1La commune de Deux-Rivières se situe à environ 15 km au sud d’Auxerre, dans le département de l’Yonne (fig. 1). Nouvellement créée en 2017, elle est le résultat du regroupement des communes de Cravant et d’Accolay. Le choix de ce nom s’explique par la confluence de la Cure et de l’Yonne, rivières qui convergent sur le territoire de la nouvelle commune.
Fig. 1. Contexte archéologique de la confluence Yonne-Cure.
2Les sondages entrepris en 1999 correspondaient à une prospection thématique sur les enceintes de plaine inventoriées dans la vallée de l’Yonne. Une publication (Prestreau, 2003) en offrait une synthèse sans toutefois présenter les données précises des sites qui lui servaient d’ossature. Ce texte comble cette lacune pour l’enceinte de Cravant Haut de Bréviande, tout en affinant le contexte local. Les autres enceintes sondées feront aussi l’objet de monographies.
3L’Yonne est le principal affluent de la Seine en amont de Charenton-le-Pont. Elle parcourt 293 km entre le Morvan et Montereau-Fault-Yonne. Elle dispose d’un bassin versant d’environ 10 800 km2. Ses principaux affluents, au nombre de quatre – du sud au nord : la Cure, le Serein, l’Armançon, la Vanne –, présentent la particularité de provenir du flanc est du bassin versant ; les trois premiers offrent de la sorte une liaison avec l’axe Rhin-Saône-Rhône. Elle a été canalisée à partir de 1834. De nombreux textes et illustrations attestent qu’elle était aisément guéable en période de basses eaux mais très capricieuse en période humide.
4Le cours de la rivière Yonne est divisé en trois parties. La première, du Mont Prénele (où elle prend sa source) à la confluence avec la Cure, la seconde de la Cure à Joigny – double confluence Yonne-Serein et Yonne-Armançon – et la troisième jusqu’à Montereau où elle se joint à la Seine. Deux-Rivières se situe au sud de la partie médiane.
5Sur la commune de Deux-Rivières, l’Yonne et la Cure confluent sur un axe sud-nord puis obliquent d’environ 60 degrés vers l’ouest. Le chenal actuel se plaque contre les falaises calcaires du Jurassique de la rive est, laissant à l’ouest une vaste plaine, d’environ 1 km de largeur. En amont, la plaine est divisée en deux entités qui correspondent à chacune des rivières ; en aval, le coude de Vincellottes forme un léger étranglement. La plaine de Bréviande est un espace plat, d’une surface d’environ 2,6 km2, parcouru par de nombreux paléochenaux non datés. Elle est cisaillée en son milieu par le canal du Nivernais qui en tronque la perception.
6Le bassin de l’Yonne est localisé dans le sud-est du Bassin parisien. La confluence Yonne/Cure s’écoule dans un substrat de calcaire jurassique à la limite extrême du Bassin de Paris puisque les premiers niveaux métamorphiques du Morvan apparaissent à une dizaine de kilomètres au sud-ouest. La vallée est colmatée à la fin du Pléistocène par des alluvions grossières de sables et graviers.
7Sur la carte géologique la plaine de Bréviande figure sous la cote F(z), sédimentation holocène très récente. Ceci traduit un alluvionnement moderne mais s’avère d’aucune utilité quant à la compréhension de l’histoire de cette plaine durant l’Holocène. Dans la zone d’étude, les photographies aériennes montrent qu’elle est parcourue par de nombreux paléochenaux larges et profonds entre lesquels on remarque la présence d’anciens systèmes d’écoulement en tresses (fig. 2). Il n’existe pas, pour la rivière Yonne, de travaux récents sur le fond de vallée durant l’Holocène. Seules quelques études très localisées ont été conduites. Par chance, une prospection thématique coordonnée par C. Petit dresse le profil géomorphologique de la plaine de Bréviande (Petit, 2001). Lors de la dernière période froide (Weichsélien), les graves se mettent en place « alors que l’Yonne a un système fluvial en tresses » ; ultérieurement, « aucun paleochenal fossile de type méandrisant n’a été identifié ». L’auteur en conclut que « le paysage alluvial de ce segment de vallée est quasiment figé depuis 10 000 ans ».
Fig. 2. Deux-Rivières (Cravant).
Contexte topographique et hydrologique de la plaine de Bréviande à Cravant et incertion de l’enceinte dans le contexte Holocène.
8Le lit majeur de l’Yonne de Sainte-Pallaye à Montereau est tapissé d’un limon fin jaune ocré, d’épaisseur variable (de plusieurs mètres à quelques centimètres), antérieur au Néolithique, vraisemblablement d’époque tardiglaciaire, puisque toutes les structures néolithiques fouillées entaillent ce niveau. Durant le Néolithique, un dépôt limoneux brun-rouge vient surmonter le limon jaune et combler la plupart des structures. Les travaux, ci-dessus évoqués de l’équipe réunie autour de C. Petit, établissent trois phases de déstabilisation des versants : durant le Néolithique moyen, la période antique et les xviiie-xixe siècles. Des colluvions viennent alors recouvrir les niveaux à la jonction plaine/versant, ce qui est probablement le cas du sud-ouest de la plaine de Bréviande, marqué par les coteaux adoucis de Coulange. Au nord-est, les falaises des buttes calcaires d’Irancy sont favorables à la formation de dépôts de versants mais le cours de l’Yonne bloque leurs mouvements vers le sud. La pérennité du lit mineur, la relative stabilité des versants expliquent pour partie la faible couverture limoneuse. Il en résulte une lecture archéologique du sous-sol par voie aérienne remarquable mais une forte sensibilité des sites à l’érosion agricole.
9L’enceinte se localise au fond de la vallée (fig. 2) à une altitude de 109 m NGF, à 4 m au-dessus du niveau actuel moyen de la rivière, à 700 m au sud du chenal actuel et à 200 m au nord d’un bras fossile non visible en photographie aérienne mais décelable par la microtopographie. Elle repose dans une portion non submersible de la plaine d’après le Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI) établi en 2020.
10La carte d’état-major de la fin du xixe montre une large plaine sans relief important. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les avionneurs Lioré et Olivier implantent, au nord du site sur la rive droite de l’Yonne, dans les anciennes carrières souterraines de calcaire, une usine de 35 ha pour produire des avions de combat. En 1943, les Allemands récupèrent lieux et machines pour construire des FW 190 et créent une piste d’aviation qui modifie sensiblement la topographie de la plaine. La construction de cette piste est l’un des principaux facteurs d’érosion du site mais non le seul ; la mise en culture récente des abords du champ d’aviation joue aussi un rôle important sur la conservation des vestiges.
