provient de ces contextes. Son bon état suggère qu’elle était encore utilisée, peut-être en raison de sa qualité. Une seule monnaie date de cette époque : une imitation radiée frappée dans le dernier quart du siècle. Mais, dans le bâtiment B.1, un lot de onze sesterces a été mis au jour par la première équipe de fouille (Hadrien : 3 ; Antonin le Pieux : 2 ; Marc Aurèle : 3 ; Commode : 3). Il semble localisé en surface de la fosse oblongue logée au fond du bâtiment. Huit autres exemplaires ont ensuite été découverts lors de la seconde intervention, disséminés dans cette même structure (Domitien : 1 ; Trajan : 2 ; Hadrien : 2 ; Commode : 2, fin Antonins : 1 ; cf. catalogue des monnaies). Ces modalités de découverte ne permettent pas d’être certain de l’unicité du geste ; il est en tout cas difficile d’interpréter ce lot comme un dépôt. Leur présence n’est pas étonnante, ces monnaies circulant encore au iii^e s. Toutes sont d’ailleurs usées.

4. L’appareil productif : structures et mobilier

62Durant toutes les phases d’occupation, la destination avant tout agropastorale de l’établissement ne fait guère de doute. Néanmoins, comme souvent, les traces tangibles en sont difficilement reconnaissables, et l’importance respective des deux activités est malaisée à définir. Ainsi, les restes fauniques révèlent des choix de consommation, déjà évoqués, plus que l’élevage in situ. D’autres activités encore sont indiquées par les vestiges mobiliers. Elles ne dépassent sans doute pas le cadre de la ferme et la sphère domestique.

4.1. Le second âge du Fer

4.1.1. L’agriculture

65D’autres types de stockage peuvent éventuellement être envisagés. Il s’agit d’une part d’une petite fosse quadrangulaire (st.1198), profonde de 0,65 m et munie d’un emmarchement. Son plan et son exiguïté (0,60 sur 1,35 m) pourraient l’assimiler à un garde-manger, bien que situé dans l’enclos 1b donc a priori assez loin des habitations. Au moins deux autres creusements présentent des profils typiques de fonds de silos (st.1187 et 1478). L’hypothèse a ailleurs été posée qu’il s’agissait de silos semi-enterrés, à partir de comparaisons avec des traités d’agronomes du début du xx^e s. (Deffressigne 2018 : 76-79).

66À La Tène moyenne, les cultures sont majoritairement tournées vers l’orge vêtue et le blé amidonnier. Ces derniers sont ensuite supplantés par le blé nu, panifiable. L’orge vêtue reste cependant toujours récoltée, constituant alors le quart des effectifs. Le pois et le millet, cultures secondaires, complètent cet inventaire, où les céréales sont donc prépondérantes. “Ce corpus assez réduit permet toutefois d’inscrire les productions agricoles de l’établissement protohistorique dans une dynamique agricole régionale, et même locale” (M. Derreumaux, étude spécialisée 4, § 1).

4.1.2. L’élevage et les autres activités

67Les aménagements dédiés à l’élevage sont moins perceptibles. Ils doivent surtout être recherchés en dehors des enclos, dans les espaces non fouillés. Un espace pourrait lui être réservé dès l’origine, au sud de l’avant-cour gauloise. Sa surface est de 650 m² et il est vide de structures. Il est isolé par deux fossés où sont ménagées des ouvertures de 6 et 2,50 m et est desservi par un long corridor, large de 1 à 4 m après restitution du talus de l’enclos externe. Le tracé sinueux du flanc sud, formant un étranglement, peut trouver ici une explication, encore qu’un obstacle, naturel ou non, puisse aussi en être à l’origine. Divers aménagements non conservés pouvaient éventuellement y permettre la circulation, voire les opérations de gestion des troupeaux. Un autre lieu de stabulation, qui a pu perdurer à La Tène finale, est envisageable. L’hypothèse est suggérée par la découverte d’un reste de fourrage concentré identifié par la carpologie, dans le fossé nord-ouest de l’enclos interne (st.1146). Il associe vesce cultivée, orge vêtue non émondée et plantes sauvages. Il est probablement destiné à des animaux de trait. Ce stock serait en effet “le reflet d’une mise au travail des animaux qui ont besoin d’une plus grande source d’énergie sans avoir beaucoup de temps pour consommer leurs rations” (M. Derreumaux, étude spécialisée 4, § 1). S’il faut supposer un bâtiment de stabulation, il peut être envisagé face à ce dépôt, dans un groupement inintelligible de trous de poteau. Reste que l’analyse carpologique souligne ici l’utilisation de bœufs pour leur force de traction et ne met donc pas en évidence la place de l’élevage sur l’établissement. C’est également le cas de l’analyse de la faune. “La gestion du cheptel témoigne à l’évidence de choix résolument orientés vers l’exploitation des produits secondaires pour les bovidés” (G. Auxiette, étude spécialisée 2, § 1). Même si des fœtus et périnataux de porcs et de moutons ont été mis au jour, “rapporté à la durée d’occupation de chaque phase, le nombre minimum d’individus ne renvoie pas l’image de grands troupeaux qui pourraient témoigner d’une richesse particulière des occupants du site” (id. § 3.3). Néanmoins, l’activité ne doit pas être minorée car la majorité des cheptels, forcément élevés à la campagne, devaient être emmenés sur pied dans les villes. “Que reste-t-il alors de la perception des activités agricoles du monde rural et de l’élevage, en particulier à travers les assemblages de faune qui nous sont parvenus ?” (id. § 4).

68Les autres activités détectées sont visiblement cantonnées aux travaux quotidiens et d’entretien de l’équipement mobilier et immobilier et de l’environnement d’un tel établissement, ainsi le travail du fer et du bois, représentés par un semi-produit, une hache et une plane (cf. L. Leconte, étude spécialisée 3 : Fig. 4 et 5). Un aiguisoir, un polissoir et une boucharde signalent également l’entretien de l’outillage. Le travail du textile, évoqué à travers une fusaïole discoïdale (filage) et quatre pesons en terre cuite (tissage), ne dépasse sans doute pas la sphère familiale.

4.2. Le Haut-Empire

4.2.1. L’agriculture

70Sans doute au début du ii^e s., plusieurs bâtiments d’exploitation sur fondation maçonnée sont construits, toujours dans l’aile nord, respectant les partitions à plan en L précédentes (Fig. 24). En raison de leur conservation partielle, les accès ne peuvent être localisés. Du premier (B.15), uniquement vu lors du diagnostic, seule une partie des tranchées de récupération est reconnue. Il mesure 10 m de large × 11,75 m de long (120 m²). Une division sur l’avant permet seulement d’y supposer une galerie simple (Ferdière, Gandini et Nouvel 2017 : 160-161 et Fig. 2). Son emplacement au sein de l’exploitation est également récurrent. Le second édifice (B.3), 40 m plus à l’ouest, dessine un rectangle de 7,25 × 22,75 m au minimum (165 m²). Son pignon oriental n’est pas connu et les extrémités des longs côtés sont arrachées. Il ne devait néanmoins guère dépasser ces dimensions. Il est divisé en deux parties inégales : une pièce de 6 × 6 m à l’ouest, une autre de 6 × 15 m au moins à l’est. Du dernier (B.1) le flanc ouest est manquant ; sa restitution est proposée à partir de l’état postérieur. Le bâtiment serait alors trapézoïdal (11,75 × 11,75 à 15,50 m). Il est renforcé par un contrefort extérieur au tiers nord de son mur oriental. Aucun aménagement interne n’est connu pour ces trois bâtiments. Leur interprétation fonctionnelle de ne repose donc que sur leurs plans, très répandus et atypiques. Celui de B.15 est considéré comme grange, polyvalente, selon l’acceptation la plus générale, puisque pouvaient y être entreposés fourrages ou céréales, comme il pouvait servir d’étable, de remise ou d’atelier, les activités pouvant se cumuler (Ferdière, Gandini et Nouvel 2017). Ceux de B.1 et B.3 sont également atypiques et très courants dans les établissements antiques, notamment en Picardie (Ferdière et al. 2010 : 392-394, type C23). Ils restent de fonction indéterminée.

