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Des coupelles pour les morts en gaule romaine ?

Quand la céramique renseigne les cérémonies funéraires : nouveaux exemples en Bourgogne-Champagne et dans le Toulousain
Anne Ahü-Delor, Pierre Marty, Céline Mauduit et Sylvie Mouton-Venault
p. 265-282

Résumés

Une première série d’études présentées dans le cadre de la journée thématique du colloque de la SFECAG d’Autun en 2016 a été l’occasion de proposer plusieurs communications sur des séries de coupelles dont l’usage, toujours en lien avec la pratique de la crémation, est exclusivement funéraire. Le phénomène est maintenant largement identifié en Gaule romaine et provinces périphériques bien que souvent limité dans le temps (milieu ier-iie siècle et début du Bas-Empire dans l’état actuel de nos connaissances). Loin d’être anecdotique, la récurrence de la pratique est notoire. Ainsi, la question de la place de ces coupelles dans l'espace funéraire et de leur fonction dans le rituel se pose-t-elle ; plusieurs hypothèses sont proposées (lampes ? libation ? brûle-parfum ?). La discussion repose sur l’examen des contextes et de l’état de conservation des pièces céramiques, qui semblent primordiaux. Des analyses chimiques d’imprégnations des parois de cinq échantillons offrent peut-être des arguments pour sérier ces propositions. La réponse à cette interrogation permettra d’apprécier plus en détail les gestes pratiqués au cours des cérémonies et/ou des commémorations.

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Texte intégral

1Durant la période antique, en Gaule, la très large majorité du mobilier céramique découvert en contexte funéraire, comme contenant (urne ou vase cercueil) ou dépôt d’accompagnement primaire et secondaire, ou même en lien avec les cérémonies afférentes aux funérailles ou commémoratives, est prélevée dans la sphère domestique ; il s’agit alors de vaisselle neuve achetée à cet effet, ou usagée, provenant directement du vaisselier familial. Lors du congrès de la Société française d’Étude de la Céramique en Gaule d’Autun en 2016, qui avait pour thème « La céramique en contexte funéraire », plusieurs contributions ont présenté des séries de coupelles en terre cuite dont l’usage exclusivement funéraire paraît démontré (Ahü-Delor et alii, 2016 ; Dub, 2016 ; Gaillot, 2016 ; Marty, Amiel, 2016).

2Dans le monde gallo-romain, le statut de mobilier céramique à usage strictement funéraire n’est pas inédit mais reste anecdotique, sans doute en partie faute d’identification : il peut être avancé pour les patères à anse, dorées au mica, de Gaule septentrionale (Loridant, Bura, 1998, p. 244), pour des balsamaires d’origine tunisienne diffusés dans une grande partie de l’Empire, entre la fin du iiie et la fin du ive siècle (Marty, Capelli, 2016), pour les coupelles bilobées votives de Lyon (Blaizot, 2009, p. 240-242) et pour des séries dites « de surface » identifiées au Valladas à Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme ; Bel, 2002, p. 175) et à Banassac (Lozère ; Feugère et alii, 1996, p. 292). Il convient toutefois de distinguer ces productions des cas, parfois évoqués, de vases de seconde catégorie, qu’ils soient déformés, non fonctionnels (comme les cruches à goulot plein) ou mal cuits, tout autant que de vaisselles domestiques miniaturisées (Loridant, Bura, 1998 ; Tuffreau-Libre, 2001 ; Bonnet, Blaizot, 2007, p. 211-212 ; Hanut, Henrotay, 2014, p. 40 et 55 ; Willems et alii, 2014).

3Dans l’état actuel, la présente contribution n’envisage pas de faire la recension des coupelles funéraires sur les territoires des Gaules, mais bien plutôt de poursuivre la réflexion laissée en suspens à la fin du Congrès de 2016. Les questions portaient en particulier sur les critères d’identification de ces pièces céramiques, sur leur fonction et donc leur place dans le rituel funéraire, en exploitant les comparaisons disponibles dans la littérature publiée, mais surtout grâce à la prise en compte des contextes de découverte et des différents traitements subis.

4Notre propos s’appuie donc sur les ensembles archéologiques présentés en 2016 par les auteurs, complétés par des découvertes faites depuis. Il intéresse deux régions bien distinctes du monde romain occidental que l’on envisage ici comme des « zones test » : d’un côté la Bourgogne et la Champagne recouvrant les cités éduenne, lingonne, tricasse et rème, et de l’autre la région toulousaine (Tectosages), en périphérie occidentale de la Narbonnaise. On soulignera en préambule le déséquilibre des données disponibles entre ces deux zones.

I. Des coupelles pour les morts ? Oui mais quoi, quand ? Exemples régionaux

5Si la catégorie fonctionnelle est circonscrite à des coupes/écuelles plus ou moins profondes, le répertoire typologique compte plusieurs types morphologiques distincts, à caractère régional marqué. Celui-ci trouve généralement des comparaisons directes ou une inspiration nette dans les répertoires de la vaisselle de tradition italique ou à fond romanisé fort.

6À l’instar des vases funéraires étudiés à Lyon ou en Narbonnaise (Blaizot, 2009, p. 241), les pièces observées dans les deux secteurs traités ici présentent de manière récurrente des caractéristiques communes : une taille généralement réduite, sans miniaturisation cependant ; un aspect sommairement ébauché ; une qualité de fabrication généralement médiocre (choix des argiles, cuisson insuffisante, façonnage sans soin) et un fond souvent découpé à la ficelle sans reprise. Ces critères d’identification sont aussi valables dans le cadre cultuel comme sur les sites de la région nîmoise (Feugère et alii, 1996, p. 301), sur les sanctuaires de Lachar à Varces-Allières-et-Risset en Isère (Helly, 2002) et du Puy-de-Dôme en Auvergne (Trescarte, 2007, p. 371).

I.1. Exemples en Bourgogne et en Champagne

1.1.1. Les sites

7Sur ce secteur méridional, on recense des pièces qui apparaissent de manière récurrente sur les nécropoles à incinération rurales et urbaines de la période flavienne et pendant la première moitié du iie siècle après J.-C., et quelques exemples, pour l’heure très ponctuels, dans des tombes à inhumation du début du Bas-Empire (fig. 1). Le terminus de la fourchette chronologique des vases en contexte de crémation peut être discuté ; toutefois l’absence de ces éléments durant les périodes précédentes (périodes Tibère-Claude et milieu ier siècle) paraît fiable.

Fig. 1. Carte des sites concernés par l’étude en Bourgogne et Champagne, avec les types de nécropoles et chronologie.

Fig. 1. Carte des sites concernés par l’étude en Bourgogne et Champagne, avec les types de nécropoles et chronologie.

8Ces vases sont connus par des découvertes anciennes en zone sud-est de Dijon dans les nécropoles des Lentillières/Les Poussots (info. Musée archéologique de Dijon), et, ponctuellement, sur les sites funéraires de l’est dijonnais : Saint-Apollinaire Le Pré Saclé (Clément-Pallu-de-Lessert, 2001, p. 22 nos 1 à 4), Quetigny La Ferme du Bois de Pierre 2 (Labeaune, 2018 dont F515, 518, 519), Pontailler-sur-Saône Les Grandes Côtes (Morel Lecornué, 2021). L’agglomération antique d’Alise-Sainte-Reine en propose dans les différentes nécropoles de la Plaine des Laumes (Venault, 2007 ; Dellea, 2010, F117, 121, 189, 251, 291, pl. 5 à 8), celle de la Croix Saint-Charles ‘tombe Maillard’ (Sénéchal, 1985, p. 49-53) ou encore celle de la Montagne de Bussy (Reddé, Von Schnurbein, 2001, p. 157-160). Le site icaunais de Massangis ‘Photovoltaïque’ (Vincent, 2012) se présente, pour l’heure, comme la limite occidentale du phénomène en Bourgogne. D’autres pièces, sans contextes identifiés, sont attestées en Côte-d’Or peut-être à Vertault (Joly, 1999, p. 207-209) et Mâlain (Roussel, 2003, p. 475, n° 316). Des coupelles sont encore enregistrées en territoire éduen, sur la nécropole de Pont-l’Évêque à Autun (Venault, 2008, F327 et F301).

