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Comptes rendus

Philippe Jockey dir., Les arts de la couleur en Grèce ancienne… et ailleurs : approches interdisciplinaires, Actes du colloque international tenu à Athènes les 23-25 avril 2009

Nicolas Delferrière
p. 467-468
Référence(s) :

Philippe Jockey dir., Les arts de la couleur en Grèce ancienne… et ailleurs : approches interdisciplinaires, Actes du colloque international tenu à Athènes les 23-25 avril 2009, École française d’Athènes, Athènes, De Boccard, Paris, 2018, 508 p. (BCH Supplément, 56). ISBN : 978-2-86958-290-3. 80 €.

Texte intégral

1Dire que les actes du colloque d’Athènes étaient très attendus est un doux euphémisme… Il aura fallu, en effet, neuf années (2009-2018) avant que ces communications internationales sur les arts de la couleur dans l’Antiquité, en Grèce principalement, mais pas uniquement, ne soient réunies grâce au concours de l’École française d’Athènes et de l’UMR 7041 ArScAn (Paris I Panthéon-Sorbonne et Paris Nanterre) au sein d’un même ouvrage sous la direction de Philippe Jockey. Indiquons-le immédiatement, le résultat est à la hauteur des attentes. De la traditionnelle couverture à fond bleu des Supplément au BCH, les couleurs des pigments antiques ressortent particulièrement. Il s’agit d’une belle entrée en matière. Reconnaissons néanmoins que le titre choisi pour l’ouvrage n’est pas des plus heureux, en particulier le choix de l’expression « … et ailleurs ».

2L’ouvrage est organisé en trois grandes parties clairement identifiées, regroupant vingt-trois contributions.

3La première partie est intitulée « Entrer en matières : techniques de fabrication, production, économie de la couleur ». Elle est composée de quatre communications sur les pigments, en particulier sur le bleu égyptien durant la période hellénistique et l’Empire romain (iiie s. av. J.-C.-ier s. ap. J.-C.) et la pourpre. Les productions de bleu égyptien, de l’Égypte à l’Italie, en passant par la Grèce sont présentées et un focus est proposé sur les ateliers de Campanie (Pouzzoles, Liternum et Cumes) au ier s., notamment grâce à l’apport de fouilles récentes qui ont livré du matériel précieux qui a pu être analysé (Laëtitia Cavassa, p. 13-34). L’apport de la chromatographie en phase liquide haute performance pour déceler les traces de pourpre est particulièrement bien démontrée, en particulier sur des objets du Proche-Orient ancien (Zvi C. Koren, p. 35-47).

4Des analyses ont été aussi menées sur des dix fragments de textiles des trois premiers siècles de notre ère, découverts dans des dépotoirs romains mis au jour sur le site de Dydimoi, dans le désert oriental d’Égypte ; l’emploi de la pourpre comme colorant y a été clairement identifié (Dominique Cardon et alii, p. 49-79).

5L’examen des mentions de pigments dans la littérature antique et parmi les vestiges épigraphiques, en particulier des sanctuaires grecs, permet également d’aborder la question de la couleur par le biais de l’économie et pose la question d’un véritable marché de la polychromie et du décor (Véronique Chankowski, p. 81-94). L’auteure fournit des données particulièrement intéressantes, en particulier la présence, plusieurs fois mentionnée, de certains pigments et couleurs (rouge, blanc et noir) ainsi que de la dorure, mais aussi l’absence totale de plusieurs couleurs pourtant utilisées par les peintres grecs. L’évocation des prix des pigments et du coût des artisans dans plusieurs sources épigraphiques témoigne d’un véritable investissement dans la couleur lors de la mise en œuvre de l’apparat décoratif des grands sanctuaires grecs.

6La deuxième partie s’intitule « Arts polychromes et dorés : synthèses et études de cas » et est composée de dix communications.

