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Partie I – Analyse et caractérisation des sanctuaires

Chapitre 2 – Du mobilier aux cultes : objets et pratiques rituelles

p. 147-288

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Texte intégral

« Nous aussi, nous sommes sensibles aux honneurs : nous aimons les fêtes et les autels et nous sommes, dans le ciel, une foule exigeante. Souvent une faute attire l’inimitié des dieux, et une victime expiatoire les apaise ; j’ai vu souvent Jupiter, prêt à lancer ses foudres, retenir sa main parce qu’on l’encensait. »
Ovide, Les Fastes, V, 297-302

1L’intérêt accordé depuis plusieurs décennies, à partir des années 1980, à l’étude du mobilier découvert au sein des sanctuaires laténiens et antiques a mené au développement récent d’une « archéologie du rite » ou « archéologie du geste » pluridisciplinaire, visant à analyser les objets dans leur contexte, afin de mettre en évidence les traces laissées par les officiants et les dévots (Scheid, 2000b ; Van Andringa, 2021). Selon les anthropologues, le rituel, qu’il relève ou non de la sphère religieuse, est une « séquence d’actions symboliques codifiées et organisées dans le temps » ; il se déroule dans un lieu déterminé et à un moment précis (Yannic, 2010, p. 11-12). D’un point de vue archéologique, il ne peut être appréhendé dans sa globalité, puisque les paroles et les autres productions sonores qui s’enchaînent lors de son accomplissement ne laissent généralement aucune trace, de même que certains gestes, objets ou substances périssables qui sont manipulés au cours de son déroulement. En revanche, dans certains cas et à partir de l’étude du mobilier archéologique, il est possible de reconstituer – du moins partiellement – les séquences rituelles en « corrélant des données matérielles éparses et en multipliant les comparaisons » (Pernet et Roure, 2011, p. 15).

2En ce qui concerne les lieux de culte des époques gauloise et romaine, l’analyse des vestiges archéologiques permet avant tout de considérer deux types de pratiques rituelles, réalisées à titre public ou privé, par une communauté ou par un seul individu en l’honneur d’une ou de plusieurs divinités : le sacrifice, en particulier animal, et l’offrande d’objets qui accompagnent une opération dont la nature et les motivations varient d’une situation à l’autre. L’identification des objets utilisés au cours de ces actes rituels n’est pas toujours évidente, de même que leur interprétation : de multiples activités se déploient en effet dans les sanctuaires et les objets qui y sont mis au jour peuvent avoir été introduits et employés dans le cadre de leur chantier de construction, de leur entretien ou de leur fonctionnement, mais aussi avoir été perdus par leurs visiteurs. En outre, le matériel issu de la fouille d’un sanctuaire peut être abondant et diversifié ; son étude implique donc l’intervention de spécialistes variés. Ce chapitre vise à mettre en relief les traits caractéristiques des catégories de mobilier les plus fréquentes, à partir des dossiers les mieux documentés, puis d’observer des assemblages particuliers. Il s’agit alors d’identifier des gestes récurrents et de reconstituer une partie des activités religieuses qui ont lieu dans l’enceinte des sanctuaires, en tentant de discerner des pratiques communes à l’ensemble des aires sacrées ou au contraire spécifiques à des espaces, à des périodes ou à des communautés.

2.1. De la découverte de l’objet archéologique à l’identification des actes rituels : méthodes et limites

2.1.1. Identifier les offrandes au sein des sanctuaires

3Comme l’a noté J. Scheid (2000b, p. 622), l’analyse des vestiges archéologiques relevant de rites ne peut s’affranchir de l’étude de l’histoire des religions antiques : une bonne connaissance des mécanismes qui régissent les pratiques religieuses est indispensable pour interpréter les objets qui sont manipulés dans ce cadre. Il est donc primordial d’évoquer les motivations et le déroulement des actes rituels afin de pouvoir ensuite en identifier les témoins matériels.

4Dans le monde romain, le sacrifice animal, qui consiste à tuer et à partager une victime entre les dieux et les hommes, comprend deux étapes majeures : d’une part, à l’issue d’une procession, l’officiant et ses assistants consacrent et abattent la victime, puis offrent aux divinités la part qui leur revient, alors brûlée sur l’autel. D’autre part, les hommes participant à la cérémonie partagent le reste de la viande – si l’animal n’a pas été intégralement consumé par les flammes – au cours d’un banquet qui peut avoir lieu au sein même du sanctuaire. La consommation de la viande est alors accompagnée par celle d’autres aliments (pain, vin ou encore poisson) ; des végétaux, notamment des fruits, mais aussi du vin ou de l’encens, peuvent aussi être sacrifiés aux puissances divines, de même que des mets non brûlés leur sont parfois offerts (Lepetz et Van Andringa, 2008 ; Van Andringa, 2008 et 2017a, p. 110-114). Aussi, les travaux menés depuis une quarantaine d’années autour des sanctuaires du second âge du Fer ont révélé l’importance du sacrifice dans les pratiques religieuses préromaines. Ce dernier, du moins dans certains cas, obéit alors à des règles de sélection, d’abattage, de découpe et de consommation tout à fait comparables à celles qui sont en vigueur dans le monde méditerranéen (Méniel, 2012 ; Poux, 2018, p. 508). Le sacrifice et les pratiques alimentaires peuvent laisser des traces matérielles variées au sein des lieux de culte : l’étude des ossements de faune, des restes végétaux – bien plus rarement conservés – et de la vaisselle offre des perspectives intéressantes pour réfléchir aux modalités de ces actes religieux (cf. infra, 2.2.1).

5Par ailleurs, dans les Gaules, dès le début du Haut-Empire, le dépôt d’une offrande non alimentaire à la divinité d’un sanctuaire s’effectue dans le cadre d’un acte rituel conforme aux modèles en vigueur à Rome, que ce soit en réalisant un contrat votif (votum) ou non (donum) avec la divinité (Rey-Vodoz, 1991, p. 217 et 2006, p. 224-228 ; Van Andringa 2017a, p. 132-136). Acte officiel soumis au droit juridictionnel, le votum lie étroitement un dévot et le dieu ou la déesse à laquelle celui-ci effectue une demande, en principe consignée par écrit au cours de la prise de vœu (nuncupatio). En échange, le contractant promet de réaliser un sacrifice, accompagné ou non par une ou plusieurs offrandes déposées au sein du lieu de culte. Si la divinité exauce son vœu, il s’acquitte alors de ce dernier en remplissant sa part du contrat (solutio) [Sury, 1994]. Quant au don ou donum, qui consiste simplement à honorer une divinité d’un présent, il constituait probablement la pratique la plus courante, bien qu’il soit plus rarement mentionné dans les formulaires épigraphiques en Lyonnaise (Bossard, à paraître). Ces derniers évoquent parfois la nature de l’offrande qui sanctionne un don ou l’acquittement d’un vœu : elle peut prendre la forme d’un petit objet – figurine ou statuette, lampe, petit vase contenant de l’encens, ou encore récipient en argent (à Berthouville : CIL XIII, 3183-22) –, d’une unique monnaie ou d’une somme d’argent (stips), mais aussi d’une statue (à Nantes : CIL XIII, 3101), d’un autel, voire d’un temple ou d’un portique et de ses ornements (à Orléans : CIL XIII, 3063), qui sont alors intégrés aux équipements du lieu de culte. Les offrandes mises au jour en contexte religieux sont souvent qualifiées par les archéologues d’objets « votifs » ou d’« ex-voto » ; ces termes sont toutefois à employer avec précaution, puisqu’ils doivent être uniquement réservés aux offrandes dédicacées dans le cadre d’un votum.

6En l’absence de témoignages textuels directs, les modalités de l’introduction d’objets consacrés aux puissances divines dans les sanctuaires du second âge du Fer sont peu connues. Cependant, César (Guerre des Gaules, VI, 17), dans un passage sans doute emprunté à Poseidonios d’Apamée, écrit que les Gaulois ont coutume de faire vœu d’offrir à un dieu qu’il nomme Mars le butin de la bataille à laquelle ils s’apprêtent à se livrer ; ils lui promettent alors de sacrifier le butin vivant et de rassembler le reste des dépouilles dans un seul lieu. La pratique votive semble donc déjà régir une partie des actes rituels, comme le laisse entendre aussi un passage de Florus (Abrégé de l’histoire romaine, I, 20, 4), mais on ignore quasiment tout des mécanismes du vœu au sein des religions celtiques (Derks, 1998, p. 234 ; Van Andringa, 2017a, p. 133 et p. 145, note 132).

7Comment, à partir des vestiges archéologiques, identifier les offrandes au sein des sanctuaires gaulois et antiques et les distinguer des autres catégories d’objets qui y sont introduites ? Les artefacts porteurs d’une inscription dédicatoire, faisant clairement référence à un don ou à l’acquittement d’un vœu, sont peu nombreux et il faut donc rechercher d’autres critères, variables en fonction de la nature de l’offrande. En effet, V. Rey-Vodoz (1991, p. 216 ; 2006, p. 221-223) distingue les objets qui ont été conçus spécialement pour servir d’offrandes – ce que C. Bourgeois (1991, p. 124) a proposé de qualifier d’offrandes « par destination » (ex-voto anatomiques, objets miniaturisés, rouelles ou encore plaquettes de defixio) –, ceux dont l’usage comme offrande est prépondérant, mais pas systématique (statuettes ou figurines en terre cuite et autres représentations figurées divines), et, enfin, des objets usuels qui peuvent servir d’offrandes et sont alors considérés comme des offrandes « par fonction » (Bourgeois, 1991, p. 124) ou « par transformation » (Morel, 1992, p. 223) : monnaies, lampes, fibules, épingles et autres bijoux, armement, vaisselle, ou encore outils. Tandis que la reconnaissance des deux premières catégories d’offrande ne pose généralement pas de problème, V. Rey-Vodoz retient trois critères aidant à identifier les objets du quotidien qui ont été manipulés dans le cadre d’un acte rituel : l’accumulation exceptionnelle d’artefacts du même type, intégrés dans un processus rituel ; des associations particulières d’objets « banals » avec d’autres types de mobilier dont la vocation est indubitablement religieuse ; enfin, l’insertion des objets dans la topographie interne du sanctuaire, lorsqu’ils sont jetés ou enfouis dans certaines structures – telles des troncs à offrandes et des bassins, ou encore près de l’accès d’un enclos ou d’un bâtiment (cf. infra, 2.1.2). D’autres auteurs ont aussi souligné que le traitement appliqué aux objets, notamment au mobilier métallique laténiens ou au numéraire gaulois ou du début du Haut-Empire, parfois volontairement mutilés, peut aussi être révélateur de rituels (Aubin et Meissonnier, 1994 ; Bataille, 2015, p. 149-155).

8Pour autant, il n’est pas toujours aisé de faire la part entre les objets offerts aux dieux et ceux qui ont été, par exemple, accidentellement perdus dans l’aire sacrée. C’est notamment le cas lorsque le mobilier est globalement peu abondant, qu’il a été éparpillé sur une grande surface ou que les contextes de découverte sont peu documentés. Les observations réalisées à l’issue de la fouille menée sur le site du musée archéologique de Vieux (S.281) illustrent bien ces difficultés (fig. 81) : les artefacts découverts au sein de l’aire sacrée sont globalement similaires, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif, aux objets mis au jour dans les habitations, ateliers et boutiques voisins, localisés au sein d’un même îlot de la ville antique. Néanmoins, environ une fibule sur deux provient de l’emprise du sanctuaire, en particulier des abords du temple ; certaines d’entre elles, émaillées, constituent des parures de qualité, inconnues par ailleurs sur le reste de l’agglomération de Vieux. Cependant, il a été noté que les aménagements situés au sud du sanctuaire ont livré plus de monnaies, datées notamment du iiie s., que le lieu de culte lui-même ; on ne sait toutefois si ce numéraire provient de l’aire sacrée et a été évacué dans ses environs immédiats ou bien si son accumulation relève d’activités sans rapport avec cette dernière (Kerébel dir., 2000, vol. 1, p. 50 et p. 126-127).

Figure 81 : Localisation d’une partie du mobilier du site du musée archéologique de Vieux (Calvados), au sein du sanctuaire et à ses abords.

Figure 81 : Localisation d’une partie du mobilier du site du musée archéologique de Vieux (Calvados), au sein du sanctuaire et à ses abords.

Réal. S. Bossard, d’après Kerébel (dir.), 2000, vol. 2, p. 104-105, fig. 123-124.

9Cet exemple, sélectionné parmi d’autres, montre bien que l’étude du contexte de découverte est indispensable pour comprendre le rôle de l’objet au sein du sanctuaire. En outre, il faut envisager différents phénomènes, liés notamment à la gestion des offrandes et à la conservation des vestiges archéologiques, pour reconstituer la trajectoire des objets, depuis leur introduction jusqu’à leur enfouissement ou leur évacuation, et tenter d’évaluer la part qui a disparu de l’aire sacrée. Avant d’analyser les principales catégories d’objets mises au jour au sein des lieux de culte, il convient donc d’aborder ces aspects, afin de bien cerner les difficultés liées à leur étude.

2.1.2. Quels contextes de découverte ?

10Pour la plupart des sites, la provenance des objets est insuffisamment documentée, ou bien l’arasement des niveaux archéologiques est trop important pour déterminer avec précision les circonstances de l’enfouissement du mobilier. Pour autant, certains types de contexte de découverte sont récurrents, témoignant de l’existence d’espaces privilégiés pour les pratiques rituelles ou pour des transferts d’objets au sein des aires sacrées, notamment lors de leur nettoyage. D’autres niveaux archéologiques, formés au cours des phases de travaux et surtout de démolition des lieux de culte, sont aussi riches en artefacts et donc en informations à l’égard des rituels, mais les vestiges qu’ils ont piégés sont détachés de leur contexte d’origine.

2.1.2.1. Des offrandes découvertes en position primaire, dans des espaces spécifiques

11L’identification de zones où des offrandes ont été directement jetées ou enfouies dans le sol par les cultores n’est pas toujours aisée, puisque certaines concentrations d’objets peuvent aussi résulter du regroupement de présents mis au rebut dans des structures ou des secteurs spécifiques des aires sacrées (cf. infra, 2.1.2.2). Néanmoins, certains contextes témoignent clairement de gestes que l’on peut attribuer aux visiteurs eux-mêmes et qui ont été réalisés à l’issue d’une séquence rituelle dont on ignore toutefois l’essentiel du déroulement, ainsi que les motivations.