9Plus au nord, elles sont recensées à Langres sur les sites funéraires de La Trincassaye (Thévenard, 2003), du ‘21ème RI’ (Canet, 2018 ; Thévenard en cours), sur la nécropole de la Citadelle (Joly, 2001) et à Saint-Geosmes, Poirier au Ciel (Thévenard, 2015). En Champagne, la cité de Troyes et notamment la grande nécropole du quartier de la gare, rue Voltaire, compte de très nombreux exemplaires (Riffaud-Longuespé, 2004 ; Roms, 2018 ; Baillif, en cours). D’autres coupelles sont inventoriées sur les sites funéraires d’Arcis-sur-Aube (Gestreau, Jemin, 2010 ; 2011 ; Paresys, 2011), Buchères PLA D40, D45 ou encore Rosières-près-Troyes Chantereigne (Godard, 2018), Lavau (Dubuis, 2016), Compertrix (Achard-Corompt, 2015 ; Achard-Corompt et alii, 2021), Condé-sur-Marne (Charbonnier, 2016) et tout récemment sur les nécropoles de Troyes, ‘Pôle Gare’ (Vistel, 2020), Le Chêne La Raccroche (Aube ; Dolbois, en cours) et Saint-Lyé, rue du Calvaire (Aube ; Marchaisseau, 2018 ; Cartron, en cours).

10À ce jour la recension régionale intéresse plus de 250 d’individus (fig. 2).

Fig. 2. Tableau de synthèse sites/types/contexte/chrono pour la Bourgogne - Champagne.

Fig. 2. Tableau de synthèse sites/types/contexte/chrono pour la Bourgogne - Champagne.

I.1.2. Catégorie et typologie

11Les vases céramiques concernés sont toujours produits dans une argile cuite en mode A, de teinte beige rosé et d’aspect plutôt fin à l’observation macroscopique ; ils préservent dans certains cas un badigeon ocre rouge sombre, non adhérent, poreux et mat, à l’intérieur et parfois à l’extérieur. La mauvaise conservation des tessons, résultat de leur séjour en terre (terrains acides), du passage au feu et d’une sous-cuisson évidente, offre des éléments souvent pulvérulents jusqu’à s’effriter dans l’épaisseur et dont le traitement de surface ne peut pas être précisé. L’hypothèse d’une production unique ne peut pas être avancée au regard de la variété typologique et des modulations morphologiques et de finitions. Ces éléments apparaissent plutôt comme des éléments fabriqués en annexe des répertoires domestiques avec un espace de diffusion restreint et surtout des modalités de commercialisation différentes.

12Trois types morphologiques ont été distingués dans la publication de 2016, avec une répartition spatiale spécifique à chacun. Une mise à plat des informations pour notre contribution et les dernières découvertes permet d’ajouter un quatrième type à cette micro-typologie (fig. 3 et 4). Ce répertoire restreint est cohérent avec les faciès régionaux d’approvisionnement en vaisselle fine.

Fig. 3. Carte de répartition des coupelles et assiettes.

Fig. 3. Carte de répartition des coupelles et assiettes.

Fond de carte P. Nouvel, Univ. Bourgogne.

Fig. 4. Typologie des coupelles et assiettes recensées en Bourgogne et Champagne.

Fig. 4. Typologie des coupelles et assiettes recensées en Bourgogne et Champagne.

Échelle 1/3.

Ahü-Delor, Inrap.

13• Le premier type de coupelles est largement documenté ; il paraît conventionnel sur les sites bourguignons ainsi que sur les sites aubois et autour de Langres, seul ou en association avec les autres types. La forme correspond à un vase bas à lèvre éversée lisse, rarement soulignée d’un sillon interne. La comparaison avec le service A en sigillée (Dragendorff 35/36) est implicite (type 1 ; fig. 4). Si le fond des exemplaires sud-champenois est découpé à la ficelle et non repris, ceux des récipients lingons se distinguent généralement par un pied vaguement repris au tour. Le diamètre des vases varie de 9-10 cm à environ 14 cm. Ce type est assuré en production sur les ateliers de La Villeneuve-au-Châtelot dans le Nogentais (Ahü-Delor, Salles, inédit dans Mathelart et alii, à paraître) et à Autun dans l’un des ateliers du complexe de la Genetoye (Ahü-Delor, Mouton-Venault dans Alix, 2020). Seul ce type est identifié dans les contextes funéraires tardo-antiques.

  • Le second type correspond à une petite forme ouverte, elle aussi souvent peu profonde, munie d’une courte collerette dans le tiers supérieur du vase (type 2 ; fig. 4). Le type est dérivé du type Dragendorff 24/25 en sigillée ou Deru C13 en gallo-belge (Deru, 1996). Le fond est découpé à la ficelle et non repris. Le diamètre est généralement petit mais quelques rares exemplaires de Troyes présentent un profil arrondi prononcé ou un diamètre important qui les rapprochent alors d’une petite assiette. Ce type est attesté en Champagne méridionale jusqu’au nord de Châlons-en-Champagne (Condé-sur-Marne) et autour de Langres et Troyes, en association avec le précédent.
  • Dans l’état actuel des découvertes, le troisième type de coupelles est plus mal appréhendé, avec des exemplaires à Troyes et vers Langres uniquement. Il s’agit d’une variante du service C en sigillée (Py, 1993), avec bord en bandeau et gorges (interne sous le rebord et externe au niveau de la carène ; type 3 ; fig. 4). Aucun fond n’a pu être associé directement à ce type. Ces vases sont d’assez grand module avec des diamètres de 14-15 à 22-23 cm à l’ouverture.
  • Le dernier type intégré à cette liste correspond à des coupes ou petites assiettes dont le diamètre varie entre 12 et 15 cm environ, imitant la forme Deru A31 de manière plus ou moins abâtardie (la lèvre de section triangulaire confondue avec la paroi et fond plat ; type 4 ; fig. 4). Ces pièces sont observées dans l’aire de diffusion des productions gallo-belges champenoises qu’elles copient, jusqu’à Troyes et Langres. On soulignera, pour argumenter en faveur de l’identification de ces pièces comme vases funéraires, le fait que les assiettes originales, produites donc en céramique gallo-belge, sont particulièrement rares en contexte domestique (avec par exemple uniquement une douzaine d’exemplaires à Reims en contexte d’habitat ; inf. P. Mathelart, Inrap Grand-Est), mais abondantes sur les nécropoles du ier siècle de l’aire prioritaire de diffusion de cette catégorie de vaisselle, comme à Saint-Memmie La Trussonnerie (Pouget, 2010) avec cent douze pièces comptabilisées, et à Reims, rue de Sébastopol (Thomann, 2013). Ainsi, la spécialisation funéraire de ces assiettes est valable au sein de la céramique gallo-belge et retranscrite par imitation de la forme aux confins de la Gaule Belgique.

I.2. Exemples de la région toulousaine

I.2.1. Les sites

14Dans la zone périurbaine de la cité, les sépultures à incinération du Haut-Empire livrent régulièrement de petites coupelles dans des états de conservation variables (Marty, Amiel, 2016). Elles figurent ainsi, à des degrés divers, dans plusieurs ensembles funéraires (fig. 5) :

  • d’abord le long de la voie Narbonnaise, avec les découvertes du chemin de la Salade-Ponsan et de la caserne Niel, qui ont livré entre deux et treize coupes (Palladia Tolosa, 1989, p. 153-155 ; Requi, 2011, p. 66-82).
  • un deuxième exemple est localisé à la sortie est de la ville, dans la nécropole de François Verdier : l’enclos F35 contenait dix coupes dans une suite de niveaux stratifiés en lien avec une succession d’incinérations (Amiel, en cours). Sur le sol du monument F42 se trouvaient trois coupes intactes (fig. 8, infra) et deux dépôts secondaires d’ossuaires contenaient une (F154) et deux coupes (T 10, voir fig. 7).
  • les derniers exemples se trouvent dans la nécropole de l’École d’Économie (fig. 7, nos 1-3), au nord-ouest de la cité (Catalo, 2016). Un bûcher (Us 2747) du troisième quart du iie siècle contenait à lui seul six coupes dans le dépôt secondaire. Quatre autres coupes sont également identifiées dans le mobilier résiduel d’inhumations du Bas-Empire ayant perturbé des incinérations antérieures.

Fig. 5. Carte des sites concernés dans le Toulousain.

Fig. 5. Carte des sites concernés dans le Toulousain.

P. Marty, Inrap.

15En l’état actuel de la recherche, la présence de ces coupes n’est pas encore attestée dans les tombes de la campagne environnante, et de nouvelles fouilles, en cours d’étude, élargiront peut-être le corpus. Cette présence est circonscrite dans le temps et se concentre sur les sites fréquentés au cours de la période flavienne et une large première moitié du iie siècle.

I.2.2. Catégories, typologie (fig. 6)

Fig. 6. Types de coupelles funéraires identifiées à Toulouse. Provenance François Verdier.

Fig. 6. Types de coupelles funéraires identifiées à Toulouse. Provenance François Verdier.

Échelle 1/3.

