• 1 Et non “Vitis vinifera” et “Vitis sylvestris” tout court, sans ssp. (= sub-species), ceci selon la (...)
• 2 Au sujet de l’apparition de la vigne comme pour le débat au sujet de la biturica, notamment du poin (...)

1La vigne cultivée (Vitis vinifera ssp. vinifera), dans toutes ses variétés qu’on nomme aujourd’hui volontiers cépages, dérive de la vigne sauvage ou lambrusque (Vitis vinifera ssp. sylvestris)1 (voir par ex. Bouby 2014 : 110 ; Bouby et al. 2005 ; 2013 : 1-2)2 : ces mutations – ou plutôt sélections –, nommées cépages par les œnologues, ont été obtenues à partir de la lambrusque endémique, les transformant ainsi en variétés cultivées (V. vinifera vinifera, ou sativa) : ce sont à proprement parler nos “cépages” d’aujourd’hui. Elles ont ensuite été reproduites par provignage, marcottage, bouturage ou greffe, cette dernière technique n’étant plus en usage à partir du Moyen Âge.

• 3 Assises historiques du vignoble français contemporain oblige !
• 4 On notera d’emblée que, pour l’Antiquité tardive, la documentation textuelle privilégie quelques ré (...)
• 5 Cette référence constitue, en diptyque avec Brun et Laubenheimer 2001a, l’état des lieux le plus co (...)

3Depuis le xix^e s. au moins, la viti-viniculture antique en Gaule3 a tôt été sujet d’examen attentif de la part des historiens, qui ont consacré de nombreuses études à l’apparition et au développement de la vigne cultivée et de la production vinaire à travers les Gaules, d’abord à partir des textes4 et de l’iconographie, puis, plus récemment, à travers les données archéologiques lato sensu, de tous ordres (Jullian 1907/26, L. V, chap. V, t. 2 de la rééd. : 68-70 ; Levadoux 1953 ; Dion 1959 ; Tchernia 1986 : 140-146, 164, 218-219, 246-249 ; Lachiver 1988 ; Archéologie… 1990 ; Garrier 1995 ; Brun et Laubenheimer 2001a et b ; 2004 ; Brun 2004 ; 2010 ; Brun, Poux et Tchernia 2004 ; Poux 2004 ; Poux, Brun et Hervé-Monteil 20115 ; cf. Ferdière 1988, 2 : 85-100 ; 2006 : 107-114).

• 6 Alors qu’auparavant – et surtout en Narbonnaise – celle-ci était faite dans des dolia, grandes jarr (...)

4Quant au commerce du vin, avec les conteneurs que sont les amphores, on dispose grâce à ces dernières d’une documentation remarquable (voir, dans une bibliographie pléthorique, surtout Laubenheimer 1990 ; 1992 ; 1998 ; Desbat 2004). Mais, à partir au moins de la fin du i^er s. de n. è., le tonneau tend en partie à supplanter dans ce domaine ces récipients en terre cuite, car plus léger, plus maniable et pouvant, quant à eux, servir également à la vinification6, alors que, cependant, paradoxalement, explose en Gaule, à partir des années 60-70 de n. è., les productions d’amphores de type Gauloise 4.

• 7 Le terme de “cépage”, parfois utilisé dans les traductions pour les désigner est en fait erroné et (...)
• 8 Dont seulement trois supposés “cépages” portant des noms se référant à des régions de Gaule (André  (...)

5Les textes antiques – et en particulier les agronomes latins – distinguent des dizaines de variétés de vignes7 dont ils détaillent les qualités et les défauts (voir André 19528). Parmi elles, pour la Gaule, la question de la biturica ou biturigiaca appelle l’attention.

• 9 Ou, en latin – indifféremment ici dans le texte –, Bituriges Cubi et Bituriges Vivisci.

7On se propose donc d’examiner ici la question pour l’ensemble des données disponibles concernant la viti-viniculture dans tout le vaste bassin versant de la Loire. En complément sera repris, d’un point de vue à la fois historiographique et critique, le dossier “sensible” de la vigne biturica/biturigiaca, en comparant les données existantes pour la cité des Bituriges Vivisques du Bordelais avec celles de la cité des Bituriges Cubes9 du Berry, seule cette dernière étant dans le bassin versant étudié, en position centrale.

• 10 Mais surtout le Val de Loire, pour la Loire moyenne et basse.
• 11 Brun et Laubenheimer 2001a ; Poux, Brun et Hervé-Monteil 2011 ; on peut voir aussi, plus récemment, (...)

9Quelques travaux postérieurs ont ensuite documenté la viti-viniculture antique de ces régions10 : après Dion 1959 : 158-160, voir Couderc et Provost 1990 ; Provost 1993 : 217-219 ; Couderc 2008 ; cf. Brun 2011) (voir plus bas, Fig. 2), mais, surtout, assez récemment, les deux dossiers de Gallia en 2001 et 201111 ont donc renouvelé de manière décisive les connaissances concernant la viticulture en Gaule, et en particulier hors Narbonnaise.

• 12 Soit plus de dix ans après la publication de ce second dossier.
• 13 On débordera donc largement les limites traditionnellement attribuées au vignoble du Val de Loire ( (...)

10Il n’en reste pas moins que l’on peut sans doute aujourd’hui12 assez largement mettre à jour cette documentation de manière plus nette, notamment en ce qui concerne les données archéologiques, pour un bilan plus complet de la viti-viniculture antique dans l’ensemble du bassin de la Loire13, une région aujourd’hui et traditionnellement réputée pour ses vins (voir par exemple récemment : Brouard 2021).

• 14 Selon le site “Bassin de la Loire”, en ligne.
• 15 Soit, d’ouest en est, les départements actuels de Loire-Atlantique, Vendée (partie N), Deux-Sèvres (...)

11Pour ce faire, on prendra pour bornes chronologiques – larges – d’un côté le début du second âge du Fer (v^e s. av. n. è.), de l’autre le tout début du haut Moyen Âge (vii^e s. de n. è.). Avec la totalité du bassin versant de la Loire, les limites géographiques concernent donc une grande part de la province romaine de Lyonnaise (sud et est) et toute une large part nord et nord-est de celle d’Aquitaine, avec, d’ouest en est, pour la Lyonnaise, les cités des Namnètes, Andécaves et Cénomans, Turons, Carnutes (sud), Éduens (frange occidentale), Ségusiaves, et pour l’Aquitaine, les cités des Pictons (large nord), Bituriges Cubes, Lémovices (sauf sud), Arvernes et Vellaves, sans compter une petite portion nord-ouest de la cité des Helviens, quant à elle en Narbonnaise. Soit14 près de 117 800 km², et non moins de 40 000 km de cours d’eau, avec une quinzaine d’affluents importants parmi lesquels l’Allier, le Cher, l’Indre et la Vienne (Fig. 3a et b). Ce vaste ensemble concerne aujourd’hui 9 régions (ou ex-régions) administratives, 26 départements (en tout ou partie)15, non moins de 5 664 communes. Il présente une géologie très variée (voir Nehlig 2010), constituant une mosaïque de formation pour des sols aux capacités agricoles et viticoles très diverses : on y distingue seulement quelques aires un peu plus vastes telles qu’au sud du Bassin parisien, les auréoles crétacée (du Maine à la Beauce) et jurassique (du Poitou au Nivernais), ainsi qu’au sud-est la zone granitique et cristalline du Massif central, à la source de l’essentiel des eaux du bassin versant de la Loire.

• 16 Ces deux aspects, parfois contradictoires mais cependant souvent éclairants, m’ont paru utiles à dé (...)
• 17 Précision de L. Bouby, juin 2022, que je remercie de nouveau ici.

16On a vu supra (Introduction) qu’en général, pour l’Europe occidentale et en particulier la France, la plupart des groupes géographiques de vignes puis des cépages sont peu ou prou issus de Vitis vinifera ssp silvestris, autrement dit de la lambrusque, spontanée, dans nos contrées d’Europe tempérée, dès le Mésolithique et auparavant, aux périodes glaciaires, réfugiée alors autour de la Méditerranée et au Moyen-Orient (Bisson 2003 ; 2009 : 15 sqq., cf. Fig. 3 : cf. Arnold, Gillet et Gobat 1998 ; Bouby et al. 2005 ; 2013 ; 2019 ; 2021) (voir supra, Fig. 1). En fait, tous les cépages traditionnels sont bien issus de Vitis sylvestris, mais leur foyer de domestication est en réalité oriental. On ne sait toutefois pas précisément s’il y a eu réellement des domestications secondaires en Méditerranée et en Europe, à partir de la vigne sauvage locale, ou simplement des phases de croisements avec celle-ci. Mais, en tout cas, les généticiens ne pensent plus que des cépages européens descendent en droite ligne de la vigne sauvage locale, endogène17. Reste que l’abondance, aujourd’hui, de lambrusque en Transcaucasie, Perse et Moyen-Orient montre que c’est sans doute bien là qu’il faut chercher les berceaux de la viticulture, entre 9000 et 7000 av. n. è. (Negrul 1946 ; Bisson 2009 : 24 ; cf. Brun 2004 : 37-40). Mais la domestication proprement dite n’est intervenue que bien plus tard.

• 18 En rappelant ici les jus de raisin fermentés connus sans doute depuis la fin de l’âge du Bronze : c (...)

17En Europe occidentale, la découverte notamment de pépins de raisin dans les sites lacustres des Alpes ou du Jura montre, dès le Néolithique, la consommation de ces baies de vigne sauvage (en tout cas selon Bisson 2009 : 23 sqq.)18.

• 19 Voir par exemple, à partir des données paléobotaniques et avant le développement de la génétique : (...)
• 20 Voir ses graphes Fig. 2.1, pour les échantillons de vigne cultivée, avec un quart (597 éch.) proven (...)

18Pour la Gaule et le territoire métropolitain de la France, la diffusion de la viticulture vers nos contrées semble se faire par le Sud-Est, essentiellement à partir du monde méditerranéen dont elle est culturellement emblématique19. Mais il paraît bien notamment, grâce à la génétique (SEFC et al. 2003 ; Bouby et al. 2005 ; 2013 ; 2019 ; 2021 ; Terral et Bouby 2012 ; 2013), qu’en tout cas pour le Languedoc occidental, une autre voie de pénétration précoce de la viticulture a été (dès le v^e s. av. n. è.) par l’Espagne. La thèse de T. Lacombe (2012), en particulier, précise bien les choses dans ce domaine de la génétique, fondée sur un large échantillonnage de données pour l’ensemble du “monde viticole”20 : pour la diffusion de la vigne cultivée, depuis la domestication jusqu’à la fin de l’Antiquité, il note (p. 15 et Fig. 1.8) que “la direction initiale depuis l’Orient vers l’Occident fut globalement la même durant toute l’Antiquité”. Cette carte montre par ailleurs bien une voie de diffusion par le Nord des Alpes qui paraît avoir joué un rôle fondamental pour “l’encépagement” d’au moins toute la France orientale et centre-est. Il ajoute (p. 52-53, Fig. 3.5) que “ces résultats nous conduisent aussi à proposer de relier les principaux groupes de diversité selon la chronologie suivante (figure 3.5), avec à chaque étape une contribution possible et d’intensité variable des pools de sylvestris locaux (domestications secondaires)” (Fig. 4a et b). Il opère ainsi, pour ce qui nous intéresse ici, les distinctions suivantes, du point de vue génétique – je cite – :

• 21 C’est-à-dire des vignes à raisin soit de cuve (“cuve”, i.e. la vinification), soit de table (“table (...)

19• “le groupe N3B (cuve-table21 Méditerranée orientale et Caucase) qui serait le plus ancestral, issu de la phase de domestication primaire en Transcaucasie, et aurait été diffusé précocement en Asie Mineure et sur les pourtours de la Mer Noire et de la Mer Méditerranée ;

20• ce groupe aurait d’abord donné naissance au groupe ibérique (N3A, cuve-table) qui représenterait l’autre étape de cette diffusion précoce ;

• 22 Et donc également l’ampélographie : cf. ci-dessus dans ce §.

23Il ajoute : “Ce schéma, basé sur des résultats issus de l’analyse de marqueurs moléculaires neutres, se trouve finalement être en accord avec les grandes lignes de l’histoire de la diffusion de la vigne cultivée et de la viticulture établie par les archéologues et les historiens” (Lacombe 2012 : 52-53 et cf. Fig. 1.8, renvoyant à : Fregoni 1991 ; Forni 2004)22.

• 23 Après les glaciations.
• 24 Bien qu’en réalité on n’en sache rien, selon L. Bouby, juin 2022.
• 25 La lambrusque présentant en principe naturellement des formes mâles et femelles.
• 26 L. Bouby (informations juin 2022) considère cependant, en général, qu’il serait lui-même sans doute (...)
• 27 Bien qu’il ne faille sans doute pas accorder trop d’importance au décret de Domitien, limitant la c (...)

24En Europe occidentale et donc en particulier en France, la vigne cultivée (Vitis vinifera vinifera) est donc – on l’a vu – vraisemblablement en grande partie issue de l’espèce sauvage (Vitis vinifera sylvestris) : c’est la Proles occidentalis Negr., réapparue23 il y a 6 000 à 8 000 ans et qui a peu évolué depuis24 : une évolution botanique et génétique privilégiant les formes hermaphrodites25, et les influences écologiques conduisant à la formation de groupes ou familles ampélographiques (Negrul 1946 ; Bisson 2009 : 27 sqq.). Notons cependant que Jean-Marie Couderc (1990 : 56-57) a proposé, pour l’ensemble de l’Europe, une origine à partir de la Vitis vinifera caucasica : plutôt – “caucasica” n’étant pas en fait une variété botanique de vigne mais une notion du domaine de l’ampélographie26 – des catégories de vignes non hiérarchisées en espèces, etc., comme en botanique, mais d’ordre géographique : ce sont les “Proles”), avec les “aires” des ampélographes, parmi lesquelles l’aire caucasienne joue un rôle majeur pour l’introduction des “écogéogroupes” ou “groupes éco-géographiques”, subdivision des proles, eux-mêmes subdivisés en “cépages”. Ces Proles sont reconnus en Europe occidentale et en particulier en France (voir Bisson 2009 ; Lacombe 2012). Ainsi, les ébauches du vignoble national pourraient-elles être perçues dès la Protohistoire. Puis la viticulture gallo-romaine, en deux phases (avant et après la levée de l’interdit en 27627), connaît l’extension de la zone méridionale, sans doute avec l’utilisation de lambrusques locales (Bisson 2009 : p. 31 sqq.). Mais tout ceci reste malgré tout, en réalité, très largement du domaine de la spéculation (rens. L. Bouby, juin 2022).

• 28 Bien qu’on ne connaisse en fait aucun comptoir phénico-punique sur la côte méditerranéenne de la Ga (...)
• 29 À noter cependant que L. Bouby (rens. juin 2022) considère qu’il vaudrait mieux ne pas s’aventurer (...)
• 30 Voir la liste des cépages, avec leur origine (Bisson 2009 : 48-49).

25Au cours du Moyen Âge (ibid.), dans certaines régions, un autre appel génétique fut sans doute fait à la lambrusque endogène, dont dériveraient aux moins les cépages Pinots et Cabernets, aujourd’hui considérés comme des cépages primitifs. On est donc là dans une évolution sur des millénaires, dont en vérité on ne sait pas grand-chose... On observe ainsi (Lacombe 2012, loc. cit.) une vigne sauvage plus résistante sur les versants pyrénéens, possible ancêtre du groupe naturel du petit Verdot ou Lambruquet en Béarn. Selon J. Bisson (2009 : chap. 4), tout ceci semble donc avant tout répondre aux règles naturelles et non aux sciences humaines : la lambrusque est en France à l’origine des vignes cultivées, exploitées en “populations”, d’où dérivent les “cépages” connus sous les noms actuels. En outre, selon l’ampélographie (Bisson 2009, loc. cit.), les premières vignes exploitées sur le territoire actuel de la France l’auraient été par Phéniciens28 et Grecs dans leurs comptoirs de la côte méditerranéenne, autour de Marseille et Narbonne, sans doute à partir de vignes apportées par eux et non de la lambrusque locale, qui cependant a alors probablement reçu les influences de ces vignes cultivées introduites : de ce point de vue, la plus importante modification de l’encépagement primitif provient de l’évolution génétique naturelle, l’action de l’Homme jouant d’abord surtout sur cette sélection primitive29. Mais J. Bisson (loc. cit.) ajoute que la situation antique était certainement très différente de celle contemporaine, et qu’il y a eu des périodes de recul, le terme de “cépage” – un concept en fait assez flou – n’apparaissant d’ailleurs qu’au xvi^e s., d’abord au sens de (variantes de) feuillage. Les cépages actuels30 ne sont vraiment compris qu’à partir du xix^e s. et il faut en outre tenir compte de l’importance des influences climatiques et géographiques (Bisson 2009 : 43 sqq., cf. Fig. 4 (Fig. 5).

