1Le rapport entre mobilité et communication a accompagné les évolutions de la radio pendant son histoire. Le développement du secteur radiophonique privé en Italie à partir du début des années 70 a changé le rapport de la radio avec ses auditeurs. C’est dans cette époque que va se définir un nouvel usage de la radio en mobilité par les auditeurs mais aussi bien par les producteurs des programmes. Il est donc utile de retracer comment ont changé les formes de diffusion et de mobilité des émetteurs avec l’apparition des radios libres.
2La naissance des radios libres en Italie remonte au 25 mars 1970, lorsque l’écrivain et sociologue Danilo Dolci lance Radio Sicilia Libera. Pendant vingt-six heures, la radio émit ses programmes clandestins et reçut le soutien de plusieurs personnalités du monde de la culture. Son but était d’informer et solliciter l’opinion publique à propos des conditions de vie des populations des vallées du Belice, du Jato et du Carboi en Sicile, après le tremblement de terre qui avait concerné ces lieux en janvier 1968 et surtout après plus de deux années durant lesquelles la reconstruction promise par l’État s’était faite attendre en vain. Dolci, engagé depuis plusieurs années aux côtés des populations les plus humbles et pauvres de cette zone de la Sicile, choisit la radio comme l’instrument le plus direct et immédiat pour faire entendre la voix « de ceux qui d’habitude n’ont pas de voix ». Après la diffusion d’un long communiqué expliquant les motivations à l’origine de Radio Sicilia Libera, la police intervint pour réduire au silence cette expérience qui se plaçait pour la première fois en-dehors du monopole. Le rapport entre cette expérience et la mobilité montrait comment une radio pouvait attirer l’attention sur un problème mieux que d’autres médias, même si elle se trouvait dans un lieu isolé.
3Même s’il faudra attendre l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de juillet 1976 afin de pouvoir déclarer la liberté radiophonique, c’est à partir du début des années Soixante-dix qu’en Italie se développe une réflexion à propos des potentialités de la radio comme instrument militant, capable de renverser le traditionnel rapport entre les émetteurs et les auditeurs. Face au débat entre ceux qui voyaient dans la libération des ondes une occasion de renforcer la démocratie et l’accès au média, et ses opposants défenseurs du monopole, en novembre 1974 le metteur en scène Roberto Faenza, à Bologne pour une semaine, diffusait les programmes de Radio Bologna per l’accesso pubblico, afin de montrer la possibilité de faire naître des petits projets radiophoniques à coûts accessibles et populaires. La radio émettait depuis une roulotte, en changeant à chaque fois de lieu d’émission et en s’adressant aux différents quartiers de la ville, à travers une nouvelle mobilité.
4Si certaines expériences pionnières s’inscrivaient encore dans la critique militante du monopole, c’est à partir de 1975 que se déclenche un mouvement radiophonique d’ampleur. Au début, la première station émettant régulièrement est Radio Parma, qui naît en janvier 1975. Le but de cette station était de combler la carence d’informations au niveau local des autres médias et de faire une radio qui pouvait être complémentaire de la presse locale. Le modèle suivi est celui de la RAI : un ton professionnel, musique, informations, vie et animation de la ville. Bientôt la diffusion de nouvelles expériences radiophoniques croît, favorisée par les coûts réduits des appareils et une fièvre radiophonique qui semble toucher aussi bien les passionnés de musique que les organisations militantes.
