1La fouille réalisée à Chartres, au no 1 de la place Drouaise, en 2016 sous la direction de Mélanie Lefils a été l’occasion de découvrir certains vestiges appartenant à l’institution hospitalière Saint-Julien, appelée également Six-Vingts, lieu d’accueil pour personnes non voyantes entre 1291 et 1568 (Lefils 2019).
2L’emprise de 4 738 m2 s’inscrit dans l’aire urbaine de l’antique Autricum occupée depuis au moins l’époque Augustéenne jusqu’à l’abandon du lieu au début du iiie s. de notre ère (Joly et al. 2015). Jusqu’aux derniers siècles du Moyen Âge, cet espace situé en périphérie extérieure de la limite fossoyée de la ville sert de terre agricole aux institutions religieuses voisines tandis que l’habitat borde les axes de circulation sortant de l’agglomération. Les sources écrites apportent des précisions sur l’organisation de la parcelle à partir de 1291, date à laquelle est fondée l’institution royale des Six-Vingts ou hôpital Saint-Julien, lieu d’accueil pour aveugles. Un hôpital, un cimetière consacré par l’évêque de Chartres en 1311, une chapelle ainsi qu’un clos viticole composaient cet ensemble. L’institution est abandonnée et réoccupée à plusieurs reprises entre 1356 et 1440, au gré des désordres politique et militaire que subit la ville. Elle est définitivement détruite durant les guerres de religion lors du siège de 1568. La vocation caritative de la parcelle persiste avec l’installation de la communauté des Petites Sœurs des Pauvres à l’origine d’un vaste programme de reconstructions à partir de 1853. D’imposants édifices de quatre étages sont alors élevés, impactant lourdement les vestiges en place.
3La structure qui a livré le mobilier présenté dans le cadre de cet article est isolée à une dizaine de mètres au nord-ouest des vestiges maçonnés attribués à l’hôpital Saint-Julien (Fig. 1). C’est une fosse rectangulaire (6 × 2,92 m) à fond plat non maçonné et à parois verticales construites en blocs et moellons de silex liés par un mortier de chaux. Les quatre murs sont conservés sur une hauteur de 1,60 m. La capacité de la fosse est d’environ 28 m3. L’espace interne était entièrement comblé par des rejets largement anthropisés (Fig. 2). Cette structure est interprétée comme une fosse réceptacle de latrines dont la vocation communautaire est illustrée par son gabarit. Son comblement semble évoquer plusieurs épisodes distincts. Les trois couches limono-sableuses du fond, à litage horizontal, étaient chargées en graines, notamment de pépins de raisins. Elles ont été interprétées comme appartenant à l’état de fonctionnement des latrines. Les trois pots entiers posés directement sur le fond de la structure témoignent d’une utilisation conjointe comme latrines et dépotoir, pratique courante durant le bas Moyen Âge. Les comblements supérieurs, plus désorganisés, semblent évoquer une continuité dans la pratique des rejets de déchets au sein de cette fosse, éventuellement en association avec sa vocation première de lieu d’aisances. Le dernier comblement est ensuite recoupé par une fosse et par la tranchée de fondation d’un mur appartenant à l’Institut des Petites Sœurs des Pauvres implanté à partir de 1853. Les latrines ne fonctionnaient pas avec les restes maçonnés de l’hôpital situés plus à l’est et rattachés à la dernière occupation de l’institution (xve-xvie s.). La structure devait appartenir au premier état de l’institution, non identifié lors de la fouille. Aucune distinction typologique n’ayant été décelée entre le mobilier contenu dans les couches appartenant à l’état de fonctionnement avéré et dans celui des couches supérieures, l’assemblage est traité comme un lot unique.
Fig. 1 - Plan des latrines et des vestiges maçonnés de l’hôpital Saint-Julien datés des xve-xvie s.
M. Lefils et F. Briand
Fig. 2 - Relevé stratigraphique de la coupe et photographie de la fosse réceptacle des latrines.
M. Lefils et F. Briand
- 1 Projet Collectif Régional H19-1996 “La céramique médiévale et moderne de la Loire moyenne”, Ph. Hus (...)
- 2 Pour Chartres, la base de données en ligne Iceramm est actuellement renseignée à partir des informa (...)
4La méthode qui a prévalu pour l’étude de cette céramique est empruntée à celle utilisée dans le cadre du Projet Collectif de Recherche (PCR) sur la céramique médiévale et moderne du Centre-Ouest de la France1. Pour le répertoire technique, le préfixe “ct” ajouté aux codes chiffrés renvoie au répertoire établi pour la ville de Chartres2.
5La collection provenant des divers comblements de la structure correspond à 5 915 fragments comprenant au moins 587 individus d’après le comptage des tessons de bords après tentatives de remontage des vases, auxquels s’ajoutent deux fragments de panses appartenant à des catégories techniques pour lesquelles aucune forme n’a été référencée. Les formes archéologiquement complètes tiennent une bonne place dans ce corpus. La détermination typologique est facilitée par un morcellement mesuré des restes, renforçant la valeur du calcul en Nombre Typologique d’Individus (NTI). Ce dernier s’élève à 531, donnée qui reflète l’identification de plus de 90 % des bords.
