1Depuis quelques années, les nouvelles recherches engagées dans plusieurs grottes et abris du département de l’Ain (BÉREIZIAT et alii, 2017 ; 2018 ; 2019 ; 2020 ; 2021, 2022 ; CARTONNET et alii, 2019) intègrent un projet ambitieux d’actualisation des données historiques, stratigraphiques et chronoculturelles trop souvent partielles de sites anciennement fouillés.
2Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, le sud du Jura a été le théâtre d’importantes fouilles conduites par l’abbé Joseph Tournier. Son héritage est très important, tant par le nombre de sites excavés, une trentaine, que par la qualité et la quantité de matériel récolté.
3En 1894, les grottes des Hoteaux (Rossillon) et de La Bonne-Femme (Murs-et-Gélignieux) constituent ses premiers terrains de recherches (TOURNIER, GUILLON, 1895). La première, qui sera investie par intermittence jusqu’en 1919 (TOURNIER, 1924), est notamment connue pour avoir livré, dans une séquence abritant neuf « couches d’habitats » dont sept attribuées à la fin du Paléolithique supérieur, la célèbre sépulture d’un adolescent. La seconde, qui sera le cadre d’une deuxième campagne en 1910 (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911), est associée à la découverte, au sein de plusieurs « foyers », d’un matériel lithique et osseux abondant rapportable à la dernière phase du Magdalénien.
4Les publications, nombreuses et bien documentées, ce qui est à souligner pour l’époque, livrent des informations importantes pour comprendre les stratégies adoptées et l’historique des recherches. Mais elles sont aussi empreintes d’imprécisions inhérentes à une discipline naissante même si J. Tournier a su porter très tôt une attention particulière au contexte géologique et aux problématiques ethnologiques.
5Un retour sur le terrain et sur le matériel des collections existantes était donc nécessaire pour préciser le scénario des fouilles anciennes, le cadre chronoculturel, mais aussi la stratigraphie du dépôt et l’évolution du karst dans une zone impactée par l’avancée et le retrait du glacier. Cet article présente donc les résultats d’une approche pluridisciplinaire sur un site méconnu, mais néanmoins majeur du Tardiglaciaire du Jura méridional.
6La grotte de la Bonne-Femme se trouve au pied du Mont de Cordon, à l’extrémité sud du Bugey, dans l’Ain (fig. 1). Elle était auparavant localisée à 30 m au-dessus du lac postglaciaire de Pluvis qui s’étendait sur une superficie de 9 ha pour une profondeur de 12 m (fig. 2). Ce lac a disparu en 1981 afin d’y implanter une dérivation du Rhône pour alimenter la centrale hydroélectrique de Brégnier-Cordon. Avant la mise en eau de ce contournement, des trouvailles isolées et plusieurs sondages ont mis en évidence des témoins d’occupations néolithiques, de l’Âge du Bronze et de l’époque gallo-romaine (BORREL et alii, 1990).
Fig. 1. Localisation de la grotte de de La Bonne-Femme dans le contexte des sites tardiglaciaires de l’Ain (fond de carte © Géoportail / DAO : G. Béreiziat).
Fig. 2. Ancien lac de Pluvis au bord duquel se trouvait la grotte de La Bonne-Femme (photos : © Géoportail et JFM.fr / DAO : G. Béreiziat).
7La grotte se trouve donc à présent à une dizaine de mètres au-dessus du canal du Rhône. Formant une double cavité (fig. 3), elle se divise en deux niveaux : un abri sous-roche de 8 m de large pour une profondeur de 5 m et une hauteur de 4 m, très en pente, débouchant par une sorte d’escalier rocheux sur une chambre horizontale de 6 m de largeur qui est la grotte proprement dite. Cette salle se prolonge par deux couloirs et se compose d’un plancher stalagmitique.
Fig. 3. Emplacement de la grotte depuis la rive droite du « nouveau » Rhône et relevés topographiques de la grotte de La Bonne-Femme (relevés et DAO : M. Geoffray et M. Cartonnet).
8La grotte s’ouvre dans le versant orienté au nord de la butte du Mont de Cordon qui culmine à plus de 400 m, tandis que le canal de dérivation se trouve à 218 m. La grotte se trouve plutôt en bas de pente, à la limite entre les formations géologiques du Jurassique, du Kimméridgien et du Portlandien (fig. 4). Le Kimméridgien supérieur est défini comme étant une formation de calcaires à pâte fine, beige clair, parfois crayeux, compacts, à silex zonés répartis irrégulièrement (épaisseur : 20-30 m). Le Portlandien se caractérise par un calcaire blanc à grain fin dans la partie inférieure, micrograveleux en haut de la série, dont l’épaisseur varie de 40 à 70 m.
Fig. 4. Localisation de la Grotte de La Bonne-Femme dans son cadre géologique (fond de carte © Géoportail / DAO : G. Béreiziat).
9Concernant les formations géologiques superficielles, il faut regarder ce qu’il s’est passé pendant la dernière glaciation. L’étude réalisée par S. Coutterand, Ph. Schoeneich et G. Nicoud (2009), permet d’appréhender l’historique de la répartition des masses de glace lors de la dernière glaciation et de comprendre la place qu’occupait la grotte de La Bonne-Femme dans ce paysage (fig. 5). Les déplacements des blocs erratiques se sont essentiellement opérés de l’est vers l’ouest, la grotte se trouvant sur le passage d’un bloc en conglomérat de Bourdeau (situé en rive ouest du Lac du Bourget) qui a fini son avancée dans la région de Morestel. La grotte se trouvait donc entre deux flux glaciaires provenant de l’est et qui participent à la formation du lobe lyonnais à partir de glace provenant du glacier de l’Isère.
Fig. 5. Carte de reconstitution des flux glaciaires dans les Alpes du Nord au « maximum würmien » (d’après COUTTERAND et alii, 2009)
10La déglaciation et son rythme sont deux éléments également importants pour comprendre les premières étapes d’occupation de la grotte (MONJUVENT, 1988) avec une grande masse de glace qui est restée sur la butte des Avenières, à l’ouest du Mont de Cordon. La déglaciation du secteur a pu être tardive. La formation du lac de Pluvis étant le résultat de cette déglaciation, celui-ci se formant sur la terrasse à partir d’une masse de glace morte.
11Les observations faites sur les stratigraphies du sondage réalisé en 2017 permettent de dire que les fouilles anciennes ont impacté très fortement les sédiments. Trois unités sédimentaires ont été reconnues (fig. 6) :
Fig. 6. Coupe sud du sondage de la Grotte de La Bonne-Femme. Elle donne accès à l’agencement des trois unités sédimentaires numérotées 1, 2 et 3. Il s’agit d’un empilement à assez fort pendage de trois couches successives (photo et DAO : H.-G. Naton).
- L’US 1 se présente comme un assemblage hétérométrique de plaquettes épaisses et fines aux bords émoussés emballées par des argiles dont la coloration tire plutôt sur le rouge. Ce type d’argile est souvent caractéristique des argiles de décalcification qui se rapproche des Terra Rossa se formant en surface des calcaires massifs. Les plaquettes peuvent s’interpréter comme étant des gélifracts provenant des parois ou du plafond de la cavité. Le fait que ces gélifracts montrent des tranchants émoussés indique qu’ils ont subi des altérations après leur dépôt. La porosité est assez lâche et les éléments grossiers se dégagent assez facilement.
- Dans l’US 2, nous retrouvons un sédiment clairement plus jaunâtre (fig. 6). Celui-ci est également constitué de gélifracts, mais la caractéristique principale est l’angulosité des fragments et l’absence d’émoussé des tranchants. Les plaquettes fines dominent. Les éléments grossiers sont emballés par une matrice abondante limoneuse. La tenue des sédiments est plus ferme et les éléments sont plus difficiles à disjoindre de leur masse. Les limons ne s’expliquent que par des apports extérieurs au système de la cavité car ce ne sont pas des résidus de l’altération des calcaires. Nous soupçonnons fortement des apports éoliens de poussières minérales. La coloration jaune appuie notre suspicion d’avoir affaire à une matrice lœssique emballant des plaquettes gélives.
- L’US 3 semble correspondre à un mélange des deux autres unités sédimentaires. Elle se caractérise par un assemblage de plaquettes épaisses et fines, émoussées et corrodées dans une matrice argileuse rouge. En y regardant de plus près, en ce qui concerne la matrice, nous sommes en présence d’un mélange des argiles rouges et des limons jaunes. La porosité est lâche et laisse penser à des vides d’entassement.
12L’absence totale d’indice anthropique dans ces trois unités reconnues comme antérieures aux remblais de fouilles renforce le fait d’être en présence de sédiments totalement naturels, correspondant à l’éboulis se formant à partir de la desquamation des parois et plafonds de la grotte.
13Actuellement, le porche d’entrée de la grotte de la Bonne-Femme est un abri sous roche installé dans un petit escarpement des calcaires du Jurassique supérieur, largement ouvert sur l’extérieur. La cavité est constituée d’une portion de galerie longue de 26 m qui se développe suivant un axe sud-est – nord-ouest. Le sol est constitué d’un épais plancher de calcite qui recouvre sur presque 2 m d’épaisseur des remplissages cryoclastiques puis argileux au sein desquels ont été retrouvés les vestiges archéologiques (fig. 7).
Fig. 7. Vue du porche de la grotte de La Bonne-Femme et des différentes composantes de son évolution (photo et DAO : D. Cailhol).
14Un tablier conséquent de colluvions occupe la pente devant la cavité. Les sondages réalisés au cours de l’opération de fouilles de 2017 ont mis en évidence leur aspect déstructuré par les fouilles de la fin du XIXe et du début du XXe siècle puis de celles des années 1950. Il s’agit essentiellement de matériel cryoclastique calcaire plus ou moins emballé dans une matrice argileuse, issu du recul de la paroi rocheuse et de la terrasse au-dessus.
15En 1981, les travaux d’aménagement du cours du Rhône par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) ont réhaussé le niveau d’eau et ennoyé le fond de la paléo-vallée qui se trouvait au nord de la cavité. Auparavant, le porche se situait 30 m au-dessus du lac de Pluvis, au pied du Mont de Cordon, et le cours du Rhône contournait par le sud la butte témoin du Mont Cordon en une série de bras divagants anastomosés. Ces travaux importants ont entraîné de forts changements des versants avec la construction de chemins de circulation et le développement d’un couvert forestier dense en rive gauche où se trouve la grotte de la Bonne-Femme. Ces modifications importantes de l’environnement rendent complexe l’étude des évolutions des escarpements rocheux dans lesquels est installée le site archéologique.
