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Contributions scientifiques

Le service public par les médias et ses exigences dans un pays post-conflit

Le cas de Radio Okapi et de Kyondo Radio en République démocratique du Congo
Didier Makal Kanteg

Résumés

L’avènement de Radio Okapi en RDC (République démocratique du Congo) a consacré les faits ordinaires de société, le cas des coupures d’eau et d’électricité, de l’insécurité ou des droits humains, comme des questions d’actualité requérant autant d’attention que l’actualité politique très présente dans les médias congolais. Au-delà des limites qu’il présente – notamment sa tendance à assurer la communication de la Mission onusienne au Congo sous laquelle elle évolue plutôt que de promouvoir l’information impartiale comme elle le fait d’ailleurs vis-à-vis d’autres acteurs dont le gouvernement congolais – ce média offre un exemple intéressant de service public de média. Sa programmation, ou plus globalement son modèle éditorial, a de ce fait intéressé plusieurs autres médias privés congolais qui, dans des contextes économiques et managériaux difficiles, produisent eux aussi du service public. C’est le cas de Kyondo, un média privé émettant à Lubumbashi et qui durant la crise politique de 2016 à 2018 a continué à animer des débats sur l’actualité politique du pays dans un contexte où des médias privés critiques, se sont vus fermer.

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Texte intégral

Introduction

En République démocratique du Congo (RDC), pays d’Afrique centrale qui essaie de sortir de plus de deux décennies des violences meurtrières (RFI, 2004), Radio Okapi est née sous la mission onusienne en vue d’appuyer le processus de pacification. Elle s’est pour cela définie comme la « radio de la paix », autrement dit, en tant que service public, avec à la clé l’appui à la stabilisation de la situation sécuritaire et à la démocratisation des institutions publiques. Ainsi, la radio onusienne a déployé un modèle éditorial qui est en fait un modèle de service public dans un contexte où les médias nationaux et locaux de référence présentent une programmation qui ne semble pas assez ressortir ces besoins communautaires.

La notion de service public1 désigne à la fois une activité ou une mission d’intérêt général et l’ensemble des organismes publics ou privés qui ont la charge des missions d’intérêt général2. Autrement dit, un service public peut être assuré par une personne ou une institution privée par délégation de service. Les médias, par exemple, assurent un service public lorsque leurs contenus ont vocation à éduquer, informer ou divertir le public. C’est-à-dire, lorsque ses contenus rendent service au public. À ce propos, la loi congolaise exige des médias privés d’inscrire dans leurs programmes ou cahiers de charges au moins 50 % de programmes éducatifs, culturels ou de divertissement (RDC, 1996).

Ces exigences légales au Congo retrouvent une résonance particulière dans une situation de sortie des conflits violents qui ont justifié le déploiement d’une mission onusienne de paix dont le retrait, par ailleurs, ne met pas d’accord (y compris des citoyens congolais eux-mêmes) ceux qui estiment encore volatile la situation post-conflit, et ceux qui la jugent améliorée ou déplorent l’incapacité de la Monusco (Mission de l’ONU en RDC) à rétablir une paix durable près de deux décennies après. Puisqu’en plus, cette mission a reçu d’importants moyens financiers et constitue la plus importante force de maintien de la paix dans le monde. Les médias, la radio principalement qui est d’un accès assez facile, sont dans ce contexte, considérés comme des vecteurs de paix (McGoldrick et Lynch, 2000 ; Howard, 2004). Et leur rôle est considéré comme majeur, leurs contenus alors conçus dans un but clairement précis, à l’instar de Radio Okapi fondée en 2002 par la Monusco et la Fondation Hirondelle.

Pourtant, les conflits que le Congo a connus depuis son indépendance en 1960 ont de manière différente selon les époques certes, touché les médias fortement politisés (Frère, 2015 : 136 ; 2004 : 29). Le service public par les médias, en parlant de la presse congolaise de manière générale, requiert des exigences particulières. En les regardant sous le prisme de la programmation, en tant qu’une planification de service à l’intention du public, ces exigences traduisent le contexte même de fonctionnement des médias : celui de la production de contenus. Ce qui pose, dès lors, la question du coût de ces contenus et du profil même des producteurs.

L’apport de Radio Okapi à la consolidation de la paix dans un pays en (post)-conflit (Orme, 2010 ; Betz, 2004), ayant à ce jour fait l’objet de plusieurs études notamment quant à la pérennité des radios assignées à des missions de paix (Frère, 2013 ; Myers, 2007), notre propos repose sur les défis de la mise en œuvre d’un service public par les médias congolais en période post-conflit. Un temps où la presse écrite et l’audiovisuel, entre autres, sont censés offrir un espace d’échanges démocratiques, proposer des contenus qui soient utiles aux publics.

  • 3 Nous avons choisi Kyondo Radio principalement parce qu’après la fermeture de Nyota Radio Télévision(...)

En prenant les émissions de référence de Radio Okapi comme modèle de service public proposé par une radio privée, nous voulons questionner les implications de l’engagement pour ce modèle suggéré aux médias congolais. Dans un premier temps, nous décrivons dans cet article la grille de programmes de Radio Okapi ainsi que ses principales émissions. Et, dans une perspective comparative, nous décrivons également la grille de programmes de Kyondo Radio3, un des médias de référence à Lubumbashi, dans le sud-est de la RDC. Cette ville, la 2e plus vaste du pays, arrive aussi 2e après la capitale, Kinshasa, avec une trentaine de médias audiovisuels. Ceux-ci attirent pourtant peu l’attention des études des médias congolais. Les deux, Okapi et Kyondo, nous servent dans le cadre de l’analyse de contenus (Bonville, 2006 ; Derèze, 2015 : 163) à dégager des thématiques émergentes ainsi que leurs visées sociétales dans la relation des médias avec leurs publics. Dans un second temps, nous dégageons les ressorts de ces thématiques dominantes, les logiques qui président à la programmation radiophonique de sorte que les médias apparaissent comme engagés à rendre service à leur communauté. Puis, dans le contexte précis de la RDC, celui d’un pays en post-conflit, nous nous insistons sur les contraintes liées à la production des contenus en faveur de la stabilisation du Congo pour des médias économiquement peu viables.

