- 1 La traduction de ce texte de l’anglais vers le français a été réalisée par Laurence Machet, Maître (...)
- 2 ERT est le sigle de Ellinikí Radiofonía Tileórasi (en grec Ελληνική Ραδιοφωνία Τηλεόραση, ΕΡΤ), que (...)
1Le 11 juin 2013, au cœur de la récente crise économique grecque, dans le but d’apaiser les créanciers internationaux du pays, la fermeture brutale et sans précédent du groupe audiovisuel public ERT2 par le gouvernement en place, a profondément choqué non seulement les employés de l’entreprise qui se sont retrouvés immédiatement au chômage, mais également la population grecque dans son ensemble. Des milliers de personnes ont manifesté pour apporter leur soutien aux employés soudainement licenciés. Le personnel de la radio et télévision publique grecque a, quant à lui, réagi en occupant le siège d’ERT à Agia Paraskevi, au nord d’Athènes, ainsi que les studios télé d’ERT 3 à Thessalonique, mettant sur pied un studio à ciel ouvert sur la place devant l’immeuble et diffusant en continu des émissions de protestation contre une décision arbitraire. (Fraszczyk, 2015).
2À partir de là, l’ERT occupée, autogérée, devint un des piliers du combat anti-austérité à l’intérieur du pays, atteignant au plus fort de son audience des millions de citoyens à travers ses émissions télévisuelles et radiophoniques. Les programmes furent de plus en plus radicaux avec l’introduction de reportages et tribunes directement inspirés par les luttes sociales (Nevradakis, 2018). L’occupation dura cinq mois, jusqu’à ce que des forces de police spéciales prennent d’assaut le bâtiment et délogent les « squatteurs ».
3De nombreux chercheurs se sont penchés sur la fermeture d’ERT en analysant les raisons qui l’ont motivée, les conséquences de la saisie d’un radiodiffuseur de service public, ainsi que la vague de solidarité qui a émergé après sa fermeture (Fouskas, 2013 ; Lekakis, 2013 ; Iosifidis & Katsirea, 2014). Sans méconnaître l’importance de ces contributions, nous pensons que la recherche doit aussi se concentrer sur l’empreinte que cette expérience unique de média autogéré a laissée dans l’écosystème médiatique grec après l’évacuation d’ERT occupée.
4Nous suivons l’argumentaire de Bekridaki et Broumas (2016) selon lequel, sans autre alternative, les populations évincées par la crise capitaliste choisissent des moyens radicalement démocratiques et s’auto-organisent en mouvements afin de (re)produire leurs propres biens publics. Nous émettons l’hypothèse que ces cinq mois d’occupation ont fédéré des capacités de création qui existaient en marge de la société depuis des années et qui, par la nécessaire synergie qui s’est produite au siège de l’ERT, ont pu donner naissance à de nouvelles expérimentations sociales auto-organisées qui défient l’environnement médiatique grec dominant. À ce titre, l’objectif principal de cet article est de se concentrer sur ce qui a suivi la fermeture de l’ERT et plus précisément sur les nouvelles initiatives radicales qui se sont formées pendant l’occupation et qui ont perduré par la suite. Nous concentrons notre recherche plus particulièrement sur Metadeftero, une radio web autogérée créée pendant l’occupation d’ERT par certains de ses anciens employés et des citoyens qui s’étaient précipités vers le studio d’Agia Paraskevi afin de défendre la liberté d’expression.
5Nous avons essayé de confirmer nos hypothèses en utilisant une méthodologie d’études de cas. L’étude de cas est appropriée pour cette recherche comme outil pouvant mener à l’étude systématique d’individus, de groupes, d’organisations ou d’événements (Wimmer & Dominick, 2014). En ayant recours à cette méthodologie et au raisonnement déductif, nous voulons livrer une description détaillée du sujet. Nous avons créé un protocole d’étude incluant les procédures nécessaires pour présenter et analyser l’expérience Metadeftero. Nous avons utilisé deux sources de données : les informations reçues lors d’entretiens auprès de ses membres, ainsi que des enregistrements électroniques récupérés sur le site web de la radio. Le mardi 4 juin 2019, une rencontre a eu lieu avec cinq membres de Metadeftero. Elle a duré deux heures, et lors de cette réunion ont été abordés les circonstances de la création de Metadeftero, ses principes fondateurs, sa structure, son organisation, les valeurs qui la guide, l’identité des producteurs qui y travaillent, sa viabilité et ses relations avec le public. Il nous apparaît que tous ces sujets sont imbriqués et s’influencent mutuellement. Ce sont eux qui ont ensuite guidé notre analyse.
6Tout d’abord, nous fournirons une évaluation critique des travaux qui ont été consacrés à la fermeture d’ERT et aux réactions qu’elle a entraînées, en nous concentrant sur les protestations populaires et la décision de ses employés de continuer à émettre. En second lieu, nous soutiendrons que les actions créatives radicales qui ont vu le jour au siège de l’ERT ont fourni le terreau nécessaire à l’émergence d’une parole, de voix alternatives et conduit à la formulation de nouvelles initiatives médiatiques autogérées. À la suite d’une référence mentionnée dans l’étude de Frazczyk (2015) sur l’émergence d’un modèle de média « autogéré », la troisième partie de l’article s’intéressera à Metadeftero, une radio web autonome créée à cette époque et qui, sept ans plus tard, en 2021, émet toujours en conservant son caractère radical initial. En conclusion, nous examinerons l’héritage d’ERT et ses possibilités disruptives au sein de l’écosystème médiatique grec dominant.
