1La commune de Grand se situe à l’extrémité ouest du département des Vosges, à quelques kilomètres des départements de la Haute-Marne et de la Meuse. Implantée sur les plateaux calcaires qui constituent la Plaine vosgienne, Grand est connue pour avoir accueillie une agglomération importante appartenant à la civitas des Leuques durant l’Antiquité. Elle s’établit à l’intérieur d’un triangle formé par les voies antiques reliant Langres-Trèves, Langres-Reims et Toul-Reims (fig. 1).
Fig. 1. Localisation de Grand.
D’ap. Heckenbenner, Mondy dir., 2021, fig. 2 et Laffite, 2009, p. 16, fig. 1 - DAO : J.-D. Laffite, modifications DAO : E. Mathieu.
2Si quelques mentions du village sont connues au xviiie s., le xixe s. marque le début des fouilles archéologiques à Grand par le biais de J.-B. P. Jollois (1776-1842), ingénieur en Chef et directeur des Ponts et Chaussées des Vosges, puis du conservateur du musée départemental des Vosges, Jules Laurent (1832-1877), et de son successeur Félix Voulot (1828-1883). La mise au jour d’édifices monumentaux suscite rapidement l’intérêt pour le passé de l’agglomération et entraîne les premières hypothèses sur l’existence d’un important sanctuaire dédié à Apollon Grannus. Dès lors, le village vosgien connaîtra, jusqu’à nos jours, de nombreuses opérations archéologiques, centrées en grande partie sur sa parure monumentale, reléguant les recherches sur l’habitat au second plan. Ce n’est qu’à partir des années 1980 que les premières fouilles archéologiques et travaux universitaires s’orientent vers la vocation résidentielle de l’agglomération antique.
- 1 L’habitation est ici considérée comme un espace domestique dans lequel peuvent se dérouler des act (...)
3Parallèlement, et depuis la création d’un conseil scientifique en 2007 et de PCR successifs, des campagnes de prospections géophysiques et aériennes sont prescrites annuellement (Dechezleprêtre, 2015, p. 29). Les données accumulées et référencées depuis 2012 au sein d’un SIG, instauré par Th. Dechezleprêtre, conservateur du département des Vosges, et complété par les travaux de recherches successifs (Dechezleprêtre et alii, 2017, p. 45‑54), permettent de faire un état de la documentation disponible et d’offrir un outil d’aide à l’analyse spatiale. L’importance des données accumulées (prospections géophysiques et aériennes, résultats de fouilles archéologiques, plans cadastraux et topographiques anciens) ont conduit à la réalisation d’un mémoire de recherche visant à caractériser les types d’habitations1, leur implantation dans la morphologie urbaine de l’agglomération et d’effectuer une mise en relation avec d’autres sites. Le présent texte met ainsi en lumière les nouveaux résultats recueillis sur l’habitat à l’issue de ce travail universitaire (Mathieu, 2019). Le bilan des connaissances et de la documentation aboutit à la réalisation d’un plan global de l’agglomération antique mettant en lumière certains quartiers, dont l’étude de cas permet d’étudier l’occupation et les formes des habitations grandésiniennes.
4Après une période d’interruption durant la Seconde Guerre mondiale, Grand voit la reprise des recherches archéologiques, sous l’impulsion de campagnes de fouilles et des travaux d’assainissement, d’adduction et de remembrement entrepris sur la commune dans le troisième quart du xxe s. Dès les années 1960, au lieu-dit du Jardin Huguet, la mise au jour d’éléments de sculptures architecturales et d’un massif maçonné dans l’hypothétique centre monumental de l’agglomération conduit son inventeur, Édouard Salin, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, à interpréter ces vestiges comme un trophée et un autel appartenant à un « monument public considérable » (Salin, 1960, p. 144) (fig. 2). Parallèlement, des études portant sur le rempart de l’agglomération sont engagées. Déjà connus au xixe s., les travaux d’aménagement de la commune ont permis de restituer le tracé de l’enceinte par la découverte de certaines portions. L’étude de sa maçonnerie à l’occasion d’investigations archéologiques par Chantal Bertaux place l’édification du rempart au tournant des ier et iie s. (Bertaux, 1983, p. 87). Les vestiges du monument dit du Jardin Huguet, couplés à la présence d’un rempart précoce et à fonction prestigieuse, réintroduit l’hypothèse d’un grand sanctuaire dédié à Apollon Grannus, dont les érudits du xixe s. avaient porté le postulat. L’intérêt porté au caractère monumental et exceptionnel de Grand ont conditionné les interprétations futures sur son habitat.
Fig. 2. Carte de localisation des structures fouillées à Grand.
5En effet, la fréquence d’apparition des maisons est inégale selon les secteurs de la commune. Ainsi dans la partie intra muros, un faible nombre de vestiges, en partie dû aux vergers et jardins gênant les investigations de télédétection, est connu (Tur, 2015, p. 40). Une seule fouille archéologique, dirigée par Jacques Guillaume en 1968 au lieu-dit Grand Jardin, a mis au jour un habitat jugé modeste à l’intérieur des remparts (fig. 3). Son occupation se résume principalement au ier s. Ces résultats amènent l’archéologue Jean-Paul Bertaux à émettre l’hypothèse d’un déplacement de l’habitat au nord et au sud au iie s. à l’occasion de la construction du rempart (ibid., p. 41). L’habitat étant rejeté à l’extérieur de l’enceinte, l’auteur interprète cet enclos comme un espace libre de toute construction privée, laissant ainsi un lieu réservé aux bâtiments cultuels et administratifs en lien avec l’hypothétique sanctuaire. Par ailleurs, le parcellaire circulaire – un tracé encerclant sur près de 3 km le village et nommé Voie Close (actuellement supplantée par le Chemin des Remparts, le Chemin de la Corvée et le Chemin de la Chapelle Sainte-Libaire) –, matérialisait encore aujourd’hui les limites de l’agglomération (Salin, 1965, p. 75‑76).
Fig. 3. Plan de synthèse de la fouille du lieu-dit Grand Jardin.
