1L’ouverture de la radiophonie à internet dans le milieu des années 2000 et les mutations qui l’ont accompagné, par l’apparition de pratiques et des formats s’adaptant à ce nouvel environnement médiatique, est l’objet de nombreuses réflexions et de travaux depuis la dernière décennie sur l’émergence de la postradio (Cheval, 2008). À la fois porteuse de promesses et de doutes, signe du dernier souffle ou de renaissance de la radio, ces mutations interrogent à plusieurs niveaux comme l’ont montré les travaux publiés dans les dernières livraisons de cette revue. La problématique de l’adaptation des radios de proximité à un mode de diffusion de plus en plus global est une des interrogations que soulève notamment Étienne Damome (Damome, 2016) en observant les mutations des radios en Afrique. Question reprise par Idé Hamani et Séverine Equoy-Hutin qui observent le difficile passage à la diffusion numérique dans un environnement encore très dépendant des technologies analogiques (Hamani & Equoy-Hutin, 2018), situation mise en exergue sur le continent africain, mais qui se retrouve sous différentes formes dans l’ensemble de la radiodiffusion.
2L’Europe n’échappe pas à ces tensions et si face à ces mutations les radios publiques et privées commerciales sont devenues des moteurs d’innovations (Pedroia, 2008), ce sont bien souvent ces radios locales qui trouvent le plus de difficulté à s’adapter. Situation qui pousse à s’interroger sur la notion de radio locale et communautaire dans un environnement global, comme le fait Éliane Wolff avec le cas de Radio FreeDom devenue une voix et un lien avec la diaspora réunionnaise (Wolff, 2016) ; ou encore l’expérience de radio communautaire dakaroise de d’Aude Jimenez avec Radio Manoore (Jimenez, 2018) qui l’a conduit à questionner la notion même de « radio communautaire » à la lumière des Community media studies (Jimenez 2016).
3Les moyens des radios locales pour s’adapter aux changements de modèles sont bien souvent réduits du fait de leurs limites structurelles, fonctionnelles et économiques et si l’abaissement des coûts de production et de diffusion leur permet de s’approprier de nouveaux outils, cela a également ouvert le champ à de nouvelles offres médiatiques locales de webradios et de producteurs indépendants. L’émergence de nouveaux moyens de diffusions et de nouveaux acteurs remet en question la position d’intermédiaire qu’occupaient les radios locales traditionnelles et introduit un nouveau rapport de médiation entre les producteurs de contenus et les publics. La figure du public ou de l’audience (Dayan, 2000) de la radio, en particulier celui des communautaires, est le sujet de nombreuses interrogations qui montrent les limites des dispositifs d’interaction entre les radios et leurs auditeurs (Ricaud, 2015), remettant en question leur capacité à effectuer un « don du micro » (Deleu, 2008) vers leurs auditeurs.
4Dans cet article, nous nous intéresserons à la manière dont se recompose le paysage de la radiophonie locale de la métropole française de Strasbourg avec l’adaptation des radios locales associatives à la diffusion numérique et le développement de nouvelles offres par internet de webradios et de producteurs indépendants.
5En s’inscrivant dans la démarche de Jean-Samuel Beuscart sur les webradios (Beuscart, 2004) nous avons choisi de nous intéresser aux usages plutôt qu’aux outils en eux-mêmes, à la manière dont les acteurs se les approprient pour cérer de nouvelles offres radiophoniques. L’approche que nous proposons s’appuie également sur les notions de modèles de diffusions éditorial et de flot, largement diffusés par les travaux de Patrice Flichy et Bernard Miège, que nous reprenons au travers du couple de notions de flux et stock. Si ces modèles ont souvent été repris, mais également très critiquées, ils trouvent cependant une finalité heuristique et fonctionnelle comme nous le montre Laurent Gago (Gago, 2008) dans l’approche de la continuité et la rupture de la temporalité des contenus radiophoniques sur internet.
6L’étude que nous présentons a été menée sur un panel constitué de sept radios de catégories A présentes sur la métropole de Strasbourg, de quatre webradios locales ainsi que de huit producteurs indépendants de Strasbourg. Il existe une très large offre non locale de webradios thématiques qui n’a pas été pris en compte dans ce travail pour se concentrer spécifiquement sur l’offre locale des radios, webradios et producteurs situés à Strasbourg.