5Il s’agit d’un mouvement national, parce que les nouvelles antennes se diffusent partout dans la péninsule. Dans la même période se constitue aussi la première fédération, l’ANTI (Association nationale des radios et télévisions indépendantes) dans le but de défendre les radios sur le plan juridique et de veiller à leur existence. Les nouvelles radios s’installent tout à fait au dehors du monopole et de la loi en vigueur. Au début, les radios libres, ainsi nommées par la presse et l’opinion publique, se déclarent indépendantes vis-à-vis de tout pouvoir politique et économique. Si les premières radios libres naissent en province, c’est le cas de Radio Milano International, une radio animée par trois jeunes passionnés de musique anglo-saxonne et fascinés par l’exemple de RTL, qui porte le dossier sur le terrain juridique en avril 1975. En effet, après la saisie du matériel de la station pour infraction au monopole, après dix jours, le juge d’instance décide de rendre le matériel, déclarant la légitimité à émettre pour la station. Dans les mois suivants, plusieurs stations connaitront le même destin : les juges d’instance absolvaient les animateurs ou, se déclarant incompétents, renvoyaient les actes à la Cour Constitutionnelle. Pourtant cette première anomalie dans l’application de la loi montrait la nécessité de la compléter, parce qu’en conséquence l’anarchie allait vite devenir la règle sur la modulation de fréquence. Selon Peppino Ortoleva, les caractéristiques principales du mouvement italien sont : la dimension nationale du phénomène, qui se développe aussi bien dans les grandes villes que dans les localités de province ; la mobilisation de ressources humaines et économiques nouvelles, tels que les jeunes bénévoles et les formes de financement alternatif ; la prise de la parole qui, s’associant à la contestation des jeunes, déterminait la naissance de nombreuses radios ; enfin la caractéristique de se situer volontairement au dehors des institutions et, au moins au début, au dehors des partis traditionnels (Ortoleva, 2006 : 21). D’après une enquête de la RAI réalisée au début de 1976, le nombre de radios recensées atteignait à cette époque les 580 unités. Au début, à côté des radios musicales comme Milano International, on peut constater le développement de projets militants. À côté de ces premiers groupes, les plus nombreux, il y a aussi plusieurs expériences de simples passionnés de technique radiophonique, tels que les amateurs de CB (citizen band) ou des gens qui aiment et désirent simplement parler au micro ou faire entendre leur musique préférée.
6Parmi les nombreuses radios militantes, on peut retrouver certaines expériences plus significatives par rapport à l’innovation dans l’usage du média et dans son rapport avec l’information et la mobilité. « Une voix en plus à coté de la classe ouvrière » : avec cette devise, la radio Canale 96, créée en octobre 1975, manifestait sa volonté de soutenir les luttes des ouvriers d’une usine de Milan, la Elettronvideo. Une grande partie de ses programmes concernait les problèmes sociaux du quartier où elle émettait. L’information alternative des radios démocratiques se caractérise par de nouvelles modalités de collecte des nouvelles et par un nouveau rapport avec le public. Les émissions se déroulent pour la plupart en direct, en utilisant des reportages réalisés par des envoyés spéciaux qui racontent l’actualité sans filtres ou censure. Les expériences les plus innovatrices se situent dans les grandes villes, notamment à Milan avec Canale 96, Radio Milano Centrale, Radio Popolare, et à Rome, avec Radio Radicale, Radio Città Futura et plus tard Radio Onda Rossa. Radio Popolare joue un rôle décisif dans l’ouverture d’un débat public dans les années de la contestation à Milan, en se proposant comme une nouvelle agora virtuelle où les auditeurs se confrontent et discutent sur les questions politiques les plus actuelles ; radio liée aux groupes d’extrême gauche, qui se veut voix du mouvement des étudiants et des revendications des ouvriers, en quelques mois elle devient la radio porte-parole des luttes de cette période.
7Le téléphone est l’outil le plus utilisé pour faire communiquer et mettre en circulation des débats entre les animateurs de la radio et ses auditeurs. Ses envoyés à l’intérieur des cortèges téléphonent en direct au studio depuis des cabines téléphoniques pour informer à propos du déroulement des manifestations. Cette radio représente l’un des exemples les plus intéressants pour ce qui concerne un nouveau rapport à l’information. Elle promouvra sur ses ondes des débats à propos de l’usage de la violence, entre jeunes d’extrême gauche et jeunes d’extrême droite.