D’ap. DAO : M. Mondy in Heckenbenner, Romanenko, 2019, fig. 14 ; DAO : E. Mathieu.
6En ce qui concerne l’occupation extra muros, elle se voit renseignée par un sondage opéré en 1967 par Ch. Bertaux et F. Lepage. Plusieurs salles, dont deux caves et un hypocauste imputables à un ou deux bâtiments, sont dégagés au lieu-dit de la Maladière, au nord du village. La mauvaise connaissance du secteur à l’époque de la découverte invite les scientifiques à interpréter le bâtiment comme une villa, s’implantant dans un espace vide d’habitation. À près de 800 m au sud de la commune, au lieu-dit la Violette, des fouilles systématiques de 1969 à 1973 renseignent une villa composée d’au moins cinq bâtiments (Berçot, 1974, p. 31-34).
7Le dernier quart du xxe s. voit l’accroissement des campagnes de prospections aériennes (Bertaux, Loiseau, 1986, p. 8). Dès lors, plusieurs secteurs du village permettent d’être renseignés. Au nord, le lieu-dit de la Maladière laisse apparaître plusieurs anomalies phytographiques impliquant une densité de vestiges importants imputable à plusieurs quartiers de maisons, là où le secteur était auparavant perçu comme faiblement occupé (cf. supra 1.1.1). Au sud, au lieu-dit Champée-Marguerite, les survols lors de la sécheresse de 1976 attestent la présence d’une « villa » (ibid., p. 9).
8À la suite d’un sondage positif, une opération pluriannuelle au lieu-dit Derrière-Matelotte, situé entre le rempart septentrional et la Voie Close, marque la première fouille programmée visant à éclairer un secteur d’habitation de l’agglomération antique (fig. 4). Durant les années 1970-1980, deux unités d’habitation au plan incomplet sont mises au jour et étudiées. Un travail de maîtrise par J.-L. Remy sur ce secteur constitue la première étude monographique sur l’habitat à Grand (Remy, 1981). La connaissance du quartier est complétée en 1995 par une opération préventive consécutive à la construction d’un hangar sur la parcelle jouxtant les limites de l’investigation programmée précédente. Trois nouvelles habitations réparties sur deux îlots délimités par une voie s’ajoutent aux deux habitations déjà connues (Milutinovic, 1995, p. 110-112). L’ensemble forme un quartier de quatre îlots d’habitations délimités par un réseau viaire orthonormé. En 1998, la création d’un espace d’accueil du public à l’amphithéâtre entraîne une opération préventive. Situé entre la route communale de Midrevaux et l’édifice de spectacle, un quartier d’habitat s’implantant sur un terrain aménagé en trois terrasses est découvert (Boulanger, 2006) (fig. 5).
Fig. 4. Plan de synthèse des fouilles programmées et préventives au lieu-dit Derrière-Matelotte.
Fig. 5. Plan de synthèse et proposition de restitution de la fouille préventive rue de l’Amphithéâtre de 1998.
Boulanger, 2006, fig. 4 et 54.
- 2 "Grand, Prestigieux sanctuaire de la Gaule", Les dossiers d'archéologie, Ed. SFBD/Archeologia SA., (...)
9Malgré un accroissement notable des données, aucun article consacré à l’habitat grandésinien ne paraît dans le numéro des Dossiers d’Archéologie sur Grand en 19912 (Tur, 2015, p. 41-42). En lieu et place d’un article synthétique, une restitution aquarellée de J.-C. Golvin est proposée (fig. 6). L’archéologue-architecte y reporte les structures archéologiques selon les connaissances de l’époque. L’agglomération se compose principalement d’un temple ceint d’un rempart dans lequel prennent place des édifices monumentaux et des espaces vierges dédiés aux jardins. Au nord, des quartiers d’habitations ne sont figurés que succinctement entre le rempart septentrional et la Voie Close. Quelques villae constituent l’occupation sud du site. Cette image, en partie biaisée, de l’agglomération constitue un état des connaissances accumulées depuis le xixe s. La surreprésentation d’édifices monumentaux par rapport à la vocation résidentielle retranscrit un désintérêt et un manque d’informations vis-à-vis de l’habitat de Grand ; désintérêt accentué par son statut de sanctuaire de pèlerinage a fortiori peu doté en habitats. La vue cavalière de J.-C. Golvin va forger pendant près de vingt ans l’image d’une agglomération-sanctuaire où l’habitat n’occupe qu’une faible place.
Fig. 6. Vue générale de l'agglomération antique de Grand.
Restitution : J.-Cl. Golvin, CNRS.
- 3 Le Conseil Scientifique de Grand, présidé par John Scheid (Collège de France) et coordonné par Thi (...)
10En 2007, un Conseil scientifique3 est instauré pour remettre à plat la foisonnante documentation scientifique accumulée sur près de deux siècles. Parallèlement à la reprise de la documentation archéologique, des campagnes de prospections géophysiques et aériennes sont mises en place chaque année dans le cadre du PCR « L’agglomération antique de Grand (Vosges) » (coord. : Th. Dechezleprêtre). L’acquisition systématique de données via les méthodes de prospections non invasives marque un bond en avant dans la compréhension du site. La même année, une opération archéologique préventive au lieu-dit la Baronnie, situé aux abords extérieurs du rempart oriental, met au jour deux bâtiments incomplets et une voie. La faible emprise de la fouille (environ 195 m²) vient renseigner la chronologie du secteur et révèle la présence d’un quartier d’habitation à cet emplacement (Mamie, 2007) (fig. 7).
Fig. 7. Plan de la fouille préventive de la Baronnie.
Mamie, 2007, pl. VII.
