Introduction

1Les radios associatives françaises ont pour beaucoup fêté ces dernières années leurs 30 ou 40 ans d’existence : ces radios font partie du paysage médiatique et ou radiophonique local des territoires où elles sont implantées. Créditées d’une faible audience (entre 2,5 et 2,8 % de l’audience globale selon les études de Médiametrie) elles constituent pourtant une offre médiatique locale spécifique devant répondre aux attentes des auditeurs, incarnant une alternative face aux radios de service public et aux stations privées commerciales.

2Derrière leur image de médias associatifs locaux, héritage de la période des radios pirates de la fin des années 1970, la question se pose cependant des choix politiques qui ont construit ce statut particulier propre au paysage médiatique français. Comme nous allons le développer au travers de cet article, le statut et le modèle des radios associatives françaises se sont bâtis dans l’héritage d’une double tradition d’encadrement de la communication et d’intégration des initiatives privées dans les politiques d’actions publiques.

3Pour interroger leur statut particulier et ses spécificités en matière d’organisation et de fonctionnement, nous devons également nous intéresser aux origines et à ce qui a guidé le choix du statut d’association pour ces nouvelles radios au moment de l’ouverture du monopole d’État sur la radiodiffusion en 1982. Il semble en effet pertinent de se demander ce que le statut d’association encadre et permet pour la radiodiffusion et qui a conduit l’État et le législateur à le choisir pour les premières radios privées autorisées avant l’autorisation des radios commerciales.

4Pour cela, nous allons ouvrir au lecteur le fruit d’un travail mené sur l’organisation et le fonctionnement actuel des radios associatives en nous intéressant aux liens entre les champs de la radiodiffusion et des associations qui se rencontrent dans ces radios. Nous exploiterons particulièrement les sources juridiques et les travaux sur l’histoire de la radiodiffusion et sur le droit des associations en France. Ils nous permettront de mettre en relation les deux facettes qui caractérisent le statut des radios associatives.

Le statut des radios associatives comme produit d’une tradition historique d’encadrement de la radiodiffusion

6Les arguments présentés pour cette loi portent aussi bien sur les aspects physiques des limites des réseaux et des technologies de transmission, que sur les enjeux de l’information qui relèvent de l’ordre public. L’État intervient ainsi pour assurer un juste accès des particuliers à la télégraphie, se faisant arbitre de l’intérêt général, tout en conservant également un pouvoir de contrôle du contenu circulant sur les réseaux pour se préserver des menaces à l’ordre public que représente cette technologie de télécommunication.

7L’encadrement de la liberté de communication par un monopole d’État sur les télécommunications trouve ainsi ses origines dans la décision du Gouvernement de la Monarchie de Juillet d’établir un équilibre entre les intérêts privés, l’intérêt général et l’ordre public, en privilégiant le rôle de l’État dans la construction, l’accès et le contrôle des réseaux télégraphiques. Cette loi de monopole d’État marque l’histoire de la communication, car elle servira de base pour les législations futures sur les réseaux et les usages ultérieurs de la télécommunication, d’abord filaire puis pour la radio-télécommunication.

8L’apparition et le développement des expériences de radioélectricité à la fin du XIX^e siècle et de la télégraphie sans fil dans la première moitié du XX^e siècle, font émerger les premières pratiques de radiodiffusion en Europe et aux États-Unis (Cheval, 1997 : 27) qui se trouvent encore en dehors du monopole sur le réseau télégraphie filaire. Ce statut flou accompagnera l’apparition en 1922 des premières radios françaises, Radio Tour-Eiffel et Radiola (future Radio Paris), mais sera rapidement rattrapé par la loi du 30 juin 1923. Le monopole, qui avait déjà été appliqué à la télégraphie sans-fil par le Décret-loi du 27 décembre 1851, se trouve par l’article 85 de cette loi de 1923 étendu « à l’émission et à la réception des signaux électriques de toute nature ».

9Par cet article qui sera la source juridique de la réglementation de l’audiovisuel en France, la radiodiffusion alors naissante tombe sous le régime du monopole d’État dont les effets marqueront le développement des médias audiovisuels et les technologies de télécommunication.

