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Thermes privés et publics dans le territoire éduen et ses marges : réexamen de quelques fouilles anciennes

Laetitia BORAU
p. 279-306

Résumés

Les thermes publics ou privés ont fait l’objet d’études à grande échelle et sont globalement bien documentés. En se fondant sur la typologie faite pour la Narbonnaise, il est possible de restituer le parcours thermal du baigneur dans les établissements d’autres provinces ou cités. C’est notamment le cas en territoire éduen et ses marges, où la fonction des espaces thermaux et des réseaux connexes d’adduction ou d’évacuation d’eau n’avaient pas encore été examinée. Cette étude se concentre à la fois sur un échantillon de sites anciennement fouillés et sur des établissements ruraux et grands établissements thermaux, afin d’en dégager pour la première fois les particularités architecturales et d’en révéler l’organisation. On observe par exemple que les bains de ces villae, majoritairement à itinéraire rétrograde, couvrent des superficies généralement inférieures à 200 m², et que les grands établissements thermaux publics, dont parfois seuls les bâtiments de captages romains sont reconnus, se distinguent par l’originalité de leurs plans ou par des pratiques à la fois hygiéniques et thérapeutiques.

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Texte intégral

1Dans son imposant ouvrage consacré aux thermes, Y. Thébert écrivait : « Il est nécessaire de distinguer les bains des demeures urbaines de ceux des grandes villae rurales. Ne sont comparables ni les espaces constructibles, ni les besoins. Le citadin dispose, à proximité immédiate, de bains publics, ce qui n’est pas le cas du notable séjournant sur son domaine » (THÉBERT, 2003, p. 364). Or, les thermes romains ont été l’objet d’une abondante littérature, notamment des études de synthèse, que ce soit à l’échelle de l’Empire (NIELSEN, 1990 ; Collectif, 1991 ; GROS, 2002 ; GUÉRIN-BEAUVOIS, 2007 ; MARTIN, 2007), de la Gaule ou d’une région (BONNARD, PERCEPIED, 1908 ; BOUET, 2003a ; LE BOT, 2003), voire d’un seul site (BOUET, FOLLAIN, 2007) tels que Bliesbruck (PETIT, 2000), Barzan (BOUET, 2003b), Chassenon (DOULAN et alii, 2012, p. 99-298 ; AUPERT et alii, 2016, p. 479-500) ou portant sur le concept plus général de « thermalisme » suivant une perspective diachronique (SCHEID et alii dir., 2015).

  • 1 Ce travail est tiré d’une thèse (BORAU, 2010) et se limite à l’inventaire établi en 2010. Les donné (...)

2L’étude présentée ici, tirée d’une analyse plus large des équipements hydrauliques à l’échelle de la civitas des Éduens et de ses marges1 (fig. 1), entend s’intéresser à deux aspects particuliers : les réseaux d’eau et la pratique thermale à la fois dans les villae – sites de « fort statut » pour reprendre la formule de P. Nouvel (NOUVEL, 2004, p. 148) –, et dans trois grands établissements thermaux publics que comptait la cité, en dehors de la capitale. En outre, c’est dans cette entité civique qu’ont été découverts les thermes les plus anciens du Centre-Est de la Gaule, dans les domus de Bibracte (BORAU, 2020, p. 87-88). Ainsi, le réexamen de ces sites, fouillés pour la plupart anciennement, permet de clarifier à la fois l’organisation des espaces et des réseaux connexes d’alimentation, de stockage, d’évacuation.

Fig. 1. Répartition des villae et des grands établissements thermaux publics dans la cité des Éduens (fond de carte : KASPRZYK et alii, 2012, p. 109, fig. 7 ; DAO L. Borau).

  • 2 Le site d’Arcenant a récemment été réinterprété comme villa et non comme agglomération ou village ( (...)
  • 3 Recherches de R. Kapps de 1955 à 1983, de D. Prost jusqu’à la fin des années 1980 puis de P. Lauren (...)
  • 4 Nombreux rapports déposés au SRA de Bourgogne, depuis 1991.
  • 5 Nombreux rapports déposés au SRA de Bourgogne depuis 1977 et GOGUEY, 1976, p. 135-163 ; GOGUEY, 197 (...)

3Sans pouvoir être exhaustif, rappelons brièvement les principales découvertes auxquelles ces recherches se réfèrent : la villa de Saint-Germain-des-Champs dès le milieu du XIXe siècle (BAUDOIN, MOREAU, 1859, p. 75-84 ; PARAT, 1912, 1919 et 1920), puis celle de Champvert (SAINT-VENANT, 1899, p. 412-424 ; GAUTHIER, 1902, p. 449-459), de Chaintré (JEANTON, 1931, p. 53-60 ; REBOURG dir., 1994, p. 181-187) ou d’Arcenant2 (RATEL, rapports de fouille de 1987 à 1995 ; BÉNARD, 1994, p. 16-17). Plusieurs villae furent mises au jour grâce à l’investissement d’une personnalité, que ce soit dans l’Avallonais (PARAT, 1919 ; 1920, 1921), à Grimault, la Chapelle-Vaupelteigne (DUCHÂTEL, 1956 à 1972 ; LACROIX, 1958 à 1966), ou Saint-Père-sous-Vézelay (LOUIS, de 1938 à 1962). Quant à l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille, il fut fouillé pendant près de 30 ans3. À partir des années 1970, ce sont les campagnes de prospections au sol et aériennes qui renouvelèrent la recherche (J.-P. Delor4 et R. Goguey5), notamment dans l’Yonne ou la Nièvre, dévoilant ainsi un grand nombre d’établissements ruraux inconnus jusqu’alors.

4Ce travail se poursuivit dans les décennies suivantes, particulièrement dans l’Yonne où les recherches archéologiques furent très dynamiques (POITOUT et alii, 1999, 2000 ; DELOR, ROLLEY dir., 1989 ; NOUVEL, 2004 ; KASPZRYK, 2005 ; NOUVEL, 2009) et dont les principaux résultats sont rassemblés dans la carte archéologique de l’Yonne (DELOR dir., 2002). Parallèlement, les « stations thermales » furent ré-exploitées (CHARLEUF, 1867, p. 318-336 ; BONNARD, PERCEPIED, 1908, p. 438-444 ; REBOURG dir., 1994, p. 78-88) dès l’époque moderne et réaménagées, ce qui leur assura une activité jusqu’à aujourd’hui, alors que de rares opérations de sauvetage eurent ponctuellement lieu à Bourbon-Lancy (VIOLLOT, 2004 ; DUCREUX, VIOLLOT, 2006). Cependant, la plupart des vestiges sont désormais masqués par des bâtiments de cure modernes.

5Depuis les années 2010, plusieurs projets de recherche, notamment dans le nord-est de la Gaule, portent sur les formes architecturales, les hiérarchies, les équipements et l’apparat décoratif des établissements ruraux (GOGUEY, CORDIER, 2015 ; REDDÉ dir., 2017 ; REDDÉ dir., 2018). Sans pouvoir être exhaustif, on constate ainsi un fort dynamisme des recherches dans ces régions, portant sur les agglomérations secondaires (COQUET et alii, 2011 ; VENAULT, NOUVEL, 2016 ; KASPRZYK, MONTEIL, 2017) et le monde rural, en abordant de manière directe ou indirecte la place de l’eau, des réseaux hydrauliques ou des thermes. C’est le cas notamment de projets de recherche tels que « Rurland » dirigé par M. Reddé (BÉNARD et alii, 2017 ; NOUVEL, 2017), « AggloCenE » (PCR dirigé par P. Nouvel et S. Venault en 2012) ou « Ruralia » (PCR dirigé par P. Nouvel en 2019). Ce dernier a notamment mis en évidence, parmi les 4300 établissements ruraux inventoriés à l’échelle du territoire éduen, 202 sites dotés de thermes – d’après les données disponibles –, soit moins de 5 % des établissements ; parmi lesquels 168 disposent d’hypocaustes, dix-sept sont pourvus de grands bassins d’agrément et trente-neuf d’un système d’adduction d’eau. Les proportions sont donc faibles à l’échelle du territoire considéré. Mais, l’étude des structures hydrauliques et notamment des bains privés ou publics, longtemps inexploitée, semble susciter un réel intérêt depuis quelques années, après nos propres recherches sur ces questions (BORAU, 2010). En témoigne par exemple le travail conduit par F. Devevey dans la cité voisine des Lingons sur la gestion de l’eau dans les établissements ruraux de l’est dijonnais (DEVEVEY et alii, à paraître) ou la réactualisation des plans des établissements ruraux éduens permettant de reconsidérer la place des thermes dans l’architecture générale de ces résidences (GOGUEY, CORDIER, 2015 ; BÉNARD, 2017 ; NOUVEL, 2016) et plus globalement de réexaminer les formes de l’habitat rural (NOUVEL, 2009a ; NOUVEL, 2017 ; NÜSSLEIN, 2018). De plus, les rapports entre les vastes établissements thermaux et les sanctuaires (VURPILLOT, 2016) ou encore la place de l’eau dans les espaces publics et sacrés, ont également fait l’objet de nouvelles recherches (BARRAL et alii, 2015 ; TISSERAND, NOUVEL, 2013 ; NOUVEL et alii, 2018).

  • 6 J’adresse mes sincères remerciements à Alain Bouet pour ses précieux conseils.

6La carte de répartition des sites de notre corpus témoigne de la grande disparité des recherches et de zones relativement vides ou mal documentées car l’analyse se concentre sur des sites fouillés anciennement. Cette relecture propose ainsi un complément documentaire aux recherches récentes ainsi qu’une grille de lecture centrée sur un aspect spécifique, les thermes, en identifiant précisément la fonction des espaces et de leurs réseaux d’adduction et d’évacuation d’eau connexes. Dans son étude consacrée principalement à la Narbonnaise, A. Bouet6 distingue les thermes publics, les thermes publics à vocation curative, les thermes de domus et les thermes de villa (BOUET, 2003a, p. 2). À la lumière de ces travaux et en reprenant la typologie des différents espaces thermaux, il est possible de dégager l’organisation et le fonctionnement des thermes de seize villae regroupant cent seize structures hydrauliques et de trois grands établissements thermaux à vocation publique, liés à une agglomération thermale ou à une communauté rurale, comptant soixante-dix-huit structures dispersées sur le territoire éduen ou près de ses frontières. En outre, une place à part est proposée pour les sites d’Escolives-Sainte-Camille et Saint-Père-sous-Vézelay, que nous considérons comme des « cas particuliers » car faisant l’objet de débats scientifiques toujours actuels.

1. Les établissements ruraux

1.1. Représentativité des structures hydrauliques dans les villae

  • 7 Afin de donner un ordre d’idée, nous nous référons à la thèse de M. Kasprzyk qui a étudié cinq sect (...)

7Parmi les seize villae7 retenues dans cette étude (fig. 2), on constate une faible proportion de puits et de captages de source.

Fig. 2. Proportion de structures hydrauliques par catégorie dans les établissements ruraux.

8Le nombre restreint d’aqueducs découverts s’explique probablement par l’ancienneté des recherches et par l’absence d’investigation en ce sens. En revanche, les canalisations et surtout les tuyaux sont nombreux, tout comme les bassins et piscines qui représentent 20 % du corpus. Seules trois citernes sont attestées. Le réseau d’évacuation d’eau se compose de caniveaux et d’égouts représentant respectivement plus de 10 % et plus de 18 % du corpus. Enfin, quelques puisards sont reconnus et quatre sites comptent des latrines. Toutes ces catégories ne sont pas documentées de manière uniforme et parfois seuls les espaces thermaux ont été fouillés.

1.2. Le plan des villae

  • 8 Il existe notamment un type intermédiaire, « le plan ramassé », et deux types supplémentaires « à c (...)

9Dans les provinces occidentales de l’Empire romain, deux principaux types de plans de villae peuvent être distingués : le plan compact centré sur une cour et le plan linéaire/allongé composé d’un corps de bâtiment principal et d’ailes symétriques délimitant une longue cour. Toutefois, il existe de nombreuses variantes étudiées à diverses échelles8 (Van OSSEL, 1992 ; BALMELLE, 2001 ; GROS, 2001, p. 325 ; FERDIÈRE et alii, 2010 ; GAUDUCHON, 2016, p. 27-35 ; PETIT-AUPERT, 2018).

10Cette distinction s’applique parfaitement aux villae de notre corpus. Parmi celles dotées de double cours, on trouve les sites d’Escolives-Sainte-Camille, de Saint-Germain-des-Champs, de La Chapelle-Vaupelteigne, qui rappellent la villa d’Estrée-sur-Noye, et de Warfusée-Abancourt, de Lahoussoye, de Le Mesges et d’Echternach (GROS, 2001, p. 327, fig. 357, p. 328, fig. 359, p. 358 ; FERDIÈRE et alii, 2010, p. 391). Hormis la villa de Grimault, dont l’organisation est parfaitement établie, les établissements ruraux à plan linéaire sont plus hypothétiques, tel Tournus. Leurs plans sont tout à fait comparables à celui des villae d’Anthée, de Moyenvic, de Levet ou de Montmaurin (FERDIÈRE et alii, 2010, p. 366-369).

