1Le château de Marmande, dominant le hameau éponyme, est sis dans la commune de Vellèches dans la Vienne à environ 15 km de Châtellerault, plus au sud. À proximité de l’axe majeur Tours-Poitiers et de la confluence de la Vienne et de la Creuse, mais aussi en limite du Poitou et de la Touraine, le site revêt un enjeu stratégique essentiel.

Synthèse historique

3Le château de Marmande a bénéficié récemment d’une recherche historique réalisée par Mathieu Déjardin dans le cadre d’un travail universitaire : à l’issue de ce récolement de sources, l’auteur précise que “les documents livrant des informations sur le château de Marmande sont rares et tardifs. Hormis la mention de castrum et de rupem dans une charte du cartulaire de Noyers, il n’y a aucune source médiévale traitant du château. Aucune visite ni aucun compte de chantier n’ont pu être exhumés des archives. En ce qui concerne les époques postérieures, un arpentage de tous les domaines de la baronnie de Marmande a bien été réalisé en 1585 mais il ne concerne nullement le château” (Déjardin 2015 : 20).

• 6 Bibliothèque universitaire de Poitiers, Fonds d’Argenson, D 255, original sur papier : procès-verba (...)

“Duquel lieu lesdits experts se sont transportés au dernier estage de la grosse tour [en marge : la grosse tour a este desmolye par le seigneur] ou ils ont veu et visitté les greniers en nos presances ont declaré que le grand galletas est pavé en parties de pierre avec plusieurs fenestre tout autour dicelluy avecq chacune leurs fermeture et crochet exepté qu’il y manque une fermeture de fenestre, un gon, un crochet, et deux pitons que les autres fermeture desdittes fenestre sont en la majeure parties en mauvais estat et rompue, que la porte d’entree est garnie de sa ferrure sans clef ny serrure, et apres avoir examiné la couverture l’ont trouvé en bon estat, et de la dessendant dudit grenier par l’escallier de laditte tour lesdits experts ont trouvé que /ans touttes les fenestres dicelluy il ny en a que deux quy ayent leurs fermeture et les autres n’en ont aucune6.”

5Concernant le couronnement de la tour-porte, les procès-verbaux du xviii^e s. confirment les données fournies par l’iconographie (Fig. 4 et Fig. 5), à savoir la présence d’un comble, abritant un “galletas” ; aucun élément défensif n’est mentionné pour ce bâtiment qui conservait alors des fonctions résidentielles.

7Après la Révolution, la terre de Marmande, détachée de celle des Ormes en 1795 par Philibert Legendre, est acquise par Élisabeth Foucart d’Olympie, veuve du comte de la Marlière. Après sa mort en 1843, ses différentes possessions sont vendues séparément et le château échoit aux fermiers exploitant le domaine, Pierre Guellerin et Marie Briaud. Réduit au rang de propriété agricole, le château de Marmande bénéficie en 2015 d’un classement au titre des Monuments Historiques grâce à la volonté de ses actuels propriétaires, qui ont lancé une importante campagne de restauration depuis plusieurs années.

Données archéologiques

Les études antérieures

10Début 2017, une étude de la charpente de la tourelle avant dépose a été confiée au Cabinet Arcade. Réalisées le 5 janvier, les observations ont abouti aux conclusions suivantes : la charpente est une structure homogène, mise en place en une seule fois mais qui a été restaurée à plusieurs reprises, notamment au xx^e s. Par ailleurs, la charpente, avec sa silhouette particulière et ses techniques d’assemblage plus tardives, ne saurait être contemporaine de la construction de la tour-guette médiévale et aurait été installée après le milieu du xvi^e s. au plus tôt (Tournadre 2017 : 8).

11Fin 2019 et début 2020, l’entreprise Dendrotech a mené deux campagnes de prélèvements afin de dater par dendrochronologie le plancher inférieur de la tour-porte et la charpente de couvrement de la tour-guette déposée. Les résultats obtenus situent la datation de la tour-porte dans le troisième quart du xii^e s., l’analyse des pièces de bois du plancher ayant livré la fourchette 1166-1170d (Le Digol 2020a : 2) ; quant à la charpente de la tour-guette, les six pièces datées proviendraient d’une seule et même phase d’abattage située entre 1378d et 1398d (Le Digol 2020b : 2).

12Ainsi les datations par dendrochronologie confirment-elles la chronologie établie par l’analyse archéologique du bâti menée en 2015, à savoir une tour-porte participant du renforcement défensif du site érigée dans le troisième tiers du xii^e s. puis sa transformation en espace résidentiel au xiv^e s., avec construction de la tour-guette.

Les objectifs archéologiques des deux campagnes de 2021 et 2022

13À l’occasion d’une campagne de restauration entamée fin 2020, le sommet de la tour-porte caché sous une épaisse chape de béton a été supprimé, laissant apparaître l’arase supérieure des maçonneries (Fig. 3). Il a été possible le 1^er octobre 2020 d’accéder au sommet de la tour échafaudée où ont été repérés les vestiges d’un crénelage, situé à l’aplomb de la maçonnerie formant le mur sud de la tour-porte, avant son extension (Fig. 6).