11Le territoire de Cravant entre dans l’Histoire de France en 1423, lors d’une bataille au cours de laquelle l’armée du roi de France Charles VI fut sévèrement défaite par une alliance anglo-bourguignonne. Au demeurant, la carte archéologique atteste de multiples occupations depuis la Préhistoire ancienne. La plaine de Bréviande est extrêmement riche en vestiges, particulièrement en ce qui concerne la Préhistoire récente et la période gallo-romaine.
12Le Néolithique est présent d’abord par l’implantation d’un groupement d’au moins trois habitations de type danubien localisé entre le canal du Nivernais et l’Yonne, sur la plaine de Bréviande (fig. 2). Ultérieurement, en amont de Bréviande, de récentes photographies aériennes de Alain Adine et de Pierre Nouvel laissent présumer une, voire deux, nouvelle(s) enceinte(s) supposée(s) néolithique(s), « l’une à fossé simple interrompu, l’autre constituée d’une tranchée de palissade » (Nouvel, 2018). On note la présence d’une dizaine d’enclos circulaires protohistoriques. Pour la période antique, la plaine de Bréviande est couverte de vastes bâtiments qui pourraient correspondre à des entrepôts liés au carrefour fluvial entre l’Yonne et de la Cure, rivières difficilement navigables à partir de la confluence.
13Enfin, Cravant est localisé à 6 km au sud d’Escolives-Sainte-Camille où reposent dans la plaine une nécropole de type Passy et trois enceintes néolithiques. Au sud, la confluence Yonne-Cure abrite un vaste gisement néolithique et protohistorique, très partiellement reconnu par Henri Carré à partir de 1956 à Sainte-Pallaye (Carré, 1999). Si on remonte la Cure, à environ 10 km, on aboutit au complexe des grottes de la Cure dont une douzaine d’entre elles a livré des témoins d’occupations néolithiques, l’ensemble étant surplombé par les camps de Cora et de Côte de Chair, fréquentés durant le Néolithique.
- 1 Qu’il soit permis de rendre un hommage appuyé à J.-P. Delor, autant pour la qualité et la polyvale (...)
14Depuis le début des années 1970, l’Yonne bénéficie de vastes programmes de prospections aériennes qui ont permis la mise au jour de milliers de gisements. En 1985, J.-P. Delor1, qui coordonne les prospections dans l’Yonne moyenne, signale une enceinte à Cravant. Il décrit alors dans son rapport d’activité « une enceinte à double fossé continu avec interruption formant entrée... » (Delor, 1985). Plusieurs survols et quelques années de sécheresse plus tard, il est possible de déterminer la morphologie de cette structure : pas vraiment circulaire, elle tient plus de l’ellipse qui aurait la face nord-est écrasée pour former une sorte de redent incurvé concave. L’enceinte mesure 135 m sur un axe NNE-SSW et 140 m sur un axe EES-WWN, ce qui permet de calculer une aire interne d’environ 1,5 ha. Il s’agit donc d’une enceinte de relative petite taille. On perçoit le tracé d’un fossé peu discontinu, qui présente, dans les parties visibles, trois ou quatre interruptions pouvant correspondre à des entrées. Ce tracé est doublé à l’intérieur par un sillon, mieux marqué, constitué de segments de droites s’articulant pour former une ellipse (fig. 3). Élément intrigant, sur de nombreux clichés, y compris les plus anciens de A. Adine pris en 1981, les deux tracés présentent une largeur quasi identique. L’aire interne a été fortement nivelée par la création de la piste d’aviation. On y décèle cependant un certain nombre de fossés rectilignes, certainement postérieurs à l’enceinte dans la mesure où ils outrepassent largement la limite du fossé néolithique. On perd la trace de la tranchée extérieure au nord et au sud du gisement. Sur le flanc ouest, perturbé par l’assainissement de la piste d’aviation, plusieurs clichés suggèrent que les tracés néolithiques se rapprochent, voire s’effleurent.
Fig. 3. L’enceinte de Bréviande.
Photographie aérienne J.-P. Delor, 1990.
15Cette enceinte appartient à un type déjà reconnu dans l’Yonne. Les prospections aériennes régulières et coordonnées recensent plus de soixante enceintes, principalement de plaine, mais quelques-unes sont situées en rebord de plateau. La morphologie générale de Cravant (surface enclose d’environ 1,5 ha, forme subcirculaire, tracé palissadé présentant un saillant interne de forme concave) se retrouvent au moins sur cinq autres enceintes du département : à Chablis, Cusy, Pasilly, Tanlay et Trucy (fig. 15, infra).
16En 1999, l’enceinte de Cravant a fait l’objet d’une intervention d’une semaine dans le cadre d’une opération de sondage qui limitait les travaux sur les structures. Les photographies aériennes ont permis de caler avec précision les zones à décaper. Deux secteurs de fouilles ont été ouverts (fig. 4). Initialement, seul le secteur 1 était programmé mais A. Adine mit à disposition des photographies aériennes récentes, prises depuis son ULM, qui montraient une meilleure conservation de l’enceinte au sud-ouest. Compte tenu de l’érosion des vestiges sur le premier secteur et avec l’accord de l’exploitant, un second secteur fut dégagé.
Fig. 4. Deux-Rivières (Cravant).
Plan des deux secteurs de fouilles.
17Les vestiges reposent sur un colmatage de sables et graviers épais qu’aucun niveau sépare de l’horizon labouré, d’une puissance de 20 à 30 cm. Vers le sud, un fin limon brun s’intercale entre le gravier et l’horizon de labours.
18À la lecture du rapport de photo-interprétation de Jean-Paul Delor, le décapage portait sur la reconnaissance d’un fossé relativement discontinu, doublé à quelques mètres à l’intérieur d’une tranchée de palissade. Les premiers coups de godet mirent au jour un premier fossé sur 40 m de longueur, au nord-est de la piste d’aviation. Large de 60 à 80 cm, il s’avérait difficilement interprétable : s’agissait-il du fossé d’enceinte ou de la tranchée de palissade supposée le border coté interne ? Deux bras perpendiculaires de part et d’autre de l’axe de la structure dégagée n’ont pas permis de retrouver le second tracé parallèle, supposé être la palissade qui doublait le fossé. Elle semble pourtant apparaître sur les photographies aériennes prises 15 ans plus tôt.
19Le décapage du secteur 1 a révélé le tracé d’un fossé correspondant à l’observation de Jean-Paul Delor. Ce fossé d’apparence continu est cependant marqué par trois interruptions : une est volontaire pour former passage, les deux autres résultent de l’érosion. Les profils longitudinaux attestent de fortes variations de profondeur à valeur décimétrique, ce qui rend vraisemblable la restitution d’un tracé à l’origine continu, aujourd’hui interrompu par une forte érosion car d’une manière générale, ce fossé ne subsiste plus que sur une profondeur de 10 à 12 cm en dehors de l’interruption volontaire décrite ci-après.