11Un premier état des connaissances sur l’habitat est réalisé en 2010, dans le cadre d’un mémoire de recherche de J.-M. Tur (Tur, 2010b). Les résultats des campagnes de prospections y sont également traités. Centrée sur le quartier nord, une carte des structures archéologiques de l’agglomération antique est réalisée, renouvelant la vision qui prévalait depuis la restitution de J.-C. Golvin (fig. 8). Ses conclusions présentent une agglomération d’une superficie de 70 ha (ibid., p. 56). La trame viaire découpe des îlots majoritairement trapézoïdaux et quadrangulaires, dont la forme semble être dictée par un rayonnement des voies depuis le centre de l’agglomération. Les maisons au nord revêtent, en grande partie, un plan en lanière et s’intègrent dans un tissu densément occupé. Les limites septentrionales de l’extension urbaine sont circonscrites par la nécropole des Roises.
Fig. 8. Plan général des structures relevées par la fouille et les méthodes non destructrices.
Tur, 2010c, vol. 2, p. 70.
- 4 Cette datation résulte de l’étude d’un lot de céramiques significatif issu d’une hypothétique foss (...)
12Concernant les nécropoles de l’agglomération, la reprise de la documentation ancienne par P. Vipard – dossier toujours en cours d’étude – rend compte d’une nécropole située le long de la route de Dainville, aux abords immédiats des habitations septentrionales de Derrière l’Essarté et La Maladière, sur une distance d’environ 800 m vers le nord (Vipard, 2018, p. 92-94). Les maigres indices chronologiques probant concernant la période romaine attestent une occupation dès le début du iie s., en l’état de la recherche (Dub, 2018, p. 221-224)4. Sa réutilisation à l’époque franque est quant à elle bien renseignée. Le sud de l’agglomération, pour sa part, est perçu comme faiblement occupé, en raison d’un manque de données. Seules quelques villae s’y implantent. Ce premier état des connaissances sur l’habitat grandésinien renouvelle sensiblement la vision de l’agglomération.
13En 2011, une opération archéologique dirigée par Michiel Gazenbeek (Inrap), au lieu-dit de la Fontainotte, jouxtant le rempart sud, permet la découverte d’une habitatation d’une superficie de 7 800 m² (fig. 9). Un plan exhaustif du bâtiment est proposé à partir des fouilles et des prospections géophysiques. La domus dispose d’un enclos occupé par un corps de bâtiment principal, un jardin et une aire de service couplée à des dépendances (Gazenbeek, 2014).
Fig. 9. Plan de la domus de la Fontainotte.
Gazenbeek, 2014, p. 396 ; DAO : E. Mathieu.
14La tenue du colloque « Agglomération et sanctuaires : réflexions à partir de l’exemple de Grand » en 2011 est venu apporter des réflexions sur la nature de l’agglomération (Dechezleprêtre et alii, 2015). La notion de « ville sanctuaire », longtemps admise pour Grand (cf. supra), est remise en cause (Scheid, 2015, p. 11‑18). Dorénavant, et en l’absence de nouvelles données, Grand est reconnue avant tout comme une agglomération où la vocation résidentielle, autrefois minimisée, occupe une place notable. Les habitations revêtent des plans connus dans d’autres agglomérations de Gaule romaine et leur emplacement au sein de l’agglomération semble dicter leur morphologie (habitat majoritairement laniéré au nord et villae au sud).
15Malgré un intérêt et un accroissement exponentiel des données sur l’habitat, des interrogations subsistent quant à la typologie précise des formes des maisons et l’analyse de l’occupation et de la fonction de certains quartiers.
16De nouvelles prospections géophysiques et aériennes permettant de couvrir une grande superficie s’ajoutent aux opérations archéologiques. Dès lors, une nouvelle étude de l’habitat est permise.
17La caractérisation et l’analyse de l’habitat antique de Grand sont rendues possibles par un important nombre de données mises à disposition. Celles-ci prennent la forme de documents graphiques anciens et de résultats de prospections du sol internes ou externes.
18Le site bénéficie tôt d’un plan topographique de qualité scientifique. Dès 1843, l’ingénieur J.-B. P. Jollois publie un plan général des vestiges romains recensés dans le village (fig. 10). Des portions de voies et des bâtiments antiques, dont la validité reste à nuancer (thermes, prison, segments de voie, conduits souterrains), y sont reportés. En outre, l’observation et l’intégration des plans cadastraux anciens – notamment le relevé cadastral de 1887 (levé dirigé par F. C. Salmon ; AD88) – permet de prendre conscience de la fossilisation du parcellaire antique et de la pérennisation d’anciens réseaux viaires, monuments, quartiers, etc. Par ailleurs, la confrontation des plans cadastraux avec les résultats des prospections permet d’éliminer les anomalies d’origine contemporaine.
Fig. 10. Plan du village de Grand.
D’après Jollois, 1843.
19La majeure partie de l’agglomération est couverte par des campagnes de prospections non invasives. L’acquisition annuelle systématique de prospections géophysiques permet aux abords du village d’être en grande partie couverts. Les prospections électriques jumelées aux prospections magnétiques renseignent sur la nature et l’organisation des vestiges. Concernant l’occupation de certains quartiers, la réponse magnétique des vestiges permet de détecter des zones thermorémanentes liées à des structures de chauffe et d’artisanat.
20Les campagnes de survols annuelles sont à l’origine d’un important dossier de vues aériennes obliques. Les anomalies phytographiques repérées dans les champs environnant le village complètent les informations déjà collectées par les prospections géophysiques. La complémentarité des deux méthodes de prospection permet en outre d’écarter les anomalies géologiques (affleurement calcaire, diaclases) et contemporaines (ancienne clôture, parcellaire moderne, etc.) pouvant nuire à la lisibilité des cartes magnétiques et de résistivité.
21Enfin, l’acquisition en 2009 d’un relevé LiDAR de 5 000 ha met en avant des anomalies micro-topographiques au moyen d’un Modèle Numérique de Terrain (MNT). L’arasement et le nivellement des sols dus à l’action agricole contemporaine impactent la conservation des vestiges. Néanmoins, il rend compte de la topographie et de la déclivité de certaines zones de l’agglomération pouvant influencer l’habitat. Confronté aux autres données, il informe sur l’occupation des sols sur une étendue considérable.
