1Le site fouillé se trouve à la sortie nord de Vendenheim, à proximité de la limite communale avec Eckwersheim dans le Bas-Rhin, aux lieux-dits Betsch et Aue, le long de la RN 2063 et du chemin de fer reliant Strasbourg à Brumath, au sud de la forêt domaniale de Grittwald et à l’est du canal de la Marne au Rhin (fig. 1). Le territoire de la commune de Vendenheim est situé à 12 km de Strasbourg et à 7 km de Brumath. L’emprise fouillée se trouve en plaine, à une altitude moyenne de 140 m NGF. La construction du contournement routier Ouest de Strasbourg a motivé un diagnostic archéologique (Steiner, 2017), suivi d’une fouille préventive réalisée par Archéologie Alsace.
Fig. 1. Cartes de localisation de Vendenheim.
DAO A. Habasque-Sudour.
2Elle s’est déroulée entre le 11 septembre et le 9 novembre 2017, sur une surface de 10 000 m² (Habasque-Sudour et alii, 2019). L’opération a mis au jour une occupation rurale de la fin de La Tène C2 et de La Tène D1b (Hutin, 2019) et un tronçon de la voie antique reliant Brumath à Strasbourg.
3La méthodologie utilisée a consisté en un décapage qui a permis d’ôter environ 0,70 m d’épaisseur stratigraphique jusqu’à la voie. L’emploi systématique du détecteur de métaux dès le décapage et pendant toute la fouille a permis de découvrir du matériel métallique dont un important lot de monnaies. Une fouille fine, manuelle, en planimétrie a été réalisée sur deux fenêtres de fouille (d’environ 75 m²). Sept sondages mécaniques (1, 2, 3, 4, 5, 6 et 8), implantés perpendiculairement à la voie, ont généré treize coupes stratigraphiques. La coupe 3 du sondage 2 a permis d’observer les niveaux post-antiques (une berme avait été laissée à l’issue du décapage). Deux sondages manuels ont été réalisés de part et d’autre du sondage 1, motivés par la découverte d’un premier niveau de chaussée.
4Les résultats de la fouille de 2017 apportent un nouvel éclairage sur cette infrastructure routière. Après une contextualisation géo-environnementale, topographique, stratigraphique et archéologique de l’opération, les données sont présentées selon le phasage établi.
5Vendenheim se situe sur la bordure méridionale du cône alluvial de la Zorn, attribué au dernier cycle glaciaire (le Würm/Wichelen), à la confluence de la Zorn et du Rhin (fig. 2) qui domine de quelques mètres le cours actuel de la Zorn au nord de la vallée du Rhin. Le cône est drainé par deux ruisseaux, le Neubaechel et le Mulhlbaechel. L’emprise de la fouille se situe à quelques mètres au nord du Neubaechel. La topographie de ce secteur a été largement perturbée par des aménagements divers ; au milieu du xixe siècle, la construction du canal de la Marne au Rhin et l’installation du chemin de fer, puis par les divers aménagements routiers et autoroutiers. Le substrat géologique correspond à deux ensembles sédimentaires principaux (Wuscher, 2019) : d’une part, des sables argileux roses à orangés avec des langues centimétriques plus argileuses et plus grises et des poches de limons lœssiques attribuées au Pléistocène et, d’autre part, des limons argileux plus ou moins sombres et bioturbés contenant des fragments de céramiques non tournées et recoupés par des fossés difficiles à lire, avec des bancs de tufs calcaires (concrétions formées d’organismes aquatiques) ; cette succession stratigraphique résulte de dépôts de zone humide, avec une alternance de phases aquatiques et de phases d’exondation (fig. 3).
Fig. 2. Contexte géologique et géomorphologique supposé avant l’opération d’archéologie préventive.
Fonds : Blanalt et alii, 1972, www.infoterre.fr et OpenStreetMap.
Fig. 3. Carte des deux ensembles sédimentaires mis au jour après le décapage des limons postérieurs à la voie antique et après vérification par des coupes ouvertes lors de la fouille.
DAO P. Wuscher.
6Les sites archéologiques étant très nombreux entre Strasbourg et Brumath, on se limitera aux communes de Vendenheim et Eckwersheim, de l’âge du Fer au haut Moyen Âge. Pour le domaine militaire romain, nous avons élargi la présentation aux communes de Lampertheim et Reichstett-Mundolsheim (fig. 4).
Fig. 4. L’environnement archéologique du site.
DAO A. Habasque-Sudour.
7Le site Nachtweid (n° 6) recense quelques structures de l’âge du Bronze et principalement un établissement rural de La Tène finale. Au centre de Vendenheim, rue Charles Gounod, « Maison de retraite et collectif, rue de Lampertheim » (n° 11), une petite occupation de la transition Bronze final/Hallstatt a été fouillée (Coubel, 2007). Une occupation contemporaine (n° 12), composée d’un bâtiment et d’une fosse, est identifiée au sud de la commune, sur le site « Entrepôt Atlas-Fly » (Barrand-Emam et alii, 2013). À quelques mètres de la fouille, au lieu-dit allée du Château Sury, une occupation du Hallstatt et de la transition avec La Tène A sont reconnues (n° 13) (Bricka, 2017).
8Trois types d’occupation sont signalés aux abords de la chaussée antique ; elles concernent le funéraire, l’habitat et le domaine militaire. Les vestiges signalés les plus proches concernent des découvertes funéraires. À Vendenheim, à l’occasion de la construction du chemin de fer en 1910, à environ 300 m à l’est de la voie, deux vases en verre provenant probablement de sépultures à crémation sont mentionnés (fig. 4, n° 14 ; Châtelet, 1985). Plusieurs tombes à crémations antiques, dont on ne connait pas le nombre, sont également découvertes lors des déboisements de la forêt de Grittwald (n° 15) au début du xixe siècle, à environ 100 m au nord-est du site. L’une des urnes en verre était placée dans un coffre en pierre (Schweighaeuser, 1822a). En 1977, au lieu-dit Mittelfeld (n° 4), à environ 200 m à l’est de l’axe antique, deux sépultures à crémations de l’Antiquité tardive (?) sont mentionnées (Wendling et alii, 1974 ; Pétry, 1978). Au nord d’Eckwersheim et à environ 1,5 km de distance de l’infrastructure, cinq enclos funéraires rectangulaires (orientations similaires à celle de la chaussée), datés du 2ème tiers du ier siècle et de la 2ème moitié du iie siècle, et plusieurs sépultures à crémations, datées de la transition entre la fin de l’âge du Fer et le début de la période romaine, sont exhumés au lieu-dit Burwegrechts (n° 7a) (Féliu, en cours).
9Quelques rares habitats sont recensés autour de la fouille. Le plus proche est un établissement augustéen qui succède à une ferme gauloise au lieu-dit Nachtweid (n° 6), celui-ci semble abandonné au milieu du ier siècle ap. J.-C. Les sites de Burwegrechts (Féliu, en cours) et de Burgweg Links (Châtelet, 2018) ont livré deux autres habitats romains sur les deux communes (nos 7a et 7c). L’ensemble funéraire est relié par un chemin creux à un habitat léger Burwegrechts, daté de la 2e moitié du iie siècle (deux fosses et deux fours). Sur le site voisin Burgweg Links, un bâtiment en bois à quatre nefs et une série de fosses, datés de la 2ème moitié du ier siècle sont présents.
10Le dernier type d’occupation concerne le domaine militaire. Une densité particulièrement importante de camps temporaires situés le long de la voie est à souligner. Sur la commune de Vendenheim, quatre camps militaires temporaires de l’armée romaine sont connus et un, présumé, est repéré lors de prospections aériennes. En 2007, une partie d’un camp (superficie restituée entre 0,54 ha et 2,34 ha) est fouillée rue Charles Gounod « Maison de retraite et collectif, rue de Lampertheim » (n° 11), à environ 600 m de la voie (Coubel, 2007). À un peu plus de 1 km de l’axe antique, sur le site « Aux portes du Kochersberg » (n° 2), un deuxième camp est appréhendé (Lefranc, 2015). Sa superficie restituée est évaluée entre 1,9 et 2,1 ha. Récemment, deux camps d’entraînement ont été également fouillés sur la ZAC « Zone commerciale Nord (ZCN) », au lieu-dit Vieheweg et Gemeinfeld, entre les communes de Vendenheim et Reichstett (Habasque-Sudour, 2020). Le camp au sud (zone 1) a une superficie restituée de 1,68 ha (n° 16a) et le camp au nord (zone 5) de 1,52 ha (restituée ; n° 16b). À l’ouest de l’axe, aux lieux-dits Waldstucke et Andlach (n° 17), un enclos quadrangulaire est repéré lors de prospections aériennes et interprété comme un camp (fiche SRA). En dehors des communes de Vendenheim et d’Eckwersheim, plusieurs autres camps militaires, identiques, sont connus de part et d’autre de la chaussée. À Lampertheim, deux camps, de superficie plus importante (le camp A : 2,45 ha ; le camp B : 2,34 ha), sont étudiés lors de la fouille située au lieu-dit Am Galgen (Violot, 1998 ; Haut, 1999) (n° 18). Enfin, sur les communes de Reichstett-Mundolsheim, une fouille de sauvetage située rue Ampère (n° 19), permet de fouiller un petit camp de 0,54 ha de superficie (Blaizot, 1999).
11À Vendenheim, le site fouillé « Route de la Wantzenau, Entrepôt Atlas-Fly » (fig. 4, n° 5) a livré une nécropole non complète de soixante-treize inhumations, datée du début du vie siècle à la fin du viie siècle (Barrand-emam et alii, 2013). Le diagnostic « Maison de retraite et collectif, rue de Lampertheim » (n° 11), a également livré des inhumations de cette période (Schneikert, 2006). Récemment, la fouille « ZAC, Zone commerciale Nord (ZCN) » (n° 16), a permis de fouiller un ensemble funéraire mérovingien des vie et viie siècles, composé d’une quarantaine de tombes (Abert in Rault, 2020). À Eckwersheim, au lieu-dit Burgweg Links (n° 7c), une nécropole d’époque mérovingienne (Châtelet, 2018) composée d’une soixantaine de tombes datant du dernier tiers du vie siècle à la fin du viie siècle a été retrouvée dans la partie est du chantier, ainsi que quelques tombes isolées carolingiennes. À l’ouest de ce premier ensemble funéraire, quelques vestiges d’un habitat et sept tombes du viiie siècle-ixe siècle ont également été trouvés. Au lieu-dit Jakobsfeld (n° 7d), des prospections effectuées en prévision de la construction de la LGV ont permis de localiser une occupation médiévale dont le mobilier s’étend du viie siècle au Moyen Âge central (Roth-Zehner, 1999).
