1Le village d’Azé est situé à 7 km au nord-ouest de Vendôme, dans la vallée du Boulon, modeste affluent du Loir. Le hameau de Courtozé se développe à 2 km au sud du bourg, le long d’un vallon encaissé alimenté par un ru sans nom (Fig. 1). Adossé au flanc nord d’un coteau boisé, l’ancien prieuré de Courtozé est implanté sur un terrain plat d’environ 45 m de largeur, qui se développe entre le ru et le front de coteau, ajouré de plusieurs entrées de carrières. La roche est composée de craies à silex et de tuffeaux, notamment turonien, qui constituent le matériau de construction principal pour les bâtiments. Ces derniers forment aujourd’hui un ensemble disparate limité à l’ouest par une porterie et deux tronçons du mur de clôture, et à l’est par une grange d’Époque moderne (Fig. 2 et 3). Les autres constructions ont été érigées au début du xxe s.
Fig. 1 - Localisation du site (carré bleu), sur carte topographique IGN au 1/25 000.
Fig. 2 - Plan d’ensemble du prieuré de Courtozé, sur fond de cadastre actuel.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 3 - Vue générale du site par drone.
Cliché : D. Morleghem, Inum-Arch
- 1 Je tiens à remercier les propriétaires actuels, M et Mme Pilot, pour leur accueil et leur disponibi (...)
- 2 Étude commandée au cabinet Arcade, sous l’impulsion de Fabienne Audebrand (CRMH Centre-Val de Loire (...)
- 3 Lasergrammétrie et imagerie drone réalisées par Daniel Morleghem (INUM-ARCH, 2021).
2Un peu oublié dans son vallon isolé, le prieuré de Courtozé n’a pas suscité l’attention des chercheurs et recenseurs de la DRAC avant les années 1990, redécouvrant un site bien connu des érudits locaux de la fin du xixe s., mais jamais étudié depuis. Le bâtiment de la porterie, remarquablement bien conservé, constitue aujourd’hui le vestige médiéval le plus significatif, inscrit à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en janvier 1993. Le rachat récent de l’ensemble, par des propriétaires soucieux de réhabiliter les lieu1, a encouragé la Conservation régionale des monuments historiques de Centre-Val de Loire à lancer des investigations préalables, dans une perspective de travaux de restauration et de révision de protection (Tournadre 20222. L’opération, qui avait pour objet principal l’analyse de la charpente de comble, a comporté trois volets : une étude de bâti avec enregistrement archéologique, des relevés techniques exécutés par lasergrammétrie et complétés par une couverture photographique au drone3, une campagne de prélèvement des bois pour une analyse dendrochronologique (Perrault 2022).
3Aucune recherche documentaire récente n’a été entreprise sur le prieuré de Courtozé. Son histoire est esquissée à grands traits par des érudits locaux du xixe s., notamment Achille de Rochambeau, président de la Société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, qui publie un premier article sur le site et insiste sur le grand intérêt de ses bâtiments, encore préservés en 1874 (Rochambeau 1874). Une analyse rapide des inventaires d’Ancien Régime conservés aux archives départementales de Loir-et-Cher, qu’il conviendrait cependant d’approfondir, dénonce la pauvreté du dossier historique et documentaire.
- 4 L’acte latin est ajouté en pièce justificative dans Rochambeau 1874 : 315-316.
4Le nom de Courtozé, du latin Curtis Ozilli, apparaît pour la première fois vers le milieu du xie s. dans un acte du cartulaire de la Trinité de Vendôme, signé par son premier abbé, Renault4. Il y est fait mention de trois frères (Geoffroy, Ingelger et Roger), fils d’un seigneur dénommé Vauchelme et propriétaires de la terre de Courtozé. De ce simple alleu à l’origine, chacun s’engage à donner sa part au monastère vendômois après sa mort, ou à y prendre l’habit monastique. C’est ainsi que le bien devient quelques années après la propriété entière de la Trinité, qui en fait l’un de ses prieurés. Un dénommé David, moine de Courtozé, est cité comme témoin dans un acte de 1047, preuve qu’une vie religieuse y est établie (Rochambeau 1874 : 301). En juin 1192, Hugues, archidiacre de Vendôme, autorise qu’on y bâtisse une chapelle placée sous le vocable de Saint-Pierre, qui n’aurait jamais été desservie par plus de trois moines (Simon 1835). Placé sous l’autorité directe de l’abbé de la Trinité, le prieuré de Courtozé, qui générait des revenus réguliers, constituait donc l’une des nombreuses dépendances de la puissante abbaye vendômoise, participant ainsi au maillage de son territoire, à des fins à la fois économiques, politiques et religieuses.
5Le prieuré formait encore en 1874 un ensemble exceptionnel par la qualité de ses constructions, documentées hélas par une iconographie indigente : outre le cadastre napoléonien de 1812, qui marque grossièrement l’emprise de l’ancien établissement religieux sans en détailler les bâtiments, on ne dispose que d’une eau-forte d’Armand Queyroy, datée de 1867 (Fig. 4), et d’un plan d’Henri Godineau joint à l’article d’A. de Rochambeau (Fig. 5). En revanche, grâce à sa perspicacité, l’auteur nous a laissé l’unique description détaillée des lieux et de ses quatre bâtiments “placés irrégulièrement dans une cour centrale” , dont celui de la porterie : “ce pavillon, d’une forme tout à fait originale, d’une belle construction” (Rochambeau 1874 : 303). Le grand bâtiment central, bien visible sur le dessin d’A. Queyroy (Fig. 4), présentait un riche décor de peintures murales qui ont fait l’objet de plusieurs dessins aquarellés réalisés par H. Godineau et joints sous forme de planches à l’article d’A. de Rochambeau. Malheureusement, à l’exception de la porterie, l’ensemble des bâtiments fut détruit quelques années plus tard par son propriétaire, indifférent à sa conservation, comme le constate amèrement Ernest Nouel lors de sa visite de juin 1890 (Nouel 1890). Contrairement à ce qui est avancé parfois, une partie de ces décors peints n’a pas été déposée au musée de Vendôme (Contenson 1993). Une carte postale ancienne témoigne de l’état de la façade est de la porterie au début du xxe s., tandis que l’on devine sur la droite de l’image l’angle d’un bâtiment nouvellement construit (Fig. 6).
Fig. 4 - Le prieuré en 1867, eau-forte d’A. Querroy, extrait de Paillet et Papounaud 2010 : n. p.
Cliché : H. Garric
Fig. 5 - Plan du prieuré en 1874.
Dessin : H. Godineau, extrait de Rochambeau 1874 : 298
Fig. 6 - Porterie, façade est, carte postale du début du xxe s.
- 5 Un relevé topographique serait nécessaire pour replacer les éléments conservés de l’enceinte.
6De plan rectangulaire, le bâtiment de la porterie, aligné sur un axe nord-sud décalé de 14° vers l’est, est implanté à deux mètres du bord de la route. Celle-ci traverse l’ancien enclos du prieuré, dont l’enceinte est connectée à l’édifice (Fig. 7). Il en subsiste un départ de mur biais au sud (M 6) et près de 11 m de longueur d’élévation au nord (M 7), aligné sur le mur ouest du bâtiment (M 1) et appuyé au front de coteau qui forme une barrière naturelle (Fig. 8). Des fragments remaniés de l’enceinte ont aussi été repérés de l’autre côte de la route, noyés dans la végétation bordant le ru asséché. La clôture formait ainsi un polygone irrégulier, dont le tracé a été reconnu à la fin du xixe s.5 (Fig. 5). Sa suppression est liée à l’aménagement de la route ; opération sans doute plus aisée que la démolition de la porterie elle-même, qui fermait initialement le passage dans ce vallon étroit. Au sud du bâtiment, un petit réduit dépourvu de toiture a été construit tardivement entre le mur d’enceinte (M 6) et le mur sud de la porterie (M 4).