Le contexte de l’information à la naissance de Radio Okapi

1En mai 1997, la rébellion conduite par Laurent-Désiré Kabila renverse le président Mobutu à la tête d’un régime monolithique où depuis plus de deux décennies, le pluralisme médiatique hérité de la fin de la colonisation belge a disparu. Mais une année plus tôt, en 1996, le parlement venait de voter une loi qui définissait les modalités de l’exercice de la liberté de la presse. Elle consacrait le pluralisme médiatique et entérinait surtout le fait que l’État ne détienne plus le monopole de l’audiovisuel (Mbumba, 2015b : 103). Toutefois, ces nombreux médias privés naissants depuis 1990 appartiennent majoritairement à des politiciens et à des confessions religieuses qui s’en servent pour leur propagande (Makal, 2017).

2Ces radios et journaux de presse écrite principalement, alors qu’ils tendent à reproduire les schémas informationnels des médias d’État dont ils tirent parfois des journalistes, vont vite attirer l’attention des Congolais qui recherchent des informations indépendantes. Parfois utilisés par les politiques contre leurs adversaires, ils contribuent toutefois par leurs dénonciations et critiques, selon Bompolonga (2003 : 47), à affaiblir le régime du président Mobutu. Mais depuis cette période, jusqu’à ce jour d’ailleurs, on voit se consolider une forte polarisation des médias entre opposition et pouvoir. C’était aussi le cas lors de la création de Radio Okapi en 2002 par la mission onusienne au Congo (Monusco). Deux années plus tôt, la RDC venait de replonger dans une nouvelle guerre, dite guerre d’agression, soutenue par ses voisins de l’Est, le Rwanda et l’Ouganda notamment. La Monusco a d’abord pour mission de s’interposer entre rébellions et forces loyalistes, puis au fur et à mesure de la diminution des violences et, à la faveur des accords de paix entre 2001 et 2002, sa mission passe de l’interposition à la pacification avant d’en arriver à la stabilisation du pays. Dans ce contexte, Radio Okapi promet de rendre un service public d’« information de la haute qualité »4 à la population congolaise qui compte déjà de nombreux autres médias. Au total, 341 stations de radios et 167 chaînes de télévision émettent en RDC d’après Target (2019). Depuis 2012, Radio Okapi reste parmi les médias les plus suivis, particulièrement à Kinshasa (Target, 2019 ; 2018 ; IMMAR, 2013, Frère).

Tableau 1 - Liste sélective des médias écoutés à Lubumbashi

Appellation

Genre

Année

Propriétaire

Profession

Tendance, observation

RTIV

Radio Télé

1999

Lamba Lamba

Pasteur

Confessionnelle

Digital Congo

RTV

2005

Jaynet Kabila

Politicienne

Pouvoir

Don Bosco

Radio

2014

Salésiens

Religieux catho.

Confessionnelle

Dynamique

Radio Télé

2017

Kasongo Kibale

Politicien

Pouvoir

Héritage

Radio Télé

2016

Flory Kabange

Politicien

Pouvoir

HK6

Radio Télé

2018

Célestin Pande

Politicien

Pouvoir

Jua

Radio Télé

2009

J.-C. Muyambo

Politicien

Opposition

Kyondo

Radio Télé

2011

Jacques Masangu

Politicien

Pouvoir (ouvert)

Malaïka

Radio Télé

2014

Nazem Nazembe

Politicien

Pouvoir

Mwangaza

Radio Télé

2005

Rose Lukano

Politicienne

Pouvoir

Nyota

Radio Télé

2007

Moïse Katumbi

Politicien

Opposition (ouvert)

Radio Okapi

Radio

2002

ONU

Mission de paix

ONU

RCK

Radio Télé

2003

SADRI

ONG

Communautaire

RTNC

Radio Télé

1971

État congolais

Média public

Public, pouvoir

Wantanshi

Radio Télé

2008

Paulin Mwewa

Pasteur

Opposition, Confessionnelle

  • 5 Des données partielles d’une étude d’audience que nous avons menée auprès de 1 800 personnes en 201 (...)
  • 6 Kasongo Mwema Yamba Y’amba est professeur en communication à l’Université de Lubumbashi. C’est un a (...)

3Dans les grandes villes du Congo, à Lubumbashi entre autres, l’écoute de Radio Okapi est toujours importante5. Elle est captée en FM comme tous les autres médias locaux. La capitale de la province du Haut-Katanga compte au moins 21 télévisions et une trentaine de radios privées dont Radio Okapi, Digital Congo et RTNC (national) qui émettent de Kinshasa. En majorité, ce sont des médias commerciaux, propriétés d’acteurs politiques ou des confessions religieuses, comme l’indique le tableau ci-dessus. Kyondo Radio, dont nous examinons la programmation à titre illustratif, compte parmi les 6 radios et télévisions les plus suivies, selon des témoignages partiels de ses dirigeants et des auditeurs. Parmi ces stations qui bénéficient d’une grande écoute, figurent Malaïka, Mwangaza, Wantanshi, Héritage et Nyota (Tableau 1). Elle a été fondée en 2011 par l’ancien ambassadeur Jacques Masangu a Mwanza. Kyondo se définit, d’après sa ligne éditoriale, comme engagée pour la promotion de la culture du Katanga dans sa diversité. Depuis 2015, consécutivement au départ des journalistes Kasongo Mwema6 et Charles Dimandja qui en assumaient la direction générale, Kyondo a perdu de sa superbe en perdant progressivement son personnel qualifié.