8Par exemple, en 1978, Radio Popolare développe une campagne d’information visant à démonter la version officielle des autorité à propos de la mort de deux militants de gauche, accusés d’être au centre d’un trafic de drogue. Radio Popolare fera emerger la vérité à travers plusieurs débats et manifestations publics.
9De son côté, Radio Radicale se pose au service du public en inaugurant une radio novatrice, qui, au fil du temps, ira s’imposer dans le panorama de l’information radiophonique en tant que station organisée et structurée. La naissance de milliers de radios libres en Italie - entre 1975 et 1979, on estime que le nombre des émetteurs passe de 150 à près de 2 600- détermine la création de véritables lieux où élargir l’espace même de la sphère publique en favorisant plusieurs occasions de débats, de dialogue avec les auditeurs et surtout la possibilité pour les auditeurs de faire partie d’une communauté ayant les mêmes intérêts ou les mêmes idéologies. La présence de revues de presse, d’espaces autogérés par différents groupes (féministes, homosexuels, comités d’usine), et en général de plusieurs occasions de discussion, rendaient effectives ces possibilités.
10Les radios démocratiques italiennes connaissent leur dernier moment de popularité avec le mouvement de 1977 en Italie. Considéré comme la dernière expression du long « Soixante-huit italien », ce mouvement trouve dans les radios libres un lieu privilégié où diffuser ses revendications et ses contenus. Les radios qui jouent ce rôle et qui deviendront au fil des mois des véritables composantes de la contestation étudiante, sont notamment Radio Città Futura à Rome et Radio Alice à Bologne. En ce qui concerne Radio Città Futura, il faut remarquer comme cette station, se situant à l’intérieur des mouvements de lutte actifs en Italie au milieu des années Soixante, suit la trajectoire des organisations d’extrême gauche à Rome. Créée en février 1976 en tant qu’expression de la formation politique Avanguardia Operaia, cette radio se veut bientôt la voix du mouvement dans son ensemble, et non la voix d’un seul groupe ou parti. Radio Città Futura est l’une des premières radios à inaugurer un programme complètement géré par un collectif féministe, avec les émissions de « Radio Donna ». Cette radio va vite devenir l’une des voix les plus irrévérencieuses de la modulation de fréquence à Rome, car son but déclaré était celui de représenter une alternative à « l’information bourgeoise » (Monteleone, 2006 : 394). En 1977, Radio Città Futura deviendra l’une des composantes du « Movimento » qui se développe cette année. Elle aura un rôle très important dans les longues heures de direct autour des rassemblements et des violentes manifestations qui se déroulent cette année-là dans la capitale. La radio est témoin de violents affrontements entre la police et les Collectifs autonomes, et donne des informations de plus en plus précises sur ce qui se passe à l’intérieur des débats des organisations d’extrême gauche. Le rôle des radios démocratiques en Italie a été central jusqu’en 1978. Radio Città Futura connait sa période la plus performante dans cette phase qui coïncide avec l’une des périodes les plus aiguës de la contestation des jeunes en Italie. Mais c’est à travers l’expérience de Radio Città Futura qu’on peut bien mesurer le début de ce qu’on appelle le « riflusso », c’est-à-dire la fin de l’époque de l’engagement politique militant qui, dans l’Italie des années Soixante-dix, avait connu une dimension et une ampleur de masse. Déjà, dans les émissions de la fin 1978 à la fin 1979, les auditeurs se plaignaient que Radio Città Futura, même si elle restait encore pour certains un point de référence dans le panorama médiatique alternatif, avait perdu son élan et sa capacité à favoriser une réelle identification des auditeurs avec la station. Ces critiques témoignaient du début d’une phase différente par rapport à 1975 pour les radios démocratiques italiennes : Radio Città Futura montrera plusieurs éléments de crise que connaissaient aussi bien les groupes d’extrême gauche que l’idée de la communication alternative, au moins comme elle était envisagée par les tenants du discours radiophonique militant.
