Penser la radio au service de ses publics et de ses missions
Texte intégral
1Au seuil de cette nouvelle livraison de la revue RadioMorphoses, quelques remarques s’imposent. Cette publication s’est faite attendre plus que de coutume et ceci mérite certaines explications. L’ambition du numéro 5 & 6 en est une, numéro double, il rassemble une vingtaine de contributions et souhaite illustrer de manière polyphonique son thème central : la radio au service de ses publics. Les circonstances générales, sanitaires et mondiales, traversées depuis deux ans, connues de tous, en sont une autre. Elles n’ont pas été sans effets sur l’ensemble de nos activités, celles des Universités, de la vie académique, n’y ont pas échappé. Enfin, la mue de RadioMorphoses amorcée avec ce double numéro est le dernier motif que nous souhaitons vous soumettre et, à l’évidence, c’est le plus positif.
2La revue scientifique créée et éditée, depuis 2016, par le Groupe de recherches et d’études sur la radio (Le GRER), était en négociation depuis quelque temps avec la plate-forme Revue.org, devenue Open Éditions Journals en 2017. Cette année, en 2021, elle a été accréditée et ce double numéro vient rejoindre le catalogue de la prestigieuse plateforme d’édition numérique, en même temps que les quatre premiers numéros, repris et republiés en ligne sous ce même format. C’est une étape importante qui vient poursuivre et confirmer le travail accompli depuis des années.
3Le président honoraire et fondateur du GRER et son actuel président, en titre et en charge, ne peuvent que se réjouir de voir démultipliée la visibilité du numéro qu’ils ont dirigé et, au-delà, la reconnaissance de l’ensemble de notre revue. Cette satisfaction sera sans nul doute partagée par l’ensemble de ceux qui ont contribué à ce succès : la rédactrice et le rédacteur en chef de RadioMorphoses, Nozha Smati et Pascal Ricaud, qui en furent les acteurs centraux ; Frédéric Antoine, deuxième président du GRER qui a appuyé, accompagné le lancement de la revue ; ceux qui ont dirigé ses numéros précédents et ceux qui s’apprêtent à le faire ; l’ensemble des contributeurs, passés, présents et à venir. Il faut ajouter à cette liste la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine (MSHA), qui par l’apport logistique de son service d’édition a rendu la mutation possible.
4Cette reconnaissance bénéficiera à tous. Elle est une étape et nous en espérons d’autres, afin que RadioMorphoses devienne demain une revue scientifique pleinement qualifiante au sein des Sciences humaines et sociales, dans le domaine des études radiophoniques et sonores.
5Sans obscurcir notre plaisir, mais parce que la vie va, parce qu’ils nous ont quittés trop tôt, nous regretterons profondément que certains d’entre nous ne puissent s’y associer au présent. À l’été 2018, nous apprenions la mort de Guy Starkey et les premiers textes publiés ici, d’Angeliki Gazi et Peter Lewis, lui rendent hommage. Alors que le numéro 5 & 6 était en cours de publication, nous apprenions en mars 2021, le décès de Marie-Soleil Frère. Son texte inédit publié dans ce numéro restera une contribution posthume. Nous remercions particulièrement Annie Lenoble-Bart de l’avoir postfacé, pour un autre hommage, au combien attristé et mérité, de l’ensemble de notre communauté.
6Pour l’avoir trop attendu, nous ne retarderons pas longuement la découverte de la richesse de ce double numéro par une trop longue introduction surajoutée. Il convient simplement de souligner sa diversité avec en premier lieu un dossier central autour des notions de services aux publics de la radiodiffusion et, inséparablement, un examen de missions et de réalisations concrètes de ces services. D’Afrique au Canada, de Grèce au Royaume-Uni, du Brésil à la France, ce numéro est résolument international à l’image du GRER, de son histoire et de ses collaborations. Les problématiques développées relaient celles qui avaient auparavant nourri un colloque international organisé à Bordeaux en novembre 2017. Sans exhaustivité, bien sûr, nombre de problématiques posées par la réalité des services publics, services aux publics à travers les radios, trouvent sujets et illustrations dans ce dossier. Les contributions observent et analysent le respect de principes communs en la matière, leurs convocations et leurs appropriations diverses, mais aussi des décalages, contournements ou parfois même leurs négations.