Service public de médias, une question de programmation

4En parlant des médias, la notion de service public repose sur une diffusion des contenus eux-mêmes basés sur une programmation, une planification particulièrement tournée vers les besoins du public. Les programmateurs ainsi que les producteurs des contenus viennent alors à apporter au public les informations dont il est susceptible d’avoir besoin pour s’orienter dans la société et poser ses choix, en temps électoral par exemple. Dans le cas de Radio Okapi, ce service public passe par la production et la diffusion des contenus allant dans le sens de la pacification, la stabilisation de la RDC sur les plans sécuritaires, de la bonne gouvernance, des droits humains et de la démocratie. Ainsi, en plus de son statut de média à service public, elle se définit comme média de la paix dans l’accompagnement ou la promotion des actions de la Monusco. Ce qui pose, comme nous le mentionnerons plus tard, des questions d’objectivité lorsqu’il s’agit de la Monusco.

5La description des grilles de programmes de deux médias, Radio Okapi et Kyondo Radio, permet de saisir cette dynamique de média à service public et de pacification.

Une radio pour dire liberté d’expression, citoyenneté et paix

6La grille de programmes de Radio Okapi est particulièrement dense en semaine, et un peu relâchée les samedi et dimanche. Les émissions en direct démarrent à 5 heures du matin avec le premier des journaux parlés du jour. Le programme comprend trois caractéristiques majeures : des micro-programmes informatifs au nombre desquels comptent les journaux parlés et des tranches informatives (ou d’animation), des débats ainsi que des programmes de divertissement. Cinq thématiques récurrentes et qui réunissent le plus d’heures la semaine émergent : les journaux parlés et les infos-services, les débats et la musique.

Tableau 2 - Tableau synoptique des émissions récurrentes de Radio Okapi

Appellation

Thématique

Heures cumulées

Dialogue entre Congolais

Débat, démocratie, politique

7,5

Info-route

Info service (circulation)

0,5

Journaux parlés

Actualité, information

18,6

Musique

Divertissement

37,7

Okapi service

Problèmes de société

4,1

Parole aux auditeurs

Point de vue, opinions

4,5

Total d’heures

72.9

7Radio Okapi diffuse chaque jour 20 journaux parlés en français et en langues nationales : Tshiluba, Kikongo, Lingala et Swahili. La radio disposait en plus, jusqu’à avril 2019, d’une rédaction qui assurait à Lubumbashi un décrochage avec des informations couvrant l’ancien Katanga. Mais ce programme s’est arrêté en raison de la diminution du budget de la Monusco.

8Ne sont pas comptés dans ce tableau, en plus, les bulletins d’informations et d’autres petites rubriques à caractère informationnel. Le week-end, leur nombre atteint les 12 éditions, soit 6 par jour. Chaque jour aussi, dans ses tranches informatives, la radio diffuse deux fois un bulletin à propos des routes, des offres d’emploi, ou encore des bulletins météo. Micro-programme de 3 minutes, « Info route », signale aux conducteurs d’automobiles les routes encombrées, avec des véhicules en panne par exemple. Cela permet de les éviter, et de gagner le temps dans la circulation. Quant aux journaux parlés, de 10 minutes en moyenne, ils comptent presque toujours au moins une actualité politique, plusieurs actualités humanitaires ou des faits de société et parfois les sports. Radio Okapi rend également assez régulièrement compte de la situation sécuritaire un peu partout en RDC, couvrant des localités lointaines, grâce à un réseau de correspondants et de radios communautaires partenaires. « Okapi service » est une émission de 55 minutes, diffusée 5 fois la semaine dans l’avant-midi avec une rediffusion chaque jour dans la soirée. Elle aborde des faits de société comme l’allaitement maternel, la vulgarisation des lois comme celle sur les baux à loyer, ou encore la propension de nombreux Congolais à arriver en retard à des rendez-vous. Des thématiques tirées du quotidien de la population que l’on espère sensibiliser, servir, conduire à un changement d’attitudes. Quant à l’émission « Parole aux auditeurs », elle met en contact un ou des experts avec le public qui leur pose des questions, ou donne ses témoignages et points de vue sur des questions politiques ou de société. En outre, « Dialogue entre Congolais » organise des débats de 45 minutes, du lundi au vendredi à 19 heures, avec une rediffusion chaque jour à 4 heures du matin. Enfin, les plages musicales sont importantes : 37,7 heures de diffusion la semaine, sans compter des émissions spécialisées de musique. Elles couvrent notamment les heures de nuit, entre minuit et 4 heures du matin, et servent aussi d’intermède entre programmes successifs à l’antenne dans la journée.

