Nous tenons à remercier Vianney Forest pour les informations qu’il nous a communiquées, ainsi que Fabien Belhaoues et Camille Lamarque pour les discussions enrichissantes et leurs précieux conseils concernant ce sujet qu’ils affectionnent tout particulièrement.
1À partir du ier siècle av. J.-C., le statut du chien a subit une évolution radicale en Gaule. Le processus de romanisation apporte avec lui un changement des comportements vis-à-vis de cette espèce, en Narbonnaise d’abord, puis dans le reste de la Gaule. D’un animal largement intégré aux circuits de consommation au cours de l’Âge du Fer, il est progressivement considéré comme une espèce à part et exclu du spectre des espèces consommées par les populations gallo-romaines. Comme toute évolution des mœurs, cette dernière a été lente, mais dès le début de l’acculturation des populations celtiques par les Romains, la cynophagie va devenir un phénomène de moins en moins prégnant, jusqu’à devenir marginal au début du second siècle (Lepetz, 1996a, p. 135 ; Belhaoues, 2018, p. 188 ; Renaud, 2012, p. 545). Cette pratique disparaît alors progressivement au cours du Haut-Empire, à Lugdunum comme en région Rhône-Alpes plus généralement (argant, 2019, p. 59). À l’image des chevaux (Equus caballus), ce statut singulier et ses évolutions d’une culture à l’autre illustrent les relations complexes entre l’Homme et le chien depuis la domestication du loup au Paléolithique.
2Les découvertes archéologiques de ces dernières décennies ainsi que les études récentes mettent en évidence une grande diversité des pratiques entourant la gestion des dépouilles canines, ainsi qu’une première explosion de la diversité des morphologies à l’époque romaine (Bel et alii, 2009, p. 84 ; Lepetz, 1996a, p. 101 ; Méniel, 2001 ; Gardeisen et alii, 2011 ; Horard-herbin, 2014 ; Belhaoues, 2018, p. 462). Les hauteurs au garrot s’échelonnent de 16-17 cm pour les plus petits, équivalents à des animaux comme les martres (Martes martes), à 75 cm pour les plus imposants, soit proches de format des loups gris (Canis lupus). Si la diversité actuelle des chiens est principalement due à l’hyper-sélection survenue au cours des derniers siècles, de plus en plus d’études montrent qu’il existait, dès l’Antiquité, voire même auparavant, une diversité canine déjà bien marquée (Horard-herbin, 1997, p. 111 ; Belhaoues, 2018, p. 85 ; Gardeisen et alii, 2011 ; Luce, 2008, p. 267 ; Del Corso, Leguilloux, 2003). Cette diversité est le résultat de nombreux croisements, sans qu’il soit possible d’affirmer à ce stade s’ils sont bien la conséquence d’une pratique anthropique volontaire, ou simplement d’un brassage naturel au cours du temps.
3Au sein de l’espèce, les chiens de petits formats n’apparaissent pas en Gaule avec la conquête romaine. Ils existaient déjà à l’Âge du Fer, comme en témoigne la mise au jour des individus de Levroux au iie siècle av. J.-C., ou celui d’Acy-Romance, daté des iie-ier siècles av. J.-C. (Horard-herbin, 1997, p. 109 ; Méniel, 2016, p. 13). Cependant, la seconde moitié du ier siècle av. J.-C., et par la suite le ier siècle ap. sont le théâtre d’une augmentation du nombre d’individus, visible à travers la multiplication des exemples de squelettes mis au jour au cours d’opérations archéologiques. Ces petits formats n’en deviennent pas pour autant majoritaires et ne dépassent jamais quelques individus sur l’ensemble des cas découverts.
- 1 Le terme « très petits » est employé ici dans le cas d’individus dont la hauteur au garrot n’excèd (...)
- 2 Fouilles archéologiques du 15-19 rue de la Quarantaine, 69005 Lyon, sous la direction d’Éric Bertr (...)
- 3 Diagnostic archéologique de la place du Père François Varillon, 69005 Lyon, sous la direction de V (...)
4À Lugdunum, ces très petits1 chiens ne constituent pas non plus l’essentiel des découvertes. À l’image du reste de la Gaule, la majorité des sépultures contient des individus dont la taille est comprise entre 40 et 60 cm au garrot. En 2019, les fouilles des 15-19 rue de la Quarantaine2 ainsi que le diagnostic de la place du Père François Varillon3 ont permis la mise au jour de deux exemples d’inhumations de chiens de très petites tailles. Ces deux individus ne sont pas les premiers à apparaître dans la faune lyonnaise des premiers siècles de notre ère, mais leurs traitements funéraires sont inédits pour la cité, et très rarement rencontrés en Gaule romaine : le premier a été mis au jour dans une marmite réutilisée comme contenant funéraire, tandis que le second présentait un collier en cuir à appliques de bronze autour du cou.
5Le site de la Quarantaine est localisé sur la rive droite de la Saône, au pied du versant sud-est de la colline de Fourvière. Sur cette étroite bande de terrain à la limite méridionale de la ville, on restitue la présence d’un axe de circulation antique reliant le centre de la ville aux quartiers suburbains. Les vestiges découverts dans ce secteur renvoient à plusieurs types d’occupation : artisanale (atelier de potier, bassins), commerciale (entrepôt à dolia) ou funéraire (stèles), datées entre le début du ier siècle et le ive siècle ap. J.-C. La fouille réalisée en 2019 a mis au jour les fondations maçonnées d’un bâtiment à sol de terrazzo dont le plan, incomplet, évoque plus une construction à vocation commerciale qu’une habitation. À ce bâtiment est associé un espace de fréquentation ouvert, traversé par des canalisations évacuant les eaux usées vers la Saône (Bertrand et alii, 2021).
6Proche du bâtiment, une fosse de grande dimension (us 350, 2,20 m) avec un comblement détritique grossier a livré une marmite en céramique conservée en position primaire (ouverture vers le haut), et contenant encore le squelette d’un petit chien. La sépulture a pu être installée opportunément dans cette fosse en cours du comblement, ou avoir été déposée lors d’un creusement postérieur, mais la lecture stratigraphique ne permet pas de trancher sur cette question. La fosse appartient à une phase d’occupation datée par la céramique des années 30-50 ap. J.-C. Le contenant est une marmite carénée en céramique réfractaire sombre, à fond très bombé et paroi cylindrique, couronnée par une lèvre à marli mouluré et incliné (type Haltern 56). Ce type est attribuable au premier quart du ier siècle ap. J.-C. Il était utilisé à l’origine pour cuire des plats en sauce, et la céramique a été ici remployée comme contenant funéraire (fig. 1). Avec un module dont l’ouverture atteint 28 cm et un bassin profond de 15 cm largement ouvert, ce type de marmite est l’une des rares formes de vaisselle courante offrant une embouchure et un volume suffisant pour recevoir la dépouille d’un petit chien.
Fig. 1. Le petit chien de la rue de la Quarantaine dans sa marmite.
Cliché : équipe SAVL ; DAO : A. Creuzieux et É. Bertrand.
7La position fonctionnelle du contenant montre que cette sépulture est en position primaire et que de véritables gestes funéraires ont été réalisés, ce qui en fait l’un des rares exemples de chiens lyonnais pouvant être décrits comme volontairement inhumés (cf. infra synthèse). L’animal a été déposé sur son flanc gauche, la tête au sud-est et la queue au nord-ouest. Ses pattes ont été très légèrement fléchies afin qu’il puisse s’insérer dans le contenant, cependant, aucune contrainte forte n’a été observée en raison de son petit format. L’apparition de la sépulture en limite de sondage a entraîné un arrachement de la partie sud-est au cours du décapage mécanique. Cela a engendré des absences à l’emplacement du crâne et du garrot, ne permettant pas de connaître leur position exacte au moment du dépôt. Les mandibules, toujours présentes, sont positionnées en arrière des coudes, ce qui suggère que cette portion a été perturbée avant même la fouille (fig. 1). Il en est de même pour les restes crâniens qui ont été partiellement retrouvés au niveau du membre antérieur droit.
8Au total, 352 fragments osseux ont été mis au jour, pour une représentation squelettique incomplète. Certaines parties comme les côtes, les vertèbres thoraciques et la tête osseuse ont été très mal conservées, tandis que les vertèbres cervicales, les hyoïdes, les premières côtes et les scapulas sont absentes (fig. 2, a). S’il ne présentait pas l’intégralité de son squelette au cours de sa mise au jour, cet animal a clairement été déposé en entier dans son contenant car des connexions anatomiques strictes sont visibles sur l’ensemble du corps. Les pattes arrière, la ceinture coxale, les vertèbres lombaires ainsi que le membre antérieur droit conservent leur cohérence (fig. 2, a). L’inhumation dans un contenant entier sans couvercle apparent suggère que le corps s’est décomposé en espace colmaté.
Fig. 2.
A. Ossements prélevés et conservation (image de fond : Helmer, 1987, fig. 1, avec modifications) ; B. mesures relevées sur les os longs (en millimètres, d’après Driesch, 1976).
- 4 Âge approximatif de soudure complète des épiphyses proximales des radius, des fémurs et des tibias
9Aucun os pénien n’a été observé. Compte tenu de la bonne conservation de cette partie du squelette, qui n’a pas été perturbée, ainsi que la robustesse de cet os chez les canidés, il est possible que cet individu soit une femelle. D’un point de vue ostéologique, tous les os longs et les corps vertébraux sont soudés, indiquant une croissance achevée et un âge minimum de 18 mois au moment du décès4. De plus, l’usure peu marquée de ses dents inférieures tend à indiquer qu’elle n’était pas âgée de plus de 24 mois. Il s’agit donc d’un individu mature. Aucune fracture nette ni aucune marque de choc n’apparaît sur les ossements. Il est donc difficile de se prononcer sur les causes de sa mort, les raisons pouvant être une maladie ou un traumatisme qui n’aurait pas laissé de trace sur les os.
- 5 Valeurs obtenues à partir des grandes longueurs des fémurs, des tibias, d’un humérus et d’un radiu (...)
- 6 Indice de robustesse = SD*100/GL (SD = largeur minimale de la diaphyse ; GL = grande longueur).