20Lorsque l’on considère les coupes radiales, le creusement présente une forme en V très ouvert, aplanie vers le fond. Dans le sens longitudinal, l’observation du profil a principalement porté sur la zone considérée comme une entrée ; de ce fait, ce profil présente une forme dentelée, en raison de la présence de surcreusements destinés à accueillir des poteaux (fig. 5, A).
Fig. 5. Deux-Rivières (Cravant).
Coupes des tranchées.
21Le fossé s’interrompt sur 9 m de largeur pour former un passage (fig. 4). La coupe longitudinale du segment nord montre une remontée brusque, nette, sur un angle d’environ 70°. De part et d’autre de l’entrée, les segments du fossé s’infléchissent pour former une sorte de petit renflement terminal. Dans la largeur, l’évasement est peu sensible, de l’ordre de 40 cm. Les proportions sont moindres pour le tronçon sud, non fouillé, mais nettes. Sur le tronçon nord, l’approfondissement est de l’ordre de 10 à 15 cm.
22Un sédiment brun-rouge comble de manière homogène le fossé. Il s’agit là du même dépôt qui nappe toute la vallée de l’Yonne durant l’Atlantique et que l’on retrouve dans toutes les structures néolithiques de Cravant à Villeneuve-la-Guyard.
23Étudié dans le cadre d’une opération de sondage, seul le segment nord a fait l’objet d’observations stratigraphiques. Malgré une forte érosion et une lecture rendue difficile en raison du caractère homogène du comblement, la présence de poteaux d’un diamètre modéré (entre 20 et 40 cm) a été détectée. A minima, ils garnissaient les derniers mètres du tronçon. L’empreinte des poteaux était rarement claire à la lecture des coupes, au demeurant plusieurs fois bien réelle, mais se déduisait souvent par la présence d’un sous-tirage foncé au sommet du dôme de grave à la base des coupes.
24Dans l’intervalle des 9 m vacants entre les segments reposaient trois fosses très érodées. Deux d’entre elles recevaient des poteaux. Le diamètre supposé du trou est de 40 cm. La troisième (la plus méridionale), extrêmement estompée, ne permet aucune interprétation (fig. 4). Les poteaux en barrage dans l’espace de circulation aménagé dans l’interruption de la palissade doivent correspondre à un système qui vise à limiter le nombre d’entrées simultanées dans l’aire interne, dispositif identifié à Villeneuve-la-Guyard pour l’entrée de l’enceinte Cerny Barbuise (Prestreau, 1992).
25Localisée à 74 m au sud du secteur 1, cette zone présente un recouvrement superficiel plus épais que dans celui-ci. Un limon brun, sans doute d’origine fluviale, s’intercale entre le niveau de grave et l’horizon labouré, sur une épaisseur d’environ 40 cm. Le dépôt de ce limon est postérieur au Néolithique moyen puisque les structures sous-jacentes sont aussi érodées que dans le secteur 1.
26Dans cette zone (fig. 5, B), deux tracés parallèles ont été dégagés sur une dizaine de mètres de longueur. Le creusement extérieur présente les mêmes caractéristiques morphologiques et de comblement que celui du secteur 1. Il demeurait perceptible sur 10 à 15 cm de profondeur sauf de part et d’autre d’une éventuelle interruption où il s’approfondissait dans de faibles proportions (40 cm). Les coupes réalisées indiquent la présence de poteaux dans le mitant du fossé.
27Le second tracé se dessinait dans une tranchée de 60 cm de largeur en moyenne. La profondeur est très variable, entre 5 et 40 cm. Cette irrégularité du fond, avec des alternances de dômes plus perforants, évoque la présence de poteaux dont l’espacement fluctuait entre 50 et 80 cm. On identifie ainsi une palissade édifiée avec des poteaux non jointifs.
28Le relevé en plan du sillon externe suggère une interruption qui pourrait correspondre à une entrée. Si ce passage a existé, il laissait vacant un espace de moins de 2 m. Au droit de cette pseudo issue, le tracé interne reste continu. Il est donc beaucoup plus vraisemblable qu’il faille attribuer à l’érosion la discontinuité constatée et proposer que le tracé d’origine ait été continu.
29L’espacement des poteaux de palissades laisse supposer un renfort de clayonnage pour clore les interstices. L’absence de torchis dans le remplissage des tranchées ne permet pas d’avancer l’hypothèse d’un placage en terre, mais l’érosion est telle que le torchis, s’il a enduit un parement, devait reposer à plusieurs dizaines de centimètres au-dessus du niveau actuel conservé.
30Le mobilier découvert à Bréviande est très indigent : un fragment de pic, quelques éclats de silex et quelques tessons atypiques. La pâte est beige foncé intérieur et extérieur, tranche grise. Elle présente un aspect rugueux, voire sableux : au toucher, deux des six tessons présentent encore un engobe de lissage qui rend le contact plus doux. Le dégraissant est composé de silice et de quartz. Cinq des six tessons incorporent de l’os calciné peu abondant.
31Aucun de ces éléments ne peut étayer une attribution culturelle précise. L’incorporation d’os pilé comme dégraissant renvoie vers la fin de la séquence danubienne. Par ailleurs, la pâte utilisée pour la céramique n’est pas incompatible avec celle de l’horizon fin BVSG, début Cerny puisque des pâtes sableuses grises sont présentes à Nermont (Parat, 1909), à Sainte-Pallaye et à Augy (cf. infra).
32L’enceinte de Bréviande est fortement érodée. Les hypothèses et interprétations doivent être sérieusement tempérées par l’état de conservation des vestiges. Les résultats du terrain sont décevants mais apportent quelques renseignements intéressants. La photographie aérienne suggérait une aire cernée par un fossé subcirculaire interrompu, fossé doublé d’une palissade interne. La fouille révèle deux tranchées continues destinées à recevoir des poteaux, bien que la tranchée externe soit légèrement plus large que l’interne. Dès lors plusieurs hypothèses peuvent être émises, énonçant-en deux.
33La totalité des tracés correspond à des fondations de palissades, comme semble l’indiquer le constat de poteaux plantés dans les deux tranchées observées du secteur 2. Ce qui conduit à suggérer que nous n’aurions pas une enceinte mais au moins deux asynchrones, la seconde réalisée alors que la première était encore perceptible. La concordance des formes évoque des fonctions similaires peu distantes dans le temps. La lecture des clichés aériens apporte quelques arguments en faveur de cette hypothèse : l’irrégularité du parallélisme constaté entre les deux structures en tranchée, particulièrement à l’ouest où elles paraissent sécantes, argument auquel il faut ajouter le décalage d’ouvertures entre tranchée interne et tranchée externe lorsque ces dernières sont visibles (à moins que l’érosion, qui semble plus active sur la trace externe que sur la trace interne, ne fausse notre perception), et la présence d’une troisième rangée de palissade localement au nord et au sud.