9Ces programmes ont en commun de vouloir rendre service à la communauté : faciliter la compréhension de l’actualité, politique par exemple, en vue de s’en faire une opinion personnelle. Ou encore, ils visent à donner la parole aux auditeurs afin qu’ils donnent leurs contributions ou points de vue sur des questions de société, de politique ou de civisme. Dans le cas du décrochage à Lubumbashi, la radio permet de savoir ce qui se passe en dehors de la ville, jusque dans les villages reculés du Katanga concernés par des conflits communautaires entre Pygmées et Baluba, deux ethnies installées dans le nord de la région. Bref, la radio vise à encourager une citoyenneté active en prenant notamment la parole publiquement (2005). Radio Okapi affiche, par ailleurs, un réel intérêt pour les faits divers ; et par le fait de les couvrir constamment, elle a contribué à relancer dans les débats publics des faits ordinaires comme les coupures d’eau et d’électricité. La radio a ainsi régulièrement produit des nouvelles sur la vie des communautés ainsi que sur les déplacements des populations dans de nombreux conflits, les épidémies de choléra, de rougeole, ainsi que des crises de malnutrition.

Service public malgré soi ?

10À Lubumbashi, Kyondo Radio ouvre tous les jours son antenne par de la musique à 5 heures du matin, jusqu’au premier journal parlé en direct à 7 heures du matin. S’ensuit une tranche informative, inspirée du modèle de Radio Okapi, puis une autre à la mi-journée. Ce sont des reportages qui sont diffusés dans un programme incluant un journal des sports, des animations, des chroniques sur l’environnement, la santé, l’économie, les adages et de la musique. La musique, étalée sur plusieurs plages et utilisée aussi comme intermède en dehors des programmes musicaux spécialisés, y est abondante par ailleurs. Elle cumule 74 heures la semaine et devient du coup le contenu le plus dense sur la grille de la radio. 6 autres programmes émergent. Ce sont les journaux parlés, de 10 minutes en moyenne. Ils totalisent 4,6 heures la semaine, hormis les bulletins d’informations. Ils sont plus ou moins prolongés par des « Tranches informatives » qui totalisent 7,5 heures la semaine, ainsi que les chroniques ou grands reportages diffusés une par jour à la fin du journal parlé. Les chroniques cumulent 4 heures la semaine.

11Viennent ensuite les émissions des sports qui atteignent les 8 heures, ainsi que deux autres émissions de débats : « En toute vérité », un programme de 55 minutes diffusé le mercredi à 20 heures sur l’actualité politique. Elle est rediffusée le lendemain à 11 heures. Un invité se trouve face à deux journalistes qui s’entretiennent avec lui dans une discussion plus ou moins contradictoire. Parfois elle prend la forme d’un entretien arrangé, plus doux où certains invités prévalent leurs points de vue sans assez être poussés à démontrer leurs affirmations. Toutefois, « En toute vérité » est une émission parmi les rares du genre à Lubumbashi qui offre un espace d’échange « démocratique ».

Tableau 3 - Tableau synoptique des émissions récurrentes de Kyondo Radio

Appellation

Thématique

Heures cumulées

Chroniques

Informations, grands reportages

4

En toute vérité

Débat, actualité politique

1,5

Journal parlé

Actualité, Information

4,6

Musique

Divertissement

74

Regards croisés

Débat, actualité politique

1,5

Sports

Actualité, divertissement

8

Tranches informatives

Informations, actualité

7,5

Total d’heures

101,1

12L’autre émission du même genre sur Kyondo c’est « Regards croisés ». Ici, un journaliste reçoit deux invités qui débattent sur une actualité politique. Les deux programmes ont permis de maintenir un espace d’expression d’opinions politiques, y compris de l’opposition. Entre 2016 et janvier 2019, les deux programmes sont restés parmi les rares de la ville à recevoir l’opposition et le pouvoir alors que la tension montait au Congo à la suite des mobilisations pour ou contre le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila dont le mandat avait expiré en 2016 sans organiser sa succession. D’autres médias qui diffusaient des points des vues des opposants politiques étaient fermés sur décision du gouvernement qui leur reprochait plutôt de ne pas payer de taxes. Ce sont Nyota Radiotélévision et Mapendo Télévision, deux médias de l’opposant Moïse Katumbi, ancien gouverneur du Katanga entré en opposition contre le président Joseph Kabila en 2016. Les autres médias fermés sont la Radiotélévision Jua et La Voix du Katanga, respectivement chaînes de l’ancien ministre des droits humains de Joseph Kabila, Jean-Claude Muyambo, et de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, l’ancien président de l’assemblée provinciale du Katanga. Tous se sont alliés à Moïse Katumbi qui avait annoncé en 2016 sa candidature à la présidentielle après avoir quitté le parti présidentiel. Nyota et Jua ont toutefois rouvert au premier trimestre de 2019 à l’initiative du nouveau président Félix Tshisekedi.

13Ainsi, par peur des représailles et à la suite de ces fermetures de médias de Lubumbashi tout comme d’autres à Kinshasa, plusieurs autres médias ont suspendu les programmes qui pouvaient gêner. Ceux qui avaient par ailleurs continué à diffuser leurs émissions potentiellement sensibles, les avaient fortement édulcorés si bien que certains invités, des opposants politiques notamment sur Kyondo, se sont plaints parfois d’être censurés ou coupés lorsqu’ils s’exprimaient, contrairement à leurs collègues du pouvoir. Parmi les programmes qui ont cessé de fonctionner, pour Kyondo, figure l’émission « Médiascopie ». Des journalistes d’autres médias y étaient invités pour décrypter le travail des journalistes et se permettaient quelques critiques sur des politiques publiques ou carrément des décisions politiques. Elle n’a pas repris, et ce malgré l’alternance du pouvoir en janvier 2019 entre l’ancien président Joseph Kabila et le nouveau président Félix Tshisekedi à la suite de l’élection présidentielle de décembre 2018. Un programme apparenté, « Info scanner », a repris sur Nyota Télévision : les participants, tous journalistes maison, commentent l’actualité politique et sociale.