C. Amiel, Inrap, sauf n° 7 : caserne Niel (Ch. Le Noheh, Inrap) et nos 1-3 : École d’Économie (P. Marty, Inrap).

16À partir du petit corpus toulousain, on peut actuellement distinguer deux grands types de coupelles. Nous reprenons ici la première tentative de typologie élaborée en 2016 (Marty, Amiel, 2016), en l’affinant quelque peu, d’un strict point de vue morphologique, aucune évolution d’un type à l’autre n’étant encore signalée.

  • Le type 1 intéresse une forme largement ouverte et plus ou moins carénée, avec un bord formant un marli, et dont le diamètre est égal à deux ou trois fois sa hauteur. Le pied étroit et plat porte systématiquement la trace d’un enlèvement au fil. La pâte est orange, sableuse et micacée, avec une surface brute. Elle est régionalement qualifiée de coupe à offrandes, appellation due à sa petite taille et au contexte de découverte. On distingue le type 1a, largement ouvert et dont la panse ne montre qu’une seule carène, et le type 1b, plus haut et à double carène (le faisant appeler localement coupe bilobée).
  • Le type 2 correspond à une forme plus haute et paraissant alors plus fermée, dont la hauteur est globalement équivalente aux deux tiers du diamètre. Le pied plat est beaucoup plus large et la panse bilobée est très caractéristique, avec des carènes plus ou moins marquées. On distingue le type 2a, sans anse, du type 2b, avec une ou plus souvent deux anses. Cette forme est souvent qualifiée de paroi fine, même si elle reste sans équivalent dans la typologie de Françoise Mayet par exemple (Mayet, 1975). On observe les mêmes caractéristiques de pâte et d’aspect que pour le type 1.

17Aucun des deux types ne montre de traitement de surface particulier ou de décor. Par contre les exemplaires les plus grands du type 2 possèdent clairement un équivalent en paroi fine régionale, au sein des productions de l’atelier de Galane dans le Gers (Mesplé, 1957 ; 1966), avec un décor à la barbotine et un engobe. Cependant ces formes en paroi fine ne se retrouvent pas en contexte funéraire.

18Enfin, il faut souligner que ces coupelles ne figurent dans aucune sépulture de la campagne toulousaine, et qu’elles ne sont pas non plus attestées en contexte domestique.

II. Des vases à fonction funéraire

19Les traitements et manipulations observés sur ces objets ne les distinguent pas des autres récipients en terre cuite associés au mort lors des funérailles. Cependant, le fait que ces pièces soient systématiquement absentes des contextes domestiques et des sanctuaires des zones tests présentées impose une approche particulière de ces artéfacts. Assurément, ce constat les différencie d’autres coupes, souvent en paroi fine, que l’on retrouve également en contexte funéraire ; ces dernières ont d’ailleurs peut-être les mêmes usages, mais sans le caractère spécifique qui est ici interrogé.

20Elles correspondent à de petites formes ouvertes et sont retrouvées souvent à l’unité mais aussi en série parfois importante de plusieurs dizaines de pièces.

II.1. Traitements

21Comme évoqué ci-dessus, en Bourgogne et en Champagne, deux catégories de sites funéraires se distinguent, selon le contexte et l’état ou le traitement des défunts : d’une part les nécropoles à incinération de la période flavienne-milieu iie siècle et d’autre part les nécropoles à inhumation du début du Bas-Empire (fin iiie-début ive siècle).

22Dans la première catégorie de sites, où la pratique de la crémation est attestée, ces coupes et coupelles ont clairement subi l’action du feu, mais souvent de manière plutôt superficielle. Comme le reste du mobilier céramique associé (hors urne cinéraire), elles présentent systématiquement des traces de carburation à l’intérieur et/ou à l’extérieur. Pourtant le degré de chauffe ne paraît pas important : aucune pièce n’est déformée ou vitrifiée. Les coupelles sont souvent découvertes fragmentaires et lacunaires. Lors des remontages, on observe aussi parfois des traces de chauffe disparates et des cassures linéaires suite à un impact impliquant leur bris avant leur contact au feu. Cependant les formes complètes ne sont pas rares.

23Dans la seconde catégorie de sites, les coupes découvertes dans les tombes – uniquement des pièces du type 1 – sont complètes ou quasiment. Elles ne conservent que rarement des traces d’utilisation ou de chauffe, à l’instar du mobilier en terre cuite installé dans les tombes au sein des dépôts (Ahü-Delor et alii, à paraître) ; un unique exemple parmi la série de Saint-Lyé présente des stigmates de chauffe. La question de leur bris volontaire se pose dans les deux tombes identifiées dernièrement (Dolbois, en cours et Cartron, en cours).

24On notera aussi la présence de tessons de coupelles, toujours brûlés (correspondant donc au profil des coupelles flaviennes), en position résiduelle dans les niveaux de sols, zones d’épandages, terres de comblement de tombes à inhumations et des fossés d’enclos funéraires, etc., de certaines nécropoles auboises du Bas-Empire dont nous ne connaissons que des vestiges tardifs (Troyes, Arcis-sur-Aube, Le Chêne, Saint-Lyé). La question de l’origine de ces éléments céramiques se pose donc : ces artefacts illustrent-ils une fréquentation précoce, totalement arasée et disparue suite à l’installation de la nécropole à inhumation, tardive ? Dans ce cas, les tombes à incinération ont été détruites et dispersées (peut-être en raison du dépôt des urnes en surface sous des amas de vaisselle issue des cérémonies comme à Troyes impasse des Carmélites ?). Les crémations pourraient être localisées sur des parcelles environnantes non diagnostiquées, les limites des nécropoles n’étant pas connues. La présence d’autres catégories céramiques, fragmentaires et altérées par le feu, en association dans les mêmes niveaux, tend à conforter cette hypothèse, mais le caractère quasi systématique de ces mobiliers (depuis qu’on y prête attention !) demande validation et impose une surveillance du phénomène.

25Les coupelles du Toulousain ne sont jamais brûlées et les interventions matérielles qu’on peut observer restent rares. C’est cependant localement le seul type de vase concerné par des bris ou mutilations volontaires pendant le Haut-Empire (Marty et alii, 2016).

26On signalera ainsi plus souvent de tels témoignages sur des coupes du type 2 : une double cassure symétrique du bord sur une coupe du site de François Verdier, créant ainsi deux « encoches » sur la lèvre ; la cassure d’un fragment de bord, toujours à François Verdier (fig. 6, n° 14) ; le probable bris de l’anse, sur le même site d’ailleurs, sur la coupe précédente (fig. 6, n° 14 et fig. 7, n° 1231-03).

Fig. 7. Exemple de coupelles dans un dépôt secondaire de crémation du Toulousain.

Fig. 7. Exemple de coupelles dans un dépôt secondaire de crémation du Toulousain.

François Verdier, tombe 10. Échelles : plans et coupe 1/10, céramique 1/3 (F. Landou et C. Amiel, Inrap).

27Les deux coupes de type 2 de la Salade-Ponsan présentent une petite perforation du fond, réalisée après cuisson (Palladia Tolosa, 1989), l’étroitesse du trou ne permettant alors que le passage d’un liquide.

28Dans la nécropole de l’École d’Économie, ce sont les coupes de type 1 qui pourraient témoigner du bris de l’objet, en le jetant au sol ou en le frappant (exemple fig. 6, n° 3). Ceci pourrait alors expliquer leur état plus ou moins fragmentaire et les lacunes observées lors des remontages (pratique de la pars pro toto pour les vases ? à l’image du rite de l’os resectum dont témoigne Varron ; Blaizot, 2009, p. 319-320). Cependant ce bris intégral, témoignant peut-être de rites d’inversion, est difficile à argumenter, la relative fragilité des coupelles nécessitant des conditions particulières pour qu’elles parviennent jusqu’à nous en parfait état. Si c’est le cas dans les bâtiments (enclos et monuments), il en va tout autrement pour les tombes de cette nécropole, dont certaines ont été perturbées au Bas-Empire.

II.2. Contextes de crémation et place dans le rituel

29Des nuances régionales sont perceptibles aussi quant au moment de leur utilisation lors des funérailles.

30Si la présence des coupelles est récurrente, on insistera aussi sur le fait qu’elle n’est peut-être pas pour autant systématique : les exemples de sites fouillés récemment, exempts de ces artéfacts, sont rares mais on mentionnera par exemple la petite nécropole familiale de Saint-Apollinaire La pièce du Poirier, phase 2 (Côte-d’Or ; Burgevin, 2014) qui n’a permis la mise au jour d’aucun tesson attribuable à cette catégorie de mobilier alors que la pratique de la crémation y est validée et que la fréquentation du site est parfaitement synchrone aux sites présentés ci-dessus. Il reste cependant difficile d’en déduire quelque chose.