10Les mesures relevées sur les os longs (fig. 2, b) permettent de restituer une hauteur d’environ 19,5-20 cm au garrot5, soit une taille très réduite pour cette espèce et plaçant cet individu parmi les plus petits de Gaule romaine (Belhaoues dans Fiches dir., 2012, p. 315 ; Barberan et alii, 2014, p. 219 ; Gardeisen et alii, 2011). Parmi les six ossements qui ont permis ce calcul, on constate que les stylopodes (fémur et humérus) présentent des résultats plus élevés que les zeugopodes (tibia/fibula, radius/ulna), respectivement 20,0 cm contre 19,2 cm. Cela indique une taille proportionnellement moins importante pour les parties intermédiaires des membres que pour les parties hautes. Cette particularité est visible avec la déformation des radius et des tibias. L’indice de robustesse6 montre une moyenne de 9,7.
11Le site de la place du Père François Varillon se trouve dans la partie méridionale du col de Trion, à proximité immédiate d’importants espaces funéraires, notamment de mausolées monumentaux ainsi que de nombreuses sépultures s’échelonnant du début du ier au iiie siècle ap. Ce secteur est localisé dans une zone péri-urbaine au sud du tracé présumé du rempart et le long d’une des principales voies d’accès à la cité en provenance du sud-ouest.
12En 1985, une fouille de sauvetage, à l’angle de la place Varillon et de la rue de Trion, a mis au jour un complexe artisanal dont un four de potier rectangulaire du milieu du ier siècle ap. J.-C. La présence de quatre inhumations en pleine terre dispersées sur le site rappelle le statut funéraire de cet emplacement. Dans la partie méridionale, des fragments de moules (issus d’une fosse) et de creusets en argile, ainsi que des résidus de métal, indiquent la présence d’une structure de fonte et de coulage du bronze, datée également du ier siècle ap. J.-C. (Le Mer, Chomer, 2007, p. 629). Dans ce contexte péri-urbain à vocation funéraire et artisanal, le diagnostic réalisé en 2019 a permis la mise au jour d’une sépulture canine dans un niveau de remblais dont le matériel appartient à la période antique. Cet individu présente la particularité d’avoir été mis en terre accompagné d’une céramique et d’un collier en alliage cuivreux, chose très rare en ce qui concerne les sépultures animales du Haut-Empire. Comme dans le cas du chien de la Quarantaine, cette tombe de la place Varillon a donc été creusée dans un remblai antique. Les fouilles mécaniques n’ont pas rendu possible l’observation des contours de la fosse, il n’est donc pas possible d’en connaître le format ni même la forme générale.
13Cette sépulture est composée d’un individu en contact direct avec une cruche en céramique commune claire. Au total, cinquante-sept ossements ont été prélevés, ce qui ne représente qu’une partie d’un squelette complet. De nombreuses connexions anatomiques ont été observées lors du prélèvement et les absences révèlent des perturbations postérieures à l’enfouissement. Malgré ces manques, toutes les parties du squelette sont représentées. L’absence des os les plus petits (fig. 3) peut être expliquée par des phénomènes taphonomiques ainsi que des biais de fouilles. L’analyse tracéologique des ossements permet toutefois de préciser la position du squelette au moment de la mise en terre. Trois restes portent des traces vertes très nettes sur leurs surfaces osseuses, résultant d’un contact direct avec les boutons et l’applique du collier : la seconde et la troisième cervicale, ainsi que le second métacarpe droit. Les restes d’un des boutons du collier apparaissent d’ailleurs toujours sur la partie ventrale de l’axis (fig. 3). Les autres ossements concernés par la coloration verte de leur os cortical sont l’occipital gauche, la partie distale de la mandibule gauche ainsi que le membre antérieur droit avec la scapula, l’humérus et le radius (fig. 3). Les emplacements où les traces sont les plus marquées sont le cou et l’extrémité de la patte droite. Ces observations montrent clairement que l’animal portait le collier autour de son cou, que sa tête était probablement posée sur la patte antérieure droite et donc qu’il reposait sur son flanc droit. Les autres restes ne devant leur coloration qu’à leur présence à proximité des éléments cuivreux du collier sans être en contact direct avec eux. En revanche, les conditions de fouilles sur le terrain n’ont pas permis de préciser la position exacte de l’ensemble du corps ni de dire si cette inhumation a été réalisée en pleine terre, comme cela est généralement le cas, ou bien si un contenant en matériau périssable était présent. Pour les mêmes raisons, les observations d’éventuelles contraintes n’ont pu être réalisées.
Fig. 3. Répartition anatomique des restes du chien de la place Varillon.
En vert les ossements présentant des traces de bronze provenant du collier sur leur os cortical.
Clichés et DAO : A. Creuzieux (d’après Helmer, 1987, fig. 1, avec modifications).
- 7 Extrémité distale du radius et extrémité proximale du tibia en fin de soudure.
14La présence d’un baculum très bien conservé indique que cet animal était un mâle. Ce chien est sensiblement plus grand que celui de la rue de la Quarantaine mais reste dans la catégorie des chiens de très petit format. Trois os longs entiers ont permis d’estimer sa hauteur au garrot à environ 24,7-25 cm, soit quelques centimètres de plus que l’individu présenté précédemment. L’indice de robustesse pour ces trois os longs (humérus, radius, fémur) atteint 7,4, soit un chiffre assez faible suggérant un chien relativement gracile à l’image du Spitz allemand actuel. La courbure de ses os est également présente, tout particulièrement son radius (fig. 4, a), ce qui le classe dans la même catégorie que le chien de la rue de la Quarantaine, en étant toutefois sensiblement plus gracile que ce dernier. Cette déformation visible sur les membres antérieurs et postérieurs est la conséquence d’une anomalie de croissance. Les stades de soudure des os longs indiquent un âge d’environ 15 à 18 mois au moment de sa mort7. La longueur restreinte de sa mandibule, son épaisseur très réduite ainsi que la forme courbée de ses nasaux montrent que cet animal avait une face raccourcie (fig. 4, b).
Fig. 4.
A. Os du membre antérieur gauche, dont le radius fortement courbé ; B. face raccourcie avec stop frontal marqué ; C. tableau des mesures relevées sur les ossements (en millimètres, d’après Driesch, 1976).
Clichés : A. Creuzieux.
15Aucune trace de traumatisme n’a été observée sur les ossements. Comme pour l’individu de la Quarantaine, les causes de la mort survenue de manière prématurée, à un stade ou l’animal n’a pas tout à fait atteint son âge adulte (Valenzuela, Gardeisen, 2005, p. 248), ne sont donc pas connues.
16La cruche en céramique commune claire, retrouvée dans la tombe et brisée en plusieurs fragments lors de sa découverte, a été déposée à côté de l’animal. Seul son bord manque et compte tenu des informations à notre disposition, il n’est pas possible de dire si cet élément a été brisé volontairement ou non et s’il était également présent dans la fosse sépulcrale. D’un point de vue typologique, le profil général de cette cruche et son anse caractéristique en forme de ruban permettent toutefois de l’associer à la variante dite « à lèvre en bourrelet » (fig. 5). Ce type est très fréquent dans la région à partir du milieu du ier siècle ap. J.-C. et a été fabriqué dans de nombreuses officines locales ; à Lyon il est inscrit au répertoire des ateliers des Subsistances (Maza et alii, 2002, p. 311-313), de la Muette (période 2 ; Laroche, 1997, p. 52-54) et de la rue du Chapeau-Rouge (période 2 ; Batigne-Vallet, 2001). Il est présent sur les sites de consommation jusque dans le courant du iie siècle puis apparaît ensuite possiblement en position résiduelle.
Fig. 5. Photographie et dessin de la cruche.
Cliché et DAO : C. Mège.
17Les pattes de l‘animal étaient « enroulées » autour de cette cruche, à l’image du chien du quartier Saint-Pierre de Vaise (iie-iiie siècles ; Chastel et alii, 1995, p. 65). Comme pour ce dernier, la cruche de la place Varillon est donc clairement associée au corps de l’animal, et si sa taille et sa forme ne permettent pas de l’interpréter comme une écuelle, il est possible qu’il s’agisse d’un objet dont l’utilité était en rapport avec cet individu. Sa datation replace la mise en terre entre la seconde moitié du ier siècle et le iie siècle ap., soit après l’inhumation de la rue de la Quarantaine.
18Le second objet associé à cette inhumation est un collier en cuir à boutons en bronze mis au jour en contact direct avec le squelette de l’animal, au niveau du cou. Le lot se compose de vingt et un éléments parmi lesquels vingt boutons circulaires et une applique cruciforme. La découverte de cet ensemble constitue une première à Lyon et l’une des très rares attestations archéologiques de collier canin dans le monde romain. Ce lot a été retrouvé en position fonctionnelle, c’est-à-dire autour du cou de l’animal. L’essentiel du lot se compose de petits boutons circulaires en tôle de bronze. Tous se rapportent au même type, caractérisé par une fine tête plate à bord pendant pourvu au revers d’une tige ou clou de fixation. Les exemplaires les mieux conservés montrent que l’extrémité de la tige est emboutie par martelage et associée à une tôle fine en alliage cuivreux faisant office de contre-rivet. La hauteur de ces appliques varie entre 3,5 et 4 mm et l’espace entre la tête et l’extrémité du rivet permet d’estimer l’épaisseur d’une fine lanière de cuir de 2,5 mm environ (fig. 6).
Fig. 6. Photographie des boutons et de l’applique cruciforme en bronze du collier.
Cliché : A. Creuzieux.
19Ces appliques très simples sont bien connues pour l’époque romaine et habituellement associées à la garniture d’éléments en cuir de ceintures ou de harnachement équestre. Les exemples sont nombreux parmi les éléments de décorations de lanières militaires comme à Mainz, Rheingönheim ou encore Xanten (Bishop, 1992 ; Lenz, 2006, pl. 72, nos 686-704). À Lyon, des équivalences sont déjà connues. On peut prendre pour exemple le lot mis au jour dans un pot de stockage sur le site du Verbe Incarné (Lyon 5e) et interprété comme garnitures de tablier de lanières militaire. Sur le site du Clos de la Solitude (Lyon 5e), un ensemble de garniture semblable a été trouvé dans un coffret associé à une hipposandale, ce qui laisse supposer un usage pour la décoration du harnais équestre (Guillaud, 2019, p. 288-290). Un lot intéressant se trouve enfin sur le site de l’Hôtel-Dieu, où la présence d’un atelier de fabrication ou d’assemblage de ces garnitures est suspectée (Guillaud, 2019, p. 311-313). Le système par emboutissage de la tige et contre-rivet semble avoir été privilégié par les artisans au ier siècle ap. pour les garnitures décoratives de harnais et de ceintures.