11À côté des expériences de Radio Città Futura à Rome, de Radio Popolare à Milan et d’autres nombreuses initiatives, la radio la plus célèbre du mouvement des radios libres italiennes demeure sans doute Radio Alice de Bologne. Créée en 1976 par les animateurs du groupe culturel A/traverso, le collectif de Radio Alice proposait la transformation du langage radiophonique traditionnel. Radio Alice se définissait comme une station « mao-dadaïste », revandiquant par-là une approche ironique au dogmatisme typique de la plupart des groupes d’extrême gauche. Influencée par les théories des avant-gardes artistiques et poétiques d’Antonin Artaud et de Vladimir Majakovskij, la radio se proposait de changer les schémas conventionnels de la communication radiophonique afin de faire émerger « le langage de la vie quotidienne, de la vie vraie ». Selon les animateurs, on pouvait réaliser à travers la radio l’ancienne utopie dadaïste visant à « abolir l’art/abolir la vie quotidienne » (Collettivo A/traverso, 2002 : 165-166). Il est nécessaire de situer l’histoire de Radio Alice dans le contexte de la ville de Bologne en 1977, où on recense de nombreux étudiants exprimant un très vivant ferment culturel. Symbole du pouvoir du Parti communiste au niveau de l’administration locale, la ville connait pourtant un très ample mouvement d’étudiants notamment en 1977. Au début des années Soixante-dix, Hans Magnus Enzensberger avait envisagée une « stratégie socialiste pour les médias » en soutenant que désormais la technique rendait possible à tous de devenir de potentiels émetteurs. Afin de s’opposer à l’usage manipulatoire et répressif des médias mis en œuvre par les classes dominantes, il fallait une stratégie qui aurait permis de changer ce rapport (Enzensberger, 1970 : 13-36). Ainsi, selon Enzensberger, on aurait pu, comme l’avait déjà affirmé Bertolt Brecht dans les années Trente, transformer la radio de moyen de distribution en moyen de communication. Pourtant, dans la même période, Jean Baudrillard montrait que les réflexions d’Enzensberger étaient « une illusion stratégique » car les médias, à cause de leur structure même, ne pouvaient pas assurer n’importe quelle forme d’échange entre les hommes (Baudrillard, 1972 : 208). Selon Baudrillard, les effets de la communication sur la société dépendaient moins des intentions politiques des acteurs sociaux participant à la communication, que des modalités relationnelles offertes par la technologie. Influencée par l’analyse de Baudrillard, la volonté des animateurs de Radio Alice était de constituer la radio en opposition aux théories militantes. Dès sa naissance, Radio Alice lance ses messages alternatifs et anticonformistes en privilégiant les appels téléphoniques en direct des auditeurs, les bulletins d’informations, mais aussi les concerts de groupes retransmis directement depuis son studio, outre la musique la plus combative de la période. Mais il y aussi la place pour toutes les minorités intéressées à véhiculer leurs contenus à la radio, telles que par exemple les groupes féministes et homosexuels ou les collectifs d’ouvriers en lutte. Le téléphone, par l’intermédiaire de la radio, devient l’instrument à travers lequel la voix permet la transformation des programmes qui deviennent le fruit d’une élaboration collective. La radio acquiert une grande notoriété aux yeux de l’opinion publique après l’inculpation en mars 1976 de l’un de ses animateurs, Francesco « Bifo » Berardi, accusé de participation à une bande armée. La radio se mobilise afin de défendre son animateur (après quelques mois, les accusations se révéleront infondées) et connaît un très ample soutien de la population locale, notamment les jeunes. L’histoire de Radio Alice est devenue célèbre à cause de sa fermeture et de sa saisie opérées par les autorités la nuit du 12 mars 1977. La mort d’un étudiant, le jour précédent, après de violents affrontements entre les