72D’autres aménagements témoignent d’activités spécifiques, impossibles à préciser. Parmi ceux-ci, quatre sont notables, comblés dans le cours du ii^e et au début du iii^e s. Dispersés sur les marges nord et sud, trois de ces creusements recoupent les fossés du grand enclos 3c installé sous Auguste. Ils sont cylindriques et à fond plat. Leurs dimensions sont relativement proches : de 1,45 à 2,30 m de diamètre ; de 1,10 à 1,60 m de profondeur. Leur comblement est selon les cas massif ou stratifié, de limon brun ou de substrat remanié. Ces fosses n’ont livré aucun élément dans leur aménagement, leur remplissage ou le mobilier récolté permettant de statuer sur leur fonction (cuves de stockage ou liées à une activité particulière ?). Leur forme régulière suggère néanmoins un besoin spécifique. On peut encore s’interroger sur la fonction de deux creusements profonds, disposés au bord de la cour, entre les bâtiments B.6 et B.13. Leur profil est en entonnoir plus ou moins prononcé puis régulier (diamètres 0,80 et 0,90 m). Ils sont tout à fait comparables aux puits mais s’arrêtent bien plus haut, à 3,90 et 4,80 m. S’agit-il de puits à eau avortés, de puits de mine, de puisards ?

4.2.2. L’élevage

74L’élevage apparaît de façon indirecte ou incertaine pour la période antique et est donc comme souvent difficile à mettre en évidence et surtout quantifier. Encore une fois, les assemblages fauniques renseignent mal l’élevage. Comme pour la période précédente, ils ne renvoient a priori pas l’image de grands troupeaux de bovins ou de caprins. Mais “l’indigence des données sur la faune pour les occupations des trois premiers siècles reflète plus une migration des cheptels [vers les centres de consommation] qu’une réelle “pauvreté”, notamment en ce qui concerne les grands mammifères (G. Auxiette, étude spécialisée 2, § 2). Ils font néanmoins, logiquement, partie de la vie économique de l’établissement. Abattus jeunes ou vieux, certains sont destinés à la consommation, d’autres à leur force de travail et aux produits secondaires.

75D’un point de vue structurel, on rappellera le petit réseau fossoyé, dans l’angle sud-ouest de l’établissement antique, éventuellement dédié au parcage, en fonctionnement jusqu’à la fin du i^er s. Les trois grands bâtiments d’exploitation ont pu accueillir du fourrage, voire des bestiaux (Ferdière, Gandini et Nouvel 2017 : 176). Mais, hormis leur exposition vers le sud, recommandée par les agronomes latins, ils ne sont pas pourvus des aménagements spécifiques qui déterminent souvent les bâtiments de stabulation, notamment le fossé d’écoulement (Dufour 2019 ; Rouppert 2017). Les mares servent aussi d’abreuvoir, entre autres fonctions (réserve d’eau, stockage à incendie, artisanat…). C’est sans doute particulièrement le cas de celle située à la jonction entre pars urbana et pars rustica (st.1369). Ses bords en pente douce étaient recouverts d’un radier de pierres et ses remplissages primitifs témoignent de sa mise en eau constante et de sa propreté. Enfin, une fumière est aussi supposée, témoin à la fois de l’élevage et de l’agriculture (Fig. 26). Aucune analyse physico-chimique n’est ici à même de le confirmer, mais elle se signale par son remplissage foncé et gras, organique. Il s’agit d’une excavation quadrangulaire, située dans une des partitions de l’aile nord (B.6). Elle est longue de 10,50 m, large de 5 m et profonde de 0,55 m. Ses bords sont obliques, son fond plat à incurvé n’est pas aménagé. Elle est délimitée au nord par une fondation de mur, au sud par une structure linéaire (tranchée de récupération ?). Son comblement principal gris à noir repose sur une couche argileuse hydromorphe. Il n’a livré qu’une vingtaine de tessons hétérogènes du i^er s. dont il n’est pas certain qu’ils suffisent à dater la structure. Au fond, un fossé très arasé pourrait servir d’exutoire, vers l’ouest, où son aboutissement est inconnu. L’hypothèse d’une fumière peut ici être convoquée par analogie (Poitevin et al. 2017). On peut encore logiquement penser que les espaces alentour, notamment les prairies mises en évidence par la palynologie, étaient largement investies par les troupeaux, de même qu’une partie des espaces cultivés leur étaient dévolus (fourrage). Leur aménagement ne peut être perçu que par des décapages extensifs.

4.2.3. Les autres activités

76Durant tout le Haut-Empire, des artéfacts signalent des activités liées à l’entretien de l’équipement (cf. L. Leconte, étude spécialisée 3 : Fig. 13). Les témoignages du travail des métaux sont plus variés qu’à la période laténienne : fer, alliages cuivreux, plomb. Il s’agit de petites quantités de matière première et d’un outil, une lime, nécessaires aux réparations courantes des outillages et autres équipements, tout comme des instruments d’aiguisage en pierre. Le travail du cuir est illustré par une alène à l’époque augustéenne, un grattoir au i^er s., ainsi que peut-être deux poinçons taillés dans des bois de cerf. L’activité textile n’est documentée que par un fragment de peson, outre une moitié de force réutilisée comme couteau. Là encore, toutes ses activités sont cantonnées au fonctionnement de l’établissement et ne peuvent en aucun cas être considérées comme des productions d’importance.

4.3. Le démantèlement de la villa au iii^e s.

4.3.1. L’agriculture

77Dans la deuxième moitié du iii^e s., l’agriculture n’est à cette période représentée que par les fosses oblongues à fumier (si l’on souscrit à l’hypothèse), créées en vue d’amender les champs. L’outillage est peu abondant avec une griffe à deux dents, éventuel sarcloir, et un émondoir. Aucune structure de stockage n’est connue, sinon les deux petits celliers du bâtiment B.1, dont il est évident qu’ils ne pourvoient qu’aux besoins domestiques quotidiens. L’orge vêtue, le blé, le pois et la vesce cultivée, mis en évidence par la carpologie, sont les rares témoins des espèces vraisemblablement cultivées sur place (cf. M. Derreumaux, étude spécialisée 4).

