Katharina Ute Mann, Arne Reinhardt, Fabian Gapp et Georg Simon Gerleigner dir., Farbe sehen ! Polychrome Skulptur und griechische Vasen. Booklet zur Ausstellung in der Antikensammlung der FAU Erlangen-Nürnberg
Katharina Ute Mann, Arne Reinhardt, Fabian Gapp et Georg Simon Gerleigner dir., Farbe sehen ! Polychrome Skulptur und griechische Vasen. Booklet zur Ausstellung in der Antikensammlung der FAU Erlangen-Nürnberg, Erlangen, FAU University Press, 2024, 104 p. (FAU Kunst und Bildung Band, 12). eISBN (en ligne, https://open.fau.de/items/add92342-1cfd-45f0-bd0e-42c79609abff) : 978-3-96147-728-9.
Texte intégral
1Les Allemands sont à la pointe des recherches sur la polychromie de l’art gréco-romain et le prouvent régulièrement. Une nouvelle exposition temporaire, intitulée « Farbe sehen » et organisée du 13 au 17 mars au musée des collections antiques de l’Université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg, témoigne de cette dynamique en mettant en regard deux types de supports de la polychromie peinte : la sculpture et les vases. L’ouvrage présenté ici, dirigé par Katharina Ute Mann, Arne Reinhardt, Fabian Gapp et Georg Simon Gerleigner, en constitue le catalogue d’exposition et est disponible en accès libre en ligne.
2La première partie de l’ouvrage, « Die Beschäftigung mit antiker Polychromie in der Erlanger Antikensammlung », par F. Gapp et G. Gerleigner (p. 6-11), est consacrée à l’importance qui fut accordée à la couleur dans les collections antiques de l’Université Friedrich-Alexander d’Erlangen-Nuremberg depuis leur inauguration le 9 décembre 1857. La figure tutélaire d’Adam Flasch (1844-1902), nommé professeur d’archéologie en 1882 dans cette université, fut primordiale en raison de la thèse qu’il avait soutenue sur la polychromie dans la peinture de vases grecs. Il y soutenait que la présence de plusieurs couleurs permettait d’imiter au mieux les couleurs des objets (principe de mimèsis) ; la technique à figures rouges correspondait donc, selon lui, à une véritable régression picturale. Son successeur, Heinrich Bulle (1867-1945), permit l’acquisition de plusieurs moulages en plâtre de sculptures grecques, célèbres dès leur découverte en raison des traces colorées qu’elles présentaient : le premier est une copie de la ‘Corée 674’ archaïque mise au jour en 1888 sur l’Acropole d’Athènes, sur laquelle les restes de peinture conservés furent reproduits par l’artiste danoise Ingrid Kjær (1870-1948) ; la reproduction d’une partie des sculptures du monstre à trois têtes du fronton en calcaire de l’Hécatompédon, retrouvé aussi en 1888, a été réalisée par une autre artiste danoise, Anne Marie Carl-Nielsen (1863-1945). De même, quatre statues d’athlètes, encore aujourd’hui conservées et exposées dans les collections antiques du musée universitaire, ont été colorées dans différentes nuances de bronze afin de proposer des hypothèses de restitution au plus près de l’apparence originelle. C’est donc un véritable intérêt pour la polychromie antique qui s’est manifesté au sein des recherches en archéologie classique de l’Université d’Erlangen. Au cours du xxe siècle, le conservateur de la collection, Martin Boß, assisté par l’équipe de traitement des données graphiques de l’université, a proposé de nombreuses reconstructions virtuelles en couleur des sculptures antiques, notamment à partir des copies en plâtre conservées dans les collections.
3La deuxième partie du catalogue d’exposition, « Polychrome Skulptur » par K. Mann (p. 12-58), est consacrée à la polychromie de la sculpture. Annonçons-le d’emblée, il est très étonnant, pour ne pas dire dommageable, de constater que la bibliographie utilisée par l’auteure s’avère uniquement de langue allemande ou anglaise (p. 56-58) : les recherches italiennes et françaises sont complètement invisibilisées. Qu’il s’agisse d’une méconnaissance de l’auteure ou d’une volonté délibérée, ces manques criants entachent ce chapitre. K. Mann replace, tout d’abord, la question de la polychromie de la sculpture gréco-romaine dans les querelles artistiques qui ont émaillé la conception de l’art occidental au cours des XVIIIe et XIXe siècles, puis la compare aux autres attestations de sculptures polychromes depuis la Préhistoire et dans d’autres civilisations (chinoise, égyptienne, île de Pâques, maya). La problématique de la reconstitution et de l’exposition des œuvres polychromes, ainsi que la médiation auprès du public des musées, est également abordée par l’auteure. L’ensemble de cette contribution n’est pas très novateur, mais cette dernière a le mérite d’évoquer les différents points liés à la polychromie de la sculpture.
