1Les sites du Mésolithique, en Champagne, étaient jusqu’il y a peu représentés essentiellement par de rares habitats de plein air, livrant principalement du mobilier lithique. Les recherches développées cette dernière décennie (Achard-Corompt et alii, 2017) ont démontré l’existence dans la région d’un autre type de sites mésolithiques, constitué de séries de fosses ayant pour caractéristique la quasi-absence de mobilier archéologique. Comme stipulé lors du colloque traitant de cette question (ibid.), ces deux types de sites paraissent, en Champagne, s’exclure, tant géographiquement que formellement, aucun site à nappes de mobilier ne livrant de fosses, et inversement (fig. 1).
Fig. 1. Localisation du site de Champigny, sur fond de carte indiquant les sites mésolithiques à nappes de mobilier et ceux avec fosses en Champagne.
D’après Achard-Corompt et alii, 2017a, fig. 1 p. 14, fond de carte BD alti/IGN.
2Les vestiges mésolithiques découverts lors d’une fouille archéologique préventive en bord de Vesle, en 2017, à Champigny (Marne), s’inscrivent directement dans cette problématique. En effet, le site a livré plusieurs fosses datées du Mésolithique, dont une contenant du mobilier (lithique, faune, carporestes). Non loin de ces fosses, c’est une inhumation qui a été mise au jour, au sein d’un paléosol limoneux : il s’agit de la première sépulture mésolithique recensée en Champagne. Enfin, du mobilier lithique mésolithique a également été découvert, mélangé à du mobilier plus récent, au sein du paléosol. Tout en soulignant l’apport de la rare sépulture mésolithique, il convient de détailler ce corpus original afin de voir comment il s’intègre dans les problématiques du Mésolithique champenois.
3Le site est localisé sur le versant gauche de la Vesle (fig. 2), rivière qui traverse la ville de Reims quelques kilomètres en amont et rejoint l’Aisne à environ 45 km plus à l’ouest. Il a fait l’objet d’une fouille préventive, réalisée en 2017 par le Service archéologie du Grand Reims (Garmond, Binder, 2020), sur une surface de 3,7 ha.
Fig. 2. Emprise de la fouille du « Mont Saint-Pierre » à Champigny sur fond géologique.
Carte géologique 1:50 000e harmonisée.
Source InfoTerre/BRGM.
4Le terrain sondé, sur le flanc nord du « Mont Saint-Pierre », présente une pente assez marquée d’est en ouest (16 m, soit 10 %). Bien que faible, ce relief local est suffisamment prononcé pour être remarquable au sein de la plaine crayeuse champenoise.
5Les occupations mésolithiques sont ici matérialisées par huit fosses et une sépulture (fig. 3). Les fosses présentent en surface et en coupe un comblement induré particulier (fig. 4), qui s’est avéré un très bon indicateur pour les caractériser dès le décapage du chantier. La sépulture F528 a été mise au jour à l’extrémité nord d’un paléosol ; seuls les ossements étaient visibles, les limites du creusement n’ayant pas pu être mises en évidence, malgré tout le soin apporté à la fouille.
Fig. 3. Localisation des vestiges du Mésolithique sur le site du « Mont Saint-Pierre ».
L’étoile indique la sépulture.
Infographie N. Garmond
Fig. 4. Vue en plan de la fosse F366, avec son comblement induré caractéristique.
Photographie I. Fournier.
6De plus, ce corpus se complète de silex taillés, retrouvés essentiellement au sein du paléosol, ainsi que piégés dans diverses structures plus tardives.
7Notons que sur le site ont également été mis au jour un habitat du Néolithique final, un habitat du Bronze final, un enclos palissadé du Hallstatt, un établissement rural antique et une vigne médiévale (Garmond, Binder, 2020). La présence d’une ancienne carrière de sable récente, qui a amputé une large partie centrale du site, est également à signaler.
8La craie du Campanien, qui constitue le substrat, est ici recouverte par plusieurs mètres d’épaisseur de sables et de lœss dans lesquels s’ouvrent les structures archéologiques. Ces formations appartiennent à une intéressante séquence stratigraphique du Pléistocène moyen et supérieur, qui fera l’objet d’une publication ultérieure (étude G. Jamet in Garmond, Binder, 2020). Ce versant a fait l’objet d’une importante érosion différentielle. La partie la mieux préservée est logiquement localisée au bas du versant, où a d’ailleurs été mis au jour un ancien bras de la Vesle qui était actif durant le Néolithique final. Les creusements du Mésolithique ont été découverts, comme ceux plus tardifs, sous le sol actuel, en surface des sables et des limons.
9Dans la partie centrale de l’emprise fouillée, des placages d’argiles orange (US3), au-dessus de limons jaunes et blancs, ont protégé de l’érosion des limons argileux bruns qui ont piégé du mobilier archéologique en nombre (fig. 5). Ces limons (US2) constituent selon toute vraisemblance un paléosol (fig. 6). En son sein, des silex clairement attribuables au Mésolithique côtoient à même hauteur d’autres silex typiques du Néolithique final, de la céramique du Néolithique final, de la céramique du Bronze final ainsi que de rares éléments métalliques (fig. 7). L’étude, réalisée à l’aide d’un SIG, a démontré que l’US2 est un palimpseste de différents éléments illustrant plusieurs périodes, sans cohésion apparente, tant à l’horizontale qu’à la verticale. La présence d’un squelette mésolithique en place à l’extrémité ouest du paléosol interroge donc clairement sur les processus de sa formation. S’il s’agit bien d’un lambeau de sol, celui-ci s’est donc formé entre le Mésolithique et la Protohistoire, aucun élément antique n’y étant représenté, malgré la présence d’un établissement rural sur le site. Il a été ensuite remanié, mêlant entre eux du mobilier issu des différentes occupations préhistoriques et protohistoriques du site. Notons que la sépulture mésolithique était installée à l’extrémité nord de ce paléosol, la nappe de mobilier, probablement érodée, n’étant pas présente au-dessus.
Fig. 5. Vue aérienne du versant où ont été mis au jour les vestiges du Mésolithique à Champigny.
Photographie D. Déhant.
Fig. 6. Coupes des US2 et 3.
Infographie N. Garmond.
Fig. 7. Répartition spatiale du mobilier mis au jour au sein du paléosol US2, par matériau.
Infographie A. Lecocq.
10Cette inhumation est située dans la partie nord du paléosol US2. Le squelette est apparu lors de son décapage. Aucune limite de creusement n’a été perçue lors du décapage ou lors de la fouille. Le sédiment de comblement est un limon argileux brun/orangé foncé et compact. Le squelette est très fragmenté et la matière osseuse est en très mauvais état. L’os spongieux est fréquemment absent et l’os cortical est très altéré.
11La datation radiocarbone (Lyon-15019-GrM) situe le décès entre 6348 et 6067 avant notre ère en âge calibré (probabilité : 95 %), soit 7330 ± 45 BP. Elle peut donc être rattachée à la période du second Mésolithique.
12Plusieurs silex, des coques de noisettes et un os calciné de faune ont été mis au jour dans le comblement de la fosse, parfois au contact du défunt. Toutefois, les silex semblent rattachables au premier Mésolithique (cf. infra). De fait, il est probable qu’ils aient été déplacés lors du creusement de la fosse dans le paléosol et ne possèdent pas de liens directs avec l’inhumation.
13Le défunt repose sur le dos (fig. 8), le membre supérieur gauche hyperfléchi, la main en avant de l’épaule. Son controlatéral est fléchi à angle droit, l’avant-bras en avant de la partie médiane du thorax. Les membres inférieurs sont également hyperfléchis. Les genoux sont ramenés en avant de la poitrine et les pieds en avant du bassin osseux.
Fig. 8. Vue générale et relevé en plan de l’inhumation F528, avec latéralisation des membres supérieurs libres en haut et des membres inférieurs libres en bas.
En bleu, les silex.
DAO A. Ribeiro et D. Bouquin, photographie D. Bouquin.
14Le crâne est en vue latérale gauche, les orbites en direction des pieds. La mandibule est vraisemblablement en connexion, mais l’occlusion avec les maxillaires est rompue.
15La colonne vertébrale est très lacunaire. Les quelques portions de vertèbres thoraciques moyennes sont en vue antérieure. Les côtes droites se sont mises à plat vers l’aval. Leur relation avec la colonne vertébrale n’est pas observable. La scapula gauche est de chant et la clavicule s’est verticalisée. Elle s’est décalée vers l’aval, le long de l’extrémité distale des os de l’avant-bras. Le degré de conservation de la scapula et de la clavicule droites ne permet pas de restituer leur position.