22Enfin, les fouilles et sondages archéologiques constituent le corpus de données le plus important pour la caractérisation des formes de l’habitat en renseignant sur les matériaux de construction, l’organisation interne des édifices, leur évolution au cours du temps, leur fonction, etc., les prospections palliant la faible emprise des investigations archéologiques. Les structures d’habitats fouillées peuvent être replacées à une échelle d’étude plus étendue (îlot, quartier, ou agglomération) (fig. 11).
Fig. 11. Localisation des secteurs prospectés et fouillés dans la commune.
- 5 Pour la localisation des zones et des lieux-dits mentionnés tout au long de l’article, se rapporte (...)
23Par souci de continuité avec les travaux antérieurs, le village de Grand est découpé en zones correspondant aux lieux-dits et aux opérations archéologiques. Le découpage en six zones du nord de l’agglomération de Grand résultant des travaux précédents est repris et étendu à l’ensemble de la commune (Tur, 2015, p. 43, fig. 1). En définitive, quatorze zones définissent une aire d’étude de 230 ha (fig. 12)5.
Fig. 12. Carte des lieux-dits et de la division zonale des aires d'étude.
SIG/DAO : E. Mathieu.
24Les données de chaque zone sont intégrées dans le SIG du site de Grand géré par le Conseil départemental des Vosges. Un système de projection commun en Lambert 93 est adopté pour l’ensemble des données. Concernant les vues collectées lors des prospections aériennes, ces dernières ont fait l’objet d’une sélection selon leur qualité qui se définit par un nombre d’anomalies importantes, une bonne lisibilité, une prise de vue a minima zénithale et l’existence de points d’ancrage pour le géoréférencement (limite parcellaire, arbre, bâti, etc.). Les photographies sélectionnées sont par la suite géoréférencées et redressées dans le SIG.
25Pour traiter les données cartographiques (prospections géophysiques et aériennes, relevé LiDAR, cadastres anciens, fouilles et sondages archéologiques), un protocole visant à interpréter les anomalies en structures archéologiques est établi. Basé sur les travaux récents de Jonathan Vidal pour le site d’Alésia (Cazanove et alii, 2012, p. 127-149) et du PCR AggloCenE (Venault, Nouvel dir., 2013, p. 231-257), il s’organise en trois étapes : une interprétation technique consistant à représenter et à définir strictement le signal des anomalies de chacune des prospections (dipôle, linéaire résistante, zonale conductrice, sombre ou claire, topographique, etc.) ; une interprétation structurelle visant à définir les anomalies en faits archéologiques (mur, fossé, sol, puits, etc.) selon la nature de l’anomalie ; une interprétation fonctionnelle tentant de rattacher les faits archéologiques à des structures en fonction de la précision des données dont ils sont extraits (voie, cave et autre nature des pièces, maison, habitats d’un même type au sein d’un îlot ou d’un quartier, etc.). Réalisées au sein du SIG, les étapes interprétatives renseignent par conséquent, via la table attributaire, la nature des anomalies et leur transcription en structure archéologique permettant une approche intégrée et multiscalaire de l’agglomération profitable à une analyse spatiale de l’habitat.
26Le traitement des données de chacune des quatorze zones offre une nouvelle vision de l’agglomération antique. L’interprétation technique puis structurelle des anomalies issues des données de prospections a permis de dresser une carte renouvelée des structures archéologiques du site, et plus précisément de l’habitat (fig. 13).
Fig. 13. Cartes des anomalies issues des prospections (de gauche à droite et de bas en haut : prospections électriques, prospections magnétiques, prospections aériennes) et de leur interprétation structurelle (en bas à droite).
Fig. 14. Plan masse de l’agglomération antique de Grand.
27À l’échelle de la Lorraine, l’agglomération de Grand polarise un ensemble de voies d’importance régionale mais reste en dehors des grands axes de communications desservant les chefs-lieux des cités avoisinants (Lafitte, 2009, p. 16, fig. 1 ; Resch, 2017, fig. 4) (cf. fig. 1). Six voies se connectant à l’agglomération sont reconnues. Parmi ces dernières, trois au moins sont importantes : au nord, la voie Grand/Nasium, la voie vers Soulosse et passant à Midrevaux à l’est, et la voie vers Liffol-le-Grand en direction de Bourbonne-les-Bains et Nijon au sud-est.
28La planification viaire de Grand est originale et structurée. Son origine et ses modalités de mise en place restent encore inconnues à ce jour. Elle arbore une trame viaire radioconcentrique où se connecte un ensemble de voies rayonnant depuis le centre de l’agglomération. L’intérieur des remparts forme l’épicentre autour duquel se développent des quartiers périphériques. L’urbanisme est planifié en îlots majoritairement trapézoïdaux et quadrangulaires. Déjà perçue au nord du site lors des travaux précédents, cette observation se voit confirmée et élargie au restant de l’agglomération. Les récents apports semble témoigner d’une fossilisation du parcellaire antique qui se transcrit dans le tissu urbain actuel. La forme circulaire du village actuel est héritée de l’agglomération antique. Les voies de communication reprennent majoritairement l’orientation, voire le tracé des rues romaines telles que la Voie Close. Les rues antiques constituent ainsi un cadre morphologique conditionnant l’implantation et l’évolution du parcellaire et du bâti. Il est à noter toutefois que la partie urbanisée du village actuel ne recouvre que 50 ha, soit une rétractation de près de 35 % de l’espace urbanisé depuis la période antique.
- 6 L’aire proposée rend compte d’une vision diachronique de l’occupation du territoire. Il est bien e (...)
29De manière générale, le réseau viaire des zones périphériques du site est mieux connu que le cœur de l’agglomération pour lequel l’occupation contemporaine empêche l’acquisition de données (fig. 15). Les limites nord se rencontrent à près de 500 m de la courtine septentrionale du rempart, délimité par la nécropole des Roises et le secteur de la Maladière. Le sud et l’est sont pour leur part contenus par le Chemin actuel des Remparts (Voie Close) et l’amphithéâtre. L’ouest du rempart semble dans sa grande partie inoccupée. La reconnaissance des franges urbaines permet d’estimer la superficie de l’agglomération à 77 ha6 (Mathieu, 2019, p. 153). Parmi elles, des secteurs disposant d’un sous-sol propice aux prospections et ayant fait l’objet d’opérations archéologiques offrent un point d’ancrage à l’étude de l’habitat antique.