12Dans les lieux de culte d’époque romaine, il s’agit notamment d’espaces ouverts au sein desquels une série de petits objets isolés a été volontairement enfouie dans le sol, à l’exemple du sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79, ph. 2 ; Bertaudière et al., 2019, p. 473-476). De fait, des sondages ont montré qu’une soixantaine d’objets variés (monnaies, parures, objets liés au soins du corps, représentations figurées, jetons et pions) ont été enfouis dans le sol d’une allée et au-delà d’une probable haie qui la borde à l’ouest, à l’arrière de trois temples (fig. 82). Certains d’entre eux ont été placés dans un creusement aménagé à leurs dimensions, tandis que d’autres ont été simplement fichés dans le sol, ou bien jetés ou déposés sur l’espace de circulation. Dans d’autres cas, ce sont des céramiques complètes ou fragmentaires que l’on a enfouies dans la cour du sanctuaire. Elles peuvent alors correspondre à des troncs monétaires ou à des contenants pour des offrandes alimentaires, si ce n’est à des réceptacles pour des objets donnés aux dieux puis mis au rebut (cf. infra, 2.2.1.3 et 2.2.3.1). L’hypothèse d’un tronc en bois, au sein duquel auraient été progressivement accumulées diverses offrandes, dont deux fibules et plusieurs monnaies, a aussi pu être émise par Y. Menez à Paule (S.172, ph. 1) : au nord d’une possible cella, une fosse creusée sur une profondeur de 1 m a pu servir à l’ancrage de cet aménagement, calé par de la terre mêlée de pierraille mais intégralement disparu, qui aurait mesuré environ 0,40 m de diamètre (cf. infra, fig. 133 ; Menez et al., 2021, p. 205).

Figure 82 : Objets enfouis dans de petites fosses creusées auprès des temples du sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure), au cours du dernier tiers du ier s. de n. è.

Figure 82 : Objets enfouis dans de petites fosses creusées auprès des temples du sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure), au cours du dernier tiers du ier s. de n. è.

D’après Bertaudière et al., 2019, p. 479, fig. 6.

13Il n’est pas rare que les objets que l’on peut interpréter comme de probables offrandes se concentrent à proximité de temples ou d’édicules, comme cela a été observé au Vieil-Évreux et à Paule : à Corseul (l’Hôtellerie, S.135 ; Ferrette et al., 2005, p. 21), les fragments de quatre vases tripodes, brisés, ont été reconnus aux abords du bâtiment de culte, de même que des monnaies à Saclas (S.221, édifices A et ; Dunet, 1988, p. 67-68) et à Allonnes (S.9, ph. 2 et 3, temple A1/A2 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 303). Pour ces différents sites, on ignore toutefois si les objets ont été volontairement jetés au sol, ou peut-être enfoncés dans ce dernier, comme au Vieil-Évreux, ou bien s’ils étaient à l’origine déposés au sein des bâtiments et en auraient été évacués lors de leur entretien.

14Au contraire, plusieurs exemples témoignent sans aucun doute de l’accumulation d’objets divers à l’intérieur même d’édicules ou de temples – généralement dans leur cella et non dans leur galerie. C’est probablement le cas d’une vingtaine de figurines en terre cuite, qui proviendrait d’un édicule de plan circulaire mis en évidence à Allaire (S.271 ; Blain et Santrot, 2000, p. 127), d’une vingtaine de fragments de petites haches en silex, toutes ébréchées, mise au jour dans la cella et la galerie du temple B de Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74 ; Poulain, 1915, p. 74), ou, pour plusieurs sites, de monnaies, parfois découvertes par dizaines ou par centaines (cf. infra, 2.2.3.1). Cependant, le plus souvent, ce sont des objets de nature variée, en nombre relativement faible, qui parsèment le sol de la cella des temples et qui ont alors été laissés sur place au moment de leur abandon. À la place des Épars, à Chartres (S.100, ph. 3-4), un assemblage hétéroclite, provenant de la cella, est composé de probables offrandes : cinq lames de haches préhistoriques, auxquelles s’ajoutent deux haches miniatures en alliage cuivreux, d’époque romaine pour au moins l’une d’entre elles, ainsi qu’un possible coquillage miniature en alliage cuivreux et un couteau réalisé dans le même matériau, un fragment de tôle en or, quatre oursins fossiles et des pierres naturelles – boules de silex, galet et plaquette calcaire (Canny et al., 2019). Au sein de la pièce centrale du temple de Carnac (S.278), ont été mis au jour des tessons de céramique et de verre, une perle en verre, un fragment de hache-marteau en granite poli, ainsi qu’un grand nombre de figurines en terre cuite fragmentée. Néanmoins, d’autres débris du même type d’objet, remontant pour partie avec ceux mis au jour à l’intérieur de la cella, ont aussi été collectés dans la galerie orientale du temple et à l’extérieur de la construction ; les objets sont sans doute issus de niveaux perturbés, accumulés lors de sa démolition (Miln, 1877, p. 139-153). Le matériel collecté au sein de la cella du temple de Vannes (S.278) est également très varié : il comprend une centaine de tessons, appartenant à un minimum de 19 céramiques, 6 monnaies, 5 fragments vraisemblablement issus de 2 Vénus à gaine en terre cuite, une bague en alliage cuivreux, un anneau d’argent, une perle, un jeton et un pion de jeu en verre et des fragments issus de deux bougeoirs en terre cuite (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 28-31 ; Simon, 2005). À Jublains (S.32), dans un édicule de 4 m de côté, a été collectée une soixantaine de figurines en terre blanche, entières ou fragmentées, ainsi des objets de parure (« agrafes, épingles, boutons », dont une probable intaille), une « certaine quantité » de restes malacofauniques, qualifiés de pétoncles, et peut-être des monnaies, qui ont pu servir à dater l’abandon de la construction avant la fin du iiie s. (Barbe, 1879, p. 525 ; Ledauphin, 2015a, p. 367).

15On ignore tout du contexte d’exposition d’origine de ces lots d’objets, souvent fragmentés et dispersés au sol, que l’on retrouve concentrés dans les cellae ; les perturbations liées à la démolition des édifices ne permettent pas d’affirmer qu’ils étaient tous présents dans cet espace lors de leur fréquentation, bien que la récurrence de certains types d’objet (numéraire, figurines, parures) plaide tout de même en faveur de cette hypothèse. Si les monnaies qui y ont été accumulées en grand nombre ont pu être jetées, pour la plupart, depuis l’entrée de la cella, qui n’aurait pas été ouverte aux visiteurs, certaines semblent avoir été fichées dans leur sol (cf. infra, 2.2.3.1). Par ailleurs, il est tout à fait incongru de considérer que des objets fragiles, comme les petites représentations en terre cuite ou les récipients en céramique, aient été également lancés sur le sol du temple. Il faut alors envisager que la cella était accessible, du moins dans certains cas, aux hommes fréquentant le lieu de culte – seulement le personnel religieux, ou aussi une partie ou l’ensemble des dévots ? Ils pouvaient y entreposer diverses offrandes, peut-être sur des tables aménagées ad hoc – dont il ne resterait toutefois aucun vestige significatif –, ou bien auprès de l’image de culte, à ses pieds, sur son socle ou peut-être sur la statue même, par exemple pour des objets de parure (cf. infra, 2.2.3.2). Dans tous les cas, une relation de proximité avec la divinité est recherchée, puisque le mobilier se concentre dans la cella même et non dans la galerie. Il faut toutefois rester prudent, puisque les niveaux de sol des édifices ont souvent disparu, du même que leurs murs, où pouvaient être clouées diverses offrandes : les systèmes de fixation reconnus sur plusieurs plaquettes métalliques interprétées comme des ex-voto anatomiques illustrent sans doute cette pratique (cf. infra, 2.2.2.1).

16Outre les temples et les édicules, d’autres espaces ou structures des aires sacrées ont manifestement été particulièrement attractifs pour l’accumulation d’objets, probablement déposés directement par les visiteurs, bien qu’on ne puisse le démontrer. Le mobilier découvert au fond de bassins, dans de modestes cours d’eau ou dans des terrains marécageux – dont une partie correspond sans doute à des résidences divines, au même titre que les cellae bâties –, a déjà été évoqué : on y retrouve essentiellement des monnaies, mais aussi des fragments de figurines en terre cuite, des offrandes anatomiques métalliques ou des représentations sculptées en bois (cf. supra, 1.1.3.2 et infra, 2.2.2.1 et 2.2.3.1). Les dépôts en milieu aquatique ne sont toutefois pas systématiques, puisque nombre de bassins, tels ceux d’Orléans (S.114, ph. 2 ; Canny, 2015), de la Forêterie à Allonnes (S.9, ph. 4 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 334-335) ou d’Aubigné-Racan (S.11 ; Lambert et Rioufreyt, 2006, p. 224), installés devant le temple, ne recelaient a priori aucun objet particulier.

  • 30 Le sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme) en est sans doute l’exemple le plus éloquent (Demierre et al.(...)

17En ce qui concerne l’espace situé à l’entrée des sanctuaires, seul celui des enclos palissadés successifs de la Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2), datés de la toute fin du second âge du Fer et des premières décennies du Haut-Empire, a livré une quantité importante de matériel (Piette, 1989, p. 250 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 4-7 et p. 84). En effet, plus de 700 monnaies et 234 rouelles en alliage cuivreux ont été mises au jour de part et d’autre de l’entrée du grand enclos, dans le comblement de sa tranchée ou à leurs abords (fig. 83). Plus de 30 000 rouelles en plomb et quelques monnaies, non décrites, sont aussi concentrées dans le remplissage – ou à proximité – de la tranchée de la petite enceinte palissadée, également près de son interruption (cf. infra, 2.2.2.3 et 2.2.3.1). Ces accumulations anormales à l’entrée des enclos à vocation religieuse pourraient éventuellement s’expliquer par la présence d’un tronc monétaire (en bois ?) disposé près de l’accès principal du sanctuaire, à moins d’envisager que les monnaies aient été simplement jetées au sol au moment de franchir ce dernier. Quoi qu’il en soit, cette configuration s’inscrit probablement dans une tradition laténienne, le dépôt d’objets à l’emplacement des entrées des enceintes fossoyées ou palissadées étant une pratique bien attestée dans certains sanctuaires gaulois ou du début de l’époque romaine30.

Figure 83 : Répartition spatiale des rouelles en alliage cuivreux et des monnaies du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

Figure 83 : Répartition spatiale des rouelles en alliage cuivreux et des monnaies du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

Réal. S. Bossard, d’après Piette, 2018, p. 173, fig. 1.

18Quant aux autres bâtiments installés dans la cour des sanctuaires, ils sont généralement pauvres en mobilier, qu’il s’agisse de portiques bordant les murs du péribole ou de pièces qui leur sont accolées. À Baudreville (S.94), par exemple, trois édifices, répartis le long de l’enceinte de la cour sacrée, n’ont livré que quelques objets épars, à l’instar du secteur du temple : des tessons de céramique, des restes fauniques et malacofauniques, trois monnaies, deux fibules et un bracelet, ainsi que des outils en fer qui ont pu servir à la construction ou à l’entretien des bâtiments (Jalmain, 1985, p. 5-6). Si les fouilles du bâtiment annexe de Mauves-sur-Loire (S.167, B) ont permis de recueillir une quantité relativement importante de petit mobilier, très varié, A. Archer (2019, p. 525) a bien souligné qu’il s’agit aussi de l’un des espaces les mieux documentés du site et que les niveaux étudiés au sein du temple voisin (A) contiennent également une grande part de ce matériel.

2.1.2.2. Des zones de rejets privilégiées : la mise au rebut des offrandes

19Nombre de structures en creux, fosses et fossés, ont servi de réceptacles à du mobilier qui a manifestement été manipulé au sein des aires sacrées, dans le cadre de pratiques rituelles, que ce soit durant le second âge du Fer ou l’époque romaine. L’évaluation de la quantité de matériel ainsi que l’observation de l’agencement et du traitement des objets sont riches en enseignements et permettent parfois de comprendre les processus qui ont abouti à l’enfouissement de ces vestiges, inhumés avec soin ou bien rejetés sans ordre apparent.

Des fossés plus ou moins riches en mobilier

20En bordure de certains sanctuaires, les fossés qui délimitent leur cour sacrée livrent généralement une quantité plus ou moins importante de mobilier de natures très diverses. Dans la grande majorité des cas, il s’agit de matériel détritique, en position secondaire, éparpillé dans les couches de sédiment souvent multiples qui composent le remplissage des structures fossoyées. Ainsi, les fossés creusés durant la période gauloise à Alençon (S.194, ph. 1 ; Pernet et al., 2011) ou à Bennecourt (S.254, ph. 1 ; Bourgeois dir., 1999, p. 16-27), restés un certain temps ouverts et même entretenus au moyen de curages sur le second site, ont ensuite été comblés, peut-être lors du réaménagement des sites à la fin du second âge du Fer ou au début de l’époque romaine ; des remblais, sans doute issus des talus adjacents, y ont alors été déversés. Ces niveaux ont piégé un riche matériel, composé de tessons de céramique, de restes osseux, d’armes, de parures ou encore de monnaies ; un nombre considérable de pièces de fourniment militaire métallique a aussi été scellé dans le remplissage des fossés du sanctuaire d’Ablis (S.91, ph. 1 ; Ginoux et al., 2020). Durant l’époque romaine, les fossés des sanctuaires livrent souvent des tessons de céramique, parfois mêlés à des rejets charbonneux ou à des restes fauniques brûlés ou non, témoins de probables sacrifices ou banquets (cf. infra, 2.2.1). Ces rejets sont parfois complétés par d’autres objets variés, entiers ou fragmentaires et dispersés dans le comblement des fossés : monnaies, parures, couteaux ou encore objets de toilette, recueillis par exemple à Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 3 ; Guillier dir., 2020, p. 54) et à Quimper (S.176, ph. 3 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 326-336 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 194-195).

21Les fossés, creusements dont le volume est souvent considérable, ont donc constitué des réceptacles privilégiés pour enfouir les vestiges des actes rituels pratiqués au sein des lieux de culte. Il faut certainement distinguer les fossés restés ouverts et progressivement comblés, ayant peu à peu piégé des petits amas de déchets balayés depuis l’intérieur de l’aire sacrée, de ceux qui ont été massivement remblayés, probablement lors de réaménagements de grande ampleur du sanctuaire (cf. infra, 2.1.2.3, pour des opérations similaires opérées lors de terrassements). Dans ce cas, ils ont alors permis d’ensevelir une importante quantité de débris, que l’on souhaitait faire disparaître avant de poursuivre les travaux. Le cas s’est probablement présenté à Quimper (S.176 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 329-336 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 49-63), où l’on restitue un comblement rapide des grands fossés de la phase 3, mais aussi dès la phase 2, lors du démontage d’une palissade et du remblaiement de la tranchée qui lui servait de fondation, de même qu’à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2 ; Piette, 1989, p. 249-251).

Des fosses rituelles

  • 31 Le terme latin « favissae » a été utilisé, entre autres, par l’auteur Aulu-Gelle pour désigner des (...)