31La fréquence de ces coupelles et assiettes caractéristiques dans les ensembles funéraires dégagés ces dernières années est très déséquilibrée (fig. 3) ; leur nombre apparaît a priori sans lien direct avec celui des défunts et leur place au sein des assemblages céramiques ne paraît pas répondre à une logique quelconque. Surtout, la nature des contextes de découvertes, pour une bonne part en position secondaire, ne permet pas de proposer une appréciation statistique fiable de la part de ces vases dans les ensembles funéraires.

32À Pontailler-sur-Saône (Morel Lecornué, 2021, F1023), Langres Trincassaye (Verbrugghe, 1997, F114) ou encore Quetigny (Labeaune, 2018, F515 et 518), les fragments de ces vases funéraires sont reconnus dans des fosses identifiées comme des dépôts secondaires mixtes (avec dépôt de cendre et mobilier hors de l’urne). Dans ce cadre strict, le caractère aléatoire de la fréquence de ces pièces caractéristiques est net : on dénombre ainsi cinq vases funéraires parmi les vingt-deux récipients de la tombe du premier site (hors urne), six vases funéraires sur six dans le second exemple et une coupelle dans chacun des dépôts secondaires (contenant respectivement deux et trois individus) de la dernière opération. À Buchères PLA D45, une coupelle de type 1, bien conservée malgré son passage au feu, a été utilisée comme élément de fermeture d’une urne en verre (Neaud, en cours, F2200). Hormis ce dernier exemple, exceptionnel avec une fonction secondaire et détournement de la coupelle, les vases funéraires apparaissent fragmentés et très incomplets. Dans ces cas précis, l’introduction des coupelles dans la cérémonie se fait assurément avant la récupération des cendres et des os et avant la constitution du dépôt dans la tombe. Elles étaient brisées et partiellement récupérées puis déplacées vers la fosse. De même, il est fort probable que les coupelles étaient utilisées dans un environnement proche du lieu d’incinération du défunt.

33À Pontailler-sur-Saône toujours (F1021), mais aussi à Alise-Sainte-Reine (Dellea, 2010), Lavau (Dubuis, 2016), Langres 21e RI (Canet, 2018 ; Thévenard, en cours), Autun ou encore Massangis et Condé-sur-Marne, les coupelles proviennent de fosses ou de nappes de rejets et de nettoyage de bûcher. L’état de conservation du mobilier associé (céramique, verre, faune, métal…) ne laisse aucun doute sur sa provenance (brûlé, vitrifié, déformé, dans la couche charbonneuse). Ainsi dans ces exemples, les coupelles ont été utilisées, généralement brisées, brassées avec le reste du mobilier et mises en contact avec une source de chaleur avant la vidange du bûcher et la constitution du dépôt vers la tombe. À titre indicatif et pour illustrer de nouveau la part de ces pièces dans les ensembles funéraires, on citera quatre coupelles sur soixante et un vases à Pontailler-sur-Saône, ou encore neuf pièces sur soixante-quinze à Langres.

34Ces observations nous permettent donc d’assurer que ces vases spécifiques interviennent bien au moment de la crémation du corps, dans un espace proche du bûcher, ou en fond de fosse (les cendres les ayant alors protégées). En effet, comme évoqué précédemment, leur état de conservation et notamment les traces de chauffe limitées, tend à les distinguer du dépôt céramique primaire, déposé avec le corps du défunt sur le bûcher et brûlé par un grand feu, et dont les restes présentent des stigmates autrement plus marqués de ce traitement. Ainsi, simplement en tenant compte du traitement, il apparaît que ces coupelles sont mises en œuvre dans les pratiques funéraires au moment de la crémation mais peut-être pas sur le bûcher directement. Leur positionnement en périphérie du brasier ou en fin de crémation est possible mais elles ont été « brassées » comme le reste du mobilier. L’ensemble des contextes de découvertes, et notamment ceux consécutifs aux vidanges du bûcher et nettoyages de la nécropole, confirment cette place dans la ‘chaîne opératoire’ des funérailles.

  • 1 Il s’agit ici d’un exemple extrême puisque les autres sites mentionnés présentent des proportions (...)

35Enfin, une dernière série de coupelles – représentant une quantité non négligeable d’individus, à Troyes rue Voltaire, Arcis-sur-Aube, Buchères D40 et D45, Compertrix, Langres et Saint-Geosmes, Rosières probablement –, est découverte en position résiduelle dans des paléosols, niveaux de circulation de nécropoles ou dans des structures fossoyées tardo-antiques de type carrières, fosses d’extraction ou inhumations. Dans ces dernières, les tessons appartiennent au comblement de la sépulture et proviennent du sédiment/niveau de sol perforé par l’installation des fosses sépulcrales. Ces coupelles ne se distinguent pas par un statut privilégié au sein des dépôts de vaisselle ; elles sont traitées de la même manière et rejetées aussi dans les épandages et dépotoirs. Outre leurs état et traitement, ce point semble les distinguer des exemples toulousains. Dans ces contextes de surface ou de dépotoirs, ces artefacts, parfois identifiés par dizaines comme à Troyes où ils représentent plus de 22 % des individus comptabilisés1, suggèrent aussi leur possible mise en œuvre lors des rituels postérieurs à l’enfouissement de l’ossuaire et des commémorations ; reste que dans cette hypothèse le contact au feu est effectif bien que parfois de très faible intensité.

36Pour Toulouse, les usages sont un peu plus variés, sans qu’on puisse encore dire s’il s’agit de changements dans le mode opératoire des funérailles ou des cérémonies commémoratives, dans le cours du Haut-Empire (Marty et alii, 2016). Contrairement aux exemplaires de l’est de la Gaule, aucune coupelle ne paraît avoir subi le feu et faire partie du mobilier d’accompagnement sur le bûcher. Par contre on retrouve bien ces coupes dans le dépôt secondaire, déposées le plus souvent en dernier (fig. 7). Elles semblent également souvent utilisées pour les rites et cérémonies de fin de funérailles, puisqu’on les retrouve en surface de tombes ou sur les sols et niveaux de circulation au-dessus de celles-ci, notamment dans des enclos ou des monuments (fig. 8). Dans les deux cas, elles sont alors intactes ou paraissent seulement « mutilées », par la cassure d’un fragment de bord (exemple fig. 6, n° 14) ou par le probable bris de l’anse (exemple fig. 6, n° 14 et fig. 7, n° 1231-03).

Fig. 8. Exemple de coupelles sur un sol de monument du Toulousain. François Verdier, monument F42.

Fig. 8. Exemple de coupelles sur un sol de monument du Toulousain. François Verdier, monument F42.

Échelle céramique 1/3.

C. Amiel, Inrap.

37La spécificité de ce mobilier céramique funéraire se double ainsi, pour Toulouse, d’une utilisation distincte et quasi exclusive lors des ultimes phases des funérailles, peut-être en lien avec la période des huit jours qui se terminait avec la nouemdialis cena (le banquet de la neuvaine) ou pourquoi pas annuellement, lors de cérémonies commémoratives ou d’anniversaires, par exemple pour les Parentalia (fête des morts) (Scheid, 2005, p. 161-188).

II.3. Une pratique largement documentée ?

38La lisibilité de cette pratique funéraire spécifique, qui a motivé les contributions précédentes (Ahü-Delor et alii, 2016 ; Marty, Amiel, 2016 ; Marty et alii, 2016), résulte probablement de la concentration d’études menées récemment sur des nécropoles d’époques flaviennes et trajanes dans les régions bourguignonne, champenoise et toulousaine. D’autres exemples alimentent la discussion, élargissant sensiblement la zone géographique. Cette liste ne se veut pas exhaustive mais elle confirme la chronologie et le traitement des vases tout en introduisant aussi des variantes dans le statut du site et donc dans les pratiques rituelles en lien avec ces pièces, ou une différenciation nette de la fonction de ces récipients.

39La nécropole de Vierzon ZAC du Vieux Domaine dans le Cher présente une série de coupelles imitant le service A en sigillée, en pâte fine claire à engobe rougeâtre (Béguin, 2001, p. 88 ; nommée « jatte type A »), dans des contextes de la fin du ier siècle et du début du iie siècle après J.-C. Les coupelles présentent un pied tourné et un profil qui les apparentent nettement aux modèles lingons. La présence d’un engobe est à noter. Hormis une pièce, complète, utilisée comme système de fermeture de l’urne cinéraire (F5 : Béguin, 2001, p. 96), les autres coupelles sont brûlées et fragmentaires dans des sépultures à incinération ou fosses cendreuses. Ces pièces proviennent donc de la zone de crémation et sont reportées pour partie dans la tombe ou les structures annexes.

  • 2 Par Cyrille Chaidron, céramologue.