16L’humérus gauche est en vue antérieure, il est disloqué de la scapula et de l’avant-bras. Ces derniers sont en pronation, les os semblent être en vue postérieure. Alors que le radius se superpose partiellement à la diaphyse humérale, l’ulna a glissé entre le radius et le fémur gauche.
17L’os coxal gauche s’est légèrement affaissé vers l’intérieur alors que son controlatéral est resté en place. Le sacrum est trop mal conservé pour restituer sa relation anatomique avec les os coxaux.
18Le fémur gauche est en face postérieure et distale. La jambe, qui a glissé vers l’axe médian, est en vue antérieure. Le fémur droit est en face latérale et distale, il est également disloqué de la jambe qui apparaît en face antérieure et légèrement latérale pour le tibia.
19Le pied gauche s’est affaissé médialement. Le calcanéus, en face latérale, est partiellement dissimulé par le talus en vue dorsale. La partie antérieure du pied forme un angle droit avec la partie postérieure. Le pied droit s’est également déposé vers l’intérieur. Le calcanéus, le cunéiforme latéral sont en vue antérieure. Les diaphyses de métatarsiens dans la continuité sont trop lacunaires pour évaluer leur face d’apparition.
20Le squelette est très proche de la position conférée au cadavre. La tête initialement ramenée en direction du tronc a probablement engendré des sollicitations au niveau du rachis cervical. L’agencement des jambes tend à indiquer que le membre inférieur gauche a basculé médialement et que la jambe gauche reposait en avant de sa controlatérale. Leur décalage au niveau de l’hémi-thorax gauche a sans doute participé au décalage vers la droite du rachis thoracique, ce qui a eu sans doute une influence sur l’agencement final des grils costaux.
21La pression initiale exercée au niveau des épaules et le long des bras est préservée tout au long de la décomposition. Il en est de même pour les membres inférieurs qui se sont légèrement affaissés en avant du squelette. Ces différents maintiens peuvent indiquer que le cadavre a été recouvert entièrement par du sédiment et induit donc une décomposition en espace colmaté. Toutefois, la présence d’un enveloppement étroit et éventuellement complété par des ligatures peut également avoir autorisé la préservation de ces maintiens malgré une décomposition en espace vide ou en terre libre (Depierre, 2003). Cette dernière hypothèse peut être envisagée dans la mesure où lors de l’inhumation, le cadavre était maintenu par des éléments en matériau périssable, notamment au niveau des membres inférieurs. En effet, dans l’hypothèse inverse, lors du dépôt du cadavre, les membres se seraient relâchés. En l’absence de limites de fosse, il reste difficile de pouvoir être affirmatif, cependant l’hypothèse d’une inhumation en terre libre semble pouvoir être envisagée.
22Le squelette est trop lacunaire pour déterminer le sexe ou estimer l’âge au décès du défunt. L’examen des ossements révèle un polissage articulaire au niveau de la partie inférieure de l’extrémité distale du fémur gauche. Les dents témoignent d’une usure généralisée dans le sens antéro-postérieure associée à une destruction quasiment complète de l’émail des incisives. De plus, une altération particulière est présente sur les première ou deuxième molaires inférieures avec une destruction en biseau des faces mésiale et distale ; la face distale étant toujours la plus atteinte (fig. 9).
Fig. 9. Vue générale et détail d’une première ou seconde molaire inférieure gauche en vue labiale.
Les traits indiquent les usures spécifiques observées sur cette dent.
DAO et photographies D. Bouquin.
23Cette usure indique une utilisation préférentielle de la partie distale de la molaire, mais elle n’impacte pas les molaires supérieures. Différentes hypothèses ont pu être émise sur l’utilisation de la denture comme « troisième main » (Molnar, 1972 par exemple) dans le cadre de travaux relatifs à la vannerie, la confection de cordon en fibres végétales (Schutz, 1977 ; Larsen, 1985) ou pour le tannage (Madimenos, 2005). À l’échelle de cet individu, et compte tenu du degré de conservation et d’observation des dents, il est délicat de pouvoir proposer une hypothèse pertinente.
24Sept silex, quatre coques de noisettes et un os calciné de faune ont été mis au jour dans le comblement de la fosse, parfois au contact du défunt.
25À l’occasion de la fouille de la sépulture F528, datée du second Mésolithique, un certain nombre de pièces lithiques ont été découvertes en place ou au cours du tamisage des sédiments. La proximité immédiate de plusieurs objets avec les ossements humains pouvait laisser penser à un dépôt intentionnel. Pour cette raison, un examen attentif a été mené sur l’ensemble des pièces découvertes, indépendamment de leur typologie ou de leurs dimensions. Sept silex taillés sont concernés (fig. 10) et seront décrits individuellement, d’un point de vue typo-technologique et fonctionnel.
Fig. 10. Pièces lithiques découvertes directement en contact avec les os (oi 257, 256 et 259) et dans les prélèvements.
A. Esquillements, écrasements et émoussé liée à une action de percussion tangeancielle sur une matière minérale dure (briquet ?) ; B. cônes incipients, stries et résidus rouges liés à une action de percussion sur une matière minérale.
Infographie C. Guéret.
26Oi 256. Lamelle à trois pans entière (35 x 15 x 5 mm) et rebroussée en silex secondaire indéterminé en raison de l’importante patine. Le débitage de ce support a été effectué sur une table unipolaire à partir d’un plan de frappe lisse au niveau de la zone d’impact. Le bord de celui-ci, bien émoussé, a été soigneusement douci. L’absence de bulbe net et la présence d’une lèvre indiquent un geste assez tangentiel effectué avec un percuteur tendre organique ou minéral. Au-delà de ce constat, il est impossible à la lumière des stigmates de taille de savoir si le détachement de ce support a été réalisé par percussion directe ou indirecte. Malgré des tranchants bien conservés et clairement utilisables, aucune trace d’utilisation n’a été relevée sur cet objet.
27Oi 257. Cette pièce constitue l’outil le plus évident au sein du petit assemblage associé à la sépulture F258. Le support est un éclat légèrement allongé et outrepassé en silex secondaire. Les négatifs visibles en face supérieure indiquent qu’il s’insérait dans une exploitation bipolaire sur tranche installée sur un petit volume difficile à déterminer. Le caractère accidenté des négatifs, largement ondulés et rebroussés, indique des gestes mal contrôlés et peu soignés dont le caractère intentionnel se discute. Deux interprétations opposées peuvent être proposées : un débitage lamellaire bipolaire sur tranche mal maîtrisé ou une utilisation violente d’un support en pièce intermédiaire qui aurait fendu l’outil en deux parties. Cette dernière hypothèse aurait l’avantage d’expliquer la présence de cônes incipients nombreux sur un petit secteur bombé de la face supérieure (fig. 10, B) dont les « failles » semblent comblées par des résidus rouges (ocre ?). Ce qui est certain en revanche, c’est que la pièce a été utilisée en extrémité proximale après son débitage ou sa fracture. Ce secteur présente en effet un écrasement de son arête associé à des petits esquillements accidentés, et, dans les zones les plus solides, à un doucissage de nervures, en particulier du côté de la face inférieure (fig. 10, A). Ces stigmates rappellent ceux déjà décrits pour les briquets utilisés sur de la marcassite et déjà signalés au Mésolithique dans le nord de la France (Guéret, 2013 ; Coutouly et alii, 2016). S’il s’agit de l’hypothèse fonctionnelle la plus probable pour cet outil, le développement relativement limité des stigmates incite toutefois à la prudence : on ne peut totalement exclure une autre utilisation impliquant un geste de percussion légèrement frotté sur une matière minérale dure.
28Oi 258. Esquille entière (12 x 7 x 2 mm), peut-être en silex tertiaire, très patiné. La pièce a été cassée en deux fragments à la fouille, permettant de constater sa désilicification complète au niveau du pan. Un petit pan cortical résiduel subsiste en partie distale. Les stigmates de percussion (talon linéaire, double point d’impact, bulbes atténués) permettent de proposer un détachement par percussion à la pierre tendre. Aucune trace d’utilisation n’a été observée.
29Oi 259. Fragment distal de lame à crête partielle en silex secondaire recouvert par un voile de patine gris-bleu. La pièce s’est cassée en raison d’une fragilité provoquée par des écrasements situés sur la face supérieure et vraisemblablement liés à l’installation peu soignée d’une crête. Les négatifs en face supérieure montrent que la crête a été en partie supprimée par un enlèvement précédent issu d’un plan de frappe opposé à celui utilisé pour détacher la pièce Oi 259. En l’absence de partie proximale, il est impossible de reconstituer la technique de débitage. Du point de vue fonctionnel, des indices discrets d’une utilisation ont été relevés sur la partie distale, mais doivent être interprétés avec prudence en raison de leur faible développement. Ils se manifestent sous la forme de micro-ébréchures bifaciales, rasantes et initiées par flexion, parfois légèrement obliques et d’une dimension inférieure à 1/4 de millimètre. L’observation microscopique a permis de reconnaître quelques brillances et spots de polis sur les points hauts, mais leur organisation et leur développement ambigus ne sont pas suffisants pour trancher entre traces taphonomiques ou fonctionnelles. Les ébréchures reconnues pourraient être liées à une action indéterminée sur une matière tendre, sans que le diagnostic puisse être totalement assuré.