7Ce panel a été étudié par l’analyse de l’offre médiatique présente sur les sites internet respectifs des radios et webradios choisies, un travail de terrain d’observation participante, ainsi que des entretiens semi-directifs réalisés auprès des directeurs de programmation de quatre radios, de deux responsables de webradios et des huit producteurs. Le contenu de cette recherche s’appuie largement sur le travail de thèse en cours mené par l’auteur, qui est consacré à l’organisation et au fonctionnement des radios associatives de la Région Grand Est. Le travail terrain réalisé pour cette thèse a souvent conduit l’auteur à sortir du cadre des radios pour rencontrer des acteurs des webradios et des producteurs locaux qui contribuent à la production radiophonique locale, permettant ainsi de récolter les données que nous présentons dans cet article.
8Créées pour la plupart durant la période des « radios libres » entre 1981 et 1991, les radios locales associatives ont connu l’évolution des technologies de la radiodiffusion avec le passage de l’analogique au numérique puis le développement d’internet. Ces radios ont été nombreuses à réaliser leur transition vers internet à partir de 2006 lorsque la création d’un site ainsi que l’utilisation des outils de diffusion de flux sont devenues techniquement et économiquement accessibles.
9Ce moyen de diffusion est toutefois resté en retrait par rapport à la FM dans de nombreuses radios. Les coûts techniques et économique constituant des freins majeurs au développement de cette partie de leur activité, l’écoute par internet apparaissant comme une pratique encore trop limitée pour justifier un investissement qui aille au-delà d’une reprise de leur programmation FM qui reste le cœur de leur activité et l’objet de leur financement par l’État. Les investissements nécessaires à cette diffusion sont une charge pour ces radios qui se positionnent sur des stratégies différentes, privilégiant pour certaines les solutions les plus simples et moins coûteuses, alors que pour d’autres il s’agit au contraire d’un moyen de diversifier leurs offres de contenus, par la création de webradios thématiques ainsi que d’application d’écoute.
10La mise à disposition des émissions en différées ou en podcasts est également un investissement pour ces radios qui s’adaptent en fonction de leur programmation, les sept radios étudiées ne mettent ainsi qu’une partie de leurs émissions à disposition en se focalisant majoritairement sur les contenus informationnels (flash info, rubriques locales), lorsqu’ils sont produits par la radio, et sur des émissions longues (débat, interview). Si internet apparaît pour beaucoup comme un moyen de diffuser leurs contenus plus largement, de nombreuses radios associatives restent encore très dépendantes de la FM.
11Comme l’analyse Jean-Samuel Beuscart (Beuscart, 2004) le modèle des webradios en France s’est construit dans le début des années 2000 sur une absence de statut établit par l’autorité de régulation de l’audiovisuel, le CSA, et une pression de la part des sociétés de gestion de droit d’auteur pour percevoir les droits des contenus diffusés par ces nouveaux médias.
12Les webradios répondant à la définition d’un « service audiovisuel au public », celles-ci doivent être enregistrer auprès du CSA qui leur applique dès lors certaines des obligations de la loi sur l’audiovisuel dont la portée diffère en fonction de leur budget annuel. S’il est inférieur à 75 000 €, le service est soumis à un simple régime déclaratif, si celui-ci est supérieur le service est alors soumis à un régime de conventionnement négocié entre le conseil et l’éditeur sur la nature et le contenu du service, à la manière des radios traditionnelles.
13Pour former le panel de webradios locales de ce travail, nous avons considéré comme critères déterminants l’aspect local du service le lieu d’activité et d’émission, qui est situé à Strasbourg pour les radios choisies, ainsi que la mise en avant claire d’éléments spécifiques à la situation géographique liée à la ville de Strasbourg et la région alsacienne. Les webradios choisies pour cette étude sont les suivantes :
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Welsass, une webradio de flux musical thématique orientée vers un lien local avec l’Alsace présentant un modèle proche d’une radio commerciale.
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HTP radio, une webradio culturelle et éducative du quartier populaire de Hautepierre à Strasbourg.
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Radio Rhino, une webradio locale éclectique diffusant des contenus thématiques en lien avec des événements culturels et sociaux de Strasbourg.
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ODC live, une webradio musicale de flux, installée près de la gare de Strasbourg, orientée vers le direct et l’interactivité sur des évènements locaux.