• 31 Pour le détail de ces écogéogroupes ici concernés, notamment pour la question de la biturica, voir (...)

26Ainsi, toujours selon l’ampélographie (Bisson 2009 : 57 sqq., tabl. Fig. 5), l’espèce Vitis vinifera L. (lambrusques V. silvestris Gmel. et la forme cultivée V. sativa D.C.) s’organise avec les Proles (P. occidentalis Négr. (Europe occidentale), P. pontica Négr. (Géorgie, Balkans, Asie Min.) et P. orientalis Négr. (Bassin de la Caspienne). Ces trois Proles fondamentaux ont été proposés par A. S. Négrul (1946), puis hiérarchisés et subdivisés en subproles (sous-familles des Proles), sortotypes, sortogroupes, cépages (ces derniers toujours sans définition botanique) et cultivars, clones. En France, on reconnaît ainsi (Bisson, loc. cit.) trois grandes divisions du Proles occ. en groupes (subproles) : le groupe Est et Nord-Ouest (= subpr. austrasiaca, surtout les Noiriens)31, le groupe Sud-Ouest (= subpr. aquitanica, avec les Carmenets, Cots, Mansiens…) et le groupe du Midi et de la basse vallée du Rhône (= subpr. occitanica, avec les Piquepouls, Clarets et Calitors). De ce point de vue ampélographique, l’aire Berry-Orléanais – cette première région nous intéressant ici au plus haut point pour la question de la biturica (infra, chap. 2) – est donc, en tout cas au Moyen Âge et à la période moderne, clairement distincte, pour l’origine de ces “groupes”, de l’aire sud-ouest qui inclut le Bordelais (Bisson 2009 : cartes de la Partie D, chap. 2 ; et voir infra, ici chap. 2, à propos de la biturica).

• 32 Ceci confirmé par Laurent Bouby, rens. du 12 juin 2022.

27Enfin, les recherches génétiques sur l’ADN, y compris sur des échantillons anciens issus de l’archéologie, sont bien évidemment susceptibles de remettre en cause, dans un avenir assez proche, cette vision actuellement proposée par l’ampélographie. Mais en l’état, les recherches en ce domaine (cf. infra, fin sous-chap. 2.2) ont jusqu’à présent essentiellement porté sur la viticulture antique du Sud-Est de la Gaule (Transalpine/Narbonnaise), et en outre majoritairement sur la période médiévale. Aucun échantillon n’a été étudié pour l’ensemble du bassin versant de la Loire, et en particulier le Berry, ni d’ailleurs pour le Bordelais, à l’époque romaine dans : Bouby et al. 2005 ; 202132.

• 42 NB : des mesures de restriction de la culture de la vigne et de la production de vin avaient déjà é (...)

30En outre, on rappellera ici les sources textuelles concernant la réglementation de la culture de la vigne dans les provinces, dont les Gaules (Brun 2001)42 :

• 43 Phénomène qu’on tend donc à attribuer – à tort – à l’autorisation par Probus, au iii^e s. de cultive (...)

33Comme souvent, les données textuelles induisent un fort effet de source – déjà signalé –, de par la localisation de ces auteurs, privilégiant sans doute en partie faussement la vision d’un développement de la viticulture seulement dans l’Antiquité tardive43 : on peut ainsi citer Martin de Tours pour la Touraine, Sidoine Apollinaire pour l’Auvergne et l’évêque Bertrand pour le Maine, ainsi bien sûr que, dès le iv^e s., Ausone dans le Bordelais.

• 44 Pour lesquels le dictionnaire Gaffiot (1934) renvoie justement à une inscription italienne, CIL X, (...)

35De même, on ne négligera pas les éventuels témoignages épigraphiques, à vrai dire fort rares, qui mentionnent par exemple soit des divinités en lien avec la viticulture, telles que Bacchus ou Sucellus, soit des métiers associés, tels que les tonneliers (cuparii44).

• 45 Type “Vinzelle”, “Vignol”…
• 46 Sauf éventuelle attestation textuelle ou épigraphique antique de tels lieux-dits, dont on n’a pas n (...)

36En revanche, on ne retiendra pas les données de la toponymie, contrairement par exemple, pour l’Auvergne, à Vallat et Cabanis 2011 : 254, selon Chambon 200545, car l’attribution de l’origine de ces noms de lieux à la période romaine est en général très discutable46.

• 47 Bien que moins abondantes que dans le Centre-Est et l’Est de la Gaule, particulièrement bien représ (...)
• 48 Le premier auteur sans doute à associer cette divinité à la viticulture, la nommant déjà le “Dieu a (...)

38Les représentations religieuses de Sucellus/le Dieu au Maillet, sans doute “patron” des tonneliers, dont les représentations sont abondantes en Gaule47, seront bien entendu retenues (voir Jullian 191848 ; Espérandieu 1919 : Fig. 1 ; Lambrechts 1942 : 101-102 ; Thévenot 1953 ; Morlet 1953 ; 1955 ; Grenier 1956 ; Chassaing 1972 ; 1986 ; Boucher 1988 ; Deyts 1992 : 85-94 ; Luginbühl 2001 ; Sergent 2006 ; 2012 ; Poitrenaud 2014 : 198-204 ; 2015) ; elles se concentrent cependant principalement, en tout cas pour la province de Lyonnaise, dans le centre-est (voir par exemple, récemment : Bossard 2021 : carte Fig. 14) (Fig. 7a et b). Ces documents – qui seront mentionnés au titre des données iconographiques – renseigne aussi en fait, dans une certaine mesure, sur la production de tonneaux (infra, § 1.3.3.3, b), même si bien sûr les usages de ces récipients sont multiples et ne sauraient être cantonnés au vin.

• 49 Selon Michel Provost (1993 : 218-219), le nombre des représentations de Bacchus serait limité en Ga (...)
• 50 Ne seront en revanche pas prises en compte, car trop polyvalentes et ambiguës, les représentations (...)

39Quant aux représentations concernant les cultes bachiques, elles n’ont pas la même valeur heuristique dans ce domaine : ce culte, bien représenté en Gaule49 (Bruhl 1953 ; Manfrini-Aragno 1987 ; Corrocher 1989 ; Pochmarski 1990 ; Provost 1993 : Fig. 167 ; Pailler 1995) (Fig. 8), a en effet une signification qui dépasse largement l’allusion à la viticulture et à la consommation de vin, avec l’importance religieuse de cette dernière et de l’ὕβρις (hubris), ainsi qu’un rôle funéraire majeur. On retrouve certainement ce dernier dans les représentations de pampres et de vigne, plus symboliques que réalistes et susceptibles d’être représentatifs des lieux de découverte : ainsi, y compris les scènes de vendanges (dont “amours vendangeurs”), un thème certes surtout funéraire, seront à prendre avec prudence50.

• 51 Contrairement par exemple à Dumasy et al. 2011 : 134-137, malgré les précautions prises à ce propos (...)

40Une grande part de la documentation iconographique mobilisée dans le corpus sera donc à classer comme d’un apport “secondaire” et indirect51, et il en sera donc de même pour les cités de Bourges et Bordeaux, traitées dans le corpus des données. Cependant, il faut sans doute admettre qu’au moins pour cette catégorie de données, de valeur symbolique et parfois indirecte pour la viti-viniculture, sa forte représentation dans les chefs-lieux de cité par rapport au reste de leur territoire dépasse, de ce point de vue heuristique, ce seul site urbain pour, sans doute, concerner l’ensemble de la cité : ceci devra donc notamment être pris en compte pour les civitates dont seulement une partie du territoire est ici incluse dans le bassin versant de la Loire, telles que les Éduens (Autun), mais aussi par exemple les Gabales (Javols).

• 52 C’est notamment le cas, en dehors de notre aire d’étude, du pressoir de Parville (Eure), du iv^e s. (...)
• 53 Mais seulement – vin en vrac – dans des navires maritimes, spécifiques, aux dolia fixes.

43Pour les éléments immobiliers concernant les activités viti-vinicoles – catégorie C –, un problème taphonomique apparaît d’emblée, pour les régions concernées : en Gaule intérieure, en, effet, plus certainement qu’en Narbonnaise, l’usage généralisé des matériaux périssables et en particulier du bois doit interférer aussi dans notre perception de ce type de questionnement archéologique : on envisage notamment qu’au moins à partir des cités septentrionales de l’Aquitaine, les pressoirs aient été exclusivement en bois, du type à vis centrale (Brun 2006 : 104)52 et en outre – tout particulièrement dans ces régions –, la vinification devait se pratiquer dans les chais surtout en tonneaux– conteneurs de bois, également périssables – et non en dolia, qui servent aussi au transport du vin53.

• 54 En latin, cella vinaria.
• 55 Même en l’absence de “cuvettes à dolia” (fosses d’installation, voire de récupération).
• 56 À ce sujet, voir aussi : Trément 2017b : 776.
• 57 Voir Ferdière 2019, dont p. 77.
• 58 Pour des questions de manutention comme de température ambiante ; et les piliers ne caractérisent p (...)
• 59 Un seul cas probant mentionné dans le corpus (en ligne) pour la cité des Turons.
• 60 Comme c’est le cas de plusieurs sites viticoles d’Aquitaine (infra, sous-chap. 2.3 ; voir corpus, e (...)

45Quant aux bâtiments eux-mêmes, on ne peut accepter comme chai54 – à tonneaux, dans ces régions d’où sont très généralement absents les grands dolia vinaires du type de la vallée du Rhône et du Languedoc – ceux proposés comme tels sur le seul critère de leurs grandes dimensions, si au moins d’autres arguments pour le site en question n’orientent vers une activité viti-vinicole. En outre, il faut noter qu’en Narbonnaise, certains grands bâtiments ruraux à piliers internes sont considérés comme des chais55, – alors à tonneaux56 –, alors que ce même type d’édifice, dans les Trois Gaules et les Germanies, sera plutôt considéré comme grenier à plancher surélevé et étage57. Ce caractère architectural (aération) est pourtant en principe inutile pour un chai, en tout cas à dolia enterrés et sans doute aussi pour les chais à tonneaux58. En l’absence des fosses à dolia et/ou dolia enterrés59 dans les édifices de vinification – tels qu’on les connaît en Narbonnaise (voir infra, Donzère, § 1.3.3.3), il est donc rare, dans nos régions, que des chais puissent être identifiés avec certitude : seule l’association avec des équipements tels que pressoirs ou cuves en mortier de tuileau peut permettre d’orienter l’interprétation dans ce sens60. On verra donc que l’on ne retiendra que très peu de chais formellement identifiés comme tels dans notre aire d’enquête (Fig. 9 et voir infra, 1.3.3.3).

• 61 Falx vinatoria, dénommée aussi “falx vineatica” par Varron (Rust., I, 22, 5) ; voir les “falces put (...)
• 62 Sur la falx vinatoria, voir Darembert, Saglio et Pottier 1877/1919 : s.v. et Fig. 2865 ; dont une f (...)
• 63 Voir par exemple, pour le Berry, Dumasy et al. 2011 : 114-119, Fig. 66, qui – malgré quelques préca (...)
• 64 Tel que par exemple représenté sur une stèle funéraire de Saint-Ambroix-sur-Arnon (Cher) : Espérand (...)
• 65 Quant au couteau à vendanger traditionnel, sans doute proche de cette dernière, c’est un outil sans (...)
• 66 Équipement nécessaire pour un vignoble.
• 67 Pour les serpettes possiblement de vigneron dans le Val de Loire en général, voir Provost 1986 : 33 (...)

47• Le seul élément classiquement invoqué du point de vue archéologique est la serpette de vigneron61 (Isoz 2001 ; Vernou 2001). Une sélection drastique doit sans doute être opérée dans les “serpes et serpettes de vigneron”62 signalées çà et là, car il apparaît notamment que sont ainsi pris en compte63 des outils qui ont sans doute un tout autre usage, tels que les ébranchoirs, goyards ou gouets, grandes serpes à crochet64, confondus avec la serpe à talon du vigneron, alors que cette première série d’outils présente généralement un emmanchement à douille, pour un long manche, la seconde au contraire un emmanchement le plus souvent à soie, pour une courte poignée. Les agronomes latins mentionnent plusieurs outils différents, qu’il est difficile d’identifier aux outils connus par l’archéologie. On se cantonnera donc ici à la typologie simple et opérationnelle proposée par Christian Vernou (2001), qui distingue justement la serpe de vigneron (falx vinatoria) (Fig. 10a), éventuellement à talon (sa Fig. 78, n° 1 et 2), et la petite serpette à vendanger (facula) (id., n° 3)65. Mais il est vrai que les agronomes latins mentionnent aussi la falx silvatica (de forestier-bûcheron) et arboraria (à tailler les arbres) parmi l’outillage nécessaire au vigneron (cf. par ex. Caton, Agr., XII (11), 466), c’est-à-dire notamment ces ébranchoirs, série d’outils que l’on est contraint d’éliminer ici compte tenu de cette polyvalence67.

• 68 Voir chez lui la préparation (aiguisage) des serpettes (falculae) pour la vendange (Rust., XII, 18, (...)

48On notera cependant que Columelle, agronome latin du i^er s. de n. è., évoque l’utilisation de forces (forficibus) – ces ciseaux d’une seule pièce fonctionnant sur le principe du ressort – pour détacher de la grappe les grains de raisin gâtés (Columelle, Rust., XII, 44, 4)68. Mais, pour les mêmes raisons de polyvalence de ce dernier outil, on ne pourra pas non plus le prendre en compte ici.

• 69 La pastinatio, pour une pépinière ou un vignoble, qui doit atteindre 3 pieds de profondeur (soit en (...)

50• Notamment, parmi tous les instruments à main qui servent à remuer la terre, houer, biner, sarcler, je pense pouvoir proposer l’identification d’un type d’outil qui paraît propre au travail dans le vignoble, tant au stade de la plantation des plants69 qu’ensuite pour l’entretien autour des ceps (chaussage et déchaussage), permettant ce travail de la terre, pour l’horticulture ou la viticulture (White 1967 : 37-40, 47-56 ; Kolendo 1971 : 206) ; cet outil, selon ses formes, porte en latin différents noms, dont bidens (Fig. 10b). Une étude spécifique lui est consacrée (Ferdière et Huitorel à paraître), qui me dispensera ici de fournir plus de détail à ce sujet, les outils concernés de l’aire étudiée étant en revanche mentionnés dans les corpus par cité (en ligne) : il comporte un fer pointu légèrement courbe, et un emmanchement en général à œil pour un manche formant un angle fermé avec le fer.

• 70 Ni l’un ni l’autre de ces types de tarière n’a été pris en compte dans la base de données OUTAGR (2 (...)

51• Enfin, on peut encore citer des tarières à greffer (cf. supra, 1.1) (Fig. 10c). Malheureusement, on ne sait trop reconnaître de telles tarières par rapport à celles classiques à bois70 et il s’agit en outre d’un outil dont la partie travaillante (mèche) est fragile et exposé à la destruction par la corrosion et donc fort rare.

• 71 Palladius (Agr., I, 6, 2), entre autres, recommande d’avoir des fabricants de “jarres et cuves” (ou (...)
• 72 Sur le débat “dolia/tonneaux”, voir le récent dossier : Carrato et Cibecchini 2020, dont les contri (...)

54Du point de vue des éléments mobiliers, il peut encore s’agir de pièces lourdes tels que dolia vinaires71 et tonneaux – notamment en lien avec des chais72 (catégorie E).