16Des conduits karstiques de petites dimensions sont visibles dans les escarpements rocheux alentour. Ils sont installés sur les directions majeures de la tectonique régionale. Il s’agit principalement de l’axe du plissement jurassien (sud-est/nord-ouest). Les cavités de ce secteur sont relativement nombreuses, mais d’un développement modeste. Contrairement à la partie plus interne du massif, dans la cluse des Hôpitaux ou plus au nord, il n’y a pas de grands réseaux souterrains accessibles comme le réseau de la Falconnette à la Burbanche. Il est donc difficile de pouvoir rattacher les grottes de ce secteur à une structuration régionale du karst. Toutefois, il est à observer que le porche de la grotte est situé à la cote d’altitude de 223 m ; plus au nord, en rive droite du Rhône, dans la combe de Carron sur la commune d’Izieu, on trouve une source qui s’écoule à cette altitude dans les séries du Jurassique supérieur. Il s’agit d’un barrage du karst fait par un placage issu de moraines de fond principalement, du dernier maximal glaciaire. Celui-ci est constitué d’argiles à galets et blocs, et peut être mêlé d’alluvions. On observe là un système karstique de petite taille encore actif du fait du barrage morainique. Est-il possible pour autant de rattacher cela aux différentes portions de galeries ou petites cavités que l’on retrouve sur la rive de la grotte de la Bonne-Femme ? Il y a trop peu d’informations enregistrées dans les morphologies pour esquisser la moindre proposition.
17Des remplissages argileux de couleur rouge se retrouvent dans la plupart des cavités. Il s’agit d’argiles issues de l’altération des carbonates. Après l’émersion au Turonien, la région a été exondée pendant tout le Paléogène et l’exhumation des séries carbonatées du Bugey ont été soumises à une karstification et une érosion marquée dans un contexte de climat chaud et humide (GIDON, 1950). Les argiles issues des altérations des carbonates sont qualifiées de « Sidérolithique » du fait de leur couleur rouge liée aux processus pédologiques qui les ont affectées au cours de ces périodes. Elles se retrouvent dans la plupart des cavités du secteur où elles forment des niveaux de remplissages conséquents. Elles sont en position secondaire du fait des évolutions des systèmes karstiques notamment au cours du Miocène où la tectonique alpine a installé une surrection et le plissement des séries carbonatées, avec la réorganisation du karst et des systèmes spéléologiques en fonction des conditions paléo-environnementales. Les phases glaciaires du Pléistocène ont également modifié la position et les volumes de ces dépôts tant en surface que dans les galeries des réseaux souterrains, avec l’érosion intense provoqué par les avancées et les reculs glaciaires.
18Au niveau du porche de la grotte de la Bonne-Femme, plusieurs questions se posent. Quel a été le recul du porche et des parois de l’escarpement aux alentours de la grotte depuis la période magdalénienne ?
19Il est en effet surprenant de voir un plancher de calcite aussi épais et des concrétions massives se former dans un milieu ouvert qui subit les variations de température des cycles nycthéméraux et saisonniers. L’installation de ces différentes entités demandent un confinement suffisant pour limiter les variations de température et permettre la désaturation de l’eau en carbonates et la minéralisation de la calcite, que cela soit pour un plancher ou des pour des concrétions (fig. 7). Les phases de réchauffement climatiques qui accompagnent la fin du Dryas permettent l’installation d’un couvert végétal et la formation de sol, nécessaires aux processus de corrosion, dissolution et précipitation des carbonates dans le fonctionnement d’un système karstique. La grotte devait être nécessairement davantage fermée qu’elle ne l’est actuellement, pour permettre la construction de ces édifices.
20À l’aplomb du porche, les fouilles ont mis en évidence un important tablier de colluvions qui se développe suivant une pente insuffisante pour évoquer un versant réglé par la durée des processus (pente de 33°). Les sondages réalisés en 2017 mettent en évidence un colluvionnement de versant largement remanié par les fouilles anciennes (BÉREIZIAT, CARTONNET, 2017). Les sondages réalisés dans les années 50 sous la coulée de calcite ont livré un matériel archéologique assez représentatif du gisement et mis en évidence l’importance des niveaux argileux. L’espace dégagé permet de voir l’organisation des structures avec les argiles, les niveaux de cryoclastes, puis la mise en place des dépôts de calcite (fig. 8). Dans cette partie, il n’a pas été retrouvé de structures sédimentaires en lien avec les dynamiques fluvioglaciaires qui ont accompagné les évolutions glaciaires de cette partie du Jura savoisien. Les niveaux de galets fluviatiles et sablo-argileux sont absents dans les structures de dépôts alors qu’ils se retrouvent en plusieurs endroits dans le versant à proximité de la grotte.
Fig. 8. Vue des remplissages argileux avec des vestiges archéologiques sous les niveaux de remplissages recouverts par la grande coulée de calcite (photo et DAO : D. Cailhol).
21La base de la coulée de calcite repose sur un niveau d’argiles rouges (fig. 8). Les fouilles réalisées au cours des années 1950-1955 par J. Reymond les ont excavées sur environ 2 m de longueur et sur une épaisseur de 0,5 à 0,4 m en direction du fond de la cavité. Plusieurs blocs de calcaire de taille décimétrique à pluri-décimétrique et des gélifracts de taille centimétrique reposaient sur les argiles des couches archéologiques, avant d’être recouverts par un ensemble plus ou moins superposé d’argiles et de couches de calcite.
22Cet ensemble est très hétérogène, avec des alternances plus ou moins régulières de niveaux d’argiles et de calcite. La partie supérieure de la structure est recouverte sur toute la surface d’un niveau de calcite plus épais, sur lequel des stalagmites de taille décimétrique se sont développées. Ce remplissage composite occupe les deux tiers du volume de la paléo-galerie.
23Pour tenter de comprendre l’évolution de la cavité, son remplissage après les occupations humaines préhistoriques et les reculs du porche, des datations des niveaux de calcite de la grande coulée qui barre la partie centrale de la grotte ont été engagées. La base au contact des niveaux archéologiques est malheureusement constituée d’une alternance de niveaux argileux dans lesquels viennent s’intercaler des dépôts de calcite. Cette structuration témoigne de conditions climatiques contrastées où alternent des phases humides qui mobilisent les argiles et d’autres plus clémentes à l’origine de la formation de dépôts de calcite. Une telle structure ne permet malheureusement pas de réaliser des datations isotopiques des calcites, trop polluées par les apports terrigènes.
24Le sommet de la coulée présente une structure plus homogène avec des dépôts plus réguliers de calcite et des stalagmites qui se développent dessus (fig. 9, A). Celles-ci sont en relation avec les dernières évolutions environnementales du site.
Fig. 9. Vue du sommet de la coulée de calcite au toit de la galerie. A. Vue en en direction du fond de la paroi est. B. Vue en direction du fond de la paroi ouest. La concrétion datée a été prélevée à l’emplacement indiqué (photo et DAO : D. Cailhol).
25L’exposition du site, largement ouvert et orienté en direction du nord, limite les possibilités de prélèvement de concrétions pour réaliser des datations basées sur l’U/Th. En effet, les variations de température et la lumière entraînent une pollution des isotopes du thorium et donc une imprécision dans les dates obtenues à partir de l’analyse du ratio U/Th. Pour limiter cet effet, une concrétion a été prélevée au sommet de la coulée de calcite dans la partie terminale de la galerie à proximité de la paroi ouest (fig. 9, B).
26La stalagmite coupée permet d’observer vingt-cinq cernes de couleur plus foncée au cours de son développement. Elles sont relativement régulières et témoignent d’une relative régularité du débit des eaux de percolation par ce système fissural.
27Les datations ont donné pour les deux extrémités 2 630 ± 41 BP et 3 229 ± 60 BP. La stalagmite datée s’intercale donc complètement dans le plancher dont elle constitue l’une des modalités terminales de l’évolution. Elle est contemporaine de la phase de pluviosité excessive du Subboréal qui a affecté toute l'Europe durant cette période. Les études des sédiments lacustres ont également fourni des enregistrements de ces phases dans les lacs du Jura et celui de Neuchâtel (MAGNY, 1980). Sur le Léman, cela s’est traduit par une remontée de 10 m du niveau d’eau (ROGNON, 1988). Le sommet du remplissage scellé par la calcite s’est mis en place au cours de cette période récente. Le comblement de cette partie de la cavité s’est donc produit entre la période magdalénienne avec des artéfacts (silex et os), encore présents dans les niveaux en place d’argiles rouges du Pléistocène supérieur, et la phase humide correspondant au Subboréal à l’Holocène.
28Avant la reprise des recherches dans la grotte en 2017, le matériel recueilli par J. Tournier à la fin du XIXe et au début du XXe siècle était attribué à la phase finale du Magdalénien, notamment par la présence dans l’industrie lithique d’une pointe de Teyjat (fig. 10, n° 1). Réalisée sur une lame courbe à pédoncule large et dont l’extrémité distale est façonnée par une retouche semi-abrupte de type perçoir, cette pièce pourrait être un marqueur chronoculturel pertinent. Cependant, cette attribution typologique dans un contexte relativement éloigné du Magdalénien final de Dordogne, du Lot et du Lot-et-Garonne, où se localise ce type d’outil, doit être soumise à caution. Elle pourrait être interprétée, selon J. Combier et R. Desbrosse (1964), comme étant une liaison entre le Sud-Ouest de la France et le Nord de la France et de l’Europe avec les pointes du type hambourgien.
Fig. 10. Outillage lithique de La Bonne-Femme. Collection du musée de Roanne (COMBIER, DESBROSSE, 1964).
- 1 La vision globale de ces vestiges reste problématique car les collections ont beaucoup souffert de (...)
29Signalons également dans ce corpus deux « microgravettes » et quelques rectangles, que nous retrouvons sur l’ensemble du pourtour jurassien (BÉREIZIAT, 2011). Les autres catégories d’outils soulignent le fonds commun classique de l’outillage magdalénien avec un indice burin (dièdre et sur troncature) élevé, plusieurs grattoirs sur bout de lame, des perçoirs ainsi que de nombreuses lamelles à dos. Cet ensemble décrit une certaine homogénéité, marquée par un indice laminaire très élevé. Les pièces évolutives relatives à la période azilienne sont quasi absentes. Aucun grattoir circulaire ou inguiforme typique n’est observé, mais le matériel conservé au musée de Brégnier-Cordon abrite deux pointes à dos courbe (BUISSON et alii, 2004)1.
30L’industrie osseuse de la collection Tournier est très discrète, composée de seulement six pièces (MALGARINI, 2014). L’intérêt réside principalement dans un fragment de pointe à biseau simple et un bois de renne presque entier portant un long négatif de baguette.