1.3. Les thermes dans les villae

11Du fait de l’ancienneté des découvertes des sites de notre étude, les phases d’installation des thermes dans les établissements ruraux restent un sujet épineux. Ils peuvent parfois correspondre à des adjonctions postérieures (LOMBARDI, CORRAZZA, 1995, p. 13-17 ; GROS, 2001, p. 327). L’identification de chaque pièce se fonde sur la typologie consacrée à la Narbonnaise, ouvrage dans lequel A. Bouet décrit le parcours thermal traditionnel : « Une fois parvenu dans l’établissement de bains, le baigneur se déshabillait dans un vestiaire (apodyterium). Deux solutions s’offraient à lui : s’échauffer « activement » en se livrant au sport dans la palestre ou dans une salle éventuellement spécialisée, s’échauffer passivement dans une pièce tiède, le tepidarium. Après cet échauffement, sportifs et non sportifs devaient se nettoyer au strigile dans une salle pouvant être réservée à cet effet dans les grands édifices, le destrictarium – avant de s’oindre d’huile (la salle spécialisée avait pour nom unctorium). Il passait ensuite dans l’étuve, le laconicum – dans le but d’activer la sudation, puis dans la salle de bain chaud, le caldarium. Avant de parvenir à la salle de bain froid, le frigidarium, il pouvait traverser une autre pièce tiède servant de sas thermique, appelée tepidarium de sortie. Il s’immergeait dans le bassin de la salle froide, ou à l’extérieur du bâtiment, dans la natatio. Une fois essuyé, il avait droit à une dernière onction qui lui assurait le bien-être et le parfumait avant de regagner l’apodyterium. Ces différentes phases du bain pouvaient se dérouler chacune dans une pièce particulière, mais, nous le verrons la plupart du temps – au moins en Gaule Narbonnaise – certaines d’entre elles étaient regroupées » (BOUET, 2003a, p. 10). Ajoutons que la piscina désigne le bassin d’eau froide, le solium correspond au bassin chaud et la schola labri est une abside recevant le labrum (ibid., p. 18, 40). Il va de soi que tous ces aménagements ne se retrouvent pas systématiquement dans les villae – on observe d’ailleurs une grande diversité dans cette province (ibid., p. 315-317) – mais davantage dans les édifices publics. En réexaminant la documentation ancienne, il est toutefois possible de restituer le fonctionnement des différents espaces et des réseaux hydrauliques chez les Éduens et quelques sites frontaliers.

1.4. Restitution des espaces thermaux de villae : étude de cas

1.4.1. La villa de Champvert

12La villa de Champvert (fig. 3) n’a pas été explorée dans son intégralité. Seul son espace thermal le fut, bien que son emplacement par rapport aux autres bâtiments ne soit pas défini (GAUTHIER, 1897, p. 313-320 ; SAINT-VENANT, 1899, p. 412 ; GAUTHIER, 1902a, p. 449-459 ; GAUTHIER, 1902b, p. 477-489 ; PAGÈS, 1982 ; BIGEARD, 1996, p. 90-96 ; DELFERRIÈRE, 2015).

Fig. 3. Plan des thermes de la villa de Champvert (DAO L. Borau).

13Les bains couvrent une superficie estimée à 1300 m², ce qui laisse envisager une villa de grande ampleur. Le plan, correspondant peut-être à plusieurs états lors d’agrandissements, permet de restituer de manière hypothétique le sens de circulation à l’intérieur du bâtiment thermal. On distingue nettement plusieurs pièces chauffées par hypocaustes complétés parfois par des tubuli, de pièces froides ou de service. L’accès s’effectuait par une volée d’escalier s’ouvrant sur une pièce centrale (J) et deux latérales, jouant le rôle d’apodyterium. La pièce I est un frigidarium centré sur une piscina octogonale de 7 m de diamètre et évacuée par une canalisation. Ce type de piscine, inconnu dans la typologie de référence (BOUET, 2003a, p. 19), existe en revanche dans les tepidaria (ibid., p. 98-100). L’une des absides du frigidarium devait renfermer une vasque. Les autres pièces sont chauffées par hypocaustes. Le baigneur accédait à un premier tepidarium G, de 5,50 m de diamètre, suivi par le destrictarium quadrangulaire F (6 x 5,60 m de côté). Plus au nord, un laconicum circulaire R de 5,50 m de diamètre également (ibid., p. 112-116) est contigu au caldarium O. Ce dernier est doté d’un solium absidal P de 2,50 m de diamètre et peut-être d’un second solium opposé quadrangulaire au nord (ibid., p. 74-77). Il existe aussi d’autres petits espaces annexes (H, F’, N). La pièce Q, de 9 m de diamètre, pourrait correspondre à un tepidarium de sortie, orné de niches, agrémenté d’une mosaïque de sol et d’un banc périphérique, donnant accès à la salle froide. Il pourrait s’agir d’un parcours circulaire, exceptionnel dans l’habitat privé (BOUET dir., 2016, p. 38). Par ailleurs, le bâtiment dispose de plusieurs canalisations d’évacuation et de caniveaux mais aucun système d’alimentation n’a été retrouvé. À l’ouest, un petit égout (St012-013) semble récolter les eaux usées pour les évacuer plus au sud vers la rivière.

1.4.2. La villa de Grimault (La Tête de Fer)

14Le plan de la villa de Grimault (fig. 4), située en limite des territoires lingon et éduen, se décline en une pars rustica et une pars urbana (LOUIS, 1953, p. 165 ; DUCHÂTEL, 1956, p. 313-315 ; DUCHÂTEL, 1957, 1958, 1959, 1960, 1962, 1963 et 1964b, p. 5-6 ; DELOR, ROLLEY dir., 1989, p. 164 ; DELOR dir., 2002, p. 386-388 ; NOUVEL, 2009).

Fig. 4. A. Plan de la pars urbana de la villa de Grimault (DAO L. Borau). B. Plan de la villa de la ‘Tête de Fer’ à Grimault (NOUVEL, 2009, p. 374, fig. 12).

15Succédant à un établissement modeste, le plan de la demeure tel qu’on le connaît est le fruit d’une lente évolution entre la seconde moitié du Ier siècle et le IIIe siècle. Dans la cour appartenant aux espaces domestiques, un bassin quadrangulaire St002 de 2 x 7 m de côté semble jouer le rôle de citerne. Entourés d’une couche d’argile, ses parements en moellons sont liés au mortier de tuileau et le fond est revêtu de dalles. Un tel bassin en position centrale par rapport au corps de logis principal s’observe également dans la villa icaunaise d’Asquins (NOUVEL, 2009, p. 372-373, fig. 11, p. 378), d’Anthée en Belgique (GROS, 2001, p. 328, fig. 360) ou dans celle d’Aylesfors-Eccles en Angleterre (GROS, 2001, p. 329, fig. 361). L’évacuation est assurée par un tuyau en bois St002a qui semble se diriger vers l’espace thermal. Par ailleurs, des caniveaux et un puisard (St003) assurent le drainage de certains secteurs de la villa.

  • 9 Il ne s’agit pas du solium du caldarium comme le suppose A. Bouet (BOUET, 2003a, p. 67).

16L’installation des bains, d’une superficie de 80 m², ne fait pas partie du projet initial de la villa mais correspond au réaménagement de bâtiments agricoles au milieu du IIe siècle (NOUVEL, 2009, p. 372). L’entrée s’effectue par l’apodyterium M, richement décoré, donnant accès au frigidarium G pourvu d’une piscina absidale de 1,80 m de diamètre (BOUET, 2003a, p. 29-32). Les autres pièces sont chauffées par hypocauste et doivent correspondre au tepidarium et au caldarium. L’abside9 formant le pendant de l’espace précédent accueillait vraisemblablement un bassin semi-circulaire de 2 m de diamètre s’opposant à un solium quadrangulaire H de 1,70 x 1,40 m de côté (BOUET, 2003a, p. 63-64), directement chauffé par le praefurnium. La pièce O pourrait être un espace de service, tout comme J. Dans la pièce contiguë, les latrines I sont nettoyées par l’eau de la piscine se déversant dans l’égout St009.

17Le réseau d’alimentation et d’évacuation d’eau peut être esquissé : un tuyau en bois St005 constituant probablement le prolongement de celui de la cour alimentait le bassin du frigidarium et peut-être les autres bassins. Un tuyau en plomb St006 assurait l’évacuation de la piscina du frigidarium connecté à un petit égout, qui récolte au passage l’eau du second bassin semi-circulaire. L’ensemble se déverse dans l’espace N, servant de puisard, qui reçoit également l’eau provenant des latrines. Cependant, la présence d’un puisard pour assurer l’évacuation de l’ensemble thermal paraît assez surprenante, à la fois pour des questions de salubrité, mais aussi des problèmes d’odeurs d’eaux croupissantes… Un conduit aurait pu assurer le drainage vers l’extérieur de la villa. On peut ainsi restituer un parcours rétrograde à l’intérieur de cet établissement.

1.4.3. La villa de la Vineuse (Villerest)

18L’établissement rural de La Vineuse (fig. 5), dégagé partiellement sur 1000 m², conserve l’ensemble de son espace thermal (Anonyme, 1955 ; Anonyme, 1957 ; BONNEFFOY et alii, 1956, p. 17-30 ; REBOURG dir., 1994, p. 204-205). Dans la pars urbana, seules quelques pièces ont été identifiées dont une chauffée, ainsi que la cour à péristyle drainée par un caniveau connecté à un petit égout. La villa est occupée du IIe-IIIe siècle au IVe siècle.

Fig. 5. Plan des thermes de villa de La Vineuse (DAO L. Borau).

  • 10 Ce bassin mesure 2,50 m de diamètre. On estime sa hauteur à 1 m environ.

19Le premier état des bains – auquel appartient le bassin F – reste mal défini. L’espace thermal du second état a une emprise de 140 m² environ et adopte un plan à itinéraire rétrograde (BOUET 2003a, p. 163). L’apodyterium G s’ouvre à l’ouest sur le frigidarium D à piscina quadrangulaire E dallé, de 2,30 x 1,50 m de côté (ibid., p. 23-28). Au nord, le tepidarium quadrangulaire C et sans bassin (ibid., p. 97-98), chauffé par hypocauste et tubuli, donne accès au caldarium B également muni d’un hypocauste. L’abside correspondrait à un bassin : il s’agirait d’un caldarium à solium absidal (ibid., p. 65-67). À proximité, l’espace de service H comprend le praefurnium et une réserve d’eau de 4 m310. Enfin, un tuyau en plomb évacuait l’eau de la piscine froide vers la pièce A, qui pourrait être interprétée comme des latrines dont les lunettes prenaient place sur la bordure orientale de la pièce. Dans ce cadre et à l’instar du site de Grimault, les eaux usées drainent les déchets des latrines, complétées d’ailleurs par celles provenant de la cour à péristyle.

1.4.4. La villa de la Chapelle-Vaupelteigne (Les Roches)

20En limite des cités lingonne et éduenne, la villa de la Chapelle-Vaupelteigne (fig. 6) présente un plan à pavillons multiples alignés se déclinant en deux parties : une pars urbana reconnue sur 900 m², centrée sur une cour carrée de 30 m de côté, et l’amorce d’une pars rustica (DUCHÂTEL, rapports de 1965 à 1972 ; NOUVEL, 2002, p. 288-291 ; NOUVEL, 2004, p. 201-204 ; NOUVEL, 2009 ; FERDIÈRE et alii, 2010, p. 376).

Fig. 6. Plan de la pars urbana de la villa de la Chapelle-Vaupelteigne (DAO L. Borau).

21S’intercalant entre l’entrée à l’est et la cour, une fontaine St001 était immédiatement visible par les visiteurs : elle s’apparentait soit à un bassin semi-circulaire maçonné de 4,55 m de diamètre, soit à une abside renfermant une vasque, l’ensemble étant alimenté par un tuyau en bois St002 à l’arrière. Dans le quart sud-est de la cour, un puits St003 a également été reconnu.

22Pour des raisons de sécurité (BOUET dir., 2016, p. 38), l’espace thermal est rejeté à l’angle nord-est de l’habitation et couvre une superficie de plus de 300 m². L’emplacement de l’apodyterium n’est pas assuré (par la pièce L2 ?). La pièce L4 correspond au frigidarium à piscina quadrangulaire, dallé, de 3 x 1,30 m de côté (BOUET, 2003a, p. 23-28). La pièce L7 pourrait être un tepidarium quadrangulaire sans bassin (ibid., p. 97-98) s’ouvrant sur le caldarium L8, identifié comme tel en raison de la présence de tubuli et de traces d’hypocauste : il pourrait exister deux solia opposés ou perpendiculaires (ibid., p. 72-82). La pièce B correspond à des latrines dont les lunettes sont installées au-dessus d’un égout longeant le mur nord. Les pièces L5 et L6 sont réservées au service (présence d’un praefurnium chauffant L7). Le plan des thermes est à itinéraire rétrograde (ibid., p. 163). Une partie seulement du système d’évacuation a été identifiée : c’est le cas du bassin du frigidarium, pourvu d’un tuyau en plomb St006 prolongé par un tuyau en bois St007-008 et protégé par un conduit en pierre se dirigeant vers l’est. Un tuyau en plomb St009 prend place entre la cour et la pièce L9. Par ailleurs une frette a été découverte dans la pièce B.