22À l’instar de certaines limites fossoyées, des fosses ont parfois servi à l’enfouissement de lots d’objets manipulés au sein du sanctuaire et peuvent alors être qualifiées, en particulier lorsqu’elles ont été creusées à cette occasion, de « fosses rituelles », puisqu’elles ont accueilli des vestiges cérémoniels31 (Van Andringa, 2017a, p. 111). Certains de ces aménagements, de dimensions et de formes très variables, ont été destinés à la mise au rebut d’une catégorie spécifique de mobilier, exclusive ou du moins majoritaire dans son remplissage : il s’agit alors de monnaies, souvent contenues dans un vase, dans le cas des dépôts monétaires, de restes fauniques, sous diverses formes, ou encore de vases souvent brisés (2.2.1 et 2.2.3.1). Cependant, dans la plupart des cas, le mobilier présent dans le remplissage des fosses rituelles est assez varié – et il faut garder à l’esprit le fait que n’ont subsisté que les objets imputrescibles (cf. infra, 2.1.3).

23Il est parfois difficile de déterminer, notamment lorsque les artefacts sont peu nombreux et éparpillés dans plusieurs couches, par exemple pour plusieurs fosses du sanctuaire de Val-de-Reuil (S.269 ; Lukas, 2018a), si ces structures ont été spécifiquement creusées pour recevoir des objets ou si ces derniers ont été piégés lors du scellement progressif ou rapide d’une fosse à l’origine destinée à un tout autre usage. Au contraire, l’interprétation rituelle d’autres structures du même type ne pose a priori pas de problème. Ainsi, à Authevernes (S.253, ph. 1), une fosse de plan quadrangulaire se démarque des autres par la quantité de mobilier contenu dans son remplissage – 91 tessons, appartenant à un minimum de 8 vases de formes diverses, des ossements de faune, dont un membre de porc en connexion anatomique, 2 monnaies et 9 fibules (Michel et al., 2014, p. 192). C’est dans un coffre formé de tuiles (environ 0,40 x 0,30 m), aménagé dans les sédiments vaseux du sanctuaire du Mans (S.16, ph. 3), qu’a été mis au jour un lot d’objets, enfouis à différentes profondeurs : 14 monnaies, frappées durant les ier s. et iie s. de n. è., 2 simulacres de monnaies, 6 fibules et 19 objets fragmentés et indéterminés (Chevet dir., 2016, vol. 1-1, p. 336-337). Il est difficile de préciser si ce réceptacle a été aménagé afin d’enfouir simultanément plusieurs offrandes mises au rebut, ou bien s’il s’agit d’une sorte de tronc au sein duquel auraient été introduits des monnaies et d’autres objets durant plusieurs décennies. À Orléans (S.114, ph. 3), un dépôt de deux récipients en bronze – un brûle-parfum au pied tordu et un pot globulaire auquel il manque deux pieds – a été enfoui, dans une fosse, à quelques mètres au nord de l’édicule F (Verneau, 2014, p. 105). Par ailleurs, le comblement d’une fosse peu profonde, creusée dans le vestibule du temple A de Pannes (S.220), contenait des débris de tuiles et de mortier – issus de la démolition d’un édifice ? –, ainsi qu’un lot de 38 perles en pâte de verre, provenant sans doute d’un collier ou d’un bracelet, un élément d’applique en bronze argenté et un vraisemblable ex-voto oculaire inscrit. Une autre fosse, aménagée au pied du mur sud-ouest de la cella du même temple, dans la galerie, a livré une poignée de coffre en alliage cuivreux, une fine plaque d’argent pliée et une monnaie au nom de Tetricus (Renard et David dir., 1997, p. 6 et p. 9). Ces quelques exemples correspondent à des aires sacrées pourvues d’une, de deux ou de trois structures de ce type sont isolées dans la cour, à proximité ou à l’écart du ou des temples.

24Du reste, aucune fosse rituelle n’a été identifiée dans la majorité des sanctuaires du centre et de l’ouest de la Lyonnaise – mais leur cour n’a que rarement été fouillée dans son intégralité. À l’opposé, d’autres sites sont caractérisés par une quantité importante de fosses creusées pour accueillir les restes des sacrifices, des banquets ou des dons d’offrande ; ils sont assez rares et correspondent exclusivement à des sanctuaires ruraux. D’ailleurs, on ne connaît pas la chronologie précise des dépôts et il faut tenir compte du fait que ces lieux de culte ont été fréquentés durant plusieurs décennies voire plusieurs siècles, et donc que l’enfouissement des vestiges a pu être étalé sur un temps long. Ainsi, à Saint-Patrice (S.279), parmi la dizaine de fosses que la fouille a permis d’identifier au sein d’un petit enclos de 75 m², cinq ont accueilli un mobilier vraisemblablement lié aux rituels : les squelettes complets de trois caprinés, deux vases entiers, deux monnaies et du mobilier détritique (Guiot, 2003, p. 154-157). À Authevernes, entre la fin du iie s. et durant les premières décennies du iiie s., c’est une trentaine de fosses parallélépipédiques, longues entre 1 et 2,50 m et profondes entre 0,50 et 1,50 m, qui ont été creusées et comblées en périphérie d’un autre lieu de culte (S.253, ph. 4), aux abords de bâtiments qui en marquent les limites ; au moins trois d’entre elles forment de véritables petites caves aux parois parementées et ont pu avoir été aménagées lors d’une phase antérieure. Le remplissage d’une dizaine de fosses recèle des objets en quantité plus ou moins importante en fonction des structures, liés aux sacrifices, aux banquets et, dans une moindre mesure, à des offrandes diverses (rares monnaies, objets de parure ou autres artefacts variés), mais aussi des débris de démolition d’architectures, indiquant qu’une partie d’entre elles a manifestement été remblayée au cours de la destruction du lieu de culte (cf. infra, 6.3.2 ; Michel dir., 2011, p. 79-96 ; Michel et al., 2014, p. 198). Enfin, à Pussigny (S.244), une cinquantaine de creusements présente des dimensions et des formes qui varient d’un cas à l’autre : elles mesurent entre 0,45 et 2 m de long, pour une profondeur conservée comprise entre 0,10 et 0,50 m. Malgré leur nombre, les fosses ne se recoupent pas, témoignant d’une probable signalisation en surface (cf. infra, fig. 256) : la découverte de fragments de tuiles dans plusieurs de ces fosses, généralement concentrés en surface, pourrait être liée à ce marquage. Leur comblement a été réalisé en une ou deux étapes, durant la période d’activité du sanctuaire ou au cours de son chantier de démolition, témoignant d’un rebouchage rapide, daté, au plus tôt et dans la majorité des cas, de la fin du iie s. ou du iiie s. ; il scelle, pour les cas les mieux documentés, des dépôts de quartiers de viande et parfois quelques tessons de céramique (Coutelas dir., 2015, vol. 1, p. 79-89 et p. 150-153).

25Parmi les creusements contenant un grand nombre d’artefacts, il faut aussi évoquer un assemblage d’objets en argent, découvert en 1830, qui était contenu dans un coffre maçonné, vraisemblablement localisé sous le sol dallé du portique oriental du sanctuaire de Berthouville (S.150). Il se compose de deux statuettes, d’une soixantaine de pièces de vaisselle et de nombreux fragments variés, consacrés au dieu Mercure, comme en témoigne la trentaine d’éléments inscrits et les deux représentations (cf. infra, fig. 93 et 102). Le style et la qualité de ces artefacts métalliques sont hétérogènes, ce qui laisse penser qu’ils ont été réunis au sein du sanctuaire sur plusieurs décennies : une série de neuf vases, peut-être fabriqués en Italie dans le courant du ier s. de n. è. et offerts par un même citoyen, côtoie d’autres éléments qui, d’après leur étude stylistique, fixent le terminus post quem de l’enfouissement à la fin du iie s. ou au début du iiie s. (Babelon, 1916 ; F. Baratte et A. Kaufmann-Heinimann, in Baratte, Painter dir., 1989, p. 79-97 ; Avisseau-Broustet et Colonna, 2017, p. 41-55). La richesse de ce dépôt permet de le qualifier de trésor, c’est-à-dire d’un ensemble constitué par « l’accumulation de biens mobiliers de valeur résultant directement de la générosité des fidèles, ou indirectement du revenu de leurs largesses », expression ostentatoire de la piété de ces derniers ou de la volonté d’assurer le renom d’un lieu de culte (Baratte, 1992, p. 111). Ici, le lot semble avoir été volontairement dissimulé dans une cache, où il pouvait être récupéré à tout moment, mais on ne sait si la mise en dépôt a eu lieu lors de l’abandon du sanctuaire ou un certain temps auparavant, alors que le lieu de culte était en activité et que les objets précieux risquaient d’être dérobés lorsqu’ils n’étaient pas utilisés ou exposés. Cette découverte peut néanmoins être rapprochée d’une autre, survenue en 1836 à Chavagnes, près de Notre-Dame-d’Allençon (Maine-et-Loire), sur le territoire des Andicaves : une cinquantaine d’objets en argent et, dans une moindre mesure, en alliage cuivreux, a été mise au jour dans un champ de vigne ; les conditions de l’enfouissement n’ont pas été décrites et les vestiges du sanctuaire probablement associé n’ont pas été identifiés. Néanmoins, la composition du dépôt – comprenant de la vaisselle métallique, ainsi que deux masques en tôle d’argent, des bustes d’applique, des miroirs et une clef –, ici dédicacé à Minerve, est tout à fait comparable à celle du trésor de Berthouville (Baratte, 1981).

La question des épandages

26La mise au rebut ou la cache volontaire des objets manipulés au cours des pratiques religieuses n’a pas été systématiquement réalisée en enfouissant ces derniers dans des cavités creusées ou non à cet effet : dès le second âge du Fer, des épandages de mobilier ont aussi été formés sur le sol de certains lieux de rituels (cf. supra, 1.1.1.4).

27Trois zones de concentration d’objets essentiellement métalliques et fragmentés, couvrant chacune une cinquantaine de mètres carrés (fig. 84), constituent les plus anciens vestiges du sanctuaire de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 1). De composition similaire, les trois dépôts – complétés par un quatrième, vraisemblablement formé au début de l’époque romaine – rassemblent plus de trois cents pièces d’équipement militaire, parures et outils métalliques, mêlés à quelques autres objets divers, présentant globalement des traces de mutilations volontaires et datés entre La Tène B2 et La Tène D2a (fin du ive s. - milieu du ier s. av. n. è.). Ils ne s’inscrivent pas dans une organisation particulière et semblent résulter d’un même acte, daté aux alentours du milieu du ier s. av. n. è., qui a visé à enfouir définitivement divers objets accumulés depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, selon des modalités qui nous échappent en grande partie (Bataille, 2008, p. 45-154). Un sondage d’une douzaine de mètres carrés, réalisé à Aubigné-Racan (S.11, ph. 1), a révélé l’existence d’un dépôt similaire, réalisé dans un ancien terrain humide : il est composé de 79 fragments d’objets métalliques (essentiellement des pièces d’armement), de 38 restes fauniques et de 20 tessons de céramique, ainsi que de possibles débris de plaques foyères, répandus sur un même niveau. Le matériel métallique a vraisemblablement été réuni sur un temps bref, vers le second quart du iiie s. av. n. è. (La Tène B2/C1), tandis que certains tessons de céramique pourraient être plus récents et relever de productions du ier s. av. n. è. (Lejars et al., 2001). Les diagnostics archéologiques conduits à Meaux (S.158, ph. 1) ont également montré que, sur une surface longue de 150 m, localisée au nord du complexe monumental d’époque romaine, des concentrations de plus de 2 000 restes fauniques et d’au moins 80 céramiques laténiennes, fragmentées ou entières, forment plusieurs épandages. Ces derniers ont été constitués sur le sol, à l’air libre, comme en témoigne l’altération des ossements sur leur face supérieure, avant d’être recouverts par des colluvions (S. Marion et S. Lepetz, in Couturier dir., 2005, p. 83-97 et p. 123-129). Enfin, la fouille récente du site de la Fermerie à Juvigné (S.36, ph. 1) a permis de documenter un niveau limoneux, homogène et épais en moyenne d’une vingtaine de centimètres, vraisemblablement formé entre la fin du iiie s. ou le iie s. av. n. è. et les années 15-20 de n. è. Une grande partie des objets recueillis au sein de cette strate – plus de 400 tessons de vaisselle en terre cuite, des débris de plaques foyères, un os de bœuf, des pièces d’armement, des objets de parure et de rares monnaies –, essentiellement datés de La Tène finale, semble avoir été répandue sur un même niveau. En revanche, d’autres artefacts ont été enfouis, dans cette même couche, à une autre profondeur, plus ou moins importante ; d’ailleurs, en surface, les objets collectés (débris de céramique et monnaie) sont les plus récents, témoignant d’une formation sur le long terme (Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 48-55). Il est donc possible que cette couche résulte de l’accumulation d’épandages successifs, alternant peut-être avec des remblais destinés à les sceller, à l’image des dynamiques mises en évidence sur la place du Cailar (Gard), où ont été enfouis, tout au long du iiie s. av. n. è., de nombreux fragments, issus de l’exposition d’armes et de têtes humaines coupées, ainsi que des déchets divers (Roure et al., 2019).

Figure 84 : Répartition spatiale des pièces d’armement laténien découvertes à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) et des quatre dépôts distingués par G. Bataille.

Figure 84 : Répartition spatiale des pièces d’armement laténien découvertes à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) et des quatre dépôts distingués par G. Bataille.

Réal. S. Bossard, d’après Bataille, 2008, p. 48 et Piette, 2018, p. 173, fig. 1.

28Durant le second âge du Fer et au début de l’époque romaine, du mobilier fragmenté, ou plus rarement intact, est donc répandu au sol, sur des surfaces de dimension variable, au sein même des sanctuaires (à Juvigné) et peut-être, pour certains cas (Meaux et La Villeneuve-au-Châtelot ?), dans des aires non encloses ou, éventuellement, situées en périphérie d’enceintes non identifiées. L’hypothèse de rejets successifs invite d’ailleurs à être prudent, d’une manière générale, au sujet de l’interprétation des niveaux qui ont été formés au sein de sanctuaires occupés depuis la période gauloise, où le matériel protohistorique ou des premières décennies du Haut-Empire abonde. Seule l’étude fine de la chronologie du mobilier, couplée à des analyses micromorphologiques, permet de mettre en évidence l’éventuelle stratification de ces niveaux, qui paraissent homogènes à l’œil nu et sont parfois interprétés comme des remblais de construction (cf. infra, 2.1.2.3), ainsi que de comprendre avec toute la précision requise les circonstances de leur formation.