• 83 D’ailleurs non spécifiques au vin et existant en Gaule intérieure avant la période romaine.

56– La découverte de tonneaux ou éléments de tonneaux (douelles, bouchons de bondes…)83, comme la présence de tonneliers, n’est pas en soi la preuve d’une production de vin sur place, d’autant qu’à la période impériale, ce conteneur en bois assure à lui seul les deux fonctions que replissaient auparavant tour à tour dolia et amphores, successivement pour la vinification puis le conditionnement de transport. Pour ces éléments, la question du nombre peut jouer, mais surtout le contexte, avec la mise en évidence d’autres données convergentes concernant la viti-viniculture, formant ainsi un faisceau de preuves plus pertinent. Les tonneaux sont attestés – par les textes et l’archéologie en Gaule intérieure, ainsi que dans le monde celtique, dès le i^er s. av. n. è., par exemple sur les oppida de Manching et Uxellodunum (cf. Sucellus-Dieu au Maillet, supra, 1.3.2), où ils peuvent certes concerner des produits d’importation (Desbat 1997 : 118).

• 84 En général utilisés aussi en charpenterie, voire en charpenterie navale (Desbat 1997 : 115).
• 85 Lame légèrement courbe, munie à chaque extrémité d’une poignée perpendiculaire pour la manier.
• 86 On en verra quelques exemples, dans certaines cités concernées (cf. infra sous-chap. 1.4 et les cor (...)

57– La production locale de tonneaux (ateliers de tonneliers) peut être attestée de diverses manières, par l’épigraphie (mentions de cuparii), l’iconographie (représentation de ce métier, avec son outillage spécifique), voire indirectement par le culte au “patron des tonneliers” qu’est Sucellus ou Dieu au Maillet (Deonnat 1915 ; Chassaing 1986 ; Javols… 2019 ; voir supra, § 1.3.2), mais aussi éventuellement par l’outillage réel, propre à la tonnellerie84 (doloire pour tailler les douelles, herminettes, planes85, gouges, aissettes (et maillet) pour la pose des cerclages…)86. Mais il faut insister sur le fait que le tonneau peut avoir d’autres usages et d’ailleurs être fabriqué dans des régions propices pour le bois nécessaire et non à la vigne et à la viti-viniculture, pour la vente à des régions viticoles, comme ce semble être le cas des Gabales, comme on le verra infra (§ 3.2.5 et corpus en ligne).

• 87 Parfois désignés par le terme plus générique de signacula.
• 88 Ces derniers auteurs proposent que les marques frappées soient celles non des tonneliers-fabricants (...)

58– On associera donc, éventuellement, au tonneau les fers à marquer87 (Desbat 1991 : carte Fig. 8 ; cf. Marlière 2002 : 104, Fig. 100 ; et cf. inventaires : Renard 1961 ; Garbsch 1970 ; cf. Mille et Rollet 2020 : 141-14888), susceptibles, notamment par leur dimension, de correspondre à un tel usage.

• 89 À noter que l’on n’évoquera pas ici les outres, dont on sait pourtant qu’elles ont été utilisées en (...)

59En outre, il va de soi que l’on ne prendra pas en compte les amphores en tant que telles, comme conteneurs de transport pour divers produits, dont le vin : seuls seront considérés comme données pertinentes pour le propos les ateliers de potiers avérés produisant des amphores vinaires (cf. infra, § 1.3.3.6), une production qui peut toutefois être reconnue grâce à l’analyse des pâtes, physico-chimique ou minéralogique, voire plus simplement par la morphologie89.

• 90 Par exemple en Île-de-France, à Bruyères-sur-Oise (Val-d’Oise) (Toupet et Lemaître 2003) – un exemp (...)
• 91 Sous-chap. 1.4 et corpus en ligne, Bordelais inclus.

60Dès les années 1980 – notamment grâce aux grands décapages et à l’archéologie préventive –, on a mis en évidence en Gaule des vignobles matérialisés par des séries parfois remarquablement étendues de fosses de plantation de vigne, soit carrées, soit plus souvent allongées et aux extrémités arrondies (peut-être pour le provignage), attribuables à la période romaine (Boissinot 1997 ; 2001). Ces découvertes ont d’abord concerné la Narbonnaise et en particulier la vallée du Rhône, mais ont par la suite été mises en évidence dans plusieurs secteurs des Trois Gaules90. On verra plus bas91 que certaines d’entre elles sont situées dans l’aire qui nous intéresse ici. Leur datation directe reste toutefois délicate et ce sera souvent le contexte qui apparaîtra déterminant.

• 92 À noter que les découvertes de pépins de raisin (en principe cultivée, distingués de ceux de lambru (...)

61Les restes archéobotaniques de vigne (macrorestes de vigne, pépins de raisins, voire pollens de Vitis) seront aussi recherchés. Pour les données carpologiques et associées (autres macrorestes de vigne)92, il faudra s’assurer qu’il s’agit bien de Vitis vinifera vinifera et non de lambrusque. Pour cette catégorie de données, dans les agglomérations du Bassin parisien, aux ii^e, iii^e et iv^e s., on note la présence importante, mais non dominante parmi les fruitiers, de Vitis vinifera (Jedrusiak 2016, I : 304, tabl. Fig. 136). Peuvent éventuellement s’y ajouter des charbons de bois (anthracologie), voire des restes de bois conservés surtout par imbibation (xylologie/dendrologie) permettant d’identifier du bois de vigne.

• 93 En général, et notamment quant à l’émergence de la viticulture en Gaule, à travers les données carp (...)

62Quant à la palynologie, les deux variétés botaniques – cultivée ou sauvage – n’étant pas alors distinguables, seules des grandes quantités, et en contexte archéologique, pourront vraiment faire foi93. Pour ces restes polliniques, compte tenu d’une faible dispersion des pollens de l’espèce Vitis – en général concentrée au sein même des vignobles –, on considère d’ailleurs qu’un pourcentage inférieur à 3 % du spectre palynologique n’est pas significatif de la viticulture sur place (Gauthier et Joly : 2003 : 204) (cf. infra, Fig. 16). En outre, on note couramment la présence de Vitis au sens générique – sauvage dans ce cas – dans les diagrammes polliniques des tourbières du Bassin de la Loire et du Val de Loire pour toutes les périodes interglaciaires, Boréal et Atlantique et bien sûr Subatlantique (Planchais 1966 : 187 ; 1971 : 86 : 1972/73 ; cf. Provost 1993 : 217).

• 94 Hors de notre aire d’enquête, les productions d’amphores de Lyon-Lugdunum sont considérées comme pl (...)

63Enfin, la présence d’ateliers de potier produisant des amphores vinaires peut être également considérée comme un indice fort de production vinicole, dans la région alentour sinon bien sûr directement sur place (Fig. 12a et b et Fig. 13a et b). Il est en effet la plupart du temps raisonnable de penser que ces conteneurs de transport soient plutôt fabriqués à proximité des lieux de production de ce qu’ils sont destinés à contenir94. Dans notre aire d’enquête, de nombreuses formes sont manifestement de productions régionales, “ligériennes” et autres.

• 95 La morphologie seule n’étant pas toujours suffisante.

64Si l’on doit s’assurer que les formes concernées soient bien attestées pour le transport de vin95, il faut toutefois observer ici que l’on manque encore de données biochimiques pour identifier le contenu des amphores, sur les sites de consommation et non bien entendu sur les ateliers de potiers produisant des amphores.

• 96 Et alors y compris avec des données textuelles ou iconographiques.
• 97 Si le contenu supposé en est assuré ; et ce, sinon pour le lieu même de l’atelier, du moins pour le (...)

65Ainsi, si, individuellement et isolées, ces différentes catégories d’indices archéologiques doivent souvent être considérées comme insuffisantes, les associations de plusieurs d’entre elles, énumérées ci-dessus, sur un même site96 pourront en revanche être pris en compte comme particulièrement probantes et seront donc à souligner. On pourra également distinguer les “preuves” directes de la viniculture de celles indirectes : les premières ne sont en réalité concernées – hormis les mentions textuelles explicites –, que par les structures mêmes de vinification (pressoirs, cuves et bassins, chais dont l’identification est bien assurée), éventuellement les lots les plus abondants de pépins de raisins et macrorestes de vigne susceptibles de correspondre à des résidus de pressurage, ou encore, par exemple (iconographie), les éventuelles pipettes de dégustation, semble-t-il attestées sur certains reliefs mentionnés dans le corpus, ainsi que les productions locales avérées d’amphores vinaires97…

• 98 Avec une petite incursion en Narbonnaise : frange occidentale du territoire helvien (haute Ardèche) (...)

67On examinera les cités d’ouest en est – c’est-à-dire en fait d’aval en amont du bassin versant –, d’abord pour la Lyonnaise puis pour l’Aquitaine98. Les données textuelles et épigraphies seront mentionnées en premier (cf. les recensions antérieures, pour les Gaules, de : Chevallier 1990 ; Brun 2001 ; Poux 2004 : 583-604). Pour chaque cité, les différentes catégories de données seront – ici et surtout dans les corpus en ligne – déclinées toujours dans le même ordre, en in fine un bilan pour chacune de ces civitates.

68Le territoire de la cité concerne l’embouchure de la Loire, rive droite, avec ses derniers affluents, le chef-lieu étant à Nantes-Condevicnum. Seule une partie de cette cité est exclue de ce bassin : au nord, avec le bassin de la Vilaine, et à l’ouest, pour une frange atlantique de part et d’autre de l’estuaire, avec de petits fleuves côtiers. Avec les cités limitrophes des Andécaves et des Cénomans, pour l’ouest de la province de Lyonnaise, cette civitas a fait l’objet d’une synthèse récente concernant la viticulture (Hervé-Monteil et al. 2011).

• 100 L’index de la CAG 44 (Provost 1988d : 162), s.v. “Bacchus”, renvoie à “33(58), embouchure de la Loi (...)

70• Pour l’iconographie, signalons au passage un indice localisé ici par erreur, qui ne peut être pris en compte ici100. Ainsi, rien de déterminant n’est donc à signaler à ce titre pour la viticulture namnète.

• 101 Du moins pour la partie qui nous concerne ici.

77Pour la cité la plus en aval de l’aire étudiée du bassin versant de la Loire, le territoire des Namnètes a donc fourni un contingent de données non négligeable, où l’on retiendra – bien qu’en marge du bassin versant de la Loire stricto sensu – tout particulièrement l’une des rares installations vinicoles de l’ensemble du corpus rassemblé ici, à Piriac-sur-Mer et sans doute une production de tonneaux dans la zone de l’estuaire. Cependant, le fait que de récentes découvertes, suivies d’une synthèse sur la question (Hervé-Monteil et al. 2011) ait attiré l’attention sur la viti-viniculture de cette cité ne doit donc pas nous leurrer quant à son réel développement dans ce territoire101.

• 102 L’introduction de la viticulture en Anjou à l’époque romaine est évoquée par : Leturcq et Musset 20 (...)

78Le territoire de la cité est en totalité dans le bassin de la Loire, entre Loire moyenne et basse Loire, avec son chef-lieu à Angers-Juliomagus. Avec la précédente et les deux suivantes, pour l’ouest de la province de Lyonnaise, cette civitas a fait l’objet d’une synthèse récente concernant la viticulture (Hervé-Monteil et al. 2011)102.

• 103 En tout cas plus que sa voisine la cité namnète (supra, 1.4.1.1), même si sans doute un peu moins, (...)

87Concernée directement par la transition entre moyenne et basse vallée de la Loire et territoire aujourd’hui très viticole, la cité des Andécaves (Anjou) n’a certes à ce jour livré qu’un nombre assez modeste de données sur la viticulture antique. Mais au moins deux installations vinicoles, une probable production de tonneau et plus certainement d’amphores vinaires, auxquelles s’ajoute au moins un texte tardif (vignoble), témoignent en définitive d’une viti-viniculture angevine antique relativement bien documentée et développée103.

• 104 Les données tardives – au demeurant textuelles – de ce territoire seront donc traitées infra avec c (...)

88Le territoire des Diablintes, correspondant à peu près au département de la Mayenne, est entièrement dans le bassin de la Loire, même si à ses marges septentrionales. Le chef-lieu est à Jublains-Noviodunum, avant que la cité ne soit absorbée, dans l’Antiquité tardive, par celle du Mans (cf. infra, Cénomans)104.

• 105 Formant la Maine, en territoire andécave, après sa confluence avec la Mayenne et le Loir.

92La cité des Cénomans est entièrement dans le bassin versant de la Loire, par son affluent de rive droite, la Sarthe105. Son chef-lieu est Le Mans-Vindinum. Dans l’Antiquité tardive, la cité du Mans absorbe celle limitrophe, à l’ouest, des Diablintes (supra). Auparavant, au Haut-Empire, le territoire de la cité recouvrait l’essentiel de l’actuel département de la Sarthe, à l’exception de ses marges nord-est, en territoire ésuvien (cf. § 1.4.1.5).

• 106 Qui “ratisse” assez largement au-delà de la Touraine.
• 107 Et voir Dion 1959 : 165, 171, 177… ; Ferdière 2011 : 85-86.

102Au sud des Cénomans, le territoire turon est en revanche concerné dans sa totalité, de part et d’autre de la Loire et comprenant successivement les confluences majeures (rive gauche) du Cher et de la Vienne, son chef-lieu étant à Tours-Caesarodunum. Il s’agit d’une des cités les mieux documentées de l’aire ici étudiée, du point de vue de de la viticulture antique (Couderc 1990106 ; 2008 ; Couderc et Provost 1990 ; Ferdière 2007 ; cf. aussi Schweitz et al. 1986 ; Leturcq et Musset 2017 : 24-25)107 (Fig. 14). L’hypothèse d’une viticulture tourangelle avant le haut Moyen Âge a été assez tôt émise (Boussard 1954 ; Dion 1959), même si la majorité des documents archéologiques l’attestant restaient encore alors à découvrir.

• 108 NB : Franc., VI, 44 (en 581) et IX, 5 et 17 (en 587) – signalés notamment par Couderc 1990 au sujet (...)
• 109 Il est en outre à noter que le domaine de Cariacus, que l’on a mentionné plus haut pour les Andécav (...)

103• En ce qui concerne les données textuelles, en effet, la présence de saint Martin puis de l’évêque Grégoire de Tours108 est certainement susceptible d’induire un effet de source qui privilégie cette cité par rapport à ses voisines109. Mais, en définitive, malgré la présence prégnante de ces écrits, on constate qu’il n’y a pas de texte attestant de manière absolue la présence de vignes et viticulture en Touraine antique.

• 110 Cependant, on a signalé un buste de statue qui représenterait Sucellus, le “Dieu au maillet”, à Pau (...)

104• Pour l’iconographie, notons qu’on ne connaît pas ici de figurations du Dieu au Maillet110, peut-être pour des raisons culturelles régionales de géographie religieuse. En excluant les images liées au culte de Bacchus, peu probantes, on peut retenir la représentation d’une pipette à vin à Chinon, dans la vallée de la Vienne.

• 111 Pour la biochimie, voir infra (Berry, § 1.4.2.2) les résidus de vin supposés dans un vase d’une sép (...)

109• Mais les données archéobotaniques111, sont assez bien représentées, pour la palynologie comme pour la carpologie. Comme toujours, les premières sont peu probantes, mais des lots de pépins de raisin significatifs peuvent correspondre à de la vigne cultivée sur place, notamment pour celui, tardif, de Truyes.

• 112 Respectivement – notons-le – sur les deux importants affluents de rive gauche de la Loire, le Cher (...)