20Parmi le mobilier, une petite applique symétrique cruciforme se distingue des boutons (fig. 7, n° 21). Elle se présente sous la forme d’un carré flanqué sur ses côtés de quatre appendices latéraux en forme de boutons ou de bulbes. La partie quadrangulaire est rehaussée et encadrée d’un décor en guillochis dont seule une partie est conservée. Le carré central lui-même présente sur l’un de ses bords des traces d’incisions parallèles décoratives. Au centre, on observe également quatre petites logettes rhomboïdales ou « en grains de riz » disposées en croix. Ces dernières accueillent une incrustation de nielle de couleur sombre (sulfure mono- ou polymétallique). La surface de l’objet porte la trace encore visible d’argenture ou d’étamage qui laisse supposer que l’objet prenait à l’origine la couleur de l’argent. Cette observation permet d’envisager que l’ensemble de la garniture ait pu faire l’objet de ce type de traitement, les boutons circulaires, trop oxydés, n’en ayant pas gardé la trace. Au revers de l’applique, le clou de fixation montre une longueur d’environ 5,5 mm et une extrémité emboutie. Les dimensions de la tige de fixation permettent d’envisager une épaisseur de cuir deux fois plus importante que celle des boutons circulaires. Ainsi, il est vraisemblable que cette applique unique ait servi à fermer les deux extrémités réunies et superposées de la lanière en cuir (reconstitution possible : fig. 7).
Fig. 7. Proposition de reconstitution et appliques décoratives du collier.
DAO : L. Guillaud.
21L’intérêt de ce petit élément décoratif réside à la fois dans sa typo-chronologie et dans son décor. En effet, les appliques cruciformes ne sont pas courantes pour l’époque romaine et semblent quasi absentes des éléments de garnitures de harnais au ier siècle ap. La présence d’un décor de nielle couplée à l’analogie évidente entre cet élément et certaines fibules symétriques de type Feugère 26c4 permet de proposer une datation entre le milieu du ier siècle et le tout début de la période antonine. Pour l’époque romaine les colliers canins apparaissent à la fois dans les textes et l’iconographie. On notera toutefois que ces représentations témoignent uniquement de l’imagerie du chien gardien (villaticus canis), tel que décrit par Columelle (Res Rustica, VII.12) et non de celle du chien de plus petit format comme celui de l’individu de la place Varillon. Le fait de doter l’animal d’une parure soignée, à l’image de celle d’ordinaire associée aux chevaux de haut rang, suggère l’existence d’un lien fort entre le maître et son animal. Ces petits chiens (catuli) étaient considérés comme partie intégrante de la familia, affublés d’un nom et ornés d’attributs dignes de leur condition (Seigle, 2018).
22Les deux exemples de la rue de la Quarantaine et de la place Varillon font partie d’un ensemble plus large de squelettes complets ou sub-complets pour les niveaux d’occupation de Lugdunum. Dans le cadre de cette étude, dix-neuf attestations de squelettes entiers ou sub-complets, en position primaire, ont été recensées à Lugdunum, qu’ils soient publiés, décrits, cités dans les rapports de fouilles préventives ou toujours en cours d’étude. Pour l’analyse spatiale et celle concernant les modes d’inhumation, le corpus se limite à ces exemples de squelettes anatomiquement cohérents, peu ou non perturbés. L’objectif est d’obtenir un premier aperçu des emplacements et des gestes réalisés pour la mise en terre des chiens de Lugdunum, qu’ils soient au sein ou à proximité de la cité. Pour l’analyse morphologique en revanche, l’ensemble des ossements isolés de chiens de petites tailles signalés par les auteurs a été pris en compte. C’est le cas notamment du fémur isolé mis au jour dans un puits sur le site de la rue Saint-Didier et dont la hauteur au garrot ne dépassait pas 35 cm (Argant dans Silvino et alii, 2012, p. 120). En outre, il est important de signaler qu’il existe une grande inégalité concernant les informations disponibles pour chaque squelette. Cet état de fait est bien souvent imputable à l’absence de publications archéozoologiques et que les squelettes provenant de fouilles anciennes n’ont pu être retrouvés en raison d’une absence de suivi des collections ostéologiques.
- 8 De très nombreux autres ossements, et notamment des restes isolés de chiens ont été découverts à L (...)
23Les attestations connues depuis la création de la colonie jusqu’au ive siècle ap. mettent en évidence la grande diversité des pratiques qui entourent le traitement post-mortem de ces animaux. On y retrouve tout un panel de gestes qui varient selon le statut de l’individu, qu’il soit errant ou domestique, mais également selon son format comme cela est très bien illustré par l’individu de la Quarantaine inhumé dans un contenant en céramique. Les résultats de cette recherche ont été compilés dans la liste ci-dessous et dans la figure 88, les numéros correspondant à ceux indiqués sur la carte (fig. 9).
Fig. 8. Liste des squelettes complets et sub-complets et en position primaire, depuis la création de la colonie jusqu’au ive siècle ap. J.-C.
241. Le premier provient du sondage B7 du ‘pseudo-sanctuaire de Cybèle’ et date de la fin du ier siècle av. Il a été mis au jour entier, en connexions anatomiques strictes, dans le comblement d’une fosse à reliefs de banquet, avec un petit pot entre les pattes. Il s’agit d’un individu mature aux os soudés. L’absence d’os pénien couplé à une très bonne conservation permet de dire qu’il s’agissait d’une femelle. Elle était de taille moyenne, de 40-42 cm au garrot, et relativement gracile (Forest dans Desbat dir., 1999).
252. L’individu du sondage B14 de ‘Cybèle’ est daté des années 20-10 av. Il a été mis au jour dans un niveau de remblais. Seule une partie de son squelette a été découvert, ce qui ne permet pas de déterminer son sexe de manière certaine. Il était mature, de taille moyenne atteignant 43 cm au garrot, calculée à partir des longueurs d’un fémur et d’un tibia et selon les coefficients d’Harcourt (1974). Il présente des traces de décarnisation sur l’un de ses fémurs. L’auteur précise cependant qu’il ne s’agit pas pour autant d’une preuve certaine de cynophagie (Argant dans Desbat dir., 1999).
263. Le troisième individu de ‘Cybèle’ a été mis au jour dans le sondage D1 et est également daté des années 20-10 av. Le squelette a été trouvé sub-complet et rejeté sur le sol d’un portique au moment de son abandon. L’absence d’os pénien couplé à une bonne conservation indique qu’il s’agit d’une femelle. La soudure de tous ses os montre un individu mature. Aucun creusement spécifique n’a été repéré et il s’agit probablement d’un individu rejeté pour des raisons d’hygiène. Aucune information chiffrée concernant son format n’a été relevée (Desbat dir., 2000, p. 7).
274. Le chien de la place Abbé Larue, mis au jour à l’extérieur du rempart et à proximité d’urnes cinéraires, date de la fin du ier siècle av. Il a été retrouvé sans creusement apparent. Tous ses os sont soudés, ce qui indique un âge adulte. L’os pénien ayant été identifié, il s’agissait d’un mâle. L’estimation de sa taille au garrot, 52 cm, a été obtenue à partir des mesures de l’ensemble des os longs. Une conservation suffisante de ses os crâniens permet de le classer dans la catégorie crânienne des dolichocéphales. Aucune interprétation n’est privilégiée par l’auteur (Argant dans Monin et alii, 2015, p. 331). Il pourrait s’agir du rejet hors les murs d’une carcasse ou bien d’un animal domestique inhumé dans une zone funéraire.
285. Le dernier chien de la période augustéenne a été mis au jour sur le site de la place Wernert, en marge de la zone funéraire, et date du changement d’ère. La forme exacte du creusement n’a pu être déterminée, mais la fosse semblait être adaptée au format de l’animal. Les sutures crâniennes indiquent qu’il s’agit d’un mâle adulte de moins de 3 ans dont le dépôt semble soigné. Sa hauteur au garrot de 56 cm a été obtenue à partir de la longueur d’un fémur et d’après les coefficients de Koudelka (1885) (Lalaï dans Ferber et alii, 2018, vol. I, p. 352). Vu son emplacement, il pourrait s’agir d’une véritable inhumation, mais en l’absence d’éléments concrets, il est difficile de l’affirmer.
296. Individu de la rue de la Quarantaine, cf. I.1.
307. Ce chien a été enterré dans une fosse individuelle dédiée, Montée de la Butte, dans un quartier artisanal spécialisé dans la fabrication d’objets en verre. Il date de la première moitié du ier siècle ap. et s’est décomposé en espace colmaté. Mis au jour quasi entier, les sutures crâniennes indiquent un adulte de plus de 3 ans. Il était de grande taille avec environ 60 cm au garrot, hauteur obtenue à partir des os longs et des coefficients de Koudelka (1885). La robustesse de ses ossements et de ses dents est importante. L’os pénien est absent, le sexe n’a donc pu être déterminé de manière certaine (Lalaï, dans Motte et alii, 2002, p. 100).
318. Individu de la place Varillon, cf. I.2.
329. Cet individu provient de la campagne de fouilles 2021 du site programmée du Clos de la Visitation. Non observé à la fouille, il n’a été découvert que lors de l’inventaire détaillé du matériel en post-fouille. Il provient d’un gros niveau de remblai daté de la première moitié du iie siècle ap. lorsque l’espace est réaménagé pour l’installation de la caserne de la cohorte urbaine. Cependant, ces remblais contiennent également du mobilier céramique typique du ier siècle ap. De plus, ce squelette n’a pas été observé en connexions anatomiques sur le terrain et nombre de petits ossements sont absents. Il est donc possible qu’il s’agisse d’une sépulture remaniée du ier siècle ap. L’individu est un mâle (os pénien retrouvé). Soixante ossements lui ont été attribués pour une représentation très complète des différentes parties du corps. Les mesures sur les humérus, les fémurs et les tibias indiquent une hauteur au garrot de 24,5 cm en moyenne, soit une taille très réduite. Les largeurs importantes des extrémités des os des membres ainsi que la présence d’insertions très marquées des ligaments et des tendons indiquent un individu robuste. Enfin, aucune trace anthropique n’a été observée (Creuzieux, dans Clément et alii, 2021).