29Les cours des lieux de culte du Haut-Empire et de l’Antiquité tardive sont aussi quelquefois parsemées d’objets, détritiques ou non. Toutefois, l’absence de description précise du contexte de découverte de ces derniers ne permet pas toujours de distinguer le mobilier qui aurait été enfoui à faible profondeur (cf. supra, 2.1.2.1), de celui qui a été rejeté sur son sol, dans la droite ligne des pratiques observées à la fin de l’âge du Fer, ou accumulés dans des remblais déversés au cours de la fréquentation du site ou après son abandon. La question se pose ainsi pour les couches épaisses de plusieurs centimètres ou décimètres, riches en mobilier, qui ont été reconnues au sein des lieux de culte du Haut-Empire de Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 2-5 ; Guillier dir., 2020, p. 55-56), de Bû (S.99, ph. 1 ; Fauduet, 1988), d’Orléans (S.114, ph. 1 ; cf. infra, fig. 95 ; Canny, 2015), d’Amboise (S.237, ph. 1 ; Peyrard, 1980 ; Laruaz, 2009, p. 119-121) ou de Vannes, au sein d’une enceinte de plan polygonal (S.278, ph. 3 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 1, p. 27-34). Il est probable que les aires sacrées étaient fréquemment nettoyées et que les artefacts gisant au sol de la cour de certains sanctuaires, tels celui de la Tannerie à Châteaubleau (S.205 ; Revenu, 2008, p. 76-77), ou encore les restes fauniques éparpillés en surface de l’aire sacrée de Val-de-Reuil (S.269 ; Lukas, 2018a) ou de Jouars-Pontchartrain (S.127 ; Blin et Lepetz, 2008), correspondent à d’ultimes vestiges des pratiques rituelles, laissés en place lors de la fermeture de ces sanctuaires.

Des décharges en bordure des sanctuaires

30D’autres objets ont manifestement été évacués à l’extérieur des sanctuaires, dans des décharges formées dans leur environnement proche. Dans le courant du ier s. de n. è., les fossés bordiers du chemin situé à l’est du lieu de culte d’Hérouvillette (S.145, ph. 2) ont ainsi livré de nombreux rejets de céramique, de faune et de malacofaune et des niveaux charbonneux qui peuvent être interprétés comme le reliquat de sacrifices ou de banquets (Veron dir., 2018, vol. 1, p. 183-185). Une zone d’accumulation de détritus particulièrement dense a aussi été reconnue à quelques mètres au nord du monument à portiques de la Tannerie à Châteaubleau (S.205) : sa fouille partielle a permis de collecter une masse importante de débris de céramique et de figurines en terre cuite, ainsi que quelques parures et des objets de toilette (Revenu, 2008, p. 73). À Allonnes (S.9), une partie du matériel daté de la période de fréquentation du sanctuaire monumental antique (ph. 4) a été mis au jour sur le sol de la cour ou des galeries, mais aussi et surtout dans des secteurs extérieurs au sanctuaire, près de sa porte septentrionale et d’une exèdre. Ces restes, composés de débris de récipients en terre cuite, parfois peu endommagés, d’ossements animaux et de coquillages, proviennent probablement des activités – notamment de banquets – qui ont lieu au sein du monument, à moins d’envisager des occupations périphériques, sous la forme de cuisines, de boutiques, ou de logements pour les visiteurs ou le personnel religieux, qui n’auraient pas encore été identifiés (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 346).

2.1.2.3. Des niveaux de chantier et de démolition riches en mobilier : des contextes perturbés

31Enfin, des remblais, mis en place au cours de travaux de construction, et des couches formées lors des chantiers de démolition des sanctuaires ont également livré une quantité considérable d’objets. Le mobilier est alors en position secondaire et s’il a sans doute été en grande partie manipulé, auparavant, dans le cadre de pratiques religieuses, il est probable que certains artefacts soient liés à des activités profanes.

32Les strates archéologiques mises en place au cours des opérations de terrassement (remblais d’exhaussements) ou de construction (niveaux de travail) livrent parfois peu de mobilier : à Corseul (S.134), les couches liées à l’édification du monument du Haut-Bécherel, a priori construit ex nihilo, n’ont ainsi piégé que de rares tessons de céramique érodés (Provost et al., 2010, p. 175-179). À l’opposé, des niveaux interprétés comme des remblais, scellés par le sol du portique occidental du sanctuaire monumental de la Forêterie à Allonnes (S.9, ph. 4 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 297-308) ou localisés aux abords du quadriportique de Meaux (S.158, ph. 1 et 2 ; Magnan, 2006 ; Marion et al., 2019), contiennent un grand nombre d’artefacts laténiens et du début de l’époque romaine (armement, parure, céramique, monnaies, faune), a priori mélangés sans ordre. Pour d’autres sanctuaires, tels ceux d’Authevernes (S.253, ph. 2 ; Doyen et al., 2011 ; Michel et al., 2014, p. 196), de Vannes (S.278, ph. 2 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 1, p. 8-13) ou d’Allonnes (S.9, ph. 3 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 297), l’interprétation de niveaux, datés des premières décennies du Haut-Empire et recoupés par les tranchées de fondation de temples postérieurs, est plus problématique : si l’hypothèse de remblais destinés à surélever le secteur du bâtiment de culte est souvent avancée, l’abondance du matériel qu’ils renferment – essentiellement des débris de céramique, des monnaies, des parures et des restes fauniques, découverts par centaines voire par milliers – pourrait aussi s’expliquer par l’enfouissement, au sein ou aux abords d’édifices plus anciens et construits en matériaux périssables, de vestiges cérémoniels progressivement accumulées et rejetés sur une surface réduite (cf. supra, 2.1.2.2).

33La fin des sanctuaires et leurs chantiers de démantèlement, parfois échelonnés sur plusieurs décennies ou plusieurs siècles (cf. infra, 6.4.1), constituent un autre moment au cours duquel le mobilier qui avait été introduit en leur sein est souvent brassé. Ce dernier est alors mélangé aux débris d’architecture rejetés au sol ou bien enfoui dans les tranchées de récupération des murs, ou encore dans des puits ou des puisards désaffectés, au Vieil-Évreux (S.79 ; Bertaudière et al., 2019) ou à Châteaubleau (S.204 ; Parthuisot et al., 2008) par exemple. L’étude du sanctuaire d’Orléans (S.114, ph. 4), dont les niveaux les plus tardifs sont particulièrement bien conservés, est révélatrice de ces perturbations : parmi les fragments de tuiles, issues des toitures démolies dans le courant du ive s. et répandues dans la cour, ont été découvertes plus de 30 monnaies gauloises, éparses, soit 15 % du numéraire préromain du site, pourtant antérieur de plusieurs siècles, mêlé à des espèces plus récentes, du Haut-Empire ou de l’Antiquité tardive (M. Troubady, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 131). Par ailleurs, d’une manière générale, s’ajoutent parfois des déchets liés à l’installation d’ateliers aménagés dans le cadre du chantier de récupération et de recyclage des matériaux, ainsi que des objets accidentellement perdus par les visiteurs des ruines, qu’il est parfois difficile de distinguer des ultimes offrandes (cf. infra, 6.1.1.2 et 6.4.1). Pour autant, le mobilier résiduel piégé dans les niveaux de démolition est parfois abondant et faire l’économie de son étude priverait l’analyse du matériel manipulé au sein des sanctuaires d’une part importante des données.

2.1.3. Expliquer l’abondance ou la rareté du mobilier lié aux pratiques rituelles : des facteurs multiples

34Les exemples développés précédemment ont bien montré que l’absence ou la présence – en quantité très variable – de mobilier en lien avec les cultes résulte de processus souvent complexes, dans lesquels intervient notamment la gestion des offrandes au cours de la fréquentation du lieu de culte. S’y ajoutent aussi des problèmes de conservation différentielle des vestiges et d’autres liés à la nature des opérations archéologiques qui y sont réalisées. Ces divers paramètres, qui agissent à différents moments de l’histoire du site, conduisent à la disparition d’une partie plus ou moins importante – et souvent difficile à évaluer – des objets. La perte d’informations utiles à la restitution des cultes est parfois considérable et la compréhension des pratiques rituelles est donc limitée par une série de facteurs qu’il faudra garder en mémoire tout au long de ce chapitre.

35Lors de la période d’activité du lieu de culte, les objets qui ne sont pas intégralement détruits par le feu peuvent être conservés en son sein même ou bien en être évacués, parfois après un certain temps, sous certaines conditions : les politiques de gestion des offrandes constituent donc l’une des premières causes pouvant expliquer l’absence de certains objets. La mise en évidence d’espaces de rejet privilégiés (cf. supra, 2.1.2.2) est à ce titre révélatrice d’opérations de nettoyage et d’entretien de l’aire sacrée, régulières ou plus espacées, au cours desquelles une partie ou l’ensemble des offrandes accumulées dans un ou plusieurs secteurs du sanctuaire est mis au rebut. Des structures en creux, aménagées à l’occasion ou utilisées de manière opportuniste, de même que des décharges formées à l’intérieur ou en périphérie du péribole, servent ainsi à enfouir ou à réunir au sol du mobilier considéré comme encombrant et qui ne peut pas – ou ne doit pas – être redistribué ou transformé (et donc recyclé) dans le monde profane.

36Ainsi, en ce qui concerne la fin du second âge du Fer, plusieurs auteurs grecs et latins, s’appuyant sur les récits de Poseidonios d’Apamée, rapportent que les objets considérés comme sacrés, amassés dans les sanctuaires, étaient jugés inviolables et qu’ils ne devaient pas quitter l’espace réservé aux rituels. César, dans la Guerre des Gaules (VI, 17), écrit ainsi que les offrandes prélevées sur un champ de bataille et consacrées au dieu Mars ne peuvent être touchées ni ôtées de leur lieu d’exposition, sous peine d’un châtiment. Strabon signale aussi que parmi les richesses qui ont été accumulées dans un sanctuaire des Tectosages, à Toulouse, « beaucoup étant consacrées […], personne n’était assez audacieux pour oser se les attribuer » (Géographie, IV, 1, 13 ; trad. J.-L. Brunaux, 2016, p. 430). Diodore de Sicile, quant à lui, mentionne les sanctuaires et les enceintes sacrées érigées chez les « Celtes d’en haut », où l’on a offert beaucoup d’objets en or, dont personne ne s’empare par crainte des dieux auxquels ils ont été adressés (Bibliothèque historique, IV, 56). Les sanctuaires gaulois peuvent donc constituer de très bons conservatoires pour les objets en matériaux non périssables, ce que confirment les découvertes archéologiques, d’autant plus lorsque ces derniers ont été inhumés dans des structures en creux (fosses ou fossés) suffisamment profondes pour avoir été épargnées par des réaménagements plus récents ou par l’érosion du terrain.

37En ce qui concerne la période romaine, aucune source textuelle n’évoque les dispositions prises à l’égard de la gestion des offrandes dans les sanctuaires des cités pérégrines ou dans les lieux de culte privés. En revanche, le recyclage d’objets consacrés aux divinités honorées dans les temples publics est une pratique bien attestée pour les territoires directement contrôlés par Rome (Rey-Vodoz, 1991, p. 219 et 2006, p. 236-237 ; Malrieu, 2005, p. 110-113 ; Aberson, 2007, p. 37-40). Les offrandes mobilières déposées à titre privé dans l’enceinte d’un sanctuaire public – et, bien sûr aussi, dans un lieu de culte privé – ne sont pas considérées comme sacrées et sont donc aliénables (Scheid, 2010, p. 142). Ces objets, comme tous les autres présents donnés aux dieux, quelle que soit leur forme et leur composition, peuvent être vendus si leur contre-valeur est utilisée pour contribuer à l’embellissement ou à la restauration du lieu de culte, comme l’indique la lex aedis Furfensis, datée de 58 av. n. è. et régissant le lieu de culte de Jupiter Liber à Furfo (Italie). D’autres offrandes privées ont pu avoir été évacuées des aires sacrées, probablement sans être monnayées, et mises au rebut à l’extérieur de celles-ci (Cazanove, 2013, p. 267-269). Pour l’essentiel, n’est alors enfoui dans les décharges du sanctuaire que ce qui n’a pu être recyclé, notamment les offrandes les moins précieuses (Estienne et Cazanove, 2009, p. 8-11). Les sommes d’argent offertes aux divinités peuvent être réinvesties de la même manière : il est alors possible de collecter les monnaies accumulées dans un tronc installé à cet effet, ou peut-être celles qui ont été jetées au pied d’une statue divine, pour financer l’installation ou la reconstruction d’un équipement du lieu de culte. Dans certains cas, la viande issue du sacrifice animal peut aussi être écoulée à l’extérieur de l’aire sacrée : une fois que les dieux ont reçu leur part de l’animal immolé, elle devient profane et peut alors être consommée par les hommes, qu’elle soit mangée à l’intérieur du téménos ou distribuée et vendue en dehors du sanctuaire, par exemple dans les macella des villes (Van Andringa, 2017a, p. 111).

38D’autres objets peuvent avoir été récupérés plus tardivement, à l’issue de la clôture définitive du lieu de culte, lors de son chantier de démolition ou au cours de pillages ultérieurs (cf. infra, 6.4.1). Ainsi, le mobilier métallique, en particulier la statuaire de bronze ou les artefacts constitués à partir de métaux précieux, a parfois été fondu, comme le suggère indirectement, entre autres, la découverte de débris de statues au sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79 ; Guyard et al., 2012), tandis que les grandes représentations figurées en pierre ont pu avoir alimenté des fours à chaux ou avoir été débitées pour tailler des blocs ou des moellons, réutilisables dans d’autres constructions.

39Entre l’abandon du site et les opérations archéologiques qui seront à l’origine de sa redécouverte, les processus taphonomiques inhérents à l’altération des objets conduisent à la destruction totale des offrandes en matériaux périssables, à de rares exceptions près : il ne reste généralement rien des végétaux, des gâteaux, des objets en bois ou encore des étoffes donnés aux divinités. De même, l’acidité de certains sols a pu dégrader, voire anéantir, les restes osseux (animaux ou humains) conservés au sein de plusieurs sanctuaires. En parallèle, les niveaux archéologiques superficiels subissent parfois des dégâts liés à l’érosion naturelle ou anthropique du terrain, que ce soit en raison de la topographie des lieux, de travaux agricoles récents ou du réaménagement du site, entre la fin de l’Antiquité et la période contemporaine.

40En dernier lieu, la quantité de mobilier collecté par les archéologues dépend bien sûr des circonstances de l’étude du site, en particulier de la surface fouillée, mais aussi de la nature même des interventions qui y ont été réalisées. Bien évidemment, les lieux de culte qui n’ont fait l’objet que de prospections, notamment pédestres, n’ont généralement livré qu’un nombre réduit d’objets, dont le contexte stratigraphique demeure inconnu. Par ailleurs, lors des explorations archéologiques les plus anciennes, antérieures à la seconde moitié du xxe s., peu d’intérêt a été accordé aux vestiges les moins spectaculaires, tels le matériel céramique fragmenté, les ossements de faune ou les objets métalliques particulièrement corrodés, au contraire des monnaies, des parures ou encore des représentations figurées. Pour les découvertes plus récentes, si l’ensemble du mobilier a généralement été recueilli, certains types d’objets ont parfois fait l’objet d’une étude plus détaillée que d’autres. En outre, pour certains sites, l’emploi d’un détecteur à métaux, au cours d’opérations de fouille programmée ou préventive, a augmenté les chances de découvrir des objets métalliques, tels que des monnaies de petit diamètre. Enfin, l’emprise de la zone fouillée est souvent corrélée au nombre d’objets découverts, qui est bien sûr plus important lorsque l’ensemble de l’aire sacrée a été étudié. Pour autant, il convient de rappeler que certains secteurs des lieux de culte semblent avoir concentré une grande part du mobilier, qui est donc inégalement réparti dans l’espace ; en outre, objets ont pu avoir été mis au rebut dans les environs proches du sanctuaire, au sein de décharges extérieures au péribole, qui n’ont pas toujours été étudiées (cf. supra, 2.1.2).