10Si le monopole d’État encadre la radiodiffusion dans le droit, dans les faits le statut des stations publiques et privées naissantes reste encore flou jusqu’à la fin des années 1920. Les premiers postes radio, créés par des « sans-filistes » amateurs de communication radioélectrique, s’organisent autour de groupements plus ou moins formels soutenus en partie par les collectivités locales et se construisent dans des projets à la frontière entre privé et public.

11Comme le montre Cécile Meadel (Meadel, 1994 : 31), c’est la question de la nature du service public qui rattrape la situation désorganisée et floue de la radiodiffusion et conduit l’État à préciser le statut de monopole et à établir un plan de renationalisation des radios privées. La loi du 19 mars 1928 donne ainsi un statut clair aux treize radios privées déjà existantes à Paris et dans différentes villes de France, avec l’obligation pour elles d’obtenir une autorisation pour continuer à émettre et, par la même occasion, empêche également la création de nouvelles radios. Le plan proposé par cette loi prévoit également la renationalisation des postes privés par leur rachat progressif jusqu’en 1933, mais les reports successifs laisseront se maintenir cette situation à la Seconde Guerre mondiale.

12Cette période de structuration de la radiodiffusion, balancée entre les intérêts publics et privés, prend brutalement fin avec la fin du conflit. Au moment de la Libération, l’ordonnance du 23 mars 1945 tendant au retrait des autorisations des entreprises privées de radiodiffusion abolit le régime dérogatoire du décret de 1923 et rétablit la loi de 1837, réinstaurant ainsi le monopole d’État sur les moyens de télécommunication. La volonté politique d’unifier la radiodiffusion autour d’un réseau national et public, indépendant à la fois des enjeux économiques et de l’influence des médias de l’Est, comme des intérêts anglais ou états-uniens, instaure un monopole d’État qui se voudra absolu jusqu’en 1982.

13Revenir sur les origines du monopole sur la radiodiffusion en France permet de mieux comprendre les cadres qui ont participé à la formation du paysage radiophonique contemporain et les enjeux qui l’ont structuré. Comme le met en avant Stéphane Olivesi dans son article portant sur l’histoire du droit de la radiodiffusion (Olivesi, 2000), le droit ne doit cependant pas être interprété comme une grille de lecture historique objective et détachée des conditions politiques et sociales des différentes époques, mais doit être replacé dans le contexte des stratégies qui l’englobent et en font l’outil de leur réalisation.

14Cet auteur nous rappelle ainsi que les différentes politiques d’aménagement du statut des radios privées et des rapports privé-public durant cette période ne répondent à d’autres pertinences que celle d’étatisation de la radiodiffusion, en s’appuyant sur l’initiative privée. La finalité des cadres juridiques répond avant tout à des enjeux de police et de politique propres à cette période de l’histoire. Tout comme la loi de 1837 instaurant le monopole d’État sur la télégraphie répondait au développement des réseaux privés et soulevait des enjeux de contrôle des infrastructures de communication et du contenu de l’information qui y circulait, le monopole sur la radiodiffusion se trouve également être une réponse des pouvoirs publics face aux intérêts privés.

15Comme le souligne Jean-Jacques Cheval (Cheval, 1997 : 32), les intérêts politiques dans les années 1930 se trouvent partagés entre une ouverture libérale et un renforcement du monopole sans pour autant basculer totalement dans l’un de ces modèles. Ces oppositions maintiendront le statut transitoire des radios privées qui se pérennisera par défaut avec le report à plusieurs reprises de l’établissement du monopole jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les premiers développements d’un service public de radios nationales et régionales seront effacés par la montée des tensions en Europe. Nous pouvons discerner dans ces différentes étapes de formation du monopole d’État sur la radiodiffusion les marques de la volonté de l’État de conserver la légitimité de l’action publique et le souci de mettre les initiatives privées au service de l’intérêt général.

16Pour préciser plus en détail les effets de cette tradition, nous allons à présent nous intéresser plus particulièrement au modèle des radios associatives françaises tel qu’il s’est constitué à partir de 1982 et à l’influence du monopole d’État sur l’intégration de ces radios dans des missions de service public.