31Le spectre faunique, composé du bouquetin, du renne, du cerf, du cheval, du sanglier, du loup et de la marmotte, pourrait caractériser le biotope du Bas-Bugey à une époque où les oscillations froides sont de moins en moins rigoureuses et les périodes de réchauffement notables à la fin du Bølling. Le monde animal serait alors en recomposition. J. Tournier signale toutefois une évolution de la faune de bas en haut de la séquence : « la richesse et la nature des débris archéologiques variaient avec la profondeur. Dans la partie supérieure, le renne était plus rare, le cerf plus commun […]. Vers la partie inférieure, […] les débris du bouquetin et du renne, plus nombreux, constituaient la totalité des dents et ossements, avec quelques vestiges rares du sanglier et du cheval. » (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911, p. 2). C’est une observation importante qui, corrélée aux artefacts lithiques (« Dans la partie supérieure, […] les lames de silex, empruntées pour une partie aux chailles jurassiques, étaient moins fines et moins abondantes. Vers la partie inférieure, les lames étaient meilleures », ibid., p. 2), suggérerait donc bien au moins deux épisodes culturels différents.
32La première excavation menée par J. Tournier et Ch. Guillon en 1894 signale l’existence de trois foyers dont deux situés ‘à gauche’ (secteur est), couvrant respectivement une surface de 5 dm² et 6 m², et un ‘à droite’ (secteur ouest), plus important, occupant 12 m² (fig. 11). Cette campagne semble avoir toutefois concerné différents points de l’abri car les chercheurs mentionnent « des tranchées profondes sur tous les points du talus pentueux » (TOURNIER, GUILLON, 1895, p. 89).
Fig. 11. Emplacement des zones concernées par la campagne de sondage 2017 (DAO : G. Béreiziat).
33Concernant les deux foyers situés ‘à gauche’, il est impossible de savoir s’ils étaient superposés ou situés sur un même plan horizontal. Les deux hypothèses peuvent être formulées, les deux foyers apparaissant au-dessous de la partie supérieure composée d’une terre végétale et tuffeuse, à une profondeur de 40 cm, situés « en travers et très près du bord extérieur » (ibid., p. 90).
34Concernant le foyer situé à droite, sa disposition « s’expliquerait par l’horizontalité de la voûte » (ibid., p. 90). Il aurait été adossé à la paroi et déborderait au-delà de la zone abritée. Couvrant 12 m², ce foyer possède une puissance plus importante, d’une quarantaine de centimètres. La stratigraphie se compose d’un niveau à terre végétale (0,30 m) suivi d’une couche à terre jaunâtre tuffeuse et cailloutis (0,50 m), du foyer (0,40 m) et d’un cailloutis mélangé d’argile rouge dont l’épaisseur est inconnue. La même stratigraphie est décrite au centre de l’abri, mais sans présence de foyers !
35La campagne de 1910 porta quant à elle sur une surface de 20 m² dans la partie droite (secteur ouest) de la terrasse actuellement non abritée de la grotte (fig. 11), notant également une augmentation en puissance et en profondeur en allant de gauche à droite de la couche archéologique. Ce pendage se retrouve aussi sur l’avant du talus.
36J. Tournier et J. Déchelette n’ont repris les fouilles qu’à droite, là où elles s’étaient arrêtées en 1894. Ils précisent ainsi que le foyer découvert à la fin du xixe siècle présentait une largeur de 2,50 m, débordait au-delà du surplomb et gagnait en profondeur de gauche à droite (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911). Ces travaux mentionnent par ailleurs plusieurs foyers, mais une même couche archéologique. Dans une lettre écrite à J. Déchelette en 1910 (BUISSON et alii, 2004), J. Tournier précise que deux foyers superposés ont été découverts :
- un foyer supérieur, moins large (2,50 m) et moins épais, à 0,40 m de profondeur, qui contenait des lames moins bien taillées accompagnant des dents de cerfs et de bouquetins ;
- un foyer inférieur à 0,90 m de profondeur qui perd de son importance dans la pente de l’éboulis, en précisant que les fouilles s’étendaient à 6,50 m au-delà de la terrasse abritée. De grandes lames finement retouchées avec dents de renne, bouquetin et cheval le caractérisent.
37Bien que J. Tournier ait mentionné dans la publication de 1911 que ces foyers intégraient une même couche archéologique, il précisa toutefois dans la correspondance de 1910 que « le foyer le plus bas est entièrement magdalénien et âge du renne, le supérieur correspondant à ‘l’élapho-tarandienne’ de Piette », soit à l’Azilien. Il signala enfin que le foyer inférieur se poursuivait assez loin dans la pente tandis que le foyer supérieur avait disparu.
38La stratigraphie de la partie droite de l’abri est décrite ainsi :
- terre végétale d’épaisseur variable ;
- terre jaune argileuse et tuffeuse, englobant des pierres détritiques de la voûte et de la paroi. Elle atteint 50 cm d’épaisseur sur le bord droit ;
- foyers et couche archéologique qui commençait à gauche à 0,40 m de profondeur, s’incline vers la paroi de droite pour atteindre la profondeur de 1,10 m ;
- couche argilo-sableuse détritique avec quelques cailloux alpins dans la zone inférieure. Cette couche peut atteindre 2 m d’épaisseur. J. Tournier parle de fond rocheux, ce qui pourrait laisser entendre que le substrat ait été atteint à certains endroits de l’abri.
39Nous savions depuis longtemps que d’autres fouilles plus récentes avaient concerné différents points de l’abri (ROUCH-ZURCHER, 1991 - J. Combier, comm. orale). Peu d’éléments permettaient de préciser le contexte de ces recherches, mais la récente découverte de plusieurs documents relatant le passage d’un archéologue amateur, Jean Reymond, dans les années 1950, a permis d’en savoir un peu plus sur l’emprise de ses recherches et la quantité de matériel récolté. Ces archives de fouille montrent différentes zones impactées difficiles à replacer sur un plan tant la localisation et la topographie sont hasardeuses (fig. 11).
40Sur ces documents, il est notamment question d’un bloc calcaire ayant servi de repère que nous avons pu retrouver le long du chemin actuel menant à la grotte (fig. 11). Il nous livre une indication importante par rapport au plan relevé par J. Reymond, ciblant ainsi trois zones principales de sondage : une première au contact de la pierre repère, une deuxième le long de la paroi à gauche (encore visible aujourd’hui) et une troisième sous le plancher stalagmitique ainsi que les premiers mètres carrés extérieurs. Il est aussi mentionné un sondage au bord de l’ancien lac.
- 2 Le détenteur actuel n’a pas souhaité transmettre cet objet qui, s’il s’avère authentique, deviendra (...)
41De cet épisode, plusieurs centaines de produits de taille bruts et restes osseux ont été récupérés. Les outils ne sont pas présents, bien que nous en connaissions l’existence. Parmi le matériel (non récupéré) de cette collection figurerait aussi un bois de renne gravé de deux représentations animales, mais son authenticité (origine et ancienneté)2 n’est pas confirmée.
42La possibilité d’occupations multiples, diachroniques, dessinait les contours d’une problématique que nous souhaitions discuter à travers une reprise des travaux sur le terrain.
43L’emplacement du sondage a été choisi en fonction des maigres renseignements livrés par nos prédécesseurs, optant pour une zone de 6 m² située au centre qui partait de l’aplomb de la grotte et se poursuivait jusque dans le talus pentueux (fig. 11).
44Les recherches ont très vite été confrontées à la présence d’une ancienne tranchée, localisée principalement en F7-G7 et F6-G6 (fig. 11). Les carrés E6-E7 n’ont par contre pas été affectés. Leur composante sédimentaire décrivait initialement un niveau jaune argileux à éléments détritiques proche de celui mentionné par J. Tournier, la séquence archéologique se trouvant théoriquement sous-jacente. Toutefois, sa puissance anormalement importante par rapport à ce qui avait été décrit lors des fouilles de 1894 et 1910 interrogeait. Présente sur 10 cm d’épaisseur sur le bord gauche et 50 cm sur le bord droit (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911), elle atteignait dans le sondage une puissance de plus de 70 cm. Cette configuration contredisait donc le pendage régulier allant de la gauche vers la droite et annonçait malheureusement que le site avait été complètement vidé de ces premières couches jusqu’à la base du niveau archéologique, soit sur 1,50 mètre de profondeur. Les coulées de calcite présentes le long de paroi témoignent notamment de cette réalité car elles venaient reposer sur le niveau initial, la première couche archéologique débutant directement à la base du plancher stalagmitique (fig. 11).
45Seule une petite bande située au contact de la tranchée (F7) et du carré E7 envisageait un témoin sauvegardé de la couche archéologique, mais la dispersion verticale importante de ces vestiges et leur désorganisation apparente se faisaient certainement l’écho d’une zone fragilisée par le creusement de l’ancienne tranchée et le glissement de certains éléments.
- 3 Une partie des collections de La Bonne-Femme entreposées au musée de Brou à Bourg-en-Bresse porte é (...)
46Partant de ce constat, la stratégie s’est orientée vers la recherche de matériel oublié par les anciens fouilleurs à travers de longues séquences de tamisage. La partie sommitale des carrés D7, C7 et B7 a ainsi été contrôlée et la zone située sous le plancher stalagmitique inspectée (fig. 11). Les recherches dans cette partie de l’abri ont été conditionnées par celles réalisées par J. Reymond3.
47Deux datations ont été réalisées sur du renne et une canine déciduale d’un enfant, donnant respectivement 12 705 ± 60 BP (Ly 15654 / 15 325 - 14 853 Cal. BP) et 12 495 ± 60 BP (Ly 15653 / 15 064 - 14 291 Cal. BP). Il est intéressant d’observer que la datation sur la canine d’enfant est contemporaine du squelette des Hoteaux, daté à 12 410 ± 50 BP / 14 846 – 14 168 Cal. BP (OxA-31474) (HENRY-GAMBIER et alii, 2019).
48Ces datations prennent place dans le cadre chrono-culturel classiquement observé dans le sud du Jura méridional (fig. 12), qui enregistre les premières pénétrations humaines aux alentours de 13 000 BP alors qu’elles furent plus précoces au nord, sur les bords du Suran et de l’Ain, dans les abris de La Croze et de La Colombière (Magdalénien moyen, vers - 14 500 BP). Ce scénario est directement lié à la présence du glacier du Rhône, qui a pendant longtemps ralenti la venue des premiers hommes modernes dans cette partie de l’Ain. La déglaciation a notamment pu être de longue durée avec la persistance d’énormes lobes de glaces mortes dans de grands surcreusements, générant des phénomènes d’obturation glaciolacustre (cf. supra).
Fig. 12. Datations 14C de La Bonne-Femme dans le cadre chronoculturel des sites tardiglaciaires du Jura méridional et des Alpes du nord (DAO : G. Béreiziat).