110• Enfin, pour les ateliers de production d’amphores vinaires, on se trouve ici, pour la Touraine, dans une situation exceptionnelle, avec non moins de deux ateliers importants, bien attestés (cf. Brun 2010 : 248), Crouzilles “Mougon” et Thésée-Pouillé112, avec des G.4, G.5 et types locaux, dont “à col en tulipe”. Les pâtes des amphores de ces deux ateliers ont fait l’objet d’analyses physico-chimiques par fluorescence X (Laubenheimer, Cantin et Schmitt 2005 : 280-282, Fig. 7 et tabl. 1 et 2 ; cf. Dumasy et al. 2011 : 134), permettant ainsi de caractériser ces productions pour les reconnaître ensuite sur les sites de consommation : il s’agit dans les deux cas de pâtes non calcaires, et leur composition, pour les deux ateliers, bien qu’assez proches, peut être distinguée par les teneurs d’au moins quatre éléments (TiO₂, MnO, Rb et Zn). Ainsi, au moins deux tessons d’amphore découverts à Rennes pourraient provenir de l’atelier de Crouzilles-Mougon. En outre, de manière générale, la Touraine et la cité des Turons sont considérées comme le lieu d’autres productions d’amphores locales/régionales, dites “ligériennes”, au Haut-Empire (Barthélemy-Sylvand, Chambon et Couvin 2005). Ainsi, dans une région ou certes le nombre important d’ateliers de potiers peut produire un effet de source, ce sont en tout cas au moins ces deux officines céramiques majeures qui sont bien attestées ici, l’une d’elles certes aux confins de cités voisines (Carnutes et Bituriges Cubes).

• 113 Pour la viticulture en Beauce, Chartrain et Orléanais au Moyen Âge – aucune mention avant les vi^e-v (...)
• 114 Pour le strict bassin versant de la Loire : le sud de l’Eure-et-Loir, la partie NO du Loiret et la (...)
• 115 Ce qui fait qu’on maintiendra quand même ce site dans les inventaires de données (corpus en ligne).

112Seule sa partie méridionale de cette cité carnute113 est dans le bassin de la Loire114, la partie nord ressortissant à celui de la Seine : ainsi, la capitale, Chartres-Autricum, sur l’Eure, est en principe hors des limites du bassin versant de la Loire, bien que très proche de la haute vallée de son affluent, le Loir115. Dans l’Antiquité tardive, la cité des Aureliani (capitale à Orléans, ex-Cenabum) est déduite de ce vaste territoire, au sud-est (Fig. 15).

• 116 Peut-être aurait-on pu se demander si la “cuve” interprétée comme liés au travail du lupin signalée (...)

115• Quant aux installations vinicoles116, les possibles chais – comme trois supposées fondations de pressoirs – étant discutables, ne reste que les bassins en béton de tuileau de Fossé, peut-être plus fiables.

• 117 On aurait pu ajouter, en territoire carnute mais non plus dans le bassin versant de la Loire, une “ (...)
• 118 En nombre ici, par l’effet d’enquêtes particulièrement poussées sur ce territoire (voir corpus en l (...)

116• Pour l’outillage, des houes vigneronnes et de nombreuses serpettes117. Et seule une (petite) partie des serpettes118 cataloguées apparaissent de manière sûre comme des outils de vigneron – sans compter que certains items sont en réalité un peu en dehors de notre aire d’étude –, pour l’entretien de la vigne ou la vendange : les houes à déchausser constituent donc sans doute ici un élément plus probant.

• 119 La mention (Viet1983 : 283-284 ; Provost 1988b : 71 ; cf. 1993 : 217-218) d’une “vigne d’époque gal (...)

118• Pour les plantations de vigne119 , l’hypothèse proposée à Meung-sur-Loire semble devoir être rejetée car non antique. Quant au “clos de vignes” de l’agglomération de Beaune-la Rolande, il est indiscutablement du Haut-Empire et apparaît ainsi comme un document tout à fait remarquable, malheureusement sensiblement hors du strict bassin versant de la Loire.

• 120 À noter qu’une autre agglomération des Carnutes, à Jouars-Pontchartrain (Yvelines), hors du territo (...)
• 121 Comme dans certains vases protohistoriques d’Armorique mentionnés supra, sous-chap. 2.4).

119• Des données archéobotaniques (palynologie et carpologie120) assez nombreuses sont répertoriées. À noter en outre, à la marge, une analyse biochimique qui a révélé un contenu de vin ou en tout cas jus de raisin fermenté121 dans un vase de l’âge du Bronze Final provenant de Vienne-en-Val (Loiret) (Lardé et al. 2019 ; Garnier, Silvino et Djaoui 2020 : 211-212).

• 122 Ou parfois “du Val de Loire”, “du bassin de la Loire”.

120• Enfin, pour les productions d’amphores vinaires, un atelier rural est connu à Vrigny et surtout un groupe important d’officines, sur un temps assez long, dans la capitale carnute de Chartres-Autricum : ces deux sites de production sont toutefois sensiblement hors de notre aire d’enquête. Notons d’ailleurs que, bien que nettement hors du bassin versant de la Loire mais clairement dans celui de la Seine, les ateliers de potier de Jouars-Pontchartrain et de La Boissière-École (Dufaÿ, Barat et Raux 1997 ; cf. Brun et Laubenheimer 2001b : 211), toutes deux dans les Yvelines, dans la partie nord-est de la cité, produisent des amphores vinaires, dont des types mentionnés à propos des ateliers de Vrigny et de Chartres. En outre, alors qu’aucun atelier précis n’y soit dans ce cas identifié, la partie de la cité en Val de Loire reste considérée comme secteur de production d’une partie des amphores régionales à fond plat dites “ligériennes”122 (Barthélemy-Sylvand et Sellès 2003 ; Barthélemy-Sylvand, Chambon et Couvin 2005). Les ateliers de productions de ces amphores ne sont certes pas connus à ce jour mais peuvent notamment prendre place dans le Val de Loire d’Orléans et Blois, en pays carnute : on note par exemple des imitations de Pascual 1 – de la fin du i^er s. av. n. è. à la fin du i^er s. de n. è. – en contexte de consommation à Orléans (Couvin 2002, 1 : 47 et 65 ; Barthélemy-Sylvand, Chambon et Couvin 2005 : carte Fig. 3) et des formes spécifiquement carnutes et même propres à la partie sud de la cité. Et les cinq amphores sans doute à vin à fond plat – étroit pour les deux plus grandes – du dépotoir du iv^e s. de “Lavau” à Chilleurs-aux-Bois (Loiret), agglomération carnute, semblent de production locale ou proche (Ferdière 1971 : 256, Pl. II, n° 6 ; 258, Pl. III, n° 1 et Pl. IV, n° 1 et 2) (voir en ligne, corpus Carnutes, H : Fig. C.22b). Les deux centres de production attestés pour fabriquer, surtout au Haut-Empire, des amphores vinaires constituent en tout cas une preuve importante de viti-viniculture carnute. Mais, malheureusement pour notre propos, ils sont tous deux un peu en marge du bassin versant de la Loire.

• 123 Dans laquelle prend place le fameux pagus Arebrignus, notamment viticole (cf. supra, sous-chap. 1.2 (...)
• 124 Elle-même sur l’Arroux, affluent de rive droite de la Loire.

122Seule la bordure ouest et sud-ouest de la vaste cité du Haut-Empire123, dont le chef-lieu est Autun-Augustodunum124, est ici concernée (bordure occidentale du département de la Nièvre, sud-ouest de celui de Saône-et-Loire) : cités d’Auxerre (à la marge), de Nevers et d’Autun dans l’Antiquité tardive. La Loire fait elle-même limite, à l’ouest, avec les Bituriges Cubes. Pour la viticulture de ces régions, voir : Gauthier et Joly 2003) (Fig. 16). À noter que l’importante agglomération d’Entrains-sur-Nohain (Nièvre), bien qu’assez proche de la Loire (rive droite) a été considérée ici comme en dehors du bassin versant du fleuve.

• 125 La cité des Éduens est l’une des plus riche pour l’iconographie lapidaire ; on notera une série par (...)
• 126 On aurait pu ajouter, en marge, à Autun, dans la salle à abside d’une riche domus, une mosaïque (du (...)

124• Pour l’iconographie125 (Fig. 17), le corpus – pourtant pour la seule part de la vaste cité éduenne concernée par le bassin versant de la Loire – est en revanche d’une richesse exceptionnelle : même si l’on exclut les représentations décoratives ou symboliques de vigne ainsi que celles liées au culte de Bacchus, il reste non moins d’une dizaine de figures du “Dieu au Maillet”, ainsi que d’un très probable artisan tonnelier, de possibles vignerons, et aussi des figurations de pipette à vin126.

• 127 Il est à noter que les études carpologiques menées depuis des années sur le site du Mont Beuvray-Bi (...)

129• Pour les données archéobotaniques, chronologiquement en marge du corpus, on signalera ici l’étude palynologique de Prémery (Nièvre), tourbière 3 de “la Chênaie”), non loin de la rive droite de la Loire, avec quelques pollens de Vitis – alors bien sûr sauvage – dans les niveaux du Boréal, de l’Atlantique mais aussi du Subatlantique (Planchais 1966 : 187 ; cf. Couderc 1990 : 56 sqq.). Quelques données carpologiques sont signalées127 qui, seules, pourraient constituer des preuves solides, mais elles sont ici en petit nombre, sans lot important caractéristique.

• 128 L’un d’eux (Autun) omis par erreur dans la cartographie.

130• Enfin, en ce qui concerne les productions d’amphores vinaires, celle-ci est particulièrement bien représentée, avec non moins de trois ateliers128 (voir Laubenheimer 1986 ; Olmer 1997 ; Mouton-Venault et Ahü-Delor 2017) : ceci constitue un argument majeur en faveur du développement de la viti-viniculture dans la partie occidentale et sud-ouest du territoire de la cité des Éduens concernée par le strict bassin versant de la Loire. Il est en outre à noter, liée à l’un d’eux, à Autun (17 rue Saint-Antoine) une amphore de production régionale portant le graffito Amin[eum] (Andrieu 2017 : 85) : ceci désignerait-il un vin aminé de production locale ?

• 129 Et capitale des Trois Gaules, constituant au Haut-Empire une entité territoriale autonome, aux cont (...)
• 130 Peut-être – dans ce cas très particulier – pour le reconditionnement de vins importés en vrac par R (...)

138• Enfin, deux ateliers ségusiaves produisent des amphores vinaires au Haut-Empire. Pour cette cité – sans toutefois entrer dans le détail, la capitale provinciale étant largement hors du territoire examiné ici –, il est cependant nécessaire de rappeler, à la marge, les productions d’amphores à Lyon-Lugdunum même, la capitale de la Lyonnaise129 (Becker 1986 ; Becker et al. 1986 ; Desbat 1987 ; Dangréaux et Desbat 1987/88 ; Dangréaux et al. 1992 ; Desbat, Genin et Lasfargues 1997 ; Maza et al. 2002), d’environ 20 av. n. è. à la fin du i^er s. de n. è., avec notamment des Dr.1, Dr.2/4, Dr.9 et “Gauloises” à fond plat130. La production d’amphores vinaires est donc bien attestée, mais apparemment peu développée, du moins dans l’aire étudiée et en l’état des connaissances de ces officines.

• 131 Notamment à partir de Lyon, rappelons-le à l’origine en territoire ségusiave.

139Le territoire ségusiave est certes, pour sa partie orientale, hors du bassin versant de la Loire, en ce qui concerne la viticulture ici, mais joue un rôle déterminant dans les relations économiques et culturelles entre le couloir Rhône-Saône131 – voie majeure de pénétration des influences méditerranéennes – et le cours même de la Loire (voir infra, § 1.4.2.2). La viticulture antique locale est cependant présente, bien que sans doute assez modestement.

• 132 Département, notons-le, où aucune occurrence des types de données recherchés ici n’est signalée dan (...)

141La quasi-totalité du vaste territoire picton – chef-lieu à Poitiers-Lemonum – est ici concernée, à l’exclusion d’une aire occidentale vers l’Océan, correspondant – à une petite partie près au nord-est – à presque tout l’actuel département de Vendée132. Il est nécessaire de signaler une thèse en cours (Universités de Bordeaux et Poitiers), par Camille Frugier, sur la viticulture en Poitou et les productions d’amphores vinaires régionales (cf. Ferdière 2019 : 9, note 518).

• 133 Anecdotiquement, on peut signaler un long graffito autour d’une coupe (“Acitapulus […]canua. Virili (...)

142• Aucun texte n’est formellement attesté pour la viticulture pictone133.

• 134 Et voir dans le corpus (en ligne : tonnellerie) une tête de panthère en bois sans doute dionysiaque (...)

143• Quant à l’iconographie, seules deux possibles représentations du “Dieu au Maillet” peuvent être retenues comme probantes134.

• 135 Sans ateliers avérés sur place.
• 136 Je n’ai pu avoir accès à ces résultats. Au moins pour le département de la Vienne, dont la préfectu (...)

147• Enfin, la production locale d’amphores vinaires est assez bien attestée, notamment à Rezé, avec des ateliers importants, et ce dès le i^er s. de n. è. Mais d’autres productions régionales non encore localisées d’amphores vinaires – dont imitations de Pascual 1, de Dr. 2/4 et de G.4 – sont identifiées dans le corpus amphorique de Poitiers-Limonum, le chef-lieu de cité135 (Lemaître 2012 : 190 ; cf. Monteil et Pascal 2021 : 138, Fig.). Et l’on note que l’analyse physico-chimique d’une amphore à pâte orangé et cœur gris à inclusions blanches découverte sur la ferme gallo-romaine des “Genâts”, à Fontenay-le-Comte (Vendée), appartient à un groupe de production (atelier) qui n’est ni Crouzilles-Mougon ni Thésée-Pouillé (supra, Turons) ni même Sens et pourrait donc correspondre à une production régionale poitevine (Laubenheimer, Cantin et Schmitt 2005 : 379 et tabl. 1-2). De récentes analyses biochimiques montrent qu’au moins dans certain cas, les amphores pictonnes contiennent du vin (Frugier 2022)136.

• 137 Pour les besoins de comparaison avec les données de la cité des Bituriges Vivisques dans le cadre d (...)
• 138 Sur l’histoire de la viticulture en Berry sur le temps long, voir aussi : Turpin 1903.

148On observe que la cité des Bituriges Cubes occupe quant à elle une position centrale par rapport à l’ensemble du bassin versant de la Loire. Limitrophe des cités des Éduens, Arvernes, Lémovices, Turons et Carnutes, elle fait partie de cette série de vastes civitates qui barrent d’ouest en est tout le centre de la Gaule et est ainsi quasi la seule cité, avec celle des Turons, à être entièrement incluse dans notre aire d’étude. Pour la documentation concernant la viticulture des Bituriges Cubi, on dispose d’une étude récente (Dumasy et al. 2011 ; cf. Gandini 2008 : Fig. 165)138, qu’on mettra donc ici largement à contribution (Fig. 18).

• 139 À l’exception ici, bien entendu, des mentions de la biturica ou biturigiaca (cf. infra, chap. 2).
• 140 Qui, malgré leur nom, ne sont pas plus que d’autres enclins à la biture ni les inventeurs du condit (...)

150• Aucun texte139 ne fait directement allusion à la viticulture dans la cité des Bituriges Cubi140.

• 141 Le premier auteur étendait son inventaire à l’iconographie du vin en général (consommation comprise (...)

151• Du dossier iconographique réuni (Coulon 1995 : 20 ; puis Dumasy et al. 2011 : 134-137141), assez riche, on verra qu’il ne faudrait sans doute retenir, après réexamen, que peu de chose qui témoignerait vraiment, sans ambiguïté, de la viticulture locale. Outre leur nombre important dans le territoire de la cité, il est ainsi à noter que Bacchus se place au quatrième rang des représentations de divinités pour la cité, avec 16 figurations plus ou moins certaines, et ce dans le chef-lieu de cité comme, notamment, dans plusieurs agglomérations secondaires, parmi lesquelles se distingue celle de Néris-Neriomagus (Girond 2015, 1 : 233-234, Tabl. 34 ; 395-396, Fig. 120 et 123) (Fig. 19). Mais, en matière de document iconographique probant quant à la viti-viniculture locale, aucun des 20 items ne semble vraiment pouvoir être retenu.

• 142 Certains sont certes présentés comme douteux dans cet article.

153• Pour l’outillage, les serpettes de vigneron et à vendanger, une bonne part des exemplaires mentionnés par Françoise Dumasy et al. (2011 : 114-119, Fig. 66-67 et tabl. l. VII) (Fig. 21) ne sont pas, selon moi142, à retenir comme assurément destinées à cet usage : en ce qui concerne ces outils, on ne peut en réalité retenir comme certain qu’un ou deux exemplaires. Mais on dispose en revanche de deux possibles houes “à chausser les vignes” : en définitive, c’est donc la présence de ces dernières, apparemment typiques du travail de la vigne, qui apporte, en matière d’outillage, le témoignage le moins contestable.