6Ce corpus s’insère dans une typologie locale mal caractérisée, notamment pour le bas Moyen Âge (Simon 2016 : 252). Les fouilles dans le centre historique ou sur le territoire communal de Chartres ont livré des résultats inégaux pour l’époque médiévale et il semble que l’occupation antique soit mieux cernée dans cet espace. Ces données inédites par leur quantité et par leur intérêt complètent la documentation établie d’après les collections issues du site de la rue Fulbert, étudiées par C. Leparmentier (2017a) dans le cadre d’un travail universitaire, pour lesquelles un hiatus chronologique a été perçu pour le xive et le début du xve s. Le terminus post quem du présent corpus est fixé à l’extrême fin du xiiie s., moment de l’implantation de l’institution. Pour préciser sa chronologie, des comparaisons ont été réalisées avec les corpus de référence issus des départements de l’Eure-et-Loir, des Yvelines et de l’Essonne.
7Le répertoire se concentre autour de six groupes techniques si l’on fait abstraction de ceux représentant moins de 1 % du NR (Fig. 3). La moitié des restes appartient au groupe ct05b. Cette pâte fine offre une teinte uniforme rouge brique dans la majorité des cas avec plus rarement quelques variations, du rouge bordeaux au brun. De texture sableuse et rugueuse en surface, elle contient de microscopiques inclusions siliceuses réparties de manière homogène dans la matrice argileuse. Le site de la rue Fulbert offre également une forte représentation de ce groupe technique dans les niveaux antérieurs à la fin du xive s. (Leparmentier 2017b : 117). Le groupe ct05b est observé pour des vases utilisés à Chartres entre le xie et le début du xvie s. d’après les autres contextes étudiés sur le site de la place Drouaise. De manière empirique, ces productions sont attribuées aux ateliers de Dourdan, commune située à environ 45 km au nord-est de l’agglomération chartraine (Fig. 4). Or l’affectation systématique des pâtes rouges fines sableuses aux ateliers de Dourdan semble remise en cause ces dernières années au gré de découvertes de nouveaux centres potiers fabricant des produits similaires à l’instar de celui de Bruyères-le-Châtel situé à 15 km au nord-est de Dourdan (Claude 2019 : 123-172). L’hypothèse d’une origine plus diversifiée qu’il n’y paraît pour les pièces rencontrées dans le nord de l’Eure-et-Loir semble donc maintenant admise. Rappelons que la période de consommation à Chartres outrepasse les bornes connues à ce jour pour les productions de Dourdan, dont l’atelier, au lieu-dit le Mâdre, daté de la seconde moitié du xive s., est le plus récent. Même si des fours postérieurs peuvent être toujours enfouis, les indices actuels vont dans le sens de pôles multiples pour la fabrication de cette vaisselle rouge. La question de l’approvisionnement en vases de couleur rouge reste en suspens même si leur provenance se situe inévitablement dans cette zone de contact entre les trois départements de l’Eure-et-Loir, de l’Essonne et des Yvelines (Fig. 4). L’existence d’une production locale attestée en l’état de la recherche ne peut toutefois être écartée. Des gisements d’argile compatibles avec ce type de production sont connus autour de Chartres (Bouillon 2017 : 306).
Fig. 3 - Répartition du NR et du NMI par groupes techniques.
La matrice argileuse des pâtes sans traitement de surface est souvent identique à celle des productions glaçurées. La distinction entre groupes techniques peut être légèrement biaisée par des applications parfois partielles de glaçure sur les vases, revêtus prioritairement sur les parties supérieures et inférieures.
Fig. 4 - Les aires de productions connues et supposées autour de Chartres.
M. Gary
8L’autre moitié du corpus correspond aux pâtes claires (blanches, beiges ou rosées). Les groupes techniques ct01a et ct01l, sans traitement de surface, regroupent un peu plus de 30 % des fragments, auxquels s’ajoutent les fragments couverts d’une glaçure verte mouchetée en surface interne (ct02c et ct07b). Ces pâtes contiennent de très rares et fines inclusions difficilement identifiables à l’œil. Les pâtes ct01l et ct02c caractérisées par une teinte rose, peuvent contenir de nombreuses et minuscules inclusions d'oxyde de fer. Les pâtes blanches, beiges (ct01a/ct07b) ou rosées (ct01l/ct02c) semblent présenter un nouvel attrait à partir du xive s. Elles concurrencent les productions en pâtes rouges, en particulier dans la fabrication des pots qui étaient presque exclusivement représentés par le groupe ct05b au siècle précédent. Sur la commune de Dangeau, située à environ 30 km au sud de Chartres (Fig. 4), un atelier aurait approvisionné la ville en vases à pâte blanche de la fin du viiie aux xiie-début du xiiie s., date de l’arrêt de la production, d’après les connaissances actuelles (Bouillon 2017 : 300, Jesset 2005 : annexe 3). La présence en très grande quantité de pâtes blanches jusqu’à l’époque moderne soulève la question de la pérennité de ce réseau d’approvisionnement. Un atelier proche de Dangeau et non identifié à ce jour a pu prendre le relais, notamment pour les produits glaçurés. Il est également possible que les zones de fabrication à Dangeau se soient légèrement déplacées et que les fours associés aux productions les plus tardives restent inconnus. Vers la fin du xiiie-début du xive s., les glaçures vertes mouchetées apparaissent dans la région, à l’instar de ce qui a pu être observé sur le site du prieuré bénédictin de Nottonville (Fig. 4). L’hypothèse actuellement retenue est une diffusion depuis le Loir-et-Cher, au sud de Châteaudun, dans le cas de Nottonville (Racinet 2006 : 390). Pour Chartres, un approvisionnement plus local est présumé. Le centre essonnien de Bruyères-le-Châtel a fabriqué des vases en pâtes sableuses claires autour du xiiie s. de même que celui situé sur la commune voisine de Saint-Maurice-Montcouronne dont l’existence ne semble pas dépasser la fin du xie s. (Claude 2019 : 169). Notons que dans le sud-ouest de l’Île-de-France, les productions en pâtes blanches pourraient ne pas avoir survécu à la pleine expansion des pates rouges au cours du xiiie s., c’est en tout cas ce que laisse penser l’analyse des sites de consommation dont les assemblages sont monopolisés par les pâtes rouges à partir du milieu du xiie-milieu du xiiie s. selon les sites (Claude 2012 : 88).