14Il est apparu au cours de cette recherche que la définition des « webradios locales » que nous cherchons à approcher est difficilement délimitable, si un critère géographique peut être retenu comme nous le faisons, ces services ne sont pas toujours déclarés auprès du CSA et sont parfois peu visibles sur les moteurs de recherche. La grande majorité étant régie par le statut d’association et ne disposant que d’un budget réduit, leur activité est très fluctuante et très dépendate de leurs membres bénévoles.
15Si les webradios locales se proposent comme une alternative aux radios locales traditionnelles, leur modèle atteint ses limites sur les questions de leur financement et de la publicité. Contrairement au statut des radios associatives qui permet jusqu’à 20 % de revenus publicitaires dans leur budget, il existe un flou dans le cas des webradios. Le formulaire de déclaration des webradios auprès du CSA ne précise pas de quota maximum, si ce n’est celui de douze minutes par tranche horaire applicable à tous les services audiovisuels.
16Le financement par la publicité reste cependant peu envisagé par les acteurs des webradios locales rencontrées pour cette enquête, les dimensions non-commerciale et non-économique reviennent dans les motivations des acteurs qui souhaitent se situer dans un « tier-secteur » médiatique et économique (Cheval, 2007), ce qui les rapproche du statut des radios associatives. Ces motivations renvoient à ce que Beuscart désigne comme des « Utopies partagées » (Beuscart, 2004) dans lesquelles « la construction de la webradio est vécue comme la continuation d’une passion musicale, le plus souvent pour un genre particulier. Il s’agit alors d’« approfondir » cette passion, de la « communiquer » à une « communauté » de personnes qui la partage mais manque d’espaces de rencontres. ».
17Le statut d’association permet à ces structures une certaine flexibilité économique et un relatif détachement des enjeux de financement, la seule contrainte imposée par le CSA étant l’établissement d’un plan d’équilibre financier au moment de la déclaration du service. Leur financement repose donc entièrement sur l’investissement de leurs membres, comme c’est le cas pour Radio Rhino et ODC live, ou sur une structure associative plus large qui en assure les coûts de fonctionnement comme Welsass et HTP radio qui reposent sur des associations culturelles plus larges.
18Cette catégorie d’acteur que nous avons cherché à éclairer au cours de cette enquête apparaît encore plus difficile à délimiter que celle des webradios locales, car elle rassemble des pratiques et des profils très hétéroclites. Le terme de « producteur » est utilisé ici pour rassembler ces profils, mais il y a une grande variété dans la manière dont les acteurs se définissent eux-mêmes par les termes d’« auteur », « réalisateur », « producteur », « chroniqueur », « journaliste indépendant ».
19Ces acteurs sont également difficiles à recenser, car il n’existe pas de déclaration ni de statut particulier et ils se rassemblent autours de pratiques informelles ; un matériel de captation, un logiciel de montage et la diffusion de contenus sur un site d’hébergement leur suffit bien souvent pour pouvoir se désigner comme « producteur ».
20Les huit acteurs interrogés ont des profils entre 20 et 42 ans, avec en majorité (6 sur 8) des parcours d’études supérieurs à l’université, sans toutefois qu’aucune orientation de domaine soit plus représentée, avec des formations en informatique, droit, comptabilité et pharmacie. Ce capital scolaire, s’il n’est pas un facteur déterminant, entre selon nous en jeu dans l’exercice de compétences d’écriture, d’organisation et d’apprentissage que ces acteurs manifestent dans des pratiques autonomes et auto-organisées.
21Les pratiques se caractérisent à la fois par actions individuelles de réalisation de contenus parlés (reportages, débats, interviews), créatifs (expérimentations sonores, fictions) ou musicaux et leur diffusion depuis leur site personnel ou grâce à des outils d’hébergement ainsi que des participations à des projets collectifs organisés autour d’événements.
22À la différence d’un statut de producteur inscrit auprès de société de gestion de droit d’auteur, ces acteurs ne touchent pas de rémunération de leur activité. Les sites d’hébergements ne proposent pas de système de monétisation des contenus, ce qui n’est d’ailleurs pas une question centrale pour la plupart des acteurs rencontrés durant cette enquête qui ne recherchent pas de rentabilité économique de leur activité. La majorité des acteurs n’ont pas de formation professionnelle dans la création radiophonique, leur production reste une activité secondaire non-monétaire, très souvent liée à une activité économique principale. Pour certains, ces pratiques non-économiques servent cependant une perspective d’accès au secteur médiatique, la participation bénévole à des projets constituant un moyen d’acquérir des compétences ainsi qu’un réseau de connaissance pouvant permettre un débouché professionnel.