• 143 NB : les “douelles” indiquées parmi d’autres objets en bois conservés, aux “Avrillages” à Saint-Dou (...)

154• Rien de formellement assuré ici, en revanche, en ce qui concerne la tonnellerie143.

• 144 On aurait pu ajouter un site avec pépins de raisin, mentionné dans plusieurs publications, à Ligniè (...)

156• Pour les données archéobotaniques (Fig. 22), aucune étude palynologique n’est signalée pour avoir fourni des pollens de Vitis en nombre et pour des périodes où elle est susceptible d’être cultivée. Les données carpologiques sont en revanche bien présentes, et depuis l’âge du Fer144. En outre, quant à la vigne sauvage, signalons que la fouille des bains de la villa de “la Pétonnière” à Paulnay (Indre) a par ailleurs fourni des pépins de raisin (3 ex.), en fait de Vitis vinifera ssp silvestris (vigne sauvage), pour le premier tiers du i^er s. de n. è. (Coulon et al. 1985 : cf. tabl. 3, Fig. 27, B ; Coulon 1995 ; cf. Couderc 1990 : 56 ; Brun et Laubenheimer 2001b : 214 ; Gandini 2008 : 399-400 ; Dumasy et al. 1011 : 112-113, carte Fig. 65, Tabl. VI) ; il en est de même aux “Maussants” à Déols-Dolus (Indre), importante agglomération, dans une fouille récente (?), dans un contexte du i^er s. de n. è. d’un ensemble cultuel (déc. D. Dubant vers 1990 ; Coulon 1995 : 18 ; Gandini 2008 : 399-400 ; Dumasy et al. 1011 : 112-113, carte Fig. 65, Tabl. VI). En définitive, on peut quand même noter, en carpologie, au moins deux ensembles convaincants de pépins de raisin susceptibles de correspondre à du moût de pressage.

• 145 Il est à noter cf. Fig. du corpus C.41a et b) que les exemplaires de Faverdines –malheureusement no (...)

157• Enfin, en ce qui concerne la production d’amphores vinaires, le Berry gallo-romain n’a à ce jour pas fourni d’ateliers de production d’amphores vinaires, même si des productions berrichonnes ont été identifiées (voir Dumasy et al. : 130-134, et P. 135) (Fig. 23). Cependant, le mobilier de l’ustrinum de la petite nécropole des “Vernes” à Faverdines (Cher), de la seconde moitié du i^er s. de n. è. comporte plusieurs exemplaires d’amphores à fond plat de production régionale sans doute proche, dont des G.5 (Fourteau-Bardaji et al. 1993 : 269)145. À ce titre, on observe, en creux, pour le Berry, que les deux ateliers de potier gallo-romains précoces importants de la vallée du Cher, connus pour la cité, Gièvres (Loir-et-Cher) (Amelin et Chartrain 1993) et Villeneuve-sur-Cher (Cher) (Luberne 2013), n’ont apparemment pas produit d’amphores. Cependant, c’est dans les limites de cette cité que sont localisées, en contexte de consommation, une bonne part des amphores régionales à fond plat dites “ligériennes” (Barthélemy-Sylvand, Chambon et Couvin 2005). Et l’analyse physico-chimique d’une amphore à pâte orangée à cœur gris (type Pascual 1) provenant du site d’Argentomagus (Indre) – temples 1 et 2 – montre une composition de pâte clairement distincte de celles des productions des ateliers turons de Crouzilles-Mougon et Pouillé-Thésée, ainsi d’ailleurs que de Sens, également susceptible de correspondre à une production régionale biturige d’amphores vinaires non encore localisée (Laubenheimer, Cantin et Schmitt 2005 : 377, 379, 380, tabl. 1-2). En outre, sur ce site, plusieurs autres amphores vinaires apparaissent bien comme des productions régionales, sans doute de cette cité biturige (Dumasy et al. 2011 : 132-134). On fera cependant remarquer que l’important atelier d’amphores vinaires de Pouillé-Thésée-Tasciaca (Loir-et-Cher), qui doit être attribué à la cité des Turons (supra, § 1.4.1.6 et corpus), est en réalité quasi en limite nord-occidentale supposée de la cité des Bituriges Cubes (voir par ex. Dumasy et al. 2011 : carte Fig. 92). Mais in fine – comme on le notera d’ailleurs pour les Bituriges Vivisques –, on doit reconnaître que la cité n’a à ce jour matériellement livré aucun atelier de potiers matériellement attesté qui ait produit des amphores vinaires.

• 146 À noter que J.-P. Brun (2010 : 244-249) semble exprimer une (légère) préférence en faveur des Bitur (...)
• 147 Si ce n’est, pour F. Dumasy et ses collègues (2011 : 126-130), les possibles chais, que je considèr (...)
• 148 Là aussi avec la prise en compte comme antique, sans doute aventureuse, du vignoble de Bourges “les (...)

158En définitive, le bilan pour le développement la viticulture antique en Berry est donc proche des considérations premières de celle de la synthèse récente (Dumasy et al. 2011 : 147-150)146 : absence de textes comme d’installations viticoles caractéristiques147, mais documentation archéologique quand même décisive, avec le témoignage archéologique de plantations de vignes148, de résidus de moût, comme d’ailleurs d’une production d’amphores.

• 149 À noter que Balmelle et al. 2001 (cf. carte Fig. 61) n’indique aucun élément lié à la viticulture d (...)
• 150 Je remercie R. Bedon, J.-P. Bost et H. Marévaud de m’avoir confirmé ce point.

159La vaste cité des Lémovices a pour capitale Limoges-Augustoritum. Tout le sud de la cité (en gros, le département de la Corrèze) est hors de notre aire d’étude, car dans le bassin versant Dordogne-Garonne149. En revanche, doit être rattaché au bassin de la Loire, par son affluent la Vienne, le secteur de Chassenon-Cassinomagus (Charente), aux confins des Lémovices et des Santons. Très peu d’informations sur la viti-viniculture concernent cette cité150, le Limousin n’ayant notamment fait l’objet d’aucune étude spécifique à ce titre.

• 151 Si ce n’est, dans une sépulture à Saint-Julien-le-Petit (Haute-Vienne), une serpe à ergot mais à do (...)

162• Aucun outil associable à la vigne n’est non plus signalé151.

• 152 Le Limousin antique étant l’un des rares territoires de notre enquête à bénéficier d’une telle étud (...)
• 153 Il s’agit de la très grande villa à pavillons multiples (de plusieurs puits de la partie d’exploita (...)

163• Pour l’archéobotanique, il s’agit essentiellement des macrorestes identifiés en carpologie, avec quelques lots de pépins de raisin découverts en contexte archéologique (cf. en général : Bouchette 2015)152. Malheureusement, pour la viticulture lémovice, le lot le plus important et donc le plus significatif de pépins de raisin provient d’un site du sud-ouest du département de la Corrèze et donc largement hors de notre aire d’étude car dans la vallée de la Corrèze (bassin de la Dordogne) et n’a donc pas été pris en compte dans le corpus153 : en conséquence, la carpologie n’apporte pas de données péremptoires, quant à notre propos, pour la partie ici concernée de la cité lémovice, le lot restant de carporestes le plus abondant – ici en contexte gorgé d’eau – étant en effet dans le chef-lieu de cité et peut donc concerner, contrairement à d’autres cas, du raisin importé sec pour la consommation directe.

• 154 Un type habituellement considéré comme issu des ateliers arvernes (infra, § 1.4.2.4 et corpus en li (...)
• 155 Auxquels s’ajoutent, hors de notre aire d’enquête, le site rural de Pérols-sur-Vézère et la villa d (...)

164• Une production d’amphores, éventuellement vinaires, en territoire lémovice n’est pas à exclure, bien qu’aucun atelier ne soit réellement connu pour en avoir produit dans la cité. Les items signalés peuvent provenir d’ateliers des cités voisines, y compris avec leur contenu, et, ainsi, ne constituent pas une “preuve” absolue de viticulture en Limousin antique : des amphores à fond plat et large bord, parfois engobées rouge154, ont ainsi été recueillies sur plusieurs sites ruraux de la Creuse (Les Mars, Gouzon, “Chanteau” à Saint-Martial-le-Mont, “les Bains” à Sainte-Feyre et forêt de Chabrières à Guéret, ainsi qu’à Limoges même, Haute-Vienne)155, dans des contextes en général de la seconde moitié du ii^e - première moitié du iii^e s. (Hanry et al. 2015 : 244-246) (voir corpus en lien). Les formes concernées sont indiquées comme comparables à celles du Val de Loire orléanais (Barthélemy-Sylvand 2005b) ou de l’atelier de potier de Rezé (Loire-Atlantique) (supra, Pictons, § 1.4.2.1, et corpus en ligne), ainsi que de sites de consommation du Nivernais et d’Auvergne.

• 156 Ici essentiellement selon page Wikipédia “Vignoble du Limousin”, dernière modif. 3 sept. 2019, cons (...)
• 157 Mention dès le viii^e s. pour Yssandon.
• 158 Ville représentée entourée de vignes sur une gravure du xvii^e s.
• 159 Voir une redevance en vin pour l’abbaye de Bonlieu, fondée au xii^e s. (commune de Peyrat-la-Nonière (...)

165Le bilan plus que limité pour la cité lémovice, attestant – et encore de manière discutable – l’existence de culture de la vigne, mais en aucune manière une viniculture – sauf peut-être avec les possibles amphores régionales –, fait de cette région l’une des moins bien documentées en la matière de toutes celles examinées ici. Ce constat n’est pas sans rappeler la situation actuelle, avec une viti-viniculture quasi absente de toute l’ex-région Limousin156. Ceci doit cependant être relativisé, car cette situation contemporaine résulte des conséquences du phylloxera au début du xx^e s. et quelques crus assez renommés existaient au moins à l’époque moderne (et notamment au xvii^e s.) dans cette province, il est vrai surtout dans le sud du département de la Corrèze (bassin de la Dordogne)157 : pour notre aire d’enquête, seuls les crus de Verneuil-sur-Vienne (à l’ouest de Limoges158) et de Dun-le-Palestre (au nord-ouest du département de la Creuse159) seraient ainsi à retenir à ce titre (Vincent 1952 ; Saulière 1977).

• 160 Cf. Vallat et Cabanis 2009 : 170-171 ; 2011 : 253-254.

167• Pour les données textuelles, il faut d’emblée noter qu’au moins pour l’Antiquité tardive, la cité des Arvernes et de Clermont-Ferrand est certainement privilégiée par la présence de Sidoine Apollinaire160 comme évêque dans ce diocèse au v^e s. Ainsi, en tout cas, le dossier de textes concernant la viticulture arverne est bien fourni, pour cette période tardive, grâce à cette présence.

• 161 On pourrait y ajouter (non pris en compte dans le corpus), à Vichy (Allier), une statuette en terre (...)

168• Quant à l’iconographie, si l’on doit sans doute exclure comme peu probantes les occurrences du culte bachique, on note donc pour cette cité une belle série de représentations du “Dieu au Maillet”, sans doute plus représentatives161.

• 162 Je signale en outre, à Bessay-sur-Allier (Allier), près du château de “Changy”, sur un habitat gall (...)

169• Pour les installations vinicoles162, si l’on ne tient pas compte des hypothétiques chais de Glaine-Montaigut, et même en excluant l’installation vinicole proposée à “Trémonteix”, il en reste encore deux beaux exemples aux Martres-d’Artière et à Romagnat, ce qui somme toute est assez considérable pour cette certes vaste cité arverne.

• 163 En l’absence, notamment, d’analyses biochimiques.

171• Et rien de totalement déterminant n’est à signaler pour la tonnellerie, malgré des indices assez forts de production de tonneaux dans le territoire de la cité, possiblement comme conteneurs de vins locaux. Il est par ailleurs à noter qu’on connaît en Auvergne de grands dolia, pouvant avoir une capacité jusqu’à 1 000 litres (voir Bet 2021 : Figs), notamment produits à Lezoux (Puy-de-Dôme) mais considéré ici163 plutôt comme jarres à provision que comme dolia vinaires de type rhodanien.

• 164 Avec cependant ici un risque de surreprésentation par rapport à d’autres chefs-lieux de cité du cor (...)

173• Pour les données archéobotaniques, plusieurs spectres polliniques – peu déterminants – du bassin de Clermont-Ferrand ont livré de la vigne (sauvage ou cultivée) (Vallat et Cabanis 2011 : 253). Et l’on signale des pépins de raisin sur non moins de treize sites du secteur de Clermont-Ferrand (Brun 2011 : 6 ; Vallat et Cabanis 2011 : 252-253 ; Hallavant et Cabanis 2021 : tabl. p. 4), pour un total représentatif, en 2021, de non moins de 1 543 items. En excluant, comme d’habitude, comme “preuves” les données palynologiques, on constate ainsi qu’il reste une très belle série de données carpologiques – et autres macrorestes de vigne –, avec des lots représentatifs164 susceptibles de correspondre à une viticulture locale développée, y compris à Augustonemetum même ou ses alentours immédiats.

• 165 Pour les amphores régionales en Auvergne, voir aussi : Roversi 2020 (leur contenu n’est pas assuré  (...)

174• La production d’amphores vinaires165 est quant à elle bien attestée, dans une cité où, il est vrai, l’artisanat céramique est tout particulièrement développé (et étudié), avec des officines majeures ; et ceci sans doute dès le début du i^er s. de n. è. et au moins jusqu’au milieu du iii^e s.

• 166 Dédicace à Liber Pater, proche de Bacchus, à Lachamp (Musée de Mende ; CIL XIII, 1574 ; Trintignac, (...)

183• Pour les textes et inscriptions, hors du bassin versant de la Loire, on note un document épigraphique166, donc très marginal pour notre propos et non enregistré dans le corpus de données.

• 167 Dont possiblement de la cité limitrophe des Helviens (infra, 1.4.3), mais aussi de celle des Arécom (...)

186• On ne note aucune donnée archéologique concernant le tonneau dans l’aire concernée, mais on doit rappeler à ce sujet la figuration d’un tonneau au pied de la statue de Silvain-Sucellus de Javols (voir corpus, 2^e partie), ainsi que la près probable importante implication de la cité gabale dans la production de tonneaux, sans doute plutôt destinés aux vins de la proche moyenne vallée du Rhône167 (voir infra, conclusions, chap. 3).

• 168 Notamment sur les ateliers connus de sigillée, dont Banassac.

189• Enfin, on ne note aucune donnée pour la production d’amphores vinaires168.

• 169 Également hors de notre aire de recherche.
• 170 Le poissage d’étanchéité des tonneaux est notamment attesté par les grands tonneaux récemment mis a (...)

190La cité gabale, comme celle des Vellaves ci-dessus, couvre une superficie modeste et la part strictement concernée par le bassin versant de la Loire y est en outre fort réduit. Sans surprise, ce territoire de moyenne montagne comporte donc peu de données pour la viticulture et d’ailleurs, les rares items mentionnés ne concernant en général pas l’aire étudiée ici. Mais, avec des représentations de Sucellus, le Dieu au Maillet (cf. supra et corpus, 2^e partie), il apparaît que la cité des Gabales a dû jouer un rôle important dans la production de tonneaux, sans doute surtout pour les vins de la proche moyenne vallée du Rhône (Ferdière 2003 ; cf. Trintignac, Marot et Ferdière 2011 : 33), ceci cependant pour l’essentiel hors de l’aire de recherche choisie ici. Il s’agit d’une région boisée – notamment en pin sylvestre – dans les Causses, dans la partie méridionale du territoire. Et il faut noter, parallèlement, qu’une autre production majeure des Gabales est la poix – résine distillée de pin sylvestre –, notamment sur ces Causses169, en lien justement avec la viticulture, avec le poissage des dolia et d’ailleurs éventuellement des tonneaux170 : ce produit devait sans doute être aussi exporté vers la Narbonnaise centrale et la moyenne vallée du Rhône (Trintignac 2003 ; Mauné et Trintignac 2011 : carte Fig. 13).