30Oi 207 (Prél. 05). Deux pièces lithiques sont issues d’un prélèvement du sédiment entourant le défunt. La première est une extrémité distale de lamelle à deux pans (22 x 9 x 5 mm) présentant une cassure irrégulière en partie proximale, probablement liée au débitage. Malgré la patine blanche, il semble que la matière première soit un silex tertiaire mat à grain fin. Les négatifs lamellaires en face supérieure sont clairement bipolaires et il subsiste en distal quelques enlèvements résiduels indiquant une crête au moins partielle à deux versants. Aucun stigmate fonctionnel n’a été observé.
31La deuxième pièce est un fragment de support indéterminable délicat à orienter (13 x 13 x 5 mm). La matière première est difficile à identifier en raison de la patine, mais ici encore, le silex tertiaire est l’hypothèse la plus probable. Le pan de cassure porte des « moustaches », qui, couplées à la présence d’une fissuration radiale en face inférieure, évoquent avec prudence une cassure volontaire par percussion. D’une manière surprenante, le bord brut préservé est marqué par des ébréchures et un émoussé visibles à la loupe qui indiquent une utilisation de cet outil non retouché, probablement avant sa fracturation. L’observation au microscope montre un poli grenu associé à un émoussé limité aux zones proéminentes et à des stries transversales qui permettent d’identifier un raclage de peau assez bref. Le faible développement des stigmates limite toutefois la reconstitution précise du type de geste et de l’état de fraîcheur de la peau travaillée.
32Oi 207 (Prél. 03). Petite lamelle entière (19 x 6 x 2 mm) en silex tertiaire patiné, aux tranchants frais et encore vifs. La face supérieure présente un pan naturel en latéral gauche et en latéral droit des enlèvements apparemment bipolaires. Le talon linéaire est associé à un esquillement du bulbe discret et la corniche est abrasée. Ces stigmates plaident pour un détachement réalisé par percussion à la pierre tendre. Aucune trace d’utilisation n’a été relevée.
33La découverte de matériel lithique associé à un dépôt funéraire mésolithique est une situation assez rare dans le nord de la France. Si l’on excepte les célèbres tombes de la Vergne (Mésolithique ancien) en Charente et de Téviec et Hoëdic (second Mésolithique) dans le Morbihan (Marchand, 2014), la plupart des tombes datées du Mésolithique se caractérisent le plus souvent par la modestie, voire l’absence de matériel d’accompagnement. Dans le Bassin parisien, la découverte de sépultures s’est multipliée depuis 30 ans sans pour autant livrer beaucoup de mobilier. À cet égard, l’incinération de Concevreux (Aisne), elle aussi datée du second Mésolithique, fait figure d’ovni : outre des pièces en matières dures animales, les restes incinérés étaient mêlés à des lamelles et des trapèzes également dégradés par le feu (Robert et alii, 2015). En dehors de ce cas unique, signalons toutefois le dépôt potentiel de deux outils sur lame dans la sépulture assise d’Auneau, datée de la deuxième partie du premier Mésolithique (Verjux, Dubois 1997) et les quelques lamelles découvertes dans le remplissage de la sépulture multiple et complexe de Val-de-Reuil (Billard et alii, 2001).
34En ce qui concerne Champigny, la question qui se pose est évidemment celle du dépôt volontaire. Sommes-nous face à des objets volontairement mis dans la tombe ou face à des pièces en position secondaire dans le remplissage suite au creusement puis au rebouchage de la sépulture ? L’identification d’un probable briquet, d’une lamelle possiblement utilisée et d’une lamelle entière, tous en silex secondaire, constitue un argument pour défendre la première hypothèse. À l’inverse, le statut des quatre autres pièces de très petites dimensions, dont trois retrouvées dans des prélèvements (fig. 10), interroge, surtout si l’on considère leur typologie et le fait que ces esquilles et micro-lamelles sont toutes en silex tertiaire. Il est tout à fait envisageable que ces vestiges lithiques se soient retrouvés accidentellement dans le remplissage. Par ailleurs, les difficultés à identifier le creusement de la fosse sur le terrain n’excluent pas non plus que ce petit groupe de pièces appartienne au niveau de sol US2 plutôt qu’à la sépulture proprement dite.
35À l’heure actuelle, il est donc plus prudent de limiter les considérations sur le dépôt funéraire aux trois pièces au contexte assuré. Au vu de ces trois éléments, il semble certain que ces objets ne constituent pas des objets de prestige, mais plutôt des outils ou supports d’outils potentiels du quotidien, à l’image de ceux que l’on retrouve sur les occupations mésolithiques habituelles. Sur ce point, la morphologie des supports détonne dans le contexte du second Mésolithique : ainsi, aucun élément n’indique incontestablement un débitage à la percussion indirecte, pourtant caractéristique du VIIe millénaire. Au contraire, par leur irrégularité, la présence d’enlèvements bipolaires sur au moins deux pièces et par leurs stigmates, les objets déposés évoquent plutôt un débitage à la pierre à l’instar de ce que l’on connaît pour le premier Mésolithique, période également attestée sur le site de Champigny.
36La sépulture F528 a livré plus modestement quatre fragments de coque de noisette, répartis dans trois prélèvements, ainsi qu’un noyau de fruit indéterminé, également issu d’un prélèvement. Leur présence dans la sépulture est énigmatique, car l’offrande de fragments de coques carbonisées semble peu probable. Il est possible qu’il s’agisse de pollutions venues de sédiments domestiques antérieurs, comme le montrerait la présence de silex du premier Mésolithique dans le comblement de la sépulture.
- 1 Une étude sur la caractérisation paléogénomique des populations mésolithiques actuellement en cour (...)
37Il s’agit d’une inhumation isolée d’un individu de taille adulte et de sexe indéterminé1. Le défunt est installé dans un creusement de dimensions indéterminées au sein d’un paléosol. Inhumé sur le dos, il présente les membres supérieurs libres fléchis en avant du bras pour le gauche et du thorax pour le droit. Les membres inférieurs sont ramenés en avant du thorax. Afin que cette position soit préservée entre le dépôt du cadavre et l’apport de sédiment, il est probable que les contemporains du défunt ont eu recours à un système d’enveloppement, complété ou non par des ligatures. Enfin, le sédiment extrait a ensuite été employé pour combler la fosse.
38Ce type d’inhumation correspond au « second groupe d’inhumations isolées associées ou non avec du mobilier en matériau pérenne », qui s’étend géographiquement depuis le Jura alsacien jusqu’à la Charente (Boulestin, 2018, p. 246). Les pratiques funéraires mises en œuvre reflètent la diversité et la variabilité observée pour la moitié nord de la France, avec comme constante une flexion marquée de l’individu inhumé (Bosset, Valentin, 2013). La plupart des défunts sont mis au jour en décubitus latéral, mais nous ne pouvons exclure que cette position est acquise consécutivement à une bascule latérale du cadavre lors des phases initiales de la décomposition et donc que certains défunts ont été déposés sur le dos.
39À plus grande échelle, cette inhumation montre des similitudes avec le site de Vale de Romeiras (vallée de Sudo, Portugal), où six individus sont inhumés sur le dos, les membres inférieurs fléchis en avant du tronc et dont certains ont probablement bénéficié de ligatures pour le maintien du corps lors de l’inhumation (Peyrotéo-Stjerna, 2016, p. 314).
40Cette inhumation n’étant pas le seul vestige du Mésolithique retrouvé sur le site, il convient enfin d’interroger sur une éventuelle relation avec les fosses mises au jour non loin du défunt.
41Les huit fosses mésolithiques du site présentent des dimensions variables (fig. 11). Toutes les fosses ont été fouillées manuellement et leurs comblements tamisés, à l’exception de la fosse F666 qui n’est apparue que lors du sondage mécanique d’une fosse polylobée protohistorique.
Fig. 11. Comparaisons des fosses mésolithiques du « Mont Saint-Pierre ».