14Enfin, il y a les sports qui cumulent 8 heures et qui du coup, se classent en tant que 2e programme le plus important sur la grille de Kyondo. Sur des stations de radios comme Nyota et Malaïka, proches respectivement des équipes de football de la ville, Mazembe et Lupopo, la programmation des sports est plus importante encore. Pareil en ce qui concerne la radio Mwangaza.

Service public ou écoute de sa communauté

15La notion de service public de média, à travers Kyondo Radio, apparaît sous le prisme d’une information ouverte au pluralisme d’opinions. L’information, dans son journal parlé, recherche constamment « l’autre son de cloche ». Son journal analyse alors régulièrement les actualités politiques nationales et locales mais aussi des faits de société comme la salubrité, la pollution ou encore la bonne gouvernance, en faisant intervenir les acteurs politiques locaux, des activistes de la société civile et des scientifiques qui proposent des analyses. En tout, l’information chez Kyondo tend à décrire un contexte où s’expriment des opinions diverses, des critiques, et des contributions de la société civile censées permettre au public de se faire une opinion sur ce qui se passe dans son pays. Viennent en appui à cette logique qui pourrait rentrer dans le cadre de l’affermissement de la démocratie, les émissions de débat politique que nous venons de décrire. En dehors de ces programmes, la dimension de service public chez Kyondo apparaît toutefois faiblement dans sa programmation. C’est en outre le cas pour la plupart des médias commerciaux congolais. Nous évoquons cette question dans la dernière partie de cette analyse.

16Sur la grille de programme de Kyondo apparaissent, en plus, certains titres d’émissions comme « Nouveaux regards », une émission environnementale, mais qui ne sont plus guère produites depuis deux ou quatre ans. Quant à la promotion de la culture que revendique le média, la grille de programmes semble avoir beaucoup de mal à la traduire en termes de contenus précis. Il lui aurait fallu un personnel suffisant, comme nous le mentionnons dans la suite de cet article, et pas seulement de fonds pour assurer ces productions. Du coup, toute comparaison entre les deux médias, Radio Okapi et Kyondo Radio, devient malaisée étant donné les contextes très différents dans lesquels elles évoluent. La radio onusienne, en effet, profite en plus d’un financement de ses productions, de la protection de ses journalistes par la mission onusienne. Cela explique une certaine liberté de ton dans le traitement de l’information politique qu’on ne retrouve pas assez par exemple dans certains médias congolais des plus en vue. Mais il apparaît clairement que cette liberté de ton caractérisée notamment par une ouverture plus grande de Radio Okapi aux points de vue de l’opposition, chez Kyondo par exemple, est plutôt permise (voire tolérée) par les autorités congolaises. Puisque ces dernières ont parfois procédé à des coupures ou brouillages du signal de Radio Okapi, en l’accusant de ne pas être assez objective dans son traitement des informations politiques ou en lien avec la sécurité. Les coupures ont touché également Radio France Internationale (RFI) autour des périodes des tensions politiques ou d’opérations de l’armée. C’est le cas en 2014, lors de l’offensive de l’armée congolaise contre la rébellion du M23 dans le Nord-Kivu. Kinshasa a souvent déploré une tendance à ne pas considérer des améliorations, notamment à propos de la situation des droits humains ou de la sécurité alors que le bureau onusien des droits de l’Homme. Parfois, les autorités ont dénoncé un traitement des informations qui, selon elles, est de nature à démoraliser les troupes au front. En revanche, à propos des Kivu secoués par de nombreuses violences armées, des Congolais reprochent à Radio Okapi de ne pas assez parler des insuffisances de la Monusco sur la protection des populations. Apparaît ici, à nouveau, la question de l’objectivité et de l’indépendance de cette radio vis-à-vis de son patron, la Monusco. Celle-ci semble plutôt peu favorable à l’idée de voir « sa » radio s’ouvrir à ceux qui critiquent son action (Frère, 2009 : 196), à l’instar du gouvernement de Joseph Kabila qui exigeait depuis 2015 le retrait significatif et progressif de la force onusienne du Congo. Cette approche du rôle d’une radio de la paix n’a sans doute pas arrangé la Fondation Hirondelle, cofondatrice du média qui finalement a rompu le partenariat et s’est retirée du projet de Radio Okapi.

17Mais par le service d’information au public, cette radio a amené d’autres médias congolais à des prestations de même type. C’est le cas de Kyondo dont le journal parlé ainsi que des tranches informatives s’inspirent de son modèle. À Lubumbashi, davantage de radios couvrent des faits divers et les inscrivent chaque jour dans l’espace public comme importants pour les populations. Et c’est cela d’ailleurs qui explique en partie le succès de nombreuses radios, tous les secteurs confondus, sur le continent. Ce succès a été observé notamment auprès des populations les plus marginales qui progressivement s’approprient ce média, grâce aux projets communautaires de développement initiés par des ONG qui passent aussi par des médias locaux (Damome, 2018 : 2). Ces rapprochements entre médias et communautés sont en plus facilités, entre autres, par l’utilisation courante des langues locales par les radios de proximité ou communautaires et surtout la diffusion par elles des programmes qui concernent les publics (Mbumba, 2015a).