• 171 En quasi-totalité dans le bassin versant du Rhône.

191Cette province n’est ici concernée que par l’extrême portion du cours amont de la Loire elle-même, vers sa source au Mont Gerbier des Joncs, dans la “Montagne ardéchoise” ou haute Ardèche : il s’agit donc d’une petite portion occidentale du territoire de la cité des Helviens171, dont la capitale est au Haut-Empire à Alba-Alba Helviorum, avant de passer à Viviers dans l’Antiquité tardive.

• 172 Variété inconnue par ailleurs : compte tenu de l’expansion de ce “plant” (infra), on a proposé de l (...)
• 173 Caractéristique inconnue des botanistes pour les différentes variétés de vigne, possible invention (...)
• 174 Trois chez Columelle, dont la troisième est petite et la meilleure, à feuilles plus rondes, mais se (...)
• 175 Cf. le vin helvenicum, au goût naturellement poissé, produit notamment à Vienne, “connue depuis peu (...)
• 176 Qui ne cite pas Pline, NH, XIV, 32-33.

192Il est à noter qu’une variété de vigne helvienne, dite carbunica172, est attestée par un unique texte, pour ce territoire, de Pline l’Ancien, NH, XIV, 43 (Brun 2001 : 232) : “on a découvert, il y a sept ans, à Alba Helvia, dans la Narbonnaise, une vigne qui passe la fleur en un jour173, ce qui la protège des accidents ; on la nomme Carbunica et la province entière la plante aujourd’hui” (trad. de l’éd. J. André) : “inventée” au début des années 60 de n. è., cette variété de vigne a donc eu un grand succès dans toute la Narbonnaise, pour le raisin de table comme sans doute pour le vin (Dupraz et Fraisse 2001 : 90). Mais les Helviens seraient aussi connus par les trois (ou deux ?)174 variétés de vigne dites Helven(n)acae175(Columelle, Rust., III, 2, 25-26 ; Pline l’Ancien, NH, XIV, 32-33 ; Brun 2001 : 224-225176), à bois grêle, dont l’une, la “petite”, que les indigènes appellent marcus (ou emarcus), à feuilles rondes, donne un vin médiocre, et la deuxième est appelée “la longue” ou “la blanche”. Ces plants doivent être cultivés étayés par des fourches, s’acclimatent mal en Italie, peut-être à cause du mode de culture, et donnent du mauvais vin.

• 177 Respectivement, possibles tonneliers (et/ou charpentiers navals) et transporteurs d’outres.
• 178 Voir aussi, pour la Protohistoire, les données carpologiques pour l’Ardèche : Cabanis et al. 2021a (...)

193Il est donc intéressant de noter, pour cette cité, que c’est la curie d’Alba qui offre à M. Intathius Vitalis, marchand de vin, patron de la corporation des nautes de la Saône, des fabri et des utricularii177, une place réservée au théâtre de la cité, selon une inscription de Lyon (CIL XIII, 1954). On rappellera la récente découverte à Alba Helviorum même de données laissant penser à une viticulture très précoce sur ce territoire helvien, dès le premier âge du Fer (cf. supra, § 1.4.3)178.

• 179 Selon la CAG 07 (Dupraz et Fraisse 2001 : index).

195Cependant, aucune de la petite trentaine de communes de Haute-Ardèche (cantons de Coucouron et Burzet) concernées par le haut bassin versant de la Loire n’a livré de documents illustrant la viticulture179, si ce n’est un unique élément, du domaine de l’iconographie et du cultuel, la statuette en terre cuite possiblement de Bacchus, au Roux, d’intérêt bien secondaire.

• 180 Dans les textes latins (selon Gaffiot 1934 : s.v.), deux termes à peu près synonymes, vinea étant p (...)

197Le dossier des textes mentionnant la vitis biturica (voir André 1952 : 129 ; Brun 2001 ; Ferdière 2006 ; tabl. p. 110) est des plus minces : aux références de base – deux œuvres agronomiques d’auteurs italiens toutes deux du i^er s. de n. è. –, on peut ajouter un rappel dans une œuvre lexicale de la fin de l’Antiquité tardive. Selon les cas, la biturica est donc indiquée comme variété de vitis ou de vinea180.

• 183 Soit seulement un quart de siècle après Columelle et deux ans avant sa propre mort, au cours de l’é (...)

199• Un peu plus tard, c’est au tour de l’encyclopédiste et naturaliste Pline l’Ancien de mentionner cette vigne, cette fois dénommée biturigiaca, dans son Histoire Naturelle, œuvre datée par sa dédicace de 77 de notre ère183 :

• 191 Et encore tout récemment dans un dossier en ligne de l’Inrap concernant l’histoire du vin pour l’An (...)

204Reconnaissons donc qu’objectivement, ce seul dossier textuel ne permet donc pas de trancher, pour l’attribution de cette variété de vigne, entre le Berry ou le Bordelais. Ce débat – et le dossier de la vigne biturica –, développés ici, a cependant fait couler beaucoup d’encre (cf. par exemple Tchernia 1986 : 184, 185, 197, 199, 218, 220, 354). Ce n’est par conséquent logiquement que le poids – moderne et contemporain – de la renommée du vignoble bordelais qui a fait que les historiens, depuis le xix^e s., ont au mieux considéré qu’on ne pouvait trancher de manière définitive (Billiard 1913 : 85, n. 5 ; André 1952 : 129 versus éd. J. André de Pline l’Ancien, NH, XIV), mais se sont plutôt, pour la plupart, prononcés en faveur des Bituriges Vivisques, au détriment des Bituriges Cubi du Berry (Étienne 1962 : 101-108, 292 ; cf. Dion 1959 : 121-126, dont historiographie)191.

• 192 Faute de mieux, on utilisera ce terme générique et neutre pour désigner les variantes de vigne cult (...)
• 193 Telle que par exemple la balisca, souvent associée dans les textes à la biturica (cf. supra).
• 194 Nuance important proposée par L. Bouby (juin 2022), que je remercie encore ici.
• 195 Successivement mentionnée par les deux mêmes auteurs : Columelle (Rust., IV, 29, 16, parmi de nombr (...)
• 196 Rens. L. Bouby, juin 2022.

205En ce qui concerne le caractère “gaulois” de cette vigne “biturica”, on peut cependant ajouter, en faveur de son origine en tout cas des Gaules et non extérieure (contra, par ex., Étienne 1962 : 101-108 ; 1987), un argument au sujet de la maîtrise gauloise des techniques de greffe. En effet, comme l’explique par exemple longuement Columelle (Rust., L. III et IV), – et comme on le sait –, c’est par le marcottage et la greffe que l’on “invente” alors de nouveaux plants192, en croisant des espèces de Vitis vinifera vinifera, voire V. vinifera sylvestris diverses, indigènes ou non193 ; ou plutôt, plants (génotypes) dont l’origine génétique vient de la reproduction sexuée de vigne, dont la multiplication végétative est assurée par ces techniques194. La greffe peut se faire par fente ou à la tarière. Or il existe en Gaule depuis au moins le milieu du i^er s. de n. è une tarière particulière, la terebra gallica ou gallicana195, qui ne brûle pas le bois en le perçant, formant des copeaux et non, comme les autres, de la sciure. Bordelais-Vivisci comme Berrichons-Cubi auraient-ils pu alors pratiquer de telles greffes pour obtenir un plant plus robuste et apte à supporter les climats non méditerranéens de ces régions ? Il semble que – génétiquement – ceci ne soit pas possible196.

• 197 Pline l’Ancien, NH, XII, 5 ; cf. supra, sous-chap. 1.2.

208On verra cependant que – tant en Berry qu’en Bordelais – il n’est pas possible de faire remonter l’introduction de la viticulture au v^e s. av. n. è., date mythique de l’arrivée du raisin et du goût du vin en Gaule avec le légendaire artisan helvète revenu chez lui, après avoir exercé son art à Rome, en rapportant figues sèches, raisin, huile d’olive et vin197.

• 198 Soit en réalité une très vaste part du territoire des Gaules.

210Ainsi, de ce qui précède, il apparaît donc bien que les textes, seuls – comme on pouvait s’en douter –, ne suffisent pas à trancher entre ces deux régions d’origine pour l’invention de la variété biturica. Il faudra donc se tourner vers les données archéologiques, plus largement examinées ici ci-dessus (chap. 1), dans le cadre de la viticulture dans l’ensemble du bassin versant de la Loire198 à la période romaine, où ces données matérielles ont été confrontées à l’ensemble de la documentation textuelle faisant peu ou prou allusion à ces régions de Gaule intérieure.

• 199 Voire iconographique. Pour les catégories de sources et leur critique, voir supra, 1.3.
• 200 En tenant cependant compte, pour les quantités de données archéologiques, du fait que la superficie (...)

211Afin de tenter d’apporter, le plus objectivement possible, sinon une réponse à ce dilemme “Bordelais versus Berry”, du moins le plus large enrichissement de la documentation et argumentation, il est par conséquent nécessaire de mettre en regard les données – textuelles et archéologiques199 – respectivement disponible pour ces deux cités de la province romaine d’Aquitaine, Bituriges Cubes et Bituriges Vivisques200. Il se trouve que le dossier de la viticulture pour ces deux civitates a fait l’objet de travaux récents : Berthault 2000 ; Balmelle et al. 2001, pour l’Aquitaine – ainsi que Bouet 2015 : 70-74 (Fig. 25a) – et plus particulièrement le Bordelais, et Dumasy et al. 2011, pour le Berry.

• 203 En particulier à partir de la Base de Données OUTAGR.

213Quant à ces données archéologiques, on procédera ici, pour les Bituriges Vivisques, comme on l’a fait pour les autres cités du bassin versant de la Loire, à une révision critique sévère, tant pour les éventuelles installations que pour les supposées serpettes de vigneron203 ou encore pour les données archéobotaniques. Force est de constater en effet, dans la recherche en ce domaine, une certaine tolérance frôlant la surinterprétation, en vue de démontrer parfois de force l’existence d’une viticulture développée dans la région concernée ; et ceci bien sûr indifféremment, selon les cas, pour le territoire berrichon et celui bordelais…

• 204 C’est selon lui le cas d’Étienne 1987.
• 205 Cf. Balmelle et al. 2001 : 130 et 161.
• 206 Comme le souligne Jean-Pierre Bost – que je remercie ici de me l’avoir communiqué – dans un texte i (...)

214Il y a plus d’une quinzaine d’années, Philippe Leveau (2005 : 310-311) soulignait déjà à juste titre que, pour cette question de l’attribution géographique de l’origine de la biturica, le dossier était loin d’être clos : d’une part, le poids des traditions historiographiques qui ont fait appel plutôt aux seules données textuelles204 qu’à la documentation archéologique, non systématiquement prises en compte, au moins depuis la fin du xx^e s., ce qui a fortement pesé dans le débat ; de l’autre, le choix du Bordelais pourrait – on le verra – sembler rester malgré tout privilégié205 par les données archéologiques, aux dépens du Berry. Ceci même si l’on prend en considération le fait que les structures et bâtiments liés à la viticulture peuvent ne pas être en maçonnerie “à la romaine” mais en matériaux périssables de terre et bois, et surtout que dans les Trois Gaules, on a affaire à des chais à tonneaux moins facilement identifiables que ceux à dolia de Narbonnaise. Il concluait justement ainsi – quant à cette introduction dès le i^er s. de la viticulture en Gaule intérieure – en se demandant “pourquoi exclure des innovations qui seraient venues sur les bords de la Loire et en Aquitaine [du nord-est] sans passer par la voie conduisant de Narbonne à Bordeaux ?” et en laissant, en quelque sorte, la porte ouverte à l’hypothèse berrichonne206.

• 207 Le Comte Odart (1859 (6^e éd.) : 257), avec la même identification, évoque Jules César à son sujet, (...)
• 208 Voir plus bas la discussion au sujet de l’origine des cépages actuels, sous-chap. 2.4.

217Quand – exceptionnellement ! – la vigne biturica est attribuée au Berry par les ampélographes, elle est parfois identifiée au cépage Cabernet, ou encore au Genouillet/Genouilleret ou Moret noir (Guicherd 1905 : 147), un cépage berrichon notamment cultivé au xix^e s. dans les vallées du Cher et de l’Indre207. En vérité, les études ampélographiques les plus sérieuses – et plus récentes (Bisson 1995 ; 2009208) – se gardent bien de proposer de telles équivalences entre la variété de vigne à vin connue sous le vocable de biturica et nos cépages traditionnels actuels (voir supra).

• 209 Dumasy et al. 2011.
• 210 En renvoyant à la conclusion, de même ordre, de Ferdière, Luberne et Ruffier 2000 : 248, tout en re (...)

220Si le développement de la viticulture est bien, dans cet article (Dumasy et al. 2011)209, lié à la question de l’attribution de la biturica et qu’est ainsi proposé – ce qui reste raisonnable – de prendre en considération l’hypothèse berrichonne au moins au même titre que celle bordelaise, une forte faveur est exprimée (op. cit. : 148) pour la première, sans toutefois aller jusqu’à l’affirmation, la certitude210.

• 211 Analyses portant sur des amphores Pascual 1 et Dr.2/4, comparées à celles des pâtes d’amphores prod (...)
• 212 Affluent de la Vienne, sur laquelle se trouve Crouzilles.
• 213 Si ce n’est dans les “épaves à dolia” de la côte méditerranéenne et du Rhône, ici hors de propos.
• 214 Produits notamment sur l’atelier de Crouzilles “Mougon” en même temps que les amphores (Schweitz et (...)

221Cependant, il n’est pas possible de suivre les conclusions de ces auteurs pour une partie de leur argumentation. Tout d’abord, tout le développement précédent (p. 144-147), concernant les relations de la Biturica avec les productions régionales et locales d’amphores vinaires ne tient pas : en l’absence d’ateliers attestés, c’est faire fi de la potentialité de telles productions potières en Berry, sans tenir alors compte de celles mises justement en lumière plus haut (p. 131-134). Par ailleurs, les deux ateliers d’amphores produisant précocement des Pascual 1 (supra, Montans et Crouzilles) sont assez éloignés des régions candidates pour la Biturica, le Bordelais et le Berry. Surtout, ce sont des Dressel 2/4 et non des Pascual 1 qui sont produites à Crouzilles, comme il est d’ailleurs dit fort justement plus haut (Dumasy et al. 2011 : 131), dans ce cas sans ces erreurs : ces Dr. 2/4 y sont en effet fabriquées vers la “fin de la première moitié du i^er s. ap. J.-C.” (Schweitz et al. 1986 : 63) et l’atelier de Mougon n’a sans doute pas fonctionné avant ces années 30-40 de n. è. (Salé 2015 ; Moreau 2016). En fait (p. 145), cette supposée production d’amphores de type Pascual 1 de Crouzilles – atelier qui n’a jamais fourni “le moindre tesson de Pascual 1” (Dumasy et al. : 134) – ne repose que sur la découverte à Rennes d’amphores de ce type datées de la première moitié du i^er s. de n. è. (Labaune 2008) et attribuées à cet atelier tourangeau sur la base d’analyses physico-chimiques de seulement deux tessons issus des fouilles de la place Hoche (Laubenheimer, Cantin et Schmitt 2005 : 382 ; cf. op. cit. : 134)211, une argumentation, à mon sens, pour le moins insuffisante. Enfin, continuant dans cette lancée quant aux relations avec les ateliers produisant des amphores à vin, les auteurs s’aventurent alors dans un invraisemblable scénario de transport des vins du Berry jusqu’à ces ateliers par voie d’eau, et notamment par la Creuse212 pour Crouzilles et par le Cher pour Thésée-Pouillé, en tonneaux, alors qu’avec de tels conteneurs, on ne voit pas pourquoi on changerait ensuite de conditionnement pour la commercialisation du vin des Bituriges Cubi. Ceci notamment, pour la Creuse – à leurs dires –, à partir d’Argentomagus et peut-être du Blanc, où l’on invoque la présence de dolia poissés (Coulon et Tardy 1993 ; cf. Dumasy et al. 2011 : 145), alors que d’une part les vases à provision dénommés ici dolia n’ont en général – du moins dans ces régions – pas grand-chose à voir avec le transport de vin213 et que de l’autre ces dolia à bord poissé sont très courants dans ces régions214, correspondent à des vases de stockage de denrées alimentaires indéterminées et non, comme en Narbonnaise – où ils sont en outre de bien plus grande capacité (Carrato 2017a) –, à la vinification.