42Ces fosses sont majoritairement de forme circulaire (fig. 12). Deux sont ovales. Les dimensions en plan sont variables, allant de 0,6 à 1,5 m. La profondeur est tout aussi variable, allant de 0,2 à 0,8 m. Cette variation est le témoin, comme l’attestent les profils, de l’important arasement du versant sur lequel elles sont implantées. En effet, les fosses les plus profondes (F216 et F1042) sont celles situées en bas de pente ; inversement, la fosse à téton F580 n’est conservée que sur 0,36 m (fig. 13), alors que ce type de fosse dépasse régulièrement les 1 m de profondeur sur d’autres sites contemporains (Achard-Corompt et alii, 2017).
Fig. 12. Plans et coupes des fosses mésolithiques du site.
DAO M. Lesueur, A. Dananai, L. Ploquin et A. Gravier.
Fig. 13. Vue en coupe de la fosse à téton F580, dont seul le fond est préservé de l’érosion.
Photographie M. Danger.
43Les profils sont majoritairement à bords obliques et fond plat. La fosse F580 se différencie par la présence d’un surcreusement central, en « téton » (fig. 13), qui est possiblement lié à la présence d’un trou de poteau en fond de creusement.
44Les fosses sont comblées par des limons bruns-gris à blancs, souvent très compacts et indurés (fig. 12). La fosse F216 (fig. 14) se singularise par la présence d’un comblement de limons bruns plus meuble surmontant le niveau induré, plus réduit.
Fig. 14. Vue en coupe de la fosse F216.
Photographie M. Larue.
45D’un point de vue spatial (fig. 3), les fosses sont très dispersées, distantes de 15 à 50 m les unes des autres. Elles n’occupent que la pente du versant, entre les courbes 78 et 87 m NGF. Aucune n’a été mise au jour sur son sommet. Néanmoins, comme l’arasement des fosses mésolithiques est plus important sur la partie haute du site, cette information est à prendre avec précaution. Il est également probable que d’autres fosses ont été détruites par la carrière récente occupant la partie centrale du site.
46Si les fosses mésolithiques livrent le plus souvent très peu de mobilier en Champagne (Achard-Corompt et alii, 2017), le site de Champigny fait exception. En effet, non seulement des charbons ont été retrouvés dans plusieurs (fig. 11), mais une fosse, F216, livre en plus une centaine de silex taillés, plusieurs restes de faune, des restes carpologiques (coques de noisettes), ainsi que du charbon et des restes malacologiques. Ce mobilier a été retrouvé dans tous les comblements, sur toute la hauteur de la fosse, sans concentration particulière. L’examen montre peu de différences dans le mobilier issu des diverses couches, qui est vraisemblablement contemporain.
47Dans la fosse F53, seul un fragment de faune, identifié à un coxal gauche de biche, a été mis au jour.
48Deux échantillons ont été soumis à datations radiocarbone : un charbon issu de la fosse F53 et une coque de noisette provenant de F216 (fig. 11). La première fosse, F53, est datée du début du VIIe millénaire, tandis que la fosse F216 est datée de la fin du IXe millénaire, en cohérence avec les observations réalisées sur le mobilier lithique (cf. infra). Comme souvent, les éléments permettant de dater précisément l’utilisation des fosses sont maigres – on ignore le temps réel qui sépare le creusement de ces fosses de leur comblement définitif. Cependant, au vu des résultats, les écarts sont tels qu’il est probable que les huit fosses mésolithiques ne sont pas toutes contemporaines. Ces résultats sont d’ailleurs tout à fait habituels pour les sites régionaux sur lesquels des fosses ont été datées du Mésolithique (Achard-Corompt et alii, 2017).
49Le matériel lithique de la fosse F216 a été étudié tant du point de vue typologique et technologique que tracéologique. L’objectif était d’apporter des éléments d’attribution chronologique, tout en discutant de la composition de l’assemblage et de ce qu’elle révélait du contexte économique et fonctionnel dans lequel s’insérait cette fosse, au moment de son creusement, puis de son remplissage. À l’échelle régionale, il s’agissait assurément d’une occasion rare si l’on considère le peu de vestiges archéologiques découverts au sein d’un corpus de fosses mésolithiques pourtant significatif (Achard-Corompt et alii, 2017).
50Cent trente-cinq vestiges lithiques ont été récoltés à l’issue du tamisage intégral du sédiment de la fosse. Parmi ceux-ci, trente-deux consistent en des graviers de silex roulés de petites dimensions et non chauffés, de toute évidence d’origine naturelle, qui ont donc été exclus du décompte de l’industrie à l’issue du premier tri (fig. 15). Ont par contre été conservés six graviers marqués par des traces de chauffe évidentes. Pour ces pièces, s’il est impossible de totalement exclure une chauffe accidentelle liée à des incendies naturels, leur association au sein d’une même fosse avec des noisettes et des restes fauniques brûlés ainsi que des objets taillés, dont certains également chauffés, rend toutefois l’hypothèse d’une origine anthropique très probable.
Fig. 15. Décompte général du matériel lithique taillé et chauffé de la fosse F216, par couche.
51Les objets taillés se caractérisent globalement par leur petite taille (fig. 16). Ainsi, sur les quatre-vingt-dix-sept pièces débitées, seules trente et une présentent une longueur supérieure à 2 cm, sans jamais dépasser les 4 cm aussi bien en largeur qu’en longueur. La conservation du matériel est très bonne : les tranchants sont frais, les nervures en face supérieure bien vives, les surfaces encore mates. La majorité des pièces est touchée par un voile de patine blanchâtre variable dans sa distribution selon les matières premières, sans jamais atteindre une patine blanche couvrante et uniforme et encore moins une désilicification. Cette bonne conservation, qui s’est également confirmée lors de l’analyse tracéologique à fort grossissement, indique un matériel bien peu soumis aux principaux agents naturels susceptibles de l’abimer. Les pièces chauffées sont rares parmi le corpus lithique taillé avec seulement onze pièces concernées.
Fig. 16. Dimensions du matériel lithique retrouvé dans la fosse F216 (pièces entières uniquement). Longueurs en abscisses ; largeurs en ordonnées (en mm).
Infographie C. Guéret.
52Comme souvent dans la région, les matières premières exploitées se partagent entre silex tertiaires et secondaires, avec plusieurs faciès représentés pour chaque catégorie. Cette diversité apparaît toutefois significative si l’on considère le nombre relativement limité de vestiges lithiques découverts dans la fosse. À défaut de bénéficier d’une lithothèque régionale et sans analyse pétrographique poussée, le tri des matières premières a surtout été effectué sur des critères visuels, sans préjuger a priori du caractère local, régional ou allochtone des différents faciès de silex.
53Le silex tertiaire (fig. 17) représente la majorité du matériel avec 77 % des pièces dont la matière première était identifiable (soixante-huit pièces). Trois faciès ont été distingués. Le premier est un silex mat lité à grain fin de couleur marron clair présentant un cortex assez fin et des surfaces gélives lisses teintées en marron foncé. Le deuxième faciès, de meilleure qualité et plus fréquent, se distingue par une texture plus homogène, par un grain plus fin et par une coloration brune plus marquée. Les inclusions fossiles y sont également plus nombreuses et peuvent s’accompagner ponctuellement de filaments rouge-orangé. Plusieurs pièces présentent des zones sous-corticales bien nettes qui indiquent la possibilité d’un cortex assez épais. Il est possible, voire probable, que ces deux faciès de silex tertiaire correspondent à deux variantes d’une même matière première (Bartonien ?), voire dans certains cas des mêmes blocs. Le troisième faciès, représenté par une unique lamelle, est par contre clairement différent des deux précédentes. Si son grain et ses inclusions évoquent le deuxième faciès, sa couleur très noire (pétrole), qui n’est pas liée à une chauffe, apparaît très particulière.
Fig. 17. Quelques lamelles retrouvées dans la fosse F216, illustrant la diversité des matières premières (cinq premières : silex tertiaire ; dernière : silex secondaire ; échelle 1:1).
Infographie C. Guéret.
54Le silex secondaire (fig. 17) est nettement moins représenté (vingt pièces, soit 23 %), principalement par des esquilles et par quelques microlithes. Le plus fréquent est un silex à grain fin, translucide, assez typique des silex secondaires que l’on retrouve dans plusieurs étages géologiques dans le Bassin parisien (Sénonien ?). Les quelques rares plages corticales montrent un cortex beige et fin homogène, légèrement roulé, indiquant une récolte probable en position secondaire. Enfin, un éclat, l’un des plus grands de la série, présente en face supérieure un cortex et des surfaces roulés qui évoquent un petit volume récolté en position remaniée, soit dans une argile à silex, soit dans un contexte alluvial.