4.3.2. L’élevage

78Les infrastructures pouvant relever de l’élevage sont proportionnellement plus nombreuses. Sa place dans le bâtiment mixte B.1 a déjà été présentée, avec la partition pouvant accueillir huit bovins. La construction accolée (B.4) pourrait aussi être interprétée comme une étable (cf. Fig. 10). Elle est marquée par une vaste excavation quadrangulaire (18,45 × 10,75 m × 0,36 m). Son fond est tapissé d’un radier de petites pierres calcaires. Au sud, où il est moins bien conservé, apparaît le substrat fortement teinté vert bleuté, possiblement en contact avec des liquides organiques (mais aucun prélèvement n’a pu être mené dans cette zone). Ses pourtours sud et est sont aplanis et composés de plus grosses pierres interprétées comme semelles de fondation. À l’ouest, il pourrait être limité par une petite tranchée, mais les remplissages supérieurs se poursuivent jusqu’au mur pignon du bâtiment B.1 attenant avec lequel il fonctionne donc. La bordure nord n’est pas conservée. Au sein de cet espace, 62 trous de piquet ou de poteau, parfois doubles, ont été creusés. Trois alignements est-ouest se distinguent, isolant au sud un espace de 3,50 m de large, comparable aux espaces de stabulation mis en évidence dans les bâtiments mixtes de Lorraine (Boulanger 2012 ; Mondy et al. 2016). L’irrégularité des implantations indique des remaniements et surtout des aménagements internes non liés à la superstructure ou à l’existence d’un plancher, que le soin apporté au radier contredit aussi. Après un remblaiement général, le bâtiment est reconstruit selon le même principe. Le radier est lenticulaire et aucun trou de poteau ne lui semble associé. Le mobilier, assez limité, provient surtout du remblaiement intermédiaire. Ce bâtiment est interprété comme une stabulation, suivant plusieurs exemples de Plaine de France ou de Bassée, mais qui ne rassemblent pas toutes les caractéristiques ici présentes (Gouge et Séguier 1995 ; Casasoprana 2016 pour les radiers et modes de construction ; Mahé 1998 ; Mallet 2007 pour les trous de poteau). Tous datent du iii^e voire du iv^e s. L’originalité de leurs modalités de constructions, communes, et la convergence de leurs modules apparaissent frappantes et, semble-t-il, témoins des choix architecturaux de l’époque. Ils rassemblent plusieurs critères caractéristiques nécessaires aux grands mammifères domestiques, notamment l’exposition, le sol en dur, la largeur ou le compartimentage (Dufour 2019 ; Rouppert 2017). Néanmoins, le pendage du sol ou la rigole pour l’évacuation des fluides, recommandés, sont ici absents. Dans le seul cas des bergeries ces derniers équipements ne sont pas nécessaires, mais les sols construits et les partitions non plus. Cette interprétation ne reste donc qu’à l’état d’hypothèse. Le bâtiment a aussi pu accueillir d’autres fonctions impossibles à définir mais excluant l’habitat, semble-t-il cantonné dans la construction B.1.

79En regard, les restes de faune récoltés lors de la fouille illustrent mal l’activité puisqu’ils sont encore une fois assez peu nombreux. S’il faut croire qu’ils sont aussi représentatifs des espèces élevées sur place que de celles consommées, on peut noter la présence accrue de bœufs, demandant des espaces de pacage plus importants. Les bêtes sont abattues à tous âges, les produits secondaires et leur force de travail étant également recherchés. Un aiguillon à bœufs et deux sonnailles complètent cette maigre documentation.

4.3.3. La récupération des matériaux de la villa

80L’opportunisme en vigueur durant cette phase est lisible dans le réaménagement du bâtiment B.1 probablement antérieur. Une partie du mobilier le suggère également. Les matériaux de construction, dont il a déjà été question pour le Haut-Empire (cf. § 3.3.1), montrent à l’évidence des récupérations dans les édifices des phases précédentes puisque nombre d’entre eux ont été découverts au sein de cette construction B.1. Également, les deux meules de grand diamètre déjà présentées ont été mises au jour au même endroit. Sur la meta en grès de Fosses-Belleu, des stries concentriques sont très marquées en zone proximale, typiques du broyage minéral (Fig. 27). Ceci expliquerait l’habillage par rayonnage anarchique, grossier et épais, incompatible avec la mouture céréalière et recouvrant le précédent. Il s’agit manifestement d’une réutilisation, que l’on propose d’associer à cette phase de l’occupation. De même, la question se pose pour une série de sept pesons (ou des lests ?) en calcaire coquiller, enfouis ensemble dans une des fosses oblongues du bâtiment B.1. Ils ont manifestement été retaillés dans des moellons qu’on suppose appartenir aux bâtiments du Haut-Empire (Fig. 28). Leur masse importante (de 2 à 3,30 kg) suggère qu’ils étaient utilisés sur un grand métier à tisser vertical. Enfin, le mobilier métallique, récolté dans les contextes des seuls bâtiments B.1 et B.4, est particulièrement abondant. Il correspond à 31,5 % du NMI (477 individus) et 48 % du poids du corpus total de la période romaine (11,66 kg). “L’opposition entre masse de métal d’un côté et superficie et durée des phases d’occupation de l’autre devient manifeste, et apparemment paradoxale” (L. Leconte, étude spécialisée 3, § 2.2). Il est alors loisible de penser qu’une part non négligeable de l’activité consistait en le démontage et la récupération des installations du Haut-Empire, forcément grosses pourvoyeuses de pièces métalliques. D’ailleurs, les traces de travail des métaux sont aussi plus évidentes qu’antérieurement, livrant des outils (un poinçon et une tranche, usés), des petites masses de matière première, des déchets de coulée, des chutes de travail et des ratés de fabrication. Sur un site proche du iv^e s., une intense activité de forge pourrait avoir été en partie alimentée par le retraitement d’objets (Saint-Mard, Seine-et-Marne, Zac de la Fontaine du Berger, Leconte dans Besnier 2014 : 184-185). Au sein de ces contextes, a été découvert “un récipient sans col difficile à interpréter : unguentarium sphérique Isings 10, pot cylindrique à embouchure rentrante dite ʻen cothonʼ Isings 130, ou encrier ?” (J.-M. Séguier, étude spécialisée 1, § 1.2.2.2 et Fig. 19, n^o 30). Cette dernière identification donnerait alors un autre éclairage : signale-t-il une activité comptable, une gestion optimisée du démantèlement de la villa ? Faut-il interpréter sous le même jour les quelques éléments liés au transport (un tintinabulum, un anneau passe-guides, une frette de moyeu, un renfort de longeron, une clavette) ?

5. La trajectoire d’un centre domanial sur le territoire des Parisii

5.1. Un établissement rural de haut rang…

81L’ensemble des informations délivrées par les vestiges immobiliers et mobiliers révèle clairement les particularités du site et sous-tend sa position particulière. Elles permettent de qualifier l’établissement d’aristocratique ou en tout cas de haut rang pendant la majeure partie de son existence. Les principaux éléments peuvent être rappelés.

82Sa date de fondation est très haute, au tournant des iv^e/iii^e s. av. n. è. Dès l’origine, la superficie de l’établissement mise en évidence par la fouille est importante (1,25 ha). Il est très bien structuré par deux enclos emboîtés dont les différents espaces sont bien définis (Fig. 29). Dans le contexte régional, et même au-delà, il s’agit aussi d’une exception, les habitats ruraux de cette période en Île-de-France et Picardie se résumant le plus souvent à des batteries de silos ou de petits regroupements de fosses. La mise en scène est parfaitement lisible par l’enfilade des deux entrées débouchant sur l’habitation principale, sise sur le point topographique le plus haut et en position centrale, de manière certainement ostentatoire. Si la profondeur des fossés est limitée (mais l’érosion est importante), leur existence même, et leur linéarité, dès la création de l’établissement, est un fait remarquable pour cette période haute. Leur évolution est difficilement perceptible, certains indices indiquant un comblement précoce (le recoupement par la sépulture), d’autres leur empreinte forte, sans doute par l’intermédiaire des talus, jusqu’à la fin de la période (lors des reprises de La Tène finale puis du dépôt du statère). Un nombre relativement important d’édifices a été mis en évidence pour les phases gauloises. Si leurs plans sont souvent partiels ou incertains en raison de l’arasement ou des superpositions postérieures, la présence d’au moins un grand bâtiment à parois rejetées (100 m²) dès l’origine est notable, la diffusion de ce modèle étant plus tardive. Le soin apporté à la construction est notamment souligné par l’enduit au lait de chaux des parois extérieures, pour des raisons sans doute aussi esthétiques que pratiques, alors que l’utilisation de grands clous dans l’architecture est aussi exceptionnelle car elle semble, au moins pour l’Île-de-France, réservée aux sites de rang supérieur. Enfin, les capacités de stockage, égales pour les deux étapes de l’occupation laténienne, signalent à l’évidence le dégagement de surplus et leur commercialisation, hypothèse que conforte la découverte de grains nettoyés au fond de deux des plus grands exemplaires. Pourtant, le mode de conservation en silo est progressivement délaissé au cours de La Tène dans le nord de la Gaule, remplacé par les greniers aériens. Et le nombre et la capacité des réserves, quelle que soit leur forme, ont tendance à diminuer sur les sites d’habitat, semblant la plupart du temps répondre avant tout à leurs besoins propres (Malrain 2023 : 150-151). Il est supposé que les récoltes sont alors centralisées dans les agglomérations, mais aussi dans quelques fermes, dont les exemples restent encore peu nombreux mais tendent à se multiplier (Gransar 2000 : 293-294 ; Bossard 2018 : 69-71 ; Malrain 2023 : 153-161). L’établissement des “Cinquante Arpents” semble donc devoir être placé dans cette catégorie.