49La faune présentée ici provient de trois ensembles. Le premier, conservé au Musée du Haut-Rhône à Brégnier-Cordon, est issu des fouilles de J. Tournier en 1894 et 1910. Le second provient des recherches de J. Reymond, entre 1950 et 1961. Lors de notre étude, nous avons distingué trois échantillons qui sont présentés sur la figure 13. Ils correspondent aux étiquettes des divers sachets et cartons. Il n’a pas été possible de différencier des niveaux ou des périodes chronologiques. Le troisième ensemble provient des fouilles de 2017 (BÉREIZIAT, CARTONNET, 2017). Les données sont résumées sur la figure 14.
Fig. 13. La Bonne-Femme, fouilles Reymond : spectres fauniques par ensemble.
Fig. 14. La Bonne-Femme, fouilles 2017 : spectres fauniques par mètres carrés.
50Les diverses observations tant sédimentologiques qu’archéologiques ne nous permettent pas de distinguer, dans la faune, d’éventuelles attributions à une période précise, en particulier, de distinguer le Magdalénien de l’Azilien. Nous traiterons donc les restes fauniques de la Bonne-Femme en regroupant les divers échantillons, afin d’obtenir une image de l’environnement animal de ce site.
51La première observation concerne les pourcentages de détermination :
L’échantillon de J. Reymond n’a pas fait l’objet d’un tamisage systématique alors que celui de 2017 a été complètement tamisé sur maille fine. Ces différences de procédés expliquent les variations importantes dans le taux de détermination, proche de 50 % pour le matériel de Reymond alors qu’il n’est que de 9.1 % pour celui des fouilles de 2017. Une comparaison avec le site magdalénien des Douattes, en Haute-Savoie (MEVEL, 2011), également tamisé sur maille fine, montre un taux de détermination de 7,2 %. Ces valeurs basses sont typiques de la période magdalénienne, avec une exploitation poussée des ossements et une fracturation systématique des diaphyses.
52Nous avons testé le poids des fragments indéterminés pour les carrés B7 et F7 de la fouille de 2017. La figure 15 résume ces résultats. On voit clairement la prédominance des petits fragments d’un poids inférieur à 1 g, les esquilles plus lourdes diminuant de manière significative. On a là une indication supplémentaire de la fracturation poussée du matériel osseux. Les pourcentages d’esquilles brûlées par carré sont visibles sur la figure 16. On note une assez faible proportion d’ossements portant des traces de feu, les carrés B7, C7 et F7 montrant les pourcentages les plus élevés, supérieurs à 10 %. La majorité des restes brûlés sont de couleur brun à noir, indiquant des températures relativement basses (fig. 17)
Fig. 15. Courbes des poids des fragments indéterminés pour les carrés B7 et F7 (DAO : L. Chaix).
Fig. 16. Pourcentages d’os brûlés par carré (DAO : L. Chaix).
Fig. 17. Données numériques et pondérales des fragments indéterminés.
53Comme nous l’avons dit plus haut, nous regroupons les données issues des trois ensembles présentés au début. Ces résultats sont visibles sur la figure 18.
Fig. 18. Spectres fauniques comparés entre les trois ensembles étudiés.
54• Les Cervidés
- Le renne (Rangifer tarandus) : ce Cervidé domine nettement le spectre avec 261 restes. Ils sont attribuables à un minimum de quatre individus, dont un jeune d’environ 8 mois et trois adultes de 3 à 4 ans. Les données à notre disposition ne nous permettent pas de discrimination sexuelle.
55Les données métriques figurent sur la figure 19. Les autres données métriques, à l’exception de celles du bouquetin, figurent sur la figure 20. Comme on peut le constater, elles sont relativement peu nombreuses, excepté pour la première phalange du renne, en particulier son diamètre transverse proximal (Bd) qui permet une comparaison avec des sites magdaléniens proches et une population de rennes de Stellmoor, au nord de l’Allemagne, datée entre 13 000 et 12 000 ans (WEINSTOCK, 2000).
Fig. 19. Données métriques des restes de renne.
Fig. 20. Données métriques des autres espèces.
56La figure 21) montre que les rennes de la Bonne-Femme sont très comparables à ceux des Hoteaux et d’autres sites magdaléniens de la région, alors qu’ils sont plus petits que les rennes du nord de l’Allemagne (WEINSTOCK, 2000). La distribution des segments principaux du squelette est visible sur la figure 22. Les éléments de la tête et des bas de pattes sont dominants. Pour la tête, ce sont les dents qui dominent (N : 53) sur un total de cinquante-six. Pour les bas de pattes (mains et pieds), les phalanges sont les plus abondantes avec 53,3 % de ce segment. Le faible nombre d’éléments des membres antérieurs et postérieurs s’explique par la fragmentation poussée des diaphyses, générant des esquilles difficiles à déterminer.
Fig. 21. Renne : diagramme comparatif du diamètre proximal (Bp) de la première phalange. La ligne rouge représente la valeur moyenne pour les rennes des sites régionaux (DAO : L. Chaix).
Fig. 22. Renne : distribution (en %) des segments squelettiques (DAO : L. Chaix).
57Les traces anthropiques sont très rares. Il faut signaler des stries grossières sur un calcaneus droit, très érodé ; elles correspondent à la désarticulation du pied (section du ligament plantaire) (fig. 23). La plupart des phalanges ont été brisées au milieu de la diaphyse, sans doute pour en extraire la moelle. Cette technique est très semblable à celle observée sur les rennes des Hoteaux (BÉREIZIAT, CARTONNET, 2020, fig. 78).
Fig. 23. Traces profondes sur un calcaneus droit de renne (photo : L. Chaix).
- Le cerf (Cervus elaphus) : dix restes de cerf ont été trouvés dans les trois ensembles. Ils correspondent à un minimum de deux individus : un animal de moins de 2 ans et un autre de plus de 8 ans. Les mesures d’un métatarsien distal indiquent un animal robuste, dans la marge supérieure des cerfs néolithiques de Twann ou de Chalain (BECKER, JOHANSSON, 1981 ; ARBOGAST, 1997).
- L’élan (Alces alces) : ce grand Cervidé n’est attesté que par une troisième molaire inférieure provenant des fouilles Tournier (n° 03007). Elle appartient à un individu adulte de plus de 4 ans (Jensen, 2001). Les mesures de cette dent s’inscrivent bien dans la marge de variation des élans européens, fossiles et actuels (CHAIX, DESSE, 1981). Rappelons ici que l’élan a été découvert en contexte magdalénien sur le site de Pierre-Châtel (DESBROSSE, PRAT, 1974), mais également sur d’autres sites comme les Hoteaux, les Douattes ou Veyrier.
58Il est intéressant de noter l’absence du chevreuil (Capreolus capreolus). Il est attesté aux Hoteaux et aux Douattes. Il est toutefois possible que des restes de cette espèce figurent dans le groupe des petits ruminants.
59• Les Bovidés
- Le bouquetin (Capra ibex) : ce Capriné vient ensuite, avec un total de 53 restes. Ils sont attribuables à trois individus, dont un subadulte d’environ 3 ans et deux adultes de plus de 5 ans. De rares mesures ont été prises (fig. 24). Elles montrent que les bouquetins de la Bonne-Femme sont robustes, semblables aux individus des sites paléolithiques, et plus grands que les bouquetins alpins actuels (CHAIX, DESSE, 1983 ; DESSE, CHAIX, 1991) (cf. fig. 18). La répartition des segments squelettiques montre l’importance des dents (N : 35), le reste étant constitué d’éléments des bas de pattes (N : 12) (fig. 25).
Fig. 24. Données métriques des restes de bouquetin.
Fig. 25. Bouquetin : diagramme illustrant la grande taille du bouquetin de la Bonne-Femme par rapport aux bouquetins alpins actuels (DAO : L. Chaix).
60On peut supposer que parmi les 57 restes de petits ruminants indéterminés, une bonne partie appartienne au bouquetin, et éventuellement au chamois.
61Aucune trace anthropique n’a été observée et deux tali montrent des morsures de carnivores (loup ou chien).
- Le chamois (Rupicapra rupicapra) : quatre dents sont attribuables à un individu âgé de plus de 10 ans, d’après l’usure d’une 3e molaire inférieure (DMD : 21,6). Il est possible que d’autres restes classés dans les petits ruminants lui soient attribuables.
62Un fragment de molaire (n° 03017) a été attribué à un grand Bovidé (ou Équidé). Son examen n’a pas permis de trancher.
63• Les Suidés
64Seul un fragment de canine inférieure (n° 03065) indique la présence du sanglier (Sus scrofa), probablement un jeune mâle. Il est présent aux Hoteaux, à Pugieu et aux Douattes.
65• Les Équidés
66Le cheval (Equus caballus) est attesté par trois dents provenant des fouilles de Tournier. Il s’agit d’une Pm4 inférieure gauche, d’une M1 inférieure gauche et d’un fragment de dent jugale. Ces dents appartiennent à un cheval adulte de plus de 2 ans.
67Cette faible présence du cheval à la Bonne-Femme ainsi que son absence aux Hoteaux, alors que cette espèce est attestée aux Douattes et à Veyrier, illustre d’autres observations faites en particulier dans le Bassin parisien avec des sites à domination exclusive du renne, comme à Pincevent, ou du cheval, comme au Grand-Canton (BRIDAULT et alii, 2003 ; BIGNON, 2006). Les études sur l’exploitation des faunes du Magdalénien régional manquent et ne permettent pas une explication rationnelle, prenant en compte de nombreux facteurs (éthologie de l’espèce, morphologie de l’environnement, ressources alimentaires, saisonnalité des occupations, stratégies de chasse).
68• Les Carnivores
69Ils sont peu nombreux. On note la présence du loup (Canis lupus). Nous avons attribué une canine inférieure droite au chien domestique (Canis familiaris). Sa présence indique probablement un remaniement, ce Canidé n’apparaissant dans la région qu’au Préboréal (CHAIX, 2000). Quatre autres restes n’ont pas permis de discrimination entre loup et chien. Le renard roux (Vulpes vulpes) est attesté par une dent, un humérus et un radius dont les dimensions nous permettent d’éliminer le renard polaire (Alopex lagopus). Enfin, cinq restes sont attribuables à de petits carnivores, probablement des Mustélidés du genre Martes.
70Le spectre des mammifères est complété par dix-huit restes attribuables à deux Léporidés, sans qu’il soit possible de différencier le lièvre européen (Lepus europaeus) du lièvre variable (Lepus timidus). De même, sept vestiges appartiennent à la marmotte (Marmota marmota).