23Les modalités d’alimentation en eau de ces thermes et de la fontaine demeurent inconnues : existait-il une citerne, un aqueduc ou un captage de source non reconnus jusqu’à présent ? En outre, une structure antérieure aux salles de l’angle nord-ouest de la villa a été mise en évidence. L’hypothèse d’un espace thermal à cet emplacement est à réfuter et il faut plutôt envisager l’existence d’un bassin (St004) à ciel ouvert, dans lequel plusieurs éléments organiques ont été piégés. Ce bassin mesure 9,50 x 2,25 m, soit plus de 21 m². Il est maçonné et imperméabilisé par une couche d’argile. Cette technique, reconnue sur d’autres sites tels qu’à Bibracte (BORAU, 2016, p. 355-364 ; BORAU, 2020), est généralement employée pour des bassins à ciel ouvert. De plus, lors de sa découverte, l’eau sourdait à travers les interstices du mur. Les proportions de ce bassin rappellent d’ailleurs celui de Grimault. Il appartient donc à une phase plus ancienne de la villa, masqué ensuite par l’installation de différentes pièces (L17) dont certaines sont chauffées (L11). Enfin, à l’est, dans la cour de la pars rustica et près du bâtiment Sr2, un second puits St013 a été découvert. À titre de comparaison, la villa de la Chapelle-Vaupelteigne, n’est pas sans rappeler la villa de Montmaurin du premier état (FOUET, 1969 ; GROS, 2001, p. 345, fig. 393 ; FERDIÈRE et alii, 2010, p. 367-368), disposant d’une cour carrée et de bains au nord-est.

1.4.5. La villa de Martailly-lès-Brancion (Stouvre)

24La villa de Martailly-lès-Brancion (fig. 7), occupée de la fin du Ier siècle au IIIe siècle, n’est connue qu’au travers de ses thermes privés, d’une superficie de 100 m² (Anonyme, 1961, p. 1-6 ; REBOURG dir., 1994, p. 450-451). Leur installation ne fait pas partie du projet initial mais du réaménagement d’un bâtiment préexistant.

Fig. 7. Plan des thermes de la villa de Martailly-lès-Brancion (DAO L. Borau).

25L’apodyterium reconnu dans la pièce P1 permet d’accéder au frigidarium (pièce P3) à piscina quadrangulaire St004 de 1,65 x 1,70 m (BOUET, 2003a, p. 23-28). Les pièces P4 et P5 sont identiques et chauffées par des tubuli et un hypocauste dont la bouche du praefurnium s’ouvre dans la pièce P5. Par conséquent, il faut reconnaître un tepidarium quadrangulaire sans bassin dans la pièce P4 (BOUET, 2003a, p. 97-98), un laconicum quadrangulaire sans bassin dans la pièce P5 et un caldarium dans la pièce P6, dans lequel on restitue un solium rectangulaire au nord (ibid., p. 63-64, 112-115). Le baigneur suivait donc un itinéraire rétrograde (ibid., p. 163). De modestes canalisations d’évacuation (provenant des pièces P2-P3) se jettent dans un petit égout St001 installé sous le sol de l’apodyterium et se prolongent vers l’ouest.

1.4.6. La villa des Chagnats à Saint-Germain-des-Champs

26Seule une partie de l’établissement rural de Saint-Germain-des-Champs (fig. 8), au lieu-dit ‘Les Chagnats’, est reconnue, et sa chronologie reste incertaine.

Fig. 8. Plan de la pars urbana de la villa des Chagnats à Saint-Germain-des-Champs (DAO L. Borau).

27La pars urbana s’organise autour de deux cours (CHASTELLUX, 1840, p. 86-90 ; Anonyme, 1841, p. XXV ; CHASTELLUX, 1842, p. 15-17 ; ROSSIGNOL, 1842, p. XV ; CHASTELLUX, 1843, p. 155-158 ; BAUDOIN, MOREAU, 1859, p. 75-84 ; PARAT, 1912, p. 45-58 ; PARAT, 1919, p. 13-25 ; PARAT, 1920, p. 121 ; PARAT, 1921, p. 134-138 ; OLIVIER, 1983, p. 206 ; DELOR dir., 2002, p. 576-582). On peut donc logiquement restituer une troisième cour plus au sud, circonscrite par les bâtiments à vocation agricole, à l’image de la villa de Woodchester en Angleterre (GROS, 2001, p. 342, fig. 388 ; FERDIÈRE et alii, 2010). La cour méridionale est délimitée à l’ouest par plusieurs espaces à usage domestique (pièce de réception, chambre ?) parmi lesquelles on observe une petite salle de bain : depuis la cour, la pièce G s’ouvre sur la pièce F qui renferme une baignoire E de 1,90 x 2,50 m de côté, revêtue d’un plaquage de marbre et desservie par un tuyau en plomb St002. En complément, à l’angle nord-ouest de la seconde cour, des bains, dont la superficie est estimée à 270 m² environ, étaient vraisemblablement accessibles depuis la galerie orientale de la cour. La fonction de chaque espace reste hypothétique : la pièce 1 pourrait servir d’apodyterium, juste à côté du frigidarium identifié dans la salle 2, probablement à piscina absidale (BOUET, 2003a, p. 29-32). Grâce à quelques marches, le baigneur parvenait aux salles contiguës 3, 4 et 5 chauffées par hypocaustes parmi lesquelles il faut envisager la présence d’un tepidarium, d’un laconicum et d’un caldarium à solium quadrangulaire. Les espaces de service sont localisés au sud-ouest. Mais les données manquent de précision pour identifier l’ensemble des espaces et le réseau d’eau.

1.4.7. Autres particularités des établissements ruraux

28La villa de Chaintré (Clos Reyssié) a fait l’objet de dégagements de manière discontinue rendant la restitution de son plan difficile (JEANTON, 1931, p. 53-60 ; MASSAUX, 1937, p. 24-30 ; DUBŒUF, 1973, p. 1-2 ; DUMAS, 1991a, p. 86-87 ; DUMAS, 1991b ; REBOURG dir., 1994, p. 181-182). Un aqueduc semble avoir assuré son approvisionnement en eau. Il captait une source reconnue à 700 m de la villa : les piédroits du canal sont construits en moellons liés au mortier de tuileau et une couche de même nature sert à l’imperméabilisation de son cuvelage. Il était sans doute couvert de dalles. Ce type de conduit, modeste, est tout à fait comparable aux exemplaires du sud de la France tel que Paulhan (MAUNÉ et alii, 2005, p. 131-145) ou Carcassonne (PASSELAC, 2005, p. 107-118). De plus, le bâtiment dispose d’un bassin de grandes dimensions, de 6 x 2,80 m minimum de côté, installé sur une couche d’argile et revêtu de mortier de tuileau intérieurement. Il était comblé d’un dépôt noirâtre et pouvait agrémenter la cour de la maison, rempli par l’eau de pluie, telle une citerne à l’image de la villa de Grimault déjà évoquée. Les autres bâtiments sont traversés par un réseau de canalisations de drainage, peut-être en relation avec l’espace chauffé par hypocauste (espace thermal ?). Or, la villa de Chaintré constitue, avec le site de Saint-Moré, le seul exemple d’établissement rural doté d’un aqueduc privatif (DELOR dir., 2002, p. 156, 595).

29À Tournus, la villa de ‘en Belnay’ a la particularité de conserver plusieurs tuyaux en terre cuite desservant un probable espace thermal, la cour et un autre bâtiment (REBOURG dir., 1994, p. 464 ; DEVEVEY, TRISTAN, 2006).

1.5. Le cas particulier d’Escolives-Sainte-Camille (Grippe-Soleil)

  • 11 La bibliographie est très abondante : KAPPS, BAILLOUD, 1957 ; BARBET, 1986 ; Rapports de KAPPS de 1 (...)

30La fonction de ce site a longtemps été débattue : agglomération secondaire, ancien sanctuaire associé à des thermes, établissement rural, praetorium… Occupé du Ier siècle av. J.-C. au Ve siècle ap. J.-C., il couvre une superficie de 6000 m². Les structures datant du Haut-Empire restent mal connues et pourraient correspondre à un premier établissement rural. Les éléments architecturaux d’un édifice plus ancien – attribué pour certains à un sanctuaire et pour d’autres à un bâtiment public indéterminé – ont été remployés dans les fondations de cet établissement. Toutefois, les constructions les mieux connues sont celles du IIIe et IVe siècles et comptent 122 pièces ! Cet ensemble peut correspondre à un vaste établissement rural à deux cours et pavillons alignés – hypothèse la plus couramment admise – dont la pars rustica se développe à l’est (DELOR dir., 2002 ; KASPRZYK, 2004 ; FERDIÈRE et alii, 2010, p. 364). La relecture de la volumineuse documentation produite suite à de nombreuses années de fouille permet d’en restituer une partie de l’organisation11.

1.5.1. Le captage de source : une installation ancienne ?

31La source du Creusot, située au sud de l’établissement rural et aux pieds d’une pente abrupte, sourd à travers les failles du terrain calcaire (fig. 9).

Fig. 9. a. Plan du captage et des bâtiments au nord de l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille (fond de plan : VURPILLOT, 2016, p. 196, fig. 22 ; DAO L. Borau) ; b. plan général de l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille (fond de plan : FERDIÈRE et alii, 2010, p. 411, pl. 4 ; DAO L. Borau).

32Ses eaux devaient être collectées dans un bassin de captage de source (St031) qui fut partiellement dégagé. Dépassant 20 x 9 m de côté et 1,70 m de hauteur, il a une forte emprise au sol puisqu’il atteint 180 m². Sa capacité, supérieure à 306 m3, constitue une réserve d’eau importante. Son mode de construction, singulier, se caractérise par une épaisse couche d’argile crue rapportée (provenant sans doute du sommet de la colline) de 1,50 m d’épaisseur et 2 m de profondeur entourant le bassin extérieurement, et les parois se composent de blocs de moyen appareil en calcaire. Or, cette technique a déjà été observée sur plusieurs sites éduens (BORAU, 2016, p. 355-364) ou sur le site lingon de La Chapelle-Vaupelteigne déjà évoqué. À l’angle nord-ouest, une poutre de bois quadrangulaire pourrait correspondre à un ancien tuyau en bois dont l’orifice central n’aurait pas été reconnu par les découvreurs. Le parement ouest du bassin devait servir de mur de soutènement pour les salles étagées contiguës. Au nord, aucune construction n’existe entre le bassin et la pièce TA.

  • 12 Cependant, la technique de construction présente des similitudes avec des structures plus anciennes (...)

33On peut restituer la chronologie générale de ce secteur. Les espaces RC et RH sont probablement les premiers bâtiments qui furent installés à l’ouest de la source. Puis, le bassin fut construit. Pour D. Prost (PROST, 1986, p. 41), le mode de construction, principalement l’emploi du grand appareil, situe la construction au Haut-Empire. Cette hypothèse semble confirmée par la présence de monnaies du Ier-IIe siècle – certes en faible quantité – correspondant probablement à l’utilisation de ce dernier12. À la fin du Ier siècle ou au IIe siècle, de nouveaux espaces RE et RG, généralement considérés comme des habitats, furent aménagés et leurs peintures murales furent installées à la fin du IIe siècle. Ces constructions du Haut-Empire pourraient s’étager en amont vers le sud. La seconde couche d’utilisation du bassin date du IIIe-IVe siècle et témoigne donc d’un usage tardif. La pièce RG fut ensuite remblayée, puis d’autres structures s’installèrent, notamment des ateliers de travail du bois près de la cour occidentale. Finalement, l’ensemble du secteur est détruit et abandonné (LAURENT, 1994d, p. 11).

34Les diverses couches de remplissage du bassin permettent d’envisager sa fonction. En effet, au fond, deux couches d’utilisation noirâtres renferment du mobilier, et la présence de nombreux branchages et de fruits de différentes espèces prouve que le bassin était à ciel ouvert. De plus, la découverte d’une frette de tuyau en bois et d’un contrepoids en fer et bois implique une gestion de l’eau par le biais d’une vanne, comme le soulignait D. Prost (PROST, 1985, p. 48). Un seul élément en bois à motifs géométriques s’apparente à un ex-voto. Cependant, dans les pièces proches RE-RG, plusieurs ex-voto ont été mis au jour : deux figurations de poitrines féminines en bronze, le buste en bronze d’un personnage féminin et une cage thoracique en bois. Le bassin contenait en outre de nombreux objets en bois manufacturé, deux chaussures en cuir et des quartiers de viande en connexion anatomique. Enfin, trois monnaies du Haut-Empire, dont une de Domitien, ont été découvertes et onze autres datant de l’Antiquité tardive : la faible quantité de monnaies découvertes pourrait témoigner d’un curage régulier. Ce bassin a sans doute fait l’objet de pratiques cultuelles dont l’importance reste difficile à évaluer. S’agit-il de pratiques ponctuelles et locales, dans le cadre familial des occupants de cet établissement ou, au contraire, d’une source sacralisée liée à un sanctuaire antérieur souvent évoqué ? En 1992, S. Deyts rappelait ce problème : à quel moment peut-on parler de pratique coutumière, ou de véritable culte lié à une source ? (DEYTS, 1992, p. 55-61). Il est difficile de trancher.

  • 13 J.-P. Adam s’est heurté aux mêmes problèmes pour le bassin d’Argentomagus et a mis en évidence sa f (...)

35En revanche, la fonction utilitaire de la source paraît tout à fait évidente bien que cet aspect ait souvent été négligé13. L’importante capacité de ce bassin ainsi que le débit journalier de la source estimé, selon les saisons, par R. Kapps entre 28 et 60 litres par seconde (KAPPS, 1973b, p. 139), expliquent aussi le choix de ce site. Au regard du débit journalier (fig. 10), l’abondance de cette source justifie pleinement son captage et la mise sous conduite d’une partie de l’eau pour un usage domestique et thermal.

Fig. 10. Estimation du débit de la source du Creusot.