55Cette diversité relative de matières premières exploitées par les populations mésolithiques est une situation que l’on retrouve dans la région, même si les corpus de référence sont encore peu nombreux. Ainsi, sur le site voisin de Rosnay, daté de la fin du Préboréal, cette exploitation conjointe de silex secondaires et tertiaires a également été constatée (Souffi et alii, 2015), tout comme sur les assemblages, fouillés anciennement, mais bien plus nombreux, du Tardenois dans l’Aisne (par exemple, Rozoy, 1978). En ce qui concerne la fosse de Champigny, l’abondance en bonnes matières premières dans la région laisse en tout cas supposer un approvisionnement local, probablement à quelques kilomètres du site au maximum, que ce soit pour les silex tertiaires ou secondaires.
56Les différentes matières premières semblent avoir été exploitées selon les mêmes modalités, conférant au corpus une certaine cohérence technologique. Ainsi, les produits lamellaires (fig. 17) sont très bien représentés (quarante et une pièces, dont les microlithes) et les éclats, souvent fins et de petites dimensions, peuvent s’insérer dans une chaîne opératoire résolument lamellaire. L’absence de nucléus ou d’éclats d’entretien, comme les tablettes par exemple, limite toutefois la reconstitution précise des séquences de débitage. Les tentatives de remontages ou de raccords ont par ailleurs été infructueuses.
57La lecture des négatifs sur les lamelles et éclats apporte néanmoins des informations sur certaines modalités, tandis que les stigmates de taille fournissent des indices solides sur les techniques et les méthodes de taille utilisées. Ainsi, le débitage lamellaire semble avoir été conduit par des séquences unipolaires exclusivement : à l’exception d’une pièce, aucune lamelle ne porte en effet de négatifs clairement bipolaires comme on en retrouve parfois dans le Mésolithique. La présence de petites crêtes ou néo-crêtes partielles (quatre pièces) et d’enlèvements transversaux sous crêtes (deux pièces) indique un souci d’entretien des convexités par des petites interventions ponctuelles sur la table de débitage. L’observation des talons conservés en partie proximale ne laisse aucune ambiguïté sur la technique de taille utilisée : la fréquence de talons linéaires ou punctiformes, couplés à une abrasion des corniches, sont caractéristiques d’une percussion directe effectuée à l’aide d’un percuteur de pierre tendre (Pélegrin, 2000). La morphométrie des produits et leur régularité très moyenne sont d’ailleurs cohérentes avec cette proposition.
58Au-delà du profil très lamellaire de la production, il est compliqué de reconstituer précisément les objectifs des débitages du point de vue qualitatif. Les lamelles du corpus se distinguent par leurs dimensions très modestes, mais il peut tout à fait s’agir d’un biais lié au caractère de toute évidence très incomplet du corpus. Quelques armatures et outils nous renseignent par contre sur les supports susceptibles d’être sélectionnés par les tailleurs pour être utilisés.
- Les microlithes. Les seuls supports retouchés repérés dans la collection sont des microlithes (fig. 18). Cinq pièces ont été décomptées parmi lesquelles seules deux correspondent à des pièces typologiques. La première est un triangle isocèle (irrégulier, presque quadrangulaire) en silex secondaire retouché sur le bord gauche par une retouche abrupte assez soignée (couche 1, moitié est, n° 39). Le bord brut opposé a fait l’objet d’une petite retouche directe en partie proximale destinée à appointer l’extrémité du triangle. Un vestige de piquant-trièdre est conservé en partie proximale, signalant l’intervention du procédé du microburin. Une cassure par flexion est perceptible en partie proximale, mais son recoupement par les retouches indique qu’elle est probablement liée au débitage et non à un impact. La seconde armature typique (couche 1, moitié ouest, n° 17) est une lamelle à bord abattu en silex tertiaire aménagée par un dos abrupt direct en latéral droit probablement retouché par pression. Le bord brut opposé est marqué par une cassure en demi-lune en proximal et des petits enlèvements secondaires qui pourraient être liés à son utilisation, mais elles ne sont pas assez caractéristiques pour être prises en compte.
Fig. 18. Armatures microlithiques de la fosse F216.
N° 39 : triangle ; n° 17 : lamelle à dos ; n° 40, n° 38, n° 12 : fragment de microlithes indéterminés (échelle 2:1).
Infographie C. Guéret.
59Les trois autres pièces, toutes en silex secondaire, présentent des petits secteurs retouchés concernant parfois tout un bord ou une partie seulement, toujours associés à une cassure lisse ou en flexion, mais sans languette mesurable. Le caractère peu soigné de la retouche (couche 1, moitié est, n° 38), son caractère discontinu (couche 1, moitié est, n° 40) ou la faible normalisation du support (couche 1, moitié ouest, n° 12) orientent l’interprétation de ces objets vers celle d’ébauches cassées ou de déchets liés à la fabrication d’autres microlithes. Aucune ne porte d’ailleurs de stigmate évocateur d’une utilisation en armature de projectile.
- Les supports bruts utilisés. Si, à l’exception des armatures, aucun outil retouché n’a été décompté, cinq supports bruts ont par contre livré des traces d’utilisation qui permettent de les considérer comme des outils (fig. 19). Ce constat n’est pas une surprise si l’on considère la proportion importante d’objets bruts de retouche utilisés dans tout le Mésolithique d’Europe de l’ouest (Guéret, 2017). Il s’agit systématiquement de lamelles en silex tertiaire, ce qui apparaît cohérent avec le profil technologique du corpus décrit précédemment.
Fig. 19. Outils bruts utilisés de la fosse F216.
A. Ébréchures obliques caractéristiques d’une action de découpe sur une matière mi-dure (boucherie ?) ; B. poli doux grenu et stries parallèles au tranchant liés à une action de découpe de peau ; C. ébréchures continues par flexion liées à un raclage de matière tendre/mi-dure.
Infographie C. Guéret.
60Trois lamelles, une entière et deux petits fragments à trois pans, présentent des stigmates qui évoquent des actions de découpe. La lamelle n° 4 (couche 1, moitié est ; fig. 19, A) livre ainsi des ébréchures bifaciales bien marquées initiées en cône, d’orientations diverses sur son tranchant gauche, qui peuvent être reliées à une action de découpe sur une matière mi-dure, probablement dans le cadre d’une activité de boucherie impliquant un contact répété avec des os. Aucun stigmate microscopique ne permet toutefois de confirmer définitivement cette dernière proposition. Les deux autres fragments de lamelles, à l’inverse, ont principalement livré des traces d’utilisation microscopiques sous la forme de micro-émoussés, d’un poli grenu bifacial et de stries parallèles au tranchant (fig. 19, B). Pour ces deux cas, la découpe de peau est l’interprétation la plus solide.
61Les deux autres supports utilisés, relativement plus « massifs », présentent des ébréchures continues, initiées en flexion, sur une seule face au niveau de tranchants fins légèrement concaves (fig. 19, C). Ces stigmates correspondent à un raclage d’une matière mi-dure ou tendre rigide. Pour la pièce n° 1 (couche 1, moitié est), aucune trace microscopique ne vient préciser le diagnostic. Pour l’outil n° 5 (couche 1, moitié est) par contre, un léger poli grenu vient combler les enlèvements d’utilisation et marque les points hauts de la micro-topographie en face inférieure. Si ce poli ne présente pas un développement suffisant pour identifier la matière travaillée (et pour être correctement documenté par photographie), il resserre les possibilités autour d’un raclage bref de peau ou de matière végétale.
62Le comblement de F216 a livré cinquante-huit vestiges fauniques. Un bon nombre de ces restes est très fragmenté (moins de 2 cm), dont trente et un portent des traces de brûlures à des stades de cuisson divers, pour moitié carbonisé et l’autre calciné. Un peu plus de la moitié des os présents dans cette fosse est donc issue du nettoyage de foyers. En dehors de ces stigmates, les ossements carbonisés et les fragments non brûlés présentent également à leur surface de nombreuses traces de radicelles. Le rejet au feu d’une bonne partie de ces ossements explique la fragmentation importante de ces vestiges fauniques. Parmi ces os fragmentés, seuls cinq ont pu être déterminés. Les taxons attestés sont le cerf et le sanglier, figurés respectivement par trois et deux restes. Les sangliers ne sont représentés que par deux fragments de dents, dont une brûlée. Les ossements de cerf correspondent à deux fragments de mandibule gauche et une épiphyse distale non soudée d’un radius droit.
63La fosse F216 a livré dix-neuf fragments carbonisés de péricarpe (coque) de noisette (Corylus avellana), répartis en différents endroits de son comblement (couches 1 et 3).