83Le mobilier laténien renvoie une image plus contrastée. La céramique comme la faune ne révèlent pas d’assemblages numériquement ou qualitativement notables, ni ne témoignent de choix spécifiques. Surtout, un des traits marquants de la sociabilité des élites gauloises, le banquet, ne présente pas ici de trace probante. Les rejets sont d’ailleurs relativement peu abondants, et singulièrement, les fossés d’enclos n’en ont pas été le réceptacle privilégié. Les aspects cultuels au sens large et de la dévotion domestique, plus régulièrement découverts sur des sites élitaires, sont ici particulièrement rares. En contrepoint viennent cependant quelques pièces notables. Ainsi, les cinq potins imités des bronzes au taureau sont parmi les plus anciennes monnaies circulant en Île-de-France (La Tène C1/C2). Elles soulignent la position particulière de l’établissement dès cette haute époque. À l’autre extrémité de l’arc chronologique, la démonétisation du statère au cours d’un vraisemblable rite de condamnation illustre le pouvoir économique des propriétaires, tout comme le quinaire d’argent. Les fragments de bouterolle et de crochet de ceinturon témoignent de la présence d’un ou plusieurs hommes en arme. L’exceptionnelle attache d’anse anthropomorphe de bassin dédié à la toilette “porte une grammaire décorative qui la lie à des productions artistiques particulièrement rares à l’échelle du monde laténien” (L. Leconte, étude spécialisée 3, § 2.1). Elle illustre le désir de représentation des élites. Tous ces biens à connotation sociale marquée achèvent d’identifier les bénéficiaires des lieux comme membres de l’aristocratie. La majorité de ces objets sont attribués à la fin de l’occupation gauloise. Néanmoins, il semble délicat d’en déduire un enrichissement accru des propriétaires des lieux et donc une montée en puissance entre les deux phases gauloises.

85Cette dernière se poursuit à l’époque augustéenne. Si l’on peut parler de refondation, dans la mesure où il s’agit d’un plan totalement nouveau, la continuité d’occupation est claire, confirmée par un mobilier datant abondant. Et la filiation avec l’établissement antérieur est évidente, plusieurs constantes ayant été remarquées (reprise d’orientation, de limites spatiales et d’espaces fonctionnels). Le fait que le nouvel espace investi englobe entièrement l’état antérieur n’est certainement pas anodin. Enfin, le, voire les dépôt(s) interprété comme de condamnation (cf. § 3.1.2.2) lie les deux états et place la réédification sous une protection divine, et peut-être aussi des ancêtres. Cette nouvelle étape dans la trajectoire des “Cinquante Arpents” apparaît ainsi comme la manifestation des moyens économiques et des ambitions de la famille dirigeante. L’établissement est en effet désormais d’une tout autre ampleur. Il s’apparente à un type diffusé notamment en Picardie toute proche, qualifié de grande ferme gallo-romaine précoce ou de proto-villa (Collart 1996 ; Ferdière et al. 2010 : 396-401) (Fig. 30). S’il semble nouveau pour l’époque, ses racines sont manifestement plus anciennes (Fichtl 2013). S’il garde des caractères gaulois (enclos résidentiel, constructions sur poteaux), il s’en déleste rapidement, adoptant les nouveaux modes de construction inspirés de l’Italie romaine.

86Le statut du site durant le Haut-Empire, du moins à partir du ii^e s., est plus évident. Il revêt tous les attributs une résidence de haut rang (Fig. 31). Son plan axial et à pavillons multiples est typique des établissements franciliens, parmi lesquels il se classe dans la tranche supérieure en termes de superficie (4 ha). Son plan est stéréotypé, avec une succession de cours longées de bâtiments d’exploitation, présidées par le bâtiment résidentiel, sans doute à galerie de façade. Bien que sa mauvaise conservation en rende mal compte, celui-ci apparaît vaste et luxueusement paré, pourvu d’équipements d’hygiène et de confort. L’abondance et la variété du mobilier découvert témoignent de la prospérité de l’établissement, bien plus que la qualité des objets, les pièces prestigieuses étant rares. Celles-ci illustrent néanmoins sa bonne intégration dans les circuits commerciaux et son accès à des marchés lointains. “Les manques constatés dans certains domaines [du corpus métallique] comme la quasi-absence d’objets pondéreux indiquent une récupération forte des matières, selon toute vraisemblance pour leur valeur propre, après le milieu du iii^e s.” (L. Leconte, étude spécialisée 3, § 2.2). L’équipement productif est également bien représenté avec au moins trois grands bâtiments et la présence d’un moulin à sang, témoignant d’un investissement important et d’une production susceptible d’alimenter les marchés urbains proches.

87Le milieu du iii^e s. apparaît comme la première véritable rupture dans la trajectoire de l’établissement. Après une évolution continue jusqu’à son apogée au ii^e/début iii^e s., il subit une brusque rétraction. L’abondance de mobiliers ne doit pas faire illusion : bien que manifestement florissante, cette courte occupation n’a plus rien de commun avec l’établissement antérieur. Elle semble d’ailleurs en partie prospérer sur son démantèlement. Enfin, la très courte fréquentation du iv^e s. ne semble qu’une réinstallation ponctuelle et opportuniste, profitant des ruines de la villa.

5.2. … centre d’un domaine pendant plus de cinq siècles…

88La puissance économique de l’établissement des “Cinquante Arpents” repose bien entendu sur les activités agropastorales. L’examen de son environnement, à la faveur des nombreuses opérations d’archéologie préventive, permet d’en mieux mesurer l’assise ainsi que son emprise sur un vaste terroir. Celui-ci doit être considéré comme son domaine (Fig. 32 et 33).

89Lors de la création de l’établissement, au tournant des iv^e et iii^e s. av. n. è., seuls deux petits groupes de structures (fosses, silos, trous de poteau) signalent d’autres potentiels noyaux d’habitat, ouverts, à 400 et 1 000 m plus au sud (sites A : Pimpaud 2016, et B : Broutin 2014a). Ils pourraient d’ailleurs légèrement le précéder, tous deux étant datés de La Tène B1/2. Par ailleurs, à 1,7 km au nord-ouest des “Cinquante Arpents”, trois incinérations de tradition sud-picarde (milieu iii^e-débute ii^e s. av. n. è.) constituent un possible petit groupement familial (site C, Legriel 2013). L’habitat auquel il se rattache n’est pas connu.