Programmer sa société ou penser un service public par la radio

18Le service public de média, d’après l’exemple de deux médias dont nous venons de décrire les grilles de programmes, apparaît comme fondamentalement indissociable de la stratégie de programmation. Programmation entendue ici comme une prévision ou planification d’un objectif ou d’un idéal à atteindre à l’instar de l’action en faveur de la paix par Radio Okapi. Et non pas simplement comme l’inscription d’une idée de contenu sur une plage horaire. S’entend dès lors, l’idée très chère aux milieux associatifs parmi lesquels comptent les médias du type de paix et médias communautaires : la théorie du changement. Elle est une explication, une illustration de la vision que l’on se fait du changement qu’on souhaite voir se produire, d’après la société française de suivi-évaluation EVAL7. La théorie du changement résume ainsi un ensemble d’actions coordonnées, dûment planifiées et évaluables, dans le but de passer d’un état de manque ou d’une situation non satisfaisante, vers un état estimé comme mieux que le premier.

La radio au service de la communauté

19La programmation d’une radio placée sous une mission de paix est ainsi censée prévoir, planifier des contenus qui soutiennent le processus de pacification, de stabilisation. En observant la grille de programmes de Radio Okapi et en considérant les contenus qui en résultent, il apparaît clairement que le changement est envisagé à travers l’engagement et la participation citoyenne, l’apprentissage des valeurs de tolérance, de la diversité d’opinions sans que cela pousse à l’affrontement. Les émissions comme « Dialogue entre Congolais », « Paroles aux auditeurs » ou « Okapi Service », chez Radio Okapi, s’inscrivent dans cet ordre d’idées. Elles relèvent d’une programmation censée soutenir une vision plus globale qui justifie le mandat de la Monusco : la pacification, la stabilisation d’un pays post-conflit. Bref, un changement de l’état de non-paix vers un état de paix ou au moins, de stabilité acceptable.

20C’est une mission que Radio Okapi espère accomplir ou accomplit par l’information et presque paradoxalement en même temps, par la communication portant sur les activités des agences onusiennes présentes au Congo. Et de là toute l’ambiguïté de son positionnement. Puisqu’en assurant un service de relations publiques, la radio tend à se définir aussi comme un outil de communication au profit de la Monusco et des agences des Nations Unies, ce qui contraste avec sa promesse d’offrir une information indépendante. Cette pratique est, par ailleurs, au cœur de la mésentente entre la Fondation Hirondelle plus soucieuse d’une radio de la paix plus indépendante ou neutre, et le service de l’information publique de la Monusco. Finalement, cette organisation suisse co-fondatrice de Radio Okapi a suspendu sa collaboration avec ce média.

21Toutefois, choisir ou suggérer une programmation tournée plus activement vers le service à la communauté, dans le contexte d’un pays post-conflit, apparaît aussi comme indissociable de l’approche des médias en tant qu’acteurs de la construction d’une paix durable, de la cohésion sociale et de la démocratie (Frère, 2013 ; Betz, 2004 ; Lynch, 2007). C’est cette conception qui explique d’ailleurs que l’ONU a créé des radios de paix dans une dizaine de pays dans le monde où elle a mené ses missions de paix, notamment au Congo, au Mali et en Côte d’Ivoire (Orme, 2010). Le service d’information ouverte aux opinions pluralistes est censé contribuer à ériger ou à consolider un espace (public) médiatique de reconnaissance mutuelle plutôt que simplement d’affrontements symboliques ou réels (Wolton, 2015 : 257). Un tel entendement du rôle des médias procède pourtant d’une démarche journalistique « classique » qui repose sur la production d’une information vraie et vérifiée. Ce qui exclut, pour les défenseurs d’un journalisme « pur et simple » comme solution aux situations conflictuelles, de voir le journaliste devenir un médiateur de la paix.

22Le service public de média, du point de vue d’une « radio de la paix », peut bien se confondre avec l’engagement des concepteurs de programmes et des producteurs de contenus à faire favoriser des attitudes voire des actions sociales à la fois au niveau des cibles et des décideurs. L’approche est très courante dans la programmation voire dans la gestion des médias associatifs ou communautaires. En revanche, malgré la recherche des bénéfices qui les poussent à sans cesse rechercher une plus grande audience, les médias commerciaux eux aussi assurent du service public ; y compris la RTNC, l’audiovisuel public congolais, à travers certains de ses programmes. Au Congo, nous l’avons mentionné plus haut, la loi sur la liberté de la presse fait justement obligation aux médias privés de consacrer au moins la moitié de leurs programmes à du service public en produisant des contenus éducatifs, culturels, de loisir ou, de manière générale, informatifs. Le ministère des Médias et de la Communication, dans une tentative visant à les réglementer, a signé un arrêté exigeant des radios ou télévisions communautaires de produire au moins 60 % de ce type de contenus locaux (Mbumba, 2015b : 107). C’est à ces conditions seulement que les pouvoirs publics peuvent consentir une aide publique aux médias, parce qu’ils rendent un service public. Notre propos ne vise cependant pas ici à nous étendre sur cette évidence, même si on se rendra vite compte, que les médias commerciaux à Lubumbashi développent parfois des contenus qui sont du service au public.

Au-delà de la programmation, les programmeurs, les producteurs des contenus

23La notion de service au public de média pose aussi inévitablement la question de profils des personnes chargées de produire des contenus prévus par les programmes. Principalement, ce sont les journalistes, producteurs de magazines et chroniques : des professionnels, en général, rémunérés et dont le travail exige un coût financier de production certain. Radio Okapi dont les contenus des programmes trouvent un réel succès auprès des populations congolaises, peut être cité en exemple pour son action de service public grâce au travail d’un personnel mieux formé, mieux rémunéré et bénéficiant de conditions de travail qui garantissent des productions de qualité. Autrement dit, il faut à un service public de média, des fonds pour rétribuer journalistes et animateurs ou producteurs de programmes divers, du matériel de travail adéquat et au-delà de tout, un travail de gestion adapté.