- 1 René Duval, Histoire de la radio en France, Paris : éditions Alain Moreau 1980, p. 31.
7Historiquement la création de la notion de service public fut liée à la construction des États d’anciens régimes, puis elle a été réactivée, approfondie, avec l’émergence des sociétés démocratiques depuis le XIXe siècle et la constitution des États-nations. Dans sa version médiatique, elle fut longtemps associée à celle des monopoles publics, gérés par des services sous contrôle nationaux. Même si dès 1922, de retour des États-Unis, Émile Girardeau propose la création d’un « service public d’information, de musique, de chant et de diffusion d’œuvres diverses en demandant les ressources à la publicité »1. Il deviendra le fondateur de la station privée Radiola. De fait, les services aux publics ne se confondent pas toujours aux services publics institutionnalisés dans des entreprises d’État. Pour autant, les notions de gratuité ou de coûts modiques ou raisonnables et une finalité non commerciale des services en question restent communément présentes ; la rentabilité de ces services ne pouvant en tout cas constituer la justification de leur mise en place, de leur maintien ou de leur suppression. Dès lors, plutôt qu’aux radios commerciales privées, la réalité du service public radiophonique est le plus souvent liée aux radios de statut effectivement public et à un tiers-secteur, qui se présente comme alternatif ou complémentaire au premier.
8Dans leur conception, les services publics reposent sur certains principes fondamentaux. L’égalité d’accès aux services garantis, notamment la notion de continuité dans l’espace et dans le temps au nom de l’unité et de l’égalité de tous les bénéficiaires. Ceci suppose dans le cas de la radio une continuité de diffusion et de réception sur l’ensemble d’un territoire national, de territoires particuliers, dont les espaces locaux ; ou bien ceci a pu aussi se comprendre par la suite comme un droit à l’expression, l’accès de tous, de groupes, de communautés, de causes, aux micros et aux émetteurs. Le texte présenté par Peter Lewis croise précisément ceci : il évoque la difficile prise en compte du local par le système radiophonique britannique (public et privé) et la revendication par certains secteurs de l’existence de services qui ne soient pas concédés, mais exercés par eux-mêmes, les militants des radios communautaires.
9La défense d’une gestion démocratique de la radio avec la participation des acteurs, des bénéficiaires ou de leurs représentants, reste une idée défendue par le tiers-secteur radiophonique. Dans ce dossier, elle est illustrée de diverses manières : en France dans les années 1980 et ensuite à travers des radios associatives encastrées légalement, structurellement, dans les politiques publiques de communication sociale de proximité tel que le défend Raphaël Dapzol ; tel un nouveau service public dédié à un secteur certes minoritaire de l’opinion, le courant libertaire, mais néanmoins présent sur les ondes, pour Félix Patiès ; au service de localités périphériques sensibles, les favelas du Brésil évoquées par Edney Mota Almeida.
10Dans ce dernier cas, l’auteur ne néglige pas les écarts entre objectifs et réalités. Le manque de moyens suffisants, matériel ou humain, expliquant certes cela, mais aussi l’hégémonie des modèles médiatiques « mainstream » qui s’imposent à des projets qui se souhaitaient initialement alternatifs, évoquant les équilibres instables d’Antonio Gramsci. Samuel Lamoureux rencontre lui aussi la notion d’hégémonie à travers une étude plurimédiatique, où la radio, avec Radio Canada, trouve sa place, pour approcher des discours d’information économiques médiatisés très convergents et orthodoxes au détriment d’un pluralisme et de voix hétérodoxes marginalisées. Ici la neutralité, le pluralisme, devant garantir l’égalité de traitement à tous et de toutes les opinions légitimes, dans l’intérêt des publics, ne sont pas appliqués.