34Dans cette hypothèse, on pourrait trouver de fortes similitudes entre Cravant et l’enceinte de Muides-sur-Loire dans le Loir-et-Cher, fouillée par Roland Irribarria (Creusillet, Irribarria, 2007). Il s’agit aussi d’une aire d’environ 1,5 ha enveloppée par une palissade, disposée dans une tranchée de 0,80 à 1 m de largeur, peut-être édifiée en plusieurs segments dont la contemporanéité reste discutée, avec un renflement interne reconnu à Cravant. Cette enceinte appartient au Groupe de Chambon, soit un horizon extrêmement proche du Cerny. La publication de Muides évoque d’autres enceintes de morphologie et de chronologie similaires dans le sud-ouest du Bassin parisien, aux confins de la Touraine et du Poitou.
35On revient au postulat de départ d’une enceinte à palissade et fossé. Le profil assez évasé de la palissade externe pourrait constituer la base d’un fossé très fortement érodé. La présence des poteaux a été constatée alors que la tranchée marquait une interruption. Dans le secteur 2, cette interruption semble liée à l’érosion. Mais dans le secteur 1, l’intervalle correspond à une entrée. Il y a là un parallèle à faire avec l’entrée de l’enceinte Cerny de type Barbuise de Villeneuve-la-Guyard (Prestreau, 1992). En effet, à Villeneuve, l’ouverture laisse un espace vacant de 9 m, au milieu desquels une fosse de 3 m de long, profonde de 60 cm, limite les entrées simultanées ; les branches sud-ouest et nord-est du fossé principal s’achèvent par un élargissement en forme d’ampoule. Dans le segment sud-ouest, mieux préservé, les vestiges d’une possible palissade ont été observés.
36Il est impossible d’acquérir une certitude, l’arasement est trop important. La première hypothèse paraît plus plausible. La largeur conservée n’excède pas 90 cm, à l’exception des élargissements, tout relatifs, constatés à l’entrée. L’examen de la largeur conservée des fossés des enceintes fouillées du Bassin parisien est généralement pluri-métrique. À Cravant, l’exiguïté de la tranchée plaide en faveur d’une palissade. Dans la seconde hypothèse, le souhait de limiter les entrées simultanées explique le dispositif d’entrée encadré par des palissade (secteur 1). Au demeurant, dans le secteur 2, a priori loin de toute entrée, rien n’explique l’édification d’une double rangée de palissade.
37La faiblesse des éléments mobiliers recueillis au sein de l’enceinte de Bréviande ne permet pas une attribution culturelle précise ; les rares tessons exhumés montrent qu’ils appartiennent aux cultures qui introduisent de l’os pilé comme dégraissant. La confrontation avec les pâtes céramiques issues des sites d’Augy Ferme de Champagne et de Sainte-Pallaye Champ Guyot montre une indéniable proximité, rapprochement à tempérer toutefois car le plus gros tesson de Bréviande n’excède pas 3 cm2. La faible surface enclose, les comparaisons architecturales avec les sites de Muides ou de Villeneuve-la-Guyard incitent à proposer une attribution culturelle comprise entre la fin du Néolithique ancien (BVSG) et les groupes de Cerny ou Chambon.
38Le contexte local demeure en grande partie défini par des publications anciennes et des fouilles inédites. Dans un rayon de 15 km autour de la zone de confluence Yonne-Cure, on identifie une dizaine de gisements datant de la fin du BVSG, du Cerny, du Chambon ou du Chasséen, soit un horizon chronologique qui intègre la fin de la première partie et toute la seconde partie du Ve millénaire. On peut supposer une densité encore plus grande puisque le secteur n’est pas sous les projecteurs de l’archéologie préventive.
39En 1990, Claude Constantin, après avoir créé le groupe de Villeneuve-Saint-Germain et constaté la filiation entre le VSG et le groupe de Cerny, propose la suppression du groupe d’Augy-Sainte-Pallaye créé par Gérard Bailloud (Bailloud, 1964 ; Constantin, 1990). Les éléments très diffus de l’ASP sont absorbés par l’un et l’autre groupe pour en faire une étape finale du VSG et une période formative du Cerny : ainsi naquit le Cerny sud. Ce dernier avait une assise géographique beaucoup plus étendue que l’ASP, centré sur la zone de confluence Yonne-Cure. De fait, le Cerny sud couvrait à sa création une aire qui englobe la haute et moyenne vallée de l’Yonne, la Loire moyenne, voire le haut bassin de la Saône.
40Toutefois, à partir de 1996, les travaux de Roland Irrabaria, affinant les intuitions de Gérard Bailloud, prouvent le caractère singulier du groupe de Chambon (Irribarria, 1996). Les arguments apportés conduisent C. Constantin à proposer la suppression du Cerny sud (Constantin, 1997), tout en gardant une forte interrogation sur l’attribution culturelle des sites localisés dans le sud des vallées de l’Yonne et la Cure, de la haute vallée de la Saône, voire de la trouée de Belfort.
41Le groupe de Chambon forme une passerelle entre monde rhénan et méridional vers le milieu du Ve millénaire. Son extension actuelle est localisée sur la Loire moyenne. L’une des questions qui se pose le concernant porte sur le cheminement des apports méridionaux et du sud-ouest de la France. Actuellement, deux voies sont privilégiées : la Loire et le seuil du Poitou. Au demeurant, dès la phase d’individualisation du Chambon par rapport au Cerny, R. Irribarria évoquait le rôle des cultures transalpines (VBQ) dans la genèse et le développement du groupe de Chambon (Irribarria, 1997). Dès cette époque, la question de l’axe de la Saône et de ses débouchés vers le Bassin parisien était posée.
42La zone de confluence Yonne-Cure se positionne sur l’un des débouchés de l’axe séquane. Un réexamen des productions céramiques qui composaient autrefois le groupe d’Augy-Sainte-Pallaye peut permettre d’une part d’insérer cette séquence dans celle du Bassin parisien avec plus de précision et d’autre part affiner les questions sur le rôle de l’axe de la Saône dans l’irrigation en influences méditerranéennes du Néolithique septentrional.