Fig. 7 - Front ouest du prieuré.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 8 - Porterie, côté nord-est, et mur de clôture M 7.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
7Celle-ci mesure 6,45 m de largeur sur environ 11 m de longueur hors œuvre (10,85 m à l’ouest et 11,10 m à l’est) (Fig. 9). Elle est munie de contreforts d’angles à ressauts et d’un contrefort médian sur sa face ouest. Le bâtiment, homogène, comprend deux niveaux : un rez-de-chaussée articulé en deux larges passages transversaux séparés par un mur de refend aveugle (M 5) et couverts d’un plancher à solives ; un étage à volume unique sous charpente apparente d’une superficie de 46 m² (Fig. 10). L’intérieur du bâtiment est dépourvu d’aménagements muraux. L’ensemble est coiffé d’une structure charpentée à deux versants et deux croupes droites, couverte d’une toiture en petites tuiles plates. Épais de 0,95 m, les murs sont montés, d’une part, avec une maçonnerie de moellons liés par un mortier de chaux beige de granulométrie moyenne ; d’autre part, avec des blocs de moyen appareil soigneusement équarris disposés en assises régulières, réservés aux encadrements d’ouvertures, aux chaînages d’angle et aux contreforts. La pierre employée est un calcaire tendre et friable, de type tuffeau de Touraine, d’extraction locale. Les nombreuses carrières creusées dans le coteau de Courtozé et ses abords ont très probablement constitué la principale source d’approvisionnement. La surface des blocs présente des traces de layage oblique, caractérisé par des stries fines et régulières. Au niveau de la charpente, une maçonnerie de moellons à joints beurrés d’environ 1,15 m de hauteur a été ajoutée sur l’arase des murs, montée sur les sablières et derrière les jambettes, peut-être afin de limiter les entrées d’air lors d’une phase de remaniement.
Fig. 9 - Plan phasé du niveau 0.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 10 - Plan phasé du niveau 1.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
8L’élévation tournée vers l’extérieur de l’enclos, qui se développe sur une hauteur totale de 7,70 m, marquait autrefois l’entrée principale du prieuré (Fig. 11 et 12). De construction homogène, elle s’articule en deux travées encadrées par des contreforts talutés à leur base et amincis en hauteur par des ressauts successifs adoucis par des glacis. Deux rangées de quatre boulins d’échafaudage prennent place dans la partie supérieure du mur. Le pied de la travée nord est masqué par un remblai de terre qui forme une pente douce remontant vers le coteau, occultant ainsi jusqu’à 1,15 m de hauteur de maçonneries.
Fig. 11 - Façade ouest (M 1).
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 12 - Relevé phasé du mur ouest (M 1), face ouest.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
- 6 Les bases des piédroits, talutées par des maçonneries formant chasse-roues, réduisent le passage à (...)
9Chaque travée du rez-de-chaussée est pourvue d’une ouverture : celle du sud (Por 01) est amplement ajourée par un arc en plein cintre à double rouleau clavé autorisant le passage de charriots6 ; la travée nord est munie d’une porte de 1,32 m de largeur décentrée vers le sud (Por 02), initialement destinée aux piétons. Elle est surmontée d’un arc en plein cintre clavé à double rouleau, et soulignée par une archivolte moulurée qui se retourne pour former un cordon régnant jusqu’au contrefort nord. Son embrasure intérieure, plus haute, est couverte d’un arc segmentaire (Fig. 13 et 14). Le remblai extérieur a entraîné le comblement, sur 0,70 m de hauteur, de la partie inférieure de l’ouverture ; l’ancienne porte a ainsi été transformée en fenêtre à la fin du XIXe s. et munie de barreaux métalliques.
Fig. 13 - Relevé phasé du mur ouest (M 1), face est.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 14 - Mur ouest (M 1), porte piétonne (Por 02), côté est.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
10Le second niveau d’élévation, délimité par un cordon d’imposte qui règne entre les contreforts, est ajouré de deux fenêtres géminées en plein cintre, Fen 01 et Fen 02 (Fig. 12 et 13). Le profil du cordon, identique à celui du rez-de-chaussée, est formé d’un tore dégagé par un cavet. Chaque fenêtre présente deux baies dont l’arc en plein cintre est découpé dans des blocs au contour adouci par un chanfrein (Fig. 15). Ces ouvertures sont séparées par une colonnette qui repose sur une base moulurée et soutient un chapiteau à feuillages plats et crochets, très altéré par le délitement de la pierre. Le chapiteau est constitué d’un tore, d’une corbeille épannelée et d’un tailloir débordant ; l’ensemble de ces éléments, de la base jusqu’au au tailloir, a été taillé dans un bloc monolithe. Signalons aussi que les profils des deux meneaux diffèrent : la colonnette de Fen 01 est plus gracile que celle de Fen 02, dégagée par de simples pans coupés. Le tympan est quant à lui ajouré par un losange chanfreiné, formé par la découpe des blocs de calcaire montés en retrait sous l’arc d’encadrement clavé. Plus généralement, les éléments sculptés et la stéréotomie des blocs de moyen appareil sont soignés, comme en témoigne l’amortissement en pénétration de l’archivolte de Por 02 dans le contrefort (Fig. 11). Côté intérieur, les fenêtres de l’étage prennent place dans une embrasure en arc en plein cintre aménagée dans un mur aminci de 0,80 m d’épaisseur (Fig. 10 et 13). L’encadrement, bien assisé avec des blocs de moyen appareil, se poursuit jusqu’au sol et dégage ainsi une allège, dépourvue de coussièges dans les ébrasements (Fig. 16). Le meneau de Fen 02 conserve une colombe au profil triangulaire, destinée autrefois à la fermeture de vantaux, dont le trou ménagé sur les flancs permettait l’insertion de barres de verrous (Fig. 17).
Fig. 15 - Mur ouest (M 1), face ouest, fenêtres géminées (Fen 01 et 02).
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 16 - Vue générale de l’étage vers le sud-ouest.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 17 - Mur ouest (M 1), colombe de la fenêtre de l’étage (Fen 02).
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
11Le mur nord présente en partie haute une porte en arc en plein cintre clavé (Por 03), large de 1,20 m et déportée sur le bord ouest de l’élévation, qui constitue l’unique accès à l’étage (Fig. 18 et 19). Son embrasure intérieure est couverte d’un arc segmentaire. Le mur d’enceinte M 7, qui vient s’appuyer contre l’élévation, est parfaitement chaîné sur toute sa hauteur avec M 1 et M 2. Les maçonneries sont donc synchrones, comme le confirment les carreaux de moyen appareil du piédroit ouest de la porte, qui se prolongent vers le nord en dépassant l’aplomb du mur. Épais de 0,95 m, M 7 est monté avec une maçonnerie équivalente à celle de la porterie, majoritairement constituée de moellons irréguliers et de blocs non équarris liés par un mortier de chaux (Fig. 8 et 20). Toutefois, des reprises ponctuelles n’étant pas exclues, l’élévation de M 7 nécessiterait un relevé et des analyses de mortier, afin d’en établir la stratigraphie.