7La première est consacrée à l’apparition de la polychromie en Grèce durant la période archaïque, tout en rappelant qu’elle était déjà attestée durant la période mycénienne, en particulier sur les nombreux vestiges de fresques qui ont été retrouvés, et qu’elle fut abandonnée au profit d’un « clair-obscur bipolaire » lors de la période géométrique. Ce n’est qu’au viie s. av. J.-C., avec l’utilisation du rouge, que l’on peut à nouveau parler de polychromie ; les exemples sur céramiques sont plusieurs à être convoqués lors de la démonstration (Elena Walter-Karydi, p. 95-114).

8Viennent ensuite plusieurs études de cas sur la polychromie de la statuaire : la statue dédalique de Nikandrè découverte à Délos (Georgia Kokkorou-Alevras, p. 115-130), la korè 682 de l’Acropole d’Athènes (Bernard Schmaltz, p. 131-142), les sculptures hellénistiques de Délos livrant des traces de couleur et de dorure (Brigitte Bourgeois et Philippe Jockey, p. 143-167). Dans le dernier cas, l’importance des analyses par vidéomicroscopie et analyse XRF in situ est clairement démontrée en raison du caractère très ténu de ces vestiges. De plus, les auteurs s’intéressent particulièrement à la question fondamentale que chaque chercheur travaillant sur la polychromie de la sculpture devrait se poser : l’importance des ombres et de la lumière dans la mise en valeur de la sculpture dans son contexte archéologique originel.

9Deux contributions sur la peinture grecque et étrusque, pariétale et sur céramique, apportent des éclairages nouveaux quant aux aspects techniques, iconographiques et symboliques (Stephan Steingräber, p. 169-180 ; Agnès Rouveret, p. 185-210). Outre la très grande érudition des auteurs sur le sujet, on louera ici la qualité des clichés, en particulier des détails dont certains révèlent les tracés préparatoires.

10Les deux contributions suivantes apportent une autre dimension dans la compréhension de la couleur dans l’Antiquité en s’intéressant au verre comme élément participant à la polychromie, vecteur de lumière, et comme support de la peinture mais aussi de la dorure, qu’il soit employé au niveau architectural ou en vaisselle (Marie-Dominique Nenna, p. 211-227 ; Despina Igniatiadou, p. 229-240). Les exemples convoqués illustrent parfaitement le savoir-faire des artisans macédoniens, verriers, peintres et doreurs, de la période hellénistique.

11Dans le monde de la couleur, la cosmétique a également une place importante. Les flacons à fard de l’époque hellénistique provenant de Thessalie en témoignent, en particulier grâce aux éléments conservant des vestiges de matières. Ce sont principalement des fards blancs et roses qui ont été retrouvés et qui ont bénéficié d’analyses physico-chimiques. Les résultats ont ensuite été mis en perspective avec les informations contenues dans les textes antiques (Vassiliki Adrymi et alii, p. 241-261). Sans véritable surprise, le pigment rose analysé correspond à l’emploi de plantes de la famille des Rubiacées et notamment de la garance sauvage. Pour les fards blancs, c’est la cérusite ou carbonate neutre de plomb qui a été mise en valeur. Le procédé de fabrication de ce pigment synthétique, psimythion, que l’on appelle aussi céruse ou blanc de plomb, est décrit dès le ive s. av. J.-C. par Théophraste (De Lapidibus 56), puis repris par Vitruve (De Architectura VIII 6, 1), Dioscoride (5, 88, 1-6) et Pline l’Ancien (Histoire naturelle XXXV 26-27).

12La troisième et dernière partie, « rôles, valeurs et symboles des couleurs et de l’or », est constituée de neuf articles.

13Dans le domaine de la poikila, l’association de la pourpre et de l’or peut s’appréhender grâce à des sources littéraires (livre XII d’Athénée) et épigraphiques. Elle appartient au domaine de la truphè (luxe) et sert également à assurer la glorification des dieux ainsi qu’aux manifestations de l’eusebeia (Adeline Grand-Clément, p. 275-292).

