1Les toutes jeunes éditions PHAE (histoire, archéologie, environnement) inaugurent leur catalogue par la publication de l’ouvrage que Miche Reddé consacre aux rapports complexes qu’entretiennent la conquête militaire et le développement économique de l’Occident romain vu depuis les marges de la Gaule. Excellente entrée en matière !

2Le propos de Michel Reddé est de dresser un bilan des plus récentes avancées de la recherche sur le thème, maintes fois exploré, de la façon dont l’Empire romain s’est imposé en tant qu’entité politique et militaire en Occident et comment s’est progressivement structuré l’espace économique des marges de la Gaule à partir de la conquête césarienne, en s’interrogeant sur les rôles respectifs de l’État, de l’armée et des marchés.

4La parfaite maîtrise qu’a Michel Reddé de l’anglais et de l’allemand lui permet, en outre, et c’est l’un des grands atouts de cet ouvrage, de faire profiter au lecteur de son excellente connaissance d’une abondante littérature spécialisée relative à la conquête de la Bretagne et des mondes germaniques, que trop peu de chercheurs francophones maitrisent. De cette façon, il confère fort logiquement une dimension européenne à la relecture qu’il propose de la conquête progressive de ce qui deviendra l’Occident romain.

5Le maître-mot de l’ouvrage est que l’Empire est un mode interconnecté malgré les distances, héritier et instigateur d’un commerce que l’on qualifierait aujourd’hui de mondialisé (à la mesure du monde antique), dont Rome constitue le centre, alors que les provinces éloignées ont joué un rôle aussi protecteur qu’attracteur. S’appuyant sur plusieurs synthèses récentes et sur un nombre conséquent d’études spécialisées, Michel Reddé souligne que, dans ce monde irrigué par de multiples axes névralgiques au premier rang desquels figure l’axe Rhône-Saône, la Gaule apparait comme la plaque tournante de relations interprovinciales liant le sud au nord de l’Europe. Mieux, il montre que des zones initialement situées aux frontières septentrionales et orientales de l’Empire ont fini par devenir de nouveaux centres de gravité économique, ce dont témoigne, par exemple, mais de façon édifiante, le développement d’importants réseaux de villae dans le bassin rhénan.

6En outre, en s’intéressant à la périphérie de la Gaule, l’auteur apporte un éclairage renouvelé sur ce que l’on nomme la romanisation de la Gaule en livrant des clés de lecture sur les conditions militaires et institutionnelles – et donc politiques – de cette profonde transformation et sur ses conséquences économiques. Il déroule un fil chronologique en cinq temps principaux.

7Dans le chapitre intitulé “l’héritage de César”, l’auteur dresse un résumé concis mais convaincant de l’imbrication entre conquête militaire et mainmise marchande sur la Gaule, puis sur l’île de Bretagne, pour insister, in fine, sur l’importance des peuples fédérés dans le dispositif mis en place par Rome pour défendre la Gaule sur ses marches germaniques et, ainsi, protéger le marché gaulois.

8Le chapitre intitulé “l’espace germanique” lui permet de souligner l’impact de la mise en place du limes et de son approvisionnement dans le développement économique de la Gaule, notamment de la viticulture en Narbonnaise, et, partant, dans le bénéfice immédiat qu’en tirèrent les negociatores italiens, notamment, et les grandes entreprises agricoles du littoral de l’Hispanie romaine (vins de Tarraconaise, produits halieutiques de Bétique). L’occasion est trop belle pour ne pas pointer la propagande impériale qui met en exergue la personne de l’empereur et le rôle de celui-ci dans l’entreprise de pacification des provinces des confins septentrionaux de l’Occident romain.

9Dans le Chapitre intitulé “Imperium sine fine ? Vers de nouvelles frontières”, l’auteur souligne les conséquences de la nécessité qu’a ressentie l’empire de repousser toujours plus loin ses limites, en Bretagne romaine d’abord (jusqu’en Écosse), au nord du Danube ensuite. Négatives d’une part, au travers du coût des expéditions militaires. Positives d’autre part : la conquête constitue, avec le commerce vers Rome, un moteur essentiel de l’économie de l’Empire, dont témoigne chacune à leur façon l’expansion des domaines oléicoles de Bétique et celle des ateliers de sigillée de La Graufesenque.

10Avec “l’apogée de l’Empire”, Michel Reddé porte un jugement nuancé sur l’abandon, à partir d’Hadrien, de la politique d’expansion et sur le repli défensif de l’Empire sur ses marges, pour constater qu’en réalité, les provinces nouvellement conquises connaissent un développement économique indéniable en partie dû à l’attrait des garnisons. Les réseaux de villae dans les territoires conquis en témoignent, tout comme le développement du commerce trans-Manche.

11Enfin, dans le chapitre intitulé “au-delà du limes”, Michel Reddé interroge les relations complexes des provinces frontalières avec le Barbaricum, c’est-à-dire avec les peuples situés au-delà des marges de l’Empire. Ces relations, souvent tumultueuses, ont certes profité à quelques marchands véhiculant des produits “luxueux”, mais la faiblesse du peuplement de l’hinterland conduit à une vision très mesurée.

12La synthèse proposée par Michel Reddé est d’autant plus percutante qu’elle est concise, claire et qu’elle s’appuie sur des données tangibles. Ce remarquable ouvrage constituera, pour les étudiants, une excellente introduction aux rouages politiques et économiques de l’Empire romain, d’autant plus complexes que leur étude est aujourd’hui éclatée entre de multiples pôles de recherche qui s’ignorent parfois comme le souligne fort justement l’auteur. Les chercheurs, quelle que soit leur spécialité, y trouveront matière à réfléchir et à modéliser, mais aussi un exemple.