• 215 Ceci confirmé par Laurent Bouby, rens. en date du 12 juin 2022.

223Notons enfin qu’aucune donnée paléo-génétique, sur l’ADN de pépins de raisin, n’a, à ce jour, été recueillie, faute d’analyse, pour l’ensemble du centre de la Gaule et notamment pour le Berry215. Et l’on pourra voir enfin le développement actuel de la viticulture en Berry (Fig. 26)…

• 216 Celui-ci émet même (p. 68-69), à propos d’un texte d’Ausone (cf. corpus en ligne), l’hypothèse d’un (...)
• 217 “… difficile de l’attribuer aux Bituriges de Bourges”.
• 218 Malgré l’absence de mentions textuelles avant le vi^e s. ; cette position est encore suivie par exem (...)
• 219 Selon lui, parallèlement à l’allobrogica pour l’aire rhodanienne.

225Pour la biturica – on l’a dit –, il est clair que la bibliographie antérieure se prononçait très majoritairement en faveur du Bordelais, pour des raisons évidentes (cf. supra, introduction à 2.3), la renommée plus forte de ses vignobles aujourd’hui. C’est donc notamment le cas, déjà, de Camille Jullian216 (1907/26, L. V, chap. 26, t. 2 de la rééd. : 68217) puis de Robert Étienne (1962 : 102-108) et auparavant de Roger Dion (1959 : 121 sqq.), qui indique quant à lui que la biturica était cultivée en Bordelais avant le milieu du i^er s., même si, selon lui (p. 160), la viticulture a été sans doute implantée assez tôt au moins dans le Val de Loire en aval d’Orléans218. Il en est de même plus récemment, dans cette étude synthétique de C. Balmelle (et al. 2001 : 130 ; 150), et l’ampélographe J. Bisson (2009 : 31 sqq.) n’envisage pas plus de placer la biturica, élaborée à partir de la lambrusque locale, ailleurs qu’en Aquitaine actuelle219.

• 220 Voir les importations massives de vins italiens ou espagnols à Bordeaux au i^er s. av. n. è. : Berth (...)

226Pour toutes ces raisons, le Bordelais est une région déjà bien étudiée pour sa viti-viniculture à l’époque romaine. On se reportera en général à : Étienne 1962 ; Berthault 1990 ; 2000 ; 2004 ; Balmelle et al. 2001 ; Bost 2002 ; 2005 ; 2009 ; 2010 ; Vernou et Berthault 2005 ; Bost et Bohny 2017 ; cf. Tchernia 1986 : tabl. p. 354220.

• 221 En excluant bien sûr ici, comme a priori non localisées, les mentions de la biturica/biturigiaca.
• 222 Province romaine dont la cité des Bituriges Cubi du Berry fait d’ailleurs également partie.
• 223 Traduction E. Galletier.

227• Pour les textes, on dispose donc, au sujet de la viticulture de cette cité, d’un dossier assez fourni221, avec non moins de sept mentions, cependant toutes tardives (Brun 2001 ; voir aussi Maurin, Bost et Roddaz 1993 : 106-108 ; et cf. Balmelle et al. 2001 : 130-131), dont au moins cinq concernent explicitement le Bordelais. En outre, mentionnons ici – pour toutefois l’ensemble de l’Aquitaine222 et non spécifiquement la cité de Bordeaux – une allusion des Panégyriques (VIII, 6, 8, de 312) qui, au début du iv^e s., indiquent que dans cette province d’Aquitaine, contrairement aux règlements concernant la cité des Éduens (infra, sous-chap. 1.2), on peut “assigner n’importe où un terrain à de nouvelles vignes”223. On observe en tout cas un sérieux dossier textuel pour la viticulture en Bordelais, exclusivement tardif, soit – pour les textes les plus anciens – près de trois siècles après les mentions spécifiques de la biturica.

• 224 Une commune où l’on signale un bassin à cuvette (cf. corpus en ligne).

230• Le corpus d’outillage n’est pas très développé : ici, les serpettes semblent donc toutes bien identifiées comme caractéristiques de la viticulture (Fig. 27). On pourrait y ajouter la mention d’une “serpette en fer” (sans précision) à Baigneaux224 “Sablat” (Gironde), sur un petit établissement gallo-romain (Sion 1994 : 308).

• 225 Signalons en outre que l’éd. Leclercq du Testament de Bertrand (cf. textes, dans le corpus) signale (...)

231• Il en est de même pour les tonneaux, avec cependant – outre la stèle du tonnelier – deux ensembles importants de données, si l’on considère ici aussi qu’il s’agit de production de tonneaux à vin225.

• 226 Hormis les restes de pieds et ceps de vigne sans doute in situ signalés (corpus en ligne, Bituriges (...)

232• En revanche, aucune plantation de vigne n’est à ce jour mentionné pour l’ensemble de la cité226.

• 227 Il faut en outre signaler une supposée autre découverte archéobotanique, à Bordeaux, dans les fouil (...)

233• Quant aux données archéobotaniques, il s’agit surtout de carporestes : dans les cinq cas concernés, s’il n’est bien sûr pas possible d’affirmer que ces vignes et raisins soient pour la production de vin, ceci atteste en tout cas la culture de la vigne à Bordeaux durant toute la période romaine et dès la première moitié du i^er s. Quant aux rares données palynologiques, pour le Haut-Empire, cependant, il ne s’agit pas de vigne cultivée, y compris sans doute pour l’Antiquité tardive227.

• 228 L’amphore aquitaine typique (Berthault 1999 : 459 ; Berthault et Watier 1988 : 158), avec notamment (...)
• 229 Rens. Frédéric Berthault, juin 2022, que je remercie ici.

234• Enfin, pour la production d’amphores vinaires, plusieurs fouilles récentes de Bordeaux ont permis de mettre en évidence une production régionale (i^er-ii^e), sans que cependant les ateliers en soient encore identifiés et localisés : à Bordeaux même ou alentour ? (Berthault 1988 : 158 ; 1992 : 96 ; cf. Benquet 2009 ; Benquet et Sanchez 2021 : 281, cartes Fig. 1 et 6). Il s’agit d’amphores à fond plat, majoritairement de formes G.5, G.3/5228, mais aussi G.7, Dr.28, et Oberaden 74, types régionaux localement datés de 50 à 170 de n. è. et proposés comme conteneurs des productions vinicoles bordelaises. Des analyses de pâte ont été réalisées (Berthault 1988 : 165-166 ; 1992 : 97-100) et des exportations ont dès lors été notées à Angers (Siraudeau 1988 : Fig. 07-6, Pl. A3 ; Fig. 11-33 et 36, Pl. 24 ; Fig. 22-12, Pl. 47). Pour les formes Dr. 2/4, Dr. 28, Ob. 74, G.3, G.5, il s’agit au départ d’imitations, avant que n’apparaisse une forme hybride, la G.5/6 (= Aquitaine 6), et surtout une forme propre, imitation de la G.5, qui dès lors supplante toutes les autres et se retrouve dans toute l’Aquitaine, entre 70 et 150229. En 1992, les amphores “bordelaises” n’étaient connues que sur une grosse douzaine de sites de l’Aquitaine actuelle, dont dans le territoire-même de la cité vivisque (Maurin, Bost et Roddaz 1993 : carte p. 107) (Fig. 28).

• 230 ²²⁹ Il faut toutefois souligner le fait que des ateliers urbains, ou encore en bord de cours d’eau (...)

235Il faut donc reconnaître qu’en l’état, l’ensemble de ces données indirectes – en l’absence d’atelier matériellement identifié – de production locale d’amphores vinaires n’intervient pas de manière totalement péremptoire dans le dossier de la viti-viniculture de la cité vivisque230.

• 231 Avec notamment la comparaison des cartes de répartitions des différentes catégories de données entr (...)

236En définitive, on pourra constater plus bas (2.4 et chap. 3)231 que, très objectivement, la documentation, tant textuelle qu’iconographique et archéologique, n’apparaît donc pas beaucoup plus en faveur de la viticulture dans le territoire – certes de moindre superficie – de la cité des Bituriges Vivisques que chez leurs homonymes Cubes du Berry…

• 232 Il est par exemple remarquable que l’importante part de l’article de Catherine Balmelle (et al. 200 (...)

237On note cependant en Bordelais plusieurs installations viticoles caractéristiques (surtout bassins à cupule, à défaut de pressoirs ou chais) : avec d’autres données – dont le dossier des textes –, se dessinent ainsi en Aquitaine antique du Sud-Ouest deux principales aires de développement de la viticulture : le secteur de Charente et Cognac et celui du Bordelais qui nous intéresse ici (Balmelle et al. 2001 : 132 ; cf. carte Fig. 61) ; même si, pour ce dernier, une bonne part des données – et parmi les plus représentatives232 – sont en fait hors du territoire de la cité des Bituriges Vivisques, chez les Pétrocores (Périgord occidental), et n’ont par conséquent pas été inventoriées (cf. corpus en ligne).

• 233 Quelques données, peu nombreuses, parvenues trop tard à ma connaissance, n’ont pu être intégrées da (...)

240Quantitativement et qualitativement (données certaines ou douteuses), tout d’abord, comparons par catégorie la cartographie des données des deux cités233 :

• 238 Mais alors sans prendre en compte l’effet de source en faveur du Bordelais, dû à la notoriété de ce (...)
• 239 À la suite de la découverte du vignoble de “Saint-Martin-des-Champs” à Bourges, j’écrivais en 2000 (...)
• 240 Sur ce débat, voir encore : Ferdière 2013 : 427, note 300.

241Toutes catégories de données confondues (Fig. 38), peut-être peut-on donc accorder un léger avantage au Bordelais, avec, proportionnellement, une plus forte représentation des données fiables238. En définitive, va-t-on donc renvoyer dos à dos les deux cités candidates à l’origine de la vitis biturica239 ? Il faut bien reconnaître qu’à l’évidence, le dossier strictement archéologique ne permet pas vraiment de trancher en faveur de l’une ou de l’autre, même s’il montre une viticulture apparemment bien développée, et dès le Haut-Empire et même dès le i^er s. de n. è., dans les deux cités, avec peut-être un léger avantage pour cette des Bituriges Vivisques240. En vérité, si l’on fait objectivement le bilan pour les deux cités – Vivisci ou Cubi –, certaines catégories de données font pencher pour la première, d’autres pour la seconde, avec peut-être, cependant, cette légère faveur pour le Bordelais, en tout cas quant aux mentions textuelles et aux installations vinicoles. L’analyse qui vient d’être faite de la synthèse récente sur la viticulture antique en Berry (§ 1.4.2.2 ; Dumasy et al. 2011) dispense d’y revenir ici en détail.

• 241 Plutôt que d’aller chercher des amphores vinaires dans les ateliers de potiers de leurs voisins tur (...)
• 242 Et les chances de trouver un tonneau d’origine traçable portant une inscription qui mentionne la bi (...)

242En réalité – et ceci a déjà été dit très justement par d’autres –, il est fort probable que l’on n’aura jamais la preuve absolue de l’attribution de la vigne biturica au Berry ou au Bordelais : certes, ce pourrait être la découverte d’un titulus pictus la mentionnant explicitement sur une amphore de production locale (dans la cité), mais cette dernière paraît en l’état peu développée sur le territoire de la civitas Biturigum Cuborum : ceci rend donc, dans ce cas, cet espoir assez vain ! Cependant – contrairement au constat négatif de F. Dumasy et al. 2011 –, cette absence d’ateliers importants de production d’amphore vinaires ici est tout d’abord à relativiser, car des productions “berrichonnes” sont identifiées, à Argentomagus, et ailleurs (cf. Faverdines) ; mais, surtout, cet argument d’absence ne me paraît pas fondamental dans ce débat : en effet, les Bituriges Cubes ont pu241 dès l’origine privilégier le tonneau à l’amphore, parce qu’il sert à la fois à la vinification mais aussi, en l’occurrence, comme conteneur, au transport à l’exportation242.

• 243 Voir Gaffiot 1934 : s.v bituricus/a, la forme biturigiacus/a n’étant apparemment utilisée que par P (...)

244• Paradoxalement, tout d’abord, c’est en effet peut-être le dossier textuel lui-même de la biturica/biturigiaca (cf. supra et surtout corpus, en ligne) qui pourrait permettre d’accorder ce léger avantage au Berry, avec un argument d’ordre “lexical” concernant l’usage du vocable “Bituriges” sans précision (de “Cubi” ou “Vivisci”). “Bituricus” est l’adjectif formé sur le nom du peuple/cité des Bituriges243, qu’ils soient Cubi ou Vivisci. Le fait que, pour cette variété de vigne, bituric

• 244 Cet argument déjà invoqué dans : Ferdière, Luberne et Ruffier 2000 : 248.
• 245 En rappelant que César (G) ne connaît déjà que les Bituriges du Berry ; la précision/distinction de (...)
• 246 Je remercie J.-P. Bost d’avoir confirmé ce point en me transmettant ces informations et références  (...)

246Ne peut-on, justement, tirer une indication de cet argument a silentio ? Si Isidore ne croit pas utile d’apporter cette précision, ne serait-ce pas parce que, pour lui, à son époque (toute fin du vi^e-début du vii^e s.), c’est une évidence, le terme de “biturige”, sans plus de précision, étant clair pour ses contemporains244 ? L’ambiguïté du terme serait ainsi levée et il désignerait clairement l’appartenance à la seule cité des ex-Bituriges Cubes (alors cité de Bourges, soit le Berry historique), le ressort à la cité de Bordeaux étant en revanche alors toujours clairement précisée “Viviscorum”. Au cours de la période romaine, le vocable “Bituriges”245 finit en effet par ne désigner que les Cubi du Berry, et non plus les Vivisci du Bordelais : on observe ainsi la disparition du nom des Bituriges Vivisques dans le courant du iii^e s. et la chose est acquise dans l’Antiquité tardive, ces derniers étant alors désignés par le terme Burdigalenses (Jullian 1890, II : 545 ; et surtout Bost et Perrier 1889 : 63-66 ; Bost 2002 ; 2005 : 105 ; 2009 : 218-220 ; 315 sqq.)246.

• 247 Trois occurrences (hormis biturigiaca), l’une (NH, IV, 109) avec la précision “Cubi” dans la liste (...)
• 248 En fait une seule occurrence (NH, IV, 108), dans la liste des cités d’Aquitaine.

247On peut d’ailleurs constater (cf. déjà Ferdière, Luberne et Ruffier 2000 : 248) que, dès la seconde moitié du i^er s. – siècle de quand datent toutes les autres mentions de la vigne biturica –, les “Bituriges” sans précision désignent, chez Pline l’Ancien, systématiquement le Berry247 alors que le Bordelais y est bien désigné par le vocable de Bituriges Vivisci248 (Willaume 1969 : 61, s.v).

• 251 Cf. Dion 1959 : 105-107 ; Balmelle et al. 2001 :161 sqq.

251Ainsi, quant à l’ancienneté de la viticulture et à l’“invention” de la biturica, c’est donc le Bordelais qui est privilégié par le premier axe (a)251 et le Berry par le second (b).

• 252 Paradoxalement, cf. supra la proposition de Robert Étienne (1962 : 104-106 ; 1987) de la balisca ve (...)
• 253 Voir notamment les récents résultats, dans ce sens, des recherches paléo-génétiques (Terral et Boub (...)
• 254 Il est en outre à noter, au sujet de ces voies de pénétration du vin puis de la viticulture en Gaul (...)

253Au-delà de ce constat, peut-on s’aventurer à proposer ainsi que – très tôt – la voie orientale, à partir de Massalia, ait concerné l’introduction de plants plutôt d’origine grecque252, permettant d’obtenir des “cépages” indigènes mieux adapté – telle la biturica –, alors que la voie occidentale, à partir de Narbo, ait plutôt favorisé les plants d’origine hispanique253… ? Cette hypothèse serait aventureuse mais à tout prendre envisageable, en l’état des connaissances254.