  • 8 Et même celui diffusé à la télévision d’ailleurs. Puisque le premier est constitué à partir des pro (...)
  • 9 Chaque journaliste salarié reçoit au moins 250 USD mensuels chez Kyondo depuis sa fondation. Toutef (...)

24Radio Okapi dont le budget annuel a atteint jusqu’à 10 millions de dollars (Frère, 2009 : 195), démontre que mieux économiquement installés, les médias ou programmes à mission de service public peuvent alimenter un espace de débat plus démocratique, et favoriser la cohésion sociale. Cependant, en lui-même, le statut des radioteurs, journalistes et autres animateurs des radios (Mbumba, 2015b), ne cesse d’évoquer une double contrainte : une formation professionnelle pas suffisante ou inexistante pour plusieurs acteurs, et un statut de salarié quasiment inexistant dans plusieurs maisons de presse. À cette double contrainte s’ajoute une troisième : l’absence le plus souvent, de budget consacré à la production des programmes. Ceci explique par exemple que, faute de pouvoir payer un correspondant à Kinshasa ou dans les zones en conflits (dans les régions du Nord, plus proche de Lubumbashi), la rédaction de Kyondo recourt souvent aux nouvelles diffusées la veille ou tôt dans la matinée par Radio Okapi et d’autres médias nationaux. Ainsi, dans le journal parlé8 de Kyondo, les actualités nationales politiques ou sécuritaires sont presque chaque jour en retard d’environ un jour. Même si en les reprenant toutefois, et pour « rabattre » plus localement ces actualités, ses journalistes font réagir presque toujours des acteurs locaux. En revanche, ce média qui offre à ses employés des salaires parmi les meilleurs du Haut-Katanga9, voire de la RDC, ne sait cependant pas régulièrement proposer à son public certains programmes qui rentrent dans le cadre de média de proximité qu’elle revendique. Déjà qu’il est difficile pour plusieurs médias de Lubumbashi, par exemple, de dépêcher des reporters dans la ville attenante de Kipushi, à une demi-heure de route en voiture. Cette contrainte pour un média privé à mettre en œuvre un service public, touche enfin au difficile renouvellement des matériels de travail.

Un service public, le coût pour un média sans budget

25Souvent peu rentables à cause notamment d’un marché publicitaire fort peu développé et mal structuré, plusieurs médias privés n’ont de survie que grâce aux interventions régulières de leurs fondateurs. Ceux-ci viennent souvent pour sauver leurs sociétés de la faillite, parfois pour éviter des critiques de leurs adversaires. Ainsi, Kyondo Radio n’a pu reprendre rapidement du service après l’incendie d’août 2019 qui a consumé son plateau et tout le matériel qui s’y trouvait que grâce à une nouvelle dotation de fonds. Par ailleurs, à la fin du premier semestre de 2019, le média ne disposait plus que d’un seul ordinateur de 100 giga-octets de capacité de stockage pour la rédaction et de trois autres de montage multimédia pour la radio et la télévision à la fois. En plus, 4 caméras de terrain au total desservaient les deux services de la société. Difficile dans ces conditions, d’exiger de la dizaine de reporters et producteurs de microprogrammes, des contenus qui demandent un long temps de production. Souvent, ils disposent de 2 à 4 heures par jour pour les enregistrements ou filmages des sujets d’actualités, et d’autant pour l’édition la veille du jour de diffusion, pour les magazines et micro-programmes.

26Il arrive souvent, dans ce cas, que de nombreux médias de Lubumbashi abandonnent, durant un temps et parfois définitivement, certaines ambitions affichées dans leur programmation pour enfin se tourner vers des contenus plus faciles, comme les comptes rendus des sports, des animations libres, voire abondamment de musique et des interviews par ailleurs peu soignées (Makal D. et Makal P., 2019). Chez Kyondo, les plages musicales, sans compter les émissions spécialisées de musique, atteignent 74 heures, soit un peu plus de 3 jours sur 7 de musique sans interruption. Pour comprendre la prépondérance de la musique dans cette programmation qui est typique par ailleurs de plusieurs radios et télévisions de Lubumbashi et même plusieurs de Kinshasa, il est important de jeter un coup d’œil sur la grille de Radio Okapi. Elle cumule, en ce qui la concerne, plus de 37 heures de musique la semaine, soit environ 2 jours, sans aussi compter bien entendu, les programmes musicaux spécialisés. Deux raisons majeures expliquent cette pratique. D’abord, parce que le public surtout jeune aime la musique. Les directions de programmes en profitent alors pour capter de la publicité. L’autre raison, la plus évidente sans doute, c’est que la musique si fortement programmée comble des plages des grilles de programmes que l’on ne sait remplir de ses propres productions. Des programmes que des médias ne savent produire seuls, parce qu’en sous-effectif, comme c’est le cas de Kyondo ; ou simplement parce que ne disposant pas des compétences nécessaires, comme c’est le cas chez certains médias privés fondés dans un but électoral, de propagande politique ou religieuse.