12Un premier réseau fossoyé (fossé F239, Annexe 3, sond. 6, coupe 11) et l’arrivée d’apports détritiques liés à l’érosion des versants alentours témoignent de l’aménagement de la zone (Granai, Wuscher, 2019). Le début de l’anthropisation n’est pas daté mais s’effectue durant la Protohistoire. Des fragments de céramique fortement roulés ne permettent pas d’apporter plus de précision chronologique. Les dépôts servent de support au développement d’un paléosol localement très organique. Le sommet de ce sol, daté de La Tène D1b-La Tène D2, scelle les premiers fossés identifiés sur le site et livre un terminus post quem. Ce sol est percé par des fossés, notamment le fossé 235 (annexe 3, sond. 6 coupe 11) probablement contemporain de l’occupation de La Tène finale, installée en bordure de la zone humide colmatée, sur les sables argileux roses à orangés. La stratigraphie antique et le recouvrement sédimentaire postérieur se développent sur une hauteur de 0,80 à 2 m (annexe 1, sond. 2 coupe 4 ouest-est). Les remblais de la voirie ont une hauteur qui fluctue entre 0,20 et 0,40 m et les niveaux post-antiques s’accumulent sur environ 1 m de hauteur. L’installation de cette infrastructure (quatre états de voirie) et des fossés bordiers permet d’assécher la zone. La faible expression des traits d’oxydo-réduction dans les remblais de construction montre que le drainage est réussi. Pendant l’Antiquité tardive, probablement à la fin du ive siècle, voire au début du ve siècle de notre ère, les fossés bordiers ne sont plus entretenus. Ils se comblent et débordent, ce qui provoque des coulées de boue sur le site et le recouvrement de la bande de roulement. L’accumulation de colluvions permet la conservation de la bande de roulement (fig. 5 et 6).
Fig. 5. Plan général de la fouille et indication des coupes.
DAO A. Habasque-Sudour.
Fig. 6. Plan des états 1, 2 a et b, 3, 3a et b.
DAO A. Habasque-Sudour.
13L’étude de la stratification a permis d’identifier quatre étapes dans la chronologie de l’axe viaire (fig. 6) :
- état 1 : époque julio-claudienne : construction et utilisation d’une première chaussée et présence d’une structure funéraire ;
- état 2 : époque flavienne-antonine : implantation des fossés de délimitation (état 2a), des pieux (état 2b) puis apport des remblais (état 2c) ;
- état 3 : de l’époque antonine jusqu’à la fin du ive siècle, voire au début du ve siècle : phase d’utilisation / occupation (états 3a et 3b) ;
- état 4 : à partir de la fin du ive siècle, voire le début du ve siècle : abandon de la voie et de ses abords ; absence d’entretien des fossés et formation d’un paléosol qui scelle la chaussée.
14Le bord oriental d’une première voie (état 1) est conservé sur une longueur d’environ 50 m dans l’angle sud-ouest de la fouille. Située en partie en dehors de l’emprise, sa largeur observée fluctue entre 3 et 6 m. L’absence de cet axe dans la partie nord de l’emprise de la fouille plaide pour un tracé orienté nord-ouest/sud-est (plus à l’ouest que le tracé qui lui succède). Un deuxième état (état 2) occupe la partie occidentale de la fouille sur environ 170 m de longueur, du nord jusqu’au sud de l’emprise. L’axe est orienté N-12°0. Seule la partie orientale de la voie a été fouillée. La bande de roulement est visible sur 12 m de large environ et 20 m environ en ajoutant les fossés qui la bordent. La partie occidentale de la chaussée se poursuit au-delà de la berme, à l’ouest, sous l’actuelle RN.
15Un premier niveau de voirie (Us 1161, 1105 et 1106) est conservé (annexe 1, sond. 1, coupes 1 et 2 et sond. 2, coupe 4). Il repose directement soit sur le sommet de la couche géologique composée de sable (Us 1131, coupe 1 et Us 1108, coupe 2), soit sur le paléosol (Us 1219, coupe 4). La voie est composée d’un mélange de galets et de graviers pris dans un limon sableux beige, homogène et très compact (ép. de 2 à 12 cm), qui forme la bande de roulement. Dans le sondage 1, le profil de celle-ci est incurvé, alors que dans la coupe 4, il est horizontal. Dans le sondage 1, elle apparaît à une cote altimétrique de 139,30 m NGF et dans le sondage 2, à 139,10 m NGF. Elle est visible sur environ 3 m de long dans le sondage 1 (fig. 7) et sur environ 6 m dans le sondage 2, aux extrémités occidentales. Au-delà du sondage 2, cette bande de roulement n’est plus visible. Le sondage 6, implanté entre les sondages 1 et 2, ne conserve pas non plus la structure. On déduit donc que le bord oriental de l’axe est irrégulier. Dans la coupe 4, des niveaux (Us 1211, 1212 et 1213) fonctionnent avec une dépression (fait 242, coupe 4) que l’on peut interpréter comme un fossé. Ce fait a été vu uniquement en coupe. Son creusement (Us 1218) est large de 2,50 m et profond de 30 cm. Son comblement (Us 1217) est un mélange de limon argileux gris et de sable rose clair, hétérogène et meuble avec des inclusions de galets et de graviers. Il n’y a pas de fossé dans la coupe 1. L’unité stratigraphique Us 1212, située sur le paléosol Us 1219, est la seule qui a livré un indice chronologique (époque julio-claudienne) : un as de Néron (016898-MMO-1212-1) dont la date de frappe se situe entre 54 et 68 ap. J.-C.
Fig. 7. Vue de la voie (état 1) dans le sondage 1.
Cl. A. Habasque-Sudour.
16Une sépulture à crémation (SP. 125) a été découverte dans la partie nord du chantier (fig. 8). Elle est installée sur la terrasse sablo-graveleuse à une altitude de 139,41 m NGF. Le dépôt est constitué d’os humain et de faune calcinés et de fragments de céramique non brûlés. L’ensemble a été déposé dans une fosse sépulcrale de plan rectangulaire (0,20 x 0,15 m), conservée sur 7 cm de profondeur. L’analyse taphonomique (Pelissier, 2019) autorise l’existence initiale d’un contenant en matière périssable, déposé dans la fosse. Il s’agit d’un dépôt secondaire individuel. L’analyse archéo-anthropologique a permis d’identifier au moins un individu de taille adulte, âgé au décès de plus de 15 ans, et de sexe indéterminé. Du porc, du bœuf et du capriné ont été déterminés dans l’amas (Putelat, 2019). Une datation carbone 14, réalisée sur un fragment d’os humain de la sépulture, a été effectuée par Poznań Radiocarbon Laboratory. La date calibrée obtenue est de 151 cal BC-55 cal AD, mais il existe une probabilité très élevée (94,5 %) que la datation se situe entre 12 cal BC et 55 cal AD. Le sujet est donc probablement décédé dans la première moitié du ier siècle. La présence de tessons de céramique commune, de facture romaine, permet de plus de placer cette sépulture dans la période romaine et non pendant la fin de l’âge du Fer. Dans ces conditions, il est probable que cette sépulture ait été contemporaine du premier état de la voie.
Fig. 8. Cliché de la crémation SP 125.
Cl. D. Jonville.
17Le paléosol et le substrat sableux sont entaillés par deux fossés synchrones (F-169 = F-204 = F-198, et F-170 = F-203 = F-199), examinés entres autres, dans les sondages 2, 3 et 6 (annexes : sondage 2, 3 et 6) et en planimétrie. Ils ont été observés sur 130 m de long (fig. 9 et 10). Ils sont strictement parallèles (orientés N-12°0) au tracé de la voie de l’état 2 dont ils sont distants par un intervalle régulier de 6 m. Le fossé 169 a une profondeur conservée qui varie entre 20 et 90 cm pour une largeur observée s’échelonnant entre 1,10 m et 2 m. Le fossé 170 a une profondeur conservée allant de 20 à 60 cm et une largeur de 0,40 m à 1,20 m. Les profils sont généralement en forme de cuvette. Dans les sondages 2 et 3, le fond du fossé 169 se rétrécit, comme un sillon.
Fig. 9. Vue des fossés 169 et 170 depuis le sud-est.
Cl. A. Habasque-Sudour.
Fig. 10. Vue des fossés 169 et 170 depuis le sud.
Cl. A. Habasque-Sudour.
18Le comblement des fossés est généralement bipartite. Le premier comblement est constitué d’un remplissage argileux gris foncé, homogène et compact qui contient du tuf ou des coquilles. Le second comblement est composé de sable rose à beige ou d’un mélange de limon et de sable. Cette bipartition nette entre les deux comblements peut indiquer un curage. Le comblement supérieur et donc l’abandon du fossé 170 (sondage 2, coupe 4) a livré de rares indices chronologiques d’époque antonine : une amphorette à pâte beige rosée fine (fig. 11), attribuable à une production de Brumath, ainsi qu’un pot en céramique sombre à dégraissant coquillier et bord en bourrelet redressé. Les fossés 169 et 170 ont été aménagés sur le sommet du paléosol et de la terrasse, avant la mise en place des remblais de soutènement du second état ; ainsi, par exemple, on observe que les couches successives de remblais Us 1169 et 1180 = 1182 (sondage 2, coupe 3) scellent le fossé 170. Une contemporanéité des fossés 169 et 170 (pendant la phase de fonctionnement) avec le premier état peut être envisagée mais n’est pas observée. Les fossés 169 et 170 sont pérennisés par deux états successifs de fossés (infra I.2.3.3) qui semblent fonctionner durant la phase d’utilisation de la seconde voie (infra I.2.3).
Fig. 11. Récipient en céramique 016898-TCR-1244-1.
Dessin et DAO C. Bébien.
19Le creusement des fossés avant l’apport de remblais d’assise de la chaussée renvoie à deux hypothèses, soit au sillon de traçage, soit aux fossés-limites. Les sillons de traçage sont évoqués par le poète Stace : « le premier travail fut ici de tracer les sillons… » (Silvae, IV, 3, 40). G. Coulon explique qu’il s’agit de « simples marques linéaires dans le sol, ces sillons, selon toutes vraisemblance, permettent aux géomètres de matérialiser l’itinéraire sur le terrain » (Coulon, 2007, p. 85). Le tracé des fossés primitifs 169 et 170 semble être pérennisé dans le paysage durant la phase d’utilisation par une succession de fossés. Il n’y a pas d’intérêt à garder visible un tracé préparatoire, mais il paraît nécessaire de garder visible une limite d’emprise cadastrale. Ainsi, « Les sillons sont ici de simples sillons tracés dans le sol, qui servent à délimiter l’espace que doit occuper la chaussée, d’après l’épure qui a établi le profil long de la route » (Duval, 1989). D’après G. Coulon, « les fossés-limites matérialisent la zone d’emprise publique définie préalablement à l’aménagement de la route. Dans l’espace ainsi déterminé doit être préservée l’intégralité de la voie » (Coulon, 2019, p. 92).