• 255 Au moins la Loire moyenne, jusqu’à la Touraine (sans doute exclue).

254En outre, enfin, quant à cet argument sur les voies de pénétration de la viticulture antique en Gaule intérieure depuis le monde méditerranéen, on a vu plus haut (1.1) que les recherches génétiques d’une part, ampélographiques de l’autre, semblent bien montrer aujourd’hui que la plupart des cépages de l’Est, du Centre-Est et du Centre de la France255 (et donc auparavant de la Gaule) ont une origine à rechercher par des voies non méditerranéennes mais sans doute par le nord des Alpes.

• 256 C’est à ces mêmes pratiques d’hubris que se réfèrent encore des mentions textuelles : Strabon (Géog (...)
• 257 Divers fragments, cités par d’autres auteurs.

256On notera en tout cas que l’origine du développement, sans doute précoce, de la viticulture en Gaule intérieure est – on l’a dit – indubitablement liée au goût des indigènes pour le vin, qui remonte au moins à la fin de la période hallstattienne – début de la période laténienne (LT A1). Ce penchant256 – en fait plutôt lié à des pratiques cultuelles et sociales, concernant d’abord les élites – est noté par les auteurs antiques (voir leur recension dans : Poux 2004 : 583-604), depuis Platon, tels que Posidonios257, Diodore de Sicile (Bibl. Hist., V, 25-27, et autres passages), vers 30 av. n. è., ou encore son quasi contemporain Denys d’Halicarnasse (Ant. Rom., XIII, 10 ; XIV, 8), à propos des Celtes en Italie au v^e s. av. n. è., ainsi qu’avec le mythe de son introduction en Gaule intérieure par l’Helvète Hélicon, cité plus haut (§ 1.2).

• 258 Voir les importations en amphores vinaires massaliotes, finalement assez peu représentées à Vix mai (...)
• 259 Si du moins on se fie aux informations nouvelles de la biochimie, de plus en plus abondantes.
• 260 Sans doute de vigne sauvage, dont les pépins sont reconnus dans ces contextes.
• 261 Observation L. Bouby, juin 2022, que je remercie ici.
• 262 Qui ne sont donc pas vraiment du vin, ces travaux récents jouant un peu sur les mots…
• 263 Information L. Bouby, juin 2022 (Limier et al. 2018).

257Certes, les importations de vins méditerranéens dans les secteurs les plus développés économiquement que sont la région de Vix (Milcent 2004) et, justement, le Berry (voir par ex. Milcent 2007 : 266-272) (Fig. 40) ne doivent pas être surestimées258. Mais on constate cependant apparemment très tôt259, au premier âge du Fer, dans ces régions de Gaule intérieure, la présence assez importante, sinon de véritables vins locaux, du moins de jus de raisin260 fermenté, selon des techniques proches de celle des bières de céréales. Ceci mériterait toutefois d’être examiné de plus près, les sucres du jus de raisin étant alors directement utilisés par les levures, à la différence de l’amidon des céréales261, ce qui distingue ces produits du vin stricto sensu. Cependant, de tels produits262 sont par exemple notés pour l’Armorique comme pour la région de Vix (cf. récemment : Chérel et al. 2018 : 77-78 ; Chérel et Frère 2020 ; cf. Perrin 2004 (rééd. 2009) : 229 ; Chérel 2020 ; cf. Garnier, Silvino et Djaoui 2020), sinon pour le Berry, en l’absence d’analyses de ce type. De même, des découvertes à Alba-la-Romaine “Grande Terre” (Ardèche) ont tout récemment livré des ceps de vignes cultivées – sous forme de charbons de bois, dont de bois mature263 –, pépins de raisin et traces de vin dans des récipients, dans un contexte daté au moins du v^e s. av. n. è. (Brèves… 2020 ; Loin… 2020 ; Cabanis et al. 2021a et b).

• 264 Voir Dig. (Ulpien), 33, 6, 9 (cf. éd. de Pline, NH, XIV : 153-154, n. 2).
• 265 = Trogue Pompée, Hist. Phil. ; texte non cité dans la recension de M. Poux (2004 : 583-604) ; cf. e (...)
• 266 Rens. P.-Y. Milcent, déc. 2020.

258En droit romain, d’ailleurs, ces boissons fermentées de grain ou fruit ne sont pas du vin264 stricto sensu et sont alors plutôt considérées comme propres aux “Barbares”. Et l’on renverra, ainsi, à l’introduction légendaire de la viticulture par les Phocéens qui fondent Marseille en 600 av. n. è. et initiant à partir de là les Gaulois à la taille de la vigne (vitem putare : Justin, Epit., XLIII, 4265, citant Trogue Pompée). En outre, aux vi^e-v^e s. av. n. è., on constate un effondrement du système socio-économique et culturel préexistant266 qui rend délicate l’attribution de l’implantation d’une viticulture du moins pérenne dans ces régions.

• 267 Voir Tchernia 1983 ; Fitzpatrick 1985 : 319-320, Fig. 8 ; Roman 1983 : 173-180, Fig. 39 ; 1985 ; 20 (...)
• 268 Ce travail récent dispense de citer la bibliographie antérieure. Pour ce site, on notera un apparen (...)

259Peut-être faudrait-il, dans cette hypothèse, attendre la période laténienne, voire La Tène finale, pour constater ce développement indigène de la viticulture et possiblement de la viniculture. On constate en tout cas, au ii^e s. et dans la première moitié du i^er s. av. n. è., l’accroissement massif des importations de vin italien à travers toute la Gaule267 (cf. supra, Fig. 6). Alors, le Berry n’est pas en reste pour le nombre de ces importations vinaires, avec notamment les emblématiques soi-disant “caves à amphores” de l’oppidum de Châteaumeillant (voir récemment : Laubenheimer et Barthélemy-Sylvand 2010)268. Mais, précisément, les quantités massives importées – ici comme partout alors en Gaule – sembleraient aller à l’encontre de l’hypothèse du développement de la viti-viniculture en Berry à la même période.

• 269 Ne serait-ce que par les coûts ajoutés du transport, mais aussi sans doute par la renommée de ces v (...)

261Mais on pourrait rétorquer à ceci que les importations massives de vins italiens puis espagnols constatées à ces deux périodes successives de La Tène finale sont, selon toute apparence, essentiellement destinées à l’aristocratie gauloise – et en l’occurrence ici celle des Bituriges Cubes –, pour leurs festins ou libations ou encore pour accompagner ces hauts personnages dans la tombe, comme marque de puissance et de richesse, pour un produit qui devait alors être coûteux269. Ainsi, ceci n’interdirait pas que l’engouement du vin, de cette manière suscité dans la population du Berry gaulois par ces exemples “d’en haut”, ait dès lors incité les populations bituriges à développer à moindre coût – et cette fois à destination de tous – une production propre de vin et donc une viticulture locale, occasionnant dès lors l’“invention” de la biturica : on constate un processus de ce type dans l’aire méditerranéenne de la Gaule aux v^e-iv^e s. av. n. è. (Bouby, Marinval et Terral 2014). Cependant, la date de la véritable “démocratisation” de la consommation de vin en Gaule intérieure ne semble pas antérieure au milieu du i^er s. de n. è.

• 270 Discipline commune à la botanique et à l'œnologie, traitant des “cultivars” – variétés d'une espèce (...)
• 271 S’appuyant principalement sur les travaux de L. Levadoux (1948 ; 1953 ; 1956 ; André et Levadoux 19 (...)

264Mais, dans ce débat, sans doute faut-il en revanche, aujourd’hui, prendre en compte plus systématiquement les apports de l’ampélographie270, une discipline spécifique aux frontières de la botanique et de l’œnologie. On se référera principalement ici aux travaux de Jean Bisson (2009 : cf. Partie D, chap. 2, p. 89 sqq., voir tabl. général, p. 131 sqq. et tabl. synoptique, Fig. 23 et son commentaire, p. 134)271, qui distingue au total 16 “écogéogroupes” (cf. ses tabl. Fig. 4 et 5) (cf. supra, Fig. 5), parmi lesquels on retiendra ici ceux qui semblent pouvoir être en lien avec les territoires antiques d’une part du Bordelais (Bituriges Vivisci), de l’autre du Berry (Bituriges Cubi).

• 272 Cette extension en Touraine est mise en doute par H. Galinié (2021 et à paraître).

267b) les Cots (Bisson 2009 : p. 96-98) (Fig. 41b), dont le noyau d’origine est au sud-ouest du Massif Central ; dérivant des Courbus, ils connaissent une extension vers l’Anjou-Touraine272 ; partie du groupe Subproles aquitanica, concernant tout le Bassin aquitain ;

• 273 Selon J.-M. Boursicot, rens. oral 2003 (Bisson, loc. cit.).

271a) les Gouais (Bisson 2009 : 102-104) (Fig. 41e), dont l’aire sur le Nord-Est et le Centre-Est de la France ; selon les recherches sur l’ADN, leur origine serait en Styrie et Croatie273 ; ils appartiennent au groupe Subproles austrasica (Gubiae) (Berget 1903 ; voir aussi Boursiquot et al. 2004 ; et plus largement : Boursiquot 2019) ; dès le Moyen Âge, ils constituent le fond pour la Champagne, la Lorraine et l’Île-de-France, puis pour la Basse Bourgogne, le Bourbonnais et la moyenne vallée de la Loire ; sans doute venus du nord-est par la voie du nord des Alpes, il s’agit d’un élément des plus importants (Galinié 2021), dont l’extension vers le Sud (dont Berry ?) pourrait en fait être plus marquée ;

• 274 Voir définition supra, § 1.1.
• 275 Cette thèse, importante pour la génétique, a été examinée plus en détail ci-dessus, au § 1.1.

275Ainsi, ces écogéogroupes ampélographiques274 montrent qu’il faut nettement distinguer, pour les “vins de Loire”, quant à leur origine, une aire occidentale (Nantais, Anjou, Touraine), plus en lien avec des origines venues du Sud-Ouest et d’Aquitaine, d’une aire plus centrale (Orléanais mais aussi Berry), quant à elle à rattacher plutôt aux groupes du Centre-Est et de l’Est (Bourgogne, Champagne et au-delà). Mais, surtout ici, justement, on observe bien aussi que le territoire berrichon (de nos Bituriges Cubi), est donc dans cette aire d’influence nord-orientale, sans doute en grande partie issue de la voie de pénétration de la viticulture non depuis l’aire méditerranéenne mais par celle du nord des Alpes (supra, voir Lacombe 2012275) : des voies par conséquent fondamentalement différentes de celles des écogéogroupes concernant le Bordelais, par le Sud et sans doute au moins en partie l’Espagne.

• 276 Absence d’analyses confirmée par Laurent Bouby, rens. juin 2022 : voir cependant quelques pépins en (...)
• 277 À noter au passage un autre échantillon médiéval (2^e moitié du xi^e s.) provenant du site de “La Mad (...)

276Au-delà de ce point de vue ampélographique qui apparaît en définitive assez suggestif, il est certain que les analyses paléo-génétiques (ADN) sur des pépins trouvés réciproquement en Berry et Bordelais permettraient d’avancer dans la recherche de l’identification de cette “variété” biturica et en tout cas sur les origines génétiques des plants cultivés dans l’un et l’autre de ces terroirs. Mais, pour l’instant, ces recherches ne sont pas assez avancées et n’ont porté que sur des pépins provenant de sites de Transalpine/Narbonnaise, et notamment le Languedoc (Bouby et Marinval 2001 ; Bouby et al. 2005 ; 2013 ; 2019 ; 2021 ; Ramos-Madrigal et al. 2019 : tabl. p. 597-598)276 (Fig. 42), avec seulement une vingtaine d’échantillons277, provenant de contextes archéologiques datés de la fin du vi^e s. av. n. è. au début du vi^e s. de n. è.

• 278 Cette cartographie a été réalisée par Daniel Morleghem (LAT, UMR CITERES, Tours), que je remercie i (...)

279Ainsi, les cartes réalisées par catégories de données permettent, d’abord, d’observer l’ensemble du bassin versant de la Loire à l’aune des realia, avec les aires plus ou moins bien documentées selon les données278.

• 279 En fait peu déterminantes.
• 280 Celles du Dieu au Maillet étant sans doute bien plus représentatives que celles bachiques.

281• Iconographie (B) : pour les représentations de vigne279, rien de net ne se dessine, alors que, pour les représentations divines280, une nette concentration s’observe dans le tiers amont (sud-est) de l’aire ici prise en compte, région privilégiée du culte du Dieu au Maillet (Fig. 44a et b), les documents liés au culte de Bacchus n’ayant ici qu’un pouvoir heuristique assez négligeable.

• 281 Il est vrai avec surtout des serpettes de vigneron, dont une bonne partie des exemplaires retenus p (...)

283• Outillage (D) : avec une quantité importante de données281, la répartition paraît privilégier certains secteurs au détriment d’autres – avec des vides manifestes, notamment à l’ouest –, mais ceci est sans doute au moins en partie dû à des enquêtes plus ou moins poussées dans ce domaine d’une région à l’autre (Fig. 46).

• 282 Un peu à l’image de ce qu’on note pour les installations viticoles (supra) et les productions d’amp (...)

284• Tonnellerie (E) : les données enregistrées, un peu au hasard des effets de la taphonomie pour ce qui concerne en tout cas les restes de tonneaux, se concentrent en aval (ouest) et en amont (sud-est) du bassin versant (Fig. 47)282.

• 283 Carte assez similaire à celle des installations viticoles, ce qui ne saurait surprendre. Avec il es (...)

287• Productions d’amphores vinaires (H) : des ateliers attestés un peu partout, assez bien répartis, dans une majorité de cités283 (Fig. 50 et 51).

• 284 Documentation en fait ici essentiellement selon les dossiers de Gallia 2001 et 2011 (Brun et Lauben (...)
• 285 Une situation que, globalement, ne contredisent pas les corpus un peu plus développés et l’ajout de (...)

289Resteraient à explorer, en relation avec la documentation réunie ici, les conditions naturelles de ces territoires de cités concernés par le bassin versant de la Loire, du point de vue de la géo-pédologie, de sols, de la géomorphologie (pentes, vallées…) et du climat. À ce titre, on peut observer avec intérêt le modèle prédictif selon ces données naturelles, hydrologiques, climatiques, géomorphologiques et géologiques des zones favorables au vignoble en Gaule au i^er s., comparé avec les données archéologiques connues avant cette nouvelle enquête et dont sans doute moins complète – sans doute en gros à jour pour 2010284 – pour la viticulture antique (Bernigaud, Bondeau et Guiot 2020 : 57-59, cartes Fig. 3-4 ; Bernigaud et al. 2021 : cartes Fig. 3-4) (Fig. 53a et b) : ainsi, quelques zones semblent a priori défavorables, qui pourtant présentent une documentation importante sur la viticulture antique, dont le Bas-Berry et l’Anjou ; mais aussi, à l’inverse, des zones a priori favorables, pour l’instant sans données archéologiques (Pays de la Loire), ou l’inverse (Orléanais/Chartrain). On observe cependant (Bernigaud, Bondeau et Guiot 2020 : Fig. 4), globalement, une assez bonne concordance entre ce modèle prédictif et les données archéologiques285, pour au moins deux secteurs : d’une part le bassin de la Maine, au nord de la Loire, avec les cités des Diablintes et des Cénomans, et de l’autre le Limousin. Mais, globalement, le modèle prédictif ne semble donc pas donner de résultats particulièrement marquants concernant la viticulture gallo-romaine.

• 286 Ce qui en fait apparaissait déjà implicite dès le départ !

295Pour cette question, la comparaison des connaissances acquises dans ce domaine pour d’un côté cette cité des Bituriges Cubi du Berry et de l’autre celle des Bituriges Vivisci du Bordelais n’a pas permis de privilégier nettement l’un ou l’autre pour l’attribution de ce plan “biturige”. Quant à cette question initiale, on doit donc admettre286 qu’elle reste en l’état en suspens, sans qu’on puisse clairement et objectivement se prononcer en faveur de l’une ou de l’autre de ces deux cités. Ceci du moins en l’état de la documentation qu’on a pu mobiliser. La question pourra-t-elle d’ailleurs être un jour résolue ?