Fig. 15. Carte des limites supposées de l’agglomération antique (en trait-point) selon la répartition des opérations archéologiques et leurs découvertes.
30En majorité, le secteur nord de l’agglomération affiche des zones densément occupées, plus spécifiquement dans les zones I, II et X. Les bâtiments observés sont régis par une trame viaire rayonnante vers le rempart où trois entrées sont admises. Les quartiers formés, bien que partiellement connus à travers les données archéologiques, prennent une forme trapézoïdale. Ils varient de 150 m de longueur par 90 à 130 m de largeur (fig. 16 ; fig. 17).
Fig. 16. Cartes de résistivités de la partie nord de l’agglomération.
Voie 1 ; profondeur d’investigation : 0-50 cm.
Fig. 17. Plan des structures bâties des quartiers nord et proposition de répartition des habitations par type.
31Les zones X et II, présentes à l’intérieur du quart nord-ouest conscrit par la Voie Close, mettent en lumière des zones d’habitats concentrées, aux modèles architecturaux urbains. La grande majorité des maisons dispose d’un plan en lanière d’une largeur de 11 m en façade et longs de 28 m à 35 m. Des pièces en enfilade réparties sur une ou plusieurs rangées occupent la partie avant de la parcelle. Des anomalies résistantes circonscrites à certaines pièces sont assimilables à des caves comblées. L’arrière semble quant à lui occupé par des jardins ou des espaces ouverts. La connexion avec la voie ne peut être établie avec les données géophysiques. Il est toutefois possible d’envisager des portiques, à l’instar de données mises au jour à 450 m à l’est, à l’occasion d’investigations archéologiques sur les habitations du même type de Derrière-Matelotte (Remy, 1981, p. 19).
32Les fouilles archéologiques à Derrière-Matelotte (zone I) rendent compte d’un quartier densément occupé et organisé par un système viaire compact et structuré (fig. 4). L’occupation précoce du secteur s’étalerait du début du ier aux iiie-ive. de n.e. Le sud du quartier est composé de maisons en bande munies de plusieurs espaces ouverts et couverts où des activités artisanales ont pu prendre place. Le nord du quartier est pour sa part occupé par des maisons mitoyennes barlongues caractérisées par des cours importantes et ouvertes qui régissent l’organisation interne.
33Les zones I, II et X démontrent le caractère urbain de ce secteur par la complexité des plans observés et la densité de l’occupation. Les maisons, mitoyennes entre elles, comportent des plans modulaires et originaux les uns par rapport aux autres, caractérisés par des enfilades de pièces. Les plans reconnus sont comparables aux habitations de certains quartiers de Vertault (îlot 051E ; Méniel, Bénard, 2016, p. 58), Schwarzenacker (Petit, 2007, p. 122) ou encore Mâlain, quartier est de la Boussière (Petit, Mangin, 2002, p. 88-95). Elles témoignent d’une occupation sur un temps assez long ayant permis de modifier, selon des critères d’enrichissement des propriétaires et de gain de place, leur plan originel sûrement beaucoup plus simple (Gros, 2001, p. 198).
34Une telle densité d’occupation est remarquable vis-à-vis de l’implantation du quartier de la Maladière (zone III) directement au nord. Les îlots rencontrés, essentiellement à travers les prospections aériennes (fig. 18), forment un faubourg en saillie par rapport à la frange quasiment circulaire de l’agglomération.
Fig. 18. Vue aérienne redressée du secteur de la Maladière.
- 7 Il est à noter, en l’état des investigations, qu’aucun témoin de production significatif induisant (...)
35Densément occupé, il pourrait témoigner d’une occupation plus tardive. Le nombre croissant d’occupants et le manque de place auraient entraîné la création d’un quartier ex nihilo à la trame viaire rigoureuse. Les seules informations chronologiques disponibles rendent compte d’une occupation jusqu’au iiie s. (Dub, 2018, p. 78-95). La majorité des habitations relevées appartiennent au type des maisons en bande. Les bâtiments s’implantent sur un parcellaire en lanière perpendiculaire à la rue. L’organisation des pièces est régie par une halle, et plus rarement par un couloir. Dans l’ensemble, l’absence de constructions à l’arrière des parcelles laissent présager des espaces destinés à des jardins ou des aires de travail extérieures. Les habitations disposent de caractéristiques classiques retrouvées dans ce type d’habitat : une pluripartition des espaces dans le sens la longueur avec des pièces aux fonctions diverses (cave, cours, hypocauste, etc.). La zone est similaire à la partie méridionale de Derrière-Matelotte (zone I) ou à Croix-Rouge (zone II) avec néanmoins des espaces moins peuplés. Aucune information ne renseigne sur la vocation de ce quartier. Doit-on y voir un secteur uniquement résidentiel, ou un quartier dédié à l’artisanat et au commerce qui se serait développé à la suite de la monumentalisation de Grand au cours de la transition des ier et iie siècles, à l’instar du quartier de l’Essarté à Mandeure (Barral et alii, 2015, p. 55-56) ?7
36Les zones nord-est et nord-ouest jalonnant l’extérieur de la Voie Close disposent d’habitats plus clairsemés. La zone XI, prospectée sur 12 ha, ne disposent que de deux voies flanquées de quelques habitations. La zone IV présente quant à elle trois voies sur les 6,5 ha étudiés. Le réseau viaire connecte le monde rural à l’agglomération urbaine. Les deux secteurs constituent les franges semi-urbaines de l’agglomération. Cela se traduit dans une certaine mesure à travers le plan des habitats. Certaines maisons disposent d’un plan de type « halle barlongue » défini par deux à trois pièces en enfilade et flanquées d’une galerie de façade ou de deux galeries symétriques (Auvertin, 2018, p. 270). Ce modèle architectural, visible dans certains pavillons de pars rustica de villae, est de ce fait hérité du monde rural et se distingue des modèles urbains précédemment évoqués. D’autres, enfin, disposent d’un plan apparenté aux granges (halle centrale flanquée de pièces). Par conséquent, leur forme pourrait révéler des activités rurales, contrairement à l’artisanat et au commerce pratiqués dans les maisons en bandes du monde urbain.