Fig. 18 - Mur nord (M 2), face nord.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 19 - Relevé phasé du mur nord (M 2), face nord.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 20 - Mur de clôture M 7, face ouest.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
12La porte Por 03 étant aujourd’hui dépourvue de dispositif d’accès, la question de l’emplacement de l’escalier reste posée. Des lacunes de maçonneries suggèrent un négatif de rampe droite adossée le long du mur (Fig. 19), possible trace d’un dispositif en bois ou en pierre. La seconde hypothèse serait un accès via une structure mitoyenne montée au nord : les fragments d’un plancher en béton appuyé à mi-hauteur (Pla 03), alignés sur ceux du mur d’enceinte, marquent peut-être une ancienne limite de niveau. Quoi qu’il en soit, la poutre de rive actuelle, maintenue par deux crochets en fer scellés au ciment et ancrée dans les maçonneries du contrefort et de M 7, comporte des traces de sciage mécanique qui confirment une mise en place postérieure à la période médiévale.
13Cette élévation tournée vers l’intérieur de l’enclos comporte un rez-de-chaussée ajouré de deux grandes arcades de 4,05 m et 4,09 m de largeur, qui définissent l’entrée des deux passages de la porterie (Fig. 21). Le niveau supérieur est muni d’une unique fenêtre placée au centre de la façade (Fen 03). L’élévation comprend deux rangées de trois trous de boulins d’échafaudage ; à noter que celui de l’étage au nord n’est pas aligné sur les deux autres.
Fig. 21 - Façade est (M 3), face est.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
14Si l’ensemble est homogène, l’élévation a cependant connu quelques reprises (Fig. 22). Les arcs à double rouleau soigneusement clavés sont amortis au centre par un quart de rond et un mince dosseret, dont le parement a été refait. L’ancienne baie de l’étage a été plus lourdement remaniée : seuls son arc en plein cintre clavé et ses piédroits appartiennent à l’état 1. Transformée en porte, après l’abandon du prieuré et l’affectation de l’étage en grenier, l’allège a été supprimée et l’encadrement abaissé. L’ouverture géminée a également été détruite, très probablement similaire à l’origine aux deux fenêtres de l’élévation ouest, dont l’embrasure intérieure est identique (Fig. 23) et comme le confirme l’illustration de 1867 (Fig. 4).
Fig. 22 - Relevé phasé du mur est (M 3), face est.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 23 - Vue générale de l’étage vers le nord, avec porte d’accès au fond (Por 03).
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
15Au-dessus de l’arc du passage 1, un carré enduit à la chaux de 1,15 m de largeur sur 1,25 m de hauteur pourrait être le support d’un ancien décor armorié peint, dont on ne distingue aujourd’hui plus rien (Fig. 21).
16Totalement aveugle, le mur sud est masqué en partie basse par le réduit accolé à l’élévation (Fig. 24). Sa maçonnerie est homogène et synchrone avec celle du fragment de mur d’enceinte M 6, chaîné sur toute la hauteur du bord occidental (Fig. 25). Du côté du passage, la base de M 4 présente un ressaut de 11 cm de largeur et 44 cm de hauteur, qui n’occupe pas toute la longueur du mur (Fig. 26). Il s’agit plus probablement d’un massif de fondation que d’un fragment de maçonnerie antérieure, ne serait-ce que par la nature du mortier et des modules de gros blocs de calcaire non équarris associés à de petits moellons, en tous points semblables à ceux du reste de l’élévation.
Fig. 24 - Mur sud (M 4), face sud.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 25 - Mur de clôture M 6, face ouest.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 26 - Mur sud (M 4), face nord, ressaut de maçonnerie à la base.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
17Le passage charretier (Por 01) pouvait être fermé par une paire de vantaux en bois, dont la rotation vers l’intérieur était assurée par des organes métalliques scellés dans les murs latéraux M 4 et M 5 (Fig. 13). Deux types sont toujours en place en partie supérieure, qui correspondent à deux états : le plus haut est un simple gond destiné à l’encastrement d’un nœud en métal (Fig. 27) ; le second, postérieur, est un anneau dans lequel s’insérait un pivot en bois taillé à l’extrémité du montant de vantail. En partie inférieure, ces organes métalliques sont attestés par des trous de scellement rebouchés. Aucun n’est visible pour la porte piétonne (Por 02).
Fig. 27 - Mur sud (M 4), face nord, gond de vantail de porte.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
18Au revers du mur ouest M 1, les deux portes étaient pourvues d’un système de blocage des vantaux par une barre en bois, révélé par la présence de trous quadrangulaires pratiqués à mi hauteur dans les maçonneries des murs latéraux et du refend (Fig. 13 et 28). Ces trous alignés, de 22 cm de hauteur et 14 à 16,5 cm de largeur, traversent toute l’épaisseur du mur nord M 2 et du refend M 5 afin de permettre le glissement des barres, dont l’une pouvait ressortir côté nord (Fig. 29). Au sud, une réserve de 15 cm de profondeur taillée dans un bloc de pierre permettait d’accueillir l’about de la barre. Les trous du mur nord et du refend conservent un tronçon de bois débité à la scie, bloqué avec du plâtre, éléments insérés tardivement, peut-être au xixe s.
Fig. 28 - Coupe transversale et ferme axiale de la charpente.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 29 - Mur nord (M 2), face nord, trou barrier.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
19Un plafond à solives recouvre chaque passage du rez-de-chaussée, de part et d’autre du mur de refend M 5 (Fig. 30). Chaque plancher (Pla 01 et Pla 02) est constitué de six solives disposées dans le sens nord-sud, qui s’appuient à chaque extrémité sur une mince sablière de rive posée sur un ressaut de 19 à 20 cm de largeur (Fig. 28 et 31). À l’exception de celle de M 2 qui a été remplacée, ces sablières, de 10 × 20 cm de section, sont posées avec un débord de 5 cm, dont la saillie est atténuée par un pan coupé (Fig. 32). Au-dessus du mur de refend M 5, elles sont noyées dans une maçonnerie de rechargement composée de moellons et de mortier insérés dans l’entrevous des solives.
Fig. 30 - Plan phasé du plafond, vu de dessous.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 31 - Passage 1, solives du plafond vers le nord.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 32 - Passage 1, abouts de solives sur la sablière sud.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
20Les solives posées à plat, d’une longueur de 4,30 m, présentent une section moyenne de 22 × 28 cm. Dépourvues de marquage, toutes les pièces ont été équarries à la doloire dans des bois de brin de chêne rectilignes mais au faciès flacheux et noueux. L’ensemble du solivage est synchrone avec les maçonneries de la porterie. Les lames de plancher fixées sur le dessus, qui présentent des traces de sciage industriel, sont quant à elles postérieures.
- 7 Les blochets qui ne comportent pas de rainures sont peut-être des bois remplacés mais un examen plu (...)
21La charpente du bâtiment, à deux versants et croupes droites, est posée sur l’arase des murs, via un double cours de sablières, toutes monoxyles sur chacun des quatre côtés (Fig. 33). Les pieds de fermes débordant de 20 à 30 cm l’aplomb des murs, la toiture est implantée en surplomb sur l’édifice. Un ancien dispositif de cache-moineaux est attesté par la présence de rainures ménagées sur les flancs de la plupart des blochets et entraits, destinées au glissement de planches, toutes disparues aujourd’hui7.
Fig. 33 - Plan phasé de la charpente au niveau des entraits.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
- 8 Les réfections de toiture sont déduites par l’observation des photos anciennes.