L’encadrement des Radios Locales Privées dans l’ouverture du monopole d’État

17Si la loi du 29 juillet 1982 proclame dans son premier article que « La communication audiovisuelle est libre » et constitue la première ouverture réelle de la radiodiffusion aux radios privées depuis 1945, en dehors des radios périphériques dont les relations avec l’État français ont été l’objet de nombreux rebondissements (Cazenave, 1984 : 28), il ne s’agit pas pour autant d’une loi d’abolition du monopole. Le statut des premières RLP est directement lié au statut d’association et le financement par les collectivités locales ou les dons privés sont limités à un quart de leur budget de fonctionnement. Cette loi crée une entité administrative, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, chargée de veiller à l’indépendance du service public et d’encadrer l’attribution des autorisations aux radios et télévisions privées.

18Pour guider la Haute Autorité dans sa mission d’attribution des autorisations pour les radios privées, le législateur fixe comme principaux critères l’examen « des contraintes techniques et des données géographiques et socioculturelles [… et] la nécessité d’assurer une expression libre et pluraliste des idées et des courants d’opinion ».

19Il est intéressant de s’interroger sur ce premier cadre qui devait permettre d’intégrer dans le paysage radiophonique les mouvements des radios pirates qui furent l’objet de vives controverses politiques à partir de la fin des années 1970. Comme nous le rappelle François Cazenave, en cette fin de décennie les différents partis politiques restent plutôt en retrait sur la question des radios libres (Cazenave, 1984 : 72) et ne trouvent d’échos militants que dans des expériences éphémères, parmi elles Radio-Fil-Bleu, radio des jeunes giscardiens de Montpellier, ou Radio-la-Rose du PS.

20La lecture du rapport de la Commission des Affaires culturelles du Sénat sur le projet de loi de dérogation du monopole radio (Rapport du Sénat n° 373, 1981) montre que la réalisation de la promesse de campagne de François Mitterrand reste largement encadrée et l’équilibre entre les intérêts publics et privés reste scrupuleusement pesée. Si la question du financement des RLP par la publicité apparaît déjà dans ce rapport comme un enjeu pour leur indépendance et la qualité de leurs contenus, celui-ci fait également apparaître la nécessité de contrepoids aux financements privés pour le préserver de l’influence économique du marché publicitaire (ibid. : 30).

21Le choix d’interdire la publicité pour les RLP est finalement poussé par les revendications de la presse locale, qui voyait dans l’arrivée des radios privées une nouvelle concurrence sur le marché publicitaire. L’obligation pour ces radios d’être régies par le statut d’association, le régime d’autorisation et les contraintes de financement sont autant de cadres qui, s’ils sont présentés comme une défense contre l’entrée des enjeux financiers dans l’audiovisuel, agissent également en sens inverse, comme un moyen pour l’État de conserver un regard sur leur gestion et le monopole de l’action publique face aux initiatives privées. Sur le plan politique, la consigne d’ouverture à une expression libre et pluraliste des idées et des courants d’opinion apparaît dans cette loi mais laisse finalement dans le flou tout cet aspect de la liberté d’expression.

22Les limites de la loi de 1982 et les échecs de la Haute Autorité, notamment à faire respecter l’interdiction de financement par la publicité (Cheval, 1997 : 80), conduisent à une réforme du cadre de la radiodiffusion et des institutions avec la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite « Loi Léotard », qui demeure encore aujourd’hui le texte de référence pour l’audiovisuel français. Si le statut des RLP y reste encore trouble, mêlant à la fois les radios associatives et les stations commerciales autorisées depuis 1984, cette distinction est un premier pas vers une évolution et une clarification des catégories d’opérateurs qui sera établie quelques années plus tard.

23La loi Léotard dissout la Haute Autorité remplacée par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) qui reçoit comme ligne d’examen des candidatures « l’intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels […] ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence ».

24La loi de 1986 réforme également le premier dispositif de financement des RLP mis en place en 1982 ; les limites de son fonctionnement et les difficultés à faire face à l’augmentation rapide du nombre de radios conduisent à la création du Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER). Ce dispositif de subvention des RLP ne diffusant pas de publicité se base, comme auparavant, sur la perception d’une taxe sur les contrats publicitaires audiovisuels. Même s’il a évolué au cours des années suivantes, il reste encore en 2021 la principale source de financement des radios associatives.