40En Picardie, à Amiens Citadelle nord (Vacossin, 2011, st. 31), Poulainville, Les Mottelettes (Malrain, 2012, st. 730, 5019 et 5020) et Saint-Sauveur, ZAC des Bornes du Temps (Groch, 2013), trois sites à vocation funéraire, l’étude céramologique2 a mis en évidence l’utilisation de vaisselle en pâte fine claire engobée (« terra rubra tardive » : Malrain, 2012, p. 357) imitant des formes de céramique gallo-belge ou de sigillée et notamment la coupelle à collerette médiane. Ces pièces ont été découvertes en dépôt secondaire dans des tombes à incinération ou des dépôts annexes (« zone de dépôt de mobilier ») de la période flavienne et du début iie siècle. Dans cet exemple on soulignera le traitement différencié des vases – pas de dépôt initial sur le bûcher – mais aussi de l’interprétation fonctionnelle proposée pour ces coupelles qui semblent former, avec une assiette, un service de table (Malrain, 2012, vol. 2, p. 29).

41En Moselle, l’étude récente du mobilier céramique exhumé à la fin du xixe siècle sur le site de la nécropole de Morsbach (Dub, 2016) a permis d’isoler, au sein de la vaisselle fine sigillée ou gallo-belge champenoise traditionnelle, au moins deux coupelles à collerette médiane mal ébauchée, fond à peine repris, sans estampille interne, qui pourraient être mises en parallèle avec les cas de Champagne et Haute-Marne. Dans ce contexte, les coupelles sont brûlées de manière importante, mais archéologiquement complètes.

42À Cutry Solmon (Meurthe-et-Moselle), la reprise récente du mobilier d’une vaste zone d’épandage en lien avec une nécropole à incinération fouillée dans les années 1970/80 a mis en évidence 274 coupes et coupelles attribuables au type 1 (Gaillot, 2016 ; référencement typologique éponyme Cutry 1 à 5), ayant subi l’action du feu et rejetées avec des assemblages de vaisselle identifiées comme dépôts primaires sur les bûchers. Cette série concerne plus de 15 % du NMI total de la structure.

43En Suisse occidentale, l’étude de quelques ensembles funéraires met en évidence des caractéristiques dans les assemblages céramiques issus de contextes de crémation qui pourraient être rapprochées de celles des exemples présentés dans cette étude (sépultures secondaires à incinération). C’est particulièrement le cas de la nécropole d’En Chaplix à Avenches/Aventicum, capitale de cité (Castella, 1999). Des cas similaires sont également relevés à Petinesca ou Lausanne par exemple (Bacher, 2006 ; Freudiger, 2012). Dans les lots de céramique, catégorie de mobilier abondante de la fin du ier et du iie siècle, les formes Drag. 35 et Drag. 36 en imitations helvétiques de sigillée apparaissent en grand nombre.

44Sur le Plateau suisse, ce phénomène d’imitations de sigillée ne se restreint pas au seul monde funéraire. Plus ou moins comparables aux céramiques gallo-belges dans le nord de la Gaule, ces productions mêlant des formes empruntées au répertoire des sigillées italiques et sud-gauloises comme à celui de tradition indigène apparaissent dès l’époque augustéenne (vers -15/-10 av. J.-C. (Luginbühl, 2001). Le cas des Drag. 35/36 est toutefois particulier : les contextes d’habitats contemporains livrent généralement très peu d’exemplaires de ce type de produits régionalement. Il s’agit presque systématiquement d’éléments de Gaule du Sud. C’est en revanche un constat totalement inverse qui est dressé dans les nécropoles : les coupes type Drag. 35/36 y sont très majoritairement des imitations, ce qui conduit à penser que la production de cette forme était en grande partie vouée aux nécropoles. L’argument d’un coût de fabrication moins élevé est généralement avancé pour expliquer ce déséquilibre qui ne se rencontre pour aucune autre forme. Il est appuyé en cela par l’exemple des sanctuaires, dans lesquels les imitations de sigillées sont également largement privilégiées. Même si la documentation est encore relativement lacunaire dans ce domaine, il apparaît clairement que les Drag. 35/36 en sigillée importée sont nettement moins présentes en contexte cultuel, voire dans certains cas, totalement absentes (Luginbühl, 2001, p. 351 et ss).

45À Lyon, des séries de coupelles bilobées ansées, proches du type toulousain, à fond découpé à la ficelle et de qualité médiocre (pâte tendre, pulvérulente, mal cuite…) sont identifiées sous forme de petits fragments comme des éléments réservés à l’usage funéraire (Blaizot, 2009, p. 240-242). Ces pièces ne sont pas systématiquement brûlées et elles sont attestées dans les comblements des bûchers, des dépôts de crémation ou encore dans une grande fosse dépotoir du site funéraire de La Favorite (Tranoy, 1995, p. 245-249 et fig. 174), dans des dépôts secondaires de crémation rue du Chapeau-Rouge, en association « au dépôt primaire de récipients [dans un cas] et […] interprétés comme provenant d’une couche de fréquentation [dans le second cas] » (Blaizot et alii, 2009, p. 241), ou encore dans une couche de circulation d’un ensemble funéraire au 7-9-11 rue des Chartreux, et dans un niveaux de destruction de bâtiments funéraires du site des rues Rochette et Chevrier (Blaizot et alii, 2009, p. 240 et ss). Les auteurs insistent sur le fait que ce type de vases est absent des sites d’habitats de la région. Il est attesté en production parmi les rejets de l’atelier du Chapeau-Rouge attenant au site funéraire (Desbat, 2003, p.39). Ces pièces sont connues à Lyon de la seconde moitié du ier siècle à la première moitié du iiie siècle, sans évolution.

46Dans tous les cas cités, la fonction de ces vases dans le rituel n’est pas clairement identifiée et leur utilisation dans un autre cadre que celui d’un banquet, ou du moins lié à la présentation ou consommation d’aliments, n’a jamais été réellement remise en cause. Les traces de feu, presque toujours très prononcées, ne sont jamais présentées comme différentes de celles des autres récipients, contrairement à certains exemplaires bourguignons ou champenois. Dans l’état actuel des connaissances, il n’est donc pas possible d’assurer que ces similitudes entre régions pour une même période correspondent à une même réalité dans les rites funéraires.

II.4. Coupelles et inhumation : pérennité des pratiques ?

47Des découvertes récentes, encore inédites, ont ainsi renouvelé la réflexion et mis en lumière une utilisation différente de ces objets, en dépôt donc dans des tombes à inhumations tardo-antiques.

48Pour cette période, une partie du corpus apparaît au sein de collections anciennes (Poivres, Dijon et Alise-Sainte-Reine) et ne livre donc aucun renseignement sur leur position dans la tombe. Dans le cas de la tombe Maillard d’Alise, il est juste précisé que la série de coupelles était associée à un pot en verre à décor de côtes presque intact, le tout étant disposé à côté de l’urne cinéraire (Leblond, 2012, p. 17 ; Leblond, 2018, p. 87). De même les interventions de diagnostic récentes à Troyes, ‘Pôle gare’ et Rosières-près-Troyes, ont permis la mise au jour de coupelles de type 1, intactes et dépourvues de traces de chauffe, sans contexte identifié mais dans un environnement funéraire tardif assuré.

49Dans la tombe F211 de Le Chêne la Raccroche (Aube ; Dolbois, en cours), la coupelle funéraire a été brisée, probablement en quatre parties : l’une a été jetée en fond de fosse ou a glissé sous le cercueil, une a été jetée/déposée avant installation du dépôt de consommation individuel formé de deux récipients en terre cuite sur une planche latérale au-dessus du cercueil et une troisième partie a été rejetée dans le comblement supérieur de la tombe. Un dernier morceau manque (équivalent à environ un quart de coupelle) ; il n’a pas été retrouvé dans l’espace de la tombe. Dans ce cas, il est clair que la coupelle intervient au moment de la mise en terre du corps, pendant les funérailles ; sa dispersion dans la tombe apparaît comme parfaitement mise en scène et volontaire de la part de l’officiant. Son bris suggère qu’elle ne contenait rien à ce moment précis et que son rôle dans la pratique funéraire ne semble pas être celui d’un récipient.

50Dans la tombe 60 de Saint-Lyé, rue du Calvaire (Aube ; Cartron, en cours), cinq coupelles de type 1 ont été déposées en fond de fosse (fig. 9), hors cercueil, autour du défunt, avec un dépôt à liquide (une cruche et une amphore). Le traitement des coupelles est multiple : l’une est intacte, deux autres sont seulement « mutilées » (manque au niveau du bord), et les deux dernières ont été brisées. Elles sont sans trace de recuisson, à l’exception d’une qui présente une trace de chauffe évidente (au niveau du bord et à l’extérieur du vase). Les trois premières coupelles, en bon état de conservation, ont été déposées au niveau du bras et de la jambe droite : une en position fonctionnelle, ce qui tend à impliquer qu’elle pouvait contenir quelque chose de périssable, et deux à l’envers, ce qui interroge à la fois sur leur fonction et sur leur traitement (couvercle ? geste rituel d’inversion ?). Les deux dernières coupelles ont été découvertes au niveau de l’épaule gauche. La première, brisée en sept morceaux (dont deux en fond de fosse) a pu être remontée entièrement après la découverte des fragments dans le comblement supérieur de la tombe. La seconde est beaucoup plus lacunaire : les morceaux manquants (équivalents aux deux tiers de la coupelle) n’ont pas été retrouvés. Il est fort probable qu’elles aient joué un rôle différent de celui des coupelles entières dans la pratique funéraire, et qu’elles interviennent à un moment différent de la cérémonie funéraire.