20Les exemples ayant livré des fossés de délimitation ne manquent pas. La voie publique reliant Reims à Bar-le-Duc a livré deux sillons latéraux (Bocquillon, 2002). À Florenville en Belgique, la voie reliant Reims à Trèves comprend trois fossés, dont un fossé central qui sert de jalonnement et deux fossés latéraux servant probablement à délimiter l’emprise de l’ouvrage (Mertens, 1956). L’axe Paris-Orléans a livré deux fossés limites (Bruant, 2009). En Lorraine, la voie Lyon-Trèves est pourvue de deux fossés d’emprise (Laffitte, 2009).
21Deux rangées parallèles, orientées N-12°0 (identique à l’orientation des fossés et de la chaussée), constituées de pieux en bois (ou matérialisées par des négatifs de pieux) sont plantées dans l’ancienne zone humide, colmatée par le paléosol (fig. 12 et 13). Il n’y a pas de pieux ou de négatifs de pieux sur les bords de la zone humide. Les deux rangées sont espacées par un intervalle régulier de 7,70 m de largeur. La ligne située à l’ouest mesure 75 m de long et conserve soixante et un pieux. La ligne orientale compte cinquante pieux, conservés sur 50 m de long, et espacés de 30 à 40 cm (fig. 14). Les pièces de bois, en chêne, ont un diamètre qui varie entre 6 et 11 cm. Les longueurs conservées varient entre 40 cm et 1,20 m. Les bois sont taillés en biseau à la pointe, l’écorce est conservée (fig. 15). Le profil des pieux a été étudié dans la coupe 6 du sondage 3 (annexe 2, sond. 3, coupe 6) et dans une coupe orientée nord-sud (fig. 16). Le premier profil est orienté est-ouest et permet d’observer un négatif de pieu de la rangée est (fait 195). Le négatif apparaît directement sous la bande de roulement (Us 1414), et coupe dans sa partie sommitale une première couche de remblai (Us 1436 = 1437), puis une seconde (Us 1442) et traverse le paléosol (Us 1441 et 1443). Le négatif (Us 1435) est comblé par un sable rose contenant des galets et des graviers (Us 1434). La seconde coupe (fig. 16) montre quatre négatifs de pieux (Us 1850, 1852, 1854 et 1856) de la rangée ouest (le profil longitudinal). Les pieux apparaissent sous le niveau de circulation (Us 1849) et traversent de haut en bas une couche de remblai (Us 1858) puis le paléosol (Us 1859, 1860, 1861 et 1862). Les négatifs sont comblés par un sable beige à rose ayant des inclusions de galets et de graviers concentrées au sommet. Les bois sont parfois conservés dans le paléosol qui en a gardé l’humidité nécessaire.
Fig. 12. Vue, depuis le sud-ouest, des deux rangées de pieux conservés dans le paléosol.
Cl. A. Habasque-Sudour.
Fig. 13. Vue depuis le sud de la rangée orientale.
Cl. A. Habasque-Sudour.
Fig. 14. Vue des négatifs de pieux dans le sondage 3.
Cl. A. Habasque-Sudour.
Fig. 15. Vue en coupe d’un pieu.
Cl. A. Habasque-Sudour.
Fig. 16. Coupe stratigraphique des pieux et vue de la coupe.
DAO et cl. A. Habasque-Sudour.
22Les observations permettent deux hypothèses. Dans la première, les pieux ont été plantés dans le paléosol, avant l’apport des remblais, de telle sorte que la partie sommitale des pieux dépassait de la surface d’enfoncement. L’apport des remblais s’effectuait dans une seconde étape et recouvrait les pieux. L’ensemble était ensuite recouvert par le revêtement, fait d’un mélange de galets et de graviers. En deuxième hypothèse, les pieux ont été plantés dans les remblais, jusqu’au paléosol. Cependant, dans ce type de sol non hermétique, l’enfoncement des pieux dans le remblai puis dans le paléosol aurait entraîné du sable autour du pieu dans le paléosol, ce qui n’a pas été observé.
- 1 La datation par dendrochronologie n’était pas possible car il n’y avait pas assez de cernes.
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23La plantation des pieux intervient dans la première séquence de construction, comme éventuellement le creusement des fossés 169 et 170. Les parties extérieures des bois 225 et 227 (écorce et aubier) ont été sélectionnées pour réaliser une datation radiocarbone1. La date calibrée (2 σ) du pieu 2252 est de 162 BC-46 AD, tandis que celle du bois 2273 est de 53 BC-115 AD. Les pics de probabilité de 118 BC-26 AD (88,1 %) pour 225 et 53 BC-84 AD (92,1 %) pour 227 permettent de préciser la période de plantation. Une hypothèse peut être envisagée : la mise en place de pieux et de remblais garantit à la fois une meilleure stabilité de la chaussée et permet d’isoler la bande de roulement d’un sol humide qui peut être instable et gorgé d’eau selon les saisons. Stace (Silvae, IV, 3, 40) explique comment on améliore l’assiette d’une voie : « sol qu’on améliorera par le pilonnage, la plantation de pieux formant pilotis… ».
- 4 Les exemples de coffrage en contexte portuaire montrent que les traverses / planches sont générale (...)
24On retrouve ces installations dans les Hautes-Fagnes en Belgique (Corbiau, 1982, p. 323-329), à Augst (Hängii, 1989, p. 73-96) en Suisse ou encore à Longueuil-Sainte-Marie (Bruley-Chabot et alii, 1996, p. 389-451) dans l’Oise. L’exemple belge (fig. 17) montre des rangées parallèles de madriers qui sont séparées par 2 m environ. L’intervalle constaté à Vendenheim est beaucoup plus important puisque les écarts sont d’environ 7,70 m. De plus, les traverses n’ont pas été découvertes : sont-elles inexistantes ou sont-elles non conservées4 (Guichon, 2020) ? D’après cet exemple, les remblais sont posés par-dessus les traverses en bois qui forment en quelque sorte un premier sol. Si l’on transpose ce procédé à Vendenheim, les traverses en bois ou les négatifs des traverses devraient se trouver à l’interface entre les remblais et le paléosol organique. Hors, aucun indice n’est visible. Si les montants verticaux sont visibles à la fois dans les remblais sous forme de négatifs de pieux et dans le paléosol, sous forme de pieux conservés, pourquoi les madriers horizontaux ne seraient-ils pas visibles s’ils avaient existé ? En suivant ce raisonnement, l’exemple urbain d’Augst semble plus comparable au site rural de Vendenheim. Augst n’a conservé que deux alignements et aucune traverse (fig. 18). Afin que les alignements de pieux supportent la poussée due au poids des remblais contenus, R. Hängii suggère l’existence d’une sorte de clayonnage installé entre les piquets pour maintenir l’aménagement. À Vendenheim et à Augst, un aspect technique peut conforter cette hypothèse : les pieux d’un même alignement sont proches (0,30/0,40 m) alors que pour l’aménagement belge l’écart entre les pieux enfoncés est d’environ 1 m. Le fait de resserrer cet écart permettrait de limiter les poussées vers l’extérieur. Une autre hypothèse quant à la fonction des pieux peut éventuellement trouver des échos dans l’exemple de la fouille d’une section de l’axe antique Vannes-Angers, où le traçage des fossés latéraux a été matérialisé par des alignements de poteaux (Leroux, 2007). Si c’est le cas à Vendenheim, pourquoi les arpenteurs auraient-ils enfoncé autant de pieux si proches les uns des autres ? Ces pieux ont peut-être une fonction double : celle de marqueur topographique et celle de maintien de « l’assiette » de la voie.
Fig. 17. Reconstitution d’une structure en bois pour le franchissement d’une zone marécageuse dans les Hautes-Fagnes (Belgique) de la Via Mansuerisca.
D’après J. Mertens, Industrie, 1955, p. 39.
Fig. 18. Reconstitution de l’installation découverte à Augst (Suisses).
D’après Hängii, 1989.
- 5 Dans le sondage 1, situé au bord de la zone humide, ce rehaussement regroupe les couches 1090, 113 (...)
25Le rehaussement du terrain naturel constitué par l’apport de remblais est probablement réalisé après l’installation des pieux (fig. 15 et annexe 2, coupe 6) et après l’abandon des fossés 169 et 170, qui pourraient correspondre aux premiers fossés-limites (sondage 2 et 3). Le rehaussement est constitué d’un apport de plusieurs couches de remblais (d’une épaisseur d’environ 0,40 m)5, mêlant un limon sableux avec des galets et des graviers. Il n’y a pas de rehaussement dans la partie nord de l’emprise, hors de la zone humide, soit dans les sondages 4 et 5. Dans cette zone, le substrat constitué d’alluvions sablo-graveleuses sert directement de bande de roulement (sondages 4 et 5).
26La cote de conservation du toit du substrat, assez irrégulière, varie entre 138,70 m et 139,73 m sans que l’on observe un pendage général.
27Un apport de remblais a été réalisé sur toute la zone humide. On constate qu’il est plus conséquent (0,40 m) sur les zones de dépression (sondages 3 et 6). Dans cette zone instable et humide, les remblais sont maintenus par les pieux. Le rehaussement permet d’isoler la bande de roulement de l’humidité, de maintenir une stabilité à l’ensemble et de garantir une horizontalité de la chaussée, comme le suggère l’apport moins important du sondage 1, situé en dehors de la zone humide mais à une cote altimétrique faible. Ces observations archéologiques correspondent aux caractéristiques techniques des remblais exposées par Stace (Silvae, IV, vers 40-55). Les couches de remblais ont livré cinq tessons de céramique et deux monnaies. La vaisselle associée à ces couches (Us 1131 et 1212) s’inscrit dans une fourchette chronologique large de 50/270 ap. J.-C. (un récipient de grand module – une probable amphorette – à pâte beige-rosé fine, vraisemblablement d’une production de Brumath). Cette datation est précisée par un dupondius de Faustine II frappé entre 161 et 175 (Us 1196) qui pose un terminus post quem (période antonine). La seconde monnaie est un as de Néron (Us 1212). Du mobilier métallique provient aussi de ces couches, un fragment d’anneau en alliage cuivreux (Us 1196) qui peut correspondre à une bague, et quatre anneaux en alliage cuivreux (Us 1141-2, 1141-4, 1181 et 1196). L’apport de remblais construits est une caractéristique des voies romaines (Cloppet, 1996, p. 822). D’après le classement des routes et de leurs structures par Cloppet, le tronçon découvert à Vendenheim pourrait correspondre « aux fondations plus épaisses (plus de 20 à 25 cm d’épaisseur), bien que n’étant formées encore que d’une seule couche ».