71Enfin quatorze ossements d’oiseaux ont été mis au jour. Parmi eux, cinq ont été attribués au genre Lagopus sans qu’il soit possible de les séparer spécifiquement. Les lagopèdes sont fréquents dans les assemblages magdaléniens de la région et font partie des espèces emblématiques du Magdalénien de l’Est de la France (MOURER-CHAUVIRÉ, 1975, 1993). Un carpométacarpe appartient à un Laridé (mouette) et un humérus à un passereau.
72Un certain nombre d’ossements n’ont pu être déterminés spécifiquement (cf. fig. 18), alors que des restes de micromammifères (rongeurs et insectivores) proviennent sans doute de pelotes de réjection de rapaces.
73La faune de la Grotte de la Bonne-Femme, malgré l’absence de stratigraphie claire et de probables remaniements, montre cependant les caractéristiques de l’environnement animal typique du Magdalénien régional. Le spectre est dominé par le renne et le bouquetin, auxquels on peut ajouter la marmotte et le lagopède. La comparaison avec les Hoteaux montre une grande similarité alors qu’aux Douattes, cet ensemble d’espèces ne représente que 70 % du total, sans doute à cause de la présence non négligeable du cheval, du bison et du cerf (fig. 26).
Fig. 26. Pourcentages relatifs des espèces emblématiques (par rapport au total des espèces déterminées) (DAO : L. Chaix).
74Dans sa totalité, la série se compose de 18 éléments. Comme pour l’industrie lithique, l’industrie osseuse se retrouve aussi bien dans les collections anciennes (n = 13, dont cinq pour les fouilles Tournier et huit pour les fouilles Reymond) que dans le matériel des fouilles récentes (n = 6). Ces nouvelles recherches de terrain complètent les données acquises lors d’un précédent travail (MALGARINI, 2014) réalisé à partir des collections Tournier (Musée de Brou à Bourg-en-Bresse, Ain ; Musée du Haut-Rhône à Brégnier-Cordon, Ain). La série collectée par J. Reymond et l’apport des fouilles récentes permettent d’apprécier un peu mieux l’équipement retrouvé dans ce gisement peu connu du sud du Jura et de mettre en évidence certaines particularités. Toutefois, nous ne disposons pas de données stratigraphiques suffisantes pour établir des liens (sauf exceptions) entre le matériel, d’autant qu’une seule pièce a été retrouvée en stratigraphie lors des dernières fouilles.
75Dès la première publication consacrée au gisement de la Bonne-Femme, Tournier et Déchelette (1911, p. 5) mentionnent une industrie osseuse composée de quatre pièces, dont « un fragment de pointe de sagaie, arrondi et poli, de 12 millimètres de diamètre sur 41 millimètres de longueur », une « esquille osseuse, avec deux incisions se terminant en pointe, dessin de découpage d’une aiguille », un « fragment (bois de renne) portant deux incisions parallèles, distantes de 6 mm. » et une « corne de renne ». Dans une autre publication, Hutinel (1913, p. 106), mentionne trois éléments, dont « un fragment d’aiguille », « une sorte de poinçon en os » et « une corne de renne de 715 millimètres ».
76La révision des collections Tournier, nous a permis de comptabiliser cinq éléments (hors stratigraphie), dont au moins un peut se rapporter au matériel décrit anciennement. Il s’agirait de la pièce mentionnée par les auteurs (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911 ; HUTINEL, 1913), comme « corne de renne ».
77Parmi ces cinq éléments d’industrie osseuse, nous distinguons une pièce à biseau double entière (fig. 27, n° 1), un fragment de pièce à biseau simple, deux retouchoirs sur diaphyse (nos 3 et 4) et un déchet en bois de renne (de la partie basilaire à la perche C, qui correspondrait au déchet décrit par Tournier, Déchelette et Hutinel).
Fig. 27. Industrie osseuse de la grotte de La Bonne-Femme (collection Tournier). 1. Ébauche d’aiguille en bois de cervidé (Musée de Brou, Bourg-en-Bresse ; photos : R. Malgarini, 2010) ; 2. fragment biseauté ; 3 et 4. retouchoirs en os (Musée du Haut-Rhône, Brégnier-Cordon ; photos : R. Malgarini, 2011).
78La pièce à biseau double entière est en bois de cervidé. Ses dimensions très réduites (d’environ 60 mm de longueur et 5 mm de largeur) ainsi que l’absence de tissu spongieux ne nous permettent pas de savoir s’il s’agit de bois de renne (fig. 27, n° 1). La taille très réduite de cette pointe, pour ne pas dire micro-pointe, pose le problème de sa fonction comme pointe de projectile. Le fût et l’extrémité distale sont par ailleurs peu aboutis. Cependant, cette pièce, dont la taille correspond davantage à celle des aiguilles à chas, pourrait aussi bien entrer dans cette catégorie au titre d’ébauche ; le biseau serait alors un aménagement pour la réalisation du chas.
79Le fragment de pièce à biseau simple (fig. 27, n° 2, 35,3 mm de longueur, 12,9 mm de largeur et 5,5 mm d’épaisseur) s’apparenterait à une partie proximale de pointe. La pièce est altérée et se caractérise par des arêtes émoussées et des surfaces patinées, y compris au niveau du pan de fracture dont l’origine pourrait être liée à une utilisation. On ne distingue aucun autre stigmate.
80Les deux autres éléments retrouvés dans les collections du Musée du Haut-Rhône sont des retouchoirs sur diaphyse (fig. 27, nos 3 et 4). Ces pièces n’ont subi aucun façonnage, il s’agit uniquement de longs éclats bruts utilisés directement. Les stigmates d’utilisation sont perceptibles sous forme de plages sur lesquelles on observe une accumulation de points d’impression dû au contact des éléments lithiques façonnés avec ces objets. La pièce n° 3 présente les plages les mieux préservées, notamment celle située en partie distale. La pièce n° 4, montre, en plus, des altérations de sa surface qui rendent les plages d’impression moins perceptibles.
81La pièce la plus grande de la série (fig. 28, n° 1) est un bois de renne de mue, conservé de la partie basilaire à la base de la perche C. Cette pièce se caractérise par un long et unique négatif de baguette positionné sur toute la longueur de la face antérieure. Elle est dans un état de conservation assez dégradé avec des états de surface moyens. Elle est composée de plusieurs fragments et marquée par des restaurations anciennes de mauvaises qualités (cf. détails fig. 28, n° 1, a, ruban adhésif et enduit). En revanche, les stries des pans de rainurage sont bien préservées (n° 1, b). Sur les deux andouillers, seul l’andouiller de glace présente une fracture en double languette, mais sans autres stigmates associés, ce qui impliquerait un choc violent pour son détachement (n° 1, c), probablement réalisé par percussion directe. Il s’agit de la seule pièce qui correspond aux descriptions de Tournier et Déchelette (1911) et Hutinel (1913).
Fig. 28. Industrie osseuse de la grotte de La Bonne-Femme (collection Tournier). 1. Bois de renne avec extraction d’une baguette sur toute la longueur de la face antérieure ; a : détail des restaurations anciennes et du double rainurage ; b : détail du double rainurage ; c : détail du pan de fracture en double languette à la base de l’andouiller de glace ; 2. partie basilaire brute de petit module (photos : R. Malgarini, 2010).
82Dans leur publication de 1911, Tournier et Déchelette en font une description très précise pour l’époque : « C’est une corne de renne trouvée dans le dépôt graveleux vers la paroi de droite. Elle était brisée en plusieurs endroits, par suite du tassement du dépôt de graviers et de tufs ; mais les fragments, étant restés dans une position normale, on peut les dégager les uns après les autres et les retirer à peu près intacts.
La corne de Brégnier a une longueur de 715 mm.
La circonférence de la base, prise vers la naissance de l’andouiller basilaire, a 114 mm.
83L’andouiller basilaire ou frontal a été coupé à 4 cm de son point d’attache. Cinq centimètres plus haut, on voit la base d’un autre andouiller brisé. À partir de ce point, la ramure a 102 mm de circonférence ; elle décrit un arc de cercle de 470 mm de corde ; sur toute la longueur de l’arc, la corne a été sciée longitudinalement par le milieu. Le merrain qui reste est plat intérieurement sur la face de sciage ; il a une largeur moyenne de 25 mm ; la moitié de cette surface est occupée par le vide médullaire. (…) ».
84L’abbé Breuil, à qui Tournier et Déchelette avaient communiqué une photographie de l’objet, s’exprimait en ces termes : « Votre bois de renne est un simple rebut de débitage, qui a fourni les longues baguettes courbées de certaines sagaies. Il est plus facile de tracer le sillon de débitage du côté concave que du côté convexe et les bois débités de cet aspect sont assez nombreux, mais souvent morcelés ».
85Connu aussi bien au Magdalénien moyen que supérieur, le débitage unique de baguette sur toute la longueur de la face antérieure de la perche est courant dans tous les gisements jurassiens (MALGARINI, 2014).
86Hors de ce petit corpus d’industrie osseuse, nous signalons également un bois de renne de chute et de petit module, dont la surface est assez dégradée et sur laquelle nous ne distinguons aucun stigmate. La pièce est cassée à la base de l’andouiller d’œil et sur la perche A. La série ne compte pas d’autres éléments bruts.
87Cette petite série est constituée d’au moins huit éléments. La série n’a pu être observée dans son intégralité (cf. note 2). Nous ne disposons que d’une photo globale d’une partie de la collection (fig. 29), tandis que le reste a pu être étudié (fig. 30 à 32).
Fig. 29. Matériel non étudié de la collection Reymond. a. Détail du bâton percé ; b. détail de l’aiguille à chas (photos : M. Cartonnet).
88A minima donc, sur la photo d’ensemble (fig. 29), nous observons un bâton percé (a priori en bois de renne) fracturé au niveau de la perforation (à l’extrémité droite de la pièce sur la photo) et décoré d’au moins deux figures animales schématiques sur le manche, lui-même marqué à l’extrémité proximale (extrémité gauche sur la photo) par des traces de sectionnement (percussion lancée tranchante ?) qui dessinent une gorge (périphérique ?). Nous décelons également un fragment d’aiguille à chas et au moins trois éléments (en bois de cervidé ?) sur lesquels on distingue des sillons qui restent difficiles à interpréter concernant la technique utilisée (rainurage, incisions... ?).
89Pour l’autre partie du matériel, nous n’avons pu avoir accès qu’à quatre pièces (fig. 30 à 32) dont deux éléments en ivoire (fig. 30), une pièce en bois de renne (fig. 31) ainsi qu’un métapode vestigiel d’Élan ou de Mégacéros (détermination L. Chaix), non façonné qui n’est pas sans rappeler le métapode vestigiel d’Élan appointé provenant de la grotte des Romains dans l’Ain (DESBROSSE, PRAT, 1974).