25La dissolution de la CNCL et son remplacement par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en 1989 marquent une nouvelle étape importante dans le champ de l’audiovisuel français, par l’établissement de l’institution qui reste, aujourd’hui encore, au centre de son organisation. La distinction du statut des différents opérateurs dans le paysage radiophonique français cette même année permettra de clarifier l’ensemble flou que constituaient les RLP. Elles deviennent alors des radios associatives, des radios locales commerciales et des décrochages locaux de réseaux nationaux. Si cette distinction nouvelle n’apporte pas de réels changements dans les missions des radios associatives qui le demeurent, elle permet cependant de clarifier leur statut et les rapports avec les autres opérateurs, l’appellation de « radio libre » qui était souvent mise en lien avec les Radios Locales Privées devient dès lors un marqueur d’identité pour les radios A, qui se présentent comme les héritières des mouvements pirates et radio-libristes.

26Le dernier changement majeur du statut et des missions des radios associatives viendra avec la loi sur la liberté de communication du 1er août 2000. Cette loi dite « Loi Trautmann », introduit et définit les différentes formes de ces missions indiquant au CSA, la nécessité de veiller « à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquences soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion. »

27Les changements apportés par cette loi modifient substantiellement le contenu et la portée des missions attribuées aux radios associatives qui ne sont plus laissées à un rôle très vaguement esquissé par les lois antérieures de 1982 et de 1986 ; elles sont à présent intégrées dans des lignes de politiques sociales. Cette mission de « communication sociale de proximité » devient pour les institutions le critère d’examen et d’évaluation des radios associatives, pour l’instruction des candidatures et des conventions établies avec le CSA. Elle constitue également un support des catégories d’évaluation et de valorisation de l’activité des radios utilisées par le FSER pour l’attribution d’une subvention sélective.

28La subvention sélective à l’action radiophonique, venant en complément de la subvention principale de fonctionnement, s’appuie sur l’examen et l’évaluation des actions présentées par les radios associatives dans leur demande de subvention annuelle auprès du FSER. Si l’application d’une pondération de l’aide au fonctionnement suivant des critères d’appréciation, principalement économiques et de formation des salariés, existait depuis 1992 (Décret 92-1053 de 1992), les critères changent radicalement avec cette loi. L’intégration des politiques sociales dans les missions des radios associatives conduit à une orientation de leurs actions, non plus seulement pour leur développement économique et professionnel, mais aussi vers des domaines considérés par les pouvoirs publics comme d’intérêt général.

L’action associative mise au service des politiques d’action publique

29L’éclairage qu’apporte la mise en relation de l’évolution des radios associatives dans le paysage radiophonique et du développement du secteur associatif par des politiques d’action publique permet de mieux appréhender le statut, les cadres et les missions de ces radios depuis leur apparition.

30L’analyse que proposent Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu sur l’investissement de l’État providence dans le développement du secteur associatif durant les années 1960 à 1980 (Sainsaulieu et Laville, 2013 : 99) permet de mieux comprendre le contexte des politiques publiques qui ont influencé le modèle des radios associatives. Si l’investissement de l’État après la période d’après-guerre se concentre, dans un premier temps, sur le développement de l’éducation, des soins et des services à la personne, son élargissement aux autres parties du secteur associatif, notamment dans les associations socioculturelles et l’éducation populaire, a participé à la formation d’un tiers-secteur économique.

31La reconnaissance par l’État des professions et des compétences propres à ces secteurs s’est accompagnée d’une intégration des structures dans des dispositifs de délégations de missions de service public, encadrées par des statuts et des agréments particuliers ouvrant à chaque fois leur organisation et leur fonctionnement au regard et au contrôle de l’Administration.

32Pour mieux saisir la particularité de cette relation entre l’État et les associations, nous devons nous intéresser à l’un des principaux apports juridiques de la loi 1901 sur le droit d’association qui a été de situer le modèle des organisations associatives dans le droit privé plutôt que le droit public ; ce statut de droit privé constitue à la fois une autonomie face à l’État, mais également un frein à leur influence dans la sphère publique. La volonté du législateur dans cette loi, comme l’analyse très clairement Jean-Claude Bardout (Bardout et Belorgey, 2000 : 154), a été de garantir l’autonomie des individus à librement se réunir et créer une association sans contrôle préalable de l’Administration, ainsi que de les protéger de la capacité d’action que pourrait acquérir la personne morale de l’association ; la liberté de l’individu devant toujours être plus importante que celle du groupe.