64À la faveur du réchauffement climatique, le noisetier a connu une grande expansion au début de l’Holocène en Europe occidentale, particulièrement marquée dans les régions septentrionales. Cet essor, autrefois défini comme caractéristique de la phase du Boréal, qui débute au IXe millénaire (fin du Mésolithique ancien) semble, d’après de nouvelles modélisations des données polliniques, remonter au début du Mésolithique (Xe millénaire ; David et alii, 2012). Arbuste pionnier des zones ouvertes, le noisetier occupe une place importante dans les phases de reconquête forestière.
65Les noisettes abondent dans la nature au Mésolithique, elles sont faciles à cueillir, aisément stockables d’un an sur l’autre. C’est un aliment digeste, à haute valeur énergétique, nutritive et gustative, tel quel ou sous forme de farine, de beurre (obtenue en broyant les noisettes fraîches) ou d’huile. Outre les fruits, l’arbre lui-même est intéressant pour ses feuilles jeunes (comestibles en salade) ou matures (en infusion pour leurs propriétés médicinales de protecteur veineux), et pour ses rameaux très adaptés à un usage en vannerie (Thévenin, 2012).
66Dans les assemblages carpologiques cependant on ne trouve que les coques de noisette. Il peut s’agir de déchets jetés au feu après concassage et récupération de l’amande, ou bien de noisettes brûlées accidentellement lors d’opérations de grillage. Des expérimentations récentes ont en effet montré que la carbonisation de noisettes entières provoque l’éclatement de la coque en fragments, et que la préservation de l’amande est rare, intervenant seulement dans des conditions de carbonisation très limitées (Bishop, 2019). Les fragments de péricarpe représentent le reste le plus fréquemment retrouvé pour les périodes pré-agricoles (Marinval, 2008), aux côtés parfois de vestiges d’autres fruits à coque ou à noyau : prunelle, cornouiller sanguin... Certaines catégories de végétaux (légumes feuilles, tubercules, racines...) qui ont probablement été aussi cueillis et consommés ne se préservent pas, ce qui donne à ceux qui ont pu être conservés par l’action du feu une représentation surévaluée.
67Les vestiges carbonisés de noisette recueillis dans les fosses mésolithiques proviennent vraisemblablement de curages de foyers.
68Les données carpologiques concernant le Mésolithique en Champagne sont peu nombreuses et n’ont pas fait l’objet de synthèses. C’est une période peu documentée. À Chouilly « la Haute Borne » (Marne), vingt-six prélèvements effectués dans le comblement de fosses mésolithiques ont livré seulement une graine de de vesce sauvage (Vicia sp.), une semence indéterminée et un fragment de matière organique amorphe (étude J. Wiethold dans Rémy, 2013). À Buchères « Parc logistique de l’Aube », une fosse à téton du Mésolithique ancien a fourni un fragment de coque de noisette et deux fragments de ce qui ressemble à une céréale, peut-être une Poacée sauvage, à moins qu’il ne s’agisse là aussi de pollution (étude F. Toulemonde dans Paresys, en cours).
69Plusieurs questions principales ont guidé l’étude du matériel lithique de la fosse F216. La première était de comprendre les événements naturels ou anthropiques expliquant la présence de silex taillés au sein du remplissage. À cet égard, l’étude complète du matériel ne montre pas de choix préférentiels dans les éléments rejetés : la diversité des matières premières et l’absence de remontages montrent que nous sommes devant des éléments provenant de multiples séquences de débitage lamellaire représentées très partiellement. Si des outils et des microlithes ont été identifiés, ils ne correspondent vraisemblablement pas à un moment fonctionnel particulier évident. L’hypothèse d’un rejet volontaire de matériel par les populations mésolithiques est donc peu probable.
70La concentration préférentielle du matériel au sein de la couche 1, un limon brun, montre toutefois que la majorité du corpus est arrivé au sein du comblement au cours d’un moment précis. La dimension très réduite des silex taillés est souvent une image d’Épinal mise en avant pour le Mésolithique, mais ce constat est très relatif dans le Bassin parisien où les matières premières sont abondantes et se retrouvent souvent sous la forme de volumes pluri-décimétriques. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des objets mesurant entre 5 et 10 cm parmi les corpus régionaux. L’absence de pièces supérieures à 4 cm au sein de la fosse 216, et plus globalement l’abondance de très petits objets, est donc un élément significatif qui doit rentrer dans la discussion. Il permet ainsi d’envisager une arrivée des silex taillés dans le remplissage par colluvionnement et donc un tri granulométrique entraînant préférentiellement les pièces les plus légères au fond du creusement. Si l’on considère cette hypothèse, la fosse F216 ne pourrait alors être considérée comme un ensemble clos, mais plutôt comme un témoin négatif des vestiges abandonnés en surface au cours d’une ou plusieurs occupations dont l’amplitude chronologique est impossible à déterminer précisément. C’est cette hypothèse de travail que nous privilégions. Mais elle doit évidemment être considérée avec prudence en raison du caractère très partiel des informations archéologiques lié notamment à l’érosion des niveaux d’occupations contemporains.
71Malgré cette interrogation sur le caractère clos de l’ensemble, les attributs typologiques et technologiques du corpus sont assez clairs pour être globalement datés. Ainsi, la morphologie des produits lamellaires, l’utilisation systématique de la pierre tendre pour leur détachement et les types de microlithes reconnus permettent sans doute possible une attribution de l’ensemble du matériel à un premier Mésolithique au sens large (deuxième partie du Xe millénaire - première moitié du VIIe millénaire), selon la définition donnée par G. Marchand (Costa, Marchand, 2006 ; Marchand, 2014). Ce résultat apparaît cohérent avec la date obtenue sur la fosse et confirme l’assez bonne corrélation entre les mesures au radiocarbone et le matériel lithique retrouvé occasionnellement dans les fosses champenoises (Ghesquière, 2017). Au-delà de ce premier niveau de datation, il est compliqué d’aller plus loin, surtout à partir de deux microlithes, sans cadre régional de référence et sans certitude sur la cohérence temporelle de l’assemblage. À l’échelle du nord de la France, les triangles se retrouvent à plusieurs moments du premier Mésolithique, et si les lamelles à bord abattu sont plus fréquentes dans la deuxième moitié du Boréal, elles peuvent être présentes plus ponctuellement à d’autres périodes (Ducrocq, 2009).
72Pour finir, un autre aspect de cette étude est de documenter en négatif quelques activités qui se sont déroulées sur le site. Au-delà des activités de débitage, dont témoignent les nombreuses esquilles en silex, la présence de microlithes suggère une relation entre les vestiges lithiques et des activités cynégétiques. Cette proposition est renforcée par la découverte de restes fauniques au sein de la fosse et de traces d’utilisation sur les outils liées à des actions de découpe sur de la peau et probablement dans le cadre de la boucherie. En raison de leurs traces peu développées, les deux lamelles utilisées en raclage ne peuvent pas être replacées dans un cadre fonctionnel précis. Par ailleurs, la présence de silex chauffés parmi l’industrie lithique témoigne de l’installation de structures de combustion pendant la fréquentation du lieu par les groupes mésolithiques. Il est cependant impossible de savoir si toutes ces activités ont été réalisées au cours de la même occupation, et encore moins si le creusement et l’utilisation de la fosse F216 sont synchrones de ces épisodes.
73Un regard rapide a été mené sur le matériel de la nappe de vestiges préservée (US2) afin de détecter la présence potentielle de pièces datées du Mésolithique. Le caractère largement diachronique de cet ensemble (qui comprend également des silex caractéristiques du Néolithique final, ainsi que de la céramique du Néolithique final et du Bronze final) a évidemment compliqué la diagnose et il est difficile d’assurer des datations pièce par pièce, notamment pour de nombreux silex taillés ubiquistes. D’autres silex, caractéristiques du Mésolithique, ont été mis au jour dans diverses structures du Néolithique, de la Protohistoire, voire de l’Antiquité. Pour cette raison, seules quelques pièces typiques ou singulières ont ainsi été isolées pour être décrites avec plus de précision. Il ne s’agit donc pas d’un tri exhaustif, mais d’un échantillonnage très partiel. Les objets isolés comprennent six nucléus et deux armatures présentant tous une patine blanche beaucoup plus marquée que pour les pièces découvertes en contexte de fosse. En règle générale, le matériel est donc moins bien conservé dans la nappe, probablement en raison d’une exposition plus importante aux aléas climatiques et aux remaniements potentiels. Malgré cela, le matériel reste en général relativement frais, avec des nervures encore vives, en dépit de la fragilité des pièces liée à leur désilicification partielle.