90Les deux pièces en ivoire sont de tailles assez importantes (fig. 30) et partagent des altérations similaires. Les objets présentent des bords relativement émoussés et les états de surface sont patinés.
Fig. 30. Industrie osseuse de la grotte de La Bonne-Femme : pièces en ivoire (collection Reymond). 1. Pièce à double perforation et incisions ; 2. pièce indéterminée présentant une modification de surface et de volume avec traces de rainurage (photo : R. Malgarini, 2021).
91Le premier objet en ivoire (fig. 30, n° 1) a subi une restauration ancienne (traces de colle encore visible), l’état de surface est correct, mais il est en partie dégradé à cause d’un délitement naturel du matériau. L’objet, de 40 mm de longueur, 34 mm de largeur et de 14,5 mm d’épaisseur, est de section concavo-concave sur lequel on distingue deux perforations cassées – une à chaque extrémité, de 14,7 mm à l’extrémité distale et de 19,6 mm de diamètre à l’extrémité proximale –, qui sont désaxées l’une de l’autre. Aucune trace n’est observable sur les parois de celles-ci. D’après la morphologie des parois (biconiques), ces perforations ont été exécutées de manière bifaciale. Seuls des sillons obliques et rectilignes sont visibles sur l’une des faces (incisions marquées) et aucune trace liée au façonnage n’est perceptible. Il nous semble difficile d’attribuer cette pièce à un type particulier tant celui-ci est original et inédit dans cette zone géographique. Cette pièce perforée ne trouve pas de comparaison dans les gisements régionaux contemporains ou datant du Magdalénien moyen (MALGARINI, 2014 ; MALGARINI et alii, 2017).
92La seconde pièce en ivoire (fig. 30, n° 2 ; 73,3 mm de longueur, 22,2 mm de largeur et 9,6 mm d’épaisseur) est cassée dans le sens longitudinal et aux deux extrémités. Les arrêtes sont relativement émoussées. Le bord gauche semble façonné, à en juger par ses courbes et la dépression en partie mésiale. Ce bord est également marqué par un piquetage que l’on retrouve aussi bien sur les parois que sur les arrêtes et le fond du plus gros sillon. Ces altérations semblent d’origine taphonomique. La surface supérieure de la pièce, délitée anciennement, est plane et marquée par deux sillons de rainurage obliques à chaque extrémité. Incomplète, il est difficile d’attribuer cette pièce à un type défini et là encore, il n’y a pas d’équivalent dans les autres gisements régionaux.
93L’élément présenté en figure 24 est en bois de cervidé (fig. 31) et peut être classé comme pièce biseautée en volume. De section circulaire, cette pièce peut être issue d’un andouiller ou de la perche A (épaisseur du tissu compact de 4,5 mm ; 2/3 de compact pour 1/3 de spongieux). Si l’état de conservation de l’objet est satisfaisant, les états de surface sont médiocres, patinés, ce qui empêchent d’observer les stigmates les plus fins comme les stries. Les traces visibles à l’extrémité proximale sont davantage à rapprocher de l’action des carnivores qu’à un outil utilisé en percussion lancée tranchante. Par ailleurs, cette extrémité est marquée par un pan de fracture post-dépositionnelle. Deux rainures bifaciales marquent la pièce en partie mésiale, dont une est assez profonde. Toutefois ces deux sillons ne semblent pas s’inscrire dans un procédé particulier (pour l’obtention d’une baguette par exemple). La partie distale est donc marquée par un biseau dont les arrêtes sont très émoussées. Ce biseau présente une face irrégulière marquée par un décrochement dont l’origine serait un pan de fracture. Il pourrait donc avoir été aménagé à partir de ce pan, mais aucune trace de façonnage n’est perceptible. Son extrémité est marquée par de petits rebroussements et tassements de fibres qui indiquent que l’objet a été utilisé.
Fig. 31. Industrie osseuse de la grotte de La Bonne-Femme. Pièce biseautée en bois de renne (collection Reymond ; photos : R. Malgarini, 2021).
94Lors de la campagne 2017, six éléments en relation avec le travail des matières osseuses ont pu être retrouvés (fig. 32). Fait étonnant, ce sont les éléments en ivoire qui sont les plus nombreux avec quatre pièces retrouvées sous le plancher stalagmitique, dont trois éléments sur lesquels on observe quelques stigmates (fig. 32, nos 1, 2 et 4), ainsi qu’un élément brut que nous conservons dans notre inventaire (n° 4). L’une de ces pièces (n° 1) est quasiment semblable à l’une de la série de J. Reymond (fig. 29, n° 2) avec des états de surface similaires, le même piquetage à sa surface et surtout un bord « modifié » et morphologiquement identique ; toutefois le raccord est impossible entre elles. La deuxième pièce (fig. 32, n° 2) présente un pan de rainurage sur une face, sur lequel on distingue bien les fines stries parallèles et le fond du sillon. Enfin, sur la troisième pièce (n° 3), on détecte une incision. Ces deux derniers éléments ont été retrouvé à la base de la couche archéologique.
Fig. 32. Industrie osseuse de la grotte de La Bonne-Femme (fouille Béreiziat). 1, 2, 3 et 4. Éléments en ivoire ; 5. ébauche d’aiguille à chas en bois de cervidé ; 6. pièce indéterminée en os avec traces de rainurage (photos : R. Malgarini, 2021).
95Le cinquième élément est en bois de cervidé (fig. 32, n° 5). Il se caractérise par des bords rectilignes et réguliers avec des pans de fractures post-dépositionnelles très émoussées aux extrémités. Les stigmates ne sont pas visibles. Ces dimensions réduites ainsi qu’un biseau double en partie proximale rappelle la possible ébauche d’aiguille à chas de la collection Tournier (fig. 27, n° 1). Il pourrait éventuellement s’agir du même type de pièce. La question d’une utilisation comme pointe de projectile se pose de la même manière que pour la pièce de la collection Tournier.
96Enfin une pièce en os (fig. 32, n° 6) est marquée par des stries rectilignes, régulières et très rapprochées entre elles que nous identifions comme un pan de rainurage, comme nous en trouvons parfois sur les matrices pour la fabrication d’aiguilles. Cependant, il est difficile d’attribuer cette pièce à une catégorie précise.
97L’industrie osseuse, composée de dix-huit pièces, dénote légèrement avec les autres gisements du massif du Jura français. Outre une partie de la série Reymond que nous n’avons pu étudier, et dans laquelle figurent un bâton percé décoré et une aiguille à chas bien identifiée, les différentes séries sont très originales dans leur composition. Les éléments les plus surprenants sont les fragments d’ivoire (dont deux ont été manufacturés), peu communs au regard de ce qui existe dans les autres contextes contemporains de la phase finale du Magdalénien jurassien, et que l’on retrouve surtout dans la phase moyenne. Le matériel en bois de renne est constitué d’ébauches d’aiguilles, d’une pièce biseautée en volume, d’une pièce sur support plat qui se rapprocherait d’un fragment proximal de pointe, et d’un déchet qui témoigne du débitage d’une grande baguette. Bien que les fouilles anciennes n’ont probablement pas été tamisées, ou qu’un tri a été effectué, on remarquera la présence de petits éléments.
98Le reste du matériel demeure assez similaire à d’autres gisements régionaux dans lesquels on retrouve peu de pièces – la grotte du Chaumois-Boivin, Jura, la grotte de la Chênelaz, Ain, l’abri de la Fru, Savoie… – et pourrait assez bien caractériser un passage « rapide » dans la grotte et/ou répondant à un besoin immédiat des Magdaléniens. Des attributions typologiques sont peu aisées à définir en raison d’un matériel assez fragmenté et présentant des morphologies et des caractères taphonomiques peu communs. Taphonomiquement, on relèvera que le matériel demeure homogène entre les séries : patiné avec les arrêtes des bords émoussées, l’absence de stigmates plus fins comme les stries étant assez inhabituelle parmi les gisements en grottes ou en abris du massif du Jura (MALGARINI, 2014).
99Les vestiges lithiques récoltés lors de la dernière campagne s’élèvent à 1.899 dont 954 esquilles (fig. 33). Seuls quinze éléments ont été coordonnés, dont un burin, une lamelle à bord abattu bitronquée, onze éclats et trois nucléus. Étant donné le degré de perturbation qu’a connu le site, et l’absence de tout niveau archéologique en place, la répartition des vestiges par m² ne présente aucune signification spatiale. Elle permet toutefois de considérer les problèmes liés aux fouilles anciennes et l’absence de tamisage systématique qui aurait permis de recueillir les plus petits éléments. De très nombreux artefacts de petites tailles, dont de nombreuses lamelles à bord abattu, n’ont ainsi pas été récoltés par nos prédécesseurs.
Fig. 33. Répartition des vestiges lithiques par m² et zone.
100Le corpus est dominé par les éclats intégrant les séquences de mise en forme et d’entretien des nucléus (fig. 34). Au sein de cette famille, peu sont totalement envahis par une plage corticale. Des produits à crêtes et à traces de crêtes sont également présents, parmi lesquels ceux impliquant une phase avancée du débitage. Les crêtes s’inscrivent donc plus dans l’entretien et la remise en forme de la table.
Fig. 34. Catégories d’artefacts lithiques par m² et zone.
101L’objectif de la production est essentiellement lamellaire, mais cette information doit être nécessairement nuancée par le contexte des recherches du fait de la récupération de plus petits lors du tamisage. La découverte de six nucléus argumente cette orientation du débitage (fig. 35-36). Ils possèdent tous une morphologie prismatique à semi-prismatique avec un débitage décrivant une évolution semi-tournante. Un nucléus s’individualise toutefois de ce corpus par sa très petite taille et renverrait plutôt à une tradition mésolithique (fig. 36). D’autres indices pertinents relatifs à cette période ne sont pas présents dans le corpus.
Fig. 35. Nucléus à lamelles (photos et DAO : G. Béreiziat).
Fig. 36. Nucléus à éclats courts (photos et DAO : G. Béreiziat).
102La série lithique contient cent seize outils dont plus des deux tiers sont des lamelles retouchées (fig. 37-38) dont soixante-cinq lamelles à dos simple, dix-huit lamelles tronquées, une bitronquée, ainsi qu’une éventuelle microgravette (fig. 38, n° 19). De cet ensemble, nous remarquons donc la grande variété des morphotypes : dos simple, dos double, dos simple avec pointe, dos double avec pointe, troncature simple distale, troncature simple distale à dos double, denticulé. Cette variété des lamelles à bord abattu rappelle notamment celle constatée dans les grottes des Romains (Virignin) et des Hoteaux, distantes de quelques kilomètres de La Bonne-Femme (BÉREIZIAT, 2011). Les lamelles retouchées étant très représentées dans ce corpus, il nous semble intéressant d’en proposer une analyse plus fine.