23Même si une forme de rupture avec le modèle des radios traditionnelles est parfois mise en avant par certains des acteurs, il existe un lien fort entre ces différentes instances. Les acteurs des webradios et producteurs rencontrés ont pour la plupart été, ou sont toujours, bénévoles dans des radios associatives.
24La ligne éditoriale des radios, l’injonction de s’adapter aux formats, à la programmation et la couleur d’antenne apparaissent pour eux comme un frein, les poussant à sortir du modèle des radios « traditionnelles » pour aller vers les webradios et des pratiques autonomes. Il existe également un enjeu symbolique dans l’indépendance que ces acteurs évoquent dans leurs pratiques individuelles, qui leur permettraient de se situer hors des champs de légitimité attribués aux radios pour se situer dans une forme de « contre-modèle », de pratiques alternatives.
25Après avoir présenté les différents types d’acteurs étudiés au cours de ce travail, nous allons nous intéresser aux moyens de diffusions utilisés par les radios, webradios et producteurs locaux. Notre attention s’est avant tout portée sur les outils utilisés par les radios et les personnes rencontrées et interrogées afin de proposer un échantillonnage des types d’outils disponibles et des usages plutôt qu’une liste exhaustive. Les choix des moyens de diffusion opérés par les acteurs répondent, selon nous, à trois grandes questions pratiques, à savoir : quel type d’hébergement des contenus, quel mode de diffusion, et pour quel coût. L’analyse des outils et de leurs usages va donc reprendre ces trois questions en distinguant la diffusion de flux et les contenus de stock.
26La diffusion en flux, que ce soit pour la reprise simultanée des radios traditionnelles ou pour les webradios, nécessite un hébergement spécifique permettant à la fois la gestion du flux et d’un nombre plus ou moins important de connexions simultanées, pour qu’un certain nombre d’auditeurs puissent consulter le flux en même temps. La diffusion de flux met à disposition du public la reprise d’un contenu diffusé en direct en FM pour les radios ou pour les webradios une liste de contenus diffusée en continu.
27La mise en place d’une diffusion de flux peut ainsi se faire par une solution propriétaire pour les radios qui peuvent avoir leur propre serveur et leur propre service de diffusion, mais qui suppose les moyens économiques et humains nécessaires au fonctionnement et la maintenance. La diffusion en flux impose une organisation des moyens et des compétences spécifiques en technique radio et informatique qui peuvent constituer un investissement et un coût important, donc un frein, pour les petites structures.
28La souscription à un service tiers proposant des solutions d’hébergement de flux permet de réduire les freins techniques, mais sont compensés par des coûts de services supplémentaires. Certaines webradios contournent toutefois les freins économiques en adoptant des solutions dites de « perruque », qu’observe déjà Jean-Samuel Beuscart (Beuscart, 2004), qui consistent en un usage détourné de matériel, accessible dans un cadre professionnel ou d’une association, pour l’hébergement de leur flux.
29Du fait des contraintes techniques et économiques, le mode de diffusion de flux concerne davantage les radios « traditionnelles », disposant déjà d’une diffusion FM, et des webradios ayant une stratégie spécifiquement orientée vers le flux. Les webradios Welsass et ODC live se positionnent par exemple toutes deux sur un modèle de flux avec pour ODC live une liste de contenus uniquement musicaux, et pour Welsass le retour d’une grille des programmes entrecoupant contenus musicaux et rubriques d’actualités locales et de divertissements.
30L’hébergement et la mise à disposition d’émission de rattrapage ou podcasts sans diffusion en direct, pose également les mêmes questions aux acteurs du type d’hébergement, du mode de diffusion et de leurs coûts. Si les coûts techniques et économiques sont moindres et les solutions, propriétaires et de services spécialisés, sont largement accessibles, celles adoptées s’inscrivent parfois dans des usages de détournement de certains services d’hébergement de contenus sonores.
31Ces pratiques consistent principalement en l’utilisation, par des radios associatives et des producteurs indépendants, de plateformes gratuites ou à faible coût permettant l’hébergement et la diffusion de contenu en ligne. Les plateformes les plus largement utilisées par les acteurs rencontrés et que nous avons pu observer sont celles du service d’audioblogs ARTEradio ainsi que des plateformes musicales Soundcloud et Mixcloud auxquelles s’ajoutent des outils « cross-médias » adaptés à la diffusion sur les réseaux sociaux.