manifestants et la police, avait déterminé un climat de forte protestation et de tension dans la ville de Bologne. L’intervention de l’armée dans le centre de la ville déclencha des émeutes. C’est alors que Radio Alice se charge de donner en direct les nouvelles et informations sur les déplacements des forces de police pendant les affrontements. C’est pour cette raison que la radio sera bientôt fermée par la police et réduite au silence. Le ministère de l’Intérieur accusait cette station de fournir aux manifestants les indications sur les déplacements de la police pendant les affrontements avec les groupes de militants. Même si, dans les jours suivants, la station recommencera à émettre grâce à l’aide des autres radios de Bologne, cet épisode marquera la fin symbolique de cette expérience qui se poursuivra jusqu’en 1981, mais sans les traits de spontanéité et d’innovation qui étaient ses caractéristiques principales. Radio Alice soulèvera aussi un âpre débat dans la presse opposant Umberto Eco et d’autres journalistes à propos de la légitimité à émettre et à diffuser des informations sur les déplacements de la police, et au-delà sur le rôle des radios libres en tant que nouveaux moyens d’information. Radio Alice bénéficiera d’un écho international. Dans le manifeste contre la répression paru en juillet 1977 dans le quotidien Lotta Continua, signé entre autres par Jean Paul Sartre, Michel Foucault, Roland Barthes, Félix Guattari et Philippe Sollers, qui critiquait la politique du compromis historique entre le Parti communiste italien et la Démocratie chrétienne, la fermeture de la radio était considérée inscrite dans cette politique de répression menée par les principaux partis politiques. La plupart des radios militantes s’étaient ralliées à la FRED, c’est-à-dire la Fédération de radio émetteurs démocratiques. Cet organisme représentait un important point de référence pour les radios militantes italiennes, car il se proposait d’étudier des modalités de financement alternatives à la publicité commerciale, mais aussi de favoriser une coordination entre les radios ; après sa naissance en 1976, en l’espace de deux ans la FRED connait une grave période de crise, coïncidant avec la crise de la plupart des projets des radios militantes. Si à l’occasion du premier congrès de l’association qui se déroule en 1977, les radios sont censées être plus de 200, en juin 1978 les stations représentées sont seulement 80 et elles n’ont plus le même esprit combatif des années précédentes. La dissolution de cette Fédération en 1978 montrait bien comment, après les nombreuses activités des radios libres militantes entre 1975 et 1978, l’idée d’une communication alternative connaissait un recul au profit de la progressive affirmation de l’idée de la radio commerciale qui, à partir de ce moment, s’imposera vite dans la plupart des radios italiennes. D’un autre côté, la fin de la FRED témoignait également des différences existant entre les radios militantes expressions de groupes d’extrême gauche.
12Toutefois, les radios libres se développent aussi bien dans la province. C’est encore en Sicile, en suivant les traces de Danilo Dolci, que, à partir du 1976, le jeune militant d’extrême gauche Giuseppe Impastato lance Radio Aut depuis le village de Cinisi. À travers cet instrument d’information et surtout grâce à une émission titrée « Onda pazza » (Onde folle), présentée avec ironie et détermination, la radio dénonce chaque jour le rôle de la mafia dans la province de Palerme, en essayant de rompre le mur de silence et, en même temps, de sensibiliser les habitants à la lutte contre la mafia. L’histoire de Radio Aut et de Giuseppe Impastato a trouvé son dramatique épilogue le 9 mai 1978, quand le journaliste a été tué sauvagement par la même entreprise criminelle qu’il refusait et dénonçait depuis les micros de sa petite station. Il était devenu un symbole de la lutte contre la mafia en Italie.