28Le niveau de circulation de la seconde chaussée, composé d’un mélange de galets et de graviers, compact, a été documenté à plusieurs reprises dans les coupes stratigraphiques des sondages 1 (Us 1141= 1660, 1659), 2 (Us 1181 et 1202), 3 (Us 1374 et 1414), 4 (Us 1251 et 1267), 5 (Us 1503 et 1575) et 6 (Us 1774) (annexes, coupes 1, 2, 3, 4, 5 et 6).
29Le niveau d’apparition de la bande de roulement est régulier. On constate un écart maximum de 40 cm de hauteur entre le point altimétrique conservé le plus bas, correspondant à la plus forte dépression de la zone humide (sondage 3 : 139,31 m NGF) et le niveau le plus élevé de l’axe (sondage 4, coupe 7 : 139,73 m NGF), qui coïncide avec un point supérieur du substrat (terrasse d’alluvions sablo-graveleuses). Cette observation est réalisée sur 170 m de longueur, du nord au sud de l’emprise. L’apport de remblai garantit donc une horizontalité de la voie.
30Deux paires d’ornières sont conservées sur la bande de roulement. Leurs tracés sont strictement parallèles et coïncident en partie nord avec les renforts de pieux sous-jacents. Ces deux aires de roulement semblent avoir fonctionné de façon simultanée. Les deux ornières sont espacées de 1,10 m de largeur entre bords internes et 1,25 m de largeur entre bords externes. Les mesures correspondent aux écartements standards observées sur les voies romaines (Chevallier, 1997, p. 114). Du bord oriental de la voie jusqu’à la première paire d’ornières, il y a un espace de 3,20 m, puis un second intervalle de 5,20 m jusqu’à la seconde paire d’ornières (fig. 19). Les deux espaces de 3,20 m et de 5,20 m ne portent pas de trace d’ornière (fig. 20). Ils pourraient être dédiés aux piétons, aux chevaux ou encore au bétail.
Fig. 19. Vue depuis le sud de la bande de roulement de la voie et des ornières et indications des aires de circulation.
Cliché et DAO A. Habasque-Sudour.
Fig. 20. Vue depuis le nord-ouest de la bande de roulement de la voie et de la paire d’ornières conservées à l’est.
Cl. A. Habasque-Sudour.
31Trente-six monnaies (annexe 4, pl. 1, 2 et 3) sont issues des unités stratigraphiques de la bande de roulement de cette partie orientale de l’ouvrage (fig. 21). Le mobilier numismatique trouvé sur la bande de roulement est abondant puisqu’il représente 41 % du lot monétaire total. Trois exemplaires sont restés indéterminés. Ils n’ont pas été intégrés au comptage.
Fig. 21. Tableau des monnaies issues de la bande de roulement de la voie.
A. Habasque-Sudour.
- Une monnaie (MMO-1659-1) est frappée au ier siècle. Celle-ci n’est cependant pas révélatrice de ce siècle, puisqu’il s’agit d’un as contremarqué d’Auguste, usé, qui doit être en circulation pendant les périodes postérieures.
- Deux spécimens datent du iie siècle, un sesterce d’Hadrien (MMO-1141-7) et un sesterce de Faustine II frappé en 161 (MMO-1202-2). Les indices chronologiques se rapportant à la phase de construction permettent d’envisager une mise en circulation de cette partie de la chaussée, au plus tôt, durant la période antonine.
- Douze exemplaires, soit 36,3 %, sont datées du iiie siècle. L’apport monétaire est régulier. Pour la 1ère moitié du iiie siècle, représentée par une monnaie, il s’agit d’un quinaire de Caracalla (MMO-1267-1), frappé à Rome en 205 (Vict part max). Les monnaies de la 2ème moitié du iiie siècle se répartissent ainsi : un antoninien probablement d’Élagabal (MMO-1033-2), une monnaie indéterminée de Gallien (MMO-1202-3) et trois antoniniens de Claude II (MMO-1181-3, MMO-1267-2 et MMO-1414-3), dont une monnaie frappée en 269 (MMO-1181-3). Les monnaies gauloises sont représentées par trois antoniniens, un exemplaire brûlé de Postume ou de Victorin (MMO-1585-2) et deux exemplaires de Tétricus (MMO-1141-8 et 1374-2). S’ajoutent à ce lot une imitation radiée (MMO-1202-4) de la 2ème moitié du iiie siècle (271-274) et deux antoniniens indéterminés (MMO-1202-1 et 1267-3).
- Dix-huit monnaies sont datées du ive siècle, soit une proportion de 54,5 % du corpus. Les monnaies constantiniennes sont représentées par neuf exemplaires. Les frappes de Constantin Ier, comprises entre 306 et 324, concernent trois monnaies (MMO-1141-4, MMO-1141-5 et MMO-1585-1). Les frappes des fils de Constantin comptent quatre monnaies, un centenionalis de Crispus de type Caesarum nostrorum (MMO-1181-1), un indéterminé de type Gloria exercitus (MMO-1659-2), un type Victoriae, frappé à Rome (MMO-1414-1) et une monnaie de Constance II de type Fel tep reparatio (MMO-1374-3). Deux monnaies cassées constantiniennes sont restées indéterminées (MMO-1141-6 et MMO-1414-6). Les monnaies valentiniennes et théodosiennes sont bien représentées ; elles sont au nombre de huit et révèlent une circulation monétaire tardive (fin du ive siècle, voire début du ve siècle). Il s’agit d’un exemplaire de Gratien (MMO-1033-1) de type Gloria Romanorum, frappé dans l’atelier d’Aquilée, une monnaie de Valens (type Securitas reipublicae), probablement frappée à Rome (MMO-1414-2) et un second exemplaire de Valens (MMO-1141-2) de type Securitas. Trois exemplaires de Maximus complètent le lot (MMO-1414-4 et MMO-1414-5), dont une monnaie de type Reparatio rei publicae, frappée à Arles (MMO-1202-6). Un Valentinien II (MMO-1141-1), de type Victoria Avg et frappé à Arles, clôt le lot des spécimens valentiniens. Un exemplaire d’Arcadius MMO-1141-3 représente la période théodosienne. Une monnaie indéterminée du ive siècle s’ajoute au lot (MMO- 1181-2).
- 6 Beaucoup d’objets métalliques proviennent du décapage (US techniques) et des autres unités stratig (...)
32L’étude du numéraire permet de proposer une utilisation de cette zone de circulation, au plus tôt, de la période antonine jusqu’à la fin du ive siècle, voire au début du ve siècle ap. J.-C. Aucun mobilier céramique n’a été trouvé sur la voie. La nature même de l’occupation, une voie, c’est-à-dire un lieu de passage, se traduit par la faible quantité ou l’absence de céramique, en comparaison avec des contextes d’habitat. En revanche, cinquante et un objets métalliques ont été trouvés dans les sondages 1, 2, 3, 4 et 5 (fig. 22 et 23). Ils représentent 31,4 % du corpus des objets métalliques6.
Fig. 22. Le mobilier métallique trouvé dans le sondage 1.
D’après dessin et DAO M. Higelin.
Fig. 23. Le mobilier métallique trouvé dans les sondages 2 et 3.
D’après dessin et DAO M. Higelin.
33L’étude du mobilier métallique (Higelin, 2019) a permis d’identifier des objets en fer (NMI : 26 ; poids : 3,1 kg), en alliage cuivreux (NMI : 22 ; poids : 222 g), en matériaux composites (NMI : 2 ; poids : 0,3 g) et en plomb (NMI : 1 ; poids : 0,3 g). Le corpus relève surtout du domaine du transport (NMI : 8 ; 15,6 %), essentiellement représenté par la catégorie ‘Équipement de l’animal’ (NMI : 6 ; 75 %), dont deux fers à cheval (fig. 23, MFE-1202-2 et 1414-3), une hipposandale (MFE-1202-3, non dessinée) ou encore trois fragments d’appliques de harnais en alliage cuivreux (fig. 22, MCU-1660-1 et 2 ; fig. 23, MCU-1374-3). La catégorie ‘Attelage et véhicule’ est également identifiée par un crochet d’attelage (fig. 22, MFE-1660-1) et une probable garniture de véhicule (MCU-1141-1). Le domaine ‘Personnel’ (NMI : 5 ; 9,8 %) est reconnu par la présence d’un fragment d’arc de fibule (fig. 23, MCU-1374-1), de l’extrémité d’un ferret orné (MCU-1202-3) et par deux bagues (MCU-1181-3 et MCU-1202-1). Un bouton décoratif (fig. 23, MXX-1181-1) relève du domaine ‘Domestique’ (NMI : 1 ; 1,9 %). Les objets inclassables dominent largement le corpus (NMI : 37 ; 72 %), avec des individus pouvant appartenir aux catégories ‘Divers et polyvalent’ (NMI 10 : 27 %) et ‘Indéterminé’ (NMI 27 : 72 %).
34Après leur comblement, les fossés-limites 169 et 170 (supra I.2.2.1.) sont entaillés par deux états successifs de fossés-limites, le fossé 196 (= 110 ? = 134 et 197) dans un premier temps (état 3a), puis le fossé 109 (état 3b), dans un second temps. Les deux états successifs de fossés sont synchrones avec l’utilisation de la bande de roulement (état 3).