74Les armatures (fig. 20), malgré leur caractère microlithique, constituent des pièces assez « massives », si l’on considère ce que l’on peut retrouver généralement dans les assemblages mésolithiques. Il est probable que l’absence d’armatures de dimensions plus modestes, comme dans la fosse F216, soit en partie liée à la fouille manuelle sans tamisage ou mécanique de la nappe de vestige et non à une réalité archéologique. La première armature (oi637) est une pointe à base retouchée à la pierre, sans piquant trièdre conservé, réalisée sur une lamelle assez fine en silex tertiaire. D’un point de vue typologique, cette pièce correspond tout à fait aux pointes à base retouchée directe très fréquentes dans les industries du premier Mésolithique du VIIIe millénaire BC dans le nord de la France (Ducrocq, 2009). La seconde pièce (oi711) correspond quant à elle à une lamelle large à bord abattu et à base tronquée directe oblique. Un léger égrisage est également visible sur une partie du bord brut. D’un point de vue typologique, cette armature est assimilable à un triangle scalène, même si une des pointes, corticale, n’a pas fait l’objet d’un véritable aménagement. Ces triangles simplifiés sont régulièrement présents dans les collections du premier Mésolithique du nord de la France, parfois dénommés « lamelles scalènes ».
Fig. 20. Pointe à base retouchée et triangle scalène simplifié en silex tertiaire découverts dans la nappe de vestige US2 (échelle 2:1).
Infographie C. Guéret.
75Six nucléus lamellaires (fig. 21 à 23) ont fait l’objet d’un regard plus attentif, car ils présentaient des caractéristiques assez marquées pour permettre une attribution chronologique un tant soit peu précise.
76Cinq d’entre eux (oi68, oi138, oi221, F425, F199) partagent de nombreux points communs, en particulier des négatifs clairement lamellaires de régularité moyenne et des dimensions générales situées entre 3,5 et 4,5 cm (fig. 21 et 22). La réduction des objets apparaît trop importante pour identifier précisément les volumes de départ. L’abrasion systématique des bords de plan de frappe, la morphologie assez plate des négatifs lamellaires et les stigmates de taille (ondes marquées, contre-bulbes présents, mais étalés) permettent de proposer pour ces cinq nucléus un débitage d’assez bonne qualité réalisé à la pierre tendre (Pélegrin, 2000). Au-delà, une certaine variabilité existe et s’exprime notamment par le caractère plus ou moins tournant du débitage, par le nombre de plans de frappe et de tables lamellaires associées. Ainsi, quatre pièces (oi68, oi138, oi221, F425) présentent deux plans de frappes opposés associés à une table assez plate tandis qu’un autre (F199), de forme conique, correspond clairement à un débitage tournant unipolaire réalisé à partir d’un plan de frappe totalement circulaire. Toutefois, même dans le cas des nucléus à deux plans de frappe, l’organisation du débitage s’inscrit dans une logique unipolaire qui se manifeste par un plan de frappe préférentiel ou par des petites séquences unipolaires effectuées successivement à partir de l’un ou l’autre des plans de frappe. Au-delà de ces petites différences, la morphologie générale des nucléus, la gestion du débitage et les objectifs de la production lamellaire restent cohérents et homogènes. Ces caractéristiques apparaissent assez singulières pour permettre une attribution de ces nucléus au premier Mésolithique tel que documenté dans les publications de référence du nord de la France (notamment Ducrocq, 2001 ; Souffi, 2004 et Marchand, 2014). Du point de vue chronologique, ils sont donc totalement compatibles avec les armatures précédemment décrites, mais également avec les datations obtenues sur les fosses mésolithiques du site.
Fig. 21. Nucléus lamellaires de l’US2 attribuables au premier Mésolithique (échelle 1:1).
Infographie C. Guéret.
Fig. 22. Nucléus lamellaires de l’US2 et de F425, attribuables au premier Mésolithique (échelle 1:1)
Infographie C. Guéret.
77Un dernier nucléus (oi417) correspond également à une production de lamelles sur petit volume, mais la régularité et le parallélisme des négatifs lamellaires lisibles sur la table le distinguent nettement des exemples précédents (fig. 23). Le support de départ du nucléus est difficile à bien caractériser, mais étant donné sa morphologie globalement parallélépipédique et ses flancs assez plans et peu préparés, la mise à profit d’un casson ou d’un éclat épais est l’hypothèse la plus probable. Le débitage lamellaire est conduit strictement de manière unipolaire, à partir d’un plan de frappe lisse selon un angle de 90°. La table, très plate, comporte des négatifs lamellaires complets entre 22 et 33 mm de longueur, 6 mm de largeur maximum. Ils possèdent une courbure distale bien nette en distal et en proximal des contre-bulbes courts et creux séparés par des corniches jamais reprises et bien anguleuses. En considérant la régularité des négatifs lamellaires, leur étroitesse et leur parallélisme ainsi que l’ensemble des propriétés du nucléus décrites ici, il est possible d’identifier pour ce nucléus un débitage micro-lamellaire effectué par pression, probablement dans la main avec un outil en matière dure animale à partie active bien appointée (observation J. Pelegrin, UMR 7055).
Fig. 23. Nucléus microlamellaire débité par pression : détail de la table lamellaire, des corniches sur la table et sur le plan de frappe.
Infographie C. Guéret.
78Malgré le contexte archéologique compliqué au sein duquel ce nucléus a été mis au jour, cette observation technologique est un fait important qui mérite d’être considéré : en effet, contrairement au sud de la France, le débitage à la pression n’est à ce jour pas formellement attesté pour l’ensemble de la Préhistoire champenoise, et au-delà, dans tout le nord de la France. La seule occurrence publiée à ce jour est un petit nucléus découvert dans un contexte de palimpseste Mésolithique/Néolithique dans la vallée de l’Oise, à Choisy-au-Bac « Chemin d’Oise » qui ne permettait pas à l’époque une attribution chronologique solide (Guéret et alii, 2009). Le même problème se pose à Champigny où les deux périodes sont représentées sur le site. À défaut d’objets comparables dans la région, les deux hypothèses de datation les plus probables sont à l’heure actuelle une phase récente ou finale du Mésolithique (VIIe et VIe millénaires avant notre ère) ou le Néolithique récent/final. L’hypothèse mésolithique s’appuie sur le caractère largement microlamellaire du nucléus et sur la faible préparation apparente du volume à débiter. La pression est par ailleurs largement attestée dans le nord de l’Europe (Sorensen, 2012), notamment à la fin du Maglemosien (selon des modalités assez comparables à celles relevées sur la pièce de Champigny), mais également dans le Castelnovien du sud de la France et d’Italie (Binder et alii, 2012). En ce qui concerne le Néolithique, les seuls parallèles un tant soit peu convaincants se situent dans l’ouest et le centre de la France. Dans ces régions, des petits nucléus et de micro-lamelles attestent en effet un débitage à la pression très spécifique et réalisé uniquement sur de l’opale résinite dans des contextes datés entre la fin du Néolithique moyen et le Néolithique final (Papon, Pélegrin, 2014). La série lithique du Néolithique final de Champigny (Garmond, Binder, 2020) n’inclue d’ailleurs aucun élément débité à la pression si ce n’est des poignards, dont le mode de production et la taille excluent toute concordance avec ce nucléus.
79Étant donné le contexte multi-périodes de Champigny, et le caractère assez isolé du nucléus, il est impossible de conclure sur une hypothèse plutôt qu’une autre, bien qu’une attribution au Mésolithique semble probable. Il faudra probablement attendre la reconnaissance de nouveaux indices dans des contextes moins délicats à démêler pour attribuer chronologiquement ce nucléus avec plus de sureté.
80Pour conclure sur les vestiges de la nappe US2 et sur ceux issus des contextes postérieurs au Mésolithique, l’analyse des deux microlithes et d’un échantillon de nucléus lamellaires permet d’attester la présence de vestiges mésolithiques au sein du corpus lithique récolté. Le premier Mésolithique, en particulier le VIIIe millénaire, est incontestable et le nucléus débité à la pression ouvre la possibilité d’une présence du second Mésolithique qui trouverait alors un écho avec la sépulture datée de cette grande phase. Cette seconde proposition est toutefois très fragile si l’on considère les doutes quant à l’attribution chronologique de cette pièce isolée et unique. Ce qui est certain par contre, c’est que ces quelques nucléus ne sont pas isolés : en l’occurrence, il faut s’attendre à ce qu’une partie du matériel de l’US2 soit également datée du Mésolithique. C’est évidemment très probable en ce qui concerne les lamelles, dont une bonne partie apparait tout à fait compatible avec un premier Mésolithique indéterminé, mais également pour une partie de l’outillage et des éclats plus difficiles à attribuer.