7Le mardi 11 juin 2013, le porte-parole du gouvernement, Simos Kedikogou, annonçait la fermeture d’ERT et le licenciement immédiat de tous ses employés, arguant que « dans une période où le peuple grec fait des sacrifices, il n’y a de place ni pour les retards ni pour les hésitations ou le respect des vaches sacrées » (Guardian, 2013). La décision du Premier ministre, Antonis Samarás, faisait partie d’un plan de réduction des dépenses publiques exigé par les créanciers internationaux qui renflouaient le pays (Iosifidis & Katsirea, 2014).
8La décision de fermer l’ERT était fondée légalement sur un décret permettant la fermeture des entreprises publiques sur simple signature du cabinet ministériel. En six articles, il y était stipulé :
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la dissolution de l’ERT et de ses filiales ;
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la suspension des émissions TV et radio à la fin du programme normal du 11 juin, jusqu’à ce que le successeur légal de l’entreprise soit établi ;
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le transfert de tous les avoirs de la société sous l’administration provisoire du ministre des Finances ;
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la dissolution immédiate de tous les contrats de travail et autres contrats de droit civil avec compensation financière payable selon des termes à définir ultérieurement ;
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la cessation des fonctions de toutes les autorités de tutelle de l’entreprise ;
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Pour le public grec, la suspension de la redevance, payable avec les factures d’électricité (Fraszczyk, 2015).
- 3 Mise en place entre 2014 et 2015, la Nouvelle Radio-Internet-Télévision hellénique (NERIT) fut elle (...)
9Il était prévu de remplacer l’ERT par une nouvelle entreprise publique de radiodiffusion appelée NERIT, mais avec un personnel drastiquement réduit3. À l’époque, l’ERT employait 2 907 personnes, gérait 3 chaînes de télévision nationales, 2 chaînes par satellite, 5 stations de radio et 19 stations radio régionales. Elle comptait des ensembles musicaux, un orchestre et un chœur (Fouskas, 2013).
10Lors de son annonce, Kedikoglou fit valoir que « l’ERT est l’exemple typique d’un exceptionnel manque de transparence et d’un incroyable gaspillage », et que tout cela se terminait immédiatement (Guardian, 2013). Ce n’était pas la première fois que de telles attaques étaient portées à l’encontre de l’organisme. Auparavant, de nombreux hommes politiques et universitaires avaient également accusé l’ERT de manquer clairement d’objectifs d’intérêt public, d’avoir trop de personnel, trop de bureaucratie, de faire preuve de gaspillage et de gratifications excessives envers ses cadres. Hallin et Papathanassopoulos (2002) ont montré que la Grèce était le seul pays d’Europe occidentale, avec l’Espagne, où le parti au pouvoir contrôlait directement l’audiovisuel public. Le gouvernement grec contrôle en effet le conseil d’administration de l’ERT, dont il nomme la majorité des membres, et le conseil change avec chaque nouveau gouvernement.
11Cependant, comme le soutiennent Iosifidis et Katsirea (2014), si l’ERT avait sans doute besoin d’une restructuration, ce n’était pas d’une fermeture. Ces auteurs le soulignent, la décision de Samarás a fait de la Grèce l’un des très rares pays d’Europe occidentale ne disposant plus d’au moins une chaîne audiovisuelle publique ; rendant ainsi ses citoyens entièrement dépendants des médias privés pour l’accès à l’information, au divertissement et à l’éducation.
12La fermeture d’ERT par le gouvernement a provoqué des réactions négatives au sein même du gouvernement, dans les partis d’opposition, les syndicats et les instances internationales. Sa fermeture brutale, sans consultation ni plan stratégique, a été vue comme une attaque de l’exécutif grec contre la liberté d’expression et contre l’espace public (Iosifidis & Katsirea, 2014).
13L’opposition, menée par le parti SYRIZA, a déclaré que le gouvernement avait renvoyé les employés d’ERT afin de prouver aux créanciers internationaux de la Grèce (« la Troïka ») qu’il était bien décidé à réduire le secteur public jugé surdimensionné du pays (Iosifidis & Papathanassopoulos, 2019). Ce parti a signifié son désaccord en déposant une motion de censure contre le gouvernement de coalition. De plus, la décision a conduit à une crise gouvernementale profonde qui a vu le DIMAR, parti de la gauche démocratique, le plus petit parti de la coalition, quitter le gouvernement.
14Si la fermeture d’ERT a été un choc pour tous, le personnel de l’ERT réagit quant à lui en occupant le siège d’Athènes et les studios télé de Thessalonique, en continuant la transmission avec quelques émetteurs, diffusant en continu des contenus de protestation.
15Les réseaux sociaux, ainsi que des chaînes locales et des organisations transnationales, fournirent un soutien technique pour la transmission d’éditions spéciales, tandis que les anciens reporters d’ERT continuaient à couvrir ce qu’ils considéraient comme la mort du journalisme en Grèce (Lekakis, 2013). Un studio à ciel ouvert fut établi sur une place située devant le siège d’ERT. Des débats y étaient organisés et des discussions avec des foules d’Athéniens présents, des soirées poésie, des concerts et de nombreuses autres émissions étaient diffusées (Fraszczyk, 2015).