- Le fossé 196 (état 3a). Le fossé 196 (= 110, 134 et 197) est conservé sur environ 40 m de longueur. Son tracé est linéaire, parallèle à celui de l’axe, comme les fossés antérieurs 169-170. La largeur du creusement varie : dans sa partie nord (fig. 24), il mesure 2,90 m pour 70 cm de hauteur (139,60 m NGF), puis, plus au sud (fig. 25), il ne mesure plus que 1,60 m (139,42 m NGF) pour 50 cm de hauteur conservée. À 5 m au sud (fig. 26), il s’élargit à nouveau jusqu’à 3,10 m, pour 60 cm de hauteur (139,23 m NGF). Les coupes 5 et 6 du sondage 3 (annexes, coupes 5 et 6) présentent un fossé (F-197) large de près de 2 m pour 50 cm de hauteur (139,31 m NGF). Dans le sondage 2, les limites de creusement ne sont pas certaines. La coupe 4 (annexe 1, coupe 4) présenterait une ouverture de fossé (= F-110) d’environ 3 m pour une hauteur conservée d’environ 50 cm (139,55 m NGF). Le creusement a un profil en forme de cuvette. Le comblement est généralement bipartite et hétérogène. À un seul endroit, le fossé est constitué de quatre couches stratigraphiques (annexe 2, coupe 5). À sa base, le comblement présente souvent un limon plus ou moins argileux, brun à gris et meuble à compact (fig. 24 : Us 1496 ; fig. 26 : coupe 11 : Us 1314 ; sond. 3, coupe 6 : Us 1465). Deux coupes présentent un comblement différent, composé d’un limon sableux brun à gris (fig. 25 : Us 1304) ou d’un sable rosé (coupe 4 : Us 1022). Les comblements supérieurs sont fréquemment constitués d’une argile plus ou moins limoneuse, brune à grise et hétérogène (Us 1495 ; coupe 4 : Us 1022 ; coupe 5 : US 1360, 1359, 1358 et coupe 6 : Us 1464). La sédimentation, très hétérogène, semble issue d’un processus de décantation naturelle. Des fragments de céramique de facture antique proviennent des couches du comblement du fossé (fig. 24 : Us 1495 : trois tessons ; coupe 6, sond. 3, Us 1464 : quatre tessons). Un prélèvement d’os de faune effectué dans la coupe 22 (fig. 24), dans la première couche de comblement du fossé (Us 1495), a été confié au Poznań Radiocarbon Laboratory. La date calibrée obtenue (2 σ), comprise entre 222 et 385 AD7, cale le comblement du fossé. Au regard des indices chronologiques découverts dans le comblement des fossés-limites antérieurs (supra I.2.2.1), on peut situer l’utilisation du fossé 196 dans une fourchette chronologique allant de l’époque antonine au début du iiie siècle, au plus tôt.
Fig. 24. Coupe 22.
DAO A. Habasque-Sudour.
Fig. 25. Coupe 15.
DAO A. Habasque-Sudour.
Fig. 26. Coupe 11.
DAO A. Habasque-Sudour.
- Le fossé 109 (état 3b). Le fossé 109 entaille le fossé 196 (fig. 25 et 26, sondage 3, coupes 5 et 6 et sondage 2, coupes 3 et 4). D’un point de vue chronologique, le fossé 109 est synchrone avec le fossé bordier 104 (infra 1.2.3.3.) et avec l’utilisation de la voie, puisqu’il perce les remblais préparatoires (sondage 2). Il est conservé sur environ 100 m, de la berme nord jusqu’au milieu de l’emprise. Contrairement aux fossés antérieurs, son tracé est sinueux mais semble suivre l’axe antérieur. Dans la partie nord de l’emprise, son creusement principal (FO 109 = 158) se divise en deux fossés (FO 139 = 157 et 136 = 159). Il a été observé à plusieurs reprises (fig. 25 et 26, sondage 3, coupes 5 et 6 et sondage 2, coupes 3 et 4). Les profils sont hétérogènes, alternant un fond plat et des parois obliques (fig. 25, sondage 3, coupes 5 et 6), puis en cuvette (sondage 2, coupe 3) et irrégulier (fig. 26, sondage 2, coupe 4). À une cote d’apparition sensiblement identique (entre 139,25 m NGF et 140 m NGF), les hauteurs conservées s’échelonnent entre 0,40 et 0,80 m pour des largeurs comprises entre 0,90 et 2,70 m (fig. 27). Vers le sud de l’emprise, le fossé à tendance à s’élargir.
Fig. 27. Les dimensions du fossé 109 et ses cotes d’apparition.
A. Habasque-Sudour.
35Le comblement est généralement unique et constitué soit d’une couche d’argile grise (sondage 3, coupes 5, Us 1331 et 6, Us 1460), soit d’un mélange d’argile et de limon brun à gris (fig. 25, Us 1299, sondage 2, coupe 4, Us 1237). Les deux coupes au comblement bipartite présentent une succession stratigraphique différente ; le creusement de la coupe 11 est comblé par une argile grise (Us 1299), recouverte par un limon argileux (Us 1298). Le profil de la coupe 3 du sondage 2 présente un sable rose à gris qui vient tapisser le fond du creusement (Us 1165), puis un limon argileux gris (Us 1163). Le remplissage bipartite et la forte proportion d’argile homogène et compacte plaident pour un colmatage naturel et vraisemblablement rapide des structures.
36Quatre tessons de facture antique proviennent du fossé 109 (fig. 5, Us 1299). Les indices de datation apportés par la chronologie relative permettent de situer l’installation du fossé 109 après l’abandon du fossé 196, qui se situe entre le iiie et le ive siècle.
37En considérant les fossés 169 et 170 (infra I.2.2.1) comme des fossés-limites matérialisant la zone d’emprise publique de l’axe, les fossés situés dans l’espace laissé disponible entre les fossés-limites et la bande de roulement peuvent être interprétés comme des fossés bordiers permettant de drainer l’eau de ruissellement. Remarquons que les fossés-limites ont pu aussi remplir cette fonction. Du nord au sud de l’emprise, plusieurs tronçons fossoyés peuvent correspondre à un fossé bordier : le fossé 126 au nord (= 128, 156) et le fossé 104 (=238) au sud.
- La partie nord de l’emprise : le fossé 126 (= 128, 156 et = 104 ?). Le fossé 126 (= 128, 156) est conservé sur 75 m de longueur dans la partie nord de l’emprise. Le tracé est sinueux mais longe l’axe de la chaussée dont il est éloigné de 1 à 3 m. Le fossé 126 entaille le substrat sableux (annexes, sond. 4, coupe 7 et sond. 5, coupes 9 et 10) et les remblais de préparation de la bande de roulement (annexe 2, sond. 3, coupes 5 et 6). Au nord, le fossé 126 est large d’environ 0,60 m (sond. 4 et sond. 5, coupe 9), pour 10 cm de profondeur (cote d’apparition : 139,63 m NGF), puis, plus au sud, dans la partie basse de la zone humide (sondage 3), il atteint une largeur de 0,70 m (139,41 m NGF), pour une profondeur conservée de 20 cm. Les coupes présentent un remplissage simple, composé d’un mélange d’argile et de limons gris, homogène et compact (sondage 4 : Us 1248 ; sondage 5 : Us 1501 et 1641 ; Us 1473 ; sondage 3 : Us 1375 et 1456). Au niveau de la coupe 17 (fig. 5, le fossé 126 (Us 1473.2) a livré un fragment de céramique à pâte claire antique, deux fragments de récipient à pâte brunâtre qui peuvent se rattacher à La Tène finale ou à la période romaine, des fragments de tuiles romaines, un clou de menuiserie (MFE-1473-1) et un as julio-claudien contremarqué (MMO-1473-1).
- La partie sud de l’emprise : le fossé 104 (=238 et = 126 ?). Le fossé 126 s’interrompt à quelques mètres au sud du sondage 3. Le fossé 104 (= 238) semble poursuivre le tracé du fossé 126. Son tracé a été suivi sur environ 80 m de longueur, jusqu’à la limite sud de l’emprise. Le fossé 104 a des dimensions plus importantes que celles du fossé 126 (= 128, 156). Ces mesures sont régulières, puisque dans le sondage 2, le fossé est large de 2,25 m et haut de 0,50 m (cote d’apparition : 139,25 m NGF) ; dans le sondage 6, il mesure 2 m de largeur pour 50 cm de hauteur conservée (139,55 m NGF) puis s’élargit jusqu’à près de 2,50 m, pour 40 cm de hauteur (139,45 m NGF), dans le sondage 1. Le remplissage est simple dans le sondage 2 et se compose tantôt d’un sable gris, meuble (Us 1178), tantôt d’un limon sableux gris (Us 1226). Dans les sondages 6 (Us 1841 et 1842) et 1 (coupe 1, Us 1134 et 1135 ; coupe 2, Us 1117 et 1118), le comblement se compose de deux couches alternant des limons plus ou moins argileux ou sableux. Aucun artefact n’a été trouvé dans les remplissages. Les sondages 2 et 3 permettent d’observer des liens stratigraphiques entre le fossé bordier 104 et les différentes phases de fossés-limites. Le fossé bordier 104 est installé sur des couches de remblais qui recouvrent le premier état de fossés-limites 169 et 170. Dans le sondage 2, le fossé 104 peut être considéré comme synchrone au fossé 109.
38Les comblements des fossés 104 (Us 1005) et 109 (Us 1237), visibles dans la coupe 4 du sondage 2, recouvrent les parois des creusements et forment un dôme que l’on peut interpréter comme un débordement. Cette hypothèse peut être confortée par les observations réalisées en plan. Les diverticules irréguliers et sinueux (FO 139 et 136 = 159) pourraient être la conséquence de l’obstruction du fossé 109. Le débordement des fossés entraîne des coulées boueuses qui recouvrent peu à peu la bande de roulement. Le comblement des fossés synchrones 104 et 109 révèle l’absence d’entretien de l’axe et de ses abords. Les indices de datation apportés par la chronologie relative permettent de situer l’installation du fossé 109 après l’abandon du fossé 196 situé entre le iiie et le ive siècle. Ces niveaux de débordement pourraient former la base de la couche Us 1001 (annexe 1, sond. 2, coupe 4) qui scelle à la fois la voie et ses fossés. L’Us 1001 est une couche d’argile limoneuse brune, prismatique et compacte qui est identifiée comme un paléosol. Les cinq monnaies issues de l’Us 1001 (fig. 28 et 29) ne datent pas la formation de ce niveau, pour lequel le terminus post quem est livré par la présence de monnaies théodosiennes dans la bande de roulement (infra I.2.3.1). Le paléosol Us 1001 n’a donc pu se constituer, au plus tôt, qu’à la fin du ive siècle, voire au début du ve siècle ap. J.-C.
Fig. 28. Les monnaies trouvées dans l’US 1001.
Cliché et montage © F. Schneikert.
Fig. 29. Tableau des monnaies issues de la couche 1001.
A. Habasque-Sudour.
39De ce niveau Us 1001 proviennent également seize objets en alliage ferreux, dont quatorze fers à cheval (Higelin, 2019). Sept exemplaires peuvent être datés du Moyen Âge central. Dans les niveaux antiques, ce type d’objet est généralement considéré comme intrusif. L’usage du fer à cheval ne serait attesté que dans le courant du Moyen Âge. Cependant, la découverte de deux exemplaires et d’une probable hipposandale trouvés sur la bande de roulement (infra I.2.3.1 et fig. 23, MFE-1202-2 et MFE-1414-3) et d’autres issus de l’Us 1001 permettent d’alimenter la problématique sur l’apparition du fer à clous pour la protection du sabot (Guillaumet, 2016 ; Lazaris, 2009) durant l’Antiquité. Des fragments d’amphore et de cruche complètent l’inventaire.