9Dans le courant du xive s., de nouvelles productions en pâtes beiges apparaissent. Les inclusions de quartz sont plus nombreuses et plus visibles en surface (ct08f, ct11b). Elles sont souvent associées à des vases dont les parois s’épaississent. Ce sont les prémices de productions qui vont être largement diffusées durant les xve et xvie s.
10Le comptage en NTI prend en compte les récipients fermés, ouverts et les ustensiles. Les formes fermées, plus nombreuses et typologiquement plus diversifiées, représentent près de 85 % des vases identifiés (Fig. 5).
Fig. 5 - Répartition des formes par groupes techniques (NTI).
11Le pot sans système de préhension semble se raréfier à partir du xive s. Il ne représente pas plus de 5 % des bords identifiés. Le pot 2-2 à bandeau court n’est observé qu’à travers quelques exemplaires en pâtes beiges sans traitement et en pâtes orangées de texture dure rattachées au groupe technique ct06 (Fig. 6, 1 et 2). Son profil a évolué vers un allongement et un aplatissement du bandeau, caractérisant le pot 2-3 rencontré presque exclusivement dans le groupe technique ct05b (Fig. 6, 3 à 7). Le bandeau peut être parfois nettement rentrant (Fig. 6, 5 et 6). Le pot 2-12, supposé sans système de préhension, se caractérise par un bord retombant, relié directement à la panse (Fig. 6, 8) ou par l’intermédiaire d’un col (Fig. 6, 9). L’exemplaire intégralement recouvert d’un aplat rouge (ct01n) peut renvoyer à une production parisienne ou à celle de Dangeau, atelier qui diffuse des vases peints jusqu’à la fin du xiie-début du xiiie s. (Leparmentier 2017a : 86). Ces deux individus pourraient donc être légèrement antérieurs à l’assemblage général. Sur le site, les contextes du xiiie s. ont livré une plus grande proportion de pots 2-12. Enfin, le pot à bord en amande est un exemplaire isolé (Fig. 6, 10).
Fig. 6 - Les pots sans système de préhension.
M. Gary
12Au pot sans système de préhension, est préféré au xive s. le pot à une anse, appelé aussi coquemar. Dans le comblement de cette latrine, 195 individus du même type, le pot 12, sont recensés, ce qui en fait la forme la mieux représentée. Ce pot doit être considéré comme le récipient multifonctionnel le plus utilisé dans une cuisine à partir du xive s. Sa place dans la catégorie générale des pots 12 est justifiée par la présence d’une anse rattachée à une encolure droite. Pas toujours complet, les fragments conservés permettent toutefois de constater une certaine standardisation de sa production, comme pour les formes précédentes sans anses (pot 2-2 et 2-3), dont seuls les volumes fluctuent d’un exemplaire à l’autre. Le profil du pot 12 se compose d’un bord arrondi dans le prolongement d’un col droit ou légèrement rentrant. Un ressaut externe marque parfois la liaison entre le col et l’épaule. L’anse de section circulaire ou ovale relie le col à l’extremum de panse. La forme de celle-ci est ovoïde et le fond est plat à concave (Fig. 7 à 9). Des cannelures, dont il est difficile de savoir si elles ont un caractère décoratif, strient l’épaule de certains exemplaires (Fig. 8 et 9). Les pâtes beiges ct01a et rosées ct01l sont les plus fréquemment rencontrées en association avec cette forme (Fig. 5). Les pièces pour lesquelles un revêtement glaçuré est attesté ne représentent que 12 % de cette catégorie de forme. La glaçure verte mouchetée n’est que partiellement appliquée sur le col et les parties inférieures du vase, bas de panse et/ou fond (Fig. 9). Le pot 12 pourrait découler du pot 2-3 dont le bandeau devenu de plus en plus plat a disparu. Seule son extrémité sommitale arrondie est maintenue. L’utilisation de ce pot pour la cuisson est matérialisée principalement par des traces noircies laissées par une exposition au feu. Sur les 195 individus recensés, environ la moitié est concernée, sachant que certains individus ont été identifiés par de menus fragments de bords dont l’absence de trace ne présage en rien de l’état général du vase. Une importante fissure et une surface fortement noircie sur un exemplaire intact posé sur le fond de la structure justifient son rejet (Fig. 9, 25). À Chartres, les occurrences publiées de ce modèle sont rares et limitent les comparaisons. Le site de la Charpenterie à Orléans a livré des pots 12 dans des niveaux datés de la transition xive-xve s. Toutefois ils se distinguent par la forme de l’anse, de section plate ou rubanée et englobant la lèvre (Jesset 1999 : 96, 248, 250).