  • 14 Une seconde canalisation (St009) est constituée de blocs monolithes pourvus d’une rigole centrale. (...)

36Une évacuation des eaux vers l’est – actuellement sous le lit du cours d’eau – paraît tout à fait vraisemblable : un tel dispositif assurait la vidange du bassin qui risquait de déborder, mais aussi l’alimentation des thermes plus au nord, en mettant à profit une eau disponible en continu. Par ailleurs, le débit de la source permet d’écarter l’hypothèse selon laquelle les canalisations transportaient de l’eau dans le bassin (PROST, 1985, p. 48 ; LAURENT, 1994d, p. 8), en raison d’une trop faible pente des conduits. Ces canalisations, installées successivement, évacuaient le bassin grâce à la vanne précédemment citée. Elles circulent à l’ouest à travers une cour dans des niveaux antérieurs au IVe siècle. Deux canalisations ont été observées dans ce secteur. L’une d’elles (St010), comportant des piédroits maçonnés au mortier de tuileau et un fond dallé, part de la paroi ouest du bassin14 et contourne le bâtiment vers l’ouest. D’ailleurs le rétrécissement de la canalisation, du sud au nord, tend à augmenter le débit. Elles pourraient approvisionner les espaces thermaux.

37Ainsi, cette source a d’abord été captée pour former une vaste rétention d’eau, sous forme d’un bassin et disponible pour les bâtiments proches. Créé très probablement au cours du Ier siècle ap. J.-C., il a également fait l’objet de pratiques cultuelles. Puis l’eau est mise à profit pour l’alimentation des thermes édifiés dans un second temps. En outre, le bassin conditionne l’emplacement et l’orientation d’une partie des bâtiments ultérieurs appartenant à cet établissement, principalement ceux de la cour qui lui sont parallèles.

1.5.2. L’établissement rural et les thermes

38La fonction des pièces méridionales et occidentales de l’établissement rural d’Escolives n’a pas été clairement établie. Parmi elles, plusieurs salles chauffées ne semblent pas se rattacher à des espaces thermaux (fig. 9 et 11).

Fig. 11. Plan des thermes de l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille (DAO L. Borau).

39À l’emplacement de la future cour ID, des constructions datent du Ier-IIe siècle. Au nord-est, un bâtiment édifié avant les espaces DK, DL, DI, EB, DD, DP et DH, est construit à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle. Puis la cour ID est créée à la fin du IIIe siècle et pourrait être antérieure aux thermes. Elle mesure 880 m² et couvre le quart de la superficie totale de l’établissement. Les pièces de l’aile nord sont interprétées par P. Laurent comme des citernes, des chaudières ou encore des piscines (LAURENT 1991, p. 5 ; 1996b, p. 45). Toutefois, si l’on considère uniquement le plan des espaces ATP et AWP, ils semblent correspondre au caldarium à solium quadrangulaire (BOUET, 2003, p. 63-64) ou à trois solia quadrangulaires (ibid., p. 88-90).

40L’analyse des différents états des thermes reste complexe en raison des orientations différentes des bâtiments enchevêtrés les uns aux autres. Toutefois, on constate un agrandissement progressif des bains : initialement constitués de quelques pièces, ils sont ensuite pourvus d’une palestre, à l’image des thermes publics, se rapprochant du plan de ceux de Stabies à Pompéi (GROS, 2002, p. 493, fig. 442). Un couloir GC distribue les espaces ouest et est, encadrés d’ailleurs par les cours B et EB.

  • 15 Type 7a ou 9b1 (BOUET, 2003a, p. 63-64, 77-79).
  • 16 Il ne s’agit pas d’un tepidarium à bassin absidal comme semble le suggérer A. Bouet (BOUET, 2003a, (...)
  • 17 A. Bouet propose un intéressant tableau comparatif de quelques palestres de Narbonnaise (BOUET, 200 (...)

41À l’est, on distingue trois états successifs : seule la datation du troisième état est assurée et se situe au IIIe siècle. Au cours de l’état 1, les espaces GB, ED et H sont construits. Ils sont chauffés et probablement munis de bassins dont témoignent les canalisations d’évacuation d’eau. Il pourrait s’agir soit d’un caldarium à un solium quadrangulaire, soit d’un caldarium à deux solia perpendiculaires15. L’ensemble couvre une superficie de 95 m² environ. Puis l’espace chauffé F est construit un peu après. Au cours de l’état 2, plusieurs pièces sont créées : EC, ED, EF, EH, LA, FL (sous FA-LB), GB, H, mais aussi E, L, EA, GB (sous F). Ces bains regroupent un caldarium à solium absidal de 3 m de diamètre en EF (BOUET, 2003a, p. 65-67) et un frigidarium à piscina quadrangulaire de plus de 3 m de côté (ibid., p. 23-29). L’espace thermal est alors porté à près de 130 m². Au cours de l’état 3, de nouveaux bains d’une superficie de 200 m² environ sont installés et s’organisent autour de la cour EB. Au sud, de nouvelles salles E, EA, F, FA, L, LB sont construites. Cependant, on distingue un changement dans les fonctions de certains espaces : à l’origine la salle E est chauffée et FA, une pièce froide. Puis l’espace E devient un bassin froid et FA est chauffé (ibid., p. 29-32). La progression, dans des espaces aux températures de plus en plus élevées, s’effectue donc d’ouest en est. Les absides contiennent des bassins comme la structure E ou des vasques du type laconicum quadrangulaire à schola labri (ibid., p. 29-32, 116)16. La palestre EB couvre une superficie de près de 180 m² (19,50 x 9,20 m de côté). À titre de comparaison17, elle dépasse celle des thermes du nord de Saint-Romain-en-Gal, d’une superficie de 81 m², mais n’égale pas les thermes de Glanum, de 260 m². Au nord, une natatio DK (ibid., p. 141-143) de 8,50 x 5 m de côté (soit 42,50 m²) prend place – peut-être couverte d’une toiture – et flanquée de deux petits bassins semi-circulaires de 3 m de diamètre (pédiluves ?). Si l’on tient compte de l’ensemble des aménagements de ce complexe thermal, la superficie atteint alors 430 m². L’évacuation des bassins est généralement assurée par des tuyaux en plomb connectés à des égouts formés de dalles.

42À l’ouest, les pièces DD, DC, DB, D, DF, DP, DE sont considérées comme un second espace thermal d’une superficie inférieure à 100 m². Au nord, l’espace chauffé DD correspond à l’apodyterium permettant aux baigneurs de se rendre soit à l’est, soit à l’ouest. Puis se succèdent d’est en ouest, le frigidarium, avec probablement une piscina DP mesurant 2 x 1,20 m de côté, le tepidarium DB s’ouvrant sur le caldarium D chauffés par le praefurnium DE, flanqué de deux absides, l’une semi-circulaire DA (2 x 1,10 m) et l’autre quadrangulaire DF (2 x 1,20 m de côté), que l’on peut interpréter comme des bassins. Il s’agit donc d’un frigidarium à piscina quadrangulaire (BOUET, 2003a, p. 22-28), d’un tepidarium quadrangulaire sans bassin (ibid., p. 95-98) et d’un caldarium à solia opposés absidal et quadrangulaire (ibid., p. 74-77). Le réseau d’alimentation en eau n’est pas reconnu. En revanche, l’égout provenant de la cour ID passe sous ces pièces et doit logiquement les desservir. Un autre égout a été reconnu sous la salle DD. Le mobilier découvert dans ce secteur, notamment les abondantes épingles et bijoux, tend à supposer qu’il s’agit de bains réservés aux femmes, à la différence de la section orientale, dépourvue de ce type de mobilier. Cet ensemble thermal est élevé soit au IIIe siècle et il serait donc contemporain des bains de l’est, soit à la fin du IIIe ou au IVe siècle, au même moment que les espaces B-BA.

43Enfin, des latrines DH sont créées dans l’ancien bâtiment DG et correspondent à une phase tardive, mais antérieure au dernier état des thermes (BOUET, 2009). Elles couvrent une superficie de près de 10 m² (3,86 x 2,70 m de côté). L’entrée s’effectuait à l’ouest et les lunettes, longeant les murs est et nord, surmontaient un égout dont le fond est revêtu de tegulae, se jetant probablement dans le prolongement de l’égout provenant de DB. Le sol dallé des latrines est drainé par un caniveau creusé dans le sol et un bassin monolithe fait office de petite réserve d’eau.

44Si les deux premiers états des bains ne posent pas de problème, en revanche, la subdivision de l’état 3 soulève quelques interrogations. Ainsi, l’apodyterium semble ouvert sur l’extérieur, donnant l’impression de deux accès possibles : l’un à partir du couloir GC, l’autre, depuis l’extérieur au nord. D’ailleurs, l’emplacement des latrines renforce ce constat. Le dédoublement de cet espace thermal, qui couvre une superficie de 530 m² au total, n’est pas exceptionnel et bien que cela s’observe aux extrémités des ailes de certaines villae, cette organisation est très rarement comprise. Généralement, la distinction entre hommes et femmes caractérise les thermes publics (BOUET, 2003a, p. 305-306). En revanche, dans le cas des villae, il peut s’agir de phases successives, d’utilisation à des saisons différentes ou encore de destinataires différents (pour les propriétaires et pour le personnel par exemple), comme cela a été observé par exemple dans la villa de Muscapeù à Tourves dans le Var (BOUET dir., 2016, p. 45).

45L’étude de P. Van Ossel sur la villa d’Echternach (Luxembourg) vient éclairer la compréhension du cas éduen (Van OSSEL, 1992, p. 127-128). Au IVe siècle, les bains de la demeure subissent de profondes transformations, notamment l’agrandissement du frigidarium au détriment de la surface habitée : « Ce paradoxe n’a pas échappé aux fouilleurs. Constatant que les bains de la villa possédaient au IVe siècle des installations que la plupart des bains publics de cette époque ne possédaient pas (sauf Trèves), ils supposent à ces bains une fonction publique. Ils auraient repris de la sorte le rôle curatif du sanctuaire de source de Keffebur, tout proche de la villa et abandonné au IVe siècle. Un tel phénomène (mélange privé-public ; sacré-profane) n’est pas inconnu au Bas-Empire et peut être comparé aux découvertes en tout point semblables de la villa de Gadebridge Park en Angleterre […]. Un dernier fait étonnant peut être relevé. Ce n’est aussi qu’au IVe siècle que des latrines sont construites dans les villas […]. »

46La présence d’un grand frigidarium constitue souvent le principal argument déterminant un usage public des bains de ces villae. Il n’en est pas de même à Escolives-Sainte-Camille. Toutefois, la présence de la palestre, dont les dimensions sont comparables à celles de thermes publics de Narbonnaise, la morphologie générale des bains de l’est rappelant ceux de Stabies, également publics, le dédoublement des espaces thermaux en deux bâtiments qui accroissent nettement la superficie, et la position de l’apodyterium, tendent à supposer un tel statut à Escolives-Sainte-Camille – à moins qu’il faille le mettre en relation avec le possible praetorium ? Ce changement s’opérerait au IIIe ou au IVe siècle. D’ailleurs, nous l’avons vu, les plans des bains des villae sont généralement assez similaires et dépourvus de palestre. Le seul autre site disposant d’une palestre est justement le bâtiment thermal public de Saint-Père-sous-Vézelay. Le transfert d’une fonction curative d’un probable sanctuaire de source vers les bains de cet établissement rural constitue une nouvelle piste de recherche.

1.5.3. Les réseaux d’alimentation et d’évacuation d’eau

47En complément, de nombreuses frettes appartenant à plusieurs tuyaux en bois ont été mises au jour au nord et au sud de la cour ID, protégées parfois par un conduit en pierre. Deux tuyaux en plomb évacuent l’eau des bassins (St018, St020). D’autres systèmes d’évacuation sont réalisés à partir de tubuli en remplois, notamment à l’ouest de la cour et près de l’espace GB. Une canalisation (St003) observée à l’angle nord-est de la cour et constituée de blocs de remplois se jette dans un puisard (St004). Dans le quart nord-est de la cour, un petit égout (St006) constitué de dalles passe sous deux arcs de décharge puis poursuit son parcours vers le nord (sous les espaces BA et DB) et peut-être vers les latrines. D’autres canalisations faites de dalles évacuent les bassins froids au nord de la palestre. Ces diverses canalisations d’évacuation (St025-026) semblent diriger naturellement les eaux vers le nord, suivant la pente naturelle du terrain.

48D. Prost estimait que la partie ouest de l’établissement thermal restait à explorer pour découvrir le système d’alimentation en eau (PROST, 1986, p. 7). Or, la position des thermes par rapport au bassin de captage de source tend à supposer que ceux-ci n’ont pas été implantés par rapport à l’arrivée d’eau : si tel avait été le cas, les thermes auraient jouxté le bassin. Deux, voire trois arrivées d’eau sont envisageables : les aqueducs contournant par l’ouest l’établissement rural, une canalisation hypothétique passant à l’est sous l’actuel cours d’eau, les tuyaux en bois de la cour ID.

49Enfin, dans la partie orientale, attribuée à la pars rustica, deux espaces de circulation datés des Ier-IIe siècles ont été reconnus : l’un d’eux est bordé d’un bassin ou d’une fontaine de bord de voie (St033) de 1,40 x 2,20 m de côté.

1.6. Bilan sur les établissements ruraux

50Parmi les seize établissements recensés dans notre étude, douze possèdent des thermes mais seulement sept sont bien documentés. Cette recherche a toutefois permis de dégager quelques caractéristiques.