14À la suite de cette découverte, le Service Régional de l’Archéologie de la région Nouvelle-Aquitaine, site de Poitiers, a prescrit une fouille archéologique associant sondage et étude archéologique du bâti menée en janvier 2021. Il s’agissait de réaliser un sondage d’environ 2 m² contre le parapet découvert, jusqu’au niveau de circulation du chemin de ronde, complété par des relevés et plans, ainsi que par une photogrammétrie de la tour maîtresse. L’ensemble des données acquises en cours de fouille devait nourrir une réflexion à même de proposer une restitution argumentée des différents états du chemin de ronde, du parapet crénelé, de la couverture de la tour et des systèmes d’évacuation des eaux pluviales (Noblet 2021).

Description de la tour-porte

16La tour-porte s’élève sur une hauteur de 16,50 m et forme un rectangle de 14,75 m sur 9,50 m hors-œuvre (Fig. 7). Elle réunit deux entités architecturales distinctes : la tour-porte de 8,60 m sur 9,50 m hors-œuvre et son extension talutée à l’est comme le prouve sur toute la hauteur le collage des maçonneries de cette dernière contre la face orientale de la tour.

17La face ouest est ajourée d’une porte charretière en arc brisé au rez-de-chaussée, surmontée de croisées et encadrée d’une paire de contreforts d’angle, montant de fond et terminés par un glacis (Fig. 8). Un contrefort supplémentaire renforce également la construction au milieu de la paroi nord. À la base du contrefort nord-ouest, on observe un arrachement constitué de blocs de tuffeau liés par un mortier rosé, interprété comme les vestiges d’une courtine (Prouteau et Bilot 2014 : 42). Au nord, la tourelle d’escalier flanquant la tour culmine à 28 m de hauteur et sert de véritable guette ; plus à l’est un conduit de latrine, élément de confort installé dans l’adjonction talutée, surmonte une fosse recouverte d’un talus ajoutée dans un second temps et destinée à recueillir les déjections (Fig. 9). Quant à la face sud, certaines de ses maçonneries s’avèrent partiellement masquées par des enduits et des structures appartenant au bâtiment méridional, dont est principalement conservé le mur gouttereau oriental, le pignon sud et une portion en retour du mur ouest (Fig. 10). La face sud de la tour porte comporte à hauteur du troisième niveau les vestiges d’un arc en plein cintre et de différents empochements et saignées. Un contrefort massif, dont la partie sommitale a été supprimée, est disposé contre l’adjonction orientale du massif d’entrée, qui présente une base talutée de 10°. Destinée à protéger le front d’attaque de la tour-porte, cette extension possède sur sa face orientale plusieurs ouvertures dont une large fenêtre de tir au niveau du rez-de-chaussée.

Cliché J. Noblet

Cliché J. Noblet

Les résultats archéologiques de l’opération de 2021

Le décapage de l’arase du mur sud-est de la tour-porte

18Le mur sud-est de la tour-porte dans sa configuration originelle, c’est-à-dire sans son extension à base talutée, présente une arase qui s’étend sur 8,60 m de longueur pour 1,72 m de largeur. Les faces internes et externes possèdent en partie supérieure un appareil de blocs de tuffeau régulièrement assisés. La suppression de la chape de ciment sommant la tour-porte a mis au jour un parapet et différentes maçonneries de comblement, de blocage ou de parement (Fig. 6 et Fig. 11). Après nettoyage de la moitié sud-ouest, l’arase supérieure de la tour (143,70 m NGF) présente un parement interne en pierre de calcaire tendre (tuffeau blanc). Les blocs, principalement disposés en panneresse, possèdent une seule face dressée ; certains sont simplement démaigris à l’arrière par une queue biseautée alors que d’autres sont grossièrement équarris. Ces éléments sont liés à une maçonnerie de blocage, comprenant majoritairement des moellons de tuffeau, par un mortier assez friable et pulvérulent, à forte granulométrie en raison de la présence de nombreux graviers, gravillons et même cailloux dont le diamètre dépasse 3 cm. De couleur rosâtre, le mortier comprend également quelques inclusions de nodule de chaux.

19Le parement extérieur, de 0,47 m d’épaisseur, présente à son sommet une alternance régulière dans la mise en œuvre des maçonneries laissant suggérer l’existence d’un parapet crénelé. En effet, des merlons de 1,02 m de largeur sont régulièrement espacés de 0,66 m (Fig. 11 et Fig. 12). Chaque merlon comprend entre 4 et 6 blocs de tuffeau présentant une face dressée, ou deux pour les pierres disposées aux angles. La fourrure interne se compose d’un mortier de pose très induré rosâtre à granulométrie assez fine, comprenant un faible pourcentage de gravillons et cailloux, de rares nodules de chaux et quelques charbons de bois. Les créneaux, visibles en négatif, comprennent soit un aménagement interne à l’extrémité sud-ouest où des pierres créent une embrasure (Fig. 11), soit une maçonnerie de comblement pleine constituée de blocs de tuffeau présentant une face dressée pour former le parement intérieur ou extérieur, ainsi que des blocs en remploi, de forme hémicirculaire (Fig. 12) dont la base a également été disposée en parement. La largeur de cette dernière équivaut à celle des merlons, laissant présager qu’il puisse s’agir d’un élément participant initialement du chaperon. L’embrasure a ensuite été comblée.

20Le phasage suivant peut donc être déduit à la suite du décapage : le mur sud-est se terminait par un crénelage associé à un chemin de ronde. Les créneaux ont été arasés (suppression du chaperon), comblés ou aménagés par la création d’une embrasure de tir. Enfin, une maçonnerie vient recouvrir le niveau de circulation et condamner l’embrasure de tir.

