Navigation – Plan du site

AccueilNuméros5-6Position de thèseLa radio visuelle au cœur de Fran...

Position de thèse

La radio visuelle au cœur de France Inter, mutations des formats et des pratiques professionnelles

Mémoire de Master 2, sous la direction d’Aude Seurrat, MCF HDR, Université Paris 13, juin 2018
Calypso Le Guen

Texte intégral

  • 1 Jean François Têtu, la radio un média délaissé, Hermès, La Revue 2004/1 (n° 38).

1La radio, ce média délaissé1 connaît un réel regain d’intérêt depuis quelques années dans le contexte de la transition numérique. La radio historique de flux, de l’éphémère et du direct se voit de plus en plus modifiée et suscite des débats suite à l’arrivée de nouveaux dispositifs techniques qui la transforment, tant dans son mode de production que de transmission et de réception.

  • 2 Sebastien Poulain, Postmodernité et postradiomorphoses : contexte, enjeux et limites, in Sebastien (...)

2L’ère des postradiomorphoses2 s’impose et nous amène à nous questionner sur les enjeux contemporains autour de nos médias traditionnels depuis des décennies. La radio, ce média de l’accompagnement, a élargi sa visibilité en s’intégrant à tous les objets numériques, tels les smartphones ou les tablettes. Le succès mondial de ces outils à changé la donne, la radio a ainsi étendu son réseau. Les contenus trouvent de plus en plus leurs publics sur le numérique, cela implique que le média radio adopte de nouveaux formats et de nouveaux modes de narration. L’apparition de la vidéo se présente comme le symbole paradigmatique de la mutation du média et constitue un grand axe stratégique pour les antennes. C’est pourquoi, progressivement, la question de la radio filmée s’est imposée comme objet d’étude de mon travail de mémoire.

3Montrer la ou les voix, en direct ou en différé en permettant de visualiser le travail des équipes constitue un bouleversement majeur. L’absence d’images à la radio, qui fait partie de ses origines est questionnée par l’apparition de la vidéo dans les studios. La radio « filmée », « visuelle » ou « augmentée », définie selon les vœux de chacun est un phénomène qui participe grandement de l’évolution du numérique dans un média traditionnel. J’ai placé au cœur de ma réflexion l’étude des acteurs de la radio en prenant l’exemple de France Inter. En effet, les premiers touchés par l’ère du numérique sont ceux qui font la radio avec des méthodes classiques. Ces derniers étaient en première loge lorsque les caméras sont apparues dans les studios. Ces transformations médiatiques modifient-elles les pratiques professionnelles quotidiennes ?

4L’élément déclencheur de ma réflexion a été le visionnage du Billet hebdomadaire de François Rollin3. Il se positionne en fervent détracteur de la radio filmée au sein de l’antenne tout en jouant avec la caméra. Je devais visionner cette vidéo pour comprendre davantage l’ambivalence de cette mise en scène.

  • 4 Philippe Marion, Narratologie médiatique et médiagénie des récits. Recherches en communication, 199 (...)
  • 5 Ibid.

5Ainsi, la question au cœur de ce travail de recherche est la suivante : En quoi l’apparition de la vidéo à France Inter transforme-t-elle la médiativité4 de la radio ? Cette problématique a notamment permis de s’interroger sur la « singularité différentielle » du média avec l’arrivée de la vidéo en rappelant qu’« un média n’est pas l’autre5 ».

6C’est à travers plusieurs hypothèses que ma réflexion s’est construite :

    • 6 Silvain Gire, cofondateur et directeur éditorial dArte radio pour le magazine Syntone.

    Filmer France Inter est une stratégie de l’antenne pour rajeunir l’audience, en allant chercher le public là où il se trouve « On n’est pas obligé de faire de l’image mais on est obligé d’être là où sont les gens6 ».

  • La vidéo change le style radiophonique des journalistes, producteurs, présentateurs d’émissions. Le fait d’être filmé modifie le comportement et les propos des personnes présentes à l’intérieur du studio. L’écriture radiophonique se voit ainsi transformée lorsqu’elle doit s’adapter à de nouvelles situations. De plus, l’état de stress se fait davantage ressentir dans la prosodie et les mouvements corporels lorsque l’on est filmé.

  • La relation avec les invités varie car le studio, transformé par la présence des caméras, modifie le comportement des personnes. Mettant en jeu confessions, relations intimes, le studio filmé influe sur la liberté de leur propos. Les invités peuvent jouer avec la caméra se sachant filmés.