Fig. 37. Variété des supports à bord abattu. 1. Bipointe ; 2. monopointe ; 3. probable fragment de bipointe ; 4-18. lamelles à bord abattu à dos simple ; 19. microgravette (?) ; 20-23, 25-30. lamelles tronquées ; 24. lamelle bitronquée (photos : G. Béreiziat).
Fig. 38. Outillage lithique de la grotte de La Bonne-Femme. 1. Burin dièdre double ; 2 et 4. burin nucléiforme ; 3. burin-grattoir ; 5-7. grattoirs sur bout de lame ; 8-9. grattoirs courts ; 10. bec ; 11-12. perçoirs ; 13. micro-perçoir ; 14. lame tronquée ; 15. encoche (photos : G. Béreiziat).
103La grande majorité des supports est fragmentée. Seulement trois exemplaires sont entiers, ayant conservé leur partie distale (fig. 37, n° 15). Concernant les fragmentations, quinze correspondent à des parties proximales (18,5 %), cinquante-deux à des parties mésiales (64,2 %) et quatorze aux extrémités distales (17,2 %). Les types de cassure montrent dans de rares cas (5 ex.) une double cassure opposée par flexion directe et inverse, ce qui pourrait décrire une fragmentation intentionnelle. Le remontage de sept fragments d’une lamelle à bord abattu à la grotte des Romains argumente cette modalité technique. Les gabarits présents à la Bonne-Femme ne semblent toutefois pas répondre à cette intentionnalité. Cet état de fractionnement important ne permet pas une approche raisonnée des longueurs qui se distribuent entre 4 et 30 mm. La largeur est comprise entre 5 et 30 mm, la moyenne se situant à 5,8 mm. La moyenne des épaisseurs est de 2 mm, les mensurations étant comprises entre 1 et 5 mm.
104Concernant la retouche du dos, elle intéresse le bord droit pour quarante et une pièces, le bord gauche pour vingt-neuf, et treize une double latéralisation. Il est intéressant de constater que sur les dix-huit lamelles tronquées, la retouche du dos s’est opérée douze fois sur le bord gauche du support. Le dos est formé par une retouche abrupte pour vingt-quatre cas, semi-abrupte pour quarante et un et rasante pour vingt. Seules cinq lamelles possèdent une orientation inverse de leur retouche, dont une impliquant un dos bilatéral (retouche directe sur bord et inverse sur l’autre). L’examen de la section des supports ne montre pas d’orientation claire. Trente-sept pièces possèdent une section à deux pans, triangulaire, et quarante-deux une section à trois pans, trapézoïdale.
105Dans ce corpus, les lamelles tronquées n’occupent aucunement une place marginale. Ce type d’armature était déjà reconnu dans les collections existantes (COMBIER, DESBROSSE, 1964 ; BUISSON et alii, 2014) et se révèle être présent, au même titre que les rectangles, dans de très nombreux sites du pourtour jurassien. Il est difficile toutefois de leur accorder une valeur chronoculturelle car ces objets caractérisent autant la phase récente que finale du Magdalénien. Le nombre important de lamelles à bord abattu pourrait néanmoins militer pour une appartenance au groupe des sites de la fin du Dryas ancien, dans lequel nous trouvons certaines occupations de la grotte des Romains et de l’abri Gay, mais aussi Saint-Thibaud, La Fru et Bange dans les Alpes du nord, Monruz, Champréveyres et Moosbühl en Suisse, ainsi que Teufelsküche dans le sud-ouest de l’Allemagne. La récente datation obtenue sur renne (Ly-1564 - 12 705 ± 60 BP) argumente un peu plus une occupation à la fin de cette chronozone.
106Une bipointe entière est également présente (fig. 37, n° 1) ainsi que trois autres fragments que nous supposons appartenir à cette catégorie d’outil (n° 3 - la pièce n° 2 est une monopointe). Cette pointe à dos courbe est un marqueur pertinent de la phase ancienne de l’Azilien. L’hypothèse, déjà émise par J. Tournier (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911), et reprise plus récemment par R. Vilain (BUISSON et alii, 2004), d’une ou de plusieurs occupations aziliennes sus-jacente(s) au(x) niveau(x) magdalénien(s) à La Bonne-Femme se confirmerait, un scénario consolidé par la découverte de grattoirs courts (fig. 38, nos 8-9). Ces éléments viennent donc perturber l’homogénéité supposée de cet ensemble et nuancent les commentaires livrés par J. Combier et R. Desbrosse (1964), ainsi que I. Margerand (1986) à propos de l’industrie lithique, pour laquelle il fallait « signaler l’absence dans cette série de tout élément (grattoir arrondi ou pointe azilienne) qui serait susceptible d’indiquer une contamination avec un éventuel niveau azilien postérieur » (COMBIER, DESBROSSE, 1964, p. 194).
107Aucune parure ou fragment de parure, au sens littéral du terme, n’a été mentionnée dans les premières publications de J. Tournier et Ch. Guillon en 1895. Il faudra attendre la reprise des travaux en 1910 pour que J. Tournier signale la découverte d’une coquille marine. Dans un courrier adressé à J. Déchelette, daté du 18 décembre 1910, il écrit : « Nous découvrons deux foyers superposés :
- 1 - Le supérieur, moins large et moins épais, à lames généralement moins bien taillées et à dents de cerf et de bouquetin ; il est de 0,40m de profondeur.
- 2 - l’inférieur à 90cm de profondeur, plus accentué, plus épais, à grandes lames, à fines lames retouchées, à grattoirs réguliers, avec dents de renne et de bouquetin. Une dent de cheval a été trouvée dans le foyer profond. Le 11 novembre nous avons trouvé une coquille marine et un crayon d’ocre. Le foyer se poursuit toujours dans la pente de l’éboulis, en perdant peu à peu de sa profondeur. Le foyer le plus bas est entièrement magdalénien et âge du renne, le supérieur correspond à l’élapho-tarandien de Piette. » (TOURNIER, DÉCHELETTE, 1911 ; BUISSON et alii, 2004).
108Ce bivalve de l’espèce Anadara turicona confirmé par les travaux d’Y. Taborin en 1993, serait originaire du Miocène. On le retrouve dans les couches fossilifères de Veyrins près des Avenières, en Isère. Après de multiples recherches dans les différents lieux de conservation du matériel provenant de la Bonne-Femme, nous n’avons trouvé aucune trace de cette coquille. Et aucune évocation dans la littérature ancienne ne laisse envisager qu’elle ait été utilisée comme parure.
109Comme nous venons de l’évoquer, J. Tournier n’a pas signalé de parure. Mais néanmoins à l’occasion d’une visite sur le site par André Julliard en 2004, celui-ci recueille au sol, à l’aplomb d’une gouttière sous le porche, un fragment de coquille qui présente une perforation intentionnelle (fig. 39). Ce fragment proviendrait d’une valve de lamellibranche marin. Cette coquille de la famille des Cardiidae appartient à l’espèce Cerastoderma edule L. (com. orale Louis Chaix et Yves Finet), nommée également dans certains ouvrages archéologiques Cardium edule L. Elle a pour nom vernaculaire coque blanche ou bucarde. Son aire de répartition géographique est assez vaste, du littoral atlantique à la mer du Nord, depuis la Norvège jusqu’au Portugal, mais aussi en mer Méditerranée, avec une présence plus faible.
Fig. 39. Fragment de Cerastoderma edule L. perforé découvert par A. Juillard en 2004 (Photos : B. Vivier).
110Ce fragment de test, d’une longueur de 24 mm, présente une perforation circulaire très régulière, biconique (fig. 39). Elle se localise sur la face externe en dessous du crochet, zone qui correspond au resserrement des côtes radiales. Le diamètre intérieur de la perforation est de 2,5 mm avec une ouverture maximum de 3,8 mm.
111Ce coquillage se retrouve dans de nombreux gisements archéologiques, souvent sous la dénomination Cardium depuis le Paléolithique supérieur jusqu’aux époques modernes. Dans notre cas, il s’avère hasardeux de vouloir préciser son appartenance chrono-culturelle.
112Aucun reste humain n’a été mentionné par Joseph Tournier, Charles Guillon et Joseph Déchelette à l’occasion de leurs fouilles entre 1894 et 1910. Seule une dent déciduale humaine fut découverte dans cette cavité lors du sondage 2017 (BÉREIZIAT et alii, 2017).
113Cependant Jean-Jacques Millet (2018) signale l’existence d’une demi-mandibule adulte provenant de la grotte de La Bonne-Femme (fig. n° 2, p. 259). Cette pièce, non datée, a été calée chronologiquement dans le groupe des restes magdaléniens – avec le squelette des Hoteaux à Rossillon (Ain), la dent de la Balme de Glos à Fontaine (Isère) et des fragments de crâne de l’abri Gay à Poncin (Ain). À la suite d’échanges téléphoniques, l’auteur nous a bien confirmé l’existence de cette mandibule dans les collections de l’Institut de Paléontologie humaine. La tentation fut grande de pouvoir étudier cette pièce totalement inédite. Après plusieurs contacts avec Madame Echassoux, Directrice générale de l’Institut, elle nous a fait parvenir plusieurs photos représentant cette mandibule ainsi que l’étiquette d’origine.
114Premier constat, ce fragment de mandibule détenu dans les réserves de l’IPH est un moulage et deuxièmement il trouve ses origines non pas dans la grotte de la Bonne-Femme mais dans l’abri de Sous-Sac, sur la nouvelle commune d’Injoux-Génissiat (Ain), autrefois l’Hôpital. Sa découverte remonte aux fouilles de Joseph Tournier et de Charles Guillon entre 1895 et 1896. D’après une étude anthropologique réalisée par le docteur J. Ménard, elle appartiendrait à un individu adulte plutôt âgé et proviendrait de la sépulture découverte dans les couches mésolithique ou néolithique ? (MÉNARD, 1977). Fausse piste, mais néanmoins cela a eu le mérite de replacer correctement cette pièce dans le bon gisement et surtout dans son contexte chronologique. Lors de l’étude de la faune – englobant le matériel du sondage 2017 et celui des fouilles de Reymond, entre 1950 et 1960 – citée dans cet article, Louis Chaix ne mentionne aucun reste humain. Néanmoins il faut signaler que l’intégralité du matériel provenant des fouilles Reymond n’a pas été totalement restituée, une partie non négligeable se trouve encore dans les collections de Louis Salamand.