51En premier lieu, on peut distinguer ces établissements ruraux en fonction de la superficie de leurs bains (fig. 12) qui, en tant que lieu de prestige et de convivialité, reflètent la richesse des propriétaires terriens.

Fig. 12. Superficie des bains des établissements ruraux par ordre croissant.

52Ce tableau met en évidence à la fois l’agrandissement progressif des bains d’Escolives-Sainte-Camille et une superficie inférieure à 200 m² pour la moitié des établissements du corpus, hormis Champvert. Les superficies des exemplaires éduens sont globalement équivalentes voire supérieures à celles des villae récemment étudiées en Seine-et-Marne ou en Aquitaine par exemple (BOUET dir., 2016, p. 39-42 ; PETIT-AUPERT, 2018, p. 60-61). P. Gros confirme cette diversité d’un site à l’autre : « les thermes, signe évident du transfert irrésistible des agréments urbains vers la résidence rurale, peuvent y prendre des proportions inusitées : ils atteignent 350 m² à Barat-de-Vin, 290 m² à Lalonquette… » (GROS, 2001, p. 331-332). Or, la typologie des thermes établie pour la Narbonnaise convient parfaitement aux exemplaires éduens. Globalement, les plans sont assez simples, se limitant à quatre ou cinq pièces successives, à l’exception de Champvert. Ces plans ramassés, tels ceux de La Vineuse et de Martailly-lès-Brancion, s’observent dans d’autres régions, comme à la villa de Saint-Pathus en Seine-et-Marne (HURARD, LEFEUVRE, 2016, p. 48-51) ou de ‘La Vieille Baune’ dans le Val-d’Oise (VERMEERSCH, 2016, p. 57-62). En outre, on constate la récurrence d’un seul bassin dans chaque pièce thermale, quadrangulaire ou absidal, ce dernier type étant généralement considéré comme plus tardif. Le plan original de la piscina octogonale de Champvert est à rapprocher de celui de Servon (L’arpent Ferret) en Seine-et-Marne et caractérise l’Antiquité tardive (BOUET dir., 2016, p. 40-41). En revanche, la schola labri, héritière des plans campaniens (BOUET, 2003a, p. 43, 159), n’est pas fréquente. Il semblerait que le parcours circulaire, comme à Champvert, soit beaucoup moins répandu que l’itinéraire rétrograde comme à Grimault, La Vineuse, La Chapelle-Vaupelteigne, Martailly-lès-Brancion et probablement Escolives-Sainte-Camille. Ce type est également privilégié en Narbonnaise (BOUET, 2003a, p. 163 ; BOUET, 2018, p. 38).

53En second lieu, certaines villae se caractérisent par la présence de bassins jouant le rôle de citernes au centre de leurs cours. Leur morphologie et leurs dimensions sont assez semblables : à Grimault (2 x 7 m), à La Chapelle-Vaupelteigne (2,25 x 9 m) ou à Chaintré (2,80 x 6 m). Ils doivent participer à l’approvisionnement en eau de ces établissements, dont les réseaux se révèlent finalement assez mal connus, en particulier les aqueducs privatifs. Les tuyaux en bois ont très probablement été privilégiés (Grimault, La Chapelle-Vaupelteigne, peut-être Escolives-Sainte-Camille). La vidange des bassins s’effectue généralement grâce à un tuyau en plomb, parfois connecté à un tuyau en bois ou directement à un petit égout maçonné (La Vineuse, La Chapelle-Vaupelteigne, Escolives-Sainte-Camille). L’ensemble des systèmes de réservoirs et de chaudières liés aux thermes fait malheureusement défaut, objet de récupérations (BOUET, 2003a, p. 212-224).

54En troisième lieu, certains établissements ruraux possèdent des latrines : c’est le cas de Grimault, Escolives-Sainte-Camille, La Chapelle-Vaupelteigne et, vraisemblablement, La Vineuse. Il s’agit de « latrines simples » (BOUET, 2003a, p. 154, pl. 144 ; BOUET, 2009 ; BOUET dir., 2016, p. 43), de plan quadrangulaire, disposant de sièges sur un côté de la pièce et toujours associés aux bains.

2. Les grands complexes thermaux

2.1. Les structures hydrauliques dans les grands établissements thermaux en quelques chiffres

55Trois sites à vocation thermale sont retenus dans cette étude (fig. 13) : Bourbon-Lancy, Saint-Honoré-les-Bains et Saint-Père-sous-Vézelay.

Fig. 13. Proportion de structures hydrauliques par catégorie dans les grands établissements thermaux publics.

56De manière générale, les puits représentent la catégorie de structures hydrauliques la plus importante, de l’ordre de 28 %, ainsi que les tuyaux avec 24 % alors qu’un seul aqueduc a été reconnu et très peu de canalisations. Les piscines et les bassins correspondent à 19 % du corpus. Aucun puisard, citerne ou fontaine n’a été identifié. Des latrines sont attestées sur un seul site, lacune imputable à l’état des recherches tout comme pour les caniveaux et les égouts, représentant chacun 2,6 %, alors que les thermes sont pourtant de gros consommateurs d’eau nécessitant des systèmes d’assainissement développés.

2.2. Les thermes de Bourbon-Lancy

57L’origine du mot Aquae Bormonis vient du dieu Borvo, dieu guérisseur gaulois romanisé, à l’image de Bourbonne-les-Bains ou Bourbon-l’Archambault (CHEVALLIER, 1992, p. 12).

58L’implantation d’un vaste établissement thermal public à cet emplacement s’explique par la présence de sources thermales chaudes atteignant 46° à 58° et dotées de propriétés particulières (hyperthermales, chlorurées, radioactives, bicarbonatées et peu minéralisées), qui soulagent les rhumatismes. Bourbon-Lancy se situe au sud du territoire éduen, non loin de la frontière arverne, mais également à 40 km d’un autre complexe thermal, Saint-Honoré-les-Bains. La petite agglomération à laquelle il est associé se situe au carrefour de plusieurs voies. Le site est occupé du Ier siècle av. J.-C. à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe siècle ap. J.-C. Les thermes sont liés à deux sanctuaires : l’un dédié à Borvo et sa parèdre Damona, l’autre à Apollon. La connaissance des structures antiques reste limitée en raison de l’édification de bains modernes au milieu du XIXe siècle et toujours en activité aujourd’hui (COURTÉPÉE, 1848, p. 180-189 ; BULLIOT, 1892, p. 392-393 ; BONNARD, PERCEPIED, 1908, p. 438-444 ; LOUIS, 1985 ; GAULEJAC, 1988 ; REBOURG dir., 1994, p. 78-88 ; NOTET, 1994, p. 57-58 ; VIOLOT, 2004).

59Les thermes (fig. 14) sont essentiellement connus par leur captage de sources et quelques bassins.

Fig. 14. Plan des thermes de Bourbon-Lancy (DAO L. Borau).

60Un riche mobilier architectural et de puissants murs associés à des salles chauffées par hypocauste ont été découverts mais leur localisation reste imprécise. Globalement, les données sont anciennes et parfois divergentes. Selon certains auteurs, il existerait un bassin en pierres de taille près de la résurgence, d’où partirait un tuyau en plomb installé dans une galerie technique. Mais selon d’autres, sept tuyaux en plomb alimenteraient depuis la résurgence sept puits de captage. Le plus grand de ces puits (St005) mesure 3,40 m de diamètre et 12 à 19 m de profondeur. Il doit jouer le rôle de réservoir car le fond est pavé et les parois sont réalisées en moellons de « marbre » et de granite, dans lesquelles des ouvertures laissent s’écouler l’eau. Un escalier assurait la descente dans le puits. De ce dernier part une canalisation qui alimente une piscine circulaire, appelée « le bain royal ». Les autres puits (St007-016), aux morphologies et dimensions variées (1,20 m de diamètre ; 1,80 m de côté ; 1,50 à 1,90 m de profondeur), sont connectés à des canalisations se dirigeant vers les piscines plus au nord. Quant à la salle principale, elle était accessible par cinq portes et décorée de niches semi-circulaires et carrées agrémentées de statues et de tuyaux d’alimentation en eau. Elle renfermait une piscine circulaire de 12,60 m de diamètre. À côté, une piscine quadrangulaire centrale (ou est-ce simplement une salle ?) était encadrée de deux piscines terminées par une abside.

61Ces informations ne permettent pas de distinguer les piscines chaudes des piscines froides, ni de restituer un parcours thermal. Toutefois, l’organisation symétrique des aménagements et la position centrale de la pièce circulaire rappellent dans une certaine mesure les plans des thermes impériaux comme ceux de Caracalla disposant d’un caldarium à rotonde (GROS, 2002, p. 403, fig. 456). Par conséquent, on pourrait se demander si le plan n’est pas inspiré de ces thermes à plan symétrique qui se développent à partir de l’époque néronienne (ibid., p. 397 ; BOUET, 2003a, p. 179). À titre de comparaison, le frigidarium des thermes de Fréjus comporte un bassin encadré de douze niches décoratives (BOUET, 2003a, p. 39) : or, ce type de plan se retrouve également dans les thermes à vocation curative. Bien que les données soient imprécises, le réseau de canalisations regroupe des tuyaux en plomb, des conduits maçonnés et un collecteur voûté, de 1,80 m de hauteur et 0,60 m de largeur minimale. Selon certains auteurs, il recevait le tribut de cinquante-trois canalisations secondaires : cette information confirme l’existence d’un réseau très bien organisé. En complément, il est intéressant de signaler la découverte, dans un puits, d’une inscription évoquant la mise en place d’une fontaine ou sa réparation.

62Enfin, attardons-nous un instant sur le Panégyrique de 310 (Panégyrique VII) dédié à Constantin, dans lequel l’orateur décrit la renaissance du culte d’Apollon, honoré par l’empereur, et l’existence d’un sanctuaire éduen dédié à cette divinité et doté d’un élément particulier : les sources chaudes. Les chapitres XXI et XXII retracent cet épisode : « c’est avec raison que tu as honoré ces temples augustes de dotations si riches qu’ils ne regrettent plus les anciennes offrandes et que tous les temples déjà semblent t’appeler de leurs vœux, en particulier celui de notre Apollon, dont les eaux brûlantes punissent les parjures que tu dois plus que personne détester. Dieux immortels, quand nous accorderez-vous ce jour où cette divinité si bienfaisante, après avoir partout établi la paix, viendra là-bas aussi visiter les bois sacrés d’Apollon, son temple vénéré et les bouches fumantes de ses fontaines dont les eaux jaillissent couvertes de buée par leur douce tiédeur sembleront sourire à tes yeux, Constantin, et s’offrir d’elles-mêmes à tes lèvres. Tu admireras sûrement là-bas aussi le sanctuaire de la divinité protectrice et ces eaux chaudes (1) issues d’un sol qui ne porte pas la moindre trace de feu : rien n’est désagréable dans leur saveur ou leurs émanations, mais au goût et à l’odorat elles rappellent la pureté des sources froides. Là encore tu feras des présents, tu établiras des privilèges, bref tu rendras son prestige à ma patrie, en multipliant les marques de vénération pour le lieu même. Cette noble et antique cité qui se glorifia jadis de la fraternité du peuple romain attend le secours de ta majesté, afin que chez elle également les édifices publics et les temples les plus magnifiques se reconstruisent grâce à ta générosité. C’est ainsi que je vois ici (2) une cité fortunée […]. C’est pourquoi il suffit à mes vœux que, guidé par ta bonté, tu viennes visiter ma patrie : elle retrouvera sa grandeur passée dès que tu l’auras visitée. Mais ce bonheur qui sait si à mon âge je dois le connaître ? ».

  • 18 « S’il ne désigne pas nommément celle qu’il appelle ‘patriam meam’, [ma patrie] c’est d’Autun cepen (...)
  • 19 D’ailleurs, si de telles sources avaient existé, elles auraient logiquement été aménagées.

63L’interprétation de ce passage est toujours débattue. Certains auteurs, comme le traducteur E. Galletier18, ont voulu voir dans l’expression ‘patriam meam’ [ma patrie], la ville d’Autun. Si la présence d’un temple d’Apollon à Autun est très probable (KASPRZYK, 2012, p. 263 ; HOSTEIN, 2012 ; BORAU, 2015, p. 151-152), il en existe également à Bourbon-Lancy, à Entrains-sur-Nohain, à Nuits-Saint-Georges et vraisemblablement à Auxerre. Or, seuls deux sites éduens disposent de sources chaudes de manière assurée : il s’agit de Bourbon-Lancy et de Saint-Honoré-les-Bains. En revanche, à Autun, les « fontaines chaudes » signalées près de l’aqueduc de Montjeu ne présentent en réalité aucune propriété particulière19. Du fait de cette absence, il faut peut-être envisager une autre hypothèse : l’expression ‘patriam meam’ renverrait à la cité d’Autun et non à sa capitale. La référence aux sources chaudes pourrait ainsi désigner l’un ou l’autre établissement thermal. D’ailleurs Bourbon-Lancy et Saint-Honoré ne se situe chacun qu’à 60 km d’Autun, soit environ deux jours de marche. Dès 1890, L. Bonnard envisageait cette hypothèse pour Bourbon-Lancy (BONNARD, PERCEPIED, 1890, p. 83). L’identification de cette dernière paraît logique puisqu’un temple dédié à Apollon est attesté et qu’elle possède des sources à la température très élevée, qui ont été magnifiées et sont à l’origine de l’installation des thermes.

2.3. Les thermes de Saint-Honoré-les-Bains

  • 20 On dispose de plusieurs plans que nous avons réunis pour proposer une restitution hypothétique des (...)