  • Les professionnels de la radio n’apprécient pas forcément la radio filmée et pensent qu’elle dénature complètement le média du son.

7Pour explorer l’ensemble des hypothèses et répondre à la problématique, ma recherche a été exclusivement qualitative. J’ai réalisé des entretiens individuels avec des journalistes, chroniqueurs et techniciens de France Inter. L’ouvrage sur lequel je me suis le plus appuyée est Analyser la radio. Méthodes et mises en pratique, sous la direction de Frédéric Antoine. En plus d’être un ouvrage complet sur ce grand média, il propose une riche bibliographie à laquelle j’ai prêté une grande attention. J’ai enfin fondé ma démonstration sur des articles de presse et un corpus de vidéos et d’émissions de France Inter. De nombreux articles ont traité la question de la présence des caméras dans les studios en opposant les arguments des détracteurs et ceux des défenseurs de la radio filmée. Je me suis rendue à la Maison de la Radio et j’ai pu observer la configuration technique et spatiale d’un des studios d’enregistrement. J’ai pu assister également à des émissions filmées. Ces méthodologies ont été menées en parallèle et se sont enrichies mutuellement.

8France Inter est la première radio publique, mais comme toute radio, elle développe un caractère bipolaire. Les évolutions en cours touchent le média qui n’a d’autre choix que de s’adapter, bénéficiant, dans le cas de France Inter, d’un lien affectif avec ses auditeurs traditionnels, fidèles, attachés à la « marque », et qui vont, consciemment ou pas, transmettre cet attachement, comme on transmet un héritage. À travers le développement de plus en plus important de l’image dans l’objet radiophonique, ma rencontre avec ceux qui se font entendre sur nos ondes et ceux qui œuvrent principalement dans les coulisses de France Inter rend compte des évolutions professionnelles. Leurs témoignages sont précieux pour qui s’intéresse de près aux mutations des pratiques professionnelles en lien avec les transformations médiatiques.

  • 7 Philippe Marion, op. cit.
  • 8 Propos d’une journaliste de France Inter lors d’un entretien.

9La radio filmée à France Inter transforme la médiativité du média radiophonique en mettant en question l’acousmatique de la voix. Dire qu’un « média n’est pas l’autre », comme le fait Philippe Marion dans Narratologie médiatique et médiagénie des récits7 remet en question les fondamentaux de la radio. Ce média qui s’adresse à nos oreilles depuis des décennies, s’attache à présent à capter notre regard, à l’orienter, à le séduire, avec l’aide des nouveaux dispositifs. Adepte ou non de la radio visuelle de France Inter, téléspectateur ou non des vidéos postées sur les réseaux, sur le site ou diverses plateformes, il est possible de mettre un visage sur une voix. Pour ce qui est des animateurs, désormais identifiés, ils peuvent « gagner en reconnaissance individuelle »8. Travailler dans un espace en présence d’un nouveau dispositif technique, contraire aux habitudes de transmission de l’objet radiophonique modifierait les éléments sonores. France Inter, en déployant des signaux vidéos sur des plateformes multiples, tente de créer des complémentarités avec l’audio. Selon nos enquêtés, la caméra exercerait un fort impact sur les pratiques et le comportement à l’antenne, elle transformerait le rythme, l’intensité d’une voix, le contenu. Parmi les hypothèses avancées dans cet exercice, il en est une qui voulait que l’image exerce un pouvoir sur les hommes et les femmes de radio, en changeant leurs comportements, en modifiant leur écriture ou encore la prosodie de chacun : cette hypothèse a été en partie vérifiée.