41Ainsi, l’accumulation de multiples filtres conduit systématiquement à la disparition progressive d’un grand nombre d’offrandes entre la période d’activité du sanctuaire et la découverte de ses vestiges par les archéologues. Il est possible d’évaluer la part du mobilier – toutes catégories confondues – qui a pu être mis au jour selon la nature des opérations conduites et l’état d’arasement des couches archéologiques, en distinguant quatre niveaux (fig. 85). Aucun objet (indice 0) n’est ainsi rattaché à deux cinquièmes des lieux de culte (40 %), qui n’ont généralement pas été fouillés ni prospectés au sol, tandis que 28 % des sites sont associés à des objets en nombre relativement limité et dépourvus de tout contexte stratigraphique, puisque découverts au cours de ramassages de surface ou d’explorations anciennes (indice 1). Les espaces les mieux documentés, qui correspondent à des sanctuaires dont les vestiges ont été partiellement fouillés ou sont mal conservés, sont relativement peu nombreux (indice 2 : 28 %) et seulement 11 sites (indice 3 : 4 %) présentent un bon état de conservation et ont été intégralement explorés.

Figure 85 : Répartition des sanctuaires en fonction du degré d’étude et de conservation de leurs niveaux archéologiques et du mobilier qui en est issu.

Figure 85 : Répartition des sanctuaires en fonction du degré d’étude et de conservation de leurs niveaux archéologiques et du mobilier qui en est issu.

Réal. S. Bossard.

42Quant aux objets que l’on a évacués de l’aire sacrée au fur et à mesure de sa fréquentation et au moment de son abandon, leur part est bien plus difficile à estimer et dépend de leur nature même, notamment de leur capacité à être recyclés, mais aussi de la période considérée. Il faut alors analyser chacune des catégories de mobilier reconnues au sein des lieux de culte pour évaluer leur importance au sein des pratiques rituelles.

2.2. Quantifier et qualifier les types de dépôt

  • 32 Au sujet des quelques restes humains découverts dans les sanctuaires du centre et de l’ouest de la (...)

43Si l’on excepte les objets perdus et ceux dont la présence relève de la construction, du fonctionnement ou de l’entretien des lieux de culte – bien que leur identification ne soit pas toujours aisée –, la plupart du mobilier découvert au sein des sanctuaires semble correspondre à des dépôts volontaires et peut alors être divisé en trois grandes catégories : les vestiges liés au sacrifice animal, au banquet sacré et aux offrandes alimentaires ; les artefacts spécialement conçus, au sein ou à l’extérieur des lieux de culte, pour être manipulés dans le cadre de rituels (les offrandes « par destination », cf. supra, 2.1.1) ; enfin, les objets issus du quotidien, apportés par les dévots pour qu’elles y soient consacrées (les offrandes « par transformation »). Cette liste peut être complétée par des objets que l’on peut qualifier de curiosités, collectés par les hommes et donnés aux dieux32.

44Pour chacune de ces catégories, il est nécessaire de quantifier et de qualifier les types de mobilier qui peuvent y être rattachés, mais aussi d’examiner les traitements que l’on a pu leur appliquer, ainsi que leurs contextes de découverte, qui peuvent être porteurs d’informations au sujet de leur utilisation dans l’enceinte des lieux de culte.

2.2.1. Sacrifice animal et pratiques alimentaires

45Des pratiques sacrificielles et des banquets sacrés qui leur sont associés témoignent généralement deux catégories de mobilier, mises au jour dans un grand nombre de sanctuaires : les restes fauniques et malacofauniques ainsi que le vaisselier, en particulier en terre cuite, qu’ils soient découverts intacts ou fragmentés. Pour autant, l’étude de ces types de mobilier n’a été que rarement menée de manière exhaustive et l’interprétation des pratiques religieuses au cours desquelles une partie d’entre eux a été manipulée n’est pas toujours évidente ; en s’appuyant sur quelques exemples bien documentés, il est cependant possible de définir leurs caractéristiques principales et de réfléchir à la place des aliments dans les pratiques rituelles.

2.2.1.1. Restes fauniques et malacofauniques

46Les restes fauniques figurent parmi les catégories de mobilier les plus fréquemment découvertes au sein des lieux de culte : 89 sites, soit 52 % de ceux pour lesquels le matériel archéologique est documenté (indice 1 à 3), en ont livré (fig. 86). La malacofaune, quant à elle, semble plus rare ou, du moins, sa présence a été moins souvent remarquée : des coquilles ont été identifiées au sein de seulement 50 sanctuaires, soit 29 % des sites pourvus de mobilier (fig. 87).

Figure 86 : Répartition et nombre de restes fauniques découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 86 : Répartition et nombre de restes fauniques découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

Figure 87 : Répartition des restes malacofauniques découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 87 : Répartition des restes malacofauniques découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

47Comme l’a récemment rappelé S. Lepetz (2018, p. 86), les ossements d’animaux et les restes de mollusques découverts au sein des sanctuaires ne témoignent pas uniquement des activités sacrificielles qui y sont pratiquées et de leur complément indissociable, les banquets sacrés. Par exemple, une partie des restes fauniques recueillis sur le site de la Forêterie, à Allonnes (S.9), relève des détritus accumulés au cours du chantier de reconstruction du complexe monumental de la phase 4. Ainsi que l’a montré F. Poupon (in Brouquier-Reddé et al., 2008, p. 103), ce matériel est tout à fait similaire à celui qui est associé à la période d’activité du sanctuaire qui a suivi ces travaux : seule la présence de déchets d’artisanat de l’os différencie l’assemblage issu des niveaux de chantier de ceux relatifs à la fréquentation du lieu de culte, alors que les espèces reconnues et la répartition anatomique des restes ne varie guère. À l’inverse, il est nécessaire de rappeler que n’est conservée et ensevelie dans l’enceinte des lieux de culte qu’une partie des os des animaux qui y sont consacrés aux divinités ou bien consommés : si une fraction de la viande issue de sacrifices peut avoir été distribuée à l’extérieur des aires sacrées et que des nettoyages réguliers de ces dernières ont pu faire disparaître d’encombrants reliefs de repas, la part des dieux, brûlée sur l’autel, a aussi pu ne laisser aucune trace archéologique (cf. supra, 2.1.3). Par ailleurs, les conditions taphonomiques sont également déterminantes pour l’étude du matériel faunique ou malacofaunique : les sites implantés sur le Massif armoricain, caractérisé par un sous-sol globalement acide, n’ont ainsi généralement livré qu’une faible quantité ou un nombre indéterminé d’ossements (fig. 86).

48La quantité de matériel faunique collecté (nombre de restes : nr) a pu être évaluée avec précision pour 30 sites archéologiques fouillés, auxquels se rapporte une quarantaine de phases (Bossard, 2021, vol. I, p. 248-249, tabl. XII). Elle varie entre 88 restes à Hecmanville (S.152) et environ 50 000 restes au mithraeum d’Angers (S.2), pour une moyenne voisine de 6 800 restes par lieu de culte, et un poids de restes oscillant entre plusieurs centaines de grammes et 62 kg – à Hérouvillette (S.145). Si l’on restreint l’enquête aux exemples les mieux documentés, le nombre minimum d’individus (nmi) auquel appartiennent ces os a pu être déterminé pour seulement 11 phases de sanctuaires : il est compris entre 4 animaux à Plouër-sur-Rance (S.137) et 352 à Angers (S.2) et correspond, le plus souvent, à quelques dizaines d’individus – pour une moyenne égale à 89. Ces valeurs ne sont guère représentatives du nombre d’animaux qui ont été présents, vivants ou sous forme de viande, à l’intérieur des sanctuaires, pour les multiples raisons liées à la gestion des déchets et aux conditions de conservation et d’étude du mobilier osseux, déjà abordées supra. Pour autant, les chiffres les plus élevés donnent une idée de l’importance des animaux au sein de certains lieux de culte, y compris privés, à l’exemple du sanctuaire andicave de Mithra.

  • 33 Les proportions sont ici exprimées en fonction du nombre total de restes déterminés ou, à défaut, p (...)

49La part des différentes espèces33 au sein des spectres fauniques des sanctuaires est connue avec précision pour une vingtaine de phases de sanctuaires (fig. 88), auxquels s’ajoutent, pour une quinzaine d’exemples supplémentaires, des données plus lacunaires, relatives à des contextes pour lesquels aucun comptage détaillé n’a été effectué. À l’instar de ce qui est généralement observé au sein des habitats gaulois et antiques, les animaux de la triade domestique sont omniprésents dans les lieux de culte. Leurs proportions sont toutefois variables d’un exemple à l’autre, révélant de multiples combinaisons, sans que des préférences régionales s’observent pour autant. En effet, si l’on tient compte de l’ensemble des restes mis au jour au sein des sanctuaires, s’y rapportent généralement plus des trois quarts du total de restes déterminés. Le porc est l’espèce dominante dans la majorité des cas (17 phases), où il représente entre un et deux tiers des restes déterminés. Les caprinés – soit les moutons et les chèvres, la distinction entre les deux espèces étant rarement établie pour les lots étudiés – sont majoritaires pour 9 autres phases, avec des proportions similaires ; enfin, le bœuf occupe la première place du spectre faunique de 7 derniers sanctuaires, où il est présent à hauteur d’environ un reste sur deux (43 à 64 % des restes déterminés).

Figure 88 : Part des principales espèces domestiques au sein du spectre faunique d’une sélection de sanctuaires.

Figure 88 : Part des principales espèces domestiques au sein du spectre faunique d’une sélection de sanctuaires.

Réal. S. Bossard.

50À Pouillé (S.243), cependant, la proportion élevée d’os de bœuf (52 %), pour un échantillon de restes déterminés peu important (11 %), s’explique sans doute par le fait que les parties du squelette de ce grand animal sont plus facilement identifiables, au sein d’un lot particulièrement fragmenté, que celles des autres espèces (Plateau et Ruffier, 1982). En revanche, les valeurs enregistrées pour le bœuf sur le site gaulois d’Alençon (S.194, ph. 1 : 43 % ; P. Méniel, in Pernet et al., 2011, p. 280-284) ou pour les sanctuaires d’époque romaine d’Hérouvillette (S.145, ph. 2 : 55 % ; C. Wardius, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 273-329) et de Jouars-Pontchartrain (S.127 : 64 % ; Blin et Lepetz, 2008) témoignent bien de la part importante des restes de cet animal au sein de leurs spectres fauniques et, peut-être, de choix dépendant de la divinité honorée, dont on ignore toutefois l’identité.

51Cependant, d’une manière générale, porcs et caprinés sont les animaux les plus fréquents en nr (en moyenne : 36 % et 29 % du nr déterminés), mais aussi en nmi (en moyenne : 36 et 29 individus), tandis que le bœuf est plus rare (en moyenne, 20 % des restes déterminés et nmi = 11 individus). Pour un même nombre d’animaux abattus, le bœuf fournit néanmoins une masse de viande et d’os plus importante que les petits ruminants. À l’opposé de ces espèces, le chien et le cheval n’apparaissent que discrètement dans les spectres fauniques considérés, avec tout au plus 5 % des restes déterminés et, le plus souvent, moins de 1 %. Parmi les oiseaux, dont les restes sont généralement peu nombreux, le coq domestique est l’espèce la plus fréquente et est même représenté par une part importante d’os au sein de quatre sanctuaires d’époque romaine. Il s’agit notamment des mithraea de Septeuil (S.122, ph. 2 : 74 % ; Gaidon-Bunuel et Caillat, 2008) et d’Angers (S.2 : 44 % ; nmi = 160 ; P. Caillat, in Brodeur dir. 2014, vol. 2, p. 135-137), où la présence de cet animal n’est guère étonnante, puisqu’il est invariablement sacrifié à ce dieu (King, 2005, p. 353-355 et p. 361-362 ; Lepetz et Van Andringa, 2008, p. 20). S’y ajoutent, dans une moindre mesure, deux lieux de culte fouillés à Châteaubleau (Bontrond et al., 2008), à l’Aumône/la Justice (S.204 : 22 %) et à la Tannerie (S.205 : 21 %) et, éventuellement, un dépôt en amphore enfoui dans un possible sanctuaire à Chartres (cf. infra, 2.2.1.3). Enfin, signalons la découverte de rares ossements d’animaux sauvages (essentiellement du cerf, du lièvre et parfois du sanglier), pour une vingtaine de phases de sanctuaires, et de poissons, pour dix d’entre eux – mais ces restes, par leur fragilité et leur petite taille, présentent d’évidents problèmes de conservation et d’identification, d’autant plus s’il n’y a pas eu de tamisage systématique.

52Quant aux restes malacofauniques, ils n’ont été que rarement quantifiés ; les quelques ensembles étudiés, provenant de contextes d’époque romaine, témoignent de leur relative rareté au sein des sanctuaires, où ils sont représentés, tout au plus, par quelques dizaines de restes. Il est intéressant de remarquer que leur consommation ne se restreint pas aux sites localisés à faible distance du littoral, mais qu’on les retrouve également dans les terres. Il faut aussi considérer que les coquilles ont pu avoir été évacuées en grand nombre des aires sacrées, à l’instar d’autres types de déchets, comme le suggère l’exemple exceptionnel d’Hérouvillette (S.145, ph. 2) : une grande part des 42 680 restes malacofauniques (soit 56,1 kg) collectés sur le site a été enfouie dans les fossés bordiers d’un chemin avoisinant le lieu de culte, où ils avaient probablement été consommés dans le cadre de banquets (J.-L. Lamache in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 434-460). À l’exception de ce dernier site, où la coque est la principale espèce consommée et rejetée (92 % des restes), l’huître est généralement majoritaire et est complétée ou non par des restes de moules, de palourdes ou encore, bien plus rarement, de patelles ou de coquilles Saint-Jacques.

53L’examen du spectre faunique de sanctuaires occupés durant plusieurs siècles révèle que la part respective des principales espèces animales a pu évoluer avec le temps (fig. 88). Ainsi, à Bennecourt (S.254 ; P. Méniel et N. Desse-Berset, in Bourgeois dir., 1999, p. 168), si le porc reste l’animal privilégié du second âge du Fer à l’époque romaine et que le bœuf demeure minoritaire, la proportion de restes de caprinés diminue progressivement, à l’instar de ce qui a été observé, entre le iie s. et le ive s. de n. è., sur le site de l’Aumône/la Justice à Châteaubleau (S.204 ; Bontrond et al., 2008, p. 94-96). Sur certains sites, les changements sont remarquables, puisque l’ordre de fréquence des espèces est modifié d’une phase à l’autre : à Hérouvillette (S.145), par exemple, alors que le bœuf représente plus de la moitié des restes durant la phase 2 (55 %) et est suivi, en proportions égales, du porc et des caprinés (19 % et 20 %), ce sont les caprinés qui dominent largement le spectre faunique de la phase 3, en totalisant 66 % des restes déterminés (Chr. Wardius, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 273-329). Ces variations, s’il est possible de les expliquer par une évolution des cérémonies religieuses et notamment des sacrifices, pourraient aussi être liées aux modifications des pratiques d’élevage en vigueur dans les exploitations qui fournissent aux sanctuaires les victimes animales (Van Andringa, 2017a, p. 113) ; cependant, on ne peut ici trancher en l’absence d’une étude plus globale des tendances économiques propres à chaque région.