64Saint-Honoré-les-Bains, Aquis Nisinaei (COLLIN, CHARLEUF, 1865 ; CHEVALLIER, 1992, p. 12), était vraisemblablement liée à une modeste agglomération. La plupart des recherches sont anciennes et les bâtiments thermaux du milieu du XIXe siècle s’élèvent sur le bâtiment de captage supérieur. L’édifice thermal romain proprement dit n’a pas fait l’objet d’un plan d’ensemble20 et seuls les captages ont été sommairement étudiés lors de la redécouverte des sources (CHARLEUF, 1867, p. 318-336 ; BAUDIAU, 1865-1867a, p. 587-592 ; De SOULTRAIT, 1875, p. 29 ; BONNARD, PERCEPIED, 1908, p. 448 ; GAULEJAC, 1988, p. 39-44 ; NIAUX, 1990 ; BIGEARD, 1994, p. 56).

Fig. 15. Plan des captages des thermes de Saint-Honoré-les-Bains (DAO L. Borau).

65Il existe deux bâtiments de captage (fig. 15) et leur contemporanéité n’est pas certaine. Le bâtiment le plus élevé, de plan quadrangulaire entouré d’un caniveau périphérique (St007), possède un pavement de marbre et les longs côtés sont rythmés de deux niches semi-circulaires encadrant une niche centrale carrée. Elles renfermaient des piédestaux supportant des statues. L’organisation générale du bâtiment et son riche décor témoignent d’une mise en valeur de la source : elle a vraisemblablement été sacralisée et pourrait jouer le rôle de sanctuaire de source en relation avec l’édifice thermal. Son système de captage se rapproche de celui de Bourbon-Lancy puisqu’il comporte un puits central circulaire, encadré de deux puits plus modestes, et de deux autres puits quadrangulaires (St001-005). À partir de ces derniers partent des canalisations se rejoignant pour ne former qu’un conduit central (St017) probablement destiné à l’alimentation des thermes.

66En contrebas, le second bâtiment de captage est un édifice rectangulaire terminé par deux absides, également délimité par un caniveau (St008). Les monnaies découvertes dans cet édifice s’échelonnent du début du Ier siècle à la deuxième moitié du IVe siècle. À l’instar de Bourbon-Lancy, il comporte sept puits de captage (St009-015), installés de part et d’autre d’une canalisation centrale revêtue de marbre, à laquelle ils sont connectés par le biais de canalisations secondaires. Un seul puits est circulaire, les autres sont quadrangulaires. Un bassin St020 vient compléter l’ensemble. Le plan et l’aménagement intérieur de l’édifice, tout comme l’emploi de marbre, témoignent d’une volonté de mise en valeur architecturale de ce second captage. La canalisation centrale se prolonge au-delà du bâtiment et rejoint la canalisation précédente pour desservir les thermes. En complément, d’autres canalisations ont été reconnues : l’une partant de la paroi ouest correspond à un égout, les autres, en plomb et en terre cuite (St021-022-023), sont associées à un espace dallé avec hypocauste (COLLIN, CHARLEUF, 1865, p. 38).

67En l’état actuel des connaissances, le plan de l’édifice thermal antique ne peut être défini : d’après les témoignages anciens, il existait des piscines, des hypocaustes, des salles décorées d’enduits peints, de mosaïques et de marbre. Néanmoins, l’implantation de thermes à cet emplacement se justifie pleinement – ce dont témoigne leur pérennité jusqu’à nos jours – puisque l’eau possède des propriétés particulières : ces sources thermales sont dites sulfurées et chlorurées sodiques, faiblement arsenicales et comportent une quantité importante de silice. Leur température varie entre 24° et 30°. Elles soignent les problèmes de voies respiratoires et de rhumatismes. À titre de comparaison, l’établissement thermal de Néris-les-Bains (Allier) comporte également sept puits de captage : ce nombre aurait pu revêtir une valeur symbolique (GIRARDY et alii, 2016, p. 573).

2.4. Le cas particulier des thermes de Saint-Père-sous-Vézelay : le site des Fontaines Salées

68La création du vaste établissement thermal des Fontaines Salées à Saint-Père-sous-Vézelay (fig. 16) est due à la présence de résurgences d’eaux salines provenant de failles de la roche granitique, surmontées d’arènes et d’argiles. Il est aménagé dans une vallée alluviale, le long d’une rivière, la Cure, et délimitée par une terrasse qui a été creusée pour l’installation des bâtiments.

Fig. 16. Plan des thermes des Fontaines Salées à Saint-Père-sous-Vézelay (DAO L. Borau).

  • 21 La bibliographie est très abondante : rapports de LOUIS de 1939 à 1947 et de 1962a, 1962b ; THÉVENO (...)

69Deux hypothèses s’affrontent et font toujours débat : soit il jouxte une petite agglomération installée le long de voies, soit l’ensemble fouillé par René Louis correspond à la résidence sur cour d’une villa avec ses balnéaires. La première hypothèse rappelle en cela le site d’Aix-les-Bains où l’établissement thermal est géré par une communauté rurale (LEVEAU et alii, 2005). La seconde hypothèse est tout aussi valable mais dans ce cas, elle pourrait n’entretenir aucun lien direct avec les thermes puisque ces derniers se situent à une distance de plus de 800 m, suivant une orientation totalement différente des vestiges d’une possible cour délimitée par des bâtiments, observés sous le village et au lieu-dit ‘La Corvée’. En l’absence de nouvelles fouilles, il est difficile de trancher. Dans tous les cas, outre la présence de la grande palestre et d’autres arguments que nous allons développer ci-après, la superficie des espaces thermaux (atteignant 6570 m²) est telle qu’ils ne peuvent que revêtir une fonction publique. Au IVe siècle, un habitat de saunier se développe au nord-ouest du bâtiment thermal. En dehors des puits à sel hallstattiens (nos 1 à 10), le site a fait l’objet de plusieurs aménagements. Les fouilles sont anciennes et ont parfois été dictées par des hypothèses préétablies qui peuvent rendre confuse la compréhension générale du site. C’est pourquoi une relecture des espaces thermaux s’imposait. L’analyse du mobilier céramique et monétaire témoigne d’une fréquentation des Fontaines Salées jusqu’au début du Ve siècle au moins21.

2.4.1. Le premier édifice thermal et les structures contemporaines

70Le premier bâtiment thermal est édifié au Ier siècle ap. J.-C. et correspond aux espaces AC, AE, V, R-Z-U, BI, J, K, BE, BO. La salle AC, au plan assez singulier formant un quart de cercle de 17,50 m de longueur périphérique et de 3,50 m de largeur, a d’abord été identifié par R. Louis comme une salle de douche, en raison de la présence d’orifices dans les parties hautes du mur nord-ouest (LOUIS, 1943b, p. 32). Or, il s’agit de latrines publiques dont les lunettes prennent place sur la paroi opposée, au-dessus d’un égout et agrémentées sur un côté de tuyaux formant des fontaines. L’espace AE correspond à un apodyterium de 10,50 m de diamètre, chauffé par un praefurnium AA. La salle V sert de couloir de distribution et communique avec chaque pièce latérale. La pièce R-Z-U comportait à l’origine une piscine quadrangulaire d’eau froide de 37,50 m² (5 x 7,50 m de côté) revêtue de marbre : il s’agit d’un frigidarium à piscina quadrangulaire (BOUET, 2003a, p. 23-28). Elle est associée à un égout et à un tuyau en bois protégé par une galerie technique en pierre. La fonction des autres pièces n’a pu être établie.

71À l’extérieur de l’établissement et plus à l’est, un bassin ou puits quadrangulaire St001 prend place au centre d’une structure circulaire de type péribole BJ. Ce puits/bassin est construit en petit appareil imperméabilisé sur son pourtour par une couche d’argile crue et pavé au fond. Il mesure 1,45 x 1,52 m de côté. L’eau parvient à la surface par les interstices des dalles du fond. Il était couvert d’une superstructure en bois. Le mur de péribole, réalisé en calcaire, de 14,91 m de diamètre, comporte un accès au sud et un autre au nord-ouest et délimité par un espace de circulation périphérique. Or, dans la couche argileuse près du mur du péribole, un dépôt de 106 monnaies a été découvert. Elles sont datées d’Auguste à Antonin le Pieux et n’excèdent pas les années 153-155. Au IIe siècle, le péribole est arasé pour l’installation des espaces BA et BF mais le puits/bassin carré est conservé. Puis sa superstructure est ravagée par un incendie dont les éléments calcinés ont été retrouvés gisant au fond du puits. Au-dessus, deux lots de monnaies datées de l’époque constantinienne et du IVe siècle semblent correspondre à des offrandes rituelles. Cet espace sacré fonctionnerait avec un bassin au plan en T St007 [BO] aux dimensions considérables : il mesure 53 m de longueur, 25 m de largeur et couvre une superficie totale de 1 246 m². Par ses dimensions et en l’absence de tout élément de couverture – tuiles, structures porteuses de type colonne, épaisseur plus importante des murs –, il faut supposer que ce bassin était à ciel ouvert. Or, plusieurs objets singuliers ont été mis au jour, en particulier des coupelles à libation dans ce bassin et des fragments de statuaire dans le portique BG. En complément, dans les salles BA, BJ, L, M, K, ce sont des fragments de statuettes en calcaire représentant des parties anatomiques (une cuisse, une main tendue tenant un objet indéterminé et un phallus percé) ainsi qu’une déesse-mère en terre cuite assise dans un fauteuil, une Vénus sortant du bain (en BA) et une statuette masculine portant des vêtements gaulois percée de trous de suspension, en BF. Ces six figurines sont des ex-voto. L’ensemble de ces découvertes témoigne de pratiques cultuelles. Cependant, l’existence d’un temple à proximité reste hypothétique. Au nord-est du site, trois blocs, dont l’un servant de base ou de couronnement (1,49 x 0,69 m de côté) et deux autres sculptés de bas-reliefs (personnage féminin et parties anatomiques), furent mis au jour et témoigneraient de l’existence d’un lieu de culte consacré à la Fortune (LOUIS, 1943, p. 50-52 ; DAUVERGNE, 1944, p. 61-65 ; NOUVEL, 2002, p. 610). Une tête en bronze de Minerve coiffée d’un casque corinthien fut également découverte, sans description ni localisation précises. Récemment, l’hypothèse d’un sanctuaire a été réfutée par D. Vurpillot (VURPILLOT, 2016, p. 426-428).

2.4.2. Le second édifice thermal

  • 22 A. Bouet a démontré les problèmes d’interprétations que posent les espaces intermédiaires, dans les (...)

72Au IIe siècle, l’établissement thermal de Saint-Père-sous-Vézelay subit des transformations. L’apodyterium AE donne accès à un petit frigidarium V doté d’une piscina quadrangulaire à l’est (BOUET, 2003a, p. 23-28), mesurant 2,50 x 1,50 m de côté, évacuée par un tuyau en plomb. La grande salle RZU est subdivisée en trois espaces : l’espace R devient un tepidarium à bassin quadrangulaire (ibid., p. 101-103) de 8 x 3,50 m de côté, chauffé par un praefurnium Y. La pièce Z pourrait remplir la fonction de laconicum à schola labri en raison de la présence d’une abside au nord (ibid., p. 116). Il est chauffé par le praefurnium AB qui desservirait également la pièce U : il pourrait correspondre au destrictarium22. Les deux pièces mesurent chacune 17,50 m² (3,50 x 5 m de côté). Les salles à l’ouest (X, Y, AM) sont considérées comme des espaces de service. Plus au sud, la pièce Q est un caldarium dont le solium central mesure 6 m de diamètre, dallé de marbre reposant sur un hypocauste, chauffé par un praefurnium à l’ouest (T). Les pièces reconnues se suivant selon un même axe permettent d’envisager un itinéraire rétrograde (ibid., p. 163). Les deux grandes piscines, circulaire et quadrangulaire, ne sont pas sans rappeler celles des thermes d’Aquae Flavianae en Algérie, également alimentés par des eaux thermales (THÉBERT, 2003, p. 621, pl. LXXI). Cette partie du bâtiment éduen pourrait correspondre aux thermes thérapeutiques (BOUET, 2018).

73Plus au sud, un ensemble de pièces reste mal défini. Il pourrait s’agir des thermes hygiéniques (BOUET, 2018), comprenant la pièce J donnant accès à la pièce P par des escaliers. Un hypothétique frigidarium O renferme une piscina de 4,50 x 3,75 m de côté. La pièce BN possédait peut-être un bassin d’eau tiède. L’espace BP-BM serait chauffé par un praefurnium BH. L’espace BP concorderait bien avec un bassin. Ce second espace thermal orienté est-ouest comprendrait des vestiaires à l’est et des pièces froide, tiède et chaude à l’ouest, toutes trois à bassins quadrangulaires (BOUET, 2003a, p. 23-38, 63-64, 101-103). Cependant, de nombreux objets de toilette ont été retrouvés dans les pièces A à I : ces dernières pourraient correspondre à des vestiaires liés aux activités de la palestre, ou encore à des espaces réservés aux femmes. C’est d’ailleurs le cas à Augusta Raurica (Augst : FELLMANN, 1992, p. 129-130) ou à Jemelle (villa de Malagne en Belgique : BOUET dir., 2016, p. 45). Quant aux pièces F, D, B, il pourrait s’agir de salles de sport non chauffées prenant logiquement place en bordure de la palestre, comme cela a déjà été supposé pour d’autres sites (BOUET, 2003a, p. 123-124). Néanmoins, la multiplication des pièces de A à J pourrait trouver une interprétation différente. Comme le souligne A. Bouet (ibid., p. 120-121, 290) : « Le bain curatif se pratiquait dans les stations thermales dont les vertus des eaux étaient bien connues et dûment répertoriées. Nous avons vu que ces édifices étaient différents des autres ensembles de bains par l’importance et la multiplicité de leurs bassins. Aux aménagements collectifs, sont juxtaposées des salles plus petites permettant une personnalisation de la médication » (ibid., p. 290). L’existence d’espaces curatifs et réservés aux malades (ibid., p. 292) liés aux thermes thérapeutiques est une hypothèse tout à fait admissible aux Fontaines Salées.