22Cette charpente homogène a été conçue avec un système mixte combinant chevrons-formant-fermes et portiques longitudinaux, très bien adapté à une structure à double croupe (Fig. 34). L’ensemble est également complété par un dispositif de contreventement. Des entre-chevrons - pour la plupart issus de bois blancs - ont été ajoutés tardivement pour fixer le lattis de la couverture en tuiles, refaite au moins deux fois, au xixe s. et avant les années 19708. Caractéristique remarquable pour un ensemble de dimensions modestes, cette charpente dépourvue d’enrayure comprend quatre types de fermes sur un total de neuf, dont le schéma bien étudié répond parfaitement aux nécessités structurelles d’une toiture à quatre versants (Fig. 35). Les croupes comptent chacune 16 fausses demi-fermes auxquelles nous avons arbitrairement attribué l’initiale “C” afin d’en faciliter le repérage (Fig. 33).
Fig. 34 - Vue générale de la charpente vers le nord-est.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 35 - Relevé des quatre types de fermes de la charpente.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
23Elles se composent toutes deux d’une paire de chevrons assemblés en tête dans un poinçon et tenonnés en pied dans un entrait (Fig. 34 et 35). Ce dernier est tracté par le poinçon, relevé lui-même par une paire de sous-chevrons. L’ensemble est réuni par un faux-entrait assemblé à mi-bois. Par ailleurs, les poteaux des deux portiques longitudinaux sont tenonnés dans l’entrait et assemblés à mi-bois aux sous-chevrons. Notons que les arêtes du poinçon tournées vers le centre de la charpente et situées sous l’entrait sont abattues par de minces chanfreins amortis par des congés en cuillère, modestes éléments de décor. Au nord, l’extrémité orientale de l’entrait a été reprise avec une greffe en trait de Jupiter bloquée par une clé, sans doute à la suite d’une rupture. Cette partie fragile est consolidée par un étrier métallique boulonné au poteau du portique.
24Montée au centre de la structure, elle sert à la fois à soulager les portiques et à reprendre les charges du contreventement (Fig. 35 et 36). À l’instar des fermes de croupes, elle est constituée d’un couple de chevrons et de sous-chevrons réunis par un entrait retroussé. Ce dernier est délesté par un poinçon haut, tandis qu’une paire de courtes entretoises, qui soutiennent la sablière haute des portiques, relie à mi-bois le chevron et le sous-chevron. Ceux-ci sont tenonnés dans le poinçon et les chevrons s’assemblent en tête par enfourchement, au-dessus de la faîtière. La ferme repose en pied sur une paire de blochets. Signalons qu’un couple de moises boulonnées à la base des sous-chevrons a été fixé à la fin du xixe ou au début du xxe s. afin de contenir l’écartement de la ferme.
Fig. 36 - Charpente, côté nord.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
25Placées entre les fermes de croupes et la ferme axiale, les deux fermes principales comprennent un couple de chevrons assemblés en tête par enfourchement et reliés par un entrait retroussé (Fig. 35 et 36). Une paire de jambettes et de contrefiches assemblées à mi-bois raidissent l’ensemble. Les pieds de fermes reposent sur des blochets.
26Intercalées entre les autres fermes, les quatre fermes secondaires sont réduites à une paire de blochets et de chevrons raidis en pied par des jambettes (Fig. 35). L’assemblage en tête des chevrons, probablement par enfourchement, est difficile à observer, masqué par la faîtière et des cales en bois.
27Les deux portiques longitudinaux montés de part et d’autre de la structure, sous le niveau des faux-entraits et entraits retroussés, permettent d’étrésillonner les fermes de croupes et la ferme axiale, tout en participant au dispositif des croupes (Fig. 37). Ils se composent chacun d’une sablière haute monoxyle - qui fait office de panne - portée aux deux extrémités par un poteau tenonné en pied dans l’entrait de la ferme de croupe, et au milieu par l’entretoise de la ferme axiale (Fig. 38). Des paires d’aisseliers tenonnés dans les poteaux soulagent la sablière, dans laquelle ils s’assemblent à mi-bois avec ergot. Ce dispositif est parfaitement synchrone avec le reste de la structure. Seule une courte pièce qui double la sablière côté est a été ajoutée au nord de la ferme de croupe, ainsi que l’aisselier sud, remplacé par une pièce en bois blanc.
Fig. 37 - Charpente, côté ouest.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 38 - Relevé du portique ouest de la charpente.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
- 9 Ces blochets servent d’appui aux empanons de C3, C5, C12, C14, C19, C21, C28 et C30.
- 10 Les empanons n’étant pas chevillés aux arêtiers, il est possible qu’ils n’y soient pas tenonnés non (...)
28La charpente est dotée de deux croupes droites placées au nord et au sud. Dépourvue d’enrayure, la structure relève d’une autre conception, adaptée au système à chevrons-formant-fermes. Noyés dans la maçonnerie, de longs blochets placés dans les angles font office de coyers et reçoivent probablement sur leurs flancs les blochets d’angles9, dont seuls les abouts extérieurs sont visibles (Fig. 33). Les empanons de croupes, ou faux-chevrons, équipés en pied d’un blochet et d’une jambette, à l’instar des fermes, s’appuient simplement contre les chevrons d’arêtier10 (Fig. 39). Afin de prévenir le risque de fléchissement, une panne médiane soutient les empanons, portée par les sablières des portiques dans lesquelles elle s’emboîte à mi-bois à chacune des extrémités. Cette panne est soulagée en son milieu par un demi-entrait soutenu par un aisselier et tenonné dans le poinçon de la ferme de croupe (Fig. 39 et 40). Ce dispositif sophistiqué assure ainsi une meilleure répartition des charges.
Fig. 39 - Croupe nord de la charpente.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 40 - Coupe longitudinale sud-nord de la charpente.
DAO : F. Tournadre, Cabinet Arcade
29Un dispositif de contreventement étrésillonne la partie haute de la charpente, entre les fermes de croupes et la ferme axiale (Fig. 37 et 40). Il comprend une faîtière et une sous-faîtière renforcées par quatre longs liens assemblés à mi-bois en tête et tenonnés en pied dans les poinçons de croupes et le poinçon haut de la ferme axiale. La sous-faîtière, unie aux liens par un mi-bois passant chevillé, est constituée de deux pièces tenonnées dans les poinçons.
30On observe dans cette charpente une mixité des modes d’assemblage : par dévêtissement latéral avec ergot bloqué par une grosse cheville carrée (mi-bois), ou par tenon-mortaise chevillé. Le premier type est employé pour les entraits retroussés, les contrefiches, les entretoises, les têtes de jambettes, de liens et d’aisseliers, selon une découpe proche de la demi-queue d’aronde (Fig. 41). Le pied du poinçon haut de la ferme axiale est quant à lui assemblé dans l’entrait retroussé par un mi-bois en queue d’aronde (Fig. 42). Des entailles obliques à mi-bois assurent également le liaisonnement des bois passants sur les sous-faîtières et les sous-chevrons, verrouillés par une cheville.
Fig. 41 - Assemblages à mi-bois : jambette est de la ferme secondaire 4 (FS 4) et contrefiche est de la ferme principale sud (FP 2).
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Fig. 42 - Ferme axiale (FA), pied de poinçon haut avec mi-bois en queue d’aronde, face nord.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
- 11 Pied d’aisselier du poinçon de croupe nord, pied d’aisselier du poteau sud du portique ouest, pied (...)
31Le tenon-mortaise est réservé aux assemblages situés en pied des pièces : chevrons, aisseliers, liens et jambettes, ainsi que pour la sous-faîtière et les têtes de poinçon de la ferme axiale et des poteaux de portiques. On note au passage plusieurs erreurs de piquage11. Le pied des poinçons des fermes de croupe, tenonné dans l’entrait, est bloqué par un rossignol inséré dans une mortaise élargie à gorge inclinée, selon un système d’assemblage par tenon en demi queue d’aronde ; technique très usitée au xiiie s. permettant une traction plus efficace de l’entrait en évitant le risque de déboîtement.