40Strasbourg et Brumath sont en réalité deux étapes d’un axe, mais lequel ? Le rattachement de ce segment au réseau d’Agrippa pose question.
41Strabon parle de l’installation d’un réseau routier supervisé par Agrippa et dont le centre est Lyon dans le dernier quart du ier siècle avant notre ère : « Agrippa l’a choisie [Lyon] pour en faire le point de départ des grands chemins de la Gaule, lesquels sont au nombre de quatre (…) l’une traverse le Massif central en direction des Santons et de l’Aquitaine. Une autre se dirige vers le Rhin. Une troisième gagne la Manche en passant chez les Bellovaques et les Ambiens. La quatrième conduit en Narbonnaise et au littoral de Marseille ». Puis il évoque une cinquième route : « Il est enfin une autre qui depuis les Alpes Pennines fait traverser le Rhône et le Léman, les plaines d’Helvétie (…) et mène au pays des Séquanes puis des Lingons ; à partir de là un embranchement conduit vers le Rhin, soit vers la Manche » (Strabon, Géographie, IV, 6, 11).
42La direction « vers le Rhin » peut être atteinte par deux axes différents du réseau décrit par Strabon. Le premier correspond certainement à l’axe Lyon-Trèves, le deuxième pourrait correspondre à la chaussée reliant Strasbourg à Seltz, Spire et Mayence. Une synthèse des données historiques et archéologiques pose la problématique de la (ou les) voie(s) du Rhin (Kasprzyk, Nouvel, 2011). Celle dite du Rhin est l’une des quatre routes partant de Lyon d’après Strabon (infra). Un consensus se dégage sur le tracé Langres-Toul-Metz et Trèves. Si plusieurs parties du tracé ne sont pas discutées – la première portion du tracé Lyon-Chalon-sur-Saône est assurée –, d’autres demeurent incertaines : la seconde partie partant de Chalon est sujette à discussions. Plusieurs possibilités existent, comme un itinéraire Chalon-Langres ou Chalon-Besançon-Mandeure-Kembs. Ce dernier peut être mis en relation avec la voie d’Italie passant par les plaines d’Helvétie puis se dirigeant vers le Rhin.
43Si le texte de Strabon est schématique, les itinéraires postérieurs (Itinéraire d’Antonin et dit de Peutinger) sont plus précis (étapes, distances). Les Itinéraires d’Antonin et dit de Peutinger évoquent-ils cet axe plus proche du cours du Rhin ? Dans l’Itinéraire d’Antonin, daté de la fin du iiie siècle ou du début du ive siècle, le tracé Strasbourg-Brumath est rattaché au grand itinéraire Item per ripam Pannoniae a Daurono in Gallis ad leg. XXXusque, qui relie la Serbie à la Rhénanie du Nord-Westphalie. Il traverse notamment les localités de Rauracis (Augst), d’Arialbinno (Bâle), d’Uruncis (Habsheim ou Sierentz ?), de Monte Brisaco (Vieux-Brisach), d’Helveto (Ehl), d’Argentorato (Strasbourg), de Brocomago (Brumath), de Concordia (Altenstadt-Wissembourg ou Lauterbourg ?), Noviomago (Spire), Borbitomago (Worms), Bauconica (?) et Mogontiacum (Mayence). La Table de Peutinger (segment III), de l’Antiquité tardive, illustre un axe qui se situe entre le Rhin et la « forêt des Vosges » (fig. 30). L’Itinéraire direct permet de rejoindre Mayence via Augusta Raurica (Augst), Cambete (Kembs), Argentovaria (Horbourg-Wihr ou Biesheim ?), Helvetum (Ehl), Argentorato (Strasbourg), Brocomagus (Brumath), Saletione (Seltz), Taberni (?), Noviomago (Spire), Borbitomago (Worms), Bauconica (Bodenheim ?) et Mogontiacum (Mayence).
Fig. 30. Extrait de la Table de Peutinger.
44Dans la Cosmographie de Ravennate par l’Anonyme de Ravenne (Ravennate, IV, 26, I-36), datée probablement du haut Moyen Âge, les étapes de Strasbourg-Brumath relèvent de la route Worms-Spire-Strasbourg-Augst. L’examen de ces sources antiques permet plusieurs constatations. Première observation, Saletione (Seltz), illustré dans la Table de Peutinger, n’est pas évoqué dans l’Itinéraire d’Antonin Item per ripam Pannoniae a Daurono in Gallis (Itinéraire de Pannonie vers les Gaules ; It. Ant. 251, -253, 3) mais dans un autre itinéraire d’Antonin, Item per Mediolanum (Milan) per Alpes Penninas Mogontiacum (Mayence). L’axe traverse successivement Augusta Rauracum (Augst), Cambete (Kembs), Stabulis (?), Argentovaria (Horbourg ou Biesheim ?), Helvetum (Ehl), Argentorato (Strasbourg), Saletione (Seltz), Tabernis (Saverne), Noviomago (Spire), Borbitomago (Worms), Bauconica (?) et Mogontiacum (Mayence). Deuxième constat, si Saletione (Seltz) est mentionné dans cet itinéraire, à l’inverse, Brocomago (Brumath) ne l’est pas.
45Aucune borne n’a été trouvée entre Strasbourg et Brumath. Cinq bornes milliaires sont découvertes entre Brumath et Seltz et une probable borne, douteuse et anépigraphe (Weitbruch) que nous ajoutons quand même à cet inventaire (fig. 31). Ce corpus rassemble une majorité de bornes datées du iiie siècle et correspond au retour progressif de la frontière sur le Rhin.
Fig. 31. Tableau des bornes trouvées entre Brumath et Seltz.
A. Habasque-Sudour.
46L’axe antique reliant Brumath à Strasbourg est mentionné depuis le xviiie siècle. Il traverse les bans communaux de Vendenheim et d’Eckwersheim. La Route nationale 2063 actuelle reprend son tracé. De la sortie de Strasbourg jusqu’à l’entrée dans le chef-lieu de la cité, Brumath, la voie est longue d’environ 17 km. Depuis le xixe siècle, les auteurs tels que J.-D. Schoepflin, L.-W. Ravenez (Schoepflin, Ravenez, 1849-1851) et le colonel de Morlet (de Morlet, 1860-1861) admettent que la RN 2063 reprend le tracé de la voie romaine (fig. 32). Pour les communes de Bischheim, Souffelweyersheim, Mundolsheim et Eckwersheim, la chaussée peut être simplement restituée. La voie est en revanche observée ou relevée à Strasbourg, à Schiltigheim, à Lampertheim, à Brumath et depuis peu à Vendenheim. À Strasbourg, au 8 rue du Dôme (fig. 33, n° 1), lors de travaux de canalisation effectués en 1903 à environ 4 m de profondeur (environ 137,50 m NN), avant l’installation du camp de la VIIIe légion, une couche constituée d’un radier de bois et de fascines est trouvée. D’après R. Forrer, il s’agit du premier niveau d’une chaussée antique précoce (Forrer, 1927, p. 654-655) correspondant à la future via principalis. F.A. Schaeffer identifie ce niveau comme une préparation servant à consolider le sous-sol humide et vaseux avant l’installation de la structure et non une première route liée aux débuts de l’installation romaine. Selon lui, un niveau comparable a été trouvé aux 3-8 place Broglie (environ 136,58 m NN), (fig. 33, n° 2). De plus, cette couche est plus large que les niveaux de gravier de la voie qui prolonge la future via principalis vers le nord (Schaeffer, 1930, p. 269-270). La route partant du camp de la VIIIe légion et qui mène en direction de Brumath prolonge la via principalis (l’actuelle rue du Dôme) au-delà de la porte nord. Des recharges du Haut et du Bas-Empire sont observées à divers endroits dans la rue du Dôme, place Broglie puis rue de la Nuée Bleue. Aux 3-8 place Broglie (CAG, 67-2, p. 119), une couche de cailloutis (entre 138,50 m et 140,10 m NGF) succède dans la deuxième moitié du iie siècle au niveau constitué d’un radier de bois (cf. infra). Au n° 30 de la rue de la Mésange et au carrefour de la rue de la Nuée Bleue et de la place Broglie, un carrefour de voies (et/ou place ?) est installé dans la deuxième moitié du iie siècle et perdure durant le Bas-Empire (CAG, 67-2, p. 119). Au n° 25 rue de la Nuée Bleue (fig. 33, n° 3), un niveau de voirie interprétée comme l’axe Strasbourg-Brumath apparaît à la cote de 139 m NGF (ibid., p. 119).
Fig. 32. Carte des routes romaines en Alsace dressée par L.W. Ravenez.
D’après Schoepflin, Grandidier, Perreciot, Schweighaeuser, Golbéry et Clerc.
Fig. 33. Les lieux de découverte de la via principalis qui devient la voie Strasbourg-Brumath.
DAO A. Habasque-Sudour, d’après Kunhle, 2018.