74En complément, à l’est, une vaste palestre couvre une superficie de 1 020 m² (40 x 25,50 m). Elle est encadrée d’un portique sur trois côtés et dotée de deux entrées, au nord et au sud. Il s’agit donc d’une palestre sans natatio (BOUET, 2003a, p. 139-141). Ses dimensions importantes sont comparables à celles des thermes du Nord de Vaison-la-Romaine ou de Stabies à Pompéi (ibid., p. 144, pl. 135 ; GROS, 2002, p. 493, fig. 442).

75Par ailleurs, lors de cette phase, la création de nouveaux espaces permet d’intégrer le grand bassin au plan en T aux thermes. À l’est, l’entrée centrale de la façade est encadrée de baies cintrées et vitrées, décorées de pilastres, donnant accès à une large pièce BA qui sert vraisemblablement de grande salle d’entrée. Elle s’ouvre sur la pièce L au nord par un passage de 3 m de largeur. À l’ouest, elle est séparée de l’espace BG par une simple colonnade qui correspond au prolongement du portique encadrant la partie nord. L’espace BA est sans doute postérieur à BG. On doit logiquement restituer un escalier sur la bordure occidentale de l’espace BG afin d’accéder au bassin BO. Ainsi, cette section de l’édifice thermal est agrémentée d’une façade luxueuse au cours de cette seconde phase afin d’harmoniser l’ensemble architectural.

76Des traces de restauration témoignent du maintien de l’activité durant le IIIe siècle. La fonction thermale de l’édifice pourrait être abandonnée au IVe siècle pour des usages très différents : un habitat en R et surtout une activité de saunier en St007 [BO], dans le portique BA et la palestre S. L’occupation ne s’étendrait pas au-delà du Ve siècle et le site ferait l’objet de récupérations intensives de matériaux et vraisemblablement d’objets dont la faible quantité doit être interprétée en ce sens. Cependant, ces datations sont anciennes et probablement à réviser.

77Le plan de l’édifice thermal reste incomplet. Il manque vraisemblablement des pièces à l’ouest, détruites par le cours d’eau formé à partir du captage de St007 [BO]. L’asymétrie est assez surprenante entre le bassin St007 [BO] et la partie nord de l’édifice. Comme le soulignait très justement P. Nouvel (NOUVEL, 2002, p. 610), on ignore s’il existait d’autres aménagements à l’ouest, sur la colline, car aucune recherche n’a jamais été menée dans ce secteur en dehors de la source.

78L’évolution globale de l’édifice montre qu’au cours de l’état 1, il couvre une superficie de 2 500 m². À partir du IIe siècle, l’établissement thermal doit attirer davantage de curistes souhaitant soulager leurs rhumatismes grâce à l’eau salée. L’édifice prend alors de l’ampleur, phénomène qui touche l’ensemble de ce type d’édifices en Gaule, en atteignant près de 6570 m².

2.4.3. Source et canalisations

  • 23 Vitruve n’attribue aucune vertu particulière aux « eaux salines » (VITRUVE, VIII, III, 6).

79Le réseau de canalisations de Saint-Père-sous-Vézelay se perçoit de manière morcelée. À l’ouest, un captage de source a été identifié sous d’épais remblais : un bassin en grès de 1,40 x 0,70 m de côté est associé à un aqueduc de section en V, mesurant 1,60 m de profondeur et 0,40 m de largeur. L’important débit de la source, de l’ordre de 8 000 l/heure, soit 192 000 l/jour, explique le choix d’installer des thermes à cet emplacement. De plus, l’eau salée forme un bouillonnement de bulles d’hélium, bénéfiques pour soigner les rhumatismes23. Elle alimente le grand bassin St007 [BO]. À l’extrémité occidentale de ce bassin, un second captage a été mis en évidence : il s’agit d’un puits creusé et chemisé de trois blocs percés d’un orifice central de 0,24 m de diamètre par lequel l’eau gazeuse jaillit (St002). À titre de comparaison, c’est également le cas à Gréoux et Aix-en-Provence où le fond des piscines correspond au substrat rocheux faillé d’où l’eau jaillit (BOUET, 2003a, p. 194). Le bassin des Fontaines Salées constitue une considérable réserve d’eau : en effet, si l’on restitue une hauteur minimale de 1 m, alors la capacité de ce bassin est de 1 246 m3. Deux hypothèses peuvent être émises : soit des canalisations partent du bassin St007 [BO] pour alimenter l’espace thermal, soit une dérivation de la source, non reconnue, approvisionne directement les thermes, par exemple depuis l’ouest.

80En complément, des tuyaux en plomb desservent les piscines Q et R pour l’adduction et pour l’évacuation d’eau, dont l’un est installé dans une galerie technique de 0,35 m de largeur, enduite au fond de mortier de tuileau. Des tuyaux en bois alimentaient les fontaines des latrines AC.

81La partie nord-ouest, au moins, était drainée par un égout. À la différence de R. Dauvergne, qui supposait une évacuation générale vers l’ouest dans un hypothétique ancien bras de la rivière, il faut plutôt envisager une évacuation vers le nord dont l’exutoire serait nécessairement la Cure. L’égout évacue ainsi les eaux usées de la salle AC et doit très certainement collecter les eaux d’autres canalisations. Sa section mesure 0,45 x 0,55 m et il devait être couvert de dalles. Sa forte pente de 3 % permet d’évacuer rapidement les eaux usées. Un caniveau est également présent dans les latrines. Enfin, la palestre était longée (probablement sur chaque côté) par un caniveau monolithe St025 creusé d’une gorge longitudinale visible in situ.

2.5. Bilan sur les grands complexes thermaux : thermes thérapeutiques et sanctuaires

  • 24 VITRUVE, VIII, III, 4.
  • 25 C. Bourgeois signale l’existence de statues en bois découvertes à Saint-Honoré-les-Bains (BOURGEOIS(...)

82C’est l’eau qui a déterminé la construction des trois complexes thermaux. En effet, chaque site possède des sources aux vertus singulières. Elles n’ont pas qu’un rôle utilitaire mais aussi curatif, possédant des propriétés thérapeutiques puisqu’elles soulagent les rhumatismes. Celle de Saint-Honoré-les-Bains soigne également les problèmes des voies respiratoires. Rappelons que Vitruve24 décrit attentivement la qualité des sources chaudes et leurs propriétés thérapeutiques. Par conséquent, les thermes thérapeutiques se distinguent des thermes hygiéniques d’abord par la qualité de ses eaux (BOUET, 2018). Mais la morphologie des piscines pourrait aussi constituer un argument en faveur de cette fonction. En effet, des salles à bassin circulaire chauffé d’utilisation indéterminée ont été mises en évidence à Fréjus (109, 50 m²) ou à Aix-les-Bains (9 m²). En Narbonnaise, trois des quatre édifices dotés de piscines circulaires chauffées sont à vocation curative (BOUET, 2003a, p. 118). Or, une piscine circulaire existe à Bourbon-Lancy (St013) et une autre chauffée à Saint-Père-sous-Vézelay (St011). En outre, cette fonction peut être confirmée par la présence d’ex-voto qui constituent l’un des critères déterminant la fonction thérapeutique d’une source ou d’un lieu et établissant l’existence d’une pratique cultuelle (BOURGEOIS, 1991, p. 122 ; DEYTS, 1992, p. 57). Mais l’identification d’une pratique cultuelle ne signifie pas nécessairement l’existence d’un sanctuaire de source (BEN ABED, SCHEID, 2003 ; VURPILLOT, 2016). La question est notamment soulevée pour le site récemment fouillé de Magny-Cours (TISSERAND, NOUVEL, 2013). Les sites des Sources de la Seine et de Chamalières (COROT, 1932 ; DEYTS, 1983 ; FAUDUET, 1992, p. 199) font figure de référence et plus récemment celui de Villards-d’Héria (NOUVEL, 2011) du fait de la présence d’ex-voto et d’aménagements spécifiques autour de la source qui n’est pas accessible à tous. Le mobilier découvert dans les trois établissements thermaux éduens reste très modeste. Saint-Père-sous-Vézelay25 est le seul site à posséder des ex-voto, dont certains de forme anatomique, ainsi que des coupelles à libation. Si le manque de fouilles pourrait expliquer cette lacune, c’est toutefois le cas de la plupart des sites de Gaule du Centre et de l’Est (BOURGEOIS, 1991, 1992) ou plus largement (AUPERT 1991, p. 186). A. Ben Abed et J. Scheid ont bien montré la difficulté d’identifier un sanctuaire de source et la seule présence d’un puits, d’une source ou de thermes ne peut être un argument déterminant (BEN ABED, SCHEID, 2003).

  • 26 On trouve également des thermes non curatifs associés à des temples (BOUET, 2003a, p. 294).
  • 27 Le puits et le bassin où des offrandes ont été découvertes ne font pas réellement partis des therme (...)

83À l’issue de cet examen, il faut envisager des pratiques cultuelles liées aux sources thermales bienfaisantes, ce que confirme la présence d’ex-voto, déposés ponctuellement dans ces établissements thermaux curatifs, à l’image de ceux d’Aix-en-Provence et d’Aix-les-Bains qui conservent des témoignages de dévotion (notamment des dédicaces aux nymphes ; BOUET, 2003a, p. 295). Toutefois, la pratique du culte devait s’opérer ailleurs, c’est-à-dire dans le sanctuaire26. C’est justement ce que suppose P. Aupert : « dans la plupart des ensembles de cure, le temple est distinct des établissements de bain proprement dit et c’est lui qui recueille les dédicaces et ex-voto des fidèles guéris » (AUPERT, 1991, p. 185). L’ancienneté des découvertes ne permet généralement pas de localiser de temple à proximité des thermes. C’est notamment le cas en Narbonnaise, à l’exception de Balaruc-les-Bains (BOUET, 2003a, p. 299). En territoire éduen, Bourbon-Lancy est le seul site où sont attestés deux sanctuaires, l’un dédié à Apollon, l’autre au dieu Borvo et sa parèdre Damona : tous deux peuvent entretenir des liens avec les thermes. À Saint-Honoré-les-Bains, le captage de source a probablement fait l’objet d’un culte singulier dont témoigne la présence de piédestaux supposant l’existence de statues de divinités. Le cas de Saint-Père-sous-Vézelay reste problématique. Aucun temple n’a été découvert, seuls quelques blocs sculptés pourraient en matérialiser la trace. Le puits/bassin entouré d’un péribole pourrait faire office de sanctuaire en raison de la présence de monnaies jetées dans le cadre de pratiques rituelles. Mais le péribole disparaît ensuite au profit de l’extension de l’espace thermal27. Pour J. Scheid : « les thermes des sanctuaires de sources présentent des aménagements particuliers par rapport aux bains proprement dits, permettant aux patients de se baigner dans une eau vive et non domptée (par des robinets ?) ou manipulée (par exemple chauffée). » (SCHEID, 1991, p. 209). Or, à Saint-Père-sous-Vézelay, l’espace thermal est associé à un vaste bassin en T tout à fait original et en lien avec deux arrivées d’eaux, l’une à l’ouest transportée par l’aqueduc, l’autre provenant directement d’un puits ouvert dans le sol à l’extrémité ouest dudit bassin…

Conclusion

84La relecture des fouilles anciennes n’est pas un exercice facile en raison de l’hétérogénéité des données. Cependant, cette synthèse, portant uniquement sur des sites découverts avant le XXIe siècle, vise à comprendre un aspect singulier de la vie quotidienne des Gallo-Romains, l’organisation de la pratique thermale, à la lumière d’études méditerranéennes bien documentées (BOUET, 2003a). Elle contribue donc à enrichir la connaissance globale de la société antique du Centre-Est de la Gaule romaine en dehors des capitales de cité et vient compléter les études plus récentes conduites sur ce territoire, évoquées en introduction (REDDÉ dir., 2017 ; REDDÉ dir., 2018).

85Au terme de cette recherche, on constate tout d’abord que les villae, tout comme les grands établissements thermaux publics, ont une place particulière au regard des autres types d’occupation à l’échelle du territoire éduen et de ses marges (BORAU, 2010). Dans une étude de synthèse, nous avions notamment montré que si la capitale de cité Augustodunum semble pourvue d’équipements hydrauliques variés et performants (BORAU, 2010, 2015), ce n’était pas le cas des agglomérations secondaires (BORAU, à paraître). Leur présence reflète la volonté des propriétaires d’adopter le mode de vie à la romaine en matière de confort, matérialisée par des équipements hydrauliques de bonne qualité et notamment d’espaces réservés aux bains, privilégiant le parcours à itinéraire rétrograde. Grâce à la typologie réalisée en Narbonnaise (BOUET, 2003a), il est possible de comprendre et de restituer pour la première fois l’organisation générale de ces bains privatifs sur ces sites. La plupart de ces établissements, fouillés anciennement, ont un plan assez simple et possèdent un nombre équivalent de pièces : après l’apodyterium, le baigneur traverse progressivement des espaces à la température de plus en plus élevée. Certaines villae comportent des latrines. Le cas d’Escolives-Sainte-Camille se révèle plus problématique, à la fois pour appréhender son organisation générale, mais aussi ses fonctions, puisque l’on suppose son usage soit par une aristocratie locale, soit par des fonctionnaires de l’Empire (KASPRZYK, 2004, p. 249-250). En revanche, ses espaces thermaux, dont nous avons pu restituer l’aménagement par phases chronologiques, ne posent pas de véritables problèmes, si ce n’est la détermination de leur statut, public ou privé.