90L’occupation du territoire devient plus prégnante à partir du ii^e s. av. n. è. Dans un rayon de 1 km, trois installations domestiques se mettent en place entre la fin de La Tène C1 et La Tène C2 sur la Zac sud Charles de Gaulle (site A, site E : Blondeau 2018 et site G : Broutin 2014a ; Delas à paraître). Les enclos, plus ou moins réguliers, encadrent des surfaces comprises entre 2 500 et 9 000 m². Le site A, à 400 m au sud, est d’abord compris dans un petit enclos, agrandi et plus élaboré à partir du milieu du ii^e s. av. n. è., simultanément aux modifications que connaît le site des “Cinquante Arpents”. Son enclos principal, de forme effilée, est alors divisé par un fossé transversal et un enclos annexe lui est accolé. Neuf bâtiments, dont plusieurs à plan complexe et trois greniers, un puits non maçonné, quatre fosses quadrangulaires et sept silos (capacité : 8,5 m³) sont recensés. Les productions agricoles y sont très similaires à celles des “Cinquante Arpents”. Le mobilier y est même plus abondant. Bien qu’apparemment prospère, ce site est abandonné à la fin du ii^e s. av. n. è. Le site E, à environ 700 m à l’ouest des “Cinquante Arpents”, semble organisé selon un plan à enclos bipartite mais les vestiges sont partiellement décapés et très dégradés. Il n’a livré que trois silos, quatre possibles greniers et quelques fosses. Le site G, à 1,10 km au sud des “Cinquante Arpents”, est pour l’heure uniquement connu par des données de diagnostic. Un puissant fossé curviligne, peut-être ouvert et repris au moins une fois, renferme quelques trous de poteau sans agencement intelligible. Il serait occupé pendant le ii^e s. av. n. è. et peut-être le début du i^er s. À 900 m à l’est de notre site, un autre potentiel habitat n’est connu que par quelques structures et surtout un imposant fossé ayant livré du mobilier de La Tène D1 (site F : Normand et Gonçalves-Buissard 2011). Enfin le site du “Nouret” est fondé à un peu moins de 3 km vers le nord-est (site D : Marcille, Cottiaux et Couturier 1999). Partiellement dégagé, son identification est là aussi moins évidente puisqu’il s’agit d’un réseau orthonormé de fossés s’étendant sur au moins 2 ha dans lequel s’insèrent quelques structures domestiques (cinq constructions dont quatre greniers, un silo, un puits et quelques fosses). En l’état des connaissances, l’occupation est centrée sur le ii^e s. av. n. è. Il est à noter que, comme aux “Cinquante Arpents”, des fragments d’une bouterolle de fourreau d’épée y ont été découverts. Seul le site E semble perdurer au i^er s. av. n. è. ; il connaît alors quelques remaniements de faible ampleur.

91À l’image des “Cinquante Arpents”, le site E est totalement refondé à l’époque augustéenne et reste dans les mêmes limites. Dès la fin i^er/début ii^e s., il perdrait son caractère domestique pour devenir une aire de stockages (quatre à cinq celliers isolés, ou superstructures les abritant disparues ?), abandonnée au début du iii^e s. Deux autres établissements sont créés (sites H : Ben Kaddour 2016, et I : Broutin 2015). Ceints d’enclos quadrangulaires, ils ne dépassent pas 5 000 m² et sont occupés du i^er au iii^e s. Les aménagements, peu nombreux, sont caractéristiques de la période romaine (mares, celliers, bâtiments sur poteaux ou sur solins empierrés) et signalent, avec les mobiliers, des petites exploitations agropastorales. Plus loin apparaissent deux nouveaux sites : les sites C, partiellement fouillé, et J (Magitteri à paraître). Ils semblent assez comparables, même si leurs chronologies ne sont pas identiques. Ils se signalent avant tout par des constructions maçonnées allongées dont les modules les rapprochent des bâtiments d’exploitation antiques bien connus, notamment aux “Cinquante Arpents” (bâtiment B.3 dans l’aile nord). Tous deux se situent à un peu moins de 2 km de la villa, dans des directions diamétralement opposées. L’ensemble de ces sites est abandonné au plus tard à la fin du iii^e s. Enfin, l’installation du “Nouret” (site D) est légèrement déportée et désaxée par rapport à l’établissement laténien avec lequel la continuité d’occupation n’est pas avérée. Il s’agit de la plus vaste villa de Plaine de France, son assiette étant estimée à 6 ha. Une partie de son aile nord et de la pars urbana a été fouillée ; sa structuration et son évolution chrono-spatiale sont mal établies. Fondée à l’époque augustéenne, elle se caractérise au Haut-Empire notamment par deux balnéaires probablement successifs, dont un assez vaste (170 m²), alimenté par un aqueduc. Elle semble fonctionner jusqu’au milieu du iii^e s. au moins. La forme de l’occupation est ensuite plus incertaine. Quelques autres sites ne peuvent que faire l’objet de mention car uniquement détectés par prospection pédestre.

93Le maillage des occupations est ainsi très dense, lisible par le fort investissement de l’archéologie préventive, exprimant des interactions fortes. À l’évidence, les caractéristiques de l’établissement des “Cinquante Arpents” lui donnent une place prééminente au sein de ce territoire durant la majorité de son histoire. Aucun des autres sites environnants ne se distingue particulièrement dans les mobiliers comme l’immobilier, hormis celui du “Nouret” durant son occupation antique, plus éloigné. Se pose alors la question des relations et du degré d’autonomie ou de dépendance de toutes ces installations vis-à-vis des “Cinquante Arpents”. L’hypothèse d’un centre domanial dont il constituerait le cœur peut être posée, même si proximité ne signifie pas nécessairement dépendance (Reddé 2018 : 499), ceci en excluant donc la villa du “Nouret”, possible autre centre domanial au nord-est.

94Ces relations sont difficiles à argumenter. Les orientations principales de tous les sites sont identiques à celles des “Cinquante Arpents”. Mais elles semblent avant tout dictées par le micro-relief, organisant le réseau viaire et hydraulique. Pour vastes qu’aient été les espaces diagnostiqués autour de l’établissement (près de 200 ha), aucune trace tangible d’une structuration foncière dans laquelle tous ces sites s’inscriraient n’a pu être mise en évidence. Il est donc impossible de lire les articulations, et encore moins les limites, entre les terres propres à chacun de ces établissements. L’accès à différentes ressources et milieux (aux plaines agricoles, aux zones humides et prairies autour du ru du Sausset, aux massifs forestiers dont il ne reste évidemment rien…) impliquait d’ailleurs peut-être un morcellement des propriétés. Cette nécessaire variété est d’ailleurs lisible dans les résultats de l’analyse pollinique du puits 1890 (cf. M. Boulen, étude spécialisée 5, § 3.2). Reste que la densité d’occupation est telle que le paysage était probablement intégralement exploité, tous les établissements ou presque s’apparentant à des exploitations agropastorales, à part peut-être durant l’Antiquité tardive. Les analyses palynologiques font d’ailleurs état de la très large ouverture du milieu (cf. M. Boulen, étude spécialisée 5, conclusion et Boulen 1999).