32Créé en 2006 par ARTE France dans la continuité de sa « radio web à la demande » ARTE Radio, le service d’audioblog ARTE Radio permet l’hébergement gratuit de contenus sonores permettant aux utilisateurs de mettre en ligne et de partager leurs créations. Si ce service constitue avant tout une solution d’hébergement thématique visant à la création et au partage de contenus entre utilisateur de la plateforme, il est également utilisé par certaines radios associatives pour héberger gratuitement leurs contenus diffusés en FM et les rendre disponibles depuis leur site internet. Les usages de ce service par les radios associatives se positionnent ainsi à la fois par l’enrichissement des contenus disponibles et une forme de détournement par son utilisation comme support de stockage gratuit.
33Les audioblogs restent toutefois moins utilisées que les plateformes d’hébergement de contenus musicaux Soundcloud et Mixcloud qui servent aux radios et producteurs de solution pour réduire les coûts d’hébergement et de diffusion. Tout comme pour les audioblogs ARTE Radio, il existe également un lien collaboratif et de consultation entre les utilisateurs de ces plateformes, basé avant tout sur l’écoute de contenus musicaux, mais les principaux liens de médiation restent ceux des sites internet et des réseaux sociaux qui sont le moyen de diffusion privilégié pour les contenus de stock.
34Les radios associatives strasbourgeoises Radio Arc-en-ciel et Radio Iris utilisent par exemple la plateforme Soundcloud pour héberger leurs contenus diffusés en FM et les mettre à disposition en réécoute sur leur site internet. Le lecteur de la plateforme est directement intégré au site de la radio et permet aux utilisateurs d’écouter les contenus sans être redirigé vers celle-ci. Certains producteurs hébergent également eux-mêmes leurs productions sur les plateformes pour les partager sur les réseaux sociaux ainsi qu’avec d’autres radios associatives qui les diffusent.
35Aux côtés de ces outils sont également apparues de nouvelles pratiques adaptées à une diffusion couplant vidéo et son qui se sont popularisées avec les technologies mobiles. Ces outils disponibles sur les plateformes sociales telles que Facebook, Instagram et Twitter sont utilisés par les radios et webradios comme des compléments à une diffusion principale et servent de « canal supplémentaire » pour des diffusions ponctuelles. Les outils de streaming de Youtube, Facebook live et de vidéos Instagram servent à certaines radios associatives et webradios pour mobiliser la communauté des personnes qui les suivent sur les réseaux sociaux pour des évènements où elles sont présentes et des moments particuliers de leur activité.
36Ces outils de diffusions servent ainsi davantage de canaux de communication supplémentaires pour atteindre des publics ayant des pratiques médiatiques plus orientées vers les contenus mêlant son, images et vidéo. Ces usages sont spécifiques à des types de radios et webradios dont les contenus et l’activité peuvent se plier aux formats attendus sur les réseaux sociaux et spécifique à des contenus ponctuels et événementiels.
37La question de l’audience et des publics des radios locales reste un sujet problématique à la fois pour les radios elles-mêmes et pour les chercheurs, situées en marge des grandes mesures d’audiences les acteurs n’ont qu’une connaissance très limitée de ceux qui les écoutent. Pour reprendre la distinction que fait Daniel Dayan (Dayan 2000) entre la notion de public visible et celle d’audience comme ensemble passif et indistinct, si les outils de diffusion par internet permettent un affichage de l’audience, du nombre de consultation des contenus, il reste encore impossible de savoir ce qui la caractérise, qui sont les publics qui les écoutent.
38Ainsi les webradios et producteurs reproduisent d’une certaine manière la position d’alternative que prennent les radios associatives pour viser des publics représentés, qui partageraient leurs intérêts en produisant et diffusant des contenus qu’ils jugent absents des grilles des autres médias. Le lien entretenu avec les publics, qui repose sur la proposition d’une offre spécifique plutôt que la recherche d’une large audience, peut être analysé au travers de deux approches qui sont, pour l’une, la continuité ou la rupture de la temporalité de réception entre les contenus de flux et de stock, et pour l’autre, l’importance de la dimension locale et de l’interactivité.