L’analyse archéologique des faces internes des murs sud-est et sud-ouest de la tour-porte

21Avant de procéder au sondage, un relevé pierre-à-pierre au 1/20 du parement interne du mur sud-est a été réalisé sur 3,50 m de hauteur et 3 m de largeur (Fig. 13). Dépassant l’emprise du sondage, ce relevé visait d’une part, à enregistrer les informations avant dépose de la maçonnerie et d’autre part, à relever d’éventuelles informations pouvant éclairer la chronologie de la construction. Dans cette optique, le relevé a également été étendu au mur sud-ouest (UM 3) sur environ 1,50 m de largeur pour 3,50 m de hauteur.

Cliché J. Noblet

24Les mêmes observations ont été faites pour la maçonnerie du mur en retour, aux caractéristiques identiques (Fig. 13). La différence de mortier, de modules des blocs, ainsi que des traces d’outil entre les neuf assises supérieures et celles placées en dessous témoignent également d’une surélévation, preuve de la présence d’un niveau de circulation s’étendant à l’ensemble du couronnement de la tour-porte.

Le sondage du parapet

25La prescription archéologique commandait de “réaliser un sondage d’environ 2 m² contre le parapet découvert, jusqu’au niveau de circulation du chemin de ronde ou l’arase du mur”. Un sondage a donc été implanté à proximité de l’angle sud-ouest du mur sud-est, afin d’une part de vérifier les relations stratigraphiques entre le parapet, l’aménagement de l’embrasure de tir dans le créneau et la surélévation et d’autre part, de découvrir le niveau de circulation du chemin de ronde associé au parapet crénelé.

28Le parapet crénelé, dont l’arase supérieure se situe à 143,69 m NGF, s’élève sur une hauteur de 1,60 m. maximum (Fig. 19 et Fig. 20). Son élévation présente le même parement constitué de blocs de tuffeau blanc régulièrement disposés en assises. À 142,08 m NGF a été repéré un retour du mortier, formant un bourrelet, témoignant de l’existence d’un niveau de circulation formé vraisemblablement par des dalles venant s’encastrer sous le parapet (Fig. 20). En effet, une réserve de 32 cm de profondeur a été dégagée. Le crénelage du parapet comprenait des merlons, larges de 1,66 m et espacés de 0,66 m. Cet espacement correspondait aux créneaux dont l’appui se situe à 143,12 m NGF, soit un peu plus de 1 m au-dessus du niveau de circulation. Ce dernier présentait une largeur de 1,25 m.

29Enfin, il a été constaté l’existence, au droit de la limite droite du merlon, d’une incision verticale d’environ 10 cm de hauteur pratiquée dans la pierre formant l’assise inférieure. Cette marque matérialisait la limite entre merlon et créneau.

L’arase supérieure après dégagement

32Par ailleurs, au droit de chaque extrémité de merlon, des incisions verticales sont visibles dans l’assise située à hauteur de l’appui des créneaux. De telles marques ont été observées sur l’arase supérieure des murs en retour confirmant la présence de merlons (Fig. 23).

Les résultats archéologiques de l’intervention de 2022

L’analyse archéologique du bâti du mur sud-ouest, face externe

33Grâce à la présence d’un échafaudage, un relevé pierre-à-pierre au 1/20 du parement externe du mur sud-ouest a été réalisé sur toute la hauteur visible de la tour, soit 18,50 m sur une bande d’environ 8 m de largeur, s’étendant du contrefort d’angle sud-ouest à l’extension à base talutée en incluant les pierres formant les extrémités occidentales des assises de son mur est (Fig. 24).

35Cette maçonnerie intègre un arc en plein-cintre composé de onze claveaux, reposant en partie sur une pierre de 1,10 m de longueur (Fig. 24 et Fig. 25). Cet arc, qui n’est nullement associé à une ouverture, jouerait plutôt le rôle d’arc de décharge visant à soulager un bloc au format particulièrement étiré en longueur situé immédiatement en dessous. Six assises plus bas, un autre bloc de 0,90 cm de longueur – et d’une hauteur inférieure à celle de l’assise à laquelle il participe – surmonte une seconde pierre de format équivalent – mais dotée d’une face latérale oblique – placée au-devant d’un conduit biais ménagé dans l’épaisseur du mur (Fig. 26). Ces différents indices, associés à la présence de la porte murée sur la face interne de l’UM 3 (Fig. 27), suggèrent l’existence de latrines à conduit biais.

36En partie basse, des pierres viennent recouper le massif de fondation du contrefort dont certains éléments ont été à cette occasion entaillés (Fig. 24), tandis qu’à l’est s’élance un contrefort reposant sur une base talutée (Fig. 10 et Fig. 28). Il est édifié avec un appareil de pierre de taille formant plusieurs ressauts de manière à élargir l’assise. Cette maçonnerie s’ancre dans le parement de la tour par l’insertion de pierre placée en boutisse dans des encoches ménagées à cet effet. Au nombre de quatorze, régulièrement espacées de 15 à 30 cm, elles possèdent une profondeur maximale de 20 cm et ont été ménagées en bûchant les pierres de parement (Fig. 24 et Fig. 29). À l’ouest, la destruction du contrefort révèle la présence de blocs taillés en remploi, dont deux chaperons de merlons, dont un a été placé pour que sa base forme le parement ouest du contrefort. Le second participe de la fourrure de la structure de soutènement, liée au mortier de terre (Fig. 30). Par ailleurs, l’insertion du contrefort a nécessité à l’ouest de recouper le clavage de l’arc en plein cintre, afin de disposer une pierre en boutisse, une assise sur deux (Fig. 24 et Fig. 25).