95Les rythmes d’occupation distinguent l’établissement des “Cinquante Arpents”. Il est le plus anciennement créé. Son émergence s’inscrit certainement dans une trame plus vaste mais difficilement envisageable ici, où seules deux occurrences témoignent de l’occupation du secteur. Elles sont de très faible envergure, et en aire ouverte, conformément à ce qui est connu pour l’époque, ceci contribuant peut-être à minorer leur importance et leur perception. Reste qu’aucun élément mobilier n’a permis d’y déceler une situation particulière. La création d’un enclos très bien structuré dès son origine, à une époque si ancienne, pose l’hypothèse d’un site puissant. Il pourrait s’agir d’un site fondateur, suivant en cela un schéma d’évolution désormais maintes fois démontré (Blancquaert et Malrain 2016 ; Menez 2021 : 381-383 ; Malrain 2023 : 93-102). La mise en valeur, le contrôle et l’agrandissement du domaine ont pu passer par la multiplication des points d’ancrage au ii^e s. av. n. è. dont il serait à l’origine (par essaimage familial ? Malrain et Lorho 2018 : 458). Aucun indice funéraire contemporain n’a été retrouvé ici, sinon les trois incinérations du site C, alors qu’ils sont souvent interprétés comme une légitimation et une volonté de bornage et d’appropriation (Desenne et al. 2009). Souvent de taille limitée et de caractère fugace (Séguier et Louesdon 2020), ils ont aisément pu échapper aux tranchées de diagnostic.

96La stabilité de l’établissement sur près de six siècles contraste avec les durées d’occupation des autres installations prises en compte, de l’ordre d’un siècle à la fin de la Protohistoire, de deux siècles durant le Haut-Empire, à l’exception des sites D et E (Fig. 33). Les remaniements constatés sur plusieurs d’entre elles peuvent s’articuler avec ceux observés aux “Cinquante Arpents”. Si on admet qu’elles lui sont subordonnées, à l’exception du “Nouret” antique, ils peuvent alors être vus comme autant de signes d’une restructuration globale du territoire domanial. Mais ces rythmes suivent aussi et surtout ceux mis en exergue dans toute la moitié nord de la Gaule, et donc une conjoncture plus large dont les causes sont multiples et exogènes (Van Ossel 1992 : 41 ; Malrain, Blancquaert et Lorho 2013 : 225-234 ; Reddé 2022 : 110-111, 143). La chute drastique du nombre d’occupations au i^er s. av. n. è. ne se ressent pas dans la trajectoire propre des “Cinquante Arpents” puisque sa prospérité permettra sa mue à l’époque augustéenne. Le fait est commun à nombre d’établissements “mères” (Malrain 2023 : 191). Il faut sans doute y voir une conséquence du contexte général, notamment l’ouverture de nouveaux marchés de consommation accompagnant le développement du phénomène urbain, et entraînant localement une restructuration du terroir (Malrain et Lorho 2018 : 465-468 ; Menez 2021 : 381). Celle-ci peut aussi être liée au passage à une céréaliculture extensive spécialisée influant forcément sur les espaces (Zech-Matterne, Wiethold et Pradat 2012) et être accompagnée par l’amélioration de l’outillage, permettant une main d’œuvre moins nombreuse (Malrain 2023 : 191). Si on ne souscrit pas à l’hypothèse d’établissements satellites, il faut alors peut-être interpréter ces changements comme une extension du domaine, aux dépens (?) des autres établissements. Ce terroir est ainsi tout à fait représentatif de l’organisation des campagnes et de leur évolution durant l’Indépendance gauloise.

97Il faut aussi noter la position particulière de l’établissement du Nouret, si ce n’est avant notre ère, durant laquelle l’occupation est mal connue, du moins à partir de la période augustéenne. Cette création a-t-elle joué un rôle sur le développement des “Cinquante Arpents” ? Faut-il mettre en lien la disparition de la majorité des établissements au i^er s. av. n. è. et l’apparition de celui-ci ? S’agit-il d’une subdivision du domaine au tournant de l’ère ?

98L’évolution des “Cinquante Arpents” durant la période romaine signale également son assise territoriale et sa prospérité dont le ii^e s. constitue l’optimum, suivant un schéma très général en Gaule. C’est d’ailleurs à cette période que le plus grand nombre de sites cohabitent, souvent créés dans le cours du i^er s. Il faut là encore les considérer comme assujettis d’une manière ou d’une autre à la villa examinée ici. Le milieu du iii^e s. marque un point de rupture. Les crises que traverse alors l’Empire ont visiblement eu des répercussions sur l’ensemble des sites du secteur. La rétractation soudaine de l’établissement des “Cinquante Arpents” montre la fin d’un modèle et sans doute du domaine à la tête duquel il était. L’abandon de la majorité des sites alentour en découle sans doute en partie. La villa du “Nouret” toute proche se délite d’ailleurs au même moment. Si son occupation est plus longue, la majorité des installations sont abandonnées à ce moment. Au iv^e s. enfin, le contexte est complètement différent. Les modes d’occupation ont changé et de nouveaux points d’ancrage apparaissent. Les habitats sont aussi plus mobiles, sans hiérarchisation architecturale apparente et semble-t-il moins pérennes (Kasprzyk 2016 : 626). L’espace est peut-être désormais polarisé par la nécropole située plus au sud, sur l’autre rive du ru du Sausset. Cet ensemble de taille moyenne, mis en parallèle avec les faibles vestiges domestiques et peut-être de nouvelles structurations foncières, matérialiserait alors les modifications des liens socio-économiques dans le secteur. La vallée devient alors le centre de gravité du terroir. Elle connaît dès la fin du v^e s. une intense occupation (Poirot 2018 ; Mayer à paraître). S’opposent ainsi à La Tène et l’Antiquité une occupation du plateau, et dès le début du haut Moyen Âge un investissement du vallon.

5.3. … au cœur de la Plaine de France

101Il a déjà été précisé que le site figurait parmi les plus anciennes créations du secteur. Celui du Mesnil-Aubry (Val d’Oise), “Bois Bouchard II” serait légèrement postérieur (première moitié du iii^e s.) (Ginoux 2006) ; celui de Fontenay-en-Parisis (Val d’Oise), “la Lampe “serait occupé à La Tène C1/C2 (Daveau et Yvinec 2001). Si les installations se multiplient au cours de La Tène C2, elles sont généralement abandonnées un siècle plus tard.

102Les enclos primitifs, le plus souvent simples, ne dépassent pas 0,70 ha. Ils se complexifient ensuite par des adjonctions et des remaniements. Dans plusieurs cas, ils sont totalement remodelés ou déplacés sur de courtes distances. Les structurations internes sont rarement mises en évidence au début de la période. Les bâtiments sont le plus souvent peu nombreux. Plusieurs exemplaires complexes, à parois rejetées, ont été reconnus, le plus souvent à La Tène finale, témoins de la diffusion progressive du modèle. Les puits sont rares. Les mobiliers, notamment métalliques, sont des révélateurs discrets de la stratification sociale (Leconte et Lefeuvre 2018). Sur un seul autre établissement, un monnayage ancien a été retrouvé. Plusieurs sites livrent des fragments d’armes ou des éléments potentiellement liés aux festins (gril, broche à rôtir, chaudron). Le site de “la Lampe” est remarquable, entre autres choses, par les moyens déployés lors de banquets au sein de l’habitat qui signalent la présence de membres de l’élite. Mais ce site reste encore très largement inconnu. De même, à Mauregard (Seine-et-Marne), “l’Échelle Haute” (Gonzalez 1999), un petit enclos quadrangulaire précédé d’une cour (0,70 ha au total) a livré de nombreux restes de céramique et la tenue de banquets y est pressentie. Mais en l’état des connaissances et à la faveur des vastes espaces diagnostiqués en continu, seul le secteur du Plessis-Gassot/le Mesnil-Aubry est comparable à celui des “Cinquante Arpents” et pourrait également être interprété comme le centre d’un domaine (Touquet Laporte-Cassagne et Trouvé 2016 ; Malrain 2023 : 68, 95-96). L’établissement du “Bois Bouchard II” y a certainement joué le même rôle moteur dans le développement de son terroir (Basset et Touquet Laporte-Cassagne 2018 : 592-593). Il est installé à proximité immédiate d’une petite nécropole légèrement antérieure, ayant notamment livré une tombe à char et une autre à armes avec deux coupes proto-campaniennes (Ginoux 2009). Cette rapide esquisse souligne les particularités des “Cinquante Arpents”.