13Le pot 12-1 à bord haut, lèvre légèrement épaissie et ressaut interne est la forme la plus courante de pot à une anse pour le centre-ouest de la France et plus particulièrement la vallée de la Loire moyenne. Il n’est représenté ici que par dix individus glaçurés (Fig. 10, 26). La présence de pots 13, parfois tripodes, est attestée par quelques exemplaires avec un bord éversé et une lèvre légèrement bifide ou avec un bord droit et une lèvre de section triangulaire (Fig. 10, 27 à 29). À Paris, les deux versions semblent se côtoyer au xive s. (Claude 2014/2015 : 406-407). La découverte d’un fond tripode associé à une anse reliant l’épaule à l’extremum de panse confirme l’utilisation de récipients semblables aux modèles parisiens (Fig. 10, 30). La diffusion du coquemar à fond tripode durant le bas Moyen Âge semble assez rare dans le secteur de Chartres. En revanche, les pots tripodes à une anse commencent à être produits à Fosses (Val-d’Oise) dès le début du xive s., production qui s’intensifie et se généralise dans le courant du xive s. (Guadagnin 2007 : 246).
Fig. 7 - Les pots 12.
M. Gary
Fig. 8 - Les pots 12 à panse cannelée (M. Gary).
M. Gary
Fig. 9 - Les pots 12 glaçurés et un exemplaire entier.
M. Gary
Fig. 10 - Les autres types de pots à une anse.
M. Gary
14Ces récipients plutôt destinés à la cuisson sont accompagnés de vases pour les liquides au premier rang desquels se place le pichet 3 en pâte rouge fine (ct05b). C’est une forme hybride entre le pichet et la cruche. Le volume supposé de certains exemplaires les rapprocherait plutôt d’une forme de cruche destinée au stockage des liquides. Cependant, l’absence de verseur et la présence d’une seule anse rubanée latérale justifient l’ajout cette forme au groupe des pichets, ce qui permet également de la distinguer de la cruche à bec tubulaire à deux anses plates fabriquée à partir de la même pâte rouge. Cette dernière est logiquement absente du comblement des latrines, sa diffusion est maximale autour du xiie s. et devient plus rare à partir du xiiie s. (Claude 2009 : 241). L’uniformité dans la production du pichet 3 est perceptible à travers ce site de consommation au sein duquel 190 individus ne présentent que de mineures variations morphologiques. Le diamètre d’ouverture ne varie qu’entre 10 et 13 cm. Le bord du pichet 3 est court, souvent creusé d’une fine gorge interne. Il forme un petit bandeau externe rattaché à un col droit, plus ou moins haut selon les modèles. L’épaule est régulièrement marquée d’une cannelure. Une anse rubanée relie la lèvre à la panse (Fig. 11). Ce type de pichet se caractérise par l’absence de verseur comme C. Claude l’envisage pour des exemplaires identiques trouvés sur le site de production de Bruyères-le-Châtel (Claude 2019 : 132). D’après les éléments conservés ou les marques d’arrachement, ces pichets ne devaient être agrémentés que d’une seule anse rubanée.
15La répartition typologique des pichets est très déséquilibrée sur le site puisque les autres pichets, tous types confondus, ne sont représentés que par une vingtaine d’individus. Le pichet 8, conservé de manière très incomplète, n’a été rencontré qu’en pâte rouge (ct05b). Il se caractérise par une anse ronde et un bord formé par une extrémité interne triangulaire, parfois souligné de cannelures sur la face externe (Fig. 12, 41 à 43). Localement il est plutôt représentatif du xive s. après un début de production dans le courant du xiiie s. (Simon 2016 : 251). Pour autant, même dans le courant du xive s., il semble moins diffusé que le pichet 3 (Leparmentier 2017b : 134). Les pichets en pâtes beiges sont rares. Deux bords arrondis de pichets 9 en pâte beige (ct01a) sont à signaler (Fig. 12, 44 et 45). L’unique exemplaire de pichet 9-1 en pâte blanche glaçurée (ct02a) est richement décoré. Son bord épaissi à lèvre plate est prolongé par un long col et une probable panse surbaissée reposant sur une base resserrée. Une succession de lignes horizontales imprimées à la molette en arêtes de poisson rappelle une production parisienne. Une glaçure jaune-orangé recouvre partiellement les impressions (Fig. 12, 46). L’utilisation de la molette associée à la glaçure dans l’ornementation des pichets parisiens caractérise la seconde moitié du xive s. (Claude 2014/2015 : 409). Un fragment de bord formant un court bandeau se distingue par sa couverte glaçurée légèrement métallescente dans les tons de bleu-vert (Fig. 12, 47). Les deux faces semblent intégralement recouvertes. Son morcellement et son origine extra-régionale supposée ne permettent pas de proposer des éléments de comparaison.
