Lara Íñiguez Berozzpe, Metodologia para el estudio de la pintura mural romana : el conjunto de las musas de Bilbilis
Lara Íñiguez Berozzpe, Metodologia para el estudio de la pintura mural romana : el conjunto de las musas de Bilbilis, Pessac, Ausonius, 2022, 144 p. (Collection PrimaLun@, 18). En ligne : https://una-editions.fr/pintura-mural-romana-bilbilis, mis en ligne le 10/11/2022. ISBN pdf : 978-2-35613-495-0.
Texte intégral
1Enfin un livre numérique en libre accès qui traite de peinture murale romaine ! Metodologia para el estudio de la pintura mural romana : el conjunto de las musas de Bilbilis est le fruit du travail mené depuis de nombreuses années par Lara Íñiguez Berrozpe sur la peinture murale romaine découverte en Espagne, en particulier durant son doctorat. Résolument orienté sur les aspects méthodologiques de la toichographologie (étude des enduits peints et des stucs), l’ouvrage en présente les grandes lignes directrices, de la fouille au travail en laboratoire, sans passer sous silence les problématiques liées à la conservation.
2L’ouvrage commence par un prologue de Manuel Martín-Bueno (p. 7-8), professeur d’archéologie à la Universidad de Zaragosa (Saragosse, Espagne), et une introduction de Carmen Guiral Pelegrín (p. 9-10), professeure d’archéologie à la Universidad Nacional de Educación a Distancia (Espagne), qui rappelle dans quel contexte cette recherche a été réalisée et pourquoi elle a été axée sur l’ancienne ville de Bilbilis (proche de l’actuelle Calatayud dans la province de Saragosse). Les peintures murales romaines de ce site du nord-est de la province antique de Tarraconaise sont parmi les mieux connues en Espagne, en raison du dynamisme académique mis en place depuis une vingtaine d’années. Les styles picturaux et les répertoires ornementaux sont donc particulièrement bien étudiés, ce qui permet aisément de procéder à des synthèses thématiques.
3Le premier chapitre (« Municipium Augusta Bilbilis (Calatayud, Zaragosa) », p. 11-14) est consacré à la présentation géographique, administrative et historique d’Augusta Bilbilis, de l’occupation celtibère originelle jusqu’à l’implantation romaine au Ier s. av. J.-C. avec un développement important sous le règne d’Auguste exprimé par l’octroi du statut de municipium (cité). Un rapide résumé des interventions archéologiques sur le site, de 1916 à nos jours, est également proposé.
4Le deuxième chapitre (« Contexto arqueológico », p. 15-24) présente l’ensemble du contexte archéologique du complexe urbain analysé, appelé « Insula I » ou « Insula des termas ». Il est composé de trois domus (numérotées de 1 à 3) occupées entre le milieu du Ier s. av. J.-C. et la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C. La zone est organisée sur un système important de terrasses, ce qui a compliqué l’interprétation des espaces découverts, mais plusieurs tabernae ont pu être identifiées ; les plans réalisés par Paula Uribe sont aisément compréhensibles. De nombreux décors peints, principalement des IIIe et IVe styles pompéiens, ont été retrouvés en plusieurs points de l’insula. Ils constituent le cœur du discours toichographologique qui suit.
5Le troisième chapitre, « Metodología » (p. 25-70), constitue la partie la plus importante de l’ouvrage : la méthodologie employée. L’auteure y expose toutes les étapes liées à l’étude des peintures murales. Elle présente tout d’abord les différents contextes et situations dans lesquels la peinture murale romaine a été retrouvée sur le site (in situ, effondrée en place, en remblais) et la méthodologie nécessaire à sa documentation et à la récupération des ensembles conservés en place. Vient ensuite la présentation du travail en laboratoire et en particulier la fastidieuse et chronophage étape de l’assemblage des fragments, indispensable avant toute analyse, aidée par de nombreux indices (revers des mortiers, tracés préparatoires, couleurs des fonds, formes des motifs, angles de parois ou d’ouvertures). Sur ce point, ainsi que sur la question de la documentation graphique, on perçoit l’influence bénéfique que constitue, depuis la fin des années 1970, le travail initié par les spécialistes français rassemblés autour de la figure tutélaire que constitue le Centre d’études des peintures murales romaines (CEPMR) de Soissons. La grande maîtrise de la bibliographie française par l’auteure en témoigne de façon évidente. Les apports de l’archéométrie dans l’analyse des mortiers, des pigments et des techniques pour leur application, sont également développés à partir d’échantillons rigoureusement sélectionnés. Ces détails permettent d’identifier différents ensembles décoratifs. L’analyse iconographique constitue la dernière étape d’une étude toichographologique : l’organisation de la paroi, les motifs et les représentations figurées sont identifiés, ce qui permet de replacer l’exemple étudié dans la production picturale globale et donc de proposer une chronologie relative.