39Comme nous avons vu précédemment, la diffusion de flux concerne principalement les radios « traditionnelles » et certaines webradios qui choisissent un modèle de diffusion continu, ainsi que d’héberger et de mettre à disposition « à la demande » certains contenus diffusés. Ces contenus passent ainsi d’un modèle de flux à un modèle de stock, détachant le lien de temporalité de la réception, ce que Hervé Glevarec désigne comme les fonctions d’actualité et de coprésence radiophonique, l’écoute ici et maintenant (Glevarec, 2014).
40Cette rupture apparaît pour beaucoup d’acteurs comme une adaptation nécessaire face à la mobilité des publics permise par les nouveaux moyens de réception avec des pratiques qui, comme pour la télévision, se tournent vers des formats différents et des contenus à la demande. L’étude menée par Jean-Samuel Beuscart et son équipe sur l’audience des services de « catch-up » ou de « rattrapage des contenus TV » (Beuscart, Beauvisage, et Maillard 2012) nous montre que ces pratiques de réception ne participent pas à une diminution de l’audience du direct, mais viennent en complément.
41Dans le cas de la radio, l’importance croissant de la demande pour des contenus de stock depuis plusieurs années, comme le montrent les chiffres records d’audience et de téléchargement des émissions de France Culture, ouvre un champ pour les pratiques des webradios sans flux et des producteurs indépendants, qui privilégient des formats plus adaptés à des écoutes détachées d’une temporalité du direct. Mais cette diversification des modes de réception trouble d’autant plus les représentations que les acteurs ont de leurs publics et le sentiment de dispersion qui font basculer les figures d’auditeurs imaginés vers celle d’une audience anonyme.
42La seconde piste étudiée au cours de ce travail est celle de la place du local et de l’interactivité avec les publics, pour former et animer des « communautés » qui, dans le cas des radios et webradios observées, conservent un lien social et géographique local fort.
43La diffusion en flux des radios et webradios s’adapte aux pratiques d’écoute par internet et à la réception mobile, le rapport d’interactivité reste toutefois sensiblement identique à celui de la plupart des radios FM. La diffusion, comme pour la radio et la télévision traditionnelle, est unidirectionnelle de l’émetteur au récepteur, ce dernier peut uniquement choisir d’écouter ou non les contenus diffusés. Les sites internet et les réseaux sociaux permettent une certaine interactivité, avec des espaces de commentaires pendant des événements en cours ; mais, pour reprendre la typologie utilisée par Pascal Ricaud (Ricaud, 2015), pour la plupart des radios et webradios observées, l’interaction reste limitée et n’arrive pas à un stade participatif de « radio 2.0 ».
44Il n’existe pas de processus participatif direct des auditeurs pour influer sur les contenus de l’échantillon observé. La webradio Welsass dispose par exemple d’un répondeur téléphonique et d’une adresse électronique pour envoyer des messages, commentaires et dédicaces, mais ne propose pas d’accès au direct. Les réseaux sociaux constituent également plus un moyen de communication de l’activité des radios que d’interaction réelle avec les publics ; la webradio musicale ODC live agrège par exemple des publics par des directs audio et vidéo diffusés sur leur site et retransmis sur Facebook live, pour des évènements organisés à Strasbourg. La webradio s’appuie sur les réseaux sociaux pour créer et animer une « communauté virtuelle » qui est également encouragée à se retrouver physiquement dans les événements où elle est présente.
45L’ancrage du lien d’interactivité dans une forme de participation physique constitue un des points communs qui se retrouve entre les radios et webradios locales, malgré l’usage des réseaux sociaux et des outils « crossmédias », une présence physique sur les évènements est encouragée et presque attendue par les acteurs. Ces observations des pratiques nous permettent ainsi d’avancer que les formes de « communautés virtuelles » qui se forment autour de ces radios et webradios entretiennent une dimension physique locale forte dans leur interaction avec les publics.
46En conclusion, nous pouvons résumer les choix des outils et des moyens de diffusion opérés par les acteurs suivant différentes variables :
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La logique de diffusion ou d’audience, qui distingue les contenus produits pour une finalité de mise à disposition ou pour toucher un public à un moment spécifique.
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Les investissements et les résultats attendus, qui dirigent les choix parmi les outils à disposition, les compétences pratiques que demandent ces outils, leurs coûts techniques et économiques, et leur capacité à atteindre les publics visés.