16Au sein du groupe des contenants à liquide, l’équipement individuel est suggéré par quelques fragments de tasses à lèvres amincies en pâte rouge (Fig. 12, 48). Une restitution est proposée d’après les exemplaires découverts sur le parvis de la cathédrale de Chartres dans un dépotoir daté de la seconde moitié du xive s. (Randoin et al. 1996 : 53). Il s’agit de la seule forme ouverte utilisée pour accueillir des liquides.
Fig. 11 - Les pichets 3.
M. Gary
Fig. 12 - Les autres types de contenants à liquide.
M. Gary
17Les formes ouvertes, représentées à hauteur de 15 % du NTI, se concentrent autour de quelques profils assimilés à des jattes ou à des poêlons, ceux-ci étant discriminés des premières par l’ajout d’un manche creux. Bien qu’une production de formes ouvertes de types jattes, plats et poêlons existe en pâte rouge (Claude 2019 : 151-152), aucun exemplaire n’est à signaler au sein de cette structure. Les fragments de bords souvent démunis d’éléments rapportés ne permettent pas d’identifier clairement le récipient, ils ont donc été classés majoritairement dans un groupe large nommé “poêlon/jatte”. Une approche morphologique est ainsi préférée à une catégorisation fonctionnelle trop perfectible. Trois grands types de profils ont été mis en évidence. Le premier offre un bord épaissi de section triangulaire dans le prolongement de la panse. Il est souligné d’une rainure externe. Une gorge sommitale est plus ou moins prononcée selon les individus. Les diamètres d’ouverture oscillent entre 27 et 39 cm (Fig. 13). La pièce la plus complète rend compte d’une panse tronconique et d’un fond plat. L’arrachement du manche est observable sur deux exemplaires (Fig. 13, 51 et 53). Cette forme a été fabriquée en pâte rose fine (ct01l) parfois revêtue de glaçure mouchetée (ct02c) et en pâte claire à glaçure mouchetée (ct07b). La glaçure interne est appliquée de manière partielle sur le bas de panse et sur le fond du récipient. Des traces d’exposition au feu sur quelques fragments permettent d’envisager une utilisation comme poêlon pour la plupart de ces récipients. Le haut de panse peut être renforcé d’un large cordon horizontal digité (Fig. 13, 54). Cette particularité semble affecter principalement les jattes à l’instar de celles produites dans les ateliers de Fosses (Val-d’Oise) durant le bas Moyen Âge (Guadagnin 2007 : 245). Le second modèle présente un bord plus marqué, souvent aux angles saillants, de section plus ou moins rectangulaire. L’épaulement est souligné par un ressaut, parfois discret (Fig. 14). L’exemplaire complet se compose d’une panse tronconique et d’un fond plat. Un manche creux de section circulaire est rattaché à la lèvre (Fig. 14, 60). Les diamètres d’ouverture sont encore une fois très variables et s’échelonnent entre 22 et 38 cm. Ce modèle est réalisé dans une plus grande variété de pâtes claires : fine (ct01a) et micacée (ct17w) pour les non glaçurées, fines à glaçure mouchetée (ct02c et ct07b) et une pâte moins fine à glaçure couvrante verte (ct11b). La glaçure interne semble tapisser la moitié ou le tiers inférieur du vase. Seul un exemplaire est entièrement revêtu en surface interne (Fig. 14, 56). Presque tous les individus ont subi une exposition au feu d’après les traces noircies laissées sur les surfaces externes. Il semble que ce modèle soit aussi en priorité utilisé comme poêlon pour cuire ou réchauffer les aliments. Il est comparable aux exemplaires découverts en Orléanais et datés de la seconde moitié du xive s. (Husi 2022) ainsi qu’aux poêlons réalisés en pâte rouge (ct05b) à Dourdan aux xiiie-xive s. (Claude 2009 : 244). Les occurrences du troisième spécimen sont moins nombreuses. Le bord déjeté à lèvre amincie présente un profil triangulaire. Il se rencontre en pâtes claires fines à glaçure mouchetée (ct02c et ct07b), mais la glaçure n’est pas couvrante et ne concerne que la partie inférieure du récipient (Fig. 15). Son association à une forme culinaire est pressentie au regard des traces laissées par son utilisation au feu. Les caractéristiques de ces formes ouvertes semblent donc plutôt orienter leur usage vers la cuisson. Une utilisation multiple comme ustensile de préparation et de cuisson n’est pour autant pas exclue. Le xive s. semble marqué par une diffusion importante de ce type de récipient en Île-de-France mais également à Chartres d’après la batterie de poêlons découverte dans le dépotoir du parvis de la cathédrale (Randoin et al. 1996 : 53).