4La troisième et dernière partie, « Oligochrome Vasenbilder », par A. Reinhardt (p. 59-98), revient sur la peinture des vases grecs et notamment la question de l’oligochromie, soit le fait d’employer uniquement que quelques couleurs récurrentes. L’auteure revient sur les premières attestations des vases peints en Grèce et sur la question du besoin ou non de faire apparaître la couleur, notamment à partir du témoignage antique de Pline l’Ancien. Le panorama brossé par A. Reinhardt démontre que les peintres de vases grecs utilisent leur palette chromatique de manière ciblée. La possibilité d’ajouter une couleur supplémentaire ne signifie pas une obligation de l’appliquer uniformément à tous les éléments de l’image, ce qui pourrait correspondre à la réalité ; la teinte supplémentaire caractérise, souligne et reste plutôt un moyen d’emphase consciente. Plusieurs perspectives s’offraient ainsi aux peintres de vases : outre la gradation chromatique ou l’enrichissement au moyen de couleurs opaques, les représentations pouvaient toujours être différenciées graphiquement, dans la technique à figures noires, au moyen de lignes incisées et, dans la technique à figures rouges, avec des lignes fines en ton brillant. Ainsi, de nombreux exemples reposent uniquement sur le contraste déterminant figure/fond, c’est-à-dire sur l’opposition entre le noir brillant et le fond argileux, et qui n’utilisent donc pas pleinement le spectre des couleurs de terre de la céramique. Parmi les différentes situations dans lesquelles l’effet de brillance du noir de la céramique se manifeste, l’importance du banquet comme point de référence pour l’art des peintres de vases doit être mentionnée. Durant ce moment de convivialité masculine nocturne, l’éclairage a certainement créé des effets de brillance inconstants sur les surfaces noires réfléchissantes des récipients. Le musée d’Erlangen a tenté de reconstituer ce phénomène d’éclairage nocturne à l’aide d’une bougie et le résultat est assez convaincant (voir p. 93, fig. 17) : la similitude de luminosité entre la lumière artificielle éphémère et celle du jour est bien attestée.
5Dans l’ensemble, le rapport de toutes les images à la couleur est complexe. Les scènes figuratives fonctionnent pour nous comme des représentations crédibles de la réalité, même si elles ne reprennent pas les couleurs typiques de la personne représentée. Les images sur les vases sont fondées sur la séparation de la figure du fond au moyen du dessin et les contrastes de couleurs vont de pair avec cela : ils ne sont pas des messages visuels intentionnels, mais font partie du système artistique. Même dans le contraste binaire entre le noir brillant et l’orange du fond, il peut y avoir des chevauchements partiels avec la couleur de l’objet représenté ; le rouge et le blanc, opaques, augmentent les possibilités à cet égard, sans toutefois aboutir à une véritable palette de couleurs. Le passage à la technique de la peinture à figures rouges lors de la phase expérimentale du dernier tiers du VIe siècle av. J.-C. a permis de dompter l’effet de brillance en l’attribuant au fond noir et donc au vase, tandis que les figures apparaissaient désormais sur un fond de couleur claire. Le potentiel chatoyant de la polychromie, si intensément utilisé à la fin de l’époque archaïque, n’apparaît plus que de manière informelle, pour rehausser certains détails minutieusement dessinés (feuilles, couronnes, bandeaux, attributs et inscriptions mineurs).
6Ainsi, au Ve siècle av. J.-C., le récipient en céramique apparaît désormais comme le véritable support de l’image. Cette évolution atteint son apogée avec les récipients à fond blanc, comme les lécythes, sur lesquels peuvent désormais être réalisées des peintures multicolores avec un plus large spectre de couleurs. Au IVe s. av. J.-C., la peinture sur vase revient à une esthétique plus graphique, dans laquelle le blanc couvrant en aplat permettait de rehausser certains détails. Ainsi, au cours de son histoire, la céramique grecque brillante peinte oscille entre le graphisme et la peinture – la couleur est l’une de ses perspectives, que nous pouvons voir ou ignorer, car les images n'ont pas nécessairement besoin de couleurs. Néanmoins, comme le souligne très justement A. Reinhardt, « Aber es sind nicht zuletzt die Farben, die uns zum Hinsehen animieren » (« Mais ce sont les couleurs, et non des moindres, qui nous incitent à regarder »).
7S’inscrivant dans la longue liste des nouvelles publications consacrées à la polychromie antique, le catalogue d’exposition Farbe sehen ! Polychrome Skulptur und griechische Vasen mérite d’être consulté en tant que témoignage de la réception de cette problématique, dans un espace géographique donné (la ville allemande d’Erlangen) et à une échelle spécifique, celle de la collection d’antiques de l’Université Friedrich-Alexander. Si la synthèse sur la polychromie de la sculpture est discutable, celle sur la peinture des vases grecs est bien plus intéressante, parce que novatrice dans son approche (importance de la luminosité).
Pour citer cet article
Référence papier
Nicolas Delferrière, « Katharina Ute Mann, Arne Reinhardt, Fabian Gapp et Georg Simon Gerleigner dir., Farbe sehen ! Polychrome Skulptur und griechische Vasen. Booklet zur Ausstellung in der Antikensammlung der FAU Erlangen-Nürnberg », Revue archéologique de l’Est, Tome 73 | 2024, 438-439.
Référence électronique
Nicolas Delferrière, « Katharina Ute Mann, Arne Reinhardt, Fabian Gapp et Georg Simon Gerleigner dir., Farbe sehen ! Polychrome Skulptur und griechische Vasen. Booklet zur Ausstellung in der Antikensammlung der FAU Erlangen-Nürnberg », Revue archéologique de l’Est [En ligne], Tome 73 | 2024, mis en ligne le 15 janvier 2025, consulté le 19 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rae/18034
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