6Le quatrième chapitre est consacré à l’étude toichographologique d’un ensemble peint dit « des Muses » (« Conjunto de las Musas », p. 71-116) provenant de la taberna 7 de la domus 3. L’auteure présente tout d’abord les aspects techniques liés à la mise en œuvre du décor (tracés préparatoires et supports en mortier), puis décrit ce dernier, de bas en haut, afin d’indiquer tous les éléments (couleurs, motifs) et leurs dimensions composant chaque zone des parois (zones inférieure et médiane). Les restitutions colorées qui sont proposées pour chaque ensemble sont simples mais efficaces. Elles permettent immédiatement d’avoir une idée générale des couleurs qui composent la paroi (rouge, bleu ou jaune) et l’organisation de cette dernière ; l’auteure prend le parti de ne pas restituer les parties manquantes des motifs, même par symétrie. On comprend à la lecture de cette partie que l’ensemble s’appelle ainsi en raison de la présence de Muses représentées individuellement au centre des panneaux à fond rouge cinabre ; d’autres à fond bleu égyptien sont également présents sur ces décors, ce qui n’est pas banal. Suit une étude iconographique des motifs identifiés : les imitations de marbre et les motifs végétaux de la zone inférieure, les imitations de corniches à la transition entre zone inférieure et zone médiane, les galons brodés, les prédelles, les frises avec de représentations animales et végétales, les candélabres métalliques et végétaux – d’une très grande qualité plastique –, ainsi que les représentations figurées au cœur des panneaux de la zone médiane (Muses, Amour, figure ailée). Caractéristiques de la production picturale des IIIe et IVe styles pompéiens, tous ces éléments sont décrits avec précision, étudiés séparément et replacés au sein du décor. L’identification et l’analyse spécifiques de la figure ailée, sur fond bleu, tenant une lyre (p. 95, fig. 35) nous semblent cependant être erronées. Plutôt que d’essayer de trouver des exemples un peu bancals de Muses ailées, l’auteure aurait dû penser à l’hypothèse de la sirène. L’aile déployée, le fond bleu qui peut être un rappel évident du contexte marin dans lequel vit ce monstre, la lyre et le fait que la sirène ne semble pas avoir le buste vêtu concordent, selon nous, à cette identification qui ne poserait d’ailleurs aucun problème quant à la cohérence du décor dans son ensemble : l’affrontement entre les Muses et les sirènes est un épisode iconographique prisé par les Romains. Enfin, une section importante est consacrée à la représentation des Muses, à leur importance et aux différents exemples attestés dans la peinture murale romaine. Tout cela sert à mener une étude iconologique et à réfléchir à la fonctionnalité des pièces décorées en raison de leur programme ornemental.
7Le dernier chapitre, « Análisis arqueométrico » (p. 117-123) est consacré aux résultats des analyses archéométriques réalisées sur l’ensemble peint des Muses. Les pigments employés (cinabre et bleu égyptien) sont pleinement caractérisés, de même que les différents types de mortiers appliqués comme supports. L’ensemble démontre le haut niveau technique et de savoir-faire de l’atelier d’artisans qui a procédé à la réalisation de ce décor.
8L’auteure conclut son ouvrage en résumant les différents résultats obtenus grâce à l’étude du décor des Muses. Le remontage de ce dernier indique qu’il devait se situer dans une pièce rectangulaire dont deux des murs auraient comporté trois panneaux, tandis que les deux autres en auraient cinq ou sept : panneaux rouges, bleus et jaunes avec des inter-panneaux à fond noir ou rouge dans le cas du mur à fond jaune, décorés de candélabres métalliques ou végétalisés, qui ne dépasseraient pas la zone médiane. Au milieu du panneau central se situe un pinax et, au centre des panneaux latéraux, on retrouve des figures isolées, en particulier les Muses. Pour L. Íñiguez Berozzpe, l’analyse stylistique du décor indique qu’il appartient à la phase IIb du IIIe style pompéien et pourrait être donc daté de 35-45 ap. J.-C. L’auteure émet également l’hypothèse d’un travail réalisé par un atelier d’origine italique, en raison des données techniques observées (tracés préparatoires et pigments luxueux utilisés en grande quantité), ce qui témoigne du pouvoir économique important du propriétaire et commanditaire et qui laisse penser que la pièce ornée de ce décor était probablement destinée à l’apparat. Il est donc peu probable que cet ensemble peint ait été situé sur les parois d’une taverne, mais qu’il appartenait plutôt à une autre pièce de la domus 3.
9L’ouvrage de Lara Íñiguez Berrozpe est un exemple significatif d’une méthodologie spécifique issue d'une spécialité archéologique – la toichographologie – parfaitement maîtrisée, clairement explicitée et développée, et directement mise en application sur un corpus de peintures murales de Bilbilis. Ainsi, en plus d’apporter de nouvelles connaissances sur la production picturale de ce municipium, il constitue un manuel à destination de tous pour mener dans les meilleures conditions une étude toichographologique.
Pour citer cet article
Référence papier
Nicolas Delferrière, « Lara Íñiguez Berozzpe, Metodologia para el estudio de la pintura mural romana : el conjunto de las musas de Bilbilis », Revue archéologique de l’Est, Tome 73 | 2024, 439-441.
Référence électronique
Nicolas Delferrière, « Lara Íñiguez Berozzpe, Metodologia para el estudio de la pintura mural romana : el conjunto de las musas de Bilbilis », Revue archéologique de l’Est [En ligne], Tome 73 | 2024, mis en ligne le 15 janvier 2025, consulté le 12 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rae/18057
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