27Puisque financièrement non-viables dans la plupart des cas, les médias privés, même les plus remarquables comme Digital Congo, Télé 50, RTGA à Kinshasa, ou Nyota, Mwangaza, Malaïka et Kyondo à Lubumbashi, ne sont pas en mesure d’employer plus de journalistes. Parce qu’ils ne peuvent pas les payer. Télé 50 par exemple, la télévision proche de l’ancien président Joseph Kabila, qui compte parmi les plus centrales de Kinshasa, a vécu début 2019 une crise qui a duré plusieurs semaines. Ses journalistes en grève réclamant plusieurs mois de salaires non payés. L’employeur, qui refusait de répondre à leurs revendications, avait fini par faire arrêter certains d’entre eux. Cette situation illustre une réalité plus générale, si l’on sait que ce média compte parmi les plus en vue de la capitale congolaise : une situation économique souvent précaire pour plusieurs sociétés de médias.

28Et c’est sans doute sur la capacité d’employer des journalistes, mieux formés et surtout mieux payés, que semble en revanche s’appuyer la programmation de Radio Okapi ainsi que sa capacité à servir le public. Le service public de média marche souvent avec des financements qui manquent pourtant à de nombreux médias congolais. Pour les médias subventionnés par des tiers, des ONG par exemple, le service public s’arrête souvent avec la fin des financements ou simplement parce que les bailleurs estiment que la situation (de crise, par exemple) s’est améliorée (Frère, 2009).

Conclusion

29Il ressort de cette analyse que l’avènement de Radio Okapi en RDC a consacré les faits ordinaires de société, le cas des coupures d’eau et d’électricité, de l’insécurité ou des droits humains, comme des questions d’actualité requérant autant d’attention que l’actualité politique très présente dans les médias congolais. Le modèle informationnel proposé par ce média onusien a toutefois montré ses limites. C’est le cas notamment en ce qui concerne son positionnement vis-à-vis des critiques formulées contre la mission de l’ONU en RDC. Son attitude jugée plutôt froide, tend à la montrer parfois plus dans la communication plutôt que dans une démarche visant à promouvoir l’information impartiale comme elle tend d’ailleurs à le démontrer vis-à-vis d’autres acteurs dont le gouvernement congolais. Néanmoins, il ne demeure pas moins que Radio Okapi offre un exemple intéressant de service public de média. Sa programmation, ou plus globalement son modèle éditorial, a de ce fait intéressé plusieurs autres médias privés congolais qui, dans des contextes économiques et managériaux difficiles, produisent eux aussi du service public. C’est le cas de Kyondo, un média privé émettant à Lubumbashi et qui durant la crise politique de 2016 à 2018 a continué à animer des débats sur l’actualité politique du pays dans un contexte où des médias privés critiques, se sont vus fermer. La radio a, elle aussi, continué à diffuser des informations ouvertes à plusieurs opinions politiques, en plus de produire de micro-programmes. Mais pour une radio privée aux ressources financières réduites et aux recettes publicitaires qui restent peu développées l’ambition de service public de média fait face à des défis majeurs. Ce sont, entre autres, la formation des producteurs des contenus, leur motivation surtout par un salaire décent, et l’amélioration de l’environnement professionnel qui facilite la mise en œuvre des objectifs coulés dans une programmation adaptée à une situation post-conflit.

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Note de fin

1 Définition du service public, [En ligne] URL : http://www.toupie.org/Dictionnaire/Service_public.htm (consulté le 22/08/2019).

2 Vie publique, Qu’est-ce qu’un service public ?, [En ligne] URL : https://bit.ly/2ZoQaPP (consulté le 22/08/2019).

3 Nous avons choisi Kyondo Radio principalement parce qu’après la fermeture de Nyota Radio Télévision entre 2016 et 2018) et après la suspension temporaire des programmes de Mwangaza en 2017, Kyondo est resté un des médias de référence de Lubumbashi. Bien entendu, il y avait Malaïka, Wantanshi et la RTNC (station locale du média public) qui ont continué à émettre et qui ont une grille de programmes presque similaires. Mais, hormis la RTNC, ces médias présentent une programmation similaire sur plusieurs points.

4 Radio Okapi, À propos, [En ligne] URL : https://www.radiookapi.net/page/propos, consulté le (27/09/2019).

5 Des données partielles d’une étude d’audience que nous avons menée auprès de 1 800 personnes en 2019 avec un collègue de l’Université de Lubumbashi, indiquent un succès réel pour le journal parlé et les trois autres émissions citées.

6 Kasongo Mwema Yamba Y’amba est professeur en communication à l’Université de Lubumbashi. C’est un ancien journaliste de RTNC sous le président Mobutu et de RFI. En 2019, il a été nommé porte-parole du président Félix Tshisekedi.

7 EVAL, Théorie du changement, [En ligne] URL : http://www.eval.fr/theorie-du-changement/ (consulté le 29/08/2019).

8 Et même celui diffusé à la télévision d’ailleurs. Puisque le premier est constitué à partir des productions télévisuelles chez Kyondo).

9 Chaque journaliste salarié reçoit au moins 250 USD mensuels chez Kyondo depuis sa fondation. Toutefois, n’a plus augmenté de mains d’œuvre, même lorsque certains salariés ont quitté la société pour travailler ailleurs.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Didier Makal Kanteg, « Le service public par les médias et ses exigences dans un pays post-conflit »RadioMorphoses [En ligne], 5-6 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 20 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/radiomorphoses/1242 ; DOI : https://doi.org/10.4000/radiomorphoses.1242

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Auteur

Didier Makal Kanteg

Assistant, doctorant en Communication à l’Université de Lubumbashi. Il mène ses recherches sur l’émergence de la parole citoyenne dans le cyberespace et dans l’espace public traditionnel

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Droits d’auteur

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