- 12 En l’état, il est impossible de vérifier si ces entures sont chevillées.
32Situées sur le même plan, les sablières hautes des portiques et les pannes de croupes se croisent aux quatre angles par un emboîtement à double entaille droite non chevillé, tandis que les sablières monoxyles posées sur les arases des murs s’aboutent à angle droit par une simple enture droite12.
- 13 Les chevrons d’arêtier ne sont pas assemblés dans l’élément abouté du poinçon. Une simple entaille (...)
33On relève par ailleurs une anomalie sur les têtes de poinçon des fermes de croupe, qui présentent une greffe par enture droite, bloquée par au moins une cheville (Fig. 40 et 43). La pièce dans laquelle est taillé le poinçon monoxyle apparaît donc trop courte de 45 à 50 cm. Côté sud seulement, l’about de la faîtière révèle également une enture en sifflet à talon. Difficile de considérer qu’il s’agit nécessairement d’une reprise tardive, liée à une réparation du faîtage à cet endroit particulièrement sensible où se rejoignent aussi les chevrons de la ferme et les arêtiers13. En effet, les pièces aboutées sont équarries dans des billes de chêne de section et d’aspect en tous points identiques aux bois médiévaux de la charpente. Dès lors, plusieurs hypothèses s’offrent à nous : un défaut de conception du charpentier lors du tracé de l’épure (les pièces concernées étant trop courtes) - ce qui est fort peu probable au regard d’une conception d’ensemble très aboutie - ; une technique d’assemblage facilitant le montage de la faîtière, dont l’usage rarissime pouvait être encore mal maîtrisé à cette époque ; une reprise précoce des têtes de poinçons, qui dépassaient initialement de la toiture pour supporter des épis de faîtage. Une analyse dendrochronologique de ces éléments, accessibles seulement à l’occasion de travaux de toiture, permettrait de vérifier la chronologie relative de ce dispositif.
Fig. 43 - Fermes de croupe (FC 1 et 2), têtes de poinçon avec enture.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
34Des perforations d’environ 3 cm de diamètre pour des ranches d’échelier ont été ménagées sur toute la hauteur des faces est et ouest des poinçons de croupe (Fig. 40). Elles permettaient de faciliter le déplacement des charpentiers lors des opérations de levage. En revanche, les chevilles transversales insérées à la base des poinçons de croupe et des poteaux des portiques, alignées et situées à seulement 16 cm au-dessus du niveau des entraits, ne sont peut-être pas d’anciennes ranches (Fig. 35 et 44). En effet, elles sont parfaitement alignées dans le plan de la ferme et traversent toute l’épaisseur des bois. Leur fonction demeure indéterminée ; un dispositif lié au levage est envisagé, pour la fixation de cordes par exemple.
Fig. 44 - Ferme de croupe nord (FC 1), entrait et pied de poteau est.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
35D’autres trous de 2 cm de diamètre et d’environ 3 cm de profondeur sont creusés à la tarière sur le dessus des entraits, tous placés à 15 cm de la base des poteaux, côté extérieur (Fig. 44). Ces deux paires de trous servaient-elles au positionnement respectif des deux fermes de croupe ou au maintien d’un platelage provisoire ? Une enquête plus approfondie sur les anciennes techniques de levage reste à mener.
- 14 À titre d’exemple, des marques d’appareillage ont été relevées sur le contreventement de la charpen (...)
36Cette structure présente de nombreuses marques d’assemblage, dont l’identification demeure incomplète en raison de la maçonnerie en moellons ajoutée sur le surcroît, qui masque une partie des pieds de ferme. En outre, le système de marquage visible et sa répartition apparaissent parfois incohérents ou difficiles à interpréter. S’il existe de véritables marques d’assemblage, comme pour les éléments du contreventement, d’autres représentent des marques de pièces, notamment pour celles situées à la base de la structure. D’autres encore sur le portique ouest constituent des marques d’appareillage, gravées à la jonction de deux pièces (Fig. 45)14. L’ensemble a fait l’objet d’un relevé systématique (Tabl. 1), reporté sur les dessins techniques, notamment le plan de la charpente au niveau des blochets (Fig. 33).
Fig. 45 - Marques d’assemblage sur portique ouest, côté nord, face est.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
Tabl. 1 - Marques d’assemblage de la charpente.
37Toutes ces marques ont été réalisées avec différents outils : majoritairement au traceret, mais également au ciseau et à la rainette pour le portique ouest (Fig. 45). Les orientations varient également en fonction de l’emplacement des fermes. Dans la moitié nord, en incluant la ferme axiale, les marques sont gravées côté sud ; dans la moitié sud, elles le sont sur la face nord des bois. Cela correspond aussi au sens d’enfoncement des chevilles, déterminant sans équivoque la face d’établissage. On peut dès lors supposer que le levage des fermes s’est effectué depuis le milieu du bâtiment et dans les deux sens opposés.
38Bien que la numération adoptée soit fondée sur le principe simplifié des chiffres romains, mais seulement à base de bâtonnets accumulés, on ne distingue pas l’emploi d’un système global commun à toute la charpente. Le relevé des marques en pied témoigne de courtes séquences continues (Fig. 33 et Tabl. 1), qui ne dépassent jamais 7 : pour les blochets et jambettes de la croupe nord, de C6 à C11 (nos 1 à 6) ; pour les jambettes et le sous-chevron côté est, de C16 à FS 2 (nos 3 à 7) ; pour le sous-chevron et les jambettes côté ouest, de FA à FP 1 (nos 1 à 3). D’autres signes à base de X ont aussi été relevés dans la croupe sud, dont la logique nous échappe. Il pourrait s’agir de signes particuliers, qui ne répondraient pas à une méthode de numérotation mais constitueraient de simples marques de localisation des pièces.
39L’emploi de certains outils, en particulier le ciseau observé exclusivement côté ouest, ou encore la rainette pour le portique du même côté, servait peut-être de méthode de latéralisation des fermes destinée à faciliter le repérage lors des opérations de levage. Le double marquage, au traceret et au ciseau, pour FS 1, FP 1 et FS 2 semble le laisser penser mais il reste très ponctuel (Fig. 46). L’usage conjoint de bâtonnets et de petits coups de ciseau a déjà été identifié sur des charpentes normandes (Épaud 2007 : 91): dans le chœur de l’église de Saint-Sulpice-sur-Risle (Orne, fin du xiie s.), dans la nef de la cathédrale de Lisieux (Calvados, 1183d) et dans l’abbatiale de Fécamp (Seine-Maritime, 1217-1223d).
Fig. 46 - Ferme principale nord (FP 1), marquage double sur jambette ouest.
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
40Le contreventement possède son propre système de marquage gravé sur la face est des pièces mais divisé en deux niveaux distincts (Tabl. 1 et Fig. 40). En partie basse, pour les bois liés aux croupes, on relève des marques à base de X : X au sud et XI au nord. En partie haute, on note un système de bâtonnets : de II (ferme axiale) à III (ferme de croupe sud). Le I, qui correspondrait à la numérotation de la ferme de croupe nord, n’a pas été observé, mais l’absence de marque pourrait aussi indiquer le début de la série.
- 15 Âge moyen des arbres estimé sur la base de 10 échantillons avec bois de cœur, d’après les analyses (...)