Fig. 13 - Les poêlons et/ou jattes.
M. Gary
Fig. 14 - Les poêlons et/ou jattes.
M. Gary
Fig. 15 - Les poêlons et/ou jattes.
M. Gary
18Les objets du quotidien sont représentés par deux modèles de lampes en pâte rouge (ct05b). La lampe 4 à appendice plein ne pouvait être utilisée qu’en association avec un support (Fig. 16, 63). Les caractéristiques de ce dernier nous échappent. En bois, métal ou céramique, tous les types existent (Lefèvre et Meyer 1988 : 76). Le support peut prendre deux formes : un socle qui reçoit l’appendice ou un élément qui favorise sa suspension. Les lampes à appendice appartiennent aux types IV1B, IV2B ou IIB de la classification réalisée par A. Lefèvre et N. Meyer d’après les fouilles urbaines de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis et se rencontrent du début du xie au xiiie s. (Lefèvre et Meyer 1988 : 99, 109). Le second modèle est apode et composé d’un simple réservoir à bord droit dont une partie est pincée pour former le verseur (Fig. 16, 64). En l’absence d’élément de préhension, cette coupelle devait être posée sur un support métallique fixe de type chaleil.
Fig. 16 - Les lampes.
M. Gary
19Ce corpus offre un bel aperçu de la vaisselle utilisée par les résidents de l’hôpital Saint-Julien et par la même occasion fournit un éclairage sur la poterie en usage à Chartres durant le xive s. Ce jalon chronologique repose sur l’analyse de l’assemblage céramique dans lequel le pot dépourvu de système de préhension est en voie de remplacement par le pot à une anse, dont le pot 12 est la manifestation la plus tangible. L’évolution morphologique autour de cette forme incontournable qu’est le pot s’accompagne de mutations techniques puisque la pâte rouge (ct05b) laisse place à des pâtes claires fines (ct01) certaines revêtues de glaçure verte mouchetée (ct02, ct07). Les pâtes glaçurées sont en effet anecdotiques jusqu’au début du xive s. et sont représentées par des pâtes rouges/orangées à glaçure translucide avant le développement de la glaçure mouchetée verte. En plus des pots, celle-ci est appliquée sur des récipients culinaires ouverts comme les poêlons. Les liquides sont contenus dans un modèle presque unique de pichet en pâte rouge. On remarque l’absence de la cruche à bec tubulaire et de tout autre modèle de cruche. Les formes plus discrètes, parfois importées, viennent confirmer la datation proposée à l’image des pots tripodes ou du pichet à panse surbaissée entièrement décoré (pichet 9-1). La répartition entre récipients culinaires en pâtes beiges et contenant à liquide en pâte rouge représente à la fois un indicateur chronologique, mais permet aussi d’avancer des hypothèses sur l’approvisionnement du site. La tendance observée, d’après les ateliers essonniens actuellement répertoriés produisant des vases en pâte rouge, est une spécialisation à partir du xive s. En, effet, la production semble se concentrer essentiellement sur la fabrication de contenants à liquide (pichet, tasse, bouteille, gourde…). La part des vases culinaires au sein de la production faiblit considérablement au moment où le pot sans anse n’est plus privilégié par le consommateur. Ce changement semble concomitant avec la recherche de nouvelles zones d’approvisionnement pour le pot et par la même occasion le développement probable de nouveaux centres (Claude 2012 : 114-115). Les similitudes observées entre ce site de consommation chartrain où la pâte rouge est dédiée aux vases à liquide et les sites de productions essonniens tendraient à envisager un approvisionnement pour ces récipients depuis l’Île-de-France. De manière générale, le faciès typologique de la céramique du présent site trouve plus de correspondances avec celui de la région Île-de-France qu’avec le faciès orléanais ou celui de la vallée de la Loire moyenne. La discrétion du pot à bord haut et à lèvre épaissie (pot 12-1) en est un bon exemple. Au regard des mystères qui les entourent, les sources d’approvisionnement en récipients culinaires beiges, glaçurés ou non, devaient être locales, peut-être au cœur du département de l’Eure-et-Loir, zone encore peu documentée. Le parallèle local le plus pertinent est livré par l’ensemble issu du dépotoir du site du parvis de la cathédrale. Il est daté de la seconde moitié du xive s. et associe poêlons en pâtes beiges, pichets en pâte rouge et tasse. En revanche et de manière surprenante, les pots y sont absents (Randoin et al. 1996 : 53).
20En dehors des considérations sur la poterie, les orientations chronologiques sont confirmées par la présence d’autres types de mobilier dans cette fosse, dont quelques objets métalliques. Une lame de couteau à emmanchement à soie et incrustée d’un motif à la croix est datable des xive-xve. Une fibule en forme de disque en alliage cuivreux est comparable à des exemplaires des xiie-xive s. tandis qu’une petite boucle en alliage cuivreux avec sa chape rectangulaire cible plus spécifiquement l’intervalle compris entre la seconde moitié du xive et la seconde moitié du xve s. (Ducreux 2019 : 302-303).