37Ce contrefort est recoupé à l’est par le parement de l’extension. Composée d’un appareil soigné en pierre de tuffeau, aux assises régulières, la paroi a été montée en partie haute contre la maçonnerie de la tour, seulement recoupée en partie basse par deux pierres dont une forme une console taillée en doucine (Fig. 31). La jonction de la maçonnerie avec le contrefort ajouté a nécessité quelques reprises en sous-œuvre et entailles de certaines pierres afin de renforcer la cohésion des structures. Le parement externe présente des trous de boulin, soigneusement rebouchés. Il s’agit de trous façonnés, qui ont nécessité le découpage particulier d’une ou de deux arêtes des blocs de pierre avant leur mise en place, et borgnes car les orifices n’apparaissent pas en intérieur. Grâce à ces indices archéologiques, il est possible de lire en négatif l’organisation horizontale et verticale de l’échafaudage encastré qui a servi au montage du mur : les trous de boulins s’alignent sur une arase et leur enchaînement vertical permet la restitution de l’emplacement des perches, légèrement décalées d’un niveau à l’autre.

38Cette maçonnerie se conclut en hauteur par une assise de pierre, à l’extrémité taillée en quart-de-rond et placée en saillie : cette corniche se prolonge sur tout le sommet de la tour et repose sur une assise de réglage.

Le sondage des latrines privées

40Au second étage de la tour, le parement interne est constitué d’un bel appareil de tuffeau aux caractéristiques identiques à celles du parement externe, à savoir des blocs régulièrement assisés séparés par des joints fins de mortier de chaux rosâtre induré, à faible granulométrie et inclusion de nodules et dont la face conserve les traces d’un layage oblique réalisé au marteau taillant. Cette maçonnerie intègre, à proximité immédiate de l’angle sud-est, une étroite ouverture de 0,44 m de largeur et 1,68 m de hauteur, dont les blocs formant les piédroits participent aux assises. Un linteau en bâtière couronne l’ensemble, lui aussi parfaitement intégré à la construction et lié par le même mortier rosâtre (Fig. 27). Cette ouverture, contemporaine de la construction du troisième niveau de la tour porte, a été condamnée par la pose de gros blocs de calcaire tendre formant un parement.

42L’enlèvement de cette maçonnerie a permis de dégager un espace aménagé de 1,60 m d’épaisseur (Fig. 34), accessible par l’étroite porte close par un vantail comme en témoigne la présence d’une feuillure de 8,5 cm. Large de 0,64 m une fois la porte franchie, cet espace profond de 0,85 cm s’évase en raison de parois biaises qui se retournent avec des angles incurvés (Fig. 35). Les parois présentent un beau parement de blocs de calcaire liés au mortier rose et présentant des traces de layage au marteau taillant et dont les assises sont en parfaite continuité avec les piédroits. Cet espace était couvert, au-delà du linteau de la porte, de trois planches en bois mesurant, du nord vers le sud, 26 × 5 cm, 28 × 4 cm et 25 × 5 cm (Fig. 36). Elles sont fixées à même la maçonnerie de blocage. L’extrémité sud de cet espace était couverte par une pierre massive à la face interne taillée en quart-de-rond. Un massif maçonné, de 0,72 m de largeur (0,83 m de largeur à son extrémité sud) et 0,47 m de profondeur était percé d’un orifice rectangulaire, légèrement décalé vers l’est, de 0,27 × 0,27 m (Fig. 34 et Fig. 35) et dont le tracé d’épure est visible en surface. Cet orifice ouvrait sur un conduit biais ménagé dans l’épaisseur du mur et débouchant 1 m plus bas (Fig. 34).

43Ainsi était mis au jour un remarquable dispositif de latrines à conduit biais, dont l’évacuation se faisait à l’extérieur de l’enceinte délimitée au sud par le mur gouttereau oriental du logis méridional.

Les aménagements en lien avec le logis sud

44La liaison entre le mur gouttereau oriental du logis méridional et la face sud de la tour-porte faisait partie des interrogations soulevées par les précédentes études mais non encore résolue.

45Le mur gouttereau, qui s’adapte à la forte déclivité du terrain vers le sud, présente une épaisseur actuelle de 2,20 m sur une largeur légèrement inférieure à 11 m hors-œuvre (Fig. 24). Son élévation à proximité de la tour-porte est conservée sur une hauteur d’environ 9 m et compose d’une maçonnerie constituée de blocs en calcaire dur aux dimensions irrégulières et disposés de manière à former des assises dont les pierres sont liées par un mortier fin rosâtre très induré (Fig. 10 et Fig. 37). Cette maçonnerie présente des caractéristiques identiques à celle intégrant la partie basse du contrefort sud-ouest de la tour et une partie du parement inférieur. Formant un ressaut d’une quarantaine de centimètres, une maçonnerie, recourant aux mêmes blocs grossièrement équarris de calcaire dur, vient doubler en partie basse le mur gouttereau.

46Enfin, disposée parallèle au mur gouttereau, vers l’extérieur, un mur partiellement effondré s’appuie sur le contrefort sud-est. Il se compose d’une maçonnerie hétérogène incluant moellons, silex et blocs de tuffeau en remploi liés par un mortier beigeâtre (Fig. 10 et Fig. 28). Le développement de cette maçonnerie est à mettre en relation avec la présence d’un enduit appliqué sur la face externe du mur gouttereau du logis et la présence d’un niveau de sol (Fig. 32) associé à deux marches en pierre de taille décrit précédemment ; la mise en communication de ces deux espaces a nécessité à la fois le percement du mur gouttereau sur environ 1 m de largeur et la création d’une structure maçonnée en moellons actuellement en porte-à-faux sur laquelle reposent le niveau de sol et l’emmarchement.