14De la Macédoine à Alexandrie, l’importance de la couleur dans le décor architectural des tombes, jouant notamment sur l’imitation des matériaux et la réalisation de trompe-l’œil, appartient également au monde de la truphè hellénistique. Les peintures murales retrouvées et mentionnées dans la démonstration témoignent d’un langage commun où la couleur enrichit considérablement le langage architectural grec (Anne-Marie Guimier-Sorbets, p. 293-315).

15La couleur dans les tombeaux thraces est également codifiée comme en témoigne l’emploi répété et quasi systématique du blanc et du rouge. Plusieurs décors raffinés et polychromes constituent des marqueurs de hiérarchisation, avec un véritable sens idéologique. L’inventaire très détaillé des tombeaux peints présentés dans l’article constitue un véritable et précieux outil de recherche (Julia Valeva, p. 317-344).

16La peinture pariétale romaine de la fin de la République constitue, notamment tout au long du IIe style pompéien, un medium particulièrement adapté aux traitements réalistes des matières et des couleurs. Les imitations de marbres luxueux, de l’or mais aussi du bois, sont peintes avec un certain brio par les artisans de l’Urbs et de Campanie. Le travail des ombres et de la lumière est aussi un aspect indéniable de l’art pariétal romain de cette période (Maud Mulliez, p. 345-366).

17L’étudie la polychromie de la sculpture antique amène nécessairement la question de la codification de la couleur. L’emploi du rouge, particulièrement abondant dans la statuaire romaine, pour les vêtements et la chevelure, interroge (Paolo Liverani, p. 367-385).

18Les restitutions en 3D des couleurs peintes et dorées constituent une nécessité à l’aune des nouvelles imageries numériques contemporaines. Les exemples des sculptures hellénistiques de Délos et les résultats obtenus en sont une parfaite illustration (Fabricia Fauquet et Philippe Jockey, p. 387-402).

19Outre la peinture murale, les mosaïques et la sculpture, la polychromie antique se perçoit également dans les décors marmoréens (opera sectilia, placages et colonnes). Ils présentent un caractère symbolique indéniable et permettent des jeux chromatiques particulièrement ostentatoires. L’importance de ce matériau s’est donc perpétuée durant toute l’Antiquité romaine et au-delà. Les textes tardifs et du Moyen Âge nous montrent en effet tout le potentiel et le crédit apportés aux marbres colorés. C’est l’Antiquité gréco-romaine qui s’y perpétue. Fantasmé, le marbre en est un symbole (Pascal Julien, p. 403-422).

20Appréhender la polychromie de la sculpture antique au travers de celle de la Renaissance et celle plus récente est une approche particulièrement intéressante. Une vision diachronique apporte souvent des clés de compréhension fondamentales (Ivonne Manfrini, p. 423-444).

21Pour clore cet ultime chapitre, une étude anthropologique sur la couleur des vêtements des saints chrétiens et musulmans au Liban est proposée, en insistant notamment sur leur symbolique (Nour Farra-Haddad, p. 445-466).

22La variété des contributions témoigne de l’ampleur des champs chronologiques, géographiques et thématiques que cet ouvrage embrasse. La qualité de chacun des articles permet donc à l’ensemble de constituer un jalon bibliographique indispensable à la compréhension des différents emplois de la couleur dans l’Antiquité.

23Un index général (noms propres et communs) extrêmement détaillé complète l’ouvrage de manière efficace.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Delferrière, « Philippe Jockey dir., Les arts de la couleur en Grèce ancienne… et ailleurs : approches interdisciplinaires, Actes du colloque international tenu à Athènes les 23-25 avril 2009 »Revue archéologique de l’Est, Tome 71 | 2022, 467-468.

Référence électronique

Nicolas Delferrière, « Philippe Jockey dir., Les arts de la couleur en Grèce ancienne… et ailleurs : approches interdisciplinaires, Actes du colloque international tenu à Athènes les 23-25 avril 2009 »Revue archéologique de l’Est [En ligne], Tome 71 | 2022, mis en ligne le 01 octobre 2022, consulté le 29 novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/rae/16441

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