33Comme le montrent Jean-Louis Laville et Renaud Sainsaulieu (Sainsaulieu et Laville, 2013 : 76), l’Administration permet d’étendre la capacité d’action des associations par des étapes de reconnaissance et de régulation qui favorisent le développement des structures, par des agréments et l’accès à des subventions, mais renforcent également l’influence et le contrôle de l’Administration sur leurs statuts, leur fonctionnement et leur financement.

34Ces dispositifs de contrôle et d’évaluation des actions associatives sont également présents dans les organismes de financement privés et participent à ce que Laville et Sainsaulieu désignent comme un « isomorphisme institutionnel » (Sainsaulieu et Laville, 2013 : 32). Cet isomorphisme se définit comme une intégration des logiques administratives dans les organisations, dirigeant les acteurs vers des normes de fonctionnement et de pratiques qui doivent répondre et se conformer aux attentes des institutions. Ce phénomène est particulièrement observable dans les processus de demandes de financement, qui font appel à des compétences administratives particulières et une connaissance des attentes administratives par les acteurs, distinguant et favorisant ainsi les structures en mesure de mobiliser les moyens d’y répondre.

35L’investissement de l’État dans les radios associatives, par le CSA pour l’attribution et le renouvellement des fréquences, et le FSER pour les moyens de financements, sont autant de dispositifs de contrôle et d’encadrement de leur statut et de leur activité, pour veiller et encourager à l’accomplissement des missions qui leur sont confiées. Les catégories d’analyse de l’activité des radios adoptées par l’Administration jouent ainsi dans un double sens, en permettant l’évaluation de l’intégration des actions menées dans les missions confiées, mais également en renforçant la tendance des pratiques à s’organiser pour s’y conformer et y répondre.

36Dans un mouvement d’isomorphisme, les radios disposant des moyens et des compétences permettant de répondre aux normes et aux attentes administratives se trouvent dans une posture favorable dans cette relation aux institutions. Ce mouvement reste toutefois largement marqué dans les radios associatives, par une opposition entre les acteurs voyants dans les financements privés un moyen de développement et ceux pour qui le seul financement public, notamment du FSER, constitue une marque d’indépendance ; certaines rares radios refusent tout financement public comme privé, pour elles source de dépendance politique et économique, et ne fonctionnent que sur le soutien de leurs adhérents. Ces oppositions restent encore fortes dans l’ensemble des radios et participent à leur diversité de modèle de fonctionnement et leur programmation.

37Comme l’avait anticipé Jean-Jacques Cheval (Cheval, 2007), le modèle d’évaluation des radios, reposant sur un rapport de justification des actions réalisées et de leur corrélation avec des critères établis, tend à favoriser les radios pouvant mobiliser des acteurs possédant les compétences spécifiques pour y répondre.

38Ce rapport entre les radios et les organismes de financement, qu’ils soient publics et privés n’est cependant pas propre aux radios associatives, mais il est devenu général au champ associatif depuis les années 1990. La tendance générale de normalisation des rapports sur des critères et des normes attendues pour l’instruction des demandes de financement produit un effet structurant sur les associations qui s’organisent et mobilisent des compétences particulières pour se conformer aux attentes administratives.

39À la lumière de ces phénomènes, la question se pose alors de la capacité des acteurs à pouvoir élaborer des postures et des pratiques s’éloignant des normes et des critères d’évaluations imposés par l’Administration. Pour répondre à cette question, nous rejoignons la thèse proposée par Michel Crozier et Erhard Friedberg (Crozier et Friedberg, 2014 : 41) qui met en avant l’existence, dans les rapports d’organisation, d’un espace de liberté inaliénable pour les acteurs d’agir selon leur propre volonté qui se construit selon leur capacité à mobiliser des ressources à leur disposition.