Synthèse architecturale

47Grâce aux données réunies lors des deux campagnes archéologiques, il est désormais possible de retracer et préciser la chronologie de la tour-porte, notamment de ses parties supérieures, et le lien de celles-ci avec le logis disposé à l’est.

Une première enceinte suivie de la mise en place d’un logis

48La différence de maçonnerie entre la partie inférieure et supérieure de la tour-porte peut résulter de deux étapes ou de campagnes de construction, plus ou moins éloignées dans le temps (Fig. 24). Le résultat de la dendrochronologie du plancher couronnant le premier niveau de la tour-porte (1166-1170d) fixe un terminus ante quem à la création d’une première enceinte défensive du site. L’arrachement visible à l’angle nord-ouest de la face occidentale de la tour témoignerait de l’extension de cette muraille vers le nord (Fig. 8), tandis que le mur gouttereau du logis pourrait former son pendant au sud.

49Contre le parement inférieur de la tour-porte est appuyée une maçonnerie à l’appareil assez fruste, en calcaire dur qui est chaînée avec la maçonnerie formant ressaut contre le mur oriental. L’épaississement d’une vingtaine de centimètres du mur viserait à servir d’assise à un niveau de circulation, peut-être un plancher en lien avec la création d’un logis au sud (Fig. 37). La postériorité de cet aménagement est avérée notamment par le bûchement de la base du contrefort de la tour-porte pour insérer la nouvelle maçonnerie.

Le couronnement originel vers 1170d

50Dans les années 1160, un rehaussement de la tour-porte est opéré et associé à la création d’un espace résidentiel ou de garde. Cette tour, édifiée avec en appareil de tuffeau blanc, était percée au rez-de-chaussée d’un passage charretier comportant un arc à double rouleau sur chaque face, et couronnée à son sommet par un parapet crénelé (Noblet 2021 : 30-31).

53De nombreuses tours possédaient ainsi une couverture qui n’était pas visible depuis l’extérieur, comme pour la tour de Gouzon à Chauvigny (Vienne) (Baudry 2011 : 121) ; la tour du Plô, à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), édifiée au début du xiii^e s. par le vicomte de Limoges, adopte un couvrement similaire (Rémy 2006 : 73). Dans cet exemple, comme à Marmande, la distribution entre les étages s’effectuait au moyen d’échelles ou d’escaliers en bois, solution fréquemment employée au xii^e s. comme en témoignent les exemples des tours de Colombine à Molède (Cantal) ou de Marlat à Auzers (Cantal) (Phalip 1993 : 76). Quant à l’accès au chemin de ronde, il devait, en raison de la présence de la toiture, être ménagé dans l’épaisseur de la maçonnerie sur toute la hauteur du dernier niveau : une gaine verticale, close par une trappe, permettait de rejoindre le parapet crénelé au moyen d’une échelle (Fig. 38). L’absence d’indice archéologique repéré sur les différentes élévations du dernier niveau invite à localiser cet accès dans le mur nord, à l’emplacement des actuels conduits de cheminée : les constructeurs auraient ainsi par la suite mis à profit l’espace laissé vacant dans l’épaisseur du mur.

54Seule la face occidentale était percée d’une fenêtre aux étages. Si aucune cheminée ne chauffait les niveaux de la tour à l’origine (des chaufferettes et braseros mobiles devaient être utilisés), des latrines avaient en revanche été aménagées dans l’épaisseur du mur sud, signe indubitable d’une recherche de confort. L’entrée étroite (0,44 m de largeur) ouvrait sur un espace évasé comprenant un siège (Fig. 34 et Fig. 35).

55Remarquées par Eugène Viollet-le-Duc, qui leur consacre une entrée dans son Dictionnaire (Viollet-Le-Duc 1863 : 163-169), les latrines constituent un équipement de l’architecture de confort définie par Jean Mesqui (Mesqui 1993 : 169). Il existe trois types de latrines : les latrines à fosse, celles à encorbellement et celles à conduit biais (Faucherre et Mesqui 1992 : 46).

56Attestées dès la première moitié du xi^e s. à la tour de Sainte-Suzanne (Davy et Foisneau 2014 : 84-86) à Mayenne (Mayenne), puis à la tour maîtresse de Montbazon (Indre-et-Loire) (Dalayeun 2013 : 21-22), à la tour rectangulaire à contreforts du château de Chevreuse (Yvelines) ou à la tour maîtresse de Montrichard (Loir-et-Cher) (Mesqui 1993 : 170), les latrines à conduit biais se sont maintenues jusqu’au début du xiii^e s., en dépit des inconvénients sur le plan hygiénique, les matières fécales s’écoulant sur le parement du mur. Des exemples des xiv^e-xv^e s. sont même avérés en Bourgogne, au château de Thil (Côte-d’Or) par exemple (Moreau 2006 : 24). Par ailleurs, certaines latrines à fosse, comme celles de la tour rectangulaire située à proximité de la tour du Moulin à la forteresse de Chinon (Indre-et-Loire), étaient dotées de conduit biais pour permettre l’écoulement des déjections (Rocheteau 2000 : 338). Toutefois, ce type de latrines a rencontré peu de succès en France (Mesqui 1993 : 172). À l’inverse, les latrines à conduit biais apparaissent comme le principal type d’évacuation employé dans les forteresses islamiques et croisées du Proche-Orient au Moyen Âge (Yovitchitch 2016 : 157). Ce constat revêt un intérêt particulier quand on sait qu’à Marmande le parapet crénelé comportait des merlons couverts d’un chaperon hémicirculaire disposé dans le sens transversal, couronnement unique à ce jour en l’état actuel des connaissances en France, mais connu pour la même époque au Proche-Orient.