43Fouillé à partir de 1956 par H. Carré, le vaste gisement de Sainte-Pallaye, à l’interfluve Cure-Yonne, s’étend sur environ 10 ha, comme l’attestent les photographies aériennes contemporaines. Celles-ci révèlent au moins une maison de type danubien, de plan rectangulaire, une enceinte néolithique, une nécropole protohistorique et une ferme indigène gauloise (fig. 6). Ce site archéologique s’avère donc un palimpseste d’occupations.
Fig. 6. Sainte-Pallaye.
Photographies aériennes des parcelles attenantes aux fouilles H. Carré, et interprétation des vestiges : structures néolithiques et protohistoriques.
Clichés J.-P. Delor et A. Adine, 1990.
44En quatre années, H. Carré a travaillé sur une bande de 100 m de longueur sur environ 10 à 15 m de largeur, dans des conditions extrêmement difficiles. Ces fouilles ne représentent donc au mieux que 0,2 % du gisement. Il faut aussi se rappeler qu’à l’époque l’étude du Néolithique en était à ses balbutiements. L’originalité des décor plastiques exhumés a fourni matière à G. Bailloud pour poser les bases du groupe d’Augy-Sainte-Pallaye qui forme un chapitre de sa thèse (Bailloud, 1964). Cette notoriété nuira à la publication du gisement qui attendra encore 40 ans avant d’être partiellement publié par son fouilleur (Carré, 1999). L’examen des lots conservés au musée d’Avallon montre cependant un mobilier néolithique peu abondant, dans lequel on reconnaît une fraction qui peut correspondre à une étape de formation du Cerny et une autre chasséenne. La Protohistoire représente l’essentiel des productions, en particulier La Tène finale.
45La publication d’H. Carré (Carré, 1999) se consacre au niveau néolithique d’ascendance danubienne. Elle révèle une très forte densité de trous de poteau. On peut toutefois en extraire les éléments suivants :
- une maison trapézoïdale d’environ 15 m de longueur ayant la particularité de posséder un plancher de rondins partiellement conservé (maison 1) ;
- une série d’au moins neuf fours-foyers aménagés de galets, encadrée par une forêt de poteaux, qui borde cet habitat au nord-ouest (maison 3) ;
- deux structures d’habitat de forme approximativement ovale ou circulaire (cabanes 2 et 5) isolées par H. Carré ;
- deux enclos circulaires et un quadrangulaire, de datation protohistorique, sécants avec les niveaux néolithiques.
46L’examen des productions céramiques a toujours fait l’objet d’un examen global, suggérant une unique phase d’occupation pour le Néolithique à décor plastique. H. Carré a maladroitement introduit des nuances (Carré, 1999) mais le site était tombé dans l’anonymat des nombreux gisements de cette période.
47On peut s’interroger sur un séquençage plus fin. Ainsi, la maison trapézoïdale, dite « maison 1 », d’architecture danubienne, présente un mobilier très pauvre : quelques silex et deux tessons dont un bord décoré de pincements d’ongle (fig. 7, A). Cette phase pourrait correspondre à une première étape, BVSG sans plus de précision.
Fig. 7. Sainte-Pallaye, fouilles H. Carré, Carrière Guyot.
En haut, plan schématique des fouilles néolithiques.; A. Maison 3 ; B. fosse F. Collection Musée de l’Avallonnais.
Dessins M. Prestreau.
48Un lot céramique plus conséquent provient de la fosse F1 (fig. 7, B) qui est située à l’arrière de la « cabane 5 » de forme dérivée du cercle. La couleur des pâtes céramiques oscille entre le marron et le gris anthracite. La silice, le quartz et, pour certains, l’os pilé sont employés comme dégraissants. Pastilles au repoussé, pincements en V vraisemblables, pastilles enfoncées, cordons sinueux ou fin à section triangulaire, bords cochés forment un lot cohérent qui pourrait se positionner dans un Cerny déjà formé mais à un stade peu évolué.
49Un troisième lot provient des foyers 12 à 15, situés à 70 m à l’ouest de la zone précédente. La céramique présente les mêmes caractéristiques en matière de pâte que celle de la fosse F1. Les décors sont formés de cordons plastiques sinueux, souvent proches du bord, et de motifs à coups de poinçon (fig. 8, A).
Fig. 8. Sainte-Pallaye, fouilles H. Carré, Carrière Guyot.
En haut, plan schématique des fouilles néolithiques. A. Foyers 12 à 15 ; B. foyer F18 ; C. sans provenance fiable. Collection Musée de l’Avallonnais.
Dessins M Prestreau.
50Enfin, deux derniers lots, l’un provenant d’un alignement de foyers encadré par des rangées de poteaux, dit « maison 3 » par H. Carré (fig. 8, B), l’autre avec des localisations difficiles à retrouver (fig. 8, C), montrent un assortiment de décors plastiques formés de cordons à section ronde.
51Sur cette base, on peut émettre l’hypothèse que le site comporte au moins deux phases d’occupations pour la séquence BVSG-début du Cerny ; la première correspondrait à la maison 1 accompagnée d’une production matérielle restreinte ; la seconde, caractérisée par le développement des décors plastiques, où les décors au poinçon s’avèrent rares, accompagnerait un, voire plusieurs, habitat(s) circulaire(s) dont la « cabane 5 » serait l’archétype et qui évoque le plan mis au jour à Herblay (Valais, 1995). Pour mémoire, la reconnaissance de formes rondes d’habitat pour le Néolithique est récente et n’était pas de mise dans les années 60. Or dès le rapport initial, H. Carré (Carré, 1958) présente la « cabane 6 » (devenue 5 dans la publication) comme une structure néolithique.
52Pour terminer cette séquence du Néolithique moyen, la présence de tessons anthracites, lisses au toucher, munis d’un fin engobe, intégrant de menues particules de dégraissant dont de grosses paillettes de mica, atteste l’existence d’une occupation chasséenne mal identifiée lors du chantier de fouille.
53Si la majorité des éléments céramiques observés peuvent intégrer la séquence culturelle du Cerny en formation, quelques pièces semblent résulter d’apports exogènes. Ainsi, on note la présence d’une vraisemblable jatte à bord polylobé qui renvoie vers la sphère rhénane (fig. 7, n° 1). Une anse en ruban, à perforation verticale, vraisemblablement disposée non loin du bord (n° 10), le fin cordon à section triangulaire axé comme la ligne de mini coups de poinçon (n° 7) renvoient vers le groupe de Chambon où ils sont mentionnés par exemple à Contres (Pierrat, 2010). Moins typiques les décors de pastilles au repoussé en rangées écartées (n° 3), les groupements de pastilles à enfoncement central (n° 6) et les cordons épais à section ronde équarrie (n° 12) figurent dans le répertoire partagé du Cerny et du Chambon. Enfin, à noter l’originalité du décor ongulé (fig. 7, n° 8) qui emploie l’empreinte de quatre doigts conjoints de la main pour imprimer la pâte.