81Les huit creusements mésolithiques mis au jour ne sont pas tous contemporains. L’étude de l’industrie lithique et la datation réalisée autorisent une attribution de l’ensemble issu de F216 à la fin du IXe millénaire. La fosse F53 s’inscrit quant à elle dans le début du VIIe millénaire. Enfin, la sépulture F528 est datée de la fin du VIIe millénaire, bien que le mobilier associé pourrait renvoyer à une datation encore plus ancienne (cf. supra ; fig. 24). L’écart des datations est important pour un nombre de structures très réduit. Il signale plusieurs phases d’occupations distinctes dans le temps, avec à chaque fois très peu de vestiges conservés.
Fig. 24. Synthèse sur les datations radiocarbones des structures mésolithiques du site de Champigny.
Réalisée à l’aide du logiciel ChronoModel, Ph. Lanos and Ph. Dufresne (2019). ChronoModel version 1.5 : Software for Chronological Modelling of Archaeological Data using Bayesian Statistics.
82Il ne fait plus de doutes aujourd’hui que les chasseurs-cueilleurs mésolithiques creusaient des fosses (Achard-Corompt et alii, 2017). Néanmoins, leurs fonctions, comme leurs incidences sur le mode de vie des groupes mésolithiques, restent discutées et les fosses de Champigny apportent plus de questions que de réponses à cette problématique.
83Si l’on excepte la sépulture F528, l’occupation est à l’image des nombreux sites ayant livré des fosses mésolithiques en Champagne (ibid.) : elles sont éparses, plus ou moins alignées sur de vastes surfaces sur un versant. Leurs formes en plan sont circulaires ou ovales, autour du mètre de diamètre. Les comblements, avec la présence de limons très compacts et indurés, sont tout aussi caractéristiques. Les profils, cylindriques ou à téton, sont également bien connus en Champagne (ibid, p. 16). À Champigny, les profondeurs des creusements sont cependant plus modestes : s’il faut probablement y voir une action de l’érosion du versant, il ne s’agit peut-être pas du seul facteur d’explication.
84Une autre différence, importante, tient en la présence, à Champigny, de mobilier au sein de la fosse F216. En effet, il peut arriver que du mobilier soit retrouvé au sein des fosses mésolithiques, mais il est rare, ce qui est une autre caractéristique des sites de Champagne. Le corpus régional le plus étoffé était jusqu’à présent celui de Recy (Marne ; Ghesquière, 2017), où 280 fosses mésolithiques ont livré un total de soixante-six silex, avec des ensembles ne dépassant pas six pièces par creusement.
85La fosse F216 de Champigny se démarque donc nettement. Pour trouver des comparaisons, il faut aller plus loin, en Picardie (Ducrocq, 2017) ou sur le site du « Parc du Château » à Auneau (Verjux, 2015), où de nombreuses fosses mésolithiques ont été découvertes, avec au sein de leurs comblements du mobilier lithique et des restes fauniques parfois abondants. Ce dernier site livre également des sépultures mésolithiques, comme à Champigny, mais la comparaison s’arrête là : la densité des creusements et l’imbrication entre activités domestiques et rituelles sur plusieurs millénaires font en effet de ce gisement un cas exceptionnel même à l’échelle européenne.
86Si F216 fait exception dans le contexte champenois, comment l’interpréter ? Nous l’avons vu, elle se singularise des autres fosses mésolithiques du site par la présence d’un limon brun peu dense au sein de son comblement. Ce limon pourrait ainsi être interprété comme un niveau de sol, chargé en mobilier, qui aurait été accidentellement piégé dans un creusement resté ouvert. Dans cette hypothèse, il s’agirait de l’ultime vestige d’un habitat du Mésolithique totalement arasé.
87L’assemblage pointe-t-il vers une fonction particulière ? Du point de vue de l’industrie lithique, le faible nombre d’outils et la diversité des matériaux (cf. supra) oriente encore une fois les interprétations vers un piégeage accidentel de mobilier de surface. En ce qui concerne la faune, les espèces représentées sont le cerf et le sanglier, des espèces communément chassées et consommées au Mésolithique (Leduc et alii, 2013 ; Souffi et alii, 2015 ; Leduc, Achard-Corompt, 2017 ; Leduc, Verjux, 2018 ; Souffi et alii, 2018). La discrétion de ces vestiges fauniques ne permet néanmoins pas d’aller au-delà de ce simple constat. Certains de ces os, présents sous formes d’esquilles brûlées, sont vraisemblablement issus du nettoyage de foyers. Enfin, la présence de coquilles de noisettes soulève l’hypothèse d’un stockage alimentaire sous forme de silo parfois avancée (Verjux, 2017), mais elles sont ici brûlées et constituent donc plus vraisemblablement des rejets d’alimentation ou de vidange de foyer. Les différents vestiges sont somme toute assez rares comparativement au volume de la fosse. Tous ces indices plaident donc pour la présence initiale en surface de niveaux de sols limoneux, complètement érodés.
88L’hypothèse de pièges de chasse (Achard-Corompt et alii, 2017) n’est évidemment pas à exclure pour les autres fosses, avec notamment la présence d’un surcreusement central au sein de la fosse F580 qui évoque un trou de poteau/pieu. Néanmoins, les sept autres fosses étant totalement dénuées de telles traces, cette hypothèse est délicate à aborder.
89La présence exceptionnelle d’une sépulture mésolithique, la première de Champagne, est ici remarquable. Inévitablement se pose la question de savoir s’il existe une relation, chronologique ou fonctionnelle, entre celle-ci et les fosses. Les datations radiocarbones réalisées indiquent que la tombe n’est vraisemblablement pas contemporaine des fosses (au moins pour les deux datées), puisqu’elle relève de la seconde moitié du VIIe millénaire. La position contractée du corps dans un creusement aux limites impossibles à lire renvoie aux quelques autres exemples mésolithiques connus plus à l’ouest (Bosset, Valentin, 2013) comme les tombes de Rueil-Malmaison, de Verberie et d’Étiolles, plus anciennes. Mais la question qui se pose pour les fosses est tout autant valable pour la sépulture : était-elle réellement isolée, déconnectée des habitats, où s’agit-il du seul vestige conservé d’une occupation dont les sols sont érodés ? L’incidence sur l’interprétation est importante. Si l’on se fie aux comparaisons connues, l’hypothèse d’une sépulture isolée paraît crédible, mais compte-tenu des conditions taphonomiques du site de Champigny, il est très difficile de raisonner sur une absence de vestiges qui est potentiellement liée à l’érosion totale des sols d’occupation.
90En conclusion, la mise au jour de vestiges mésolithiques à Champigny, parmi lesquels se trouvent une sépulture et une fosse ayant livré de nombreux vestiges, vient contribuer au large débat sur la fonction des sites ayant livré des fosses datées du Mésolithique. L’élément sans doute le plus significatif est qu’il est ici possible, grâce aux structures en creux, de mettre en évidence la présence d’habitats du Mésolithique même en l’absence de niveaux de sol conservés. À Champigny, l’hypothèse d’occupations successives « classiques » du Mésolithique (de plein air), en bordure de rivière, peut ainsi être posée. Ne resteraient, en raison de l’érosion, que des structures en creux, une sépulture et un lambeau de sol, comme ultimes témoins de ces occupations humaines.
91Ces biais taphonomiques considérables ne permettent évidemment pas de mieux cerner la chronologie précise des occupations, leur fréquence et leur vocation fonctionnelle et spirituelle. Mais le piégeage finalement régulier de matériel mésolithique permet d’imaginer une fréquentation potentiellement importante du fond de vallée, à l’image de ce que l’on connait dans d’autres secteurs épargnés par l’érosion (Ducrocq, 2010). Cette possibilité implique aussi une prudence méthodologique quand il s’agit d’interpréter la fonction des fosses datées du Mésolithique et l’opposition territoriale systématique entre « sites à fosses » et « sites à silex ». Si «jusqu’à présent, aucun site à fosse ne peut être associé à un niveau mobilier et, réciproquement, aucun site en nappe ne révèle de fosse profonde contemporaine» (Achard-Corompt et alii, 2017, p. 20), le cas de Champigny illustre la possibilité de trouver des fosses dans des zones livrant par ailleurs des vestiges domestiques plus classiques, même résiduels. Il ne s’agit évidemment pas de nier la spécificité (fonctionnelle ?) des sites présentant des alignements de fosses, dont Recy est le cas le plus spectaculaire. Mais elle ré-interroge le cas des gisements où les structures en creux mésolithiques apparaissent plus dispersées, moins organisées et diachroniques. La présence régulière de structures en creux sur les sites d’habitats mésolithiques dans d’autres régions, montre que le creusement de fosses était un phénomène courant à cette période et ce, dans des contextes fonctionnels variés. À cet égard, Champigny n’apporte pas de réponse définitive, mais participe incontestablement aux discussions portant sur les fonctions potentielles des centaines de fosses découvertes en Champagne depuis plus d’une décennie.