- 4 Un mouvement opposé aux extractions aurifères, s’opposant aux opérations d’extraction d’or dans le (...)
16Dans les jours qui suivirent, de manière totalement inattendue, plus d’un demi-million de personnes vinrent témoigner leur soutien en solidarité avec les employés renvoyés et leur opposition à la décision gouvernementale de priver le pays de son service public audiovisuel (Lekakis, 2013). Des manifestations et des concerts furent organisés quotidiennement devant l’établissement. L’ERT occupée diffusait des programmes qui n’auraient très certainement jamais été diffusés par l’ERT officielle, notamment des tables rondes avec des activistes, des blogueurs, des représentants de collectifs dirigés par des travailleurs, des économistes présentant des alternatives aux politiques d’austérité. Il y avait aussi des documentaires sur des causes sociales et des questions militantes (par exemple le mouvement Skouries4) et des bulletins d’informations en direct débarrassés de toute supervision éditoriale officielle (Fraszczyk, 2015). On estime que 1,2 million de personnes ont allumé leur télévision pour regarder ces programmes improvisés, c’est-à-dire sept fois plus que l’audience moyenne de l’ERT avant sa fermeture (Goat, 2015).
17La principale connexion Internet avait été suspendue, ce qui a forcé les techniciens à installer de nouvelles lignes ADSL privées afin de pouvoir diffuser des programmes en streaming sur Internet. Des membres du Athens Metropolitan Wireless Network (AMWN), une organisation communautaire de base fournissant du réseau Internet sans fil, a offert ses services afin de contourner la compagnie de télécommunications qui, a sur mandat du gouvernement, avait coupé l’accès Internet à l’entreprise occupée.
18L’Union européenne de radiotélévision (UER), qui englobe des diffuseurs audiovisuels de 56 pays à travers le monde, soutint activement l’ERT, lui fournissant une chaîne de télévision satellite afin qu’elle puisse continuer à émettre. Cela signifiait que les programmes produits par les occupants des bâtiments de l’ERT étaient désormais diffusés à l’échelle mondiale, jusqu’en Australie, aux États-Unis, ainsi que sur des centaines de sites Internet (Goat, 2015).
19Dans les jours qui suivirent la fermeture, bénéficiant du soutien syndical de la Fédération Nationale des Employés de Radio et de Télévision (POSPERT), les anciens journalistes d’ERT avaient ouvert d’autres locaux, sous le nom d’ERT Open, juste en face de l’ancien siège d’ERT. Avec le slogan « Une voix libre pour la société », ERT Open a recueilli un soutien international à la fois de la communauté des expatriés grecs et des partenariats avec d’autres médias communautaires.
20Et surtout, les signaux radio et TV envoyés par ERT Open furent rapidement soutenus et complétés par un nombre croissant de blogueurs, de journalistes amateurs, reporters, réalisateurs de films et autres, qui rejoignirent le combat pour le maintien d’un « média de service public libre » en créant des contenus, que ce soit des articles, des émissions ou des films (Fraszczyk, 2015). Le nombre total de personnes travaillant, faisant du bénévolat ou contribuant à ERT Open continua à s’élever pour atteindre environ 700 personnes ; les groupes de travail pouvant compter de cinq à cent membres (Goat, 2015). Durant ces quelques mois, la diffusion continue sur ERT a pu être définie comme un celle d’un véritable service public, d’une expression du maintien de la démocratie (Sheehan, 2016).
21Le personnel réussit à occuper le bâtiment pendant cinq mois. Mais à 4 heures 30 du matin, le 7 novembre 2013, les forces spéciales, agissant sur ordre du Premier ministre Antonis Samarás, prirent d’assaut le bâtiment, évacuèrent les « squatteurs » et établirent un cordon de police. Quatre personnes furent arrêtées. Les employés continuèrent à émettre jusqu’à la dernière minute, lançant des appels pour des manifestations de solidarité. Expulsés, ils ne furent même pas autorisés à retourner récupérer leurs affaires personnelles.
22En dépit de cette fin brutale, nous soutenons que ces mois ont créé un terrain propice à l’émergence d’expérimentations sociales et à la création de nouveaux collectifs, dont certains continuent, jusqu’à aujourd’hui, à approfondir et mettre en pratique la démocratie et la solidarité.
23Dans leur étude, Bekridaki et Broumas (2016) soulignent qu’avant même l’occupation de l’entreprise publique ERT, un écosystème de médias alternatifs communautaires s’efforçait d’instituer des ruptures dans le discours dominant des médias grand public sur la crise grecque. En effet, en 2012, après la faillite de « Eleftheotypia », journal historique de centre gauche largement diffusé, un groupe de journalistes au chômage mit sur pied le journal coopératif « Efimeridaton Syntakton », avec le but de fournir au public un moyen d’information d’opposition. Parmi les autres médias alternatifs, on compte le magazine militant bimensuel « UnFollow », le portail alternatif « The Press Project », le site web « Alter thess », basé à Thessalonique, et d’autres encore. D’après Bekridaki et Broumas (2016), ces médias alternatifs furent accompagnés de toute une constellation d’autres médias locaux et populaires, tels que des stations de radio communautaires locales, des radios web, des portails web coopératifs, des sites de micro-blogging et des réseaux électroniques indépendants. Repris de manière critique par une sphère plus large d’utilisateurs d’Internet, ils ont su donner corps à une sphère publique insurgée qui a popularisé les opinions critiques et a ouvertement remis en cause les perspectives des médias traditionnels sur la crise.