3310. L’animal a été mis au jour durant les fouilles du 21 rue des Farges, au sein du lycée Saint-Just. Il a été trouvé en connexion anatomique dans un niveau de remblais daté entre le ier et le iie siècle ap. Le squelette est entier et les humérus présentent leurs articulations distales soudées et leurs articulations proximales non soudées, ce qui indique un individu âgé entre 10 et 12 mois au moment de sa mort. L’absence d’os pénien et le prélèvement très minutieux plaident pour une femelle. En raison du stade de développement osseux, la taille au garrot n’a pas été estimée. Son format semble toutefois moyen. Aucune particularité n’a été relevée sur le squelette (inédit, obs. pers.). L’absence de contexte précis ne permet pas de statuer sur les raisons de sa mise en terre en ce lieu.
3411. Le premier chien du quartier Saint-Pierre de Vaise date des années 100-150 ap. Il a été mis au jour dans un niveau de colluvionnement, sans creusement associé. Il est entier et il s’agit d’un mâle mature d’environ 24 à 30 mois. Sa hauteur au garrot oscille entre 51 et 55 cm selon l’os pris en compte. Une fracture du fémur non soignée associé à quelques absences, notamment des mandibules, ainsi que l’observation de stries au niveau de métacarpes et des métatarses permettent à l’auteur d’exclure l’hypothèse d’une inhumation et d’évoquer un animal écorché et rejeté sans soins au bord de la voie (Olive dans Delaval et alii, 1995, p. 58).
3512. Le chien de la place Antonin Poncet a été découvert dans un paléochenal comblé au iie siècle ap. L’individu était entier et semble adulte. En l’absence d’étude zoologique détaillée, les informations recueillies l’ont été uniquement par l’intermédiaire de la photographie présente dans le rapport (Burnouf et alii, 1985, fig. 2). Le squelette n’ayant pas été retrouvé, la morphologie de l’animal n’a donc pas pu être précisée. Sa présence dans le comblement d’un ancien bras du Rhône suggère un individu rejeté sans soins et probablement pour des raisons d’hygiène.
3613. Cet individu n’apparaît que par une mention et le squelette n’a pas été retrouvé. Aucune information ostéologique n’a donc pu être obtenue. Les seules informations sont sa mise au jour dans un niveau lié à l’habitat et une datation comprise entre le ier et le iiie siècle ap.
3714. Le second chien du site de Saint-Pierre de Vaise date des iie-iiie siècles ap. Il a été mis au jour au bord d’une voie, dans une fosse dédiée et avec un vase ovoïde déposé entre les pattes. Sa taille au garrot est comprise entre 47,5 et 49,5 cm (hauteur obtenue à partir de la grande longueur de l’ensemble des os longs). Il s’agissait d’un mâle car son os pénien a été identifié. Une fracture ressoudée proprement apparaît sur un humérus. L’hypothèse présentée par l’auteur est celle d’un chien bien traité de son vivant, inhumé avec soin et accompagné de sa gamelle, donc d’une véritable sépulture (Olive, dans Chastel et alii, 1995, p. 65-66).
3815. Cet individu est issu des fouilles de l’Hôtel de Gadagne et a été mis au jour dans le radier de fondation d’un hypocauste daté de la seconde moitié du iie siècle ap. Il présente des traces de combustion au niveau des entrailles. Un dépôt de fausses monnaies a été retrouvé en association avec le squelette. L’état de conservation n’a pas permis une prise de mesures mais l’animal est de taille moyenne à petite pour une robustesse relativement marquée. Les interprétations concernant cet individu sont délicates et aucune n’a été privilégiée par l’auteur. Le dépôt et la combustion partielle pourraient être des indices d’une pratique rituelle en lien avec la fondation du bâtiment, cependant aucune hypothèse n’est écartée (Argant dans Becker et alii, 2006).
3916. Ce chien a été mis au jour au sein d’une zone d’inhumations humaines, en rive gauche du Rhône et est daté de la fin du Bas-Empire ou du début du Haut Moyen Âge. Aucun creusement n’a été repéré. Le squelette était en connexions anatomiques strictes et la position indique une décomposition en pleine terre. L’analyse biologique n’a pu être réalisée, l’estimation de la hauteur au garrot – environ 60 cm – a donc été réalisée à partir de la photographie présente dans le rapport. Les contraintes observées sur le squelette ainsi que la présence d’une boucle en bronze sont des éléments montrant que ce chien a peut-être été enveloppé dans un tissu lorsqu’il a été enterré. L’auteur de l’étude précise qu’il s’agirait d’un traitement soigné pour un animal familier (Lalaï dans Cécillon dir., 2000, p. 49), autrement dit d’une véritable sépulture.
4017. L’individu de la place de la Bourse date de la transition des iie-iiie siècles ap. Le contexte de découverte de ce squelette fragmentaire n’est pas précisé et aucune information chiffrée ou concernant sa morphologie n’a pu être relevée. Le choc cicatrisé visible sur le crâne fait dire à l’auteur qu’il pourrait s’agir d’un individu errant rejeté sans soins après sa mort (Forest, dans Arlaud et alii, 1990).
4118. Le premier chien de la place du 158e Régiment d’infanterie a été mis au jour dans le comblement d’un égout daté du premier tiers du iiie siècle ap. Non repéré sur le terrain, les observations concernant la position exacte du corps n’ont pu être menées. Cependant, un ramassage minutieux a permis la récupération d’une grande partie du squelette : quatre-vingts ossements lui ont été attribués avec certitude, dont des petits fragments. En raison de sa découverte au cours de l’analyse ostéologique en post-fouille, l’absence d’os pénien ne permet pas d’affirmer qu’il s’agisse bien d’une femelle. La hauteur au garrot est d’environ 47 cm et n’a été calculée qu’à partir des membres antérieurs (radius et humérus) en raison de la présence de nombreux stigmates d’infections et de traumatismes ayant déformé les os des membres postérieurs. Cet état sanitaire très dégradé et sans soins apparents ainsi que son rejet dans un égout abandonné indiquent très probablement un animal errant (étude en cours, obs. pers.).
4219. Le second individu de la place du 158e Régiment d’infanterie provient du même comblement que le chien précédent. L’absence d’observations sur le terrain et le prélèvement partiel (une cinquantaine d’ossements appartenant principalement au squelette axial) ont grandement réduit les informations récoltées. La robustesse et la taille semblent toutefois moyennes. En l’absence d’os des membres, aucune mesure n’a pu être réalisée. Comme l’individu précédent, le contexte semble indiquer le rejet d’un individu errant (étude en cours, obs. pers.).
43La très grande majorité est donc composée d’individus matures, soit un peu plus de 80 % du corpus, tandis que la distribution entre mâles et femelles est équivalente en prenant en compte les individus dont la distinction est attestée : six mâles, cinq femelles.
44À partir des données collectées, plusieurs catégories de traitements post-mortem peuvent être mises en évidence. Trois aspects ont tout particulièrement été observés : le contexte des sépultures avec une première approche sur les lieux d’inhumation, le type de mise en terre et enfin le matériel associé au squelette. Dans une seconde partie, la discussion porte sur les différentes morphologies et fonctions des chiens dans l’Antiquité et notamment la place des individus de très petite taille, comme ceux de Varillon et de la Quarantaine.
45La question des lieux d’inhumation des animaux est un sujet récurrent pour les cités de Gaule romaine. Si des zones funéraires ont clairement été définies au sein du territoire d’une cité pour la mise en terre des êtres humains, ce n’est pas le cas pour les autres espèces animales. Durant la période romaine, seules deux espèces domestiques semblent faire l’objet de traitements particuliers : le cheval et le chien. Leur statut à part au sein du monde animal leur accorde des égards vis-à-vis de leur traitement post-mortem. Cet aspect est souligné par Pline qui les cite comme les rares animaux qui vivent en société avec l’Homme (Hist. Nat., VIII, 61). Ce sont les seuls animaux, avec les singes – dont trois exemples ont été mis au jour en Gaule romaine (Gerber, Baudry-Dautry, 2012, p. 42 ; Sabrié, Sabrié, 2011 ; Liéger dir., 1997, p. 88) –, à faire l’objet de véritables gestes funéraires. Ce statut singulier a également entraîné un interdit culturel ou d’usage de consommation, notamment pour les chiens, bien que la cynophagie comme l’hippophagie ne disparaissent jamais totalement des pratiques alimentaires (Renaud, 2012, p. 87).
46Aucune règle stricte ne semble prévaloir quant à l’emplacement des sépultures, que ce soit pour les chiens comme pour les équidés. À Lugdunum, la répartition spatiale des squelettes en position primaire et pouvant être interprétés comme des dépôts volontaires montre l’existence de plusieurs types de contextes (fig. 9).
Fig. 9. Carte de répartition des squelettes de chiens entiers et sub-entiers, de la création de la colonie au ive s. ap. J.-C.
DAO : A. Creuzieux, d’après ©Alyas.
- Sur les dix-neuf individus concernés par notre étude, on remarque que plusieurs exemples apparaissent dans les espaces funéraires dédiés aux humains (six attestations dans les zones en gris sur la figure 9), sans toutefois refléter une pratique majoritaire. On peut citer les exemples des chiens du quartier Saint-Pierre de Vaise (nos 11 et 14), celui d’Abbé Larue, inhumé près d’urnes cinéraires et déposé contre le rempart (n° 4), celui un peu plus tardif des rues Rochette et Chevrier en rive gauche du Rhône (n° 16), la tombe en limite de la zone funéraire de la Place Wernert (n° 5) ou encore celui de la place Varillon présenté dans cet article (n° 8, cf. I.2.1.). Cette localisation dans, ou à proximité immédiate du monde des morts des humains est particulièrement significative de la considération portée à cet animal. Cette proximité illustre le passage du chien de simple animal à un membre à part entière de la famille. Pour les autres espèces en Gaule, ce type d’emplacement n’est réellement documenté qu’avec l’inhumation d’un singe magot (Macaca sylvanus) dans une fosse individuelle de la seconde moitié du iiie siècle ap. et localisée en bordure d’une zone funéraire sur le site de la rue des Caillons à Poitiers (Gerber, Baudry-Gautry, 2012, p. 45). Comme dans le cas de certains chiens, ce singe était probablement considéré comme un individu singulier, ce qui lui a octroyé le privilège d’être inhumé à proximité des humains. À Lugdunum, il est particulièrement intéressant de signaler l’absence de chiens inhumés en association directe avec des squelettes humains. À ce stade des découvertes, seule la présence de sépultures individuelles au sein de zones à vocation funéraire est documentée (cf. supra). Par extension, il n’y a pas non plus été mis au jour d’association entre sépultures de chiens et d’enfants à Lugdunum. Cette pratique est pourtant un phénomène bien connu et documenté dans d’autres régions. Des exemples marquants apparaissent sur l’actuelle place des Carmes à Augustonemetum (Clermont-Ferrand) pour la période augusto-tibérienne, tout comme à Aulnat avec le chien à la laisse et collier9, rue Turgot à Dijon (Pelletier, 1992) ou encore sur l’emplacement du parking Rambuteau à Mâcon (Barthélemy, Pelletier, 1995, p. 69), pour ne citer que les exemples marquants et peu éloignés. Si l’aspect psychopompe du chien est clairement établi dans la littérature antique et très bien mis en évidence dans le cas des inhumations conjointes entre enfants et chiens, les exemples connus à Lyon illustrent davantage la proximité entre l’animal et son maître, plutôt que le rôle d’accompagnement du défunt dans l’au-delà.