54Dans certains cas, en particulier pour les espèces les plus fréquentes, la détermination de l’âge et du sexe des animaux abattus révèle des choix spécifiques, ou au contraire des logiques d’abattage similaires à celles qui sont mises en œuvre dans les exploitations rurales ou dans les agglomérations. Au sein des mithraea de Septeuil (S.122) et d’Angers (S.2), déjà mentionnés, la volaille, particulièrement abondante, est représentée par des os essentiellement issus de mâles adultes, témoignant de préférences sans doute en rapport avec l’identité de la divinité honorée. Les mâles semblent aussi avoir été privilégiés aux femelles au sein du sanctuaire d’Authevernes (S.253 ; T. Oueslati, in Michel et al., 2014, p. 222-223), du moins en ce qui concerne les deux espèces les plus fréquentes – caprinés et porcs –, de même qu’à Macé (S.196, ph. 3 et 4 ; Poupon, 2008), soit deux lieux de culte dont les divinités titulaires sont inconnues. En revanche, aucune règle de sélection particulière n’a été identifiée pour les autres sites, qui sont les plus nombreux. D’une façon globale et à l’exception des mithraea déjà évoqués, les animaux des sanctuaires ont été abattus au moment de leur maturité pondérale – à Macé (S.196), à Châteaubleau (S.204 et S.205) ou à Authevernes (S.253) –, dans l’optique d’une rentabilité bouchère maximale et donc de la consommation de leur chair. Dans certains cas, à l’exemple des porcs de Macé, ils ont même été tués très jeunes pour obtenir une viande de grande qualité.

2.2.1.2. Vaisselle et ustensiles liés aux pratiques culinaires

55La question des pratiques alimentaires au sein des lieux de culte ne peut être abordée sans évoquer les multiples récipients qui y ont été introduits, dont il ne subsiste généralement que des fragments : parmi eux, la vaisselle en terre cuite constitue le type de mobilier le plus récurrent en contexte religieux, puisque sa présence est attestée au sein de 162 sites (fig. 89) [soit 95 % de ceux pour lesquels au moins un objet archéologique est documenté]. L’importance des contenants en bois ne peut pas être évaluée, en raison de problèmes évidents de conservation. En revanche, de la vaisselle en verre, dont les usages doivent être discutés, provient de 77 sanctuaires (45 %) et des récipients métalliques ont été signalés pour 21 lieux de culte (12 %). Ajoutons aussi, en ce qui concerne les autres ustensiles qui ont pu avoir été employés au cours des sacrifices, de repas sacrés ou de leur préparation, les couteaux et couperets en fer, dont un ou plusieurs exemplaires ont été identifiés au sein de 34 lieux de culte (20 %).

Figure 89 : Répartition et nombre de tessons de céramique découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 89 : Répartition et nombre de tessons de céramique découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

56Les usages de la céramique en contexte religieux sont multiples, comme l’ont montré les observations réalisées par M. Tuffreau-Libre (1994) à l’échelle des Gaules romaines : vaisselle utilisée au cours des banquets sacrés, contenants d’offrandes alimentaires ou de liquides ou encore instruments employés dans l’organisation matérielle du culte, que ce soit lors des sacrifices ou pour la préparation de repas. Pour cerner avec toute la précision requise les rôles qu’ont revêtus les vases au sein des sanctuaires étudiés, il serait nécessaire de conjuguer l’étude des différentes catégories de céramique à une approche fonctionnelle des formes, à des analyses biochimiques de leur contenu et à un examen rigoureux de leurs contextes de relégation, ainsi que procéder à des comparaisons, à l’échelle régionale, avec des lots issus d’habitats ou de nécropoles, pour identifier les spécificités propres au domaine religieux. Cependant, de telles recherches ne peuvent être entreprises qu’en s’appuyant sur une étude détaillée du mobilier de chaque site, qui manque dans nombre de cas, et, en l’état des connaissances, seules quelques considérations d’ordre général peuvent donc être émises.

  • 34 Il s’agit toutefois d’un cas exceptionnel, à plus d’un titre (cf. infra, 6.1.2), d’autant plus que (...)

57Bien que la terre cuite soit imputrescible et que les problèmes de conservation évoqués pour les restes fauniques ne concernent pas le matériel céramique, ce dernier a été découvert en quantité très variable au sein des sanctuaires du second âge du Fer ou de l’époque romaine. Le nombre de tessons recensés, si l’on s’en tient aux 90 sites qui ont fait l’objet de fouilles bien documentées (cf. supra, 2.1.3, indice 2 ou 3), oscille entre quelques dizaines de restes, pour des sanctuaires dont les niveaux de sol ont généralement disparu ou qui n’ont été que partiellement sondés, et environ 100 000 restes au sein du mithraeum d’Angers34 (S.2), pour une moyenne de 7 350 tessons. Le nombre minimum de vases auxquels appartiennent ces restes, en moyenne de 463 récipients, est généralement égal à quelques dizaines ou centaines d’individus ; les lieux de culte ruraux d’Authevernes (S.253 ; Michel et al., 2014), d’Hecmanville (S.152 ; E. Leclerc, in Maret dir., 2003, vol. 2) et d’Hérouvillette (S.145 ; M.-A. Thierry et P. Giraud, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 21-272) constituent des exceptions notables, puisque les 14 926, 11 208 et 11 563 débris respectivement collectés en leur sein ou à leurs abords immédiats sont issus d’au moins 1 407, 1 575 et 2 045 récipients, toutes phases confondues. Encore une fois, le tri des déchets accumulés dans les enceintes sacrées et, bien sûr, l’état d’arasement des vestiges et les circonstances des opérations archéologiques peuvent être invoqués pour expliquer en partie ces disparités ; il est alors difficile d’identifier d’éventuels sanctuaires où la céramique aurait été présente en plus grand nombre que dans d’autres.

58Les céramologues qui ont étudié ces ensembles de matériel ont souligné à de multiples reprises les nombreux points communs qui les apparentent, tant du point de vue des productions représentées que des formes identifiées, aux lots de céramiques provenant de contextes domestiques contemporains. Dans la plupart des cas, la céramique de table, liée au service et à la présentation des mets (assiettes, plats) et des boissons (cruches, coupes, gobelets), est majoritaire, comme au mithraeum d’Angers (S.2), déjà évoqué, ainsi que dans les sanctuaires d’Évreux (S.56 ; E. Lecler, in Doyen dir., 2002, p. 16-22), d’Hérouvillette (S.145, ph. 2-3), de Paule (S.172 ; Menez et al., 2021, p. 210), de Quimper (S.176, ph. 3 ; N. Menez, in Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 364 et p. 554), d’Amboise (S.237, ph. 2 ; L. Trin, in Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 71-79) et de Pussigny (S.244 ; C. Galouye, in Coutelas dir., 2015, vol. 3, p. 7-38). En revanche, au sein de l’établissement d’Authevernes (S.253), composé d’un temple et de multiples bâtiments annexes, dont une partie a pu avoir accueilli des banquets ou la préparation de repas (cf. supra, 1.1.4.3), les vases à usage culinaire ou de stockage représentent 58 % des 144 vases dont la forme est bien connue, tandis que 31 % de ces récipients correspondent à de la vaisselle de table (fig. 90 ; Y.-M. Adrian, in Michel et al., 2014, p. 214). De même, les contenants en terre cuite découverts parmi les vestiges du mithraeum de Septeuil (S.122) évoquent majoritairement des activités culinaires, mais ils proviennent en partie de la cuisine associée au spelaeum (Gaidon-Bunuel et al., 2006).

Figure 90 : Vaisselle culinaire et de table provenant de la fosse 1254 du site des Mureaux à Authevernes (Eure).

Figure 90 : Vaisselle culinaire et de table provenant de la fosse 1254 du site des Mureaux à Authevernes (Eure).

D’après Michel et al., 2014, p. 204-206, fig. 20, 21, 24 et 25.

59D’ailleurs, l’examen de la répartition des tessons de céramique au sein du premier état du sanctuaire d’Orléans (S.114, ph. 1) révèle des différences notables du point de vue des formes rejetées au sein de l’aire sacrée : le comblement du fossé occidental a servi de réceptacle à de nombreux débris de récipients liés au service de la table (75 % des formes identifiées), notamment des assiettes et des vases à boire, alors que le fossé oriental, distant de 80 m, contient majoritairement des restes de vaisselle culinaire (M.-P. Chambon et S. Riquier, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 6-31). Quant aux vases provenant du quadriportique de la Tannerie à Châteaubleau (S.205), qui abrite plusieurs bassins, leurs formes sont variées et ils se répartissent dans l’ensemble du monument, à l’exception des pichets, qui pourraient être liés au puisage de l’eau, concentrés aux abords des aménagements hydrauliques (Revenu, 2008, p. 76). Il faut donc envisager, dans ces cas comme dans d’autres, l’existence de différentes zones fonctionnelles au sein de certains lieux de culte, avec des espaces dévolus à la préparation culinaire et d’autres, à la consommation ou au dépôt d’offrandes alimentaires, ou encore au puisage de l’eau nécessaire aux rituels (cf. infra, 2.2.1.3).

60À ce vaisselier somme toute banal, dont l’examen indique qu’il ne diffère pas de celui que l’on retrouve habituellement dans les habitations, s’ajoutent parfois quelques formes plus originales. Un plateau en céramique sigillée provient ainsi du sanctuaire de Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 90), tandis qu’à Angers (S.2), mais le cas de ce mithraeum est très particulier, certains vases spécifiques ont sans doute été commandés à des ateliers de céramique sigillée, comme celui de Lezoux – tels de grands plats ovales ou quadrangulaires et une assiette probablement décorée d’un scorpion et d’une scène de tauroctonie. Par ailleurs, deux récipients zoomorphes se distinguent de l’ensemble : l’un, pourvu d’une anse, représente un cervidé, dont la gueule est percée de trois trous pour le versement d’un liquide ; l’autre est un tonnelet à décor d’applique à l’image d’un singe musicien (fig. 91). Enfin, la mise au jour d’autres formes assez rares et variées (coupe à piédestal en céramique à engobe rouge du val de Loire, sortes de calice, plats et couvercles, gobelet), doit aussi être évoquée (Mortreau, 2013b in Brodeur dir., 2014, vol. 2, p. 229-277 et p. 284-288).

Figure 91 : Calice à engobe rouge (a), vase tonnelet à décor de singe musicien (b) et vase à verser zoomorphe en forme de cerf (c) provenant du mithraeum de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).

Figure 91 : Calice à engobe rouge (a), vase tonnelet à décor de singe musicien (b) et vase à verser zoomorphe en forme de cerf (c) provenant du mithraeum de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).

Clichés et dessins H. Paitier et M. Mortreau (Inrap) ; d’après Brodeur (dir.), 2014, vol. 2, p. 254, fig. 8, p. 275, fig. 19 et p. 284, fig. 25.

61La vaisselle en verre d’époque romaine, moins fréquente et plus fragile que la céramique, est aussi moins bien documentée. Les tessons de verre mis au jour dans les sanctuaires qui, lorsqu’ils ont été dénombrés, sont généralement en quantité inférieure à 100 restes, sont souvent de petite taille. Les formes auxquelles ils appartiennent sont alors rarement déterminées. Quelques études détaillées révèlent néanmoins la variété des usages des récipients en verre, à l’instar de ce qui a été noté pour ceux en terre cuite. Si de la vaisselle de table et des contenants pour des provisions ou pour des liquides (bols, gobelets, barillets, cruches, bouteilles) sont fréquemment identifiés, comme à Vannes (S.278 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 60-69) ou à Châteaubleau (S.204 et S.205 ; Fünfschilling, 2008, p. 159-160), des fioles et des flacons, à usage sans doute cosmétique, ont aussi été reconnus à Orléans (S.114 ; M. Guérit, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 37-42) ou à Vannes. La présence de tessons de verre ne signale donc pas systématiquement des activités liées à la préparation, à l’offrande ou à la consommation de nourriture. Il est possible que les onguents que ces récipients ont pu contenir aient été introduits au sein du sanctuaire en guise d’offrandes individuelles, au même titre que certains objets personnels liés au domaine de la toilette (cf. infra, 2.2.3.4), ou bien qu’ils aient servi dans le cadre des soins portés aux statues de culte, qui pouvaient faire l’objet de bains et être habillées, couronnées de fleurs et parfumées (Kiernan, 2020, p. 201-204).

  • 35 S’y ajoute la vaisselle en argent du trésor de Notre-Dame-d’Allençon à Chavagnes (Maine-et-Loire), (...)

62Outre les couteaux, déjà évoqués, les ustensiles et la vaisselle métalliques apparaissent, sous une forme fragmentaire, au sein des sanctuaires dès le second âge du Fer, comme la céramique : des restes de chaudrons ont été identifiés à Aubigné-Racan (S.11, ph. 1 ; Lejars et al., 2001, p. 6), à Allonnes (la Forêterie, S.9, ph. 1 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 297) et à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 1 ; Bataille, 2008, p. 115-117), tandis que des débris issus d’une passoire et de sept seaux, utilisés notamment pour le service du vin, sont aussi issus de ce dernier site. Durant l’époque romaine, les récipients et autres ustensiles métalliques liés à la préparation culinaire ou au service sont globalement peu nombreux, mais il est probable qu’une partie d’entre eux ait été recyclée ou pillée dès l’Antiquité ou plus tardivement, après l’abandon des sites, du moins lorsqu’ils sont en alliage cuivreux ou en argent. Du matériel en fer – un gril et une louche (fig. 92) – est conservé à Authevernes (S.253 ; Michel et al., 2014, p. 232) et, parmi les formes en alliage cuivreux qui ont pu être identifiées, malgré leur fragmentation, figurent deux manches de simpulum à Mauves-sur-Loire (S.167 ; Archer, 2010, vol. 1, p. 36), des passoires à Vannes (S.278, ph. 2 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 53-59) et à Oisseau-le-Petit (les Busses, S.20 ; Monteil et al., p. 105), une cruche à Sceaux-du-Gâtinais (S.225 ; Roncin, 1977, p. 62), des patères ou des casseroles à Vannes, Vaas (S.25 ; Lambert et Rioufreyt, 1998), Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, S.204 ; Parthuisot et al., 2008, p. 56) et Genainville (S.260 ; Mitard, 1993, p. 357), des situles à Vannes, Le Mans (S.16, ph. 3 ; Chevet et al., 2014, p. 151), Oisseau-le-Petit et Genainville, des couvercles à Authevernes et Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 186) et enfin, aux côtés d’un brûle-parfum, un pot globulaire à Orléans (S.114 ; Verneau, 2014, p. 105-106). Quant au mobilier en argent, sa découverte reste tout à fait exceptionnelle : en sus d’une cuillère au Mans, seul le dépôt singulier de Berthouville35 (S.150), qui semble avoir été définitivement enfoui, au plus tôt, à la fin du iie s., ou même au début du iiie s. de n. è., contient des objets confectionnés à partir de ce matériau. Il s’agit, en plus de deux statuettes représentant Mercure, d’une soixantaine de pièces destinées au service et à la consommation – essentiellement de liquides, parfois sous forme de libations : coupes à boire, œnochoés, phiales, patères ou encore gobelet –, dont une série de neuf vases qui ont pu avoir été importés d’Italie, où ils auraient été confectionnés dans le courant du ier s. de n. è. (fig. 93). Hétérogènes par leur qualité et par leur style, les objets précieux et hétéroclites de ce trésor semblent avoir été accumulés sur le long terme, afin d’être consacrés à Mercure et probablement utilisés dans le cadre des activités liturgiques (Avisseau-Broustet et Colonna, 2017).