13Avec les années Quatre-vingt, le secteur radiophonique italien est désormais bien structuré et le nombre de stations dépasse le 4 000, ce qui fait de l’Italie le second pays au monde après les États-Unis pour le rapport entre radios et habitants. Dans les années Quatre-vingt, la vitalité du secteur radiophonique, comprenant aussi bien des radios commerciales que des radios associatives, se manifeste par le nombre des stations mais aussi bien par leurs différentes fonctions sociales. Désormais, les radios sont écoutées surtout en-dehors de l’habitation, en mobilité et sur la route. D’après Enrico Menduni, c'est durant cette phase que la fusion entre radio et mobilité s’exprime d’une façon décisive, en lien avec l’usage du walkman qui permet une écoute personnalisée, individuelle et mobile (Menduni, 2001 : 42).
14L’apparition de ce nouveau secteur avait contribué à expérimenter de nouvelles formes de participation entre la radio et ses auditeurs, et elles avaient montré la possibilité de s’exprimer d’une façon différente par rapport aux chaînes publiques. Une fois terminée la phase la plus effervescente des radios libres italiennes, dans les années Quatre-vingt le secteur radiophonique italien assiste à l’expansion du secteur de la télévision privée commerciale, qui finira par soustraire des importantes ressources à la radio, en permettant seulement aux réseaux privés nationaux d’occuper une place significative dans le paysage médiatique. Les expériences des radios militantes ou d’informations se poursuivent avec beaucoup de difficultés financières. Cependant certaines stations continuent à mettre en avant l’accessibilité aux informations et la participation des auditeurs. C’est le cas de Radio Radicale qui, en 1987, recevra l’autorisation du Parlement italien pour retransmettre les travaux parlementaires, en plus des importants événements ou manifestations culturels ou politiques qui se déroulent en Italie. Radio Popolare, fidèle à sa stratégie informative d’un point de vue de gauche, donne une ample résonance aux liaisons internationales, avec les reportages de ses envoyés qui, à la fin des années Quatre-vingt, témoignent des événements en Chine, au Chili et en Allemagne après la chute du mur de Berlin.
15L’arrivée d’Internet et la possibilité de créer des centaines de webradios, permet la croissance du secteur et une évolution ultérieure du rapport entre radio et mobilité. La présence sur Internet garantit un élargissement du possible bassin d’écoute qui, au moins d’un point de vue théorique, s’étend à tout le monde connecté. Un programme radiophonique, à travers le web, peut facilement franchir les limites géographiques et pouvoir être écouté par des auditeurs éparpillés pratiquement dans le monde entier. L’un des cas le plus significatifs de cette nouvelle phase est Radio GAP, c’est-à-dire « Global Audio Project », un réseau de huit radios italiennes en modulation de fréquence et sur le web, et une agence de communication, qui se sont proposées de se focaliser sur le récit des journées de manifestation du mouvement contre le G8 à Gênes, durant le mois de juillet 2001. Radio GAP a diffusé à partir du 16 juillet 2001 dix-huit heures d’émissions quotidiennes en direct. L’un de ses buts principaux était l’information. La station a consacré trois éditions quotidiennes au journal parlé dans quatre langues différentes (italien, anglais, français et espagnol). Pendant ces journées, la rédaction de la radio a diffusé chaque matin la revue de presse des principaux quotidiens italiens et étrangers. La radio a ensuite donné la parole aux intervenants des différents congrès organisés par le Gênes Social Forum. Beaucoup de musiques transmises, mais surtout la possibilité pour les manifestants de s’exprimer aux micros de la station. Radio GAP, avec ses envoyés dans les rues, a permis aux auditeurs d’écouter les manifestations en direct, montrant ainsi une prompte capacité à informer.
16Les journées de Gênes de juillet 2001 sont marquées par des événements fortement dramatiques, tels que la mort du jeune manifestant Carlo Giuliani, le 20 juillet 2001, tué par les forces de l’ordre pendant les affrontements et, dans la nuit du 23 juillet 2001, l’assaut de la police à l’école Diaz où se trouvaient notamment les manifestants étrangers.