Fig. 9. Coupelles et inhumation au Bas-Empire : l’exemple de Saint-Lyé, rue du Calvaire. Échelle : céramique 1/3.

Fig. 9. Coupelles et inhumation au Bas-Empire : l’exemple de Saint-Lyé, rue du Calvaire. Échelle : céramique 1/3.

C. Mauduit, Eveha ; cliché sépulture : E. Morin, Eveha.

51Assurément, leur découverte au Bas-Empire, exclusivement dans des tombes, conforte la spécialisation funéraire qui leur est attribuée. Leur identification par la population comme vase à usage funéraire spécifique semble maintenue. Malgré une forme, des dimensions et des techniques de fabrication parfaitement similaires aux modèles flaviens, il est difficile de valider l’hypothèse de la récupération de coupelles précoces et de leur réemploi près de deux siècles plus tard dans des inhumations.

52À titre de comparaison nous mentionnons l’exemple des tombes à inhumation datées du ive siècle fouillées à Chantenay-Saint-Imbert (Nièvre), proposant, parmi le mobilier funéraire en dépôt primaire, des coupelles du type 1 de notre référentiel (Hervé, Ancel, 2016). La pérennité du phénomène au Bas-Empire pourrait donc être récurrent, bien que peut-être plus restreint géographiquement, mais cela reste à prouver.

III. Place et fonction dans les pratiques funéraires : hypothèses primaires

53Au regard de ces exemples, des quantités parfois trouvées sur un même site et de la relative longévité du phénomène, ces coupes et coupelles paraissent adaptées à leur usage et bénéficier d’un marché spécifique, plutôt local. Les vases sont produits à des fins funéraires et a priori les critères de qualité et d’esthétique ne priment pas. Et pourtant on a fait le choix de produire expressément ces pièces plutôt que de leur substituer de la vaisselle de second choix ou des récipients domestiques usagés.

54Dans les articles publiés dans les actes du Congrès de la SFECAG de 2016, diverses implications possibles dans la cérémonie funéraire ont été proposées. Dans le cas présent, il s’agit d’un constat réalisé d’après notre documentation et sur une aire géographique restreinte, qui nécessite d’être nuancé par ailleurs, comme en témoignent les exemplaires découverts en Suisse (Luginbühl, 2001, p. 355-356).

55La fonction de récipients contenant des offrandes alimentaires ou de vaisselle du banquet funéraire peut être évidemment avancée, notamment sur la base du parallèle typologique avec la sigillée et les parois fines ou les assemblages observés sur les sites de comparaison picards. Il s’agirait alors de coupes de présentation de mets solides ou semi-liquides en petite quantité. Elles seraient donc acquises spécifiquement à l’occasion des funérailles et uniquement pour ce moment, puisque jamais elles ne sont utilisées dans l’habitat ou les sanctuaires. Ces contenants subiraient alors le même traitement que le reste de la vaisselle déposée sur le bûcher ou rejetée après le banquet. Cette hypothèse est cependant difficile à soutenir pour diverses raisons. Premièrement, comme déjà évoqué et par comparaison avec le reste du mobilier céramique associé dans la structure, le degré de chauffe observé dans tous les cas étudiés tend à les exclure du dépôt près du défunt. Aussi se pose la question de savoir pourquoi aurait-on eu besoin d’acquérir ces coupelles pour enrichir les assemblages contenant des pièces de bien meilleure qualité comme les sigillées et gallo-belges. L’association quasi systématique des coupelles en céramique fine claire avec ces autres catégories exclut l’argument de la recherche du moindre coût pour cette vaisselle abandonnée sur la nécropole. Contenaient-elles quelque chose qui ne pouvait être présenté ou consommé dans les autres coupelles en sigillée, en terra nigra ou terra rubra ? Étaient-elles achetées pleines ? dans ce cas, on se doit de leur adjoindre une spécialisation fonctionnelle, reconnue largement par tous au regard de l’étendue géographique du phénomène, avec un contenu (alimentaire ou non) particulier et exclusif aux cérémonies funéraires.

56Ces coupelles peuvent aussi être envisagées comme des luminaires. Leur panse légèrement arrondie, le fond plat et le ressaut formé par les lèvres et collerette assure la stabilité de la pièce sur un support comme sur le sol. Lors de la cérémonie funèbre, les lampes pouvaient servir à l’allumage du bûcher, puis être jetées dans celui-ci ou simplement se trouver dans sa périphérie, et se retrouver à la fin de la crémation, associées aux restes osseux du défunt dans l’urne funéraire ou, plus simplement, rejetées avec divers objets appartenant au mobilier d’accompagnement dans le remplissage de la tombe. Il arrive aussi que les luminaires soient laissés sur l’aire de crémation parmi les résidus du bûcher et déplacés ensuite dans les dépotoirs lors du curage de celui-ci. Ces coupelles interviendraient donc dans ce cadre-là ; il s’agirait de pièces à usage unique, achetées pour les funérailles. La présence de luminaires, quels que soient le modèle ou la forme, relève de gestes anthropiques intentionnels qui ne sont pas anodins. La lampe en terre cuite que l’on jette ou que l’on dispose près du bûcher permet de situer la cérémonie funèbre dans un contexte bien particulier, en opposition avec les activités des vivants (Scheid, 1984, p. 122) mais elle a aussi, pour autre symbolique, celle d’être un présent (munera) dû au défunt et aux dieux infernaux (Malagoli, 2013, p. 1136-1137).

57L’hypothèse d’un positionnement primaire périphérique au bûcher justifierait leur fragmentation, leur présence dans les résidus de bûchers mais sans traces de chauffe extrême – leur utilisation propre ne laissant que peu de traces –, et donc la présence de tessons dans certaines tombes. Dans ce cas les coupelles devaient contenir un combustible solide ou semi-solide comme du suif, et ne pas être destinées à des déplacements importants après allumage (à l’image des fiaccole ou bougies paysagères utilisées encore de nos jours). Ces coupelles pourraient donc intervenir dans le décor, la mise en scène du rituel funéraire. Cette proposition tient compte enfin de l’absence des lampes à huile ou à suif à tenon central dans nos contextes – alors que la lampe à suif est fréquemment attestée en contextes domestique et cultuel chez les Tricasses et les Lingons, notamment à Vertault et Alésia (Carré, 1985, p. 271 ; Ahü-Delor, Kasprzyk, 2006). En territoire éduen, dans l’agglomération secondaire d’Entrains-sur-Nohain (Nièvre), une série de caves incendiées du quartier artisanal et commercial a livré systématiquement soit une lampe à suif (Tisserand, 2012, p. 333) soit, à défaut, une coupelle (d’un modèle distinct de ceux qui intéressent notre propos) mais dont l’usage attesté en contexte domestique comme luminaire confirme cette utilisation, du point de vue de la forme fonctionnelle au moins (Venault, 2022).

58En outre, dans les nécropoles de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) et Saint-Memmie (Marne), à l’absence de ces coupelles pourrait répondre la présence des lampes à huile traditionnelles (Augros, Feugère, 2002, p. 204-205 ; Pouget, 2010).

59On doit aussi rappeler que les lampes, avec les flambeaux, accompagnent le déroulement des funérailles, notamment lors du cortège funèbre, symbolisant les ténèbres entourant le mort (Scheid, 1984, p. 122 ; Scheid, 2019). Elles peuvent donc intervenir tout au long des cérémonies, jusqu’aux ultimes rites de clôtures. Ce pourrait être le cas des coupes du Toulousain, si leur utilisation comme luminaire était attestée. Par contre on est en droit de penser que dans les cas où des lampes sont associées aux coupes et coupelles, celles-ci ont vraisemblablement connu un autre usage ; ce qui doit donc être le cas par exemple dans l’enclos F35 de François-Verdier à Toulouse, où quatre phases de dépôt de coupelles ont été identifiées, dont l’une, la troisième, montre la coexistence de coupelles et d’une lampe (Marty et alii, 2016, p. 120-123 et fig. 27).