86Cette étude a également permis de mettre en perspective les bains des établissements ruraux éduens avec certains exemplaires de Narbonnaise ou d’autres provinces. La présence de bassins jouant le rôle de citerne dans les cours des pars urbana a été mise en évidence dans plusieurs villae dont les plans sont comparables à certains établissements du nord de l’Empire. Du fait de l’ancienneté des découvertes, il est cependant difficile d’en dresser un tableau chronologique.

87Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’existence d’un sanctuaire de source, en association avec une villa ou un autre type d’établissement, à Escolives-Sainte-Camille. Le captage, réalisé à partir d’un vaste bassin, associé à des ex-voto, pourrait avoir fait l’objet de pratiques cultuelles dont pourraient témoigner les blocs remployés dans les fondations des bâtiments. Mais, contrairement à l’idée généralement admise (THÉVENOT, 1966, p. 20-27), le nombre de sanctuaires de source en territoire éduen reste limité, comme le confirment les études les plus récentes (BEN ABED, SCHEID, 2003 ; BORAU, 2010, p. 250-253 ; VURPILLOT, 2016). Néanmoins, l’existence de pratiques cultuelles semble attestée dans les grands complexes thermaux publics. Bien qu’imparfaitement fouillés, ils possédaient des aménagements élaborés associés très certainement à des sanctuaires : on soupçonne des pratiques cultuelles peut-être liées à l’eau à Saint-Honoré-les-Bains et à Saint-Père-sous-Vézelay. En outre, des similitudes entre les systèmes de captage des thermes de Bourbon-Lancy et de Saint-Honoré-les-Bains ont été mises en évidence.

88Par ailleurs, le réexamen de ces grands établissements thermaux publics a bien démontré leur vocation thérapeutique, où sourdent des eaux abondantes et aux vertus particulières. En témoignent Saint-Honoré-les-Bains et Bourbon-Lancy où des bains modernes ont remplacé les thermes romains. L’histoire de Saint-Père-sous-Vézelay est un peu différente : à l’époque moderne, ces sources d’eaux salées ont été cachées, enfouies sous d’épais remblais pour des raisons économiques liées à la gabelle (GUYARD et alii, 2004, p. 2). Par ailleurs, la localisation de ces sources s’avère beaucoup moins commode puisqu’elles se situent près d’un bras de rivière, dans une zone inondable. Ainsi, ces trois sites ne revêtent pas un simple rôle thermal destiné à l’hygiène du corps mais également un rôle thérapeutique. Le plan de Saint-Père-sous-Vézelay suggère des fonctions spécialisées pour les baigneurs et pour les curistes malades. Ce site a souvent posé problème et cette relecture propose d’appréhender différemment cet établissement thermal.

89Ainsi, le réexamen des espaces thermaux éduens issus de fouilles anciennes renouvelle la documentation et la compréhension de ces sites aux plans souvent incomplets. L’objet de cette analyse n’était pas de présenter une synthèse des thermes à l’échelle de la cité – vaste sujet de recherche qui mériterait une étude exhaustive sur plusieurs années, reprenant à la fois les fouilles anciennes et les découvertes récentes. Cependant, en s’appuyant sur une typologie déjà éprouvée, elle propose une nouvelle grille de lecture de ces thermes, qui pourrait être développée à l’ensemble du territoire éduen et ses marges à l’avenir.

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Notes

1 Ce travail est tiré d’une thèse (BORAU, 2010) et se limite à l’inventaire établi en 2010. Les données ont été réactualisées jusqu’en 2019, sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité. Par ailleurs, je remercie P. Nouvel pour ses conseils éclairés pour la rédaction de cet article.

2 Le site d’Arcenant a récemment été réinterprété comme villa et non comme agglomération ou village (VENAULT, NOUVEL, 2015).

3 Recherches de R. Kapps de 1955 à 1983, de D. Prost jusqu’à la fin des années 1980 puis de P. Laurent jusqu’aux années 1990.

4 Nombreux rapports déposés au SRA de Bourgogne, depuis 1991.

5 Nombreux rapports déposés au SRA de Bourgogne depuis 1977 et GOGUEY, 1976, p. 135-163 ; GOGUEY, 1977 ; GOGUEY, 1979, p. 71-83 ; GOGUEY, 1993.

6 J’adresse mes sincères remerciements à Alain Bouet pour ses précieux conseils.

7 Afin de donner un ordre d’idée, nous nous référons à la thèse de M. Kasprzyk qui a étudié cinq secteurs privilégiés de la cité des Éduens et de Chalon. En regroupant l’ensemble de ses données, il recense près de 215 sites pour les II-IIIe siècles dans la cité des Éduens, correspondant à la période d’apogée (KASPRZYK, 2005, p. 280, 291, 295, 297, 302). Pour une bibliographie relative à l’ensemble des sites mentionnés dans la fig. 2 et fouillés anciennement, voir BORAU, 2010. Depuis lors, de nouvelles études ont donné lieu à des publications telles que : CORDIER, 2012 ; BÉNARD et alii, 2017 ; NOUVEL, 2017 ; NÜSSLEIN, 2018.

8 Il existe notamment un type intermédiaire, « le plan ramassé », et deux types supplémentaires « à cour latérale » et « à cour résidentielle et agricole » (FERDIÈRE et alii, 2010).

9 Il ne s’agit pas du solium du caldarium comme le suppose A. Bouet (BOUET, 2003a, p. 67).

10 Ce bassin mesure 2,50 m de diamètre. On estime sa hauteur à 1 m environ.

11 La bibliographie est très abondante : KAPPS, BAILLOUD, 1957 ; BARBET, 1986 ; Rapports de KAPPS de 1964 à 1980, de PROST de 1983 à 1992, de LAURENT de 1990 à 1998 ; DELOR, MANGIN, 1994, p. 77-78 ; Van OSSEL, 1999, p. 59-63 ; DELOR, 2002, p. 345-348 ; VURPILLOT, 2016, p. 270-271.

12 Cependant, la technique de construction présente des similitudes avec des structures plus anciennes en territoire éduen. En effet, l’association de la pierre et de l’argile dans un bassin s’observe dès le Ier siècle av. J.-C. à Bibracte, dans le bassin H de la fontaine Saint-Pierre (RICHARD, BARRAL, 1992, p. 334-335).

13 J.-P. Adam s’est heurté aux mêmes problèmes pour le bassin d’Argentomagus et a mis en évidence sa fonction utilitaire, plutôt qu’une seule fonction sacrée (ADAM et alii, 1997, p. 263-264).

14 Une seconde canalisation (St009) est constituée de blocs monolithes pourvus d’une rigole centrale. Elle a vraisemblablement été spoliée. Ces conduits installés dans une couche argileuse sont donc naturellement imperméabilisés. Leur couverture de dalles a probablement disparu. En dépit d’un pendage très faible, l’eau devait s’écouler vers le nord. L’organisation de ce réseau reste difficile à cerner faute d’explorations suffisamment approfondies pour déterminer leur point d’aboutissement.

15 Type 7a ou 9b1 (BOUET, 2003a, p. 63-64, 77-79).

16 Il ne s’agit pas d’un tepidarium à bassin absidal comme semble le suggérer A. Bouet (BOUET, 2003a, p. 104).

17 A. Bouet propose un intéressant tableau comparatif de quelques palestres de Narbonnaise (BOUET, 2003a, p. 144, pl. 135).

18 « S’il ne désigne pas nommément celle qu’il appelle ‘patriam meam’, [ma patrie] c’est d’Autun cependant, qu’évoque pour nous la mention de ce temple d’Apollon dont nous savons que cette ville était justement fière et dont Eumène déjà avait parlé avec complaisance. Sans doute les détails qu’il donne sur ce sanctuaire ne correspondent plus à aucune réalité et nous surprennent même (3), mais on ne peut douter que l’antique et noble cité où il souhaite voir bientôt l’empereur apporter le réconfort de sa présence et de sa générosité, ne soit autre chose qu’Autun qu’il définit dans les termes dont se servait Eumène, et quondam fraterno populi Romani nomine gloriata. Ses plaies ne sont pas totalement cicatrisées et l’orateur ne contemple pas sans une certaine envie la nouvelle capitale qui bénéficie du séjour de l’empereur et entre même en rivalité avec Rome, Trèves. » (GALLETIER, 1952, note 1).

19 D’ailleurs, si de telles sources avaient existé, elles auraient logiquement été aménagées.

20 On dispose de plusieurs plans que nous avons réunis pour proposer une restitution hypothétique des structures archéologiques, notamment les plans tirés de COLLIN, CHARLEUF, 1865, fig. 1-2 et de BIGEARD, 1996, p. 232.

21 La bibliographie est très abondante : rapports de LOUIS de 1939 à 1947 et de 1962a, 1962b ; THÉVENOT, 1942, p. 298-300 ; LACROIX, 1958 à 1960 et 1966 ; LOUIS et alii, 1961a, 1961b ; SOYER, 1957 ; DELOR, MANGIN, 1994, p. 82-84 ; DELOR, 2002, p. 604-613 ; SAPIN, 2004 ; NOUVEL, 2004 ; BEYNEY, NOUVEL, 2015, p. 35-49 ; NOUVEL, 2016 ; VURPILLOT, 2016, p. 259-271.

22 A. Bouet a démontré les problèmes d’interprétations que posent les espaces intermédiaires, dans les thermes, entre le frigidarium et le caldarium (BOUET, 2003a, p. 94-95).

23 Vitruve n’attribue aucune vertu particulière aux « eaux salines » (VITRUVE, VIII, III, 6).

24 VITRUVE, VIII, III, 4.

25 C. Bourgeois signale l’existence de statues en bois découvertes à Saint-Honoré-les-Bains (BOURGEOIS, 1991, p. 119), mention introuvable actuellement.

26 On trouve également des thermes non curatifs associés à des temples (BOUET, 2003a, p. 294).

27 Le puits et le bassin où des offrandes ont été découvertes ne font pas réellement partis des thermes et l’ensemble rappelle plutôt le cas de thermes en relation avec un lieu de culte (AUPERT, 1991, p. 188).

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Table des illustrations

Légende Fig. 1. Répartition des villae et des grands établissements thermaux publics dans la cité des Éduens (fond de carte : KASPRZYK et alii, 2012, p. 109, fig. 7 ; DAO L. Borau).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-1.png
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Légende Fig. 2. Proportion de structures hydrauliques par catégorie dans les établissements ruraux.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-2.png
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Légende Fig. 3. Plan des thermes de la villa de Champvert (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 4. A. Plan de la pars urbana de la villa de Grimault (DAO L. Borau). B. Plan de la villa de la ‘Tête de Fer’ à Grimault (NOUVEL, 2009, p. 374, fig. 12).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-4.png
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Légende Fig. 5. Plan des thermes de villa de La Vineuse (DAO L. Borau).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-5.png
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Légende Fig. 6. Plan de la pars urbana de la villa de la Chapelle-Vaupelteigne (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 7. Plan des thermes de la villa de Martailly-lès-Brancion (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 8. Plan de la pars urbana de la villa des Chagnats à Saint-Germain-des-Champs (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 9. a. Plan du captage et des bâtiments au nord de l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille (fond de plan : VURPILLOT, 2016, p. 196, fig. 22 ; DAO L. Borau) ; b. plan général de l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille (fond de plan : FERDIÈRE et alii, 2010, p. 411, pl. 4 ; DAO L. Borau).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-9.png
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Légende Fig. 10. Estimation du débit de la source du Creusot.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-10.png
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Légende Fig. 11. Plan des thermes de l’établissement rural d’Escolives-Sainte-Camille (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 12. Superficie des bains des établissements ruraux par ordre croissant.
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Légende Fig. 13. Proportion de structures hydrauliques par catégorie dans les grands établissements thermaux publics.
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Légende Fig. 14. Plan des thermes de Bourbon-Lancy (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 15. Plan des captages des thermes de Saint-Honoré-les-Bains (DAO L. Borau).
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Légende Fig. 16. Plan des thermes des Fontaines Salées à Saint-Père-sous-Vézelay (DAO L. Borau).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/15254/img-16.png
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Pour citer cet article

Référence papier

Laetitia BORAU, « Thermes privés et publics dans le territoire éduen et ses marges : réexamen de quelques fouilles anciennes »Revue archéologique de l’Est, Tome 70 | 2021, 279-306.

Référence électronique

Laetitia BORAU, « Thermes privés et publics dans le territoire éduen et ses marges : réexamen de quelques fouilles anciennes »Revue archéologique de l’Est [En ligne], Tome 70 | 2021, mis en ligne le 08 juin 2023, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rae/15254

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Auteur

Laetitia BORAU

Chargée de recherche au CNRS (UMR 5607, Ausonius). laetitia.borau@u-bordeaux-montaigne.fr

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