104Tous ces sites livrent des silos de petite, moyenne et grande capacité, supposant des gestions différentes, ainsi que parfois des greniers aériens, voire des fosses parallélépipédiques. Les plus grands exemplaires constituent le tiers de l’ensemble des silos (39 sur 107) et peuvent représenter plus de la moitié du total des structures de stockages de certains sites. À l’inverse, sur la Zac des Tulipes Nord, à Gonesse (Val d’Oise), les petites structures de stockages sont prépondérantes, le plus grand silo étant à 300 m de l’enclos. Peut-être faut-il aussi intégrer le site d’Épiais-lès-Louvres (Val d’Oise) “le Petit Merisier” qui atteint 20 m³ de stockage avec seulement six silos dont quatre gros. Sur ces sites, un espace dévolu aux grandes structures de stockages n’apparaît pas d’emblée et ils peuvent même être hors des enclos. Quand des analyses carpologiques ont pu être menées, elles ont systématiquement mis en avant la culture d’orge vêtue puis d’amidonnier, alors que dans le secteur de Tremblay-en-France des stocks de blés nus ont été détectés dès le début de La Tène D1 (Zech-Matterne et Derreumaux 2018). Que faut-il en conclure ? Ces différences sont-elles à mettre sur le compte d’une complémentarité ou d’une adoption de nouvelles pratiques légèrement différée ?

105La situation de la Plaine de France apparaît ainsi remarquable à la fin de La Tène. Les sites présentés sont tous localisés dans sa partie ouest, sur le territoire des Parisii. Ils y sont répartis de façon homogène puisque la majorité d’entre eux sont distants de 5 à 6 km, voire moins (en prenant comme un même ensemble les “Bois Bouchard II et IV” et “l’Arpent aux Chevaux sud”) (Fig. 35). Seuls la Zac des Tulipes Nord et les “Bois Bouchard” sont un peu plus éloignés l’un de l’autre (8 km). Cette proximité, et même cette régularité, est frappante, même si elle doit être nuancée car tous ne sont pas contemporains. Faut-il supposer que les établissements sont en concurrence ou à l’inverse qu’ils sont coordonnés en réseau de redistribution ? L’hypothèse suppose aussi un réseau de voies tout aussi dense, entretenu et sécurisé, une rationalisation des circuits commerciaux, certainement contrôlés, en partie au moins, par les plus importants de ces sites, ainsi qu’une interdépendance avec les lieux de consommation.

106À l’exception du “Bois Bouchard II”, rien ne laisse voir dans ces sites des centres de domaines à même de capter les productions des fermes alentour. Il n’est même pas certain que tous soient des habitats ou des fermes, comme la question a pu être posée ailleurs (Malrain, Blondiau et Chaidron 2007). Ainsi, à la Villiers-le-Sec (Val d’Oise) “la Place de la Ville”, l’enclos à plan en U ne livre aucune autre structure. À “l’Arpent aux Chevaux sud”, l’absence de grand bâtiment et le peu de mobilier ont été interprétés comme désignant un site communautaire de traitement des récoltes (Touquet Laporte-Cassagne 2019). Ce dernier site est pourtant voisin des établissements des “Bois Bouchard II et IV” (à moins de 1 km), où des réserves importantes ont aussi été mises en évidence. Ce secteur concentre presque le tiers des stockages ici présentés (43 silos dont 18 grands, 134 m³, soit 100 tonnes de grains). Certains de ces établissements livrent néanmoins les indices d’une certaine prospérité (Leconte et Lefeuvre 2018 ; Basset et Touquet Laporte-Cassagne 2018 : 596-597), et il est vrai que leur environnement est moins bien connu. Si les volumes importants de stockage, néanmoins très variables d’un site à l’autre, doivent être considérés comme suffisants pour y voir des nœuds d’échange, cette fonction ne semble ainsi pas forcément signaler un pouvoir et une richesse accrue. Ces relais doivent donc avoir des assises et des positionnements différents au sein de ce maillage.

107Le corpus des établissements est beaucoup plus important durant la période romaine en Plaine de France (une soixantaine) et livre une variété de formes et de types d’autant plus grande (Ouzoulias et Van Ossel 2009 ; Bernigaud et al. 2017). Le schéma chronologique et foncier esquissé pour “les Cinquante Arpents” et son terroir ne s’y vérifie que partiellement. Les exemples de continuités avérées et explicites entre périodes gauloise et romaine sur un même site sont rares. Elles sont plus souvent suggérées par des superpositions ou légers glissements. Les occurrences sont ensuite très nombreuses entre le milieu du i^er et le courant du iii^e s. S’il est vrai que sur beaucoup de sites le iii^e s. constitue une rupture, un nombre non négligeable connaît des destinées différentes. Par exemple, à Gonesse, dans le Val d’Oise, deux sites sont fondés à la fin de La Tène finale et au début du i^er s. de n. è. Ils sont occupés de façon continue jusqu’au début du v^e s. (Zac des Tulipes sud, du Bouëtiez de Kerorguen 2004), l’occupation tardive pouvant même apparaître plus prégnante que celle du Haut-Empire (Zac Entrée sud de Gonesse, Caparros 2016).

108Les villae recensées sont peu nombreuses en Plaine de France. Il est clair qu’elles ne constituent pas le modèle exclusif d’exploitation des sols, comme cela a déjà été démontré (Ouzoulias et Van Ossel 2009). Seules trois autres villae sont avérées : le “Nouret” (Tremblay-en-France), “le Poteau du Mesnil” (Compans, Séguier et Mallet 2005 ; Bertin et Séguier 2008) et les “Champs de Choisy” (Charny, Mallet 2006). Deux autres sites sont d’interprétation plus incertaine : “Ouest du Parc” (Compans, Séguier 1998) et “la Pièce de Choisy” (Charny, Adam 2018). Le plan du premier est très partiellement connu mais comporte un balnéaire ; celui du second est beaucoup plus complet mais ne possède ni bâtiment résidentiel ni balnéaire. On peut signaler encore la villa des “Petites Ormes” à Saint-Pathus, à l’extrémité nord du secteur. De fondation tardive (construite au milieu du iii^e s. et fonctionnant jusqu’au iv^e s. au moins), elle est connue pour la chaudière en plomb, conservée, de sa partie thermale (À la romaine : 49-51). La localisation de ces villae est frappante, même si les interrogations portant sur la nature des occupations de plusieurs d’entre elles diminuent la portée de l’observation : deux se développent sur la commune de Tremblay-en-France, à 3 km de distance, deux autres sur celles de Charny, à 1,20 km l’une de l’autre, les deux dernières à Compans distantes de 1,50 km. Ces trois “couplesʺsont espacés entre eux de 6 à 7 km. Sont-ils complémentaires ? Nulle part une spécialisation autre qu’agraire n’apparaît. Faut-il y voir un maillage raisonné ? Si cette situation interroge, et rappelle la configuration laténienne, elle reste sans explication, d’autant que le réseau de voies, mal connu, ne permet pas de mesurer leurs relations. La limite entre les cités des meldes et des parisii, passant entre Tremblay-en-France et Compans, situation parfois jugée attractive, doit-elle ici être convoquée ?