37L’urbanisme de la partie est de l’agglomération antique est marqué par le complexe de la Baronnie et du Ruisseau ainsi que par l’amphithéâtre. Les prospections n’ont pas permis d’observer suffisamment la trame viaire et de déterminer des îlots complets. Le quartier jouxtant l’amphithéâtre et bordant la voie antique supposée de Midrevaux offre néanmoins une vision éclairante (fig. 19).
Fig. 19. Plan des structures bâties du quartier de l’amphithéâtre et proposition de répartition des habitations par type.
38Lors de la fouille de la billetterie de l’amphithéâtre, dix unités d’habitations, s’inscrivant sur les pentes abruptes de la Combe de la Roche aménagées en trois terrasses, sont mises au jour (fig. 5). Elles s’installent sur des parcelles perpendiculaires à la voie romaine située sous l’actuelle rue de Midrevaux. La surface prescrite n’a pas permis d’observer entièrement les habitats et leur connexion avec la rue. Seule l’arrière des parcelles a été fouillée. Les pièces reconnues sont en majorité semi-enterrées dans la roche et sept d’entre elles disposent d’une cave. K. Boulanger restitue une seconde pièce au nord, adossée à la pente et surmontée d’un étage permettant l’accès de plain-pied à la voie (Boulanger, 2010, p. 41). Dès lors, le plan standard restituable est une maison en bande de 5 m de largeur bordant perpendiculairement la voie, et se développant sur près de 25 m vers l’arrière par une enfilade de deux pièces donnant sur un jardin ou une cour recueillant diverses structures (murets parcellaires, citerne, puits, drain, etc.). Le mobilier atteste une occupation de la fin du ier s. jusqu’à la fin du iiie s (Dub, 2018, p. 137), et ne présente aucun assemblage lié à des activités artisanales particulières (Boulanger, 2006, p. 223). De l’autre côté de la voie, les anomalies linéaires résistantes dessinent un îlot d’habitations. Si leur plan est en partie altéré par d’anciennes limites parcellaires et des perturbations modernes (clôtures, pierrier, etc.), il est possible de restituer des maisons en bande de 4 m de largeur pour 20 m de longueur minimum.
39Ces deux îlots constituent un quartier de maisons longues proche de l’amphithéâtre et le long d’un axe structurant desservant l’édifice de spectacles et la porte orientale du rempart. Leur parcellaire est régulier et strict en vue d’une optimisation de l’espace. L’ensemble du quartier a pu être construit dans une même phase, parallèlement à l’édification de l’amphithéâtre, estimée à la fin du ier s. Dès lors, le quartier est créé selon des normes communes à l’occasion d’un projet de lotissement urbain probable, mené sous le contrôle des autorités publiques et de l’évergète, qui se traduit par un modèle architectural cohérant (Mathieu, 2019, p. 108-109 et 150).
40Au-delà de l’amphithéâtre, au sud et à l’est, aucun habitat n’est identifié. La Potence, inscrite dans la Combe de la Roche, subit un important dénivelé empêchant toute implantation de bâtiment. Le quartier de l’amphithéâtre marque ainsi l’entrée orientale de l’agglomération.
41La partie située au sud de l’enceinte de Grand est depuis longtemps perçue comme une zone faiblement occupée et composée de villae périurbaines (Tur, 2010b, p. 38-39). Les récentes opérations archéologiques viennent confirmer ces propos tout en les nuançant.
42La zone VI possède un système viaire dicté en partie par l’enceinte et formant des îlots trapézoïdaux et rectangulaires (fig. 20 ; fig. 21). Trois ensembles peuvent être individualisés. L’ouest dispose de maisons de type corridor winged villa. La fouille de la Fontainotte a montré une demeure aisée ceinte d’un enclos entourant l’aire de service au sud, et les jardins au nord sur une emprise de 7 800 m² (fig. 9). Le bâtiment principal adopte un plan en U. Le corps principal mesure 45 m de longueur et dispose d’une enfilade de pièces bordée au nord d’une galerie de façade. De part et d’autre, deux ailes saillantes flanquent le bâtiment. Au nord de l’enclos, un jardin et un bâtiment de plaisance muni de trois pièces occupent l’espace (Gazenbeek, 2014, p. 401). Au sud, une aire de service donne sur la rue. Elle se compose de plusieurs bâtiments, dont une écurie.
Fig. 20. Cartes de résistivité et magnétiques de la zone VI.
Voie 1 ; profondeur d’investigation : 0-50 cm.
Fig. 21. Plan des structures bâties du quartier de Pré-Laguerre et Champée-Marguerite et proposition de répartition des habitations par type.
- 8 Seul l’angle nord-ouest de la propriété a montré la présence de fondations attribuées à un bâtimen (...)
43Construit à la fin du ier s. sur un emplacement quasiment vierge8, et occupé sur près de 150 ans, le bâtiment semble être tourné vers une vocation résidentielle et de séjour avec un niveau de confort notable (ibid., p. 398-399).
44Deux maisons de ce type s’observent sur les cartes de résistivité électrique et de variation du champ magnétique acquises aux abords. Les aménagements reconnus (galerie de façade, ailes saillantes, pièces pouvant se rattacher à des hypocaustes, bâtiments d’annexes probables) et leur superficie (au-delà de 400 m²) invitent à les considérer comme des demeures disposant d’un niveau de confort similaire à la maison de maître de la Fontainotte. La morphologie des pavillons principaux trouve des analogies dans le plan de certaines maisons des partes urbana de villae : les points communs avec le plan de la pars urbana de la villa de Ahuy vont dans ce sens (Devevey, Gaston, 2014, p. 4-20). Bien que d’origine rurale, ces habitations se retrouvent également en milieu urbain. Des cas similaires sont renseignés à Mandeure (quartier des Mallots ; Barral et alii, 2015, p. 46, fig. 25), à Amel (quartier nord-est ; Ritz, 2018, p. 35) ou à Avenches (Palais de Derrière-la-Tour ; Lanthemann, 2016, p. 278, fig. 16).