57La chambre d’aisance, espace assez exigu, était à Marmande ménagée à l’intérieur de la maçonnerie (Fig. 34). L’orifice percé dans une dalle faisant office de siège (Fig. 35) débouchait sur un conduit conçu en biais à travers la maçonnerie pour diriger les déjections vers une bouche d’évacuation aménagée dans le parement du mur. Large de 0,34 m (Fig. 26), ce conduit se trouvait entre 0,25 et 0,59 m à l’intérieur du mur ouest de la tour-porte et débouchait environ 1 m sous l’orifice. L’écoulement s’effectuait à l’est du mur gouttereau oriental du logis sud, au-dessus du fossé, limitant ainsi quelque peu les nuisances olfactives et visuelles découlant de l’absence de fosse.

58La présence de latrines interroge sur la fonction du second étage de la tour : est-ce un argument pour faire de ce niveau un espace résidentiel ou les latrines n’étaient-elles qu’un confort offert aux gardes faisant le guet à la porte d’entrée ? De très nombreux exemples de latrines de garnison existent, même si fréquemment elles recourent au type à encorbellement, afin de proposer un flanquement vertical de la muraille (Faucherre et Mesqui 1992 : 52). Aménagées dans l’épaisseur du mur, elles offraient ici le même avantage de dégager l’espace de la pièce principale, sans cependant jouer un rôle défensif. Elles pouvaient aussi desservir une chambre, de nombreuses tours-résidences mettant en évidence la relation fréquente entre latrines et pièce privée. Toutefois, à l’inverse de nombreuses tours résidentielles étudiées en Poitou, celle de Marmande ne possède aucune communication avec le logis sud attenant, où pouvait prendre place une grande salle (Baudry 2011 : 134).

Les modifications du xiv^e s.

59La datation de la charpente de la tour-guette dans le dernier quart du xiv^e s. atteste une modification profonde de la tour-porte à l’instigation de Jean III, comte de Sancerre, nouveau seigneur de Marmande à la suite de son mariage en 1357 avec Marguerite (vers 1335-vers 1371), fille unique de Pierre de Marmande.

62Si les premiers hourds apparaissent dès le xi^e s., comme cela a été mis en évidence à la tour-maîtresse de Loches (Indre-et-Loire, 1012-1035d) (Mesqui 1998 : 100), le dernier tiers du xii^e s. voit la multiplication de cet élément défensif comme en témoignent les structures repérées à Albigny-sur-Saône (Rhône), Coulommiers-la-Tour (Loir-et-Cher), Châtillon-sur-Indre (Indre), Châtillon-Coligny (Loiret) ou encore Château-Gaillard aux Andelys (Eure) (Chollet, à paraître). Au siècle suivant, le hourdage des fortifications devient presque systématique, notamment dans les constructions capétiennes (Mesqui 1991 : 327), avant que la généralisation de l’emploi des mâchicoulis sur consoles, sous forme de couronnements continus entièrement maçonnés au cours de la seconde moitié du xiv^e s., n’en réduise l’usage. Toutefois, à l’aune de récentes datations dendrochronologiques, il a été constaté que ce type de structures défensives ne cesse pas pour autant d’être édifié durant les périodes troublées du bas Moyen Âge. Les hourds deviennent alors surtout l’apanage des sites secondaires et renforcent souvent des édifices aux capacités défensives réelles mais limitées (Chollet, à paraître). Cette catégorie intègre en premier lieu les châteaux de lignages subalternes ou d’officiers royaux, comme les places-fortes berrichonnes des Forges à Concrémiers (Indre), de Naillac au Blanc (Indre), de Culan (Cher) ou encore de la Motte-Feuilly (Indre) (Trézin 2000). Le site de Marmande, possession du comte de Sancerre, appartient désormais à cette catégorie de site secondaire et la construction d’un hourd pourrait ainsi permettre une remise en défense d’un château dont l’enceinte avait été renforcée de tours à archères dans le premier quart du xiii^e s. (Merlet 2018 : 91).

63Structure permanente, le hourd de la tour-porte de Marmande était à l’instar des structures mises en place aux châteaux d’Anse (Rhône, 1216-1217d) (Guilbot 2003 : 265-269), de Laval (Mayenne, 1222d) (Chollet et Gousset 2012), de Forges (1446-1447d), de Culan (milieu xv^e s.) (Crmh 1984 : D 11080), de Contenson à Sercy (Saône-et-Loire, 1473-1481) (Crmh 1984 : D 9326), de la Motte-Feuilly (1487-1504) ou à la tour de l’église Saint-Hermès-Saint-Alexandre de Theux (Belgique, province de Liège, 1345-1346d) combinés à une charpente de toit (Hoffsummer 1995 : 40 ; Hoffsummer 2003 : 286-290) (Fig. 43). Ce type de hourds est encore fréquent dans les années 1440-1450 comme en témoignent nombre de représentations de châteaux foréziens peintes dans les vignettes de l’Armorial de Guillaume Revel, comme au château de Marcilly-le-Châtel, de Bussy-Albieu, Souternon… (Laffont 2011).