47À environ 1,8 km au nord du camp, entre le Faubourg de Pierre et les Quatre Vents, à Schiltigheim et à proximité du cimetière Sainte-Hélène, la voie est documentée de façon précise (Goehner, 1922) dans quatre sondages (fig. 34). Dans le premier sondage (A), situé à 150 m au nord de la porte de Pierre, la voie romaine est présente à 1,20 m en dessous du niveau de la rue de l’époque (136,65 NN). La description de la voie est la suivante : « les restes d’une route antique renforcée par un gravier qui formait une couche de 2 m de largeur et d’une épaisseur de 25 cm. À une époque postérieure [au-dessous de la première couche décrite ?] cette couche a été évidemment élargie de 2 à 4 mètres. La surface du gravier renfermait des petits éclats de granit rouge de 5 à 7 cm de diamètre. Au-dessous se trouvait immédiatement le « lett » naturel du sol, d’un brun clair et de 45 cm d’épaisseur, suivi d’une couche de sable du Rhin de couleur grise. Aucun objet, tesson ou monnaie ne nous renseignait sur l’âge de cette route [potentiellement une route médiévale ou moderne ?]. De même rien de ce genre ne se rencontrait dans le remblai surmontant cette route et se composant d’un lœss très pur de 1 m 20 de hauteur (Goehner, 1922, p. 48). Le même « cailloutis » (gravier ?) est rencontré dans les autres sondages. Au point D, cette couche est atteinte à 1,90 m sous le niveau du sol de l’époque. Aux points B et C, le gravier est mélangé à des fragments de granit rouge, de calcaire et de basalte et à du mobilier. Dans les deux derniers sondages (C et D), la chaussée romaine serait recouverte d’un pavage fait de blocs calcaires et de dolérite du Kaiserstuhl. Le lit de pierre repose sur une couche de sable du Rhin de 5 à 10 cm d’épaisseur, puis directement sur le sol naturel argileux. Au point C la voie est renforcée sur son bord ouest par des blocs en calcaires plus gros (bordure ?). La partie orientale n’a pas été dégagée ici. Entre les points C et D, la route est détruite par un ravelin attribué à la fortification Vauban. La route moderne bifurque vers l’est, en amont, entre les points B et C. Au point D, la chaussée pavée, entière, est large de 7,50 m. L’auteur suppose « qu’il y avait là une bifurcation de plusieurs routes antiques ». Du mobilier romain et médiéval est découvert sur le pavage (Goehner, 1922, fig. 55). Un chapiteau roman, daté par R. Forrer du xe ou du xie siècle est exhumé (ibid., fig. 49, Q) dans les remblais qui recouvraient la voie antique. Le pavage antique est recouvert par plusieurs niveaux de voiries postérieures (un remblai composé de galets du Rhin et des couches de cailloutis et de tuiles médiévales), stratifiés sur une hauteur de 2,20 m (ibid., fig. 48 et 52). Les ornières des véhicules sont présentes sur le pavage. Certaines font 20 cm de profondeur. L’intervalle entre les ornières est régulier et mesure 1,35 m (ibid., fig. 49, S et T). La structure enregistre une pente de 3 % dans sa longueur (directions non mentionnées par l’auteur) et de 4 % dans sa largeur. Ch. Goehner et R. Forrer pensent que « la voie était pavée à certains endroits, dans le voisinage immédiat de la ville romaine, à des bifurcations très fréquentées et là où le terrain avait des pentes, comme c’est le cas dans le voisinage de Ste-Hélène » (Goehner, 1922).
Fig. 34. Illustrations de Ch. Goehner (Goehner, 1922).
48En 1958, à Schiltigheim et à Lampertheim, la route romaine est observée, sans plus de précisions (Stieber, 1958b). Il en est de même pour le reste du tracé, jusqu’à Brumath. Au sud de Brumath, à environ 3 km au nord de Vendenheim et à 10 m à l’est de la RN 2063, au niveau de la rampe d’accès à l’autoroute A4, la voie est épaisse de 0,50 m et présente cinq horizons (Kern, 1978), sans autres précisions (fig. 35, n° 1). Au sud de Brumath, à l’est de la RN, dans le quartier du Stephansfeld, le long de la clôture sud du centre de soin (n° 2), l’axe est observé. Un décalage vers l’est est constaté dans les niveaux les plus récents de la voirie (Pétry, 1982). La voie inférieure (la plus ancienne ?) est composée de deux recharges de gravier. Le second remblai ne couvre que partiellement la première voirie et son axe est décalé vers l’est. E. Kern en déduit que « Son orientation vers le nord est matérialisée par le grand bâtiment du Stephansfeld, sous lequel passait la route, qui devait conserver cette direction jusqu’à l’intersection avec le prolongement du cardo-maximus, ou du premier cardo secondaire ouest » (Kern, 1978). À 100 m plus au nord, dans le quartier du Stephansfeld et à 35 m à l’est de la RN 2063, à hauteur de la maison forestière Bornweg (fig. 35, n° 2 et fig. 36), le sommet de l’ouvrage apparaît à 141,68 m. Elle est large de 4,80 m et épaisse de 0,30 m. Les recharges romaines sont scellées par une couche limoneuse de 10 cm d’épaisseur, elle-même recouverte par quatre couches constituant le chemin moderne (Kern, 1978 ; Pétry, 1980).
Fig. 35. Les lieux de découvertes de la voie à Brumath.
DAO A. Habasque-Sudour.
Fig. 36. Coupe stratigraphique réalisée au sud du Brumath par E. Kern (Kern, 1978).
- 8 Dont : « un très faible dépôt boueux grisâtre, et jauni d’oxyde de manganèse ; une recharge de gra (...)
49Le prolongement de la route et son entrée dans Brumath restent inconnus. Plusieurs hypothèses sont proposées depuis le xixe siècle par les différents auteurs (Riff, 1912 ; Kern, 1978) qui privilégient soit un prolongement via le cardo maximus, soit par un cardines secondaire situé à l’ouest. Les sources antiques (voir supra) nomment Saletione (Seltz) ou Concordia (Altenstadt-Wissembourg ou Lauterbourg ?) comme les prochaines étapes après Brumath. En retenant Seltz ou Lauterbourg pour Concordia (attribution indéterminée) comme prochaine destination, la voie peut bifurquer à l’ouest de Brumath. La voie Brumath-Seltz (ou un cardo secondaire ?) est coupée en 1978 lors de la construction du Lotissement des Tilleuls (fig. 35, n° 4). La chaussée est installée sur le substrat alluvionnaire (151,28 m). Elle se compose de huit recharges8 (Kern, 1978, p. 47). La chaussée romaine est recouverte de limon lœssique sur 0,80 m d’épaisseur. Le cardo maximus peut aussi prolonger l’axe et se diriger ensuite vers Altenstadt-Wissembourg pour Concordia. Le cardo maximus est repéré place de la Liberté (n° 5) au niveau de l’intersection entre la rue du Général Rampont et la rue Raymond Poincaré (n° 6) puis Place Victor Fischer (fig. 35, nos 7 et 8), des niveaux « augustéens » sont identifiés par E. Kern (Kern, 1978, p. 37). Les premiers niveaux de chaussée ont une largeur de 10 m et celle-ci semble ensuite se rétrécir à environ 5 à 6 m.
50La chronologie relative et le mobilier archéologique permettent de proposer un phasage de la voirie (fig. 37). La mise en perspective des données archéologiques et historiques permet d’appréhender des questions telles que le statut de la voie et sa place dans le réseau routier.
Fig. 37. Tableau synthétique par états.
A. Habasque-Sudour.
51Le premier état est marqué par la présence d’une voie faite de galets et de graviers et située dans l’angle sud-ouest de l’emprise (longueur d’environ 50 m). La portion observée doit correspondre au flanc oriental de l’axe. L’origine de cet axe reste inconnue. Aucun élément ne permet de prouver l’existence d’un axe de communication protohistorique. Toutefois, une chaussée antérieure à l’époque romaine a pu desservir l’occupation rurale localisée dans la partie sud de la fouille et datée de La Tène C2 et de La Tène D1b. L’occupation pourrait correspondre soit à la périphérie septentrionale de la ferme Nachtweig (Guillaume, 1999), située à 1 km au sud, soit il pourrait s’agir d’un établissement satellite se développant plus au nord (Hutin, 2019). L’utilisation peut être datée, avec beaucoup de prudence, grâce à un as de Néron et, au plus tôt, de la seconde moitié du ier siècle. L’indigence du mobilier recueilli restreint, à cette étape, les propositions de datation. La stratigraphie permet d’envisager une fourchette chronologique pour son utilisation. La bande de roulement (état 1) est scellée par les remblais préparatoires de l’état 2, datés de la période antonine. Il est donc probable que la voie de l’état 1 ait pu être utilisée de la seconde moitié du ier jusqu’à la seconde moitié du iie siècle (période antonine). La première route a pu fonctionner durant le début des travaux de la seconde route mais avant l’installation des remblais préparatoires. Aux abords immédiats de l’axe, une sépulture à crémation, datée de la première moitié du ier siècle, permet de donner un indice de l’aspect du paysage lors du fonctionnement de la première voie. L’environnement rural et funéraire à cet endroit est ensuite annexé à l’emprise foncière du futur axe.
52La chronologie relative de la seconde voie (états 2, 3 et 4) permet d’identifier une première phase qui débute par la délimitation de l’espace public dédié à l’ouvrage avec le creusement de fossés-limites (état 2a) et la plantation de pieux en bois de chêne servant, avec la couche de remblai, à isoler la bande de roulement du substrat insalubre (états 2b et 2c). Les datations au radiocarbone obtenues sur deux échantillons révèlent que les bois sont coupés dans un intervalle compris entre le ier siècle avant et la fin du ier siècle après J.-C. La plantation des pieux n’a pas pu intervenir avant cette période. Les pieux en bois sont recouverts par un apport de remblai composé de sable. La couche a livré de rares indices chronologiques pour dater la mise en place du remblai, dont un dupondius de Faustine II qui livre un terminus post quem de 161. Les fossés de délimitation 169 et 170 sont abandonnés. Les observations stratigraphiques permettent tout au plus de dire que ces fossés fonctionnent pendant la construction de la voie.
53L’utilisation (état 3) de la voie couvre vraisemblablement une longue séquence, de la période antonine jusqu’à la fin du ive siècle, voire au début du ve siècle ap. J.-C. D’après les observations effectuées, la voie est installée en une fois et de façon massive. Les états successifs des fossés permettent seuls d’identifier des étapes d’entretien pendant la phase d’utilisation. L’utilisation de la chaussée est synchrone avec les deux états de fossés-limites (états 3a et 3b). La chaussée fonctionne avec un nouveau fossé-limite (fossé 196) actif de l’époque antonine au début du iiie siècle (état 3a), au plus tôt. Un ultime fossé (fossé 109) est creusé dans le comblement du fossé antérieur (état 3b). Les fossés 126 et 104, identifiés comme des fossés bordiers, n’apportent pas d’éléments chronologiques précis. Tout au plus le fossé 104 peut-il être considéré comme synchrone au fossé 109.
54La bande de roulement est finalement scellée par une formation d’argile brune, prismatique et identifiée comme un paléosol (état 4). Cette couche est probablement constituée par l’engorgement des fossés qui ne sont plus entretenus, au plus tôt à la fin du ive siècle, voire au début du ve siècle ap. J.-C. À cet endroit, la partie orientale de la bande de roulement ne devait plus être praticable et n’était plus visible dans le paysage à la toute fin de l’Antiquité. En revanche, il est possible que la chaussée centrale, actuellement sous la RN, continue à être en usage durant le Moyen Âge, comme le suggère la présence de fers à cheval. Il semble en effet peu probable qu’un tel ouvrage ne soit plus actif après son abandon lié à l’absence d’entretien. À ce propos, une étude approfondie du contexte archéologique du haut Moyen Âge, réalisée dans le rapport d’opération de la fouille située à Vendenheim, « Route de la Wantzenau, Entrepôt Atlas-Fly » (Barrand-Emam et alii, 2013), tend à montrer que les occupations de cette période se situent pour beaucoup à proximité des anciens axes de circulation antiques. Si ceux-ci continuent à avoir une influence sur l’implantation des occupations alto-médiévales, c’est qu’ils doivent être encore actifs ou visibles.