60L’autre hypothèse envisagée serait celle de l’utilisation de ces coupelles dans les rites de purification pratiqués au cours de la cérémonie funéraire : il s’agirait alors de patères mises en œuvre dans les libations de purification. Dans la religion romaine, il est acquis qu’une libation de vin et d’encens peut être l’équivalent d’un sacrifice sanglant (Huet, 2008, p. 106 ; Scheid, 2011, p. 111). Ainsi dans le cadre des funérailles, cette pratique aurait pu se substituer au sacrifice onéreux, étape essentielle à la purification de la famille et des vivants. Ce moment du rituel est par ailleurs régulièrement figuré sur des bas-reliefs, nous offrant un aperçu des ustensiles utilisés : la boîte à encens apparaît aux côtés d’un officiant qui tient au-dessus du feu une patère dont le modèle pourrait être similaire aux nôtres (Huet, 2008, fig. 1, 2, 6, 16) (fig. 10).

Fig. 10. Exemples de libations faisant intervenir de possibles coupelles.

Fig. 10. Exemples de libations faisant intervenir de possibles coupelles.

1. Détail de la base des Decennalia, Rome, forum romain ; 2. relief des Quintus Lollius Alcamenes, Rom, Villa Albani ; 3. relief des Claudius Gothicus, Rome, Museo Nazionale Romano (d’après Huet, 2008).

61Du fait des traces de chauffe, leur usage comme coupes à encens, poudres ou herbes parfumées, attestées dans le monde antique (Bodiou et alii, 2009 ; Hugot, 2009, p. 91) nous paraît parfaitement plausible : la dimension des coupelles permet une bonne prise en main, leur profil assure la stabilité de la pièce sur un support ou sur le sol, et leur capacité est largement suffisante pour contenir la matière parfumée qui exhale son odeur uniquement par l’intermédiaire d’un passage au feu. Comme pour la précédente hypothèse du luminaire, cette proposition est confortée par les exemplaires conservant des traces brûlées homogènes sur l’intérieur des parois (fig. 10, 1).

62La découverte récente de brûle-parfums typologiquement proches des coupelles de type 1 (avec pied haut) sur Langres ‘21ème RI’ (Thévenard en cours) intervient dans cet argumentaire.

63L’exemple des coupes bilobées toulousaines et qui trouvent leur continuité fonctionnelle dans le rituel funéraire avec les balsamaires céramiques du Bas-Empire, nous apparaît aussi comme un argument de comparaison valable pour étayer la fonctionnalité de nos coupelles comme brûle-parfum ou comme patère à libation d’huile parfumée.

64Par contre, en l’état des découvertes, il reste délicat de faire la différence entre des autels à encens, en lien avec le culte et l’accomplissement des rites, et de simples brûle-parfums utilisés pour l’agrément des officiants et sans effet sur le déroulement des cérémonies. Cependant, la spécificité funéraire de ces coupes et coupelles semble un indice probant de leur lien intime avec la cérémonie des funérailles, surtout pour les régions où sont bien attestés des brûle-parfums dans des contextes plus quotidiens. Le très faible encombrement de ces coupes et leur maniement aisé en font de parfaits autels à encens portatifs, tout à fait adaptés à leur utilisation lors du cortège funèbre. Précisons que dans le Toulousain, les autels à encens mais aussi les brûle-parfums ne sont pas attestés dans les habitats et les temples, alors qu’ils sont bien connus dans d’autres régions de la Gaule. Ces coupes et coupelles sont donc actuellement les seules candidates à un tel usage pour le Toulousain, mais dans un strict cadre funéraire.

65Parallèlement, l’association systématique, dans les fosses de rejets, de ces coupelles avec des vases à liquide de type cruche, amphorette ou lagène, parfois dans des proportions tout à fait équivalentes comme à Troyes, rue Voltaire, et souvent brûlés eux aussi, est un argument en faveur d’une interprétation comme patère à libation ou ablution. Le profil de la coupe à lèvre éversée trouve d’ailleurs une comparaison directe avec certaines formes ouvertes des services, sans le manche de préhension, connues dans le nord de la Gaule pour le Haut-Empire et notamment sur la nécropole de Thérouanne (Pas-de-Calais ; Loridant, Bura, 1998, p. 243 fig. 9 ; Hanut, Henrotay, 2014, p. 52-53).

66Les coupes trouvées à Toulouse (et à Banassac ; Feugère et alii, 1996, p. 292), mais aussi possiblement les éléments fragmentaires issus des niveaux de circulation du secteur d’étude septentrional, sont en usage lors des rites en fin de funérailles ou lors d’évènements postérieurs (fêtes des morts, anniversaires…). Leur forme permet de proposer un usage comme vase à boire mais leur taille réduite et leur petite contenance pourraient aussi les destiner à de petites offrandes, pour verser un liquide (vin, lait…) dans des conduits à libations ou sur le sol couvrant la tombe.

67Enfin la dernière proposition serait de voir dans ces vases des couvercles de fermeture de brûle-parfums ou encens et non des coupelles. Les traces de suie sont compatibles avec cette hypothèse mais le rapprochement avec le répertoire sigillé la rend plus délicate à admettre, tout comme l’absence totale des vases supports sur toutes les nécropoles étudiées.

IV. L’apport des analyses chimiques

68Des analyses chimiques d’imprégnations des parois de sept coupelles ont été faites.

  • 3 L’identification du contenu organique a été obtenu selon une méthodologie en deux étapes : une extr (...)

69Le premier échantillon, prélevé dans le cadre de la post-fouille de l’opération, a été analysé par le laboratoire LNG en 20183 (n° 18 dans Garnier dans Neaud, en cours). Il correspond à la coupelle, complète mais carburée, ayant été utilisée, en position fonctionnelle, comme couvercle pour obstruer l’urne en verre de la tombe 2200 du site de Buchères PLA D45 fouillé en 2016. Il s’agit ici d’un réemploi opportuniste mais impliquant, comme évoqué plus haut, la proximité de la coupelle et du bûcher funéraire. N. Garnier conclut que la coupelle a contenu du vin rouge aromatisé avec une plante à feuille non identifiée et un corps gras d’animal non ruminant. Ces résidus organiques imprégnés permettent de sérier les hypothèses fonctionnelles mais le détournement de la coupelle dans la tombe complexifie la réflexion. L’association de ces produits n’est pas automatiquement synchrone : la coupelle a pu contenir un corps gras, aromatisé ou non, puis du vin (libation) lors de son réemploi comme couvercle. À moins que la coupelle n’ait contenu les trois ingrédients dans sa fonction d’origine ?

70Une seconde série d’analyses peu concluantes (échantillons pollués ; Quetigny et Pontailler-sur-Saône (Côte-d’Or) met en évidence des traces de lait fermenté (CESAMO-Tech) qu’il reste difficile à commenter.

71Enfin une dernière analyse (CESAMO-Tech) n’a révélé aucun composé chimique (coupelles de la tombe 10 de François Verdier, Toulouse, 31, fig. 6, n° 14 et fig. 7, nos 1231-03 et 1239-13) ; peut-être faut-il alors conclure à un contenu n'ayant pas laissé de trace, de type céréales par exemple.

V. Conclusion

72Depuis une vingtaine d’années, la céramologie s’est faite une place aux côtés des autres spécialités dans l’analyse globale des contextes sépulcraux : outre les informations chronologiques et fonctionnelles classiques du mobilier en terre cuite, le traitement des pièces, la tracéologie et la taphonomie des artéfacts offrent des informations importantes sur le déroulé des funérailles et des cérémonies, avec des données sur les différents gestes et leur temporalité.

73La recension au sein du mobilier funéraire de coupelles de mauvaise facture, imitant des productions fines de tradition italique, n’est pas une nouveauté en soit ; c’est leur identification comme objet uniquement funéraire et élément spécifique du rituel funéraire qui renouvelle le discours. La récurrence du phénomène et la variété des contextes ouvrent un nouveau volet de la recherche, dont cette contribution ne fait qu’esquisser les premières constatations.

74Ces coupelles sont au final relativement fréquentes. Elles apparaissent sous différents types morphologiques, copiant toujours des modèles courants du vaisselier fin. En Bourgogne et en Champagne, elles sont produites localement, à la « va-vite », tandis qu’elles semblent plus soignées dans le Toulousain, jusqu’à s’apparenter à de la paroi fine. D’après les exemples traités, elles semblent indentifiables pour le consommateur comme un produit lié à la mort et à l’espace de la nécropole.

75Cette dichotomie entre coupelles septentrionales et coupelles méridionales, quant à leur forme et aspect, paraît recouper des différences d’usages entre les deux zones géographiques.