24Ces initiatives préexistantes, mais distinctes, se sont trouvées rassemblées pendant les cinq mois qu’a duré l’occupation d’ERT, dans des efforts conjoints de défense de la liberté d’expression et, plus important, afin de partager leur expertise et aider les anciens employés d’ERT, ainsi que les citoyens qui exprimaient leur solidarité, pour mettre en place de nouveaux projets alternatifs. Ainsi, l’occupation d’ERT est devenue un lieu d’osmose entre des gens possédant une expertise dans les projets alternatifs et ceux qui souhaitaient prendre part à ces nouvelles initiatives, mais manquaient de formation théorique ou d’expertise technique.
25Sheehan (2016) rapporte ces moments mémorables où les gens se sont rassemblés et agitaient leurs drapeaux, dansaient, serraient les poings, chantaient les hymnes traditionnels de la gauche grecque, actant ainsi la continuité des combats passés et présents, évoquant le souvenir de tout ce qui avait été gagné et perdu et suscitant l’espoir de se réapproprier le monde qui leur était volé. Ce contexte était un terrain fertile pour la mise en place de nouvelles coopératives de travailleurs.
26De manière intéressante Fraszczyk (2015) reprend l’idée avancée par des auteurs grecs faisant état de l’émergence d’un nouveau modèle médiatique autonome s’ajoutant aux trois modèles déjà identifiés par Hallin et Mancini (le Modèle méditerranéen, ou « Modèle pluraliste polarisé » ; le Modèle d’Europe du nord et d’Europe centrale ou « Modèle démocratique corporatiste » ; et le Modèle de l’Atlantique Nord, ou « Modèle libéral »).
27À ce stade limité de son évolution, les éléments pouvant caractériser le nouveau modèle de service public proposé, étaient les suivants :
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le diffuseur de service public opère isolément des pressions du système politique et des liens formels avec ce système ;
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les autorités politiques n’ont pas une influence, même indirecte, sur les nominations au sein de l’entreprise de radio ou télévision ;
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l’objectif principal du média est centré sur la production de programmes au service de l’intérêt général, en particulier pour ce qui est des informations, des services journalistiques ;
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le diffuseur se situe non pas en opposition, mais en vis-à-vis des autorités législative, exécutive et judiciaire.
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l’État n’a aucune obligation à financer, de quelque manière que ce soit, le média ;
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même si le cœur de l’activité du diffuseur public est toujours axé sur la radio et la télévision hertziennes traditionnelles, c’est aussi, déjà et par essence, une institution basée sur Internet
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le service public n’est plus circonscrit à un nombre fermé de chaînes de télévision et de stations de radio ou autre.
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le modèle de média autogéré n’est pas limité géographiquement, il ne s’inscrit pas sur une seule région du monde.
28Fraszczyk (2015) aborde cet argument très intéressant en se concentrant sur ERT Open. En dépit de son importance et de son rôle, il exprime ouvertement des doutes liés aux affiliations politiques de ERT Open. Il signale qu’il était impossible d’ignorer les liens entre le plus gros syndicat de la défunte ERT (POSP-ERT) et le chef de file de l’opposition Alexis Tsipras et son parti SYRIZA. En effet, comme le remarque Fraszczyk (2015), depuis le 11 juin 2013, ce syndicat contrôlait le noyau central d’ERT Open. Par conséquent, concluait-il, on ne pouvait pas dire que le trait principal des médias autogérés (c’est-à-dire leur séparation par rapport aux pressions du système politique) ait été pleinement avéré dans le cas d’ERT Open. Pour faire suite à la critique de Fraszczyk (2015), nous confirmons, en effet, qu’en dépit de son autogestion, ERT Open, qui a continué à émettre par la suite à Athènes sous le statut de radio gérée par un syndicat (Nevradakis, 2018), n’est pas détachée de tout lien politique.
29Néanmoins, ceci ne change pas le fait que ses autres caractéristiques, telles que la mise en réseau, la dynamique des entités impliquées, et le rôle important joué par les créateurs amateurs, constituent des nouveautés par rapport à de précédentes initiatives. Malgré les affiliations politiques d’ERT Open, on ne peut pas ignorer le fait que son existence même a suscité un nombre toujours croissant de collaborateurs, associés pour la défense d’un média de service public libre en créant eux-mêmes des contenus, articles, émissions, films. ERT Open n’est pas uniquement l’unique résultat de l’occupation. Pendant ces cinq mois, au siège d’ERT, de nombreux blogs et autres projets Internet ont vu le jour, des documentaires et des reportages ont été réalisés, et certains d’entre eux sont parvenus à atteindre une audience à l’échelle européenne. Par exemple, l’une des productions réalisées pendant ces mois, le documentaire The lost signal of democracy, sous la direction de Yorgos Avgeropoulos, a aussi été diffusé sur les télévisions publiques belge et autrichienne au début 2014, et est sorti en salle en Grèce (Fraszczyk, 2015).