64Ce dernier exemple, proche chronologiquement, possède un hourd dont la charpente repose directement sur le sommet des maçonneries nécessitant ainsi la mise à niveau du parapet. La saillie est obtenue par le débordement du plancher : le hourd formant un étage où les défenseurs peuvent circuler au-dessus de l’arase de la tour, le surplomb d’une cinquantaine de centimètres défini à partir des indices relevés sur la guette est cohérent. D’ailleurs, il a été remarqué que l’encorbellement de ces superstructures a évolué dans le temps pour devenir extrêmement faible à la fin du Moyen Âge, époque à partir de laquelle il ne dépasse que rarement les 50 cm (Chollet, à paraître).

65Les parois du hourd, en pans de bois, recevaient probablement l’enrayure haute, à la jonction entre la structure et la charpente de toit. Servant de plafond à la première, elle portait la seconde. Posée sur l’enrayure ou lui étant assemblée, la charpente de toit devait présenter quatre versants et comporter des enrayures superposées ou des portiques. En sous-œuvre, à l’intérieur de l’étage formé par le hourd, ce couvrement bénéficie nécessairement de soutiens, dont quatre types ont été repérés sur les autres sites : le système le plus ancien aux châteaux d’Anse et de Laval consiste à dresser, au xiii^e s., une charpente à portique à l’intérieur de la structure. Un second, dérivé du précédent et plus tardif car daté de la seconde moitié du xv^e s., prend la forme d’une pièce interne, généralement munie d’une structure de chauffe, faite de murs en pan bois hourdés comme à Culan ou Forges. Un autre procédé, employé tout au long du Moyen Âge, revient à placer au centre du hourd un poinçon comme à Sercy. Enfin, une alternative consiste à disposer une seconde série de poteaux porteurs en complément de ceux établis pour la paroi (Motte-Feuilly). Naturellement, pour Marmande, aucune de ces hypothèses ne peut être privilégiée en raison de la disparition de l’ensemble de la structure à l’époque moderne.

66Grâce à la campagne de 2022, il est également possible d’affirmer que ces travaux s’accompagnent du comblement des latrines associées à la pièce du second étage (Fig. 27) et de l’adjonction d’un contrefort massif de soutènement à l’angle sud-est de la tour-porte (Fig. 24 et Fig. 28).

67L’angle sud-est de la tour présente aujourd’hui des désordres structurels en partie haute, renforcés par la destruction de la partie supérieure du contrefort (Fig. 10). La face sud de la tour, contrairement à son homologue septentrionale, ne possède pas de contrefort montant jusqu’au sommet disposé au milieu de l’élévation. Cet organe de contrebutement avait dû être jugé inutile en raison de la présence de la courtine/mur gouttereau sud se développant perpendiculairement au sud.

68Néanmoins, la création de latrines dans l’épaisseur de la maçonnerie et décalées vers l’angle sud-est, associée à l’évidement du mur pour l’aménagement du conduit biais, a inévitablement affaibli la maçonnerie et la présence de l’arc de décharge (Fig. 25) n’a pas suffi au report des charges.

69Lorsque dans la seconde moitié du xiv^e s., le nouveau projet de couvrement de la tour-porte prévoit d’associer des hourds ménageant un encorbellement d’une cinquantaine de centimètres à une couverture en pavillon, le poids de la structure défensive et de la charpente pousse les constructeurs à combler le vide créé par les latrines et à renforcer l’angle sud-est par la pose d’un contrefort montant de fond. Massif, présentant plusieurs ressauts, ce renfort est lié à la maçonnerie par l’insertion de pierre en boutisse dans le parement du mur sud (Fig. 29). La concomitance entre l’arasement du parapet crénelé, nécessaire à la pose du nouveau couvrement, et la construction du contrefort est avérée par la présence de plusieurs chaperons de l’ancien couronnement dans la maçonnerie de l’épaulement, participant soit du parement, soit du blocage (Fig. 30).

70Ainsi la création de la tour-guette, des cheminées et des larges croisées à coussièges s’accompagnent de la perte d’un élément de confort, à savoir les latrines privées, remplacées peut-être par l’emploi de chaises percées, inconvénient qui sera corrigé lors de la campagne suivante au xvi^e s. avec la création de latrines en encorbellement dans l’extension orientale.

La reprise du logis sud dans la seconde moitié du xv^e s.

72Le réaménagement du logis s’accompagne d’une modification de la hauteur des niveaux intérieurs. Ainsi, l’ancien retrait ménagé contre le mur gouttereau sud afin de supporter le plancher du premier étage est rehaussé par une maçonnerie de moellons liés par un mortier rose à très forte granulométrie. Le nouvel étage se trouve 1,35 m au-dessus de l’ancien (Fig. 37).

73La partie sommitale de la face nord du mur-pignon sud conserve dans son parement une encoche quadrangulaire destinée à accueillir l’about sud de la faîtière de la charpente, certainement à chevrons-formant-fermes, formant le comble du logis sud. Le pendant, pour l’about sud, dans les assises supérieures de la maçonnerie méridionale de la tour-porte n’a pas pu être observé en raison de la reprise intégrale du parement avant l’intervention archéologique.

Les transformations de l’époque moderne

74Dans la seconde moitié du xvi^e s. (Bilot et Noblet 2015 : 25), la fonction et la physionomie de la tour-porte sont complètement modifiées. La tour est doublée en profondeur par une construction dont les maçonneries des parois sud et nord sont construites contre les extrémités du mur sud-est de la tour-porte (Fig. 7, Fig. 9 et Fig. 10).