45Plus à l’est, les mêmes signes sont observés. Là encore, la densité d’occupation est de manière générale faible. Les anomalies linéaires rectilignes dessinent deux habitats disposant d’une grande superficie – au-delà de 2 500 m² - et probablement d’un niveau de richesse notable. Les bâtiments se caractérisent par un enclos dont l’un des côtés est flanqué par une enfilade de pièces constituant un corps de bâtiment principal. Des pièces éparses peuvent également se répartir au sein de l’enclos pour former des annexes. Le terme de « villa périurbaine » semble être adapté pour ce cas. L’enclos dessine deux espaces distincts : l’un destiné à l’habitation, l’autre, possiblement, à une activité rurale.
46Les fonctions précises de ces deux types d’habitats restent pourtant inconnues (fonction résidentielle ou de plaisance, auberge, vocation économique ou artisanale, etc.). Du moins, elles démontrent l’importation de modèles ruraux à quelques mètres de la courtine sud du rempart et du centre urbain. Ce phénomène est également connu à Avenches, où le Palais de Derrière la Tour profite de l’absence de contrainte topographique pour s’y implanter (Alberti, 2009, p. 212). Le modèle architectural appuie le caractère suburbain du quartier vu par ses occupants et évoque un passage symbolique de la ville à la campagne (Lanthemann, 2016, p. 277-279). En outre, par l’adoption de modèles architecturaux des partes urbanae des villae, les propriétaires peuvent s’accaparer le luxe et le prestige de certains grands domaines ruraux (Mathieu, 2019, p. 148).
47Malgré cette sectorisation de l’espace, un îlot dense aux maisons plus modestes borde le sud-est de la zone, en partie sous l’actuel Chemin des Remparts. Leur plan, bien qu’incomplet, est restituable. Il se caractérise par une halle en façade ouvrant sur une ou plusieurs pièces à l’arrière. Elles accueillent des structures thermorémanentes (fours, foyers ?) prenant la forme d’anomalies dipolaires sur les cartes magnétiques. La promiscuité entre les habitats aisés et les bâtiments plus modestes, à vocation artisanale, rappelle, là encore, le quartier des Mallots à Mandeure (Barral et alii, 2015, p. 46-47).
48Reste que des interrogations subsistent quant à la chronologie et l’évolution de ces quartiers. Les habitats modestes se sont-ils implantés en même temps que les maisons de maître ou viennent-ils plus tardivement, à la suite d’un déplacement contraint ou d’une augmentation démographique ?
- 9 La typologie proposée reprend certains types d’habitations évoquées dans les thèses récentes de G. (...)
Type 1 : les maisons en bande (fig. 22)
Fig. 22. Habitations de Grand rattachables aux types 1 (en haut), 2 (en bas, à gauche) et 3 (en bas, à droite).
49Ces habitats s’implantent perpendiculairement à la rue, sur des parcelles plus longues que larges, avec leur petit côté s’ouvrant sur la rue. Également appelé « maisons longues », ce type est fréquent en Gaule septentrionale (Petit, Mangin, 2002, p. 81-129). À Grand, ils se repèrent en majorité dans les zones I, II, III ou V. Leur largeur en façade varie de 4 à 11 m pour 11 m à 20 m de longueur. Des caves ou des hypocaustes peuvent y prendre place. Des aménagements extérieurs (puits, aires artisanales, jardin, etc.) sont également renseignés. Les maisons peuvent être mitoyennes ou séparées par un ambitus. Suivant leur plan et leur implantation dans le tissu urbain, des nuances apparaissent. Ainsi, à Champée-Marguerite, ou à la Maladière, des maisons à halles et pièces en façade (généralement un porche encadré de deux pavillons d’angles) et parfois de pièces rejetées en arrière sont visibles (type 1.b). Situées principalement dans les franges urbaines, d’après la quinzaine de maisons identifiées, des activités artisanales ou rurales pouvaient s’y dérouler (Lanthemann, 2016, p. 272-274). Un second plan observé, attribuable à la catégorie des maisons en bande, présente des maisons à enfilade de pièces réparties sur une ou plusieurs nefs (type 1.a). Au moins vingt habitations de ce type sont inventoriées dans l’agglomération. Repérées dans la zone I, la zone II ou la zone V, les maisons peuvent posséder de deux pièces alignées jusqu’à cinq pièces maximum. Enfin, des maisons à plan monocellulaire, adjointes ou non d’une cave, complètent ce type (type 1.c). Peu d’exemples sont reconnus (trois habitations). L’un des plus représentatifs se situe au lieu-dit la Maladière. Il est possible que d’autres habitations de ce type disposaient à l’origine de ce plan, mais qui, par adjonction de pièces, se soient agrandies et transformées.
Type 2 : les maisons sur cour (fig. 22)
- 10 Pour Vertault, voir : Méniel, Bénard, 2016, p. 100 ; pour le Vieil-Evreux, voir Hart, 2009, p. 175
50Elles sont pourvues d’une cour ouverte en « L » ou rectangulaire organisant et articulant l’espace. À Derrière-Matelotte, les deux maisons fouillées en 1995 ont une superficie de près de 300 m² ; leur cour représente près de 35 % de leur superficie totale. Des maisons similaires sont connues à Vertault ou au Viel-Evreux10. Les limites permises par les prospections aériennes et géophysiques n’offrent pas la possibilité de déterminer les espaces ouverts et couverts. Seule une maison détectée par les prospections géophysiques en zone X reprenant la morphologie des maisons précédemment décrites. D’autres habitations de ce type doivent vraisemblablement prendre place dans l’agglomération.
Type 3 : les halles barlongues (fig. 22)
- 11 À proximité de l’amphithéâtre de Metz, des habitats à halles barlongues ont été découverts (Alix, (...)