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Le mode de relation aux publics, qui définit la place de l’interactivité, aux commentaires, aux retours des « communautés » qui peuvent se former avec les outils, notamment les réseaux sociaux.
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Enfin la finalité pratique, s’il s’agit d’une activité professionnelle, d’une pratique secondaire non-économique ou d’une volonté de professionnalisation d’un parcours.
47Ces différentes variables permettent de mieux comprendre le positionnement et les choix opérés par les acteurs dans les outils utilisés, les modes de diffusions et les pratiques recherchées dans la production radiophonique locale.
48La question que nous pouvons à présent poser est de savoir si les nouvelles offres ouvrent une « concurrence » entre les différents acteurs locaux, et s’il existe une véritable rupture entre les nouvelles pratiques observées et le modèle de la radiophonie « traditionnelle ». Les apports de ce travail nous permettent de penser qu’il n’existe pas de concurrence réelle entre les acteurs au niveau local, mais plutôt d’un champ qui permet la coprésence et des transferts à la fois des acteurs, des pratiques et des compétences entre les différentes entités. L’activité des radios associatives, webradios locales et producteurs indépendants étant largement située dans une sphère non-commerciale, il est difficile de parler de concurrence en tant que telle. Les différents acteurs se positionnent davantage selon la perception qu’ils ont des outils à leur disposition et les moyens qu’ils peuvent mettre en jeu pour y accéder ; si le numérique a réduit les coûts économiques et techniques d’entrée par rapport à l’analogique, ces coûts restent toujours présents sous d’autres formes.
49L’étude menée de Jean-Samuel Beuscart et son équipe sur l’audience des services de « catch-up TV » (Beuscart, Beauvisage, et Maillard 2012) nous permet également d’entrevoir une convergence des webradios et producteurs sur des contenus de types de reportage longs, fictions, productions musicales, balades sonores, qui se prêtent plus à une écoute à la demande qu’en direct. Ces pratiques et ces formats venant se situer dans un vide laissé par les diffusions de flux qui se focalisent plus sur l’activité de direct et l’écoute située.
50Christophe Deleu (Deleu, 2013) posait ainsi la question de l’avenir de ces formats de contenus qui sont historiquement liés à la radiophonie, mais qui trouvent de plus en plus difficilement leur place dans la programmation des radios, même de service public. Dans le prolongement du « tiers secteur médiatique » des radios associatives (Cheval 2007), qui se situent entre le service public et les radios commerciales, tout un ensemble de productions radiophoniques trouvent à présent leur place dans un espace qui échappe aux enjeux d’audience et de rentabilité économique. Les acteurs peuvent ainsi proposer des contenus sans logique d’audience ou de rémunération, qui se situent plus dans un ordre de production symbolique qu’économique, et qui permette un retour de ces formats qu’on pouvait penser destinés à disparaître.
51Le fait que nous souhaitons mettre en avant est que les acteurs se saisissent de la radiophonie et la réinterprètent, la réutilisent, l’adaptent à leurs pratiques, aux outils à leur disposition et à leur volonté de création. Les formats produits reprennent ceux déjà existants et historiquement liés à la radio du reportage, documentaires, fiction, création sonore ; les pratiques s’identifient à celles de la radio par les fonctions de repérage et d’identification de contenu par les webradios et utilisent les nouveaux outils pour créer une nouvelle offre locale.
52La radiophonie connaît avec internet des mutations rapides par l’apparition et la disparition d’outils, les changements de pratiques de production et de réception qui se modifient tout aussi rapidement. Pour illustrer cette relation de « proximité distante » des nouvelles pratiques avec la radio traditionnelle, nous souhaitons citer le terme de « transmédia radiophonique » qui apparaît sur le site de HTP radio pour désigner l’ensemble des pratiques que rassemble cette webradio éducative. Cette recherche d’un nouveau paradigme radiophonique nous montre tout l’intérêt de cet objet sur lequel se rencontrent chercheurs et praticiens, autours des questions communes des limites de la radiophonie (Gago, 2008) et de l’avenir de ce média dans la postradio (Cheval, 2008), nous laissant nous interroger sur ce que pourrait être ce « transmédia radiophonique » qui serait en mesure de constituer l’avenir de la radiophonie et rassembler des pratiques, des formats et des contenus aussi différents que les publics qui les écoutent.