75Sur la face sud, le collage de l’extension orientale de la tour, à l’extrémité sud du mur ouest de la tour-porte est parfaitement visible. La maçonnerie, en appareil de blocs de tuffeau blanc parfaitement assisés, vient buter contre le parement en moyen appareil de tuffeau (UC 3.11). Afin de lier au maximum la nouvelle élévation à la maçonnerie de la tour-porte, on note la tentative de chaîner certains blocs, qui s’enfoncent de quelques centimètres dans le parement antérieur du xii^e s. Notamment, une pierre taillée d’une doucine et formant un léger encorbellement témoigne d’une reprise en sous-œuvre (Fig. 31). La volonté de lier la maçonnerie de l’extension formant talus avec celle du contrefort ajouté au xiv^e s. se traduit par l’insertion de blocs en sous-œuvre dans la base de l’épaulement, qui participent également de la face sud de ce dernier. Les blocs insérés se distinguent de ceux appartenant à la maçonnerie originelle par la présence en surface de traces de ripe.

76Les deux volumes sont mis en communication par des portes aux premier et deuxième étages. La tour comprend une haute base talutée, ajourée au sud-est par une large embrasure de tir pouvant accueillir une petite pièce d’artillerie, et communicant avec le niveau du rez-de-chaussée. Au-dessus, il existe un entresol, situé entre les niveaux 0 et 1 de cette même tour, desservi par une porte percée ultérieurement dans la partie talutée comme l’indique la reprise de maçonnerie correspondant à son encadrement. L’aménagement de cet accès est daté par le millésime 1623, accompagné d’un blason surmontant le linteau. Antérieure au premier quart du xvii^e s., l’adjonction résulte d’une campagne de mise en défense réalisée au siècle précédent, probablement après les années 1540 comme l’indique la modénature de la succession de corbeaux assurant la transition entre le pan coupé de la base talutée et le mur contemporain la prolongeant vers l’est. L’agrandissement de la tour-porte condamne l’un des accès originels à la cour de l’ensemble castral, nécessitant l’aménagement d’un nouveau passage plus à l’est et dont subsiste probablement un important corbeau, pris dans les maçonneries du mur situé dans le prolongement de la base talutée, et destiné à porter un dispositif de franchissement du fossé. À noter que la vocation résidentielle de la tour persiste, comme le prouve la réalisation d’un élément de confort supplémentaire : une latrine en encorbellement posée sur trois corbeaux en quart-de-rond est accessible depuis le deuxième étage de la tour (Fig. 9).

77Le doublement de la surface de la tour-porte entraîne une modification complète du système de couverture (Fig. 45). Afin de recevoir une toiture à quatre pans, comprenant deux croupes et deux longs pans, dont l’iconographie ancienne a conservé la silhouette et qui abritait les greniers mentionnés dans les inventaires du xviii^e s. (Fig. 4).

78Afin de mieux recevoir la structure charpentée, les maçonneries des murs extérieurs de la nouvelle tour furent couronnées d’une corniche au profil en quart-de-rond (Fig. 9 et Fig. 10) dont les blocs, mesurant 63 cm de profondeur, saillent de 14 cm par rapport au nu du mur. Le mur sud de la tour-porte originel, désormais mur de refend, vit son parement interne surélevé : des blocs de tuffeau régulièrement assisés, à une face dressée au ciseau et portant des marques de modules, associés à une maçonnerie de blocage s’étendant sur plus de 1 m de profondeur, dissimulèrent l’ancien chemin de ronde (Fig. 15). Cette maçonnerie est plaquée contre l’ancien parapet crénelé et le comblement des créneaux, preuve de sa pose dans un troisième et dernier temps. Elle est par ailleurs parfaitement chaînée avec les maçonneries supérieures au parement identique des murs en retour, témoignant de la volonté de supprimer l’ensemble de la retraite.

79Afin de s’adapter à la nouvelle couverture, les conduits de cheminée furent repris, comme l’atteste le chaînage des souches avec le rehaussement de la maçonnerie de l’UM 1.

Conclusion

80Les deux fouilles prescrites à l’occasion des travaux de restauration de la tour-porte ont permis de proposer une nouvelle chronologie de cet élément-clef de l’ensemble castral et de restituer différents états entre le xii^e et le xvi^e s, notamment l’évolution de ses couronnements. Ainsi a-t-il pu être mis en évidence l’existence de merlons couronnés de chaperons hémicirculaires, qui constitue à ce jour un unicum en France, arasés dans le dernier quart du xiv^e s. pour mettre en place un système de hourds participant d’une défense active.

81Par ailleurs, des bribes d’information ont pu être collectées sur les modifications apportées au logis remontant au xi^e s. jouxtant la tour-porte au sud, avec la mise en évidence d’une importante campagne dans la seconde moitié du xv^e s., puis un réaménagement accompagné d’un agrandissement à l’est à l’époque moderne avant l’abandon de la fonction résidentielle au xix^e s. et la transformation en bâtiment agricole.

82La poursuite des observations archéologiques du bâti, notamment au rez-de-chaussée de la tour-porte, permettrait de mieux analyser les différents états du passage-charretier. Quant au logis sud, aux techniques de constructions et caractéristiques architecturales le rattachant au xi^e s., son rôle dans la genèse de ce site aux marches de la Touraine pourrait être affiné par une campagne de fouille sédimentaire.