109Toutes ces villae sont créées sous Auguste. Si un bruit de fond laténien peut être perçu, il ne s’agit alors jamais d’une occupation structurée et pérenne, sinon à la “Pièce de Choisy” précédée par une petite ferme gauloise, mais semble-t-il sans continuité spatiale ni chronologique. Ailleurs, un site antérieur voisin permet parfois de suspecter un déplacement. L’héritage préromain n’est en tout cas jamais très explicite. En l’état des connaissances, l’établissement des “Cinquante Arpents” est donc le seul à connaître une occupation continue et une filiation certaine entre l’Indépendance gauloise et la période romaine. Pourtant, dès leur origine, les deux sites de Charny, ainsi que celui de Compans, le “Poteau du Mesnil” abritent clairement des membres de l’aristocratie, dont les traits sont gaulois à plusieurs égards (Séguier et Mallet 2005). Il a été vu que la trajectoire chronologique du Nouret était assez proche de celle des “Cinquante Arpents “à la période romaine. C’est peut-être également le cas de “la Pièce de Choisy”, mais son occupation est beaucoup mieux renseignée pour la période augustéenne qu’ensuite. Les vestiges sont plus nombreux aux “Champs de Choisy” ou “à l’Ouest du Parc” durant les iii^e et iv^e s. mais il est bien délicat de supposer que le système productif et la structuration foncière y sont les mêmes qu’au Haut-Empire et que leur rôle structurant dans les campagnes soit maintenu.

110D’un point de vue structurel, tous ces établissements sont assez comparables au site examiné ici. Leur organisation générale est le plus souvent bien lisible dès leur origine et constitue le canevas des installations pendant toute l’Antiquité. Celui de “la Pièce de Choisy” pourrait constituer une autre occurrence de grande ferme gallo-romaine précoce. Ils sont difficilement compréhensibles dans le détail, notamment les parties résidentielles, récupérées et masquées par les reconstructions postérieures. Leur reconstruction en dur, voire leur monumentalisation, ne semble guère intervenir avant la seconde moitié du i^er s. de n. è., et plus certainement le début du ii^e s. Ces villae sont de plan axial, quelques pavillons (jamais plus de trois) s’alignant le long de la cour de service, et le bâtiment principal est allongé et pourvu d’une galerie de façade, pour autant qu’on puisse en juger. On notera que pour le site de “la Pièce de Choisy”, comme aux “Cinquante Arpents”, les bâtiments d’exploitation occupent une aile, l’autre étant investie par de petites structures quadrangulaires (celliers ?), possibles vestiges des implantations domestiques du personnel de l’exploitation. Cette observation, si elle ne peut être vérifiée ailleurs, ne peut pas non plus être infirmée.

111L’assise territoriale de ces établissements reste mal connue, car documentée par l’archéologie préventive, discipline dépendant de l’aménagement du territoire. Il n’est ainsi guère possible d’aborder à l’heure actuelle leur environnement et déceler d’éventuels sites satellites.

112La forme de l’occupation de la seconde moitié du iii^e s. mise en évidence aux “Cinquante Arpents” ne semble pas se retrouver sur les autres villas, sinon peut-être à Compans, Ouest du Parc. Néanmoins, leurs destinées semblent relativement proches. Toutes semblent subir les contrecoups des crises du iii^e s., peut-être plus durement que d’autres types d’établissements, sans doute parce que beaucoup plus dépendantes des réseaux commerciaux, désormais mis à mal. Les occupations sont alors souvent plus difficiles à définir. Une bonne partie des installations antérieures y sont abandonnées (caves, balnéaires, mares). Mais il est vrai que, de façon générale, la disparition des sols de circulation ne permet pas de mesurer pleinement les occupations, notamment de savoir si les bâtiments antérieurs sont toujours occupés. De nouveaux types d’aménagements commencent à apparaître, sans organisation apparente (bâtiments sur poteaux, fours, fonds de cabane). La distinction des espaces fonctionnels devient moins évidente. Aux “Champs de Choisy”, le bâtiment résidentiel est toujours utilisé mais des infrastructures productives y ont été décelées.

Conclusion

114Malgré les conditions particulières de la fouille et un arasement prononcé, la lisibilité des différentes étapes de l’occupation a permis de restituer la trajectoire de l’établissement des “Cinquante Arpents” et au-delà, son rapprochement avec des “modèles” interprétatifs bien reconnus ou présumés pour chacune d’entre elles et son évolution dans son ensemble (Malrain 2023 ; Reddé 2018 ; Van Ossel 1992) (Fig. 37). Replacé au sein de son territoire, sa longévité et sa continuité chronologique et spatiale sont remarquables, notamment parce que bien moins évidentes sur les autres sites contemporains de Plaine de France. C’est manifestement dans sa capacité de captation des productions céréalières, et donc de contrôle des échanges, que réside la puissance du site. Celle-ci s’est construite par la maitrise progressive de son terroir. Cette position éminente résonne au-delà, dans tout le Parisis, où l’hypothèse d’un réseau laténien de sites de redistribution des récoltes a été posée. Cette trajectoire apparaît donc très linéaire et il ne fait nul doute qu’elle reflète l’assise de la famille de notables qui la dirige. Si elle constitue un archétype, et peut être comparée, au moins pour la période gauloise, au complexe du Mesnil-Aubry/Plessis-Gassot dans la même micro-région (Touquet Laporte-Cassagne et Trouvé 2016), d’autres modes de mise en valeur peuvent prévaloir ailleurs, à la fin de La Tène comme durant le Haut-Empire (Bernigaud et al. 2017 : 426-442).

115Subsistent néanmoins bien sûr des lacunes et des interrogations. Parmi les premières, que l’abondance de la documentation immobilière et mobilière tend à masquer, l’érosion a fortement impacté le gisement et certaines phases sont ainsi peu renseignées, comme le i^er s. de n. è. ou peut-être le iv^e s. Les phases primitives du bâtiment résidentiel antique sont par exemple difficiles à restituer. Par ailleurs, l’absence de contexte funéraire prive d’accès à une information complémentaire essentielle quant aux résidents et à leur statut. Mais la situation est assez générale pour la Plaine de France : à la fin de La Tène, unique étape ayant fait l’objet d’une synthèse, seuls quatre petits ensembles funéraires y sont reconnus et à peu près autant de sépultures isolées dont celle des “Cinquante Arpents” (Séguier et Louesdon 2020). Le constat serait le même pour la période romaine. Parmi les questions en suspens, la genèse de l’établissement reste dans l’ombre alors qu’il semble abriter dès l’origine une population privilégiée. Les traces d’occupation au tournant des iv^e-iii^e s. av. n. è. sont, on l’a vu, très rares dans ce terroir. Elles ne sont jamais d’importance, mais le fait est en accord avec les modes d’occupation de l’époque. Peut-être convient-il d’adopter ici une focale plus large et de considérer les quelques ensembles contemporains ou légèrement antérieurs, funéraires comme domestiques, attestant la présence d’élites en armes en Plaine de France. Elles s’appuient nécessairement sur de solides bases économiques, difficilement lisibles pour l’heure (Séguier, Ginoux et Méniel 2008 : 186). De même, les mutations de l’Antiquité tardive constituent un dossier complexe qui mérite un réexamen à une échelle spatiale et temporelle plus large car elles posent les bases d’une structuration de l’espace bien différente au haut Moyen Âge.