54La commune d’Escolives-Sainte-Camille possède un riche patrimoine néolithique. En 1968, Raymond Kapps a mis au jour deux sépultures datées du Néolithique ancien (Joly, 1968) ; le mobilier céramique évoque un stade initial du BVSG, voire le RRBP. Auparavant, en 1961, R. Kapps a exhumé un vase présenté alors comme Chasséen (Joly, 1961) mais pas incompatible avec le NMB à la faveur des recherches modernes. Ce vase doit être associé à l’une des deux enceintes néolithiques repérées dans la parcelle de sa découverte.
55Suite aux prospections aériennes de J.-P. Delor, Pascal Duhamel entreprend, de 1996 à 1999, la fouille d’une nécropole de type Passy. Il attribue le mobilier exhumé des sépultures au Cerny, non sans souligner une certaine proximité avec le Chambon (Duhamel, 2004). Il est vrai qu’à l’époque toutes les nécropoles fouillées de ce type sont affectées au Cerny.
- 2 On doit à René Berton, prospecteur aérien, la découverte en 1991 de cette petite nécropole d’au mo (...)
56Aujourd’hui, on peut les identifier dans la vallée de l’Ain (Saintot, 2019 ; Hauzeur et alii, 2019) et dans la vallée de la Saône aux Mailly (Nouvel, 2018) et à Montagny-lès-Beaune (Nouvel, 2020), deux gisements de Côte-d’Or repérés par des photographies aériennes. L’extension géographique des nécropoles à STP, de la Meuse2 (site inédit de Maizay-sur-Meuse) à la Normandie et de la confluence Rhône-Ain à l’Aisne, couvre un territoire beaucoup trop vaste pour que ces monuments ne reflètent que le rituel d’enfouissement des morts Cerny.
57À cet égard, tous les éléments caractéristiques de la nécropole d’Escolives appartiennent au groupe de Chambon : vase à ouverture ovalaire, vase à ouverture carrée orné de fine moustaches qui remontent jusqu’au bord, décor de cordon horizontaux sub-parallèle au bord, etc. (fig. 9, A). Dès lors, pourquoi s’interdire de l’attribuer au groupe de Chambon, qui est contemporain du Cerny ?
Fig. 9.
A. Nécropole STP d’Escolives-Sainte-Camille, vase à bouche carrée de la sépulture 71 ; vase à ouverture déformée de la sépulture 114 ; B. Augy, Carrière Martin. Coll. Musée de l’Avallonnais.
Dessins M. Prestreau sauf TP103, C. Touzel.
58La commune d’Augy se localise à 5 km au nord d’Escolives. La découverte est due à la création d’une carrière en 1952. Le mobilier recueilli n’a pas fait l’objet d’une publication. Le carrier, M. Guyot, a alerté le correspondant local de la direction des antiquités de la présence de deux enclos circulaires. À sa venue, ce dernier a appris des ouvriers la mise au jour d’environ dix-sept sépultures en 6 mois, sans mobilier ou avec mobilier disparu (sic). La surveillance qui s’est alors instaurée a permis d’exhumer trois autres sépultures, avec des défunts en position fléchie ou fléchie/accroupie, sans mobilier. Les rapports de l’époque conservés au SRA Bourgogne-Franche-Comté ne mentionnent pas d’autres fosses, ni de niveaux de sol. On doit à Gérard Bailloud la singularisation du lot de céramique à décor plastique et sa mise en exergue lors de la publication de sa thèse (Bailloud, 1964).
59Conservée au musée d’Avallon, la collection représente approximativement une dizaine de vases ; les pâtes, très sableuses, présentent une couleur gris anthracite à marron foncé ; le dégraissant est constitué de matière siliceuse et de grains de quartz, l’os pilé est présent mais pas dans tous les vases. La fragmentation ne permet pas de restituer des profils complets. Les formes dérivent de la sphère, voire comportent une panse rectiligne mais tendent à se refermer par des bords rentrants. Des formes très ouvertes de type jatte existent. La totalité des décors est plastique : cordons verticaux, obliques et horizontaux par rapport au bord du récipient, pastilles au repoussé dont il est difficile de déterminer si elles s’organisent en lignes multiples ou en plaques, bouton enfoncé, boutons dépassant du bord (fig. 10).
60Le musée d’Avallon conserve un second lot de trois céramiques de même horizon chronologique (fig. 9, B) qui provient de la sablière Martin, cette dernière n’étant plus localisable sur le territoire communal d’Augy.
61Le mobilier de la carrière Guyot s’insère dans une étape initiale du Cerny. De profondes différences émergent avec la fin de la séquence BVSG, telle que décrite dans le travail de Katia Meunier pour l’Auxerrois et la zone de confluence Seine-Yonne (Meunier, 2012). Certains caractères (pastilles au repoussé, boutons dépassant du bord, absence totale de décor gravé ou imprimé) paraissent postérieurs à l’étape représentée par Passy La Sablonnière. Dans ce contexte, le décor en cordons terminés par un bouton, organisés en faisceau, du tesson avec un bord rentrant (fig. 10, n° 11) présente une thématique qui renvoie clairement à la sphère méditerranéenne, tel le site de Barret-de-Liour, dans la Drôme (Beeching, 1999). Au demeurant, un vase à bord rentrant, décoré de motif plastiques, existe à Passy Sablonnière 5 dans un contexte BVSG finissant (Meunier, 2012). Par ailleurs, les cordons terminés par un bouton se rencontrent aussi à Contres (Pierrat, 2010), à Brion (Indre) ou à Ligueil (Indre-et-Loire ; Villes, 2007).
Fig. 10. Augy Ferme de Champagne, Carrière Guyot.
Coll. Musée de l’Avallonnais. Dessins M. Prestreau.
62La Cure creuse son lit dans les falaises jurassiques dures du Bathonien qui abritent une trentaine de grottes, toutes ou presque ayant été fréquentées par des humains durant la Préhistoire. La plus célèbre reste la grande grotte d’Arcy mais, pour le Néolithique, la grotte de Nermont à Saint-Moré a été longtemps considérée comme une référence.