- Le second type de lieu recueillant des squelettes est l’habitat de la ville haute. Certains individus ont été mis au jour dans des espaces ouverts au sein même de la trame urbaine, qu’il s’agisse d’espaces privés ou de zones ouvertes proches de bâtiments publics. Les exemples de cette catégorie sont le chien du lycée Saint-Just (n° 10, fig. 9) celui de la rue des Farges (n° 13), deux du « pseudo-sanctuaire » de Cybèle (nos 2 et 3), ainsi que celui récemment mis au jour du Clos de la Visitation (n° 9). À l’exception de ce dernier, ces cas proviennent de fouilles anciennes et ont été découverts durant une période où les problématiques liées au traitement funéraire des animaux ne suscitaient pas d’engouement aussi marqué qu’aujourd’hui. Seul le chien du sondage B7 du « pseudo-sanctuaire » de Cybèle a fait l’objet d’une étude archéozoologique complète (n° 1)10. Les lacunes relatives aux contextes de ces inhumations est un frein particulièrement handicapant pour la compréhension des raisons de leur présence au sein même de la ville, la localisation dans un espace ouvert à l’arrière d’une habitation n’ayant pas la même signification qu’une mise en terre dans un espace ou un puits abandonné, qu’ils soient dans une zone de sanctuaire ou simplement au bord d’une voie. Il est toutefois intéressant de constater que ces inhumations intra-muros apparaissent à deux périodes : l’époque augustéenne et le iie siècle ap. Si la faible densité de l’espace urbain pourrait être un élément de réponse dans le cas de la première, elle n’est plus valable pour les autres exemples du second siècle où le tissu urbain est bien plus dense. Ces différences pourraient s’expliquer par une évolution des pratiques hygiénistes au cours du Haut-Empire, qu’elle ait été coercitive ou simplement liée aux usages. Malheureusement, ce sont justement ces individus dont les squelettes n’ont pu être retrouvés, en raison d’une absence de suivi rigoureux des collections prélevées à l’époque. Il en résulte donc une documentation moins précise qui ne permet pas à l’heure actuelle de mettre en évidence d’éventuelles différences morphologiques, de sexe, de modes de mise en terre ou encore la présence de pathologies entre les chiens de la ville haute et ceux inhumés à l’extérieur des remparts. Ces informations seraient en effet précieuses pour obtenir un aperçu des traitements réservés à chaque catégorie d’individus. Quoiqu’il en soit, les sépultures qui ont véritablement fait l’objet d’une attention particulière ont pratiquement toutes été mises au jour en zone péri-urbaine. On pense notamment au chien du quartier Saint-Pierre de Vaise et sa gamelle, à celui enveloppé dans un linceul en rive gauche du Rhône, ou encore aux deux petits spécimens présentés dans cet article et inhumés au sud de la ville haute (numéros encadrés sur la carte, fig. 9). Inhumer son chien à l’intérieur de la ville ne semble donc pas être la conséquence d’un attachement plus important entre le maître et son animal que dans le cas des autres individus. De plus, dans d’autres cités de Gaule romaine, il a été documenté l’évacuation de cadavres d’animaux errants dans des espaces ouverts ou l’abandon au cœur même de l’habitat, comme à Lattara pour des niveaux datés du ier siècle av. (Gardeisen, 2008, p. 191). La présence de chiens enterrés près de l‘habitat pourrait donc résulter de raisons pratiques en profitant d’un espace libre, plus que d’une véritable volonté de conserver l’individu proche des lieux de vie des maitres.
- Le troisième type de contexte à souligner est celui des quartiers à vocation artisanale. Dans cette catégorie entrent le chien de la Montée de la Butte, inhumé dans une zone de fabrication d’objets en verre (n° 7), le petit chien de la Quarantaine (cf. supra, n° 6) ou encore celui de Vaise ‘Industrie nord-tranche 5’ (hors carte au nord ; Creuzieux, Cécillon et alii, en prép.). La présence de sépultures canines dans ces quartiers peut s’expliquer par l’emplacement des activités artisanales en zone péri-urbaine. Les ateliers de verriers, de potiers ou de forgerons occasionnent des nuisances, sonores et olfactives, et sont donc traditionnellement rejetées à l’extérieur de la ville, à faible distance des remparts. Ces quartiers péri-urbains sont également des lieux ou la trame urbaine est plus lâche que dans la cité elle-même, surtout lorsque l’habitat sur Fourvière se densifie au cours du ier siècle ap. Il devient donc plus compliqué de trouver un espace non occupé permettant d’enterrer des animaux au sein de la ville haute. Les zones qui semblent les plus adaptées sont alors ces quartiers péri-urbains, majoritairement artisanaux ; il est donc logique d’y retrouver une partie du corpus des sépultures canines.
- Enfin, et comme dans le cas des sépultures humaines, les inhumations canines sont souvent localisées à proximité d’un axe majeur d’accès à la cité. Les voies de l’Océan, d’Italie ainsi que le tronçon longeant le rempart sud comptabilisent six squelettes, soit environ un tiers de l’échantillon analysé (fig. 9).
47En diachronie, une évolution intéressante apparaît. La grande majorité des sépultures de la période augustéenne (dont les numéros sont indiqués en rouge sur la carte, fig. 9), sont présentes dans la ville haute, ou contre le rempart dans le cas d’Abbé Larue. Lorsque l’on avance dans le ier siècle, on constate que les lieux d’inhumations sortent davantage des limites de la ville haute et se retrouvent en zone péri-urbaine (en bleu), comme le montrent les deux exemples présentés dans cet article. Au cours du iie siècle ap. (en vert), les deux chiens de la rue des Farges indiquent que la gestion des dépouilles au sein de la ville haute n’est pas abandonnée, tandis que l’individu du quartier Saint-Pierre de Vaise et celui de la place Antonin Poncet, tous deux enterrés sans soins particuliers, illustrent la volonté de rejeter les cadavres en périphérie. Pour le Bas-Empire enfin (en noir), les squelettes entiers apparaissent à Vaise, sur la rive droite de la Saône ainsi qu’en presqu’île, et suit donc l’évolution de l’habitat avec le développement des nouveaux quartiers. Compte tenu des effectifs très réduits pour chaque période, cette évolution n’est bien sûr qu’un aperçu qu’il conviendra de confirmer ou d’infirmer à l’appui de futures découvertes, mais elle semble parfaitement logique au regard de l’évolution de la trame urbaine de la cité.
48L’image renvoyée par l’analyse spatiales de ces mises en terre à Lugdunum est donc celle d’une volonté de rejeter majoritairement les inhumations canines à l’extérieur de l’enceinte, et ce à partir du moment où la trame urbaine de la ville haute se densifie après la période augustéenne. La localisation en zone péri-urbaine, proche des axes de circulation, semble répondre à des contraintes très pragmatiques d’ordre sanitaire, ou tout simplement en raison d’une meilleure accessibilité.
49Il faut garder à l’esprit que mettre en évidence l’intentionnalité positive d’une mise en terre est compliqué. Dans la plupart des cas, seuls les matériaux associés permettent de l’attester, comme c’est le cas des chiens de Saint-Pierre de Vaise et des rues Rochette-Père Chevrier ou encore de la place Varillon. Au contraire, la nature des contextes comme des puits ou des fosses-dépotoirs, peu compatibles avec la constitution d’une sépulture, permet d’envisager des gestes sanitaires. Dans bien des cas, il est impossible de trancher.
- Les données recueillies montrent que la catégorie de mise en terre la plus fournie est celle des individus inhumés en pleine terre, dans une fosse individuelle creusée spécialement pour accueillir l’animal et sans autre matériel retrouvé associé au squelette. L’exemple le mieux documenté est le chien de la Montée de la Butte, mis au jour dans des niveaux de dépotoir d’un quartier de verriers (Lalaï dans Motte et alii, 2002). La fosse, d’environ 90 cm de longueur sur un peu moins de 50 cm de largeur, contenait un chien robuste et de grand format atteignant 60 cm au garrot. D’autres chiens comme ceux du Lycée Saint-Just, ceux du « pseudo sanctuaire » de Cybèle ou d’Abbé Larue, ont bien été inhumés dans des fosses individuelles, mais les contours exacts de leurs creusements n’ont pu être déterminés (Monin, com. pers. ; Forest dans Desbat et alii, 1999 ; Argant dans Monin et alii, 2015, p. 331). Cette pratique est également la plus répandue dans le reste de la Gaule pour ce qui concerne les individus pouvant être interprétés comme volontairement enterrés (Bel et alii, 2009, p. 84). Le choix de cette mise en terre isolée et sans matériel non périssable reflète le statut singulier de cette espèce. Les chiens jouissent d’un statut à part au sein du monde animal et le fait qu’ils soient enterrés entiers dans des fosses dédiées les distinguent de fait des autres animaux, notamment des espèces consommées comme celles de la triade (bovins, porcins, caprinés) qui constituent la très grande majorité du matériel faunique des sites lyonnais. Cependant, et malgré cette particularité, la majorité des mises en terres se résument à un simple creusement adapté à la taille de l’individu. Ils ne bénéficient donc pas, pour la plupart, des égards accordés aux humains. Cela est parfaitement visible avec leur présence dans les zones funéraires, mais toujours en périphérie.