115Mais revenons à notre étude. Actuellement nous pouvons assurer que la grotte de la Bonne-Femme, en fonction de nos connaissances, n’a livré qu’une seule dent déciduale. Ce qui, en l’occurrence, ne conclut pas à la présence d’une sépulture, mais confirme seulement le passage d’un enfant sur le site. Quoi qu’il en soit, à première vue, cette modeste découverte aurait pu tout simplement tomber dans l’oubli et l’indifférence, mais une datation a modifié l’importance et l’intérêt de cette dent.
116Au regard de cette pièce isolée, la problématique sera de tenter d’extraire le maximum de renseignements, morphologiques et dimensionnels, tout en préconisant une certaine retenue sur les interprétations, ou du moins les utiliser avec beaucoup de précautions.
117Cette canine déciduale (fig. 40) découverte dans la grotte de La Bonne-Femme provient du carré B7. Elle reposait à la base de la première occupation de la cavité, sur un sédiment naturel argilo-sableux jaunâtre, très compact en US 2, zone inférieure, avec pour origine un mélange de dépôt lœssique et d’éboulis formé à partir de la desquamation des parois et de la voûte. Ce carré est positionné au centre de la cavité à proximité du plancher stalagmitique (cf. fig. 11). Cette dent se trouvait au contact de restes de faune et particulièrement deux fragments d’incisives de marmotte, animal chassé par les occupants de la grotte.
Fig. 40. Canine déciduale provenant du tamisage des sédiments du carré B7 (photos : B. Vivier).
118Ce sont les dimensions importantes de la couronne qui ont motivé sa datation ainsi que son opération de moulage, qui fut réalisé par Monsieur Sirven, que nous remercions chaleureusement.
119Sa datation par le 14C – AMS, indique le résultat suivant :
Lyon -15653 (GrM) : Âge 14C BP conventionnel : 12 495 ± 60 ;
Âge calibré : de 13 115 à 12 342 av. J.-C. ;
Âge calibré : de 15 064 à 14 291 BP.
120Cette canine inférieure droite entière (n° 83 de la numérotation internationale) présente globalement un bon état de conservation, aucune trace de carie, ni de tartre (fig. 40). Seule la racine expose quelques altérations en forme de vermicules (DENYS, 2014) pouvant provenir de l’action des racines des végétaux présents à l’aplomb du porche de la grotte. L’usure de la couronne porte essentiellement sur la zone occlusale et particulièrement sur la pointe avec une légère atteinte de l’émail, mais sans mise à jour de la dentine. Les deux bords marginaux, surtout le droit, présentent également une légère usure.
121La face vestibulaire est convexe, surtout dans la partie médiane située dans l’axe de la pointe. Le collet est bien marqué avec une chute brutale de l’émail. Très asymétrique, le bord gauche est plus rectiligne alors que le droit est plus divergent. La face linguale est légèrement concave avec une usure plus marquée sur la crête droite. Le cingulum est bien marqué, ce qui dessine deux petites fossettes, mais sans pouvoir évoquer une réelle crête médiane. La forme radiculaire est rectiligne et plutôt conique alors que les racines des canines supérieures sont souvent légèrement infléchies.
122L’estimation de l’âge de l’enfant au moment de la perte de sa dent va dépendre de plusieurs paramètres : environnementaux (localisation sur la mandibule), morphologiques et surtout génétiques. Ce dernier facteur semble soumis à des variations importantes entre les maturations dentaires, notamment entre les Néandertaliens et l’homme Moderne (GRAMAT, 2001).
123Dans notre cas, nous utiliserons l’état de calcification préconisé par Marseiller, 1937 et Olivier, 1960 sur des populations modernes, plus en adéquation avec notre enfant. La première phase de calcification débuterait aux environs de 2 ans, et concernant l’amorce de la décalcification de la racine, vers 9 ans pour Marseiller. Olivier considère que la racine déciduale est totalement formée à partir de 3 ans avec un début de décalcification vers 6/7 ans et une chute aux environs de 11 ans. En tenant compte de la faible usure de l’émail, même si ce critère reste très subjectif, notre canine pourrait être âgée entre 6 et 9 ans.
124Nous avons emprunté à différents auteurs les dimensions coronaires de canines déciduales à âge sensiblement égal et nous les avons rapprochées de celles concernant la dent trouvée à La Bonne-Femme (fig. 41). Le graphique (fig. 42) expose les évolutions des deux diamètres depuis le Paléolithique moyen jusqu’à l’époque actuelle. On constate que la canine magdalénienne de La Bonne-Femme occupe une position intermédiaire entre les dents néandertaliennes, qui présentent des diamètres nettement plus grands, et ceux de l’époque moderne, mettant en évidence une diminution des dimensions. Les variations métriques semblent s’opérer plutôt dans le sens mésio-distal. Mais on constate cependant que le dimorphisme reste important et très marqué avec les populations modernes. Quant au Néolithique, il se positionne entre le Paléolithique supérieur et l’époque actuelle. On observe une diminution assez graduelle des diamètres des couronnes dans le temps, depuis le Paléolithique moyen jusqu’à l’époque moderne. Les conclusions de Semal (1988) confirment « une diminution des dimensions dentaires au cours de l’évolution du genre Homo ». Même si le nombre d’échantillons est assez faibles dans chaque groupe, et particulièrement pour les dents déciduales, la réduction des diamètres M.D et V.L. est très perceptible pour l’ensemble de la denture, excepté pour les incisives qui présentent des évolutions beaucoup plus irrégulières.
Fig. 41. Mensuration de la canine déciduale, inférieure droite, de La Bonne-Femme.
Fig. 42. Évolutions des deux diamètres M.D et V.L. depuis le Paléolithique moyen jusqu’à l’époque actuelle (M. Cartonnet, DAO : G. Béreiziat).
125La rareté des vestiges attribuables avec certitude à la fin du Paléolithique confère à cette canine une valeur non négligeable avec ses caractères archaïques et ses fortes dimensions. Mais il semble évident que l’étude de cette dent ne permet qu’une approche partielle du processus évolutif des différentes populations humaines, mais autorise notamment la pose d’un nouveau jalon quant à l’occupation du Jura méridional pour la fin de la période du Tardiglaciaire.
126Bien que les dernières recherches aient écarté toutes chances de retrouver des lambeaux en place dans la grotte de La Bonne-Femme, ce retour sur le terrain aura permis de cerner l’étendue des fouilles anciennes et d’engager, par la récolte des vestiges oubliés par nos prédécesseurs, de nouvelles réflexions sur le cadre chronoculturel du gisement.
127Ce dernier a été révisé par l’apport des approches pluridisciplinaires, qui entrevoient à présent plusieurs occupations s’échelonnant entre la toute fin du Dryas ancien et la période de réchauffement intense, le Bølling. Il a notamment été précisé par deux datations 14C qui argumentent au moins deux fréquentations du site durant cette période. La datation relative à la dent d’enfant (Ly 15653, 12 495 ± 60 BP) souligne également une proximité avec celle obtenue sur la sépulture des Hoteaux (OxA 31474, 12 410 ± 50 BP) dans une période où la phase ancienne de l’Azilien pourrait s’être déjà manifestée. Cette hypothèse a notamment été soulevée aux Hoteaux où quelques vestiges prétendument associés à la sépulture pourraient envisager cette phase (GAMBIER et alii, 2019). Cependant, pour la Bonne-Femme, les indices sont maigres et la présence discrète d’outils caractéristiques (grattoirs courts et pointes à dos courbe) ne permet pas d’associer ce matériel à une occupation précoce de l’Azilien dans la région. En effet, la majorité des sites dans lesquels l’Azilien ancien est solidement reconnu (Gay, Fru et Monruz - PION dir., 1990 ; BULLINGER et alii, 2006 ; BÉREIZIAT, 2011, 2013 ; MEVEL, 2013, 2017) évoquent plutôt des occupations comprises entre 12 200 - 12 000 BP, donc plus récentes que celle de La Bonne-Femme.
128De plus, il apparaît clairement que le matériel recueilli en 2017 et lors des fouilles anciennes est fortement dominé par les fonds technique et typologique magdaléniens. La pointe dite de « Teyjat » évoquerait la phase finale mais sa présence esseulée dans le corpus, la fragilité de l’attribution typologique et son éloignement géographique mettent en doute sa pertinence. Cette pointe s’inscrit par contre dans la grande diversité des morphotypes de pointes lithiques (à dos anguleux, à cran, à pédoncule…) observée sur le pourtour jurassien. On les retrouve au nord de la Suisse, dans la région d’Olten et de la Birse (Kohlerhöhle, Brügglihöhle, Schweizersbild à Schaffhouse), en Franche-Comté, dans l’abri des Cabônes à Ranchot, et dans le Jura méridional dans les sites de La Grand’Baille, des Hoteaux et de l’abri Gay (DAVID, 1996 ; LE TENSORER, 1998, BÉREIZIAT, 2011 ; BÉREIZIAT et alii, 2022). Elles sont toujours accompagnées de nombreuses lamelles à bord abattu, à retouche simple, tronquée ou bitronquée, éléments que nous retrouvons en quantité importante dans le gisement de Murs-et-Gélignieux et plus globalement dans les sites magdaléniens de l’Ain.
129La grotte de La Bonne-Femme confirme surtout le scénario d’une occupation intense et continue de cette région au sortir de la dernière glaciation. Le retrait des glaces et l’environnement lacustre évoqués précédemment ont freiné l’arrivée des premières populations dans cette partie de la région. Les datations n’indiquent pas d’occupations antérieures à 12 900 BP sauf une sur ivoire à la grotte des Romains (Ly 1772, 13 140 ± 80 BP - fig. 12). Mais cette dernière ne permet pas d’associer l’élément daté à la contemporanéité de l’occupation. Une première vague en provenance de la vallée rhodanienne semble donc s’opérer à la toute fin du Dryas ancien et perdurer sans discontinuité apparente jusqu’à l’avènement des premiers Aziliens.
130La révision de plusieurs séquences associées à un retour sur le terrain depuis 2017 apporte des éléments supplémentaires à la compréhension du Tardiglaciaire régional par la mise en évidence de caractéristiques typotechnologiques de l’industrie lithique et osseuse, et paléoenvironnementales. Ces nouvelles données permettent surtout de constater les influences multiples, dans un territoire situé à la croisée de divers champs d’expression de la culture magdalénienne. Les récents travaux menés à la grotte des Hoteaux l’illustrent parfaitement, avec la découverte de très nombreux coquillages marins d’origine méditerranéenne, ainsi que des fragments de rondelles découpées sur os, entretenant des liens prégnants avec le Sud-Ouest de la France (SCHWENDLER, 2005), mais aussi sur schiste, une réalité davantage observée sur le pourtour jurassien (BÉREIZIAT et alii, 2022 ; PESCHAUX, LIGOUIS, 2023).