63Fouillée de façon très rudimentaire après la guerre franco-prussienne de 1870, la grotte attire l’attention de l’abbé Parat qui entreprend des fouilles complémentaires et surtout beaucoup plus scientifiques à partir de 1896. Malheureusement elle était déjà fortement vidée. Lorsqu’en 1964 G. Bailloud présente sa thèse sur le Néolithique du Bassin parisien, Nermont restait une référence (Bailloud, 1964). En 1956, il en avait repris l’étude à partir d’un mobilier géographiquement très dispersé pour recomposer une séquence qui reste d’actualité moyennant quelques ajustements (Bailloud, 1956). Il identifiait alors du mobilier de tradition danubienne, avec influences Roessen, une importante occupation chasséenne ainsi que Seine-Oise-Marne (S.O.M.) et instituait ‘Nermont’ comme un des sites de référence de l’ex-groupe d’Augy-Sainte-Pallaye qu’il positionnait alors après le Chasséen.
64Depuis 1972, date de la dernière édition actualisée de la thèse de G. Bailloud, la séquence chronologique et culturelle du Néolithique du Bassin parisien a été largement précisée. Elle permet d’ajuster les données concernant ‘Nermont’.
65Avec la fermeture du musée de l’école Saint-Jacques à Joigny, une partie du mobilier est parvenue au musée d’Avallon mais de nombreuses pièces demeurent introuvables. Par chance, le fond documentaire d’H. Carré, conservé au musée de Sens, intègre le dessin de certaines de ces pièces disparues. Toutefois, l’examen des dessins portant sur des objets encore étudiables à Avallon montre une certaine liberté avec la réalité, bien que l’organisation du décor soit globalement respectée.
66Les productions céramiques de la grotte de Nermont (fig. 11 à 14) conservées au sein du musée d’Avallon présentent une technique et une texture proche de ce qui a été observé à Sainte-Pallaye. Le registre des formes est plus développé. Deux facteurs peuvent l’expliquer : le nombre relativement restreint d’individus dans les ensembles précédents et le contexte en grotte qui induit peut-être une fonction différente des occupations de plein air.
Fig. 11. Saint-Moré, grotte de Nermont. 1, 2 7, 8, 10 11 : collection Musée de l’Avallonnais.
Dessins M. Prestreau.
Fig. 12. Saint-Moré, grotte de Nermont.
Dessins M. Prestreau.
Fig. 13. Saint-Moré, grotte de Nermont. 4, 5 et 6 : collection Musée de l’Avallonnais.
Dessins M. Prestreau.
Fig. 14. Saint-Moré, grotte de Nermont.
Dessins M. Prestreau.
67Le fond de culture danubienne intègre parfaitement une étape de transition entre le BVSG et le Cerny, ce que confirmerait la présence d’un tesson Grossgartach (fig. 11, n° 7) attribué au Roessen par G. Bailloud (comm. orale d’A. Denaire), celle de « plusieurs tranchets » et de bracelets de schiste (Parat, 1909). À ce stade, il est difficile de déterminer une ou deux fréquentations de la grotte à l’articulation du Néolithique ancien avec le Néolithique moyen I, beaucoup des éléments retrouvés traversent la dite séquence (décors en V au-dessus des anses, forme céramique en bombe, bracelets en schiste). Retenons pour la période formative du Cerny les éléments suivants : bouton plastique enfoncé au pouce (fig. 12, n° 8), cordons en relief dépassant du bord (n° 3), boutons dépassant du bord (n° 1), pastillage au repoussé (fig. 12, nos 9, 10 et 11), décors au poinçon en lignes sub-parallèles au bord (fig. 11, nos 2, 3 et 10), emploi de la tige creuse (nos 8, 9 et 11), cordons en relief variés (fig. 12, nos 1, 3 à 7), boutons en relief (nos 14 à 16).
68Quelques éléments intriguent. Ainsi, l’anse sous bord (fig. 12, n° 2), la longue poignée triangulaire arquée (fig. 15, n° 1), ou les grosses anses à ensellement médian (fig. 13, n° 4) ou en ruban, évoquent le groupe de Chambon (Villes, 2007). Toutefois, il faut garder en tête que cet assemblage n’appartient pas obligatoirement au même niveau de la stratigraphie.
69Ainsi, certaines formes qui paraissent plus avancées (fig. 13, n° 10 et fig. 14 nos 8, 9) pourraient relever du niveau chasséen de type Chassey qui recouvre la fin de la séquence danubienne. H. Carré, qui connaissait bien le danubien et le Chasséen de l’Yonne, n’a pas fait figurer les pièces clairement chasséennes (anse multiforée, cuiller, vase support à décor gravé, …) dans les planches qu’il a réalisées sur Nermont. On peut espérer que ses archives auront gardé l’explication des choix ainsi opérés.
70Les 5 m de puissance de la séquence stratigraphique de Nermont se prolonge par du Néolithique final, du Bronze final, du La Tène et du médiéval.
71L’abbé Parat a laissé beaucoup d’écrits (Parat, 1909). La qualité de ses travaux est remarquable pour l’époque. Il identifie une dizaine de grottes occupées par des populations néolithiques. Sous réserve de voir le mobilier en question, à la lecture de la description de certaines céramiques, on peut supposer au moins une ou deux autres grottes occupées au Néolithique moyen I. Cette description sommaire du mobilier peut laisser entrevoir une correspondance avec des productions céramiques et lithiques du Cerny. Majoritairement, il demeure vraisemblable qu’il faille rattacher les autres occupations en grottes au Néolithique moyen II et au Néolithique récent.
72En résumé, la zone de confluence Yonne-Cure accueille les premières populations néolithiques à la fin du RRBP ou au stade premier du BVSG (sépulture d’Escolives ; Joly, 1968). Le BVSG, bien que diffus, habite le fond de la vallée – maisons trapézoïdales de Cravant Bréviande et de Sainte-Pallaye Champ Guyot –, et occupe peut-être les grottes de la Cure – Nermont, éventuel niveau de base.
73Au stade ultérieur, on pressent un Cerny en formation, sans pour autant que tous les « fossiles directeurs » soient présents. Ainsi, on constate la rareté des décors au poinçon, l’absence totale de décor à la spatule, l’emploi très normé des pastilles au repoussé qui sont loin d’avoir l’expansion constatée dans le Cerny, la multiplication des cordons plastiques et une exubérance nouvelle comme ces débordements par-dessus le bord (sans doute d’inspiration plus méridionale). C’est à ce stade que nous proposons de situer l’enceinte de Cravant. Ceci doit rester une hypothèse.
74Cette phase initiale du Cerny présente bien des points communs avec le groupe de Chambon. Par-delà le fond commun, certains caractères propres à ce dernier sont présents en nombre suffisant pour attester des échanges réguliers. On peut ainsi émettre comme hypothèse de travail que le sillon de la Saône, que prolonge le bassin de l’Yonne, s’avère une voie de passage qui a alimenté en éléments méridionaux une partie des caractéristiques du groupe de Chambon.