- La seconde catégorie correspond aux individus enterrés dans une fosse individuelle avec du matériel directement associé au squelette. Il s’agit des chiens du quartier Saint-Pierre de Vaise et du sondage B7 de ‘Cybèle’ avec leur céramique entre les pattes (n° 1 et n° 11, fig. 9 ; Olive dans Chastel et alii, 1995, p. 65 ; Desbat, com. pers.), de la place Varillon avec son collier à appliques en bronze et sa cruche en céramique (cf. I.2.3), ainsi que celui des rues Rochette et Chevrier avec la boucle en bronze (Lalaï dans Cécillon dir., 2000). Ce dernier cas est un peu différent des deux précédents en ce sens que cette boucle pourrait être une attache d’un tissu ayant servi à envelopper l’animal et non pas à proprement parler un objet déposé avec l’individu. Quoiqu’il en soit, la mise en terre avec du matériel non périssable apparaît occasionnellement sur l’ensemble de la période et ne constitue donc pas une pratique majoritaire.
- La pratique suivante est celle de la mise en terre dans un contenant. Elle n’est représentée que par l’individu de la rue de la Quarantaine dans sa marmite. Pour Lugdunum, il n’est pas étonnant que ce soit l’individu le plus petit de tous les squelettes de chiens mis au jour qui ait fait l’objet de ce type de traitement. On aurait donc profité de son format réduit pour l’inhumer dans un objet domestique de tous les jours, reconverti de manière opportuniste en contenant funéraire. Il est à noter qu’aucune amphore, occasionnellement utilisées dans le cas de sépultures humaines d’individus immatures, n’ait été retenue pour les chiens. En revanche, il faut citer l’utilisation d’un fragment d’amphore de Bétique pour recouvrir le crâne d’un chien sur le site de l’îlot Gril dans la cité de Nemausus-Nîmes (Bel et alii, 2009, p. 87). Le choix d’une marmite comme contenant funéraire est donc inédit en Gaule romaine. Si de rares individus apparaissent dans de véritables coffrages, qu’ils soient en tegulae ou en pierres, comme sur l’avenue du Maréchal Juin (Fiches, Veyrac dir., 1996, p. 450) et sur le site de Saint-André-de-Codols (Bel et alii, 2009, p. 86), toujours dans la cité de Nemausus, aucun n’a été mis au jour à l’intérieur d’une céramique. Un parallèle peut être cité dans la nécropole de Louvres (Val-d’Oise) où un chiot a été déposé dans une céramique en association avec une sépulture d’enfant (Lepetz, 2021). Enfin, en élargissant la zone géographique, un chien de petite taille récemment découvert dans le sud de l’Espagne près de Cordoue a également été inhumé dans une céramique. Cependant, et à l’image de l’exemple précédent, ce chien hispanique était immature et est mort à environ 3 mois dans ce qui a probablement été un épisode de sacrifice en lien avec une inhumation humaine (Sanchez et alii, 2020). Il est à noter qu’aucun chien, ni aucun animal de manière générale, n’a été inhumé dans un contenant céramique fabriqué spécialement pour l’occasion. L’exemple de la Quarantaine illustre l’utilisation d’un remploi et constitue le seul exemple de ce genre. Cet aspect démontre que si les chiens jouissent de traitements post-mortem singuliers au sein du monde animal, ils ne reçoivent cependant pas les mêmes traitements que des êtres humains adultes, incinérés et recueillis dans des urnes adaptées et spécialement fabriquée pour l’occasion. En revanche, il est intéressant de noter les similitudes des pratiques funéraires canines avec les traitements post-mortem des humains immatures, notamment le recours à l’inhumation, la localisation dans et en dehors de l’habitat, ou encore la faible quantité de matériel associé aux défunts. Cette proximité est parfaitement illustrée par les exemples d’associations des squelettes d’enfants et de chiens, très souvent immatures eux aussi, comme sur les sites de la place des Carmes à Augustonemetum (Clermont-Ferrand) ou de la rue Turgot dans la cité antique de Divio (Dijon ; Pelletier, 1992). Pour ces exemples, les chiens ont été sacrifiés à la mort de l’enfant afin de l’accompagner dans la tombe comme le montrent leurs âges très peu avancés. Ce type de pratique n’a pas été mis en évidence jusqu’à présent pour la cité de Lugdunum.
- Une quatrième catégorie peut être définie : celle des cadavres rejetés dans des puits, d’anciennes canalisations ou dans des fossés, sans avoir fait l’objet d’une mise en terre soignée. En raison des contextes de découverte, ces squelettes sont parfois perturbés ou fragmentaires. Ces individus ont très souvent été évacués entiers et n’ont fait l’objet d’aucun traitement funéraire. L’objectif de ces rejets est de se débarrasser rapidement et facilement du cadavre, sans avoir à creuser une fosse. Ce type de pratique est la conséquence d’un statut différent de ces chiens par rapport à ceux des catégories précédentes et l’on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agissait d’individus errants. L’exemple le plus marquant apparaît dans les niveaux de la fin du iie siècle dans le quartier Saint-Pierre de Vaise et qui a été rejeté dans un dépotoir alimentaire après avoir été dépouillé (n° 14, fig. 9 ; Olive dans Chastel et alii, 1995, p. 58). Les deux chiens mis au jour en 2021 sur le site du 158e Régiment d’infanterie sur le plateau de la Sarra (nos 18 et 19, fig. 9), illustrent le rejet au début du iiie siècle ap. J.-C. de deux cadavres dans un ancien égout abandonné et utilisé comme dépotoir (Creuzieux dans Hofmann et alii, en prép.). L’un des deux individus était très âgé et présentait de nombreuses fractures et pathologies indiquant probablement un statut de chien errant.
50Cette pratique hygiéniste d’évacuation des cadavres, que ces derniers aient été exploités ou non, était courante dans le monde gallo-romain et ne se limitait pas aux chiens. Des exemples d’autres espèces ont été observés, notamment pour les équidés dans ce même contexte du quartier Saint-Pierre ou encore rue de Bourgogne et au Boulevard Périphérique nord pour Lugdunum (Argant dans Monin et alii, 2007, p. 176 ; Forest dans Speller et alii, 1996, p. 23 ; Forest dans Frascone, 1999, p. 119-121), mais aussi à Autricum-Chartres (Lepetz et alii, 2013, p. 225). D’autres espèces, plus rares, sont également à citer comme les mustélidés : rue Jarente (Creuzieux dans Bertrand et alii, 2016), le putois (Mustela putorius) et le blaireau (Meles meles) à Lattes (Renaud, 2014, p. 310), la belette (Mustela nivalis) et l’hermine (Mustela erminea) à Nemausus (Renaud, 2014, p. 310 ; Rodet-Belarbi dans Barberan et alii, 2014, p. 279), ou encore les chats, chiens, et autres animaux évacués en entier dans des puits abandonnés à Ambrussum (Belhaoues et alii dans Fiches dir., 2012). Cette forme de gestion des carcasses apparaît symptomatique d’une absence d’attachement de la part de l’Homme.
51Pour revenir au chien, lorsque certains individus ont été soigneusement inhumés, d’autres au contraire n’étaient considérés que comme des déchets et ont donc été évacués comme tels, dans des zones dépotoir au même titre que les reliefs de repas, et bien souvent dans les mêmes niveaux. Cependant, il faut noter qu’à Lugdunum, ces évènements sont systématiquement ponctuels et ne concernent que quelques individus au maximum. Il s’agit donc davantage d’une pratique opportuniste, profitant de la présence d’un espace abandonné pour le rejet d’une carcasse encombrante, que d’une véritable organisation du rejet des cadavres. À Lugdunum en effet, aucun grand dépôt multiple n’a été mis en évidence. Cette pratique apparaît dans d’autres cités comme à Nemausus-Nîmes où l’on dénombre trois dépotoirs contenant entre trente et quarante individus, datés entre la fin du ier siècle et le milieu du iiie siècle ap. (Barberan et alii, 2014, p. 219 ; Rodet-Belarbi dans Barberan et alii, 2014, p. 397 ; Gardeisen, 1993, p. 124). Sur le site de Lattara, une trentaine de chiens ont été retrouvés en connexion anatomique dans un même puits de la fin du ier siècle ap. (Valenzuela, Gardeisen, 2005, p. 253), tandis que dans le relais routier d’Ambrussum, quarante-six individus apparaissent également dans un puits comblé à partir de la seconde moitié du iie siècle ap. (Belhaoues dans Fiches dir., 2012, p. 309). Cette pratique n’était pas limitée aux régions méridionales et se retrouve également à Aoste, une agglomération secondaire proche de Lugdunum, où trente et un individus ont été rejetés dans une fosse dépotoir au milieu de déchets alimentaires (Lamarque, 2019 ; Silvino et alii, 2019, p. 47). Les cadavres de chiens apparaissant dans ces niveaux présentent une grande diversité de tailles et de robustesses, ainsi qu’une répartition des âges très dispersée. Une telle concentration de squelettes n’apparaît pas à Lugdunum. Quelques rares zones de rejets ponctuels dans des puits ou des dépotoirs ont été documentées, mais toujours pour des nombres de restes très faibles, sans commune mesure avec les concentrations listées précédemment. On peut citer les exemples du Boulevard Périphérique nord de Lyon, ou encore du 27 de la rue A. Comte et du 4 rue Saint-Didier, pour lesquels des os isolés ou des portions plus ou moins complètes ont été découverts dans des puits ou des talwegs (Forest dans Speller et alii, 1996, p. 23 ; Argant dans Carrara et alii, 2014, p. 208 ; Argant dans Silvino et alii, 2012, p. 120). Ces observations impliqueraient que les grandes zones dépotoirs n’ont pas encore été mises au jour, ou qu’il n’existait pas de pratiques comme celles citées ci-dessus, qui consistent à regrouper les carcasses des individus errants morts à un endroit bien ciblé, qu’il soit à l’intérieur de la cité dans des puits ou des égouts abandonnés, ou bien en proche périphérie. Selon cette dernière hypothèse, aucune organisation à grande échelle n’aurait alors existé pour gérer l’évacuation des cadavres de chiens, uniquement des rejets ponctuels et opportunistes.
- Enfin, et bien que les traces archéologiques perceptibles soient très rares, il est important d’évoquer l’évacuation directe des cadavres dans les cours d’eau. Si de rares attestations montrent que les déchets d’artisanat y étaient bien rejetés, comme c’est le cas notamment des restes d’une boucherie bovine de l’époque augusto-tibérienne sur les quais de Saône (Creuzieux dans Bernot et alii, à paraître), il est tout à fait envisageable que cela ait également été une pratique courante dans le cas des dépouilles de chiens, notamment les individus errants ou ne suscitant qu’un attachement peu marqué. L’exemple de l’individu de la place Antonin Poncet découvert dans un paléochenal et daté du iie siècle ap. représente l’unique exemple lyonnais de chien jeté dans un cours d’eau et fouillé (n° 12 ; Burnouf et alii, 1985, pl. VIII). Cet aspect pourrait être un élément de réponse expliquant le relatif faible nombre de squelettes entiers mis au jour pour une période d’occupation longue de plusieurs siècles, ainsi que cette absence de grands dépotoirs habituellement rencontrés dans d’autres cités de Gaule romaine.