40Ainsi, il existe, en suivant cette thèse, une distance variable entre les normes et les pratiques de justification, entre les pratiques de justification et les actions réelles, qui laissent aux acteurs un espace de liberté pour élaborer des stratégies et pour agir en dehors des cadres imposés. Nous retrouvons cette analyse chez Laville et Sainsaulieu, pour qui la construction des rapports entre les associations et les institutions est marquée par des postures de coopération et de co-construction par la participation aux instances représentatives, ou au contraire d’opposition et de déconstruction par la résistance, la dénonciation et la mobilisation face aux normes et aux cadres d’intégration (Sainsaulieu et Laville, 2013 : 86).

Conclusion

41Nous avons cherché au travers de cet article à mettre en lumière les pratiques de contrôle et d’encastrement des radios associatives dans des politiques d’action publique qui ne sont pas des phénomènes récents, mais s’inscrivent dans des traditions d’encadrement des libertés. Le modèle actuel des radios associatives, leur statut, leurs missions et les conditions qui permettent leur existence, ne sont pas apparus ex nihilo au moment de l’ouverture du monopole sur la radiodiffusion en 1982. Il s’agit au contraire d’un produit de la situation particulière du paysage médiatique français et de sa gestion par les instances politiques.

42Ainsi, si les textes de loi définissant le modèle de ces radios nous montrent l’image d’un champ organisé par des cadres et des missions les rapprochant d’un service public, il faut également nous rappeler que la réalité des processus de médiation et de communication des radios associatives se réalise avant tout dans l’espace qui se crée entre les cadres normatifs et les limites de leur organisation interne. Entre ces deux frontières s’étend un espace que les acteurs peuvent investir pour poursuivre leurs engagements individuels et produire des contenus qui ne s’intègrent pas nécessairement dans les normes et les critères d’évaluation de l’Administration ou des financeurs privés.

43Nous pouvons évidemment nous interroger sur la portée de ces catégories d’évaluation et nous demander si elles évaluent des pratiques ou plutôt la capacité des acteurs à s’y conformer, ou encore celle à formuler des discours qui y répondent. L’espace de liberté des radios associatives apparaît ainsi à géométrie variable, favorisant les acteurs en mesure de mobiliser des capitaux de connaissance et un sens pratique pour l’occuper, élaborer des stratégies et agir en s’émancipant des cadres ; à l’opposé, les acteurs moins dotés se trouvent plus fortement soumis aux normes et aux injonctions et difficilement en capacité d’y résister autrement que par l’opposition ou le refus.

44Le modèle actuel de la radiophonie française permet l’existence et le fonctionnement de ces radios locales associatives qui se situent, dans le paysage médiatique, comme des alternatives entre le service public et les radios privées commerciales, en ouvrant un espace où peuvent se retrouver les amateurs et les professionnels. Comme le met en avant Jean-Jacques Cheval (Cheval, 2007), les radios associatives constituent un « troisième secteur radiophonique » dont la relative autonomie lui permet de reposer davantage sur une logique d’expression que d’audience, permettant l’existence de pratiques et de contenus qui ne trouveraient pas leur place dans les radios commerciales.

45Cet espace médiatique particulier, s’il est encadré par des dispositifs normatifs, permet également des pratiques et la production de contenus échappant aux logiques économiques dans lesquelles les codes qui s’imposent aux autres catégories d’opérateurs peuvent être transgressés.

46De plus, l’éclatement des publics et des pratiques médiatiques depuis les dernières décennies tendent, comme le met en lumière Christophe Deleu (Deleu, 2013), à une réduction de la radiophonie à des formats et des rôles spécifiques, que ce soit par des opérateurs privés ou publics. Les contenus tendent ainsi, pour s’intégrer dans des logiques économiques et d’audience, à se limiter trop souvent à de la diffusion musicale ou à l’information dont l’écoute est guidée par un médiateur clairement identifié, délaissant ainsi la capacité créative et expérimentale de la radiophonie. Dans cet espace soumis aux enjeux de productivité et de marchandisation des contenus, les radios associatives apparaissent encore plus, à l’image du secteur associatif dans l’économie générale, comme un tiers-secteur dont les règles permettent d’échapper, en partie, aux effets de normalisation et de se rapprocher d’autant plus d’un service public radiophonique alternatif.