75Le Chasséen de type Chassey met un terme à la séquence danubienne de la haute vallée de l’Yonne (Nermont, Sainte-Pallaye). Ce remplacement pose question. Est-il responsable de la non maturation du Cerny ? En d’autres termes, quand arrive-t-il ? À la fin du 2ème tiers du Ve millénaire ? Plus tard, à la fin du Ve millénaire ? Dans cette éventualité, on constate l’absence de sites connus pour combler une lacune de plusieurs siècles.
76Il est lui-même remplacé par le NMB (sites du plateau de Noyers, grottes de la Cure).
77En toute légitimité, on peut aussi s’interroger pour savoir si d’autres groupes culturels, autres que le Cerny, auraient pu édifier l’enceinte de Cravant. Il faut donc regarder les publications concernant des enceintes dont la position chronologique est antérieure ou postérieure au Cerny. En Belgique (Bosquet et alii, 2007), dans la plaine du Rhin (Lefranc et alii, 2019), les populations rubanées érigent des enceintes de forme ovoïde, une tranchée recueille les poteaux de la palissade, l’aire cernée est de l’ordre d’1 ha à 1,5 ha ; généralement des structures d’habitat sont établies dans le retranchement. On ne peut pas totalement écarter cette hypothèse pour l’enceinte de Cravant qui présente certains points communs (palissade, surface enclose, tracés irréguliers). À cet égard, il se peut que la présence du Canal de Bourgogne, qui scie littéralement la plaine de Bréviande en deux, empêche mentalement de faire le lien entre le groupe d’au moins trois maisons reconnu par photographies aériennes à 200 m au nord-est l’enceinte.
78Toutefois à proximité de l’interfluve Yonne-Cure, la présence de populations Rubané Récent du Bassin parisien n’est que peu décelée, l’indice le plus concret concernant la sépulture d’Escolives (Joly, 1968) ci-dessus évoquée, dont la céramique d’accompagnement s’exprime dans un registre de décor de la fin du RRBP ou du début du VSG. On peut s’interroger sur la maison aperçue en photographie aérienne à Sainte-Pallaye qui semble présenter un plan rectangulaire. Ce secteur a été beaucoup parcouru par les prospecteurs et le Rubané Récent du Bassin parisien n’a jamais été signalé. Les autres indices évoquent le VSG (plateau de Noyers, maisons trapézoïdales de la plaine de Bréviande à Cravant), soit quelques siècles après les associations enceintes/habitats décrites supra. Au demeurant, la convergence de certains critères est intéressante et pourrait traduire une filiation à étudier.
79L’absence actuellement constatée des faciès Cerny Videlle et Cerny Barbuise dans l’espace de la confluence Yonne-Cure semble indiquer que le Chasséen succède assez tôt au Cerny ; en l’état actuel des connaissances, les stades « matures » du Cerny ne pénètrent pas l’Yonne moyenne ; la confluence Yonne-Armançon paraît marquer la limite méridionale de son extension. Est-ce que les populations chasséennes peuvent avoir construit l’enceinte de Cravant ? D’une manière générale, l’architecture chasséenne reste méconnue. Toutefois, l’architecture des enceintes qui leur sont attribuées s’avère beaucoup plus impressionnante. L’aire cernée multiplie les hectares, les palissades paraissent systématiquement doublées par un ou deux rangs de fossés larges, comme c’est le cas à Beaumont ou Esnon dans l’Yonne moyenne (Prestreau, 2003). Tout porte à éliminer cet horizon culturel pour l’érection de l’enceinte de Cravant.
80Les très faibles éléments mobiliers exposés, les comparaisons architecturales et la prise en considération des caractères architecturaux propres des populations néolithiques qui se succèdent pendant trois millénaires dans la vallée de l’Yonne incitent à privilégier la piste d’une datation du début du Cerny. Cela doit rester une hypothèse.
81Cinq enceintes icaunaises reconnues par la photographie aérienne présentent de fortes similitudes morphologiques avec l’enceinte de Cravant, comme évoqué en présentation. Elles sont presque toutes localisées dans la partie méridionale du département (fig. 15) ; Tanlay et Cusy sont sur la vallée de l’Armançon, Chablis, Pasilly sur celle du Serein et Trucy et Cravant sur la vallée de l’Yonne. Il y a là une communauté architecturale intrigante le long des axes majeurs qui éventuellement pourrait trouver des convergences en région Centre-Val-de-Loire ou dans la vallée de la Saône, aux franges sud, voire ouest, du Bassin parisien, à un moment, dans le 2ème tiers du Ve millénaire, où la poussée chasséenne semble se faire sentir.
Fig. 15. Plan de répartition des enceintes de même morphologie que celle de Cravant.
D’après photographies aériennes J.-P. Delor, P. Nouvel.
82L’enceinte de Deux-Rivières (Cravant) Haut de Bréviande est d’un type répandu dans le haut bassin de l’Yonne, dans les vallées de l’Armançon, du Serein et de l’Yonne. Elle est très érodée. Un fossé étroit accueillait des pieux pour constituer une palissade qui, à la lecture des clichés aériens, semble continue, bien qu’interrompue par quelques ouvertures. L’étude a permis de mettre en évidence une entrée de 9 m de large, avec trois poteaux disposés au milieu de l’intervalle pour limiter le nombre d’accès simultanés. La fouille n’autorise pas à statuer sur la circonvolution externe : fossé d’enceinte très érodé ou tranchée de palissade ? Faute d’avoir recueilli un mobilier signifiant, si ce n’est que la production céramique incorpore de l’os pilé, c’est par analogie morphologique que l’on propose une datation à un stade initial du Cerny dont on constate l’ostensible implantation autour de la confluence Yonne-Cure (Augy, Sainte-Pallaye, grottes de la Cure).
83L’examen de la céramique des fouilles anciennes permet d’actualiser la séquence chronologique. Cette dernière est loin d’être définitivement calée ; le doute persistant sur la qualité des assemblages conservés et la rareté des archives qui accompagne ces fouilles ne pourront être compensés que par des fouilles modernes. Néanmoins, on perçoit une forte emprise des populations du début du Cerny sur le secteur Yonne-Cure.
84Le mobilier exhumé dans la nécropole à structures de type Passy (STP) d’Escolives-Sainte-Camille (Duhamel, 2004) relève quasi exclusivement du groupe de Chambon ; la mise en évidence de lots céramiques Chambon dans les assemblages de Sainte-Pallaye et de Nermont suggère soit des échanges, s’il y a contemporanéité, soit une filiation. La question reste ouverte mais ouvre la voie à une autre question qui concerne le rôle de la vallée de la Saône, en contact avec le bassin de l’Yonne, dans l’approvisionnement en influences méditerranéennes du Néolithique du Bassin parisien.