55La mise en place d’un réseau routier peut être mise en relation avec les transformations politique et militaire de Brumath, de Strasbourg et d’une façon générale de la vallée du Rhin supérieure (fig. 38).
Fig. 38. Carte extraite de Flotté, Fuchs dir., 2000.
56Brocomagus devient, à une date inconnue, capitale civile de la cité des Triboques. A. Ferdière et M. Reddé situent vers 12 av. J.-C. le transfert des Germains Triboques en rive gauche du Rhin (Ferdière, 2005 ; Reddé, van Andriga, 2015). La raison du déplacement de cette population demeure inconnue. Les données archéologiques permettent d’apporter quelques rares indices sur le début de la période romaine à Brumath (Flotté et alii, 2016). Le premier équipement urbanistique romain recensé à ce jour est l’intersection entre le cardo et le decumanus maximus (Kern, 1978 ; Habasque, 2012). E. Kern parle alors de voie augustéenne, dont la datation reste incertaine. La fouille réalisée en 2001, place de l’Aigle, rebaptisée place Victor Fischer (Saint-Jean Vitus, 2002), apporte des éléments chronologiques plus précis sur l’implantation du réseau viaire secondaire à Brumath. Lors d’une première phase, datée de la période augustéenne, une aire empierrée est installée. Elle pourrait correspondre à un axe orienté est-ouest mais probablement antérieur à la ville romaine proprement dite. Une occupation militaire romaine est supposée à cet emplacement par la présence d’un système fossoyé en quinconce que l’on rencontre généralement pour les camps de marche. Néanmoins, les dimensions observées demeurent inférieures à celles habituellement reconnues. Lors d’une seconde phase, datée du premier quart du ier siècle, une occupation se structure de part et d’autre d’une aire empierrée identifiée soit à un niveau de cour, soit à un axe de circulation. C’est à partir du second tiers du ier siècle de notre ère, qu’un important exhaussement de terrain est mis en place. L’extension maximale de la ville est atteinte dans le courant du iie siècle ou au début du iiie siècle. Dès la fin du dernier quart du iiie siècle, l’habitat se rétracte dans une probable enceinte (Riff, 1912). Dans le courant du ive siècle, Brumath perd son statut de capitale de cité au profit de la civitas Argentoratensium.
57La place de Strasbourg ne peut pas être « qualifiée » de site augustéen (Kunhle, 2018, p. 3). C’est dans la deuxième décennie de notre ère que la situation change. Sous Tibère, le site militaire de Strasbourg est créé et abrite la IIe légion et des auxiliaires. Vers 85, sous Domitien, la province de Germania Superior est créée et le limes « germano-rhétique » construit. La VIIIe légion arrive alors à Strasbourg. Vers 260, le limes est ramené sur le Rhin après la perte des Champs Décumates. À la fin du iiie siècle, la région se situe dans la nouvelle province nommée Germania I (fig. 39). D’après les données archéologiques et historiques, l’axe, dans son premier état, dessert la jeune capitale de cité des Triboques, Brumath, et le vicus né à partir d’un camp de la IIe légion de Strasbourg. L’initiative et la phase de construction de la seconde voie (état 2), interviendraient lors de la création de la province Germania Superior. Les travaux de grande ampleur nécessaires à la construction de cet axe pourraient faire partie d’une réfection du réseau à grande échelle. Le retour progressif de la frontière sur le Rhin, au milieu du iiie siècle, marque un tournant dans l’histoire du limes rhénan. Les quatre bornes trouvées entre Brumath et Seltz, qui datent entre 250 et 260 (cf. supra II.2) semblent illustrer l’importance grandissante de la voie, qui peut être mise en relation avec le retour progressif de la frontière de l’Empire sur le Rhin à partir du milieu du iiie siècle. Enfin, l’arrêt de l’entretien de l’ouvrage à la fin de l’Antiquité tardive correspond à la chute de l’Empire romain d’Occident.
Fig. 39. Localisation de Ehl, Strasbourg et Brumath dans la province de Germania I et des sites d’Horbourg, Oedenburg et Breisach dans la province de Maxima Sequanorum.
DAO A. Habasque-Sudour, d’après Hächler et alii, 2020, p. 86.
58Les sources antiques (Suétone, Siculus Flaccus et Ulpien) indiquent que le droit public romain hiérarchise le réseau routier en reconnaissant trois types de voirie : les voies privées, vicinales et publiques. Les routes publiques (viae publicae) sont construites à l’instigation du pouvoir impérial. La construction serait en grande partie financée par le trésor impérial et par la contribution des propriétaires des domaines desservis par l’axe de circulation (Cloppet, 1997). Les obligations d’entretien et de réfection étaient sous la responsabilité des magistrats des pagi, qui se chargeaient des parties traversant leurs territoires (ibid.). D’un point de vue archéologique, le tronçon reliant Strasbourg à Brumath peut être classé parmi les axes publics. Ce statut se traduit par la présence de fossés de délimitation (état 2) qui marquent l’emprise foncière de l’ouvrage et son rattachement au domaine public. Les phases de réfections successives observées sur ces fossés montrent la volonté de pérenniser cette délimitation publique et de la rendre visible à tous. Les techniques de construction employées (creusement de fossés rectilignes sur de grandes distances, plantation de pieux et apport de gros volumes de sable, de galets et de graviers…) induisent une main d’œuvre nombreuse et un savoir-faire assuré, qui traduisent un coût financier important propre à un projet public. L’affectation de l’armée à ce type de travaux est envisagée (Demarez, Othenin-Girard, 1999). L’armée dispose de soldats expérimentés et rémunérés. La largeur de 20 m observée (bande de roulement et fossés) est partielle puisque la chaussée se poursuit à l’ouest de l’emprise. On sait que les emprises des routes publiques pouvaient atteindre entre 35 et 40 m, soit environ un actus (35-37 m). D’après les sources littéraires antiques (Strabon, Géographie, IV, 6, 11 ; La Table de Peutinger et Itinéraires d’Antonin), les étapes de Strasbourg et de Brumath appartiennent à un itinéraire suprarégional. Strabon parle du réseau routier mis en place par Agrippa dans le dernier quart du ier siècle avant notre ère et d’« un embranchement » qui conduit vers le Rhin, auquel pourrait correspondre le premier état de la voirie (cf. II.1. Les données historiques).
59Au cours de son histoire, cet axe routier se situe plus ou moins loin de la frontière de l’Empire romain. Le transit des civils et des militaires dépend de la situation politique et militaire. « De Tibère à Vespasien, la vallée du Rhin supérieur constitue avant tout une région de transit entre la Gaule ou le Rhin moyen et inférieur et la région du Danube où le passage via le coude du Rhin sera de plus en plus supplanté par l’utilisation des routes construites à travers la Forêt-Noire » (Kunhle, 2018, p. 4). Au-delà du mouvement des troupes, la présence militaire est également attestée dans le cadre de la surveillance et du contrôle des principaux axes routiers de l’Empire afin de garantir la sécurité des transports (militaires et civils). À ce titre, la présence du corps spécial des beneficarii le long de l’axe de communication qui longe le Rhin et relie Mayence à Strasbourg est attestée à partir de Vespasien (Nelis-Clément, 2000). De plus, entre Strasbourg et Brumath, on compte sept camps temporaires de l’armée romaine, datés du Haut-Empire. L’hypothèse généralement retenue est de les considérer comme des camps d’entraînement établis dans le cadre de manœuvres (édification d’un camp et maintien des troupes en exercice) ; ils seraient donc édifiés par des détachements envoyés depuis le camp permanent de Strasbourg. Il est également envisageable que ces troupes participent activement à la surveillance de cet axe.
60La fouille préventive effectuée à Vendenheim fournit des données nouvelles sur la structure et la datation de cet axe antique entre Brumath et Strasbourg.
61La problématique actuelle tend à montrer que le réseau romain s’établit souvent sur des routes déjà présentes dans le paysage avant la conquête. Une telle voie n’a pas été découverte dans l’emprise explorée mais l’établissement rural de La Tène, en partie fouillé sur le site, est probablement desservi par un axe viaire.
62Un premier état de voirie romaine a été identifié dans l’emprise (état 1). L’indigence du mobilier découvert permet au mieux de dater l’utilisation de cette chaussée au milieu du ier siècle après J.-C. Toutefois, dès la première moitié du ier siècle après J.-C, une voie devait relier le camp tibérien de Strasbourg à la capitale de cité Brumath, dont les éléments romains les plus anciens datent du premier quart du ier siècle (cf. II.3 et III.2). Ce type d’infrastructure routière est contemporain ou antérieur à la mise en place des capitales de cité de l’est de la Gaule (Kasprzyk, Nouvel, 2011). Ce probable état, qui pourrait appartenir au réseau d’Agrippa, est peut-être conservé sous la RN actuelle.
63Cette opération a surtout permis de documenter la phase de construction d’une seconde voie et son impact sur le territoire qu’elle traverse (état 2). Cette route n’est pas une création mais un réaménagement plus conséquent qui fait fi des obstacles. La mise en place de ce nouvel axe débute par l’implantation de deux fossés qui délimitent l’emprise de la chaussée, annexant au passage une sépulture à crémation bordant la voie précédente. Cette étape est certainement liée à un travail d’arpentage (déterminer la position des aménagements) et de cadastration (travail d’expropriation…). Des pieux sont ensuite plantés pour renforcer l’assiette de la voie et garantir sa salubrité sur un terrain humide, peu propice à la construction. La voie de l’état 1 continue probablement de fonctionner au début des travaux de la nouvelle route, jusqu’au recouvrement de celle-ci par les remblais préparatoires datés de la période antonine. La date du début des travaux n’est pas connue de façon précise. Cette initiative de restructuration d’un réseau est certainement liée à plusieurs facteurs comme la création de la Germania Superior, l’arrivée de la VIIIe légion à la fin du ier siècle à Strasbourg ou le développement grandissant de la capitale de cité Brumath. Ces travaux d’envergure et d’ingénierie traduisent une volonté et un financement public et sont probablement effectués par les militaires, qui maîtrisent ces techniques.
64La voie cesse d’être entretenue à la fin de l’Antiquité. L’axe continue probablement d’être visible dans le paysage malgré son recouvrement partiel ou total. La découverte, dans cette couche, de plusieurs fers à cheval et la présence de nombreux sites alto-médiévaux permettent de supposer son utilisation durant le Moyen Âge.