51Les halles barlongues relèvent d’une architecture rurale héritée des formes indigènes (Auvertin, 2018, p. 270). Leur plan est dicté par un corps de bâtiment barlong pourvu, ou non, de pièces flanquant les petits côtés. Il est apparenté à certains plans de pavillons de partes rusticae (Ferdière et alii, 2010, p. 394, fig. 4) mais se retrouve également en milieu périurbain11. À Grand, leur surface est comprise entre 150 et 300 m² avec un rapport longueur/largeur variant de 2 à 3. Les huit individus renseignés (six habitations avérées et deux probables) s’implantent majoritairement en périphérie de l’agglomération, dans des zones faiblement peuplées, là où se déroulent des activités potentiellement rurales (zone IV, VIII et XI).
Type 4 : les winged corridor villae (fig. 23)
52Les trois individus recensés se caractérisent par un corps de bâtiment principal rectangulaire flanqué par une galerie de façade qui dessert une série de pièces réparties à l’arrière. De part et d’autre, deux ailes latérales et saillantes par rapport au bâtiment, se connectent, offrant au tout une symétrie axiale. Nommé Portikusvilla dans la bibliographie allemande (Gros, 2001, p. 326), ce type architectural se retrouve dans certaines partes urbanae de villae. À Grand, leur caractère urbain est avéré. Trois maisons de ce type, dont la domus de la Fontainotte, sont répertoriées. D’après la fouille, ces maisons peuvent être ceintes d’un enclos dans lequel s’organisent un espace à vocation résidentielle (jardin et bâtiment de plaisance, éléments de confort), et un espace à vocation économique (Gazenbeek, 2014, p. 400-401). Le corps de logis fait quant à lui office de liaison entre ces deux espaces.
Type 5 : Les maisons à enclos et annexes (fig. 23)
Fig. 23. Habitations de Grand rattachables aux types 4 (en haut) et 5 (en bas).
53Ce type est représenté par trois exemples seulement (un avéré et deux probables) et reste en l’état mal connu. Il se distingue par un bâtiment principal quadrangulaire à enfilade de pièces flanquant un large enclos délimitant un espace laissé vide (Mathieu, 2019, p. 145). Quelques annexes bordant l’enclos sont constatées. Non observé dans sa totalité, ce type semble toutefois présenter une bipartition interne et un cloisonnement des espaces qui suppose une différenciation des activités pratiquées (domestiques et résidentielles d’une part, économiques d’autre part). Par sa morphologie, ce type se rapproche de certaines villae. Les trois exemples se situent dans les franges urbaines de l’agglomération.
54Le traitement des données archéologiques, et plus précisément des données issues de prospection, renouvelle et affine le plan général de l’agglomération antique de Grand. L’approche intégrée et multiscalaire de l’ensemble des données cartographiques disponibles offre une nouvelle synthèse sur l’urbanisme et l’habitat grandésinien.
55La superficie estimée de l’agglomération antique avoisine 77 ha. Elle est régie par une trame viaire de forme concentrique intersectée par des voies rayonnant depuis l’enceinte polygonale. Le tout forme donc des îlots majoritairement trapézoïdaux dans lesquels s’insèrent plusieurs formes d’habitations. Bien que le schéma viaire global transparaisse comme ordonné, plusieurs décrochements et interruptions dans le tracé des voies laissent supposer un développement de l’urbanisme relativement spontané, tributaire d’une pression démographique croissante ou d’une réponse à de nouveaux besoins (création de quartiers à vocation artisanale ou rurale).
56Cinq types d’habitations ont pu être repérés, fondés en grande partie sur des données issues de fouilles archéologiques ou de prospections de bonne qualité. Les formes sont empruntées aussi bien au milieu urbain (maisons en bande, maisons sur cour) qu’au monde rural (corridor winged villa, villae périurbaines). Selon leur implantation dans le tissu urbain, les maisons bénéficient d’une structuration plus ou moins complexe, d’une grande superficie ou non, ou encore d’un niveau de richesse modeste ou important. Le faible nombre de fouilles archéologiques engendre immanquablement des lacunes quant aux fonctions de ces habitations. Il est toutefois possible d’émettre des hypothèses sur les activités qui pouvaient y prendre place à travers leur forme et leur implantation dans l’agglomération : activités commerciales aux abords des voies de communication importantes, activités artisanales à la Maladière ou à Champée-Marguerite, activités rurales sur les franges nord-est, nord-ouest et sud. En outre, l’implantation des maisons dans le tissu urbain régit leur forme. Les maisons en bande ou sur cour se présentent dans des secteurs fortement urbanisés et en bordure de voies de communication structurantes ; les maisons à caractère rural sont visibles dans les franges de l’agglomération ou dans des zones à l’occupation clairsemée.
57De façon générale, les types repérés s’insèrent dans la norme des maisons urbaines connues en Gaule et dans les Germanies comme l’attestent les nombreux parallèles avec les agglomérations de Bliesbruck, Vertault, Amel, Alésia ou encore Schwarzenacker.
58Malgré ces apports récents, l’évolution de l’agglomération et de ses quartiers reste la grande inconnue. La vision figée de Grand, due aux sources spatiales utilisées, est la conséquence d’un manque d’information chronologique de nombreux secteurs (intra muros, la Maladière, franges nord-ouest et nord-est). D’autres questionnements relatifs à la distribution des espaces, aux méthodes de construction et au choix des matériaux, ainsi qu’à la métrologie des habitations restent dans l’ombre. Ces problématiques devraient néanmoins trouver des réponses par la mise en place de campagnes de sondages ponctuels et ciblés ou par l’ouverture de chantiers de fouilles extensives. Parallèlement, le PCR en cours s’efforce de poursuivre de nouvelles campagnes de prospections géophysiques annuelles sur des secteurs encore peu ou pas connus. Couplées à des campagnes de prospections pédestres, particulièrement dans les zones périphériques mises en culture, de nouvelles données chronologiques et fonctionnelles sur l’occupation des habitations dans ces zones apporteraient un complément d’informations non négligeable à la donnée spatiale déjà traitée.