41Les pièces employées sont des bois de brin de chêne (Quercus sp.), de bonne qualité, rectilignes mais noueux et parfois flacheux. L’essentiel des pièces de la charpente provient d’arbres jeunes âgés en moyenne de 60 ans (min 58/max 63)15, avec un diamètre de fût avoisinant les 20,5 cm (min 19/max 23) à 1 m du sol, pour une longueur exploitable pouvant atteindre 11 m (Tabl. 2). Seuls les entraits, longs de 6,80 m, et les poinçons des fermes de croupes sont issus de trois arbres un peu plus âgés (75 à 85 ans), avec un diamètre qui varie entre 26 et 31 cm. Bien que fins et élancés, les bois les plus jeunes ne sont pas issus d’un peuplement forestier concurrentiel de type futaie, mais d’un milieu à faible densité d’arbres favorisant l’apparition de branchages, peut-être sous forme de taillis par rejets de souches ; des faciès sylvicoles bien mis en évidence au Moyen Âge en Touraine (Jacquet 2003 : vol. 1, 381), dans le centre-est de la France (Girardclos et Perrault 2020) et dans le Bassin parisien (Épaud 2020). On peut estimer que 40 à 50 arbres sur pied ont été prélevés pour la construction de cette charpente, en considérant que les pièces dont la longueur avec assemblage n’excède pas 1,60 m (108 au total) ont pu être taillées dans de grosses branches. Pour les solives de planchers, les nombreux nœuds et flaches attestent l’usage d’arbres plus âgés provenant d’un environnement ouvert, mais avec un diamètre plus important, approchant les 36 cm. Des fûts issus de haies ou de sujets isolés est une hypothèse envisageable. Ces premières données seraient à compléter par une étude dendrologique et tracéologique des bois reposant sur un protocole d’échantillonnage adapté, notamment afin de déterminer si le stock principal utilisé est issu d’une parcelle unique.
Tabl. 2 - Sections et longueurs moyennes des bois de la charpente, avec estimations des mesures et de la quantité de grumes.
- 16 De nombreuses marques sont recoupées par ces fentes.
42Les nombreuses fentes de dessiccation sur les bois, postérieures à leur mise en place16, confirment l’utilisation de bois verts. Quelques pièces ajoutées tardivement sont issues de bois blanc (peuplier), tels les entre-chevrons. Tous les bois médiévaux ont été équarris à la doloire.
43Mesures principales :
-
Longueur de la structure en pied : entre 11,35 et 11,50 m
-
Largeur de la structure en pied : entre 6,30 et 6,80 m
-
Entraxe moyen : 72,8 cm (min 63,5/max 83,2)
-
Entrevous moyen : 56 cm (min 49/max 64)
-
Inclinaison des versants longs (en degrés) : 53°
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Inclinaison des versants de croupes (en degrés) : 57°
44L’analyse du laboratoire CEDRE de Besançon (Perrault 2022) s’appuie sur 21 échantillons prélevés sur les bois de la charpente et des deux planchers. Cinq échantillons ont conservé un aubier complet avec cambium : quatre pour la charpente (échantillons nos 9, 11, 13 et 21) et un pour le plancher du passage 2 (échantillon no 4), permettant une datation à la saison près. Il en résulte deux phases d’abattage consécutives, réalisées sur deux saisons pendant le repos végétatif : en automne-hiver 1213-1214 et en automne-hiver 1214-1215. Les autres échantillons n’ont pas conservé d’aubier complet jusqu’à l’écorce, soit en raison de la dégradation des derniers cernes de croissance, soit du fait d’un équarrissage trop important. En prenant en compte le nombre de cernes faisant défaut, certains échantillons peuvent toutefois être rattachés aux deux phases d’exploitation identifiées.
45En résumé, l’étude dendrochronologique révèle l’emploi de bois issus d’un stock constitué sur au moins deux années, entre 1213 et 1215. Les bois ayant été posés verts, on peut en conclure que la mise en place des solives et de la charpente est intervenue au plus tôt en 1215. Bien que le prélèvement d’échantillons dans les pièces du contreventement n’ait pas été possible pour des contraintes d’accessibilité, l’analyse archéologique, démontrant l’homogénéité de la structure, permet d’associer tous les bois en place à la datation absolue obtenue.
46L’ensemble de la construction est homogène et n’a pas connu de remaniement important, outre quelques reprises modestes, principalement réalisées à la fin du xixe ou au début du xxe s. Les planchers comme la charpente sont synchrones avec les maçonneries de l’état 1 et ses ouvertures. Les deux pans du mur d’enceinte subsistants, qui sont liés aux angles sud-ouest et nord-ouest de part et d’autre de l’édifice, peuvent également être rattachés à la phase initiale de construction de la porterie dès 1215, ou très peu de temps après.
- 17 Fenêtres géminées médiévales avec arcs en plein cintre en région Centre-Val de Loire. Cher : Ménétr (...)
- 18 Quelques traces ténues de peinture ocre rouge sur badigeon blanc ont été détectées dans l’ébrasemen (...)
47La porterie de Courtozé, avec ses élégantes ouvertures à l’étage, constitue l’un des exemples du xiiie s. les mieux conservés en France. Le bâtiment adopte des modes de construction largement répandus aux xiie et xiiie s. dans le Vendômois, tant dans l’habitat civil et patricien, comme le confirme un récent programme d’études (Marot, Simon et Letor 2019 et 2020), que dans les édifices religieux : contreforts plats à ressauts, maçonnerie mixte en moellons et blocs de moyen appareil à taille layée disposés en assises régulières, chaînages d’angle, emploi d’un calcaire tendre d’extraction locale. La forme des ouvertures en arc en plein cintre sous archivolte est également usuelle dans la région, entre le xiie et le début du xiiie s. ; un parti dont le succès s’étend à tout le Grand Ouest (Garrigou Grandchamp 2013). Les fenêtres géminées de l’étage adoptent une typologie que l’on retrouve surtout dans l’architecture civile et seigneuriale, à savoir une colonnette médiane sommée d’un chapiteau et surmontée parfois d’un jour de tympan. Si la région Centre-Val de Loire compte plusieurs exemples similaires17, à Courtozé, les arcs des baies ne sont pas constitués de claveaux mais taillés dans des blocs monolithes posés en tas-de-charge intégrant la découpe des jours d’écoinçon en losange. Une technique de montage en dalles qui s’apparente à celle des fenêtres de la grande hôtellerie de la Trinité de Vendôme (Fig. 47), du Palais de l’archevêché à Tours, ou encore de la maison canoniale 3-7, rue Saint-Aignan à Angers (Maine-et-Loire), datée de 1212-1213d (Litoux 2023). La formule semble d’ailleurs avoir été particulièrement plébiscitée en Anjou, où plusieurs fenêtres géminées avec jour en losange dans l’écoinçon ont été recensées, à Angers notamment (Biguet et Letellier-d’Espinose 2016 : 58-87), ainsi qu’à Briollay (Litoux, Fillion-Braguet et Hunot 2023). En outre, à Courtozé, le support médian est peu gracile et les encadrements, abattus par de simples chanfreins, sont dépourvus d’ornements sculptés ou de modénatures. Les chapiteaux à motifs feuillagés sont les seules concessions faites au décor. Cependant, le cordon d’imposte mouluré qui règne sous les fenêtres de la façade occidentale et l’archivolte de la porte piétonne dénotent une volonté de mise en valeur de l’entrée du prieuré, clairement monumentalisée. Le contraste est d’autant plus évident avec la façade opposée, beaucoup plus dépouillée. À l’étage, l’intérieur du bâtiment est dénué de coussièges dans les ébrasements de fenêtres et d’équipements domestiques, tels que cheminée, latrines, évier, placard, traduisant un lieu qui n’était pas destiné à l’habitat, de surcroît sans élément de décoration18. Doté vraisemblablement d’un mobilier sommaire, un petit espace d’accueil ou une loge de portier est l’hypothèse la plus probable.
