1Si la période des Radios pirates et des Radios libres privées en France a fait l’objet d’une littérature diversifiée durant les années 1980 et 1990, leurs héritières que sont les radios associatives ont été l’objet de moins d’intérêt depuis, alors qu’elles représentaient en 2015 68 % des opérateurs radio et exploitaient environ 20 % des fréquences attribuées en France. Ces radios locales associatives se distinguent en effet des autres catégories de radios privées par un statut d’association, une limite de la part des revenus publicitaires fixée à 20 %, ainsi que l’accomplissement d’une « mission de communication sociale de proximité » ; depuis 1984, ces radios disposent d’un financement d’État attribué par le Fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER) placé sous la direction du ministère de la Culture. Leur statut de média associatif, situé dans des territoires spécifiques et reposants sur un modèle de subvention d’État providence, place ces radios à la confluence des champs médiatique, culturel et associatif produisant une hétérogénéité de modèles et de situations.

2Cette thèse propose une approche interdisciplinaire analysant les conditions d’organisation, de financement et de fonctionnement de ces médias locaux associatif, cherchant à la fois une certaine représentativité de l’hétérogénéité de ces radios, tout en maintenant une échelle permettant d’analyser les liens qu’elles entretiennent avec leurs territoires de diffusion. Nous avons ainsi voulu interroger la manière dont les radios associatives de Grand Est organisent leur activité de médias radiophoniques locaux, attachés à des territoires, dans un modèle partagé entre l’autonomie que leur confère le statut d’association et leur intégration dans des politiques publiques de communication sociale de proximité.

3Le fil de notre recherche se déroule autour de trois axes s’intéressant respectivement à la spécificité du modèle des radios associatives, leur action médiatique de communication sociale de proximité et leurs conditions actuelles de financement et de fonctionnement, articulant différents cadres théoriques interdisciplinaires pour chacune de ces approches. Dans un premier temps, nous sommes revenus sur la création et l’évolution du statut de ces radios qui s’est constitué à partir de celui des radios locales privées de 1982 bâti sur un principe de dérogation au monopole d’État sur la radiodiffusion et soumis à une organisation nécessairement associative, une dualité de statut redoublant leur encadrement. Ce statut est également marqué par des tensions historiques déjà présentes au sein des mouvements des Radios pirates et Radios libres et qui se retrouvent encore actuellement dans les radios associatives. Pour traiter cette question, notre approche théorique a été influencée par la sociologie des organisations, éclairant notamment les atouts et les limites du modèle associatif qui offre une liberté d’organisation et de fonctionnement, mais qui est limité par l’absence de lien hiérarchique soumettant l’organisation d’une action collective à un consentement permanent des participants.

4Nous développons dans un second temps l’idée d’une construction progressive des politiques publiques de communication sociale intégrant les radios associatives à partir des années 1990, par la création d’espaces de négociation entre les institutions publiques et les radios qui ont participé à former des relations de reconnaissance et permettre leur intégration dans des dispositifs d’action publique. Le cadre théorique de cet axe s’appuie sur les travaux portant sur le rôle des médias locaux dans les enjeux de communication politique et d’information, leur influence dans les rapports de proximité des publics aux territoires, en approfondissant notamment la notion de « communication sociale » qui participe depuis 2000 à la définition de la mission des radios associatives.

5Enfin, nous nous sommes intéressés aux mutations récentes du champ des radios associatives et l’influence grandissante du secteur associatif dont les modèles de financement poussent les radios vers de nouveaux modèles d’organisation et de fonctionnement. Cette partie s’intéresse aux effets de la réorganisation des politiques publiques de financement du secteur associatif, favorisant une normalisation des formes d’organisation et de fonctionnement, ainsi qu’aux problématiques plus larges touchant l’ensemble des associations et s’étendant aux radios étudiées. L’approche théorique de cet axe s’appuie largement sur les travaux en sociologie du secteur associatif pour proposer une approche de l’organisation et du fonctionnement des radios associatives, la place du bénévolat et du salariat, ainsi du profil des acteurs qui les font exister.

6La méthodologie utilisée a tendu à s’adapter à ces différents axes de recherches, exploitant des méthodes de recherches quantitatives, par l’exploitation des données socio-économiques contenues dans les dossiers administratifs de l’ARCOM et du FSER, ainsi que des grilles de programme des radios étudiées ; mais également qualitative par de l’analyse documentaire et des entretiens semi-directifs menés auprès de différents acteurs.

7Le terrain choisi est défini géographiquement à l’actuelle région Grand Est, qui correspond également à la zone du Comité Technique de l’Audiovisuel (CTA) de Nancy, et prend comme population l’ensemble des radios associatives diffusant en FM entre 2015 et 2019 formant ainsi un corpus de 48 radios. Ces critères nous permettent ainsi de distinguer les radios associatives des associations proposant des services de diffusion par internet (webradios), ainsi que les radios associatives exploitant des fréquences temporaires et celles récentes exploitant des fréquences en DAB+.

8Les principaux résultats apportent en premier lieu une cartographie spatiale et temporelle de l’évolution des radios associatives dans l’est de la France entre 2000 et 2020, mettant en lumière les situations de création et de disparition, ainsi que les inégalités de répartition des radios et des fréquences sur les différents territoires urbains et ruraux de cette région. Ces résultats montrent ainsi qu’une majorité des radios de cette région se situent dans les principales villes et n’exploitent qu’une seule fréquence, quand une minorité, notamment des radios chrétiennes, forment des réseaux qui s’étendent dans les zones rurales.

9Nos résultats permettent d’observer une influence des changements des politiques publiques de financement du secteur associatif et des médias locaux, l’évolution de la situation économique des radios montre une adaptation face aux changements de barème et des critères d’attribution des subventions du FSER depuis 2000. Le renforcement de ces critères a ainsi redistribué les subventions sélectives, avec une concentration des plus hautes subventions dans une minorité de radios et l’exclusion d’un plus grand nombre du dispositif ; ces changements ont participé à un renouvellement des oppositions entre un modèle de subvention public et un de financement privé, tensions amplifiées par une focalisation des politiques publiques de « communication sociale de proximité » vers la production et la diffusion de contenus de paroles, mettant en retrait la dimension d’innovation et d’originalité musicale. Les inégalités entre les radios s’étendent également au développement de l’activité sur internet qui échappe aux financements publics orientés avant tout vers l’activité de radiodiffusion traditionnelle.

10De manière générale, nos résultats montrent une influence des mutations structurelles et économiques du secteur associatif dans les radios associatives, la diminution durable des investissements publics depuis 2008 a renforcé les dispositifs de fléchage et d’encadrement des politiques publiques avec une accentuation des indicateurs d’objectifs et d’évaluation des actions réalisées, qui conduisent à un encastrement plus fort des associations dans les dispositifs.

11Plus largement, les radios associatives rencontrent des problématiques similaires à l’ensemble du secteur associatif, avec une crise durable du bénévolat et de renouvellement des acteurs, renforçant l’importance de la professionnalisation et du salariat pour maintenir une activité, une qualité de production et s’adapter aux contraintes des sources de financements ; ces mutations renouvellent une fois encore les tensions historiques entre un rapprochement des radios A vers le modèle des radios privées commerciales ou vers celui d’un service public radiophonique alternatif.