21La couche qui scelle les comblements des latrines a livré deux monnaies : une Parisis simple émise par le Royaume de France entre 1295 et 1303 et une obole du Comté d’Anjou frappée entre 1290 et 1325 (Lefils 2019 : 1107).
- 3 Sur le site, six autres anses gravées appartenant au même type de pichets ont été retrouvées.
22L’occupation du site de la place Drouaise liée à un établissement collectif de charité donne l’occasion de s’interroger sur les relations entre le mobilier mis au jour et ce contexte fonctionnellement bien établi. La vie en collectivité est évoquée à travers la présence massive de certains types de vases : les pots et les pichets. Cette surreprésentation est logique dans ce type d’établissement où la préparation et la cuisson des aliments ainsi que la conservation et le service des liquides devaient être proportionnels au nombre de résidents, une grosse centaine à Chartres, si l’on se réfère aux statuts de l’hôpital (Lefils 2019 : 54-55). L’observation détaillée de certains éléments laisse entrevoir également la recherche de distinction ou de personnalisation des vases par la présence de graffti inscrits sur quelques anses rubanées de pichets (pichet 3) en pâte rouge (ct05b). Dans cette structure, cinq exemplaires avec cinq motifs différents ont été découverts3. Bien que trois anses soient incomplètes, amputant une partie de la gravure, leurs amorces sont suffisamment divergentes pour signaler le caractère inédit de chaque motif. Les gravures sont formées de traits verticaux, horizontaux, obliques ou ondulés dessinant des figures plus ou moins élaborées couvrant l’ensemble de la surface de l’anse ou seulement une zone restreinte. Le registre abstrait semble plus instinctif que relever d’une volonté artistique et signerait plutôt une recherche de distinction des vases (Fig. 17). Pour en venir aux différentes interprétations envisageables, il s’agit d’abord de considérer les sources de ces inscriptions. La finesse et la faible pénétration des incisions tendraient à suggérer des marques qui surviendraient après la cuisson des vases. Cette observation ouvre le champ des possibles sur les potentiels auteurs de ces gravures. Les premiers visés sont les potiers qui dans le processus de tri de leurs fournées ont pu distinguer les pièces porteuses d’imperfections et destinées à une vente à un tarif préférentiel ou réservées pour une future donation. Régulièrement, la poterie de second choix est attestée dans le cadre d’occupations collectives, notamment monastiques (Horry 2017 : 87). Les latrines du monastère de Marmoutier à Tours ont livré une importante collection de près d’une trentaine de pichets marqués sur le bas de panse. Les motifs presque tous identiques accréditent la thèse d’un référencement depuis le centre de production (Longelin et Husi 2017 : 8-9). De nombreux couvents féminins en Belgique, Pays-Bas et Allemagne ont employé de la vaisselle gravée de signes ou de lettres du xiiie au xviiie s. Le reflet de certaines pratiques et l’organisation de la vie collective au sein de la communauté religieuse expliqueraient la nécessité de marquer les vases (De Groote 2016 : 27-28). La vie en groupe est effectivement propice au besoin de matérialiser certains objets avec l’intention de symboliser la propriété ou un usage individuel de la pièce. La désignation d’un contenu particulier a pu aussi être la cause de ces marquages. Excepté dans un cas, ces anses sont détachées des récipients auxquels elles appartenaient. La forme du pichet est induite par les caractéristiques de l’anse mais leur fonction demeure imprécise en l’absence de données sur les contenus. L’essentiel du lot de pichet devait servir de contenant à liquide pour la boisson mais certains pouvaient être réquisitionnés pour un usage pharmaceutique ou relevant de l’hygiène. Enfin, gardons à l’esprit que l’utilisation du graffiti prend tout son sens dans une institution d’accueil pour non-voyants. Sur le site de l’ancien hôpital d’Étampes, un exemplaire unique d’anse gravée a été observé. Notons que l’incision est pratiquée sur le même type d’anse plate en pâte rouge (05b) que pour les exemplaires de la place Drouaise (Claude 2012 : 101-102). Le site du monastère Saint-Julien à Tours a également livré des anses gravées interprétées comme “des marques d’individualisation des récipients” (Longelin 2017 : 35). À Chartres, un usage particulier de certains pichets semble constituer la meilleure option pour expliquer ces gravures.