Fig. 47 - Fenêtres géminées sur l’hôtellerie de la Trinité de Vendôme (Loir-et-Cher) et sur le palais archiépiscopal de Tours (Indre-et-Loire).
Cliché : F. Tournadre, Cabinet Arcade
- 19 L’abbaye de Tironneau dans la Sarthe possédait également une porterie du xiiie s. à double passage (...)
48Le prieuré de Courtozé formait un lieu clos, dont l’enceinte, au-delà du simple rôle de protection passive, marquait la limite entre le monde extérieur et le lieu d’exercice de la vie religieuse (Bully et Sapin 2020), où s’imposait par ailleurs le pouvoir du prieur. La porterie assurait cette transition, tout comme le contrôle des personnes et des denrées agricoles. À l’époque médiévale, des bâtiments annexes à vocation économique ou utilitaire, dont rien ne subsiste sur le site et que les sources écrites ne mentionnent pas, complétaient peut-être un pôle lié au temporel. Si les porteries monastiques adoptent des dimensions et des formes très variables, elles sont parfois associées à des espaces dévolues à des activités profanes, tels des ateliers ou/et un lieu d’hébergement pour les hôtes. C’était le cas par exemple pour les abbayes cisterciennes de Chaloché (Maine-et-Loire) et de Valence (Vienne), qui ont conservé une porterie accolée à un grand bâtiment multifonctionnel (Tournadre 2004). De manière générale, on relève le plus souvent l’existence d’un double passage, l’un plus large que l’autre, séparés ou non par un mur de refend : une disposition commune à de nombreuses entrées de grandes dépendances agricoles d’abbayes, de tours-porches de châteaux ou de logis-portes. Parmi les porteries monastiques du xiiie s. conservées en France, très peu ont conservé leur charpente médiévale, à l’image de celle de l’abbaye de Fontaine-Daniel (Mayenne)19.
- 20 D’après le cartulaire de l’abbaye de la Trinité de Vendôme, Courtozé ne compta jamais plus de trois (...)
- 21 Ces peintures comprenaient, sur un fond de décor de faux-appareil, une figure biblique, un chevalie (...)
49Le rôle du prieuré de Courtozé demeure assez énigmatique au regard des dispositions des bâtiments médiévaux conservés jusqu’à la fin du xixe s. La description détaillée des lieux par A. de Rochambeau en 1874 et le dessin d’A. Querroy de 1867 (Fig. 4) constituent deux sources précieuses qui ouvrent le champ à certaines hypothèses d’interprétation. Ainsi, il semblerait que l’organisation spatiale du prieuré au xiiie s. n’était pas structurée autour d’un cloître, d’autant que la surface réduite de l’enclos offrait peu de possibilités d’implantation et que les effectifs de la communauté religieuse auraient toujours été très restreints20. En juin 1192, l’autorisation d’y ériger une chapelle indique effectivement un prieuré de taille modeste. S’agissait-il de l’oratoire de 6,50 × 11,50 m à “fenêtres ogivales” encore en place au xixe s. (Rochambeau 1874 : 303) ? L’imposant bâtiment qui s’élevait au nord de la cour et s’appuyait contre le front de coteau n’avait rien d’un bâtiment conventuel : la description de 1874 indique une grande salle centrale (6,60 × 11,70 m) sous charpente lambrissée formant une voûte culminant à 11 m de hauteur, ornée de riches peintures murales sur son pourtour21. Elle était flanquée à l’ouest d’une salle des cuisines à volume unique montant aussi sous charpente (5 × 9 m), pourvue d’une cheminée monumentale adossée reposant sur deux colonnes ornées de chapiteaux sculptés. Un parti architectural prestigieux, qui s’apparente davantage à celui d’un habitat élitaire qu’à celui d’un réfectoire affecté à un petit groupe de moines ou à un simple logis prioral.
50Un premier examen des sources écrites n’a rien révélé quant au rôle de ce bâtiment et plus largement sur le fonctionnement du prieuré de Courtozé, qui n’était sans doute pas dévolu au seul exercice de la prière. Par sa relation de dépendance et sa proximité géographique avec la Trinité, l’hypothèse d’un lieu d’accueil annexe pour certains hôtes de l’abbaye vendômoise n’aurait rien de surprenant, doté d’un réfectoire monumental digne d’une aula, destiné peut-être à recevoir des hôtes de marque. Un cas de figure qui a déjà été envisagé pour le manoir de la Vigne au Mesnil-sous-Jumièges (Seine-Maritime), rattaché à la puissante abbaye Saint-Pierre de Jumièges (Gardeux 2015). Comme à Courtozé, les caractéristiques architecturales apparentent ce lieu à un manoir seigneurial. Un prieuré-résidence pour l’abbé de Vendôme constitue également une autre piste de réflexion qu’il faudrait nourrir par une recherche approfondie dans les archives. Plusieurs études ont montré que les établissements religieux ruraux prennent des formes variées, qui échappent parfois à la configuration plus attendue d’un prieuré adapté seulement aux contingences de la vie claustrale. Comparables aux habitats aristocratiques par leurs dispositions et leur architecture, certaines dépendances monastiques ou épiscopales ont pu revêtir d’autres fonctions (économie agricole, accueil, résidence) et constituaient des points d’ancrage du pouvoir, en l’occurrence celui de l’abbé ou de l’évêque. Ce type de site ecclésiastique a déjà été observé en Anjou et dans le Maine, tels les logis prieuraux de Juigné-la-Prée à Morannes (Maine-et-Loire), possession de l’abbaye Saint-Serge d’Angers, et de la Cour à Asnières-sur-Vègre (Sarthe), rattaché au chapitre cathédral du Mans (Litoux 2014). On le constate aussi en Bourgogne, avec les doyennés et granges de l’abbaye de Cluny, véritables cours seigneuriales à la tête de grands domaines agricoles (Garrigou Grandchamp, Guerreau et Salvèque 1999) ; ou encore en Soissonnais, avec les prévôtés de l’abbaye Saint-Médard de Soissons, associant une chapelle à un logis du prévôt aux allures de manoir (Corvisier 1999). On peut également évoquer le cas du Tortoir (Aisne), domaine foncier rattaché à l’abbaye de Saint-Nicolas-aux-Bois, qui regroupe un vaste cellier surmonté d’un dortoir, un bâtiment résidentiel et une chapelle (Crépin-Leblond 1990). Enfin, plus proche géographiquement de Courtozé, citons les grands ensembles fonciers de Beauce, telle la “mairie” de La Recette à Fresnay-l’Évêque (Eure-et-Loir), dépendance du chapitre cathédral de Chartres, à la fois organe économique, lieu de pouvoir et de résidence, comme en témoigne toujours un remarquable logis des années 1240 (Audebrand 2013).
- 22 Dans une tentative de chrono-typologie des charpentes dans la Vallée du Loir, C. Letor a porté son (...)