Figure 92 : Ustensiles en fer provenant du sanctuaire des Mureaux à Authevernes (Eure) : couteau (a), gril (b) et louche (c).

Figure 92 : Ustensiles en fer provenant du sanctuaire des Mureaux à Authevernes (Eure) : couteau (a), gril (b) et louche (c).

D’après Michel et al., 2014, p. 232, fig. 57.

Figure 93 : Vaisselle et statuettes en argent découvertes en 1830 à Berthouville (Eure), appartenant au trésor d’un sanctuaire dont l’exploration archéologique a débuté en 1861.

Figure 93 : Vaisselle et statuettes en argent découvertes en 1830 à Berthouville (Eure), appartenant au trésor d’un sanctuaire dont l’exploration archéologique a débuté en 1861.

Cliché BnF, in Avisseau-Broustet et Colonna (dir.), 2017, p. 42-43.

2.2.1.3. La place des aliments dans les pratiques rituelles

63Nous l’avons évoqué à plusieurs reprises : restituer la place de la nourriture d’origine animale ou végétale au sein des pratiques religieuses qui rythment la vie de sanctuaires n’est pas un exercice aisé. Des débris de vaisselle et des restes d’animaux terrestres ou marins sont fréquemment mis au jour au sein des lieux de culte, mais leur analyse est d’inégale qualité d’un exemple à l’autre. En effet, pour nombre de sanctuaires, de multiples lacunes nous privent de toute tentative de synthèse de données liées, entre autres, à l’identification des espèces animales ou à la fonction des vases. En outre, le sacrifice animal était probablement pratiqué dans l’ensemble des lieux de culte considérés, mais, dans la plupart des cas, il n’a laissé aucune trace, de même que les offrandes végétales ou d’origine végétale – céréales, légumes, fruits, bouillies, gâteaux, galettes, pain ou encore vin (Scheid, 2011a) – ont intégralement disparu. Quant à l’important taux de fragmentation des os, de la vaisselle en céramique ou de celle en verre, il complique souvent la détermination des espèces ou des formes. Toutefois, l’observation des vestiges conservés, de leur traitement et de leur contexte d’enfouissement révèle des gestes récurrents, même si elle documente essentiellement les ultimes étapes des séquences rituelles. Il est alors possible, dans certains cas qu’il convient de discuter, d’identifier et de caractériser des mets qui ont été manifestement consacrés aux divinités, cuisinés au sein même du sanctuaire ou parfois partagés par les hommes.

La part des dieux…

64Comment identifier les animaux et les autres aliments que l’on a intégralement ou partiellement offerts aux puissances divines résidant au sein des lieux de culte ?

65Durant l’époque romaine, la part des sacrifices qui leur est réservée est généralement brûlée sur l’autel, comme l’illustrent notamment de multiples dépôts carbonisés de céréales, de fruits, de légumineuses ou de viande découverts en contexte domestique – pour les cultes privés – ou au sein de sanctuaires publics à Pompéi (Van Andringa, 2011d). Si les offrandes d’origine végétale ou les entrailles des animaux passés sur la flamme n’ont globalement laissé aucune trace, plusieurs ensembles de restes osseux, provenant uniquement de sites occupés durant la période romaine et parfois associés à des rejets charbonneux, présentent en revanche les stigmates d’un passage au feu. Quelques esquilles d’os de faune, consumées par les flammes, proviennent ainsi de foyers aménagés dans les premiers édifices de culte de Vannes (S.278) et de Saint-Martin-de-Boscherville (S.87), où des grains de blé carbonisés, peut-être brûlés par la même occasion, ont aussi été découverts (cf. supra, 1.1.2.2). À la même période, soit les premières décennies du ier s. de n. è., des rejets de combustion ont été déposés à Authevernes (S.253, ph. 2) sur des empierrements non brûlés, installés en surface des niveaux sur lesquels le temple A sera fondé au cours de la phase suivante ; peut-être ont-ils aussi pris place au sein d’un premier temple, dont aucun vestige n’aurait été conservé ? Ils sont composés de limon rubéfié, de charbons de bois et d’ossements passés au feu, en particulier de restes de caprinés ; à proximité immédiate, la découverte de deux carcasses incomplètes de moutons laisse penser qu’il s’agit des animaux qui ont servi à ces sacrifices, dont une partie aurait été découpée et brûlée, tandis que le reste aurait été rejeté sur place (Michel et al., 2014, p. 199 et p. 224-226).

66Pour autant, il n’est pas toujours évident de reconnaître dans les matériaux osseux brûlés la part des dieux, en particulier lorsqu’il s’agit de rejets détritiques, ensevelis dans les fossés ou les tranchées qui délimitent l’aire sacrée. Ainsi, à Quimper (S.176, ph. 2), parmi 142 restes enfouis dans le comblement d’une tranchée où étaient ancrées les fondations d’un péribole en bois, 96 % des 85 ossements identifiés ont été intensément brûlés ; ces derniers proviennent presque exclusivement (soit 96 %) de caprinés ou de porc, représentés à part égale. Le traitement de ces restes et la sélection rigoureuse des espèces, dont toutes les régions anatomiques sont représentées, invitent à y voir les rejets de sacrifices. Néanmoins, on ne sait dans quel cadre précis ils ont été brûlés, d’autant plus que les ossements, relativement peu nombreux, s’apparentent à des déchets culinaires et que des céramiques plus ou moins complètes les accompagnent (P. Méniel, in Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 329-331). De multiples restes osseux passés au feu ont également été mis en évidence à Villeneuve-le-Comte (S.164), parmi le mobilier découvert dans le remplissage des fossés circonscrivant le lieu de culte. Au total, 95 % des 4 008 fragments d’os recueillis sur le site se caractérisent par un tel traitement ; les restes, difficiles à déterminer en raison des dégradations occasionnées par le feu, semblent majoritairement issus, du moins pour la cinquantaine d’entre eux qui ont été identifiés, de caprinés. Ces ossements ont pu avoir été brûlés, avec la viande qui les enveloppait, sur la flamme d’un autel – s’il ne s’agit pas de restes de grillades partagées par les hommes –, avant d’être progressivement rejetés dans les fossés de l’enclos (Berga et Bet, 2016, p. 65-66 ; Bet dir., 2018, p. 164-166).

67La question de la destination de vases complets ou presque entiers, enfouis dans des contextes spécifiques au sein même de l’aire sacrée et contenant parfois des ossements, doit aussi être posée : s’agit-il d’offrandes alimentaires qui, dans la plupart des cas, n’auraient pas été brûlées ? La consécration d’un vase et de son contenu est difficile à mettre en évidence en l’absence d’inscription : les récipients ont aussi pu avoir été ensevelis au sein du sanctuaire, entiers ou brisés, après avoir servi pour les banquets partagés par les hommes (cf. infra). Les seuls textes témoignant de la dédicace de céramiques à une divinité ont été découverts dans les mithraea d’Angers (S.2 ; Molin et al., 2015, p. 421-422 et p. 428-429) et de Septeuil (S.122 ; Gaidon-Bunuel et al., 2006), qui ont respectivement livré quatre vases porteurs de graffiti – dont l’un est une commande à un atelier de Lezoux et a été gravé avant cuisson – et deux récipients agrémentés de lettres peintes, sur lesquels figure le nom du Deo invicto (fig. 94). Il s’agit de formes liées à la présentation ou au service d’aliments solides ou liquides (un plat, trois gobelets et deux bols), dont les fragments ont été découverts dans des niveaux liés à l’abandon, mais on ignore tout de leur contenu initial.

Figure 94 : Dédicaces à Mithra, dieu invaincu, sur un gobelet sphérique de type Déchelette 72 et sur un plat caréné de type Lezoux 043 en céramique sigillée, provenant du mithraeum de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).

Figure 94 : Dédicaces à Mithra, dieu invaincu, sur un gobelet sphérique de type Déchelette 72 et sur un plat caréné de type Lezoux 043 en céramique sigillée, provenant du mithraeum de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).

In Molin et al., 2015, p. 422, fig. 5 et p. 425, fig. 9.

68Dans la cour de plusieurs sanctuaires, des vases isolés ou regroupés en petit nombre ont parfois été ensevelis dans des fosses creusées pour cette occasion. À Amboise (S.237, ph. 1), par exemple, cinq pots, découverts vides, ont été disposés, à la verticale, en bordure d’un niveau argileux formé durant la période augustéenne, qui a livré de nombreux restes de céramiques, de porcs et de caprinés, ainsi qu’une centaine de monnaies ; aucun indice ne permet d’affirmer qu’ils ont bien contenu des aliments, qui auraient pu être confectionnés à partir de produits végétaux (Peyrard, 1980 ; Laruaz, 2009, vol. 1, p. 119-121).

69À l’inverse, les fouilles réalisées au Mans (S.16, ph. 3), à Saint-Martin-de-Boscherville (S.87, ph. 3), à Chartres (Place des Épars, S.100, ph. 1 et 2) et à Orléans (S.114, ph. 1-2) ont conduit à la découverte d’un ou de plusieurs contenants en terre cuite, enfouis dans l’aire sacrée à des dates différentes, dans lesquels ont été recueillis des ossements non brûlés et, parfois, en connexion anatomique. Il n’est pas certain que les dépôts identifiés à Chartres relèvent bien d’un sanctuaire, puisqu’aucun temple n’a été formellement identifié pour la première phase du site. De surcroît, pour le plus ancien dépôt, daté de la première moitié du ier s. de n. è. (ph. 1), 56 restes fauniques – surtout du bœuf et du porc –, contenus dans l’une des deux amphores inhumées dans une fosse avec deux dolia, évoquent des déchets alimentaires et des rejets primaires de boucherie. Quant aux 202 restes fauniques, mêlés à quatre monnaies julio-claudiennes, qui sont issus d’une amphore, enterrée lors de la seconde moitié du ier s. ou au début du iie s. (ph. 2) en bordure d’un bassin en bois, ils appartiennent essentiellement à de jeunes coqs (87 % des 176 restes déterminés), mais on n’a pu déterminer s’ils ont été cuits et consommés (J.-M. Morin, in Joly dir., 2010, p. 129-130).

70À Orléans, parmi neuf vases – des pots ou des amphores parfois découpées – enterrés dans la cour du sanctuaire, en position verticale, à l’endroit ou à l’envers, trois sont bien conservés et renferment des ossements d’animaux sans connexion, ainsi qu’une monnaie gauloise pour l’un d’entre eux (fig. 95). Les restes fauniques n’ont malheureusement pas été analysés, mais les responsables de l’opération archéologique proposent d’y voir des offrandes alimentaires, déposées entre la fin du ier s. av. n. è. et le troisième quart du ier s. de n. è. Il s’agirait alors d’offrandes individuelles enfouies dans la cour, peut-être au même titre que de nombreuses monnaies ou encore d’ex-voto anatomiques que l’on a découverts dans le même secteur ; toutefois, peu d’informations ont été réunies au sujet de leur contenu et il est tout aussi envisageable qu’ils aient accueilli les reliefs de repas consommés au sein du lieu de culte (Chambon et Verneau, 2015).

Figure 95 : Dépôts de vases découverts dans la moitié orientale de la cour du sanctuaire de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret).

Figure 95 : Dépôts de vases découverts dans la moitié orientale de la cour du sanctuaire de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret).

Réal. S. Bossard, d’après Verneau, 2014, p. 100-101, fig. 84 et 86-87.

71De même, l’absence d’analyse détaillée du matériel faunique limite fortement l’interprétation de la douzaine de gobelets et d’urnes, remplis de petits ossements de porc ou de volailles, ensevelis à 4 m au sud-est du temple de Saint-Martin-de-Boscherville au cours des iiie s. et ive s. ; encore une fois, on ne peut trancher entre offrandes ou déchets alimentaires (Le Maho, 1995, p. 84 et p. 87). À l’opposé, l’hypothèse de mets préparés consacrés à une divinité et enfouis dans l’aire sacrée où on l’honore semble plus plausible au Mans. Au moins sept pots entiers ont été inhumés, à l’endroit ou à l’envers, dans les sédiments vaseux qui bordent le probable étang du lieu de culte des Jacobins, dans un secteur qui a aussi livré un grand nombre de monnaies (fig. 96). Dispersés dans la cour de ce dernier, ils ont été mis en terre, au plus tôt, lors de la seconde moitié du ier s. ou durant la première moitié du iie s. de n. è., si l’on se fie à l’étude typologique des vases. Au moins quatre de ces récipients renferment des restes fauniques, issus, pour ceux qui ont pu être déterminés, de jeunes porcs et coqs, d’un bœuf, d’un cyprinidé et d’un maquereau espagnol, sans doute importé sous une forme salée. Au regard de leur composition, il est vraisemblable que ces dépôts correspondent à des offrandes de viande de qualité, en conserve ou en morceaux, que l’on a inhumées dans l’enceinte du sanctuaire (S. Lepetz et S. Raux, in Chevet et al., 2014, p. 153-155).

Figure 96 : Pots enfouis en bordure du probable étang du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe) et contenant, pour certains d’entre eux, des quartiers de viande animale (b : restes de poulets ; c : restes de porc).

Figure 96 : Pots enfouis en bordure du probable étang du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe) et contenant, pour certains d’entre eux, des quartiers de viande animale (b : restes de poulets ; c : restes de porc).

D’après Chevet et al., 2014, p. 130, fig. 8, p. 132, fig. 11 et p. 154-155, fig. 25-27.

72Des dépôts de viande non brûlée et a priori non consommée ont pu être mis en évidence sur d’autres sites, au sein desquels ils ont été ensevelis, sous la forme de quartiers parfois associés à d’autres types de mobilier, dans des fosses que l’on peut qualifier de rituelles.