23En dehors de ce trait distinctif sur les anses, ce dépotoir offre un assemblage tout à fait commun qui s’inscrit dans un faciès domestique composé de céramique usuelle identique à celle rencontrée en contexte d’habitat à la même période. Aucune forme ne traduit un usage particulier relevant du domaine de la santé ou de l’hygiène corporelle, ce qui aurait pu être le cas dans le cadre d’une institution hospitalière. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que nous ignorons la nature des soins prodigués au sein de cette institution. À Tours, les rejets situés dans le secteur de l’infirmerie du monastère Saint-Julien sont, de la même façon, dominés par le binôme pot/pichet (Longelin 2017 : 33-34). L’état actuel de la recherche montre que le faciès général de la vaisselle de la fin du Moyen Âge ne varie presque pas d’un contexte à l’autre ajoutant des arguments à la dimension plurifonctionnelle des objets les plus répandus que sont les pots et les pichets. Le volume variable, le diamètre d’ouverture important, l’anse et les capacités en étanchéité font du pichet 3 le récipient indiqué pour toutes sortes d’usages comme le service et la conservation des boissons, mais aussi des liquides liés éventuellement aux soins et à l’hygiène quotidienne. Une utilisation comme pot d’aisance est également envisageable, ce qui expliquerait en partie leur forte représentation au sein de ces latrines. Rappelons également la vision partielle que nous avons des pratiques au sein de cet institut par le seul examen de la vaisselle en terre cuite. À ce titre, dans la mesure de leur état de conservation, les objets fabriqués dans d’autres matériaux offrent ici peu d’information. L’étude de l’instrumentum met en lumière le caractère résidentiel de l’occupation avec plusieurs objets intégrés à la sphère personnelle notamment des éléments d’accessoires vestimentaires qui ont pu être perdus fortuitement dans les latrines. Le domaine médical ou celui du soin sont absents tandis que les objets domestiques, courant en milieu urbain, sont anecdotiques (Ducreux 2019 : 320). Comme pour la céramique, le corpus est donc avant tout le reflet d’un lieu de résidence en collectivité. La relative sobriété de la vaisselle était attendue dans ce lieu de charité où priment les récipients d’un usage courant. Leur utilisation répétée et peut-être prolongée dans le temps est évoquée par les nombreuses traces laissées sur les parois : la suie sur les faces externes et des dépôts blanchâtres sur les faces internes de pichets en pâtes rouges, interprétés, prudemment, en l’absence d’analyse, comme un encroutement calcaire. L’altération particulière de certains tessons similaire à une surcuisson semble indiquer leur exposition à une source de chaleur élevée comme un foyer ou un incendie. Les troubles et les destructions du milieu du xive s. peuvent en être la cause. Quelques pièces de qualité se démarquent par leurs décors et suggèrent des origines exogènes. Elles reflètent certainement la propriété individuelle de résidents qui ont gardé ces objets personnels avec eux plutôt qu’une provenance de la cuisine de la collectivité. Le cas du pichet décoré à la molette d’origine parisienne relève plus de l’histoire personnelle d’un résident que de l’approvisionnement régulier de l’agglomération chartraine. Est-ce le marqueur de son origine géographique et/ou du rang social d’un résident ? La céramique ouvre peu de perspectives de réponses à ces questions.
24Notons que fréquemment, les ensembles de récipients rejetés dans les latrines à la fin du Moyen Âge ne se distinguent pas de ceux des dépotoirs domestiques. Cette réalité a été constatée pour les latrines du château de Dourdan (Claude 2013 : 173-174), pour celles du château de Blandy-les-Tours (Ravoire 2006 : 112) ou encore pour celles du prieuré Sainte-Marie-Madeleine de Mantes-la-Jolie (Claude 2010 : 268-269). Une domination des vases à liquide est souvent observée comme c’est le cas pour les latrines associées aux maisons canoniales du chapitre cathédral de Limoges (Véquaud, Maniquet et Vallet 2017 : 120). Cette constatation est certainement à mettre en relation avec la consommation de vin et les contenants de stockage et de service utilisés à la fin du Moyen Âge. Ici la consommation de vin est suggérée par la découverte de nombreux pépins de raisins dans certaines couches de la structure (Lefils 2019 : 156).
Fig. 17 - Les anses marquées.
M. Gary
25La première moitié du xive s. constitue localement une phase de transition avec le passage du pot sans anse au coquemar, l’apparition et la diffusion des pâtes beiges à glaçure verte mouchetée au détriment des pâtes rouges pour les récipients culinaires et le retour des formes ouvertes en terre cuite par le biais notamment des jattes et/ou des poêlons. L’assemblage céramique issu des latrines étudiées témoigne parfaitement de la consommation chartraine de la période mais ne reflète que partiellement son milieu de découverte. Aucun indice ne révèle le contexte hospitalier du site. L’effectif des récipients rend compte d’un nombre important de consommateurs impliquant la nécessité de renouveler fréquemment la vaisselle. Une homogénéité apparente du répertoire dominé largement par le pot 12 et le pichet 3 confirme la valeur plurifonctionnelle de ces objets d’usage courant. Cet assemblage offre de nombreuses comparaisons avec des corpus franciliens, plus qu’avec ceux provenant du Val de Loire. Ces rapprochements typologiques traduisent certainement l’existence de relations économiques avec un large secteur parisien, zone qui semble privilégiée pour approvisionner Chartres en poterie. La constitution de ce dépôt semble précéder les premières importations de grès du Beauvaisis à Chartres, productions qui n’atteignent le marché parisien qu’à partir du milieu du xive s. Bien que le lot de céramique ici étudié soit conséquent et riche d’informations, les données sur la culture matérielle de Chartres au Moyen Âge présentent encore de nombreuses lacunes notamment concernant les réseaux d’approvisionnement locaux. La céramique issue des latrines de l’hôpital Saint-Julien de Chartres est donc intéressante à plus d’un égard. Elle a toute sa place pour illustrer le xive s. au sein d’une typologie générale de la poterie chartraine au Moyen Âge.