52Pour certaines de ces mises en terre, du matériel directement associé au squelette a été mis au jour. Cette caractéristique permet de les interpréter comme de véritables sépultures. Qu’ils soient en céramique ou en métal, ces objets n’apparaissent que sporadiquement dans les tombes et ne constituent pas la norme, que ce soit à Lugdunum comme dans les autres provinces de l’Empire (Bel et alii, 2009, p. 86). Pour la capitale des Gaules, plusieurs exemples sont à noter :
53Les trois premiers sont ceux pour lesquels une céramique a été retrouvée entre les pattes de l’animal. C’est le cas au quartier Saint-Pierre de Vaise, pour le chien B7 de ‘Cybèle’ comme pour le chien de la place Varillon (cf. supra, I.2.2.). Cette disposition fait immédiatement penser à un lien particulier entre le chien et l’objet. Le vase étêté de Saint-Pierre de Vaise a d’ailleurs été interprété comme l’écuelle de l’animal (Olive dans Chastel et alii, 1995, p. 65, fig. 31). Cependant, l’absence d’informations concernant l’exemplaire de ‘Cybèle’ ne permet pas d’émettre d’hypothèse.
54La tombe de la place Varillon a la particularité de posséder un second objet directement associé au squelette. Il s’agit du collier, retrouvé en position fonctionnelle (cf. II.2.2.). Cette pratique n’a été que rarement observée dans le monde romain. Un premier parallèle a été documenté lors des travaux de construction du métro d’Athènes, place Syntagma (Παρλαμά, Σταμπoλίδης, 2000, p. 157, fig. 10), et qui date de la même période que la tombe de la place Varillon, à savoir le ier siècle ap. J.-C. Les différences avec l’exemple lyonnais résident dans le fait qu’il s’agit d’une « laisse richement ornée de boutons en bronze », alors que celui de Lugdunum ne semble pas avoir eu de système d’attache. De plus, le format du chien grec est bien plus imposant et son mode d’inhumation, dans une tombe construite en briques, diffère grandement. Le second exemple est beaucoup plus proche géographiquement. Il s’agit de la tombe humaine découverte très récemment sur le site d’Aulnat et qui date de la période augusto-tibérienne. Cette tombe, très riche en matériel pour cette époque, contient le squelette d’un chien immature avec son collier à clochette autour du cou. Le parallèle s’arrête également à cet aspect car cet individu est immature et a été déposé dans une tombe d’enfant. Il a donc probablement été sacrifié afin d’accompagner le défunt, remplissant ainsi l’éventuel rôle psychopompe de cet animal durant l’Antiquité et évoqué précédemment (Lepetz, 1996b, p. 148). Cette fonction n’est pas applicable à l’individu de la place Varillon. Au-delà de leurs singularités, ces deux exemples de colliers sont à notre connaissance les seuls cas réellement comparables à celui de la place Varillon pour le Haut-Empire dans le monde romain.
55Une dernière attestation de mobilier associé consiste en la mise au jour à Lugdunum d’une attache en bronze retrouvée en association avec le chien des rues Élie Rochette et Père Chevrier (Lalaï dans Cécillon et alii, 2000). Cet exemple, bien qu’un peu plus tardif que les autres, illustre une pratique supplémentaire car il pourrait être l’indice de l’enveloppement du cadavre dans un linceul. La disposition du squelette, notamment au niveau des membres, pourrait en effet correspondre à des contraintes occasionnées par ce type de traitement (ibid., p. 49).
56Seules quatre sépultures au total ont donc livré du matériel associé au squelette, soit un peu moins d’un cinquième des individus complets et sub-complets lyonnais. La pratique du dépôt d’objets dans les tombes de chiens n’était donc qu’un phénomène occasionnel. Ces résultats posent la question de la mémoire associée à ces inhumations. Il est en effet difficile, voire impossible, de déterminer si ces lieux de mise en terre étaient ou non des lieux de mémoire, comme c’est le cas pour une sépulture humaine. Si quelques rares stèles représentent ou sont associées à des chiens dans le monde romain, notamment celle de la nécropole du Valladas dans la Drôme (Bel et alii, 2002, p. 136), aucun marqueur de surface clairement associé à un animal n’a été observé à Lugdunum. Certaines pratiques réalisées lors de la mise en terre ou la présence de matériel associé sont alors les rares indices qui pourraient suggérer l’existence d’un éventuel recueillement. Les soins apportés à certaines sépultures (celui potentiellement enveloppé dans un linceul ou ceux présentant un collier ou une gamelle) semblent démontrer qu’il existait un réel attachement du maître pour son chien.
57D’une manière générale, et pour une même espèce, la diversité rencontrée dans la gestion des cadavres est très intéressante à signaler et souligne à la fois l’aspect singulier des relations entre l’être humain et le chien au sein du monde animal, ainsi que la dichotomie qu’il peut exister entre des individus choyés d’une part, et d’autres errants ou même potentiellement consommés d’autre part.
58Enfin, il faut noter la proximité des pratiques post-mortem entourant les enfants et les chiens : l’inhumation et non la crémation, la mise en terre dans une fosse individuelle ou l’association directe des dépouilles sont autant d’éléments montrant à quel point le chien tenait une place singulière dans le monde animal pour les habitants de l’Antiquité. Outre son aspect psychopompe il est le seul, avec le singe de manière plus anecdotique, à faire l’objet de véritables gestes funéraires. Il est également très intéressant de signaler qu’à Lugdunum, la quasi-totalité des squelettes mis au jour avec du matériel et quel qu’en soit le matériau (céramique, métal, etc.), apparaissent dans des zones à vocation funéraires et non dans l’habitat (numéros encadrés, fig. 9). Cette particularité renforce cette idée de gestes funéraires proches de ceux pratiqués pour les humains, et notamment les enfants, jusqu’à leur accorder une place à proximité immédiate du monde des morts.
59Cette diversité des pratiques funéraires rencontrée dans le monde gallo-romain est la conséquence de la grande variabilité des morphologies canines au sein de cette espèce. Cette variabilité est née des sélections humaines réalisées dans le but de multiplier les fonctions pouvant être exercées par les chiens. Il faut cependant bien garder à l’esprit que cet animal ne vivait pas automatiquement avec l’Homme, comme cela peut être le cas de nos jours dans le monde occidental. Les attestations ostéologiques rappellent à juste titre qu’il est également considéré comme un animal comestible ainsi qu’une offrande funéraire, et ce au moins jusqu’à l’Âge du Fer (Horard-Herbin, 1997, p. 65 ; Méniel, 2001, p. 55 ; Luce, 2008, p. 264). Ce statut singulier d’animal proche de l’Homme semble être intrinsèquement lié aux sociétés grecque et romaine. Ce n’est toutefois pas une généralité, notamment en Gaule, comme le montre la permanence de la cynophagie qui sera progressivement marginalisée mais qui ne disparaîtra jamais totalement, avant de redevenir une pratique moins exceptionnelle au début de la période alto-médiévale (Argant, 2001, p. 303).
60Pour Lugdunum, les nombreuses découvertes d’ossements en contexte archéologique mettent en lumière des individus dont la taille au garrot s’échelonne de 19 à 60 cm environ (fig. 8). On constate globalement la présence de trois formats : les petits et très petits chiens entre 19 et 35 cm, les chiens de taille moyenne entre 35 et 50 cm, et les grandes tailles de plus de 50 cm. À Lugdunum, toutes ces catégories sont représentées et la moyenne, obtenue à partir du corpus utilisé pour cet article, atteint environ 44,1 cm (chiffre obtenu à partir de douze individus, cf. fig. 8). La morphologie générale d’un individu pour une espèce à la diversité intra-spécifique aussi marquée ne peut être appréciée simplement à partir de la hauteur au garrot. Les indices de gracilité et des formats crâniens sont malheureusement des données beaucoup moins bien documentées en raison de conservations très inégales des têtes osseuses, ainsi que de l’absence d’observations ostéométriques pour les individus issus des fouilles anciennes. Il est cependant possible d’esquisser une première description générale, et le principal enseignement qui en ressort est une nouvelle fois l’existence de nombreuses morphologies distinctes, y compris au sein même des petits chiens.
61À Lugdunum, on dénombre donc au minimum trois chiens de très petite taille : celui de la place Varillon et celui de la rue de la Quarantaine, présentés ici, ainsi que celui du Clos de la Visitation. En élargissant le corpus aux os isolés, on note la présence d’un quatrième chien aux pattes courtes, bien que possédant une hauteur au garrot supérieure aux trois exemples précédent (35 cm), identifié grâce à un fémur isolé mis au jour rue Saint-Didier (Argant dans Silvino et alii, 2012, p. 120). Tous ces individus ont des morphologies différentes, et donc des aspects probablement bien distincts de leur vivant. Celui de la Quarantaine présente une courbure très marquée des zeugopodes, tout particulièrement les tibias (fig. 10, d), indiquant que ce chien était une forme naine (« dwarf » en anglais, à ne pas confondre avec l’autre forme dite « midget » et traduite également par « naine » en français, mais pour laquelle la courbure des os longs n’est pas observable, Baxter, 2010). La forme « midget », selon Baxter, serait à rapprocher des petits chiens de l’île de Melitaei évoqués par les auteurs anciens et notamment par Strabon (Géographie VI, II, 11). Celui de la place Varillon présente également une forme courbée mais moins prononcée de ses tibia, tandis que pour ses radius, elle est davantage marquée (fig. 10, c). Celui de la Visitation possède une taille similaire à l’individu de la Quarantaine ainsi qu’une courbure moyenne, mais est en revanche beaucoup plus robuste que ce dernier. Tous ces individus ne sont donc pas ces chiens de Melitaei aux os non courbés, mais plutôt des formes résultant d’une anomalie de croissance, à l’image des individus chondrodystrophiques, à ceci près qu’ils ne possèdent pas une robustesse aussi marquée que les chiens souffrant de cette pathologie (Baxter, 2010). Ces observations montrent donc que ces chiens seraient davantage à rapprocher d’une race actuelle comme le spitz allemand. L’individu de la rue Saint-Didier est proche de celui du Clos de la Visitation, autrement dit avec une courbure moyenne de ses membres, mais avec une robustesse encore plus marquée, qui le rapproche davantage de la race actuelle des bassets (Argant dans Silvino et alii, 2012, p. 120).