73La plus ancienne attestation de ce type de pratique a été reconnue à Authevernes (S.253, ph. 1) : une fosse, remblayée au plus tôt durant la seconde moitié du ier s. av. n. è., dans un secteur qui sera occupé à partir du siècle suivant par un temple, contient 91 tessons de céramique (au moins 8 vases), 2 monnaies, 9 fibules et des ossements d’animaux, dont un membre de porc en connexion anatomique (Michel et al., 2014, p. 192-193). À Hérouvillette (S.145, ph. 3), une cavité, aménagée près du mur oriental du péribole, a servi à enfouir des quartiers de viande, en grande partie issus du squelette incomplet d’une brebis (fig. 97), ainsi que des tessons datés de la fin du ier s. ou du début du iie s. de n. è. (C. Wardius, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 295-297). À Mareuil-lès-Meaux (S.157), ce sont plusieurs quartiers, découpés dans la carcasse d’au moins deux caprinés, et un morceau de viande de poulet, mêlés à quelques autres ossements et à un fragment de meule, qui ont été mis au jour dans des fosses creusées à l’intérieur de deux édicules de la villa – dont l’un, au moins, peut être identifié comme une cella. Les ossements sont répartis sur plusieurs niveaux et ont probablement été placés dans un contenant en bois, dont témoignent des effets de parois (I. Rodet-Belarbi, in Bet et Delage dir., 2008, p. 1032-1033). Enfin, le lieu de culte de Pussigny (S.244) se distingue des précédents par la quantité importante d’animaux abattus, découpés et enfouis sous forme de quartiers, aux côtés de quelques tessons de céramique, dans plusieurs dizaines de fosses creusées pour les accueillir. Les restes osseux, dont l’état de conservation témoigne d’un enfouissement rapide, sont issus des squelettes d’au moins 125 animaux, parmi lesquels les caprinés sont largement majoritaires, avec 69 % des restes déterminés et 86 % du nmi (soit 108 individus), et sont suivis du bœuf, qui représente 30 % du nombre de restes et 6 % du nmi (soit 8 animaux). Les ossements présentent les traces d’une préparation bouchère, mais, dans la plupart des cas, la viande n’a manifestement pas été consommée. De fait, les traces de passage au feu et de découpe sont quasi absentes, mais il est aussi possible, du moins dans certains cas, que la cuisson et la décarnisation n’aient pas laissé de traces, par exemple si l’on envisage une cuisson au bouillon. Alors que la majorité des fosses se caractérise par la présence de plusieurs dizaines ou centaines de restes essentiellement issus de caprinés, la fosse 1202 (1,47 x 0,66 x 0,50 m), localisée au sud-ouest du temple, renferme un assemblage plus singulier, puisqu’elle contient 2 600 restes fauniques, appartenant à un bœuf quasi complet (environ 70 % des restes). Celui-ci a été découpé en quartiers, soigneusement placés sur son fond, tandis que son crâne – sur lequel aucun stigmate lié à l’abattage n’a été observé – a été disposé au sommet des morceaux de viande. Des restes issus de deux chèvres, d’un mouton et d’un autre capriné ont aussi été mis au jour au sein de cette structure, vraisemblablement scellée au cours du iiie s. de n. è. (Coutelas dir., 2015, vol. 1, p. 80-81 et p. 151-153 ; vol. 3, p. 65-102).

Figure 97 : Quartiers de viande de brebis ensevelis dans une fosse du sanctuaire du Four à Chaux à Hérouvillette (Calvados).

Figure 97 : Quartiers de viande de brebis ensevelis dans une fosse du sanctuaire du Four à Chaux à Hérouvillette (Calvados).

Cliché conseil départemental du Calvados ; in Veron (dir.), 2018, vol. 2, p. 295, fig. 120.

74Pour ces différents exemples, les espèces concernées par ces pratiques varient (caprinés, bœuf, coq), parfois au sein d’un même site, de même que les régions anatomiques choisies. Seules les étapes les plus récentes des séquences rituelles peuvent être reconstituées : l’animal mort a été découpé, vraisemblablement au sein même du sanctuaire à Pussigny, puis une sélection de quartiers a été déposée dans une ou plusieurs fosses, auprès d’autres objets qui semblent constituer des rejets détritiques (os épars et tessons de céramique). En revanche, on ignore si une part des animaux – les entrailles ou certains quartiers de viande ? – a aussi été brûlée sur l’autel et si une autre part, cuisinée, a été consommée par les hommes. Ce type de pratique n’est pas exclusif à l’aire géographique étudiée, puisque des quartiers de viande non brûlés ont aussi été découverts dans la fosse no 11 (dite « fosse du vergobret ») du sanctuaire des Mersans à Saint-Marcel/Argentomagus (Indre) : en proviennent deux épaules et deux jambons, une tête de truie fendue en deux et deux grils costaux de bœuf (Rodet-Belarbi, 1994, p. 189 ; Fauduet, 2019, p. 453-455).

75D’autres morceaux issus de carcasses animales, qui n’ont manifestement pas été mangés, sont parfois découverts dans des types de contextes différents, notamment dans le comblement des fossés d’enclos ou au contact de niveaux de sol. L’exemple des parties de squelettes de moutons mises au jour à Authevernes, à proximité de restes brûlés qui correspondent vraisemblablement aux rejets de combustion d’un autel, a déjà été décrit supra. Sur le même site, dans le courant du ier s. ou au début du iie s. de n. è. (ph. 3), le fossé qui délimite à l’est la cour du lieu de culte a accueilli d’autres ossements, appartenant surtout à la tête et aux bas de pattes d’une dizaine de moutons et au squelette incomplet d’un équidé. D’autres os provenant des mêmes mammifères ont également été mis au jour dans une fosse voisine ; d’une manière globale, ils présentent des traces d’exposition aux intempéries, indiquant qu’ils sont restés à l’air libre durant un certain temps (Michel et al., 2014, p. 210 et p. 227-228). Si la décomposition de cadavres d’animaux non découpés est un phénomène attesté à plusieurs reprises au sein de sanctuaires du second âge du Fer, mais qui reste tout de même rare (Méniel, 2008, p. 143-155 ; 2012, p. 11-12), le cheval d’Authevernes constitue le seul témoignage de ce type de pratique, ici au cours de l’époque romaine, au sein du corpus étudié.

76Par ailleurs, alors qu’une tête de cheval à l’occipital tranché, provenant d’un fossé comblé durant La Tène finale à Alençon (S.194, ph. 1), y a été suspendue au moyen d’un piquet appointé, on ne sait si, durant l’époque romaine, les quatre crânes de bœuf découverts au sein des sanctuaires de Pouillé (S.243) et de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), celui de brebis, déposé dans une fosse bordée de pierres à Bennecourt (S.254, ph. 2), ou encore les trois exemplaires, non décrits, provenant des sols de l’enclos polygonal de Vannes (S.278, ph. 3) ont aussi fait l’objet d’une exposition avant d’être mis au rebut. Si les restes crâniens ont pu avoir été prélevés sur des animaux que l’on a laissé pourrir, à l’instar de l’équidé d’Authevernes, il est aussi tout à fait probable qu’ils aient été séparés des carcasses d’animaux auparavant sacrifiés et équarris pour être cuisinés et consommés, et ainsi faire partie des rejets de boucherie.

77Il faut aussi évoquer la question des animaux dont le cadavre a été déposé entier dans une fosse, sans avoir fait l’objet de prélèvements et donc de consommation. Au cours de l’époque romaine, ce ne sont que des animaux isolés qui, à de rares reprises, ont été mis en terre au sein des aires sacrées. Pour autant, leur enfouissement ne semble pas nécessairement lié aux pratiques religieuses des sanctuaires, comme l’ont noté, pour d’autres régions, S. Lepetz et P. Méniel (2008, p. 155-156). Ainsi, à Baudreville (S.94 ; Jalmain, 1985), la présence d’un squelette de chien dans le comblement d’un puits inachevé ou d’un puisard pourrait avoir eu lieu après l’abandon du site ou dans le cadre du rejet d’un animal mort naturellement, de même qu’à Pouillé (S.243 ; Plateau et Ruffier, 1982). En revanche, à Macé (S.196, ph. 5), un canidé a été inhumé, au cours de l’Antiquité tardive, dans une fosse creusée entre deux édicules et près d’une stèle dressée, avec 8 monnaies, deux fragments de figurines en terre cuite et d’autres objets ; l’assemblage des dépôts témoigne sans guère de doute d’un geste rituel dont on ignore la signification (Leclerc, 2006, p. 16 et p. 54). Dans tous les cas, la présence de chiens entiers est étonnante, puisque leurs restes sont généralement peu fréquents au sein des spectres fauniques des lieux de culte (cf. supra, 2.2.1.1). Néanmoins, le sacrifice de chien est bien attesté en Italie romaine, et ce à des fins diverses, et cet animal apparaît aussi dans les bras de plusieurs enfants, parmi les sculptures découvertes aux sources de la Seine, en Côte-d’Or, où il pourrait éventuellement représenter l’objet d’une offrande ou un animal familier (Deyts, 1994a, p. 10 ; Lacam, 2008, p. 36-38).

78Si aucun squelette intact de bœuf ou de porc n’a été identifié au sein des sanctuaires antiques, des dépouilles de caprinés ont en revanche été découvertes, pour l’une d’entre elles, à Mareuil-lès-Meaux (S.157), à l’extérieur d’un édicule qui a aussi livré les vestiges de morceaux de coq, et, pour trois autres, déposées dans autant de fosses, à Saint-Patrice (S.247 ; Guiot dir., 2003, p. 79). Sur ce dernier site, deux des trois squelettes sont d’ailleurs associés à un vase en terre cuite complet, daté de la fin du iie s. ou du iiie s. de n. è. ; les os se caractérisent par un état de conservation globalement mauvais et les modalités de la mise à mort des mammifères n’ont pas pu être précisées. L’inhumation de cadavres entiers de caprinés et de céramiques n’est pas spécifique à cet établissement : plusieurs exemples ont aussi été mis au jour à une centaine de mètres au nord du lieu de culte d’Authevernes (S.253), dans une vaste fosse interprétée comme une ancienne carrière. S. Lepetz a récemment recensé d’autres cas similaires, associant des squelettes de caprinés ou d’autres animaux à des récipients, en Gaule et en Germanie romaines. Il conclut que le sens de ces gestes nous échappe, mais que « le choix des victimes et les espèces impliquées laissent entrevoir des pratiques locales en lien avec une communauté de taille réduite » (Lepetz, 2018, p. 97).

79L’enfouissement d’animaux non brûlés – entiers ou segmentés – au sein des sanctuaires d’époque romaine revêt donc des formes très variables, tant du point de vue des espèces sélectionnées que de la composition du dépôt. Si ces gestes ne traduisent pas nécessairement la volonté de consacrer à une divinité l’objet inhumé, ils relèvent certainement de différentes pratiques, dont la signification et le déroulement précis ne peuvent être pleinement compris à partir des vestiges conservés. La multiplication des découvertes et une étude systématique des contextes d’ensevelissement des restes fauniques permettront de mieux cerner les modalités de ces pratiques, encore peu documentées pour certaines d’entre elles, que ce soit le dépôt de viande au sein de céramiques ou sous la forme de quartiers disposés dans des fosses.

… et celle des hommes

80À l’inverse, d’autres vestiges semblent en revanche témoigner de la consommation de nourriture – et de boissons – par les hommes, issue ou non du sacrifice et parfois préparée et partagée dans l’enceinte même du sanctuaire.

81Les plus anciennes traces de pratiques de commensalité apparaissent manifestement dès le second âge du Fer. L’examen de l’abondant matériel faunique (environ 20 000 restes) provenant du remplissage des fossés de l’enclos de Bennecourt (S.254, ph. 1), daté de la seconde moitié du iie s. av. n. è., a conduit P. Méniel à l’interpréter comme un amas de déchets résultant de la consommation massive de porc (60 % du nombre de restes déterminés, pour un nmi égal à 140) et de caprinés (30 %, nmi = 84), ainsi que, dans une moindre mesure, de bœuf (2 %, nmi = 11) et de chien (< 1 %, nmi = 18) ; s’y ajoutent quelques restes de faune sauvage, de malacofaune et de poissons. Toutes les parties du squelette des animaux ne sont pas représentées, ce qui implique que l’ensemble de ces derniers n’a pas nécessairement été sacrifié dans l’enclos, mais qu’au moins une partie de la viande a été importée sous forme de quartiers. En outre, certains morceaux de porcs (notamment les pieds), qui auraient été abattus sur place, ont pu avoir été exportés en dehors du site (Bourgeois dir., 1999, p. 151-163). On ignore si la céramique associée, également découverte en grand nombre (soit 2 424 tessons, correspondant à un minimum de 161 vases) et composée de formes variées, a été uniquement utilisée dans le cadre de ces banquets, ou si elle a pu intervenir dans d’autres types de pratiques (Bourgeois dir., 1999, p. 136).

82Si très peu de restes fauniques ont été mis au jour au sein du grand enclos de Juvigné (S.36, ph. 1), peut-être pour des raisons de mauvaise conservation du matériel osseux, la céramique datée de La Tène moyenne et surtout finale y est en quantité relativement importante (1 839 tessons, soit a minima 223 vases). En sus, elle est associée à de multiples débris de plaques de cuisson en terre cuite (169 fragments, issus d’au moins 6 objets). Ces objets en terre cuite témoignent sans doute de la préparation de repas à l’intérieur de l’enceinte et, probablement, de leur consommation. Dans la partie centrale de l’enclos, une fosse a d’ailleurs été creusée pour mettre au rebut trois pots datés de La Tène finale, quasi entiers et probablement brisés sur place, ainsi que plusieurs débris de plaques foyères, des pierres rubéfiées et un fragment de bouterolle en fer, piégé dans son remplissage (fig. 98). L’observation de traces de suie et des analyses biochimiques de contenu, réalisées sur les trois pots par le laboratoire Nicolas Garnier, indiquent que ces derniers ont servi à la cuisson d’aliments différents (viande et produits laitiers) et peut-être, aussi, à la fabrication de bière (Bossard et Dufay-Garel dir., 2016 ; Bossard et Dufay-Garel, 2019).

Figure 98 : Relevé en plan et en coupe et cliché de la fosse 1120 du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), qui a livré trois pots de cuisson quasi entiers de La Tène finale.

Figure 98 : Relevé en plan et en coupe et cliché de la fosse 1120 du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), qui a livré trois pots de cuisson quasi entiers de La Tène finale.

Réal. et cliché S. Bossard.

83Les plus anciens niveaux du site de la Bauve à Meaux (S.158) ont aussi livré des vestiges que l’on peut rattacher, entre autres, à la tenue de festins : l’une des zones sondées au nord du complexe monumental d’époque romaine a révélé la présence d’un épandage de céramiques fragmentaires ou entières (a minima 80 vases, dont de nombreux gobelets entiers) et de plus de 2 000 restes fauniques. Ces derniers, caractéristiques de déchets alimentaires, présentent