51C’est une structure exceptionnelle, à la fois par ses caractéristiques générales, sa conception technique et son état de conservation remarquable. La forme du toit à double croupe droite au lieu de pignons est très rare à une date aussi haute. On ne connaît pour le moment aucun autre exemple comparable. Ce type de charpente est peu documenté pour le Moyen Âge ou considéré, trop systématiquement peut-être, comme une reprise de l’Époque moderne, période à partir de laquelle ces structures se banalisent. Cette perception explique sans doute le fait que la porterie de Courtozé fut jusqu’à présent connue des chercheurs pour sa seule architecture22. Parmi les charpentes médiévales à deux croupes, celle coiffant la tour du palais du Pouget à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), à faible pente et au schéma très épuré, serait contemporaine du bâtiment, daté des années 1380 (Carcy et Scellès 2002 : 225-228). Les structures charpentées en pavillon relèvent quant à elles d’une autre conception, qui n’impose pas les mêmes contraintes, notamment parce qu’elles sont dépourvues de contreventement. De surcroît, les exemples datés ne sont pas antérieurs au xive s., tels le logis de Vilbouvey à Cuon (Maine-et-Loire), de 1344d (Hunot et Litoux 2010 : 33-46) et la tour du Treuil à Allevard (Isère), de 1352-1355d (Sirot 2007 : 132). Enfin, les charpentes du xiiie s. à simple croupe droite, couvrant le chevet de quelques édifices religieux, offrent très peu de points de comparaison avec Courtozé ; citons celle de l’église Saint-Urbain de Mennetou-sur-Cher (Loir-et-Cher), dont la charpente est datée de 1216d (Bontemps 2002 : 127-191), la salle du Trésor et la chapelle Saint-Pierre de la cathédrale de Bayeux (Calvados), avec une structure très remaniée au xixe s., datée de 1224-1225d (Épaud 2007 : 428), ou encore la monumentale croupe du chœur de Saint-Pierre de Bourgueil (Indre-et-Loire), achevée en 1227d (Tournadre 2017).
52L’adoption d’une telle forme de toiture, plus complexe à réaliser qu’une structure entre pignons, a nécessité une réflexion technique plus avancée de la part des charpentiers de la porterie de Courtozé. L’analyse de la charpente met en lumière une conception générale très aboutie, qui adapte et synthétise les techniques de charpenterie en vigueur au début du xiiie s. dans une large moitié nord de la France. L’emploi d’un système mixte à chevrons-formant-fermes et portiques longitudinaux, qui n’est pas sans rappeler celui de certaines granges ou halles contemporaines, constitue une solution ingénieuse, s’affranchissant d’un dispositif de doubles enrayures. Les pannes-sablières, qui ceinturent la structure à mi-hauteur, assurent à la fois un rôle de contreventement et de renfort des versants de toiture, sans alourdir inutilement l’ensemble. Ce système de portiques s’apparente à celui de certaines charpentes alsaciennes de la fin du xiiie et du xive s., à poutre longitudinale de renfort ou chevalet sur poteaux (Boura et Seiller 2013). Le schéma différencié des fermes, qui répond parfaitement à cette contrainte et répartit mieux les charges - on soulignera en particulier l’importance de la ferme axiale -, révèle à lui seul la pertinence des charpentiers de Courtozé.
- 23 Charpentes de granges avec faîtière : Heurteauville (Seine-Maritime), 1237-1243d, abbaye de Maubuis (...)
53Un autre élément singulier dans cette charpente est la présence d’un système de contreventement élaboré, doté d’une faîtière reliant les deux fermes de croupe. Cet élément, inédit à une date aussi haute, fait de cette charpente l’exemple français de structure contreventée associant une sous-faîtière et une faîtière le plus ancien identifié à ce jour. Des investigations récentes sur la maison canoniale Sainte-Croix, située 3-7 rue Saint-Aignan à Angers, menées notamment par J.-Y. Hunot sur la charpente du corps sud, ont révélé la présence d’un contreventement à faîtière unique soulagée par des aisseliers, daté de 1213d (Litoux 2023). Autant de nouvelles données qui permettent de faire évoluer la chrono-typologie, considérant jusqu’à présent que la faîtière n’apparaissait pas en France avant le début du xive s. dans les charpentes à chevrons-formant-fermes, en particulier en Normandie (Épaud 2007 : 205) et en Anjou (Hunot 2014 : 197). Celle de la charpente de la grande salle de l’Hôpital de Tonnerre (Yonne) constituait alors le plus ancien exemple recensé en France, daté de 1295d (Hoffsummer 2002 : 203). Le cas de la charpente du prieuré de Courtozé est un peu particulier car il s’agit d’un système mixte, qui se rapproche, par ses portiques longitudinaux, du système à fermes et pannes. Or, la faîtière apparaît plus tôt dans ce type de structure ; elle est attestée dès la première moitié du xiiie s. sur plusieurs granges et églises de Normandie et d’Île-de-France23. On retrouve d’ailleurs des similitudes avec le contreventement de la grange de l’abbaye de Bonport (Eure), dont la charpente datée de 1228d présente, comme à Courtozé, une faîtière et une sous-faîtière raidies par de grands liens passants tenonnés en pied dans les poinçons (Épaud 2007 : 512-516). Il n’en demeure pas moins que le dispositif de contreventement de cette porterie est très précoce et que la pose d’un faîtage a pu engendrer des problèmes de montage à des charpentiers encore peu accoutumés à son usage. Les systèmes de greffes en tête des deux poinçons et à l’about sud de la faîtière - non datés par l’archéométrie - pourraient être révélateurs d’hésitations techniques et de tâtonnements.
54Associées à une conception globale sophistiquée, d’autres pratiques adoptées dans cette charpente apparaissent a contrario comme des archaïsmes. En premier lieu le fort débord de la toiture (30 cm environ), autrefois complété par un dispositif de cache-moineaux glissés entre les blochets et les entraits. Ce type de charpente à débord, qui limite le ruissellement des eaux de pluie sur les murs, se rencontre généralement au xiie s., comme en témoignent plusieurs chevets d’églises en région Centre-Val de Loire : à Allouis (Cher), vers 1125d, Cour-Cheverny (Loir-et-Cher), vers 1159d, Monthou-sur-Cher (Loir-et-Cher), vers 1173d (Bontemps 2002) et Lye (Indre), mais dont les cache-moineaux de l’abside romane appartiennent à une charpente intégralement reconstruite au xvie s. (Noblet et Tournadre 2017 : 125-131). Le marquage adopté à Courtozé est également assez déroutant, faisant appel à plusieurs types de marques et d’outils répartis sans logique apparente. Une méthode de repérage des bois héritée des techniques de charpenterie du xiie s., tout comme les courtes séries de bâtons, qui ne relèvent pas d’une véritable numérotation romaine, et sont employées majoritairement avant 1200 dans la moitié nord de la France et en Belgique. Ce type de marquage est encore employé sporadiquement au début du xiiie s. en Anjou (Hunot 2014 : 189), Normandie (Épaud 2007 : 92) et Belgique (Hoffsummer 2002 : 63). Autant de considérations qui confirment l’évolution non linéaire de la charpenterie médiévale ; dans le cas de Courtozé, elles dénotent une structure originale qui allie des pratiques anciennes à des innovations techniques, lesquelles se développeront progressivement au cours du xiiie s.
55La porterie du prieuré de Courtozé s’inscrit dans un site dont l’étude historique, archéologique et topographique reste à faire. Cet établissement religieux rural adoptait des dispositions originales qui témoignent de l’émulation architecturale dans la sphère de la puissante abbaye de la Trinité de Vendôme. Relais de pouvoir, résidence abbatiale ou accueil des hôtes sont autant de pistes de réflexion à envisager, qui ne sauraient réduire la fonction du prieuré à celui d’une modeste dépendance.
56La charpente de la porterie, exceptionnelle par son état de conservation et ses dispositions, rares au début du xiiie s., constitue peut-être un unicum en France. L’apport continu de la recherche grâce aux études d’archéologie du bâti associées à des campagnes de datations dendrochronologiques, permet d’enrichir une chrono-typologie des charpentes qui ne cesse d’évoluer. Souhaitons que la restauration à venir permette de mieux protéger ce témoin singulier de la charpenterie médiévale.