11Un autre principe commun des services publics serait celui du respect des diversités, au sens large. Anastasia Choquet présente cet objectif affiché en tant principe symbolique revendiqué et réitéré très officiellement par le service public radiophonique français. Au-delà, elle en appelle à l’examen de la mise en pratique réelle de ces intentions proclamées au sein de Radio France.
12Enfin, les principes de mutabilité ou d’adaptation constante aux besoins des destinataires, pour mieux les servir, en temps normaux ou en temps de crise sont d’autres notions associées à celles de service public. En situation de crise radicale, la suppression brutale de programmes de chaînes de service public grecques en 2013, sur décision politique, fut un événement traumatique pour la société grecque. Il est doublement évoqué dans ce numéro à travers les articles complémentaires d’Angeliki Gazi et Angeliki Boubouka (présent dans le dossier) et celui de Lambrini Papadopoulou et Angeliki Gazi (inséré dans les varias). Selon les auteures, la crise a pu ouvrir la porte au remplacement de services publics atrophiés par des médias citoyens autogérés, des pratiques participatives, mettant à profit des ressources numériques et nouvelles endossant de nouvelles véritables missions de services aux publics.
13L’article de Didier Makal correspond également à cette problématique de mutabilité ou d’adaptation. Il aborde la place et les rôles d’une station au service du processus de paix en République Démocratique du Congo (RDC). Parfois limitée par son origine, son impulsion internationale au service de l’ONU, Radio Okapi inspire d’autres initiatives locales adaptées. Une autre contribution africaine que nous devons à Marie-Soleil Frère, porte également principalement sur la RDC. Elle y décrypte un curieux, mais effectif mouvement menant une radio française internationale d’État, Radio France Internationale en l’occurrence, à devenir ce qu’elle désigne comme une radio internationale de proximité au service de l’expression d’auditeurs s’étant appropriés un programme régulé de libre antenne portant sur l’actualité. Au-delà du cas étudié, ce travail pourra fournir d’indéniables apports et exemples méthodologiques aux lecteurs et chercheurs.
14Le numéro se complète de varias et d’une position de mémoire. Outre le texte grec déjà cité, les varias comportent le texte d’une jeune chercheuse traitant de la thématique récurrente, mais incontournable de la rencontre entre la technologie radiophonique traditionnelle et numérisation. Les corrélations avec des pratiques professionnelles modifiées, renouvelant la problématique séculaire de la temporalité radiophonique, y sont abordées. Aminata Ouédraogo, doctorante à l’époque de ses recherches au Burkina Faso sur le sujet, est depuis devenue récemment docteure de l’Université Bordeaux Montaigne.
15La position de mémoire de Calypso Le Guen rend compte pour sa part d’un travail de recherche de Master, mené au sein la station publique France Inter. Là aussi il est question de pratiques professionnelles, de leurs évolutions, à travers l’introduction des caméras au sein des studios pour l’avènement discuté d’une radio filmée.
16Enfin, nous vous proposons cinq recensions d’ouvrages réalisées par Annie Lenoble-Bart, Isabel Guglielmone, qui en propose deux, Albino Pedroia et Sébastien Poulain. Comme vous le constaterez, les ouvrages commentés ne sont pas sans résonance chacun avec le dossier central de ce numéro, qu’ils traitent du rôle des intellectuels à la radio, de la très dynamique résilience de la radio et leurs études en Amérique latine, de l’histoire des radios libres italiennes ou de celle de France Inter.
17Mais, il est temps de laisser la parole aux auteurs. Nous vous souhaitons bonne lecture.
Note de fin
1 René Duval, Histoire de la radio en France, Paris : éditions Alain Moreau 1980, p. 31.
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Référence électronique
Jean-Jacques Cheval et Etienne Damome, « Penser la radio au service de ses publics et de ses missions », RadioMorphoses [En ligne], 5-6 | 2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 20 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/radiomorphoses/1640 ; DOI : https://doi.org/10.4000/radiomorphoses.1640
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