30Si l’on garde cela à l’esprit, il devient évident que pendant ces cinq mois, de nombreuses expérimentations sociales ont eu lieu ayant abouti à la formulation d’une économie politique médiatique alternative. L’occupation d’ERT est devenue le point de départ de l’émergence de projets nouveaux et alternatifs ayant le potentiel de perturber les discours dominants. Nous pensons que Metadeftero, une radio web qui est « née » pendant l’occupation et émet toujours, six ans après l’évacuation d’ERT, fait partie de cet héritage. Son existence prouve sans aucun doute que ce qui avait commencé comme une expérimentation sociale dans un contexte et une période bien précise a réussi à survivre, évoluer tout en gardant intactes ses caractéristiques radicales initiales.
31La web radio Metadeftero (qui signifie littéralement après le second) trouve son origine dans le Second Programme de la radio publique, diffusé pour la première fois en 1952, et qui proposait divertissement et musique en alternative au Premier Programme qui lui se concentrait essentiellement sur l’actualité. Le jour de la fermeture d’ERT, le 11 juin 2013, de nombreux auditeurs ont envahi le siège d’ERT à Agia Paraskevi et se sont portés volontaires pour faire en sorte que le Second Programme continue à être diffusé. En fait, le Second Programme a été renommé Metadeftero et a commencé à émettre en ligne avec l’aide de ces volontaires et de certains des producteurs radio de l’ancien Second Programme.
32Pendant quelques mois, Metadeftero a continué à émettre depuis la plateforme numérique d’ERT Open. Cependant, après un conflit avec l’équipe dirigeante de celle-ci, les membres de Metadeftero ont décidé de faire sécession et de rechercher un nouvel endroit pour accueillir leur activité. Après quelques mois, Metadeftero trouva un nouveau « domicile », dans le grenier d’une boutique historique de disques athénienne, Music Corner. Depuis, Metadeftero émet 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
33Malgré le conflit avec certains des membres d’ERT Open, les membres fondateurs de Metadeftero reconnaissent que l’occupation d’ERT a été le lieu de naissance de leur projet.
R. 2 « C’est là (au siège d’ERT) qu’est née Metadeftero. D’une certaine manière, Metadeftero est le plus jeune enfant de l’ERT « noire » […], né d’un trou noir dans l’histoire. Une initiative autogérée… par des gens qui sont déterminés, malgré tout, à survivre. Et pas juste survivre, mais également pour créer quelque chose qui restera ».
34L’équipe de Metadeftero se compose de 60-70 membres. Certains d’entre eux travaillaient comme producteurs au Second Programme (plusieurs depuis 37 ans). D’autres sont des journalistes professionnels ou des amateurs de la radio, mais la majorité est constituée de gens venant d’horizons très différents (chauffeurs de bus, pompiers, pharmaciens, etc.). Ce qui les a rassemblés fut leur besoin commun de s’exprimer dans un environnement libre et leur perception esthétique commune de la musique et de la culture.
35Comme l’a fait remarquer l’un des interviewés, participer à une telle aventure et interagir avec toutes ces personnes différentes partageant la même vision l’avaient lui-même transformé de bien des manières et l’avait aidé à évoluer en tant que personne.
R. 3. « Il y a une super interaction entre nous. Des gens plus âgés avec des plus jeunes, des spécialistes de radio avec des non-spécialistes, des musiciens avec des non-musiciens… Ils ont tous pour intérêt commun l’obtention d’un résultat esthétique et de qualité. Nous nous accordons à bien des niveaux. Et ça se voit dans notre vie quotidienne ; c’est un groupe dont on a envie de faire partie parce qu’à travers ce groupe, on crée quelque chose. On prend, mais on donne aussi et c’est très intéressant. Pendant les quatre ou cinq années où j’ai été membre de Metadeftero, j’ai évolué sur beaucoup d’aspects. J’ai évolué dans ma musique par exemple, parce que je communique avec d’autres personnes qui sont, disons, plus sages et en savent bien plus que moi et me poussent dans une certaine voie. Mais ils apprennent également de moi. […] Ça a beaucoup amélioré nos vies ».
36Cet exemple de récit d’évolution personnelle émerge et se répète parmi l’ensemble de nos interlocuteurs. En plus de les aider à s’exprimer et évoluer, il apparaît que participer à Metadeftero leur fournit un sentiment d’appartenance.
R. 1 « Dans cette crise profonde que nous traversons tous, les gens qui font partie de ce projet répondent aussi ainsi à leur besoin d’appartenance. Les partis vous laissent tomber, certaines personnes vous laissent tomber. »
37Au cours des six dernières années d’émission en continu, certains des anciens membres de Metadeftero ont quitté l’aventure et des nouveaux l’ont rejointe. La plupart des nouveaux membres ont été recommandés par un autre membre. Selon l’un de nos interlocuteurs, après toutes ces années de participation à une expérience commune, les membres de Metadeftero ont développé des manières automatiques de communiquer et de collaborer sans beaucoup parler. Il se passe la même chose avec chaque nouvelle personne se joignant à la webradio : si la personne ne se fait pas à ce climat, il ou elle quitte l’aventure.