17Radio GAP a été la voix non officielle qui a raconté ce que les autres médias, telles que les télévisions nationales, ne sont pas parvenues à documenter. Le réseau de Radio GAP a tenu constamment au courant ses auditeurs de ce que se passait dans ces dramatiques instants. Il a été possible de diffuser quasiment en direct le témoignage d’un jeune manifestant, juste quelques minutes après le meurtre de Carlo Giuliani. On voit bien le fort potentiel d’Internet, permettant de diffuser des informations et de donner d’importants éléments de compréhension sur ce qui venait de se passer, à l’attention d’un public le plus ample possible, alors que les médias officiels n’arrivaient pas à suivre le fil des événements. La nuit du 23 juillet 2001, lorsque la police a fait irruption dans les locaux de l’école Diaz où se trouvaient une centaine de manifestants, Radio Gap a été la plus rapide à diffuser la nouvelle. La radio a été fermée par la police, qui a envahi aussi l’établissement où se trouvaient ses studios. Grâce à la diffusion par Internet, la station a pu recommencer les émissions dans un délai d’une heure, et elle a donné une information constante sur les violences de la police dans l’école qui se trouvait juste en face des studios de Radio GAP. À travers cette expérience d’information, il faut souligner le rôle des auditeurs qui, de par leurs contributions, ont été eux-mêmes des protagonistes importants. La radio a pu compter sur de nombreuses interventions par téléphone ou par email pendant ses émissions, favorisant l’interactivité entre émetteurs et récepteurs. La version officielle soutenue par la police, contraste fort avec ce que les animateurs de Radio GAP racontent en direct et avec ce que les images des vidéos montreront le lendemain : de nombreux jeunes manifestants se retrouvent sans défense et beaucoup, parmi eux, sont hospitalisés pour les blessures causées par l’intervention de la police. Le circuit de cette station se voulait participatif, fondé sur la collaboration des équipes des différentes radios à la production et à la réalisation des émissions en direct (Pasquinelli, 2002 : 122-123). Cette expérience a favorisé une production horizontale des contenus et de l’information. La participation du public à la construction des émissions de la radio, non seulement à l’occasion des journées de Gênes du 2001, mais aussi dans la période suivante, a montré la capacité de cette station émettant sur Internet de viser un auditoire ciblé, mais d’être en même temps capable de l’augmenter constamment avec des offres de nouveaux contenus multimédia (documents sonores, musiques, photos et vidéos).
18La naissance des radios libres italiennes à partir de la moitié des années Soixante-dix a changé le rapport entre l’instrument, les auditeurs et la mobilité. Grâce aussi à d’importantes innovations technologiques et à la volonté d’expérimenter des animateurs de ces stations, elles ont favorisé la naissance de nouvelles modalités d’information et d’audience. Le secteur dans lequel on a pu le mieux mesurer ce changement a été celui des radios militantes de la Fédération de radios émetteurs démocratiques. Pour la première fois, elles ont permis de raconter la société italienne en donnant la parole aux exclus de la communication et ont favorisé l’expression de différentes couches sociales qui, jusqu’alors, étaient exclues. L’apparition des radios libres a déterminé, au moins jusqu’au début des années Quatre-vingt, le changement du rapport entre radio et mobilité en promouvant l’interactivité des émissions, la participation des auditeurs et l’accès aux médias, comme en témoigne la croissance exponentielle des radios durant cette période. Le paysage radiophonique italien s’est transformé au fil des années. Après la promulgation de la loi Mammì en 1990, des milliers de stations locales ont trouvé une réglementation juridique après une quinzaine d’années de vide législatif. Avec la naissance de toutes premières webradios, la mobilité de la radio a connu une nouvelle phase : la dimension des programmes et de l’écoute est devenue globale. L’expérience de Radio GAP pendant les G8 de Gênes en juillet 2001 montre le fil rouge que lie les premières radios clandestines des années Soixante-dix au développement du web, en montrant comment la radio se prête encore aujourd’hui à être la voix des mouvements et mobilisations sociaux, et voire à être l’outil le plus direct et immédiat afin d’informer sur ce qui se passe au sein des contestations et des revendications.