  • Dans le nord, en tous les cas dans le secteur Bourgogne-Champagne qui sert ici de cadre à l’étude, leur présence, sans être obligatoire, tient une place récurrente dans le processus de crémation au cours de la période flavienne et dans le courant du iie siècle et elles restent donc utilisées, de manière plus ponctuelle a priori, au début du Bas-Empire. Cette pérennité interpelle et implique un statut spécial et indépendant dans les rites funéraires au même titre que le dépôt d’une monnaie ou d’offrandes alimentaires ; il convient en effet d’envisager ces coupelles hors des séries de récipients destinés à contenir les produits périssables pour le mort.

76Dans les cérémonies du Haut-Empire, les coupelles semblent intervenir dès la phase de crémation des corps. Les fragments peuvent intégrer la portion du dépôt primaire transporté vers la tombe. On les observe aussi dans les niveaux d’épandage et circulation avec des positions « en surface » qui suggèrent un dépôt « en décalé », possiblement en lien avec des cérémonies ultérieures au bûcher funéraire, voire des commémorations, mais mettant aussi en œuvre l’action du feu dans les cas étudiés sur le secteur septentrional.

77La place des coupelles dans le rituel d’inhumation au Bas-Empire est plus difficile à évaluer faute de données en nombre. Les deux tombes tricasses où les contextes sont connus (Le Chêne, Saint-Lyé) proposent des cas de figure différents avec dépôt en position fonctionnelle en fond de fosse ou un rejet en trois temps répartis sur l’ensemble du rebouchage de la fosse sépulcrale.

  • Dans le Toulousain, notre deuxième zone d’étude, le constat semble différent. Il faut cependant rappeler la faiblesse de l’échantillonnage considéré, qui se réduit pour l’instant au strict cadre périurbain de la cité de Tolosa. Les coupes sont de meilleure qualité et témoignent certainement d’influences méditerranéennes directes ou peu atténuées (Marty, Amiel, 2016, p. 237-240). Mais surtout elles ne figurent jamais dans le dépôt primaire, ne connaissant donc pas les flammes du bûcher. Au mieux elles apparaissent dans le dépôt secondaire et le plus souvent on les retrouve, si la conservation des sites le permet, directement sur les sols des monuments et des enclos. Elles semblent alors déposées ou abandonnées là, sans y être brisées ou jetées. Pour l’instant les analyses ne permettent pas de savoir si elles servaient à réaliser des libations et des offrandes ou bien si elles faisaient usage de brûle-parfum ou de lampe. D’autres exemples dans la moitié sud de la Gaule existent, ne serait-ce que celui de Banassac déjà cité. Et l’importante fouille d’une nécropole antique sur les berges de la Robine à Narbonne, réalisée entre 2017 et 2020 (V. Bel, en cours), devrait sur ce point être riche d’enseignements, avec entre autres des coupelles associées à des conduits à libations.

78L’analyse des contextes de découverte, de l’état de fragmentation des pièces et de passage ou non au feu, la dispersion des tessons dans les structures ou le simple dépôt de coupes intactes, laissent envisager l’utilisation de ces coupelles à plusieurs (toutes ?) étapes de la cérémonie funéraire. C’est pour l’instant d’un point de vue territorial que s’observent des différences : au nord un usage sur un bûcher ou foyer et au sud une utilisation stricte en fin de funérailles ou après celles-ci. Une diversité d’usages peut être en lien avec des pratiques culturelles longuement héritées, car l’on sait le conservatisme marqué qui affecte le monde de la mort dans l’Antiquité. L’identification stricte de leur contenu reste en suspens mais peut-être faut-il envisager ces coupelles comme multifonctionnelles : il pourrait s’agir de petits ustensiles, disponibles sur la nécropole, pour contenir des offrandes, verser des libations, allumer des mèches, brûler des parfums et matières odorantes, voire éteindre des matières incandescentes, etc., et que l’on met en œuvre lors des cérémonies primaires de traitement des corps comme lors de la fin des cérémonies et pendant les commémorations.

79Assurément, un travail d’inventaire des coupelles funéraires effectué à grande échelle serait un exercice pertinent à mener afin de valider la ponctualité – peut-être biaisée – du phénomène ainsi que son assise dans les rituels des sociétés gallo-romaines, ces variations, etc. Il permettrait probablement de confirmer que les différences morphologiques des coupelles entre nord et sud reflètent, outre des lieux de production ou d’approvisionnement différenciés tenant compte des habitudes régionales, des usages à des moments distincts lors des funérailles, et donc très certainement l’utilisation de produits et liquides différents.

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Willems S., Morel A., Durin C., 2014, « Quel dépôt pour quel défunt ? mobilier funéraire et identité dans l’ouest de la Gaule Belgique : études de cas et prespectives nouvelles », in : Hanut F., Henrotay D. dir., Du bûcher à la tombe : les nécropoles gallo-romaines à incinération en Wallonie, Catalogue d’exposition, Namur, Inst. du Patrimoine wallon, p. 115-130.

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Notes

1 Il s’agit ici d’un exemple extrême puisque les autres sites mentionnés présentent des proportions bien plus faible avec souvent un vase par contexte.

2 Par Cyrille Chaidron, céramologue.

3 L’identification du contenu organique a été obtenu selon une méthodologie en deux étapes : une extraction et analyse par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, et une seconde extraction acido-catalysée du résidu déjà extrait et de nouveau analysé par GC-MS.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1. Carte des sites concernés par l’étude en Bourgogne et Champagne, avec les types de nécropoles et chronologie.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fig. 2. Tableau de synthèse sites/types/contexte/chrono pour la Bourgogne - Champagne.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Fig. 3. Carte de répartition des coupelles et assiettes.
Crédits Fond de carte P. Nouvel, Univ. Bourgogne.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Fig. 4. Typologie des coupelles et assiettes recensées en Bourgogne et Champagne.
Légende Échelle 1/3.
Crédits Ahü-Delor, Inrap.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 366k
Titre Fig. 5. Carte des sites concernés dans le Toulousain.
Crédits P. Marty, Inrap.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 524k
Titre Fig. 6. Types de coupelles funéraires identifiées à Toulouse. Provenance François Verdier.
Légende Échelle 1/3.
Crédits C. Amiel, Inrap, sauf n° 7 : caserne Niel (Ch. Le Noheh, Inrap) et nos 1-3 : École d’Économie (P. Marty, Inrap).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 733k
Titre Fig. 7. Exemple de coupelles dans un dépôt secondaire de crémation du Toulousain.
Crédits François Verdier, tombe 10. Échelles : plans et coupe 1/10, céramique 1/3 (F. Landou et C. Amiel, Inrap).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 990k
Titre Fig. 8. Exemple de coupelles sur un sol de monument du Toulousain. François Verdier, monument F42.
Légende Échelle céramique 1/3.
Crédits C. Amiel, Inrap.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Fig. 9. Coupelles et inhumation au Bas-Empire : l’exemple de Saint-Lyé, rue du Calvaire. Échelle : céramique 1/3.
Crédits C. Mauduit, Eveha ; cliché sépulture : E. Morin, Eveha.
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 983k
Titre Fig. 10. Exemples de libations faisant intervenir de possibles coupelles.
Légende 1. Détail de la base des Decennalia, Rome, forum romain ; 2. relief des Quintus Lollius Alcamenes, Rom, Villa Albani ; 3. relief des Claudius Gothicus, Rome, Museo Nazionale Romano (d’après Huet, 2008).
URL http://journals.openedition.org/rae/docannexe/image/16176/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 1,0M
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Pour citer cet article

Référence papier

Anne Ahü-Delor, Pierre Marty, Céline Mauduit et Sylvie Mouton-Venault, « Des coupelles pour les morts en gaule romaine ? »Revue archéologique de l’Est, Tome 71 | 2022, 265-282.

Référence électronique

Anne Ahü-Delor, Pierre Marty, Céline Mauduit et Sylvie Mouton-Venault, « Des coupelles pour les morts en gaule romaine ? »Revue archéologique de l’Est [En ligne], Tome 71 | 2022, mis en ligne le 01 octobre 2022, consulté le 10 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rae/16176

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Auteurs

Anne Ahü-Delor

Céramologue, Inrap – UMR 6298 ArTeHiS, Centre archéologique, 18 rue de la Chapelle, 89510 Passy.
anne.delor-ahu [at] inrap.fr

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Pierre Marty

Céramologue, Inrap - UMR 5608 TRACES, Centre archéologique, 13 rue du Négoce, 31650 Saint-Orens-de-Gameville. pierre.marty [at] inrap.fr

Céline Mauduit

Céramologue, Bureau d’étude Eveha, 161 avenue de Verdun, 94200 Ivry-sur-Seine. celine.mauduit [at] eveha.fr

Sylvie Mouton-Venault

Céramologue, Inrap – UMR 6298 ArTeHiS, Centre archéologique, 5 rue Fernand Holweck, 21000 Dijon. sylvie.mouton-venault [at] inrap.fr

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Droits d’auteur

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