R.5. « Chaque nouveau venu, en très peu de temps, comprend l’esprit de cette radio et s’y fait. S’il ou elle n’y parvient pas pour une raison quelconque, il/elle est exclu/e de manière naturelle. »
38En ce qui concerne l’organisation et la structure de Metadeftero, le processus principal de prise de décision se fait lors d’assemblées où tous les membres sont à égalité. Un processus de vote désigne le coordinateur-éditeur de la webradio, ainsi que les membres de l’équipe de direction rédactionnelle et ceux responsables de la programmation. Les membres se répartissent en trois catégories différentes : producteurs, techniciens et membres de l’équipe de direction des programmes.
R.1. « Nous avons une assemblée générale le dernier dimanche de chaque mois. Nous faisons cela surtout pour améliorer la synergie entre nos membres. Je crois qu’une station radio devient vraiment une station radio quand les gens qui la produisent se connaissent et ont la possibilité de se rencontrer, discuter et interagir. Pour les problèmes de tous les jours ou urgents qui peuvent survenir, nous avons aussi un groupe Facebook privé. Quand un problème survient, nous le postons sur le groupe et essayons de le résoudre ».
39En ce qui concerne le contenu, Metadeftero se concentre sur de la musique de qualité, et c’est selon les interviewés ce qui les différencie du reste des stations musicales disponibles.
R.3. « C’est une station de gens qui connaissent des choses, qui s’y connaissent en musique, en théâtre, et qui aiment les choses comme ça. Certains ont travaillé très dur sur ces sujets et ils communiquent cela à leur public de manière créative. Nous nous concentrons tout simplement sur la qualité. […] Sur Metadeftero on passe de la musique qu’on n’entend pas facilement ailleurs, pas même aux États-Unis par exemple. C’est ce qui fait que nous sommes différents des autres stations musicales. […] Est-ce que je peux l’exprimer différemment ? Nous comblons un vide. Nous essayons de recréer ce qu’est la radio. »
40De plus, contrairement au reste des stations musicales, Metadeftero ne fonctionne pas sur une zone de programmation thématique étroite et sélective, au contraire.
R.1. « La plupart des radios commerciales ont des zones d’auditoire étroites, n’est-ce pas ? Ce n’est pas notre cas. Sur Metadeftero, tu sais que tu écouteras l’émission de Koras sur le cinéma et après, par exemple, l’émission de Marinopoulos sur le blues. Ou bien, tu peux écouter une discussion, ou un concert que nous pouvons diffuser en direct. »
41En effet, Metadeftero semble avoir un intérêt profond et sincère pour la diffusion de concerts. Au cours des six premières années, ils ont diffusé 200 concerts, « une partie de notre trésor », selon l’un des répondants.
R.1. « Nous avons diffusé 200 concerts. C’est quelque chose que même la radio publique n’a pas réussi à faire, et n’oublions pas que ça fait aussi partie de notre mission. Donc, on fait des choses comme ça… Nous croyons en la devise qui dit que « la radio doit faire des trucs et être extravertie » et nous appliquons cette devise autant que nous le pouvons. 200 concerts en direct, c’est un chiffre impressionnant pour une radio web et, pour moi, cela constitue un trésor culturel dans le domaine musical. »
42En ce qui concerne leur public, les membres de Metadeftero semblent avoir une manière assez radicale de traiter le problème, car contrairement aux autres stations musicales, ils ne semblent pas obsédés par le nombre d’auditeurs même si, selon leurs propres statistiques, ils ont des auditeurs situés dans 108 pays.
R.1. « Dans tous les cas, notre moral ne dépend pas de combien de gens nous écoutent. Nous avons une doctrine : tout comme l’univers qui n’existe que pour celui qui l’observe, nous faisons de la radio juste pour celui qui écoute. Avoir 1000 auditeurs est bien sûr souhaitable, mais nous nous concentrons tout de même sur cet auditeur unique. »
43Metadeftero est également très active sur les réseaux sociaux. Sa page Facebook compte plus de 20 000 amis. Les membres de Metadeftero reçoivent également de nombreux e-mails et messages personnels de leurs auditeurs. Ce lien étroit avec leur public (après tout, les membres fondateurs de Metadeftero étaient également initialement des auditeurs) a mené à bon nombre de nouvelles collaborations.
R.1. « Nous avons ouvert le cercle et nos émissions radio, c’est comme avoir un transmetteur vers le monde entier. Il y a une fille au CERN [Conseil européen pour la recherche nucléaire] qui nous envoie un programme d’une heure chaque semaine, une autre d’Espagne, une autre de Trikala en Grèce… […] Tous ces gens font un boulot formidable. Nous nous sommes rencontrés par hasard et ils sont entrés à Metadeftero et ils sont si enthousiastes ! C’est également passionnant pour nous… »
44Ce lien spécial avec le public et, surtout, l’effacement des frontières entre producteurs et auditeurs est une caractéristique extrêmement importante pour cette expérience radicale. Le fait de rendre accessibles leurs outils de production et leur volonté de partager leurs connaissances et d’aider de nouveaux membres à plonger dans le monde de la radio est une caractéristique essentielle qui permet de différencier ce projet d’autres projets alternatifs cherchant à être en position disruptive avec les pratiques et le discours officiel.