10L’évolution des métiers est un constat indéniable. Certains sont apparus, d’autres se transforment au regard des évolutions en cours et les trajectoires professionnelles deviennent intermédiatiques. Ce phénomène irréversible est porté par la nécessité d’être présent sur Internet. France Inter focalise l’attention sur les professionnels avec la possibilité que nous avons de les regarder en pastille vidéo. Fragmenter les vidéos est un travail qui ne peut être fait qu’en différé. Lorsque l’écriture journalistique tend vers le multimédia, de nouvelles pratiques voient le jour. « Désormais, Je fais du natif, je pars d’un texte que j’ai écrit dans le but de l’offrir au numérique, cela sort complètement du contexte de produit radiophonique » ou encore « Nos pratiques se beaucoup adaptées à l’après émission ». Ces propos recueillis lors de ma rencontre avec les professionnels de l’antenne révèlent que la consommation en hausse des vidéos de France Inter sur plusieurs canaux à la fois augmentent et mobilisent de plus en plus les professionnels de la radio. Tous n’ont pas la même perception de la caméra. Pour certains professionnels, elle est l’élément déclencheur d’une plus grande liberté au niveau du style, en allongeant ou complexifiant certaines chroniques. Pour d’autres c’est l’inverse, la liberté des gestes et le langage non verbal se voient limités en vue d’une bonne communication avec la régie technique et la fluidité du contenu. Certains pensent que « Voir les voix » de la radio dans leur quotidien est intéressant car l’auditeur entre dans l’environnement de l’émission, sans qu’il soit question d’intrusion, ou de voyeurisme. Parmi les dix professionnels interrogés, les avis divergent, les ressentis sont différents cependant tous ont senti un changement dans leurs habitudes et ont vu de nouvelles pratiques s’immiscer dans leur quotidien.

  • 9 Résultats Médiamétrie 126 000 radio janv-mars 2019.

11L’idée même de laisser la radio cantonnée dans l’univers du son l’aurait condamnée à court ou moyen terme à une sorte de « ringardisation » suivie d’une douloureuse relégation. Les dirigeants du secteur l’ont bien compris. France Inter a pris, quand il le fallait, le virage de la transformation numérique, et cette stratégie semble être payante. Rien n’étant définitivement acquis, dans un monde en perpétuel mouvement, toute forme de triomphalisme serait une erreur. Cependant l’espoir est permis, les mesures d’audience l’ont confirmé, le public traditionnel n’a pas décroché pour aller « écouter ailleurs », et le gain d’auditeurs plus jeunes, alors que ceux-ci sont généralement peu fidèles à l’antenne publique, est sensible. France Inter devient pour la première fois la radio la plus écoutée de France et rassemble près d’un million d’auditeurs de moins de 35 ans (+78 000 en un an)9.

12Travailler sur une seule et même antenne, a permis de rendre compte qu’il existe des discours très différents en son sein. Par des approches praxéologiques, globalement, l’introduction des caméras dans les studios s’est faite sans hostilité. On peut même dire qu’elle a recueilli l’assentiment d’une majorité de professionnels. L’idée de mettre en comparaison plusieurs antennes apporterait certainement d’autres résultats mais aussi d’autres questions de recherche.

Haut de page

Bibliographie

MARION Philippe, Narratologie médiatique et médiagénie des récits, Recherches en Communication, n° 7 1997.

ANTOINE, Frédéric (dir.), Analyser la radio. Méthodes et mises en pratique, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2016.

CHARDON Jean-Marc, SAMAIN Olivier, Le Journaliste de radio, Paris : Economica, 1995.

ALLEMAND Laeticia, OUILLON Jean Michel, Les grandes questions des médias : enjeux et stratégies des médias contemporains, L’étudiant, coll. « Connaissance », 2005.

Haut de page

Note de fin

1 Jean François Têtu, la radio un média délaissé, Hermès, La Revue 2004/1 (n° 38).

2 Sebastien Poulain, Postmodernité et postradiomorphoses : contexte, enjeux et limites, in Sebastien Poulain (dir.), « La radio du futur : du téléchromophotophonotétroscope aux postradiomorphoses », Cahiers dhistoire de la radiodiffusion, n° 132, avril-juin 2017.

3 Le billet de François Rollin, La radio c'est la radio, 14 octobre 2014.

4 Philippe Marion, Narratologie médiatique et médiagénie des récits. Recherches en communication, 1997 « La médiativité définie comme « la capacité propre de représenter [...] qu'un média possède quasi ontologiquement », son « potentiel spécifique ».

5 Ibid.

6 Silvain Gire, cofondateur et directeur éditorial dArte radio pour le magazine Syntone.

7 Philippe Marion, op. cit.

8 Propos d’une journaliste de France Inter lors d’un entretien.

9 Résultats Médiamétrie 126 000 radio janv-mars 2019.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Calypso Le Guen, « La radio visuelle au cœur de France Inter, mutations des formats et des pratiques professionnelles »RadioMorphoses [En ligne], 5-6 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/radiomorphoses/1237 ; DOI : https://doi.org/10.4000/radiomorphoses.1237

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search