Fig. 10.
a. Mandibules (place Varillon) ; b. mandibules (rue de la Quarantaine) ; c. os du membre antérieur courbés (place Varillon) ; d. os du membre antérieur courbés (rue de la Quarantaine).
Clichés et DAO : A. Creuzieux.
62Les chiens de Varillon et de la Visitation ont également livré des informations en ce qui concerne la morphologie crânienne. Ils présentent tout deux une face raccourcie, typique de ces chiens de petites tailles (fig. 4, b). Cet aspect est également confirmé par la présence, sur leurs mandibules, d’un début de chevauchement de la carnassière et de la quatrième prémolaire. L’état de conservation des squelettes n’est malheureusement pas suffisant pour effectuer une analyse plus détaillée, notamment au niveau des proportions crâniennes et des robustesses mandibulaires. Cependant, et malgré ces lacunes, il est d’ores et déjà possible de signaler l’existence d’une variabilité à l’intérieur même de cette catégorie des très petits chiens antiques à Lugdunum, surlignant une fois de plus la richesse des morphologies canines durant la période romaine.
63Les données archéologiques confirment la rareté de ces morphologies dans les populations canines antiques et montrent que les chiens de moins de 25 cm au garrot ne représentent qu’une faible part de la population. Pour Lugdunum par exemple et d’après le corpus utilisé pour cet article, ce sont trois individus sur dix-neuf mis au jour dont l’estimation de la hauteur au garrot n’excède pas 25 cm. Il convient de signaler la présence de formats restreints, souvent compris entre 25 et 30 cm à l’âge adulte dans de nombreuses régions de Gaule ainsi que sur la péninsule italienne, en Brittanie ou encore en Hispanie, révélant une distribution géographique très large (Lepetz, 1996, p. 60 ; Belhaoues, 2012, p. 315 ; Valenzuela-Lamas, Gardeisen, 2005, p. 255 ; Gardeisen, 2012, p. 309 ; Zedda et alii, 2006, p. 323 ; Baxter, 2006, p. 12 ; Bennet, Timm, 2016, p. 109 ; Sanchez et alii, 2020 ; Colominas, 2016, p. 903). Enfin, il faut signaler l’existence d’un petit individu entre 20 et 25 cm au garrot qui a été découvert dans le thermopolium récemment fouillé à Pompéi11, mais pour lequel aucune information chiffrée ou descriptive n’est actuellement disponible. Malgré ces proportions restreintes au sein des populations canines, force est de constater que les petits et très petits chiens apparaissent dans l’ensemble du monde romain, illustrant ainsi l’existence d’un certain attrait pour les individus de ce format.
64Un aspect revient régulièrement dans les études sur les chiens en contexte archéologique : celui de la fonction de l’animal. Il est très compliqué d’interpréter les rôles des différents individus mis au jour lors de fouilles archéologiques. Les hypothèses sont variées et les éléments matériels peu nombreux pour permettre de se faire une idée précise. Plusieurs catégories comme les chiens de chasse, de berger ou encore de garde, ont été définies par les auteurs anciens comme Varon et Columelle (Res rusticae, livre II, 9 ; De re rustica, livre VII, 12). Elles ne semblent à première vue pas adaptées pour des animaux d’un format aussi restreint. Faute de pouvoir faire correspondre les petits individus à ces rôles, c’est la fonction de chien de compagnie qui vient directement à l’esprit et qui est quasi-exclusivement citée dans les rapports ou les publications. Le rôle de chien de compagnie est en effet bien attesté dans les textes et l’iconographie grecque comme romaine. On y voit des personnes portant de petits chiens sur leurs genoux ou encore des enfants jouant avec leur animal (Cattelin, 2015 ; Seigle, 2018). Si l’on peut effectivement exclure que les trois individus de la Quarantaine, de la Visitation et de Varillon aient joué le rôle de chien de garde ou de conduite de troupeau, il ne faut pas oublier que d’autres fonctions que la compagnie existaient à la période romaine, parfois oubliées de nos jours. La plus marquante est celle de ratier, afin de chasser les nuisibles des habitations ou des zones de stockage. Durant l’Antiquité, ce rôle incombait parfois à certains mustélidés comme les belettes ou les fouines (Amat, 2002). Si elle est aujourd’hui bien moins présente, c’est que ce rôle a été endossé par le chat, animal qui n’était pas encore très répandus au Haut-Empire (Bourlon-Gressier, 2017, p. 19). Son apparition dans les niveaux archéologiques est très rare avant le Moyen Âge, le chat domestique le plus ancien mis au jour à Lugdunum ne datant que du ive siècle ap. (Argant, 2001, p. 335). Une autre fonction, intrinsèquement lié aux petits chiens du Haut-Empire et notamment des deux individus de cet article, est celle de marqueur social, à l’image des « chiens de table » décrits dans l’Iliade et utilisés comme de véritables ornements aussi bien que comme « poubelles de table » (Homère, L’Iliade, livre XXVI, 66-76). Enfin, et de manière plus anecdotique, l’utilisation du chien pour le port de petites charges peut également être citée. Cette fonction, peu décrite dans la littérature antique, apparaît occasionnellement, comme dans le cas de la figurine du petit chien portant deux petits paniers ronds sur son dos, probablement remplie de fruits (Luce, 2008, p. 272).
65Limiter les chiens de petit format à un unique rôle de compagnon ne reflète donc pas suffisamment la diversité et la complexité des relations entre l’Homme et le chien. Enfin, il est intéressant de rappeler que des chiens de berger ou de garde sont aussi potentiellement des animaux dont les maîtres pouvaient profiter de la compagnie.
66Notre article avait pour objectif de documenter la diversité des pratiques entourant le traitement post-mortem des chiens de Lugdunum à la lumière de deux sépultures de petits individus du ier siècle ap. J.-C. La variété des contextes, la diversité des pratiques de mise en terre, la rareté des objets associés, ou encore la dichotomie entre un animal choyé et inhumé opposé aux individus dépecés et/ou consommés, sont autant de critères qui ressortent de cette étude et qui illustrent l’existence d’une multitude de relations entre l’Homme et le chien. Cette richesse, documentée archéologiquement pour Lugdunum, est largement dépendante du statut de l’individu en question ainsi que de son format. D’individus très robustes pouvant exercer les rôles de chiens de garde, de chasse, ou même de guerre, aux petits formats comme ceux de la rue de la Quarantaine et de la place Varillon et pouvant être utilisés comme ratiers ou marqueurs sociaux, le spectre des fonctions de cet animal est très vaste. Il n’existe donc pas « un », mais « des » chiens. Du point de vue de la fonction, un porc et un mouton, destinés à la consommation, ont bien plus en commun que deux chiens de formats différents, comme aujourd’hui un chihuahua n’a rien à voir avec un terre-neuve mis à part peut-être l’attachement que son maître peut lui porter. C’est durant l’Antiquité, grecque d’abord, et romaine ensuite, que cette diversité des formes et des fonctions a connu sa première explosion. Sans encore parler véritablement de races – terme largement associé à la période moderne – les chiens affichaient déjà plusieurs morphologies bien distinctes illustrant une diversité qui est de mieux en mieux documentée archéologiquement. Cette forte variabilité morphologique est la conséquence des sélections humaines.
- 12 Un sujet de doctorat sur cette question de l’évolution des morphologies canines est en cours de ré (...)
67Au sein de cette richesse anatomique, les deux exemples de la rue de la Quarantaine et de la place Varillon sont exceptionnels à plus d’un titre. Ils illustrent un pan singulier des relations entre l’Homme et le chien en Gaule romaine, à savoir le traitement post-mortem soigné des dépouilles, qui est loin d’être la pratique dominante pour cet animal. Contrairement à de nombreux individus de la même espèce, ces derniers ont fait l’objet de véritables gestes funéraires. Si les attestations de petits chiens en contexte archéologique sont de plus en plus nombreux pour ces périodes, c’est bien le soin apporté aux dépôts ainsi que le matériel qui leur est associé qui restent bien peu documentés. L’engouement actuel de la recherche pour ces problématiques montre la richesse et la diversité de ces interactions entre nos deux espèces ainsi que l’évolution progressive des pratiques entre la fin de l’Âge du Fer et la période gallo-romaine12.
68La multiplication des études ponctuelles et des synthèses, notamment sur la question du sacrifice et des associations de squelettes humains et canins, sont des aspects sur lesquels la recherche est en pleine émulation. Le sacrifice de ces chiens doit toujours être présent à l’esprit lorsque l’on se penche sur les traitements post-mortem de ces animaux. Cet aspect religieux est en effet omniprésent dans la vie des habitants de l’Antiquité, mais également dans la mort, comme en témoignent les inhumations canines associées à des sépultures humaines, bien souvent des enfants, en Gaule romaine. L’exemple des sépultures du iiie siècle ap. de la place des Carmes à Clermont-Ferrand ou encore celui du site voisin d’Aulnat en sont deux exemples marquants pour la région. Et bien qu’aucune association directe entre des squelettes humains et canins n’apparaisse à Lugdunum, quelques ossements isolés, et souvent brûlés, ont été documentés en contexte funéraire. Ces attestations montrent que la pratique du sacrifice de chiens a bien été réalisée et une analyse plus systématique des restes osseux associés aux bûchers funéraires permettrait d’apporter des éléments sur cette pratique.
69Cet article est également l’opportunité de souligner l’importance de la collecte des informations sur le terrain. La très grande majorité des inhumations canines apparaissent au cours de fouilles archéologiques préventives. Malheureusement, les protocoles de fouilles ne sont parfois pas suffisamment favorables, bien souvent faute de temps ou en raison de l’absence de spécialiste sur le terrain. L’importante perte d’informations engendrée est extrêmement dommageable pour la compréhension de ces pratiques, très compliquées à mettre en évidence. Pour y remédier, il est nécessaire de recourir plus systématiquement à des protocoles rigoureux d’observations et de prélèvements des sépultures canines, et animales plus généralement, à l’image de ceux réalisés dans le cadre des études anthropologiques.