45En dehors des auditeurs individuels, en tant que projet autogéré, Metadeftero cherche aussi à donner une voix à des initiatives similaires et à les aider à diffuser leur message et leur vision.
R.1. « Nous essayons de donner du temps d’antenne à autant de collectifs que possible. Dans le sens où c’est un multiplicateur dont nous voulons que tout le monde bénéficie. »
46Metadeftero n’est pas seulement autogérée, mais également autofinancée. À la fin de chaque assemblée générale, chaque membre contribue aux frais de la radio en payant une petite cotisation. Le fait que personne ne fasse partie de ce projet pour gagner de l’argent ajoute encore au sentiment de libération et de création que chacun ressent. Le sujet de la publicité comme moyen de couvrir une partie des dépenses de la radio a été évoqué, même si aucun consensus n’avait été immédiatement atteint. Tous étaient d’accord toutefois pour dire qu’ils rejettent toute forme de publicité qui viendrait du système en place, par exemple d’une banque, et qui pourrait essayer d’interférer avec leur liberté d’expression.
R.3. « Nous devons trouver une formule qui ne nous censurerait pas. Si on rentre dans le jeu de la publicité, on sera changé. Nos programmes seront changés parce que les entreprises qui feront de la publicité se mêleront de nos choix musicaux. »
47Finalement, il a été décidé qu’ils pourraient accepter quelques publicités, mais seulement si elles provenaient de projets de même type, par exemple idéalement, de projets autogérés. Le fait que Metadeftero soit autofinancée et que les contributions de ses membres suffisent à couvrir toutes les dépenses que la radio semblait réduire l’urgence de répondre à cette question de la publicité. En outre, la technologie Internet a également joué un rôle dans le fait que les coûts sont demeurés faibles, pour que l’expérience perdure.
R.1. « Si ça n’avait pas été d’Internet, nous ne serions pas en train de parler en ce moment même. [Émettre sur la FM] serait hors d’atteinte. Pour commencer, il faut un minimum de 100 000 euros rien que pour installer un studio, des émetteurs, etc. Nous avons profité des facilités que nous donnait Internet et avons pu réduire nos coûts drastiquement. À savoir que le studio complet nous a coûté environ 15 000 euros. Dans le monde réel de la FM, ce serait inconcevable, cela ne nous traverserait même pas l’esprit. »
48Maîtriser les coûts de la station et séparer leur viabilité économique personnelle du futur de Metadeftero a donné aux membres un sentiment de liberté qui les aide à exprimer leur créativité et à élaborer collectivement un projet unique qui est parvenu à devenir un point de référence non seulement pour ses auditeurs, mais aussi pour ceux qui ont besoin de croire qu’une autre manière de faire les choses est possible. En effet, Metadeftero n’est pas isolée du reste du monde, mais au contraire prend part à un dialogue ouvert avec la société, écoutant ses besoins et partageant son expertise. Ses membres ont une vision radicale de leur projet comme projet citoyen, qu’ils souhaitent partager avec des initiatives similaires.
49Siapera et Papadopoulou (2016) sont les premiers à avoir suggéré que le journalisme peut être reconceptualisé comme faisant partie des biens communs. Dans leur recherche, ils font suite à Bollier (2014 ; Bollier et Helfrich 2014) qui pose les « communs » comme des systèmes auto-organisés permettant aux communautés de gérer leurs ressources en dépendant peu ou pas du tout du marché ou de l’État. Ce sont des valeurs donc les gens ont hérité et qu’ils doivent transmettre aux générations futures, soit intactes, soit améliorées. Selon Siapera et Papadopoulou (2016), les entreprises coopératives contrairement aux entreprises à but lucratif, peuvent faire partie de ces « communs », car elles font partie des échanges marchands, mais n’adhèrent pas au modèle de profit et d’accumulation du capital tout en opérant en dehors de l’État, dans la mesure où elles ne reçoivent peu ou pas de fonds publics.
R.5. « Personnellement, je vois Metadeftero comme un espace de biens communs. Je crois que c’est aussi un terme utilisé en sociologie, qui renvoie à quelque chose qui n’est ni public ni privé. C’est là où des gens de milieux différents, ayant des buts, des orientations différentes joignent leurs forces dans un but commun qui cependant n’est pas encore écrit. […] C’est ça, sa magie, parce que ce qui se produit est quelque chose qu’on ne peut pas décrire avec des mots. […] Et, comme espaces de biens communs, il donne la parole à d’autres espaces similaires, car il y a beaucoup d’initiatives similaires tout autour de nous… Metadeftero ambitionne de créer un réseau autour de toutes ces initiatives. »
R.1. « L’une de nos ambitions serait de devenir un multiplicateur de toutes les initiatives qui germent autour de nous en cette période de crise. »
50Ce sentiment de liberté imprègne toute l’initiative et ceci est devenu encore plus évident quand nous avons demandé aux personnes que nous interrogions comment elles voyaient le futur de Metadeftero et leur implication personnelle dans ce futur. Si l’on en croit leurs réponses, ils vont tous continuer à se dévouer à ce projet tant qu’il conserve ses caractéristiques de base. Si un jour ils ont le sentiment que ce n’est plus le cas, qu’ils n’ont plus ce sentiment d’appartenance, ils arrêteront, disent-ils.
R1. « Nous n’avons aucun stress à propos de demain. […] Chaque mois de septembre, lors de notre première assemblée générale après l’été, nous discutons pour savoir si nous allons continuer à diffuser. Le jour où nous réaliserons que nos forces ne suffisent plus, nous dirons “Au revoir, nous avons passé un super moment, nous nous sommes faits pleins d’amis” ».
51Cet article cherchait à permettre une compréhension des processus radicaux de création qui se sont produits pendant et après la période sombre qu’a connue l’audiovisuel grec, radio et télévision de service public, à savoir lors de sa fermeture brutale et soudaine, le 11 juin 2013. La plupart des recherches pertinentes se concentrent sur les antécédents d’ERT, émetteur de service public totalement dépendant du gouvernement (Iosifidis & Papathanassopoulos, 2019), ou sur l’impact que cette fermeture soudaine a eu sur la liberté de la presse et le droit à l’information (Iosifidis & Katsirea, 2014).
52Notre recherche, au contraire, a essayé de mettre en lumière ce qui a suivi la fermeture, puis l’évacuation d’ERT et plus particulièrement l’héritage que ces mois de création, de résistance et d’autogestion ont légué pour l’écosystème médiatique grec. En effet, comme le note Fraszczyk, (2015), c’est après sa fermeture que l’ERT est devenue un véritable émetteur public, lorsqu’elle est devenue ERT Open ; quand elle s’est lancée sur Internet et a réussi à se libérer des contraintes liées à son statut de radiodiffuseur d’État chargé de répandre le message étatique. Cependant, les affiliations politiques d’ERT Open qui sont devenues évidentes par la suite ont entrainé une vague de déception et un sentiment généralisé de défaite parmi les gens ayant participé à l’expérience. Malgré ces critiques, il n’en demeure pas moins que le mouvement social inédit généré par la fermeture d’ERT suivie de l’explosion d’un journalisme citoyen au sens large, en particulier en ligne (depuis les blogs jusqu’aux films) ont été extrêmement bénéfiques (Fraszczyk, 2015). Après tout, comme le souligne Goat (2015), finalement, il se pourrait que ce soit ce qui a été réalisé entre ces deux moments qui compte vraiment.
53Cependant, ERT Open n’est pas le seul héritage de ces cinq mois. En nous concentrant sur la webradio Metadeftero nous avons essayé de définir ce modèle alternatif de journalisme né pendant l’occupation d’ERT et qui a continué à émettre, en privilégiant une autre manière de fonctionner qui place le bénéfice social au-dessus du profit et repositionne le journalisme comme une part organique de la société. En utilisant leur propre argent et leurs propres ressources techniques, les membres de Metadeftero, qui comprennent d’anciens employés et auditeurs d’ERT, ont fondé une radio qui repose sur leur besoin de s’exprimer librement, sans contrainte ni censure. De plus, Metadeftero est un système sans hiérarchie, conçu et fonctionnant horizontalement, ce qui diminue la distance entre les producteurs et les auditeurs. La radio est liée de manière organique à la société et se considère comme comme une initiative commune et ouverte permettant aux communautés de gérer leurs ressources en dépendant peu ou pas du tout du marché ou de l’État. Participer à cette aventure fut une expérience qui a transformé tous ses membres, qui évoquent un sentiment collectif d’appartenance ainsi qu’une évolution personnelle grâce à leurs interactions avec les autres membres de la radio.
54De plus, Metadeftero donne voix à des initiatives et groupes similaires, qui étaient jusque-là en marge de la société et isolés les uns des autres. C’est une tentative de recréer les conditions d’osmose ayant donné naissance à l’expérience autogérée pendant l’occupation d’ERT. Elle a conduit à la formation d’un réseau d’initiatives porteuses des mêmes valeurs.
55Les médias libres et indépendants sont considérés comme une composante essentielle de toute société démocratique. Tout particulièrement dans des pays tels que la Grèce, durement touchés par la crise économique et les mesures d’austérité, un journalisme indépendant jouant un rôle de sentinelle pour le compte de la société civile semble plus important que jamais (Papadopoulou, 2019). Bekridaki & Broumas (2016) font remarquer qu’il reste à voir si ces initiatives sont prêtes à promouvoir d’autres transformations économiques et sociales, ou si leur dynamisme va décliner sous la pression des conditions insupportables de la crise économique. En effet, la réalité a montré que certaines expériences sociales qui ont eu lieu dans les locaux d’ERT n’ont pas réussi à relever le défi que représentait leur survie dans un environnement médiatique capitaliste compétitif. Elles ont été fermées ou forcées à revoir leurs valeurs essentielles. Cependant, sept ans après l’évacuation d’ERT, Metadeftero continuait à émettre et à être une référence non seulement pour ses auditeurs, mais aussi pour ceux qui ont besoin de croire qu’une autre manière de faire est possible. Metadeftero, dans sa durée et avec ses valeurs non négociables, serait la preuve vivante que le combat des peuples pour des médias indépendants et libres n’est ni futile ni utopique. Finalement, par sa pérennité, Metédeftero donne espoir aux projets similaires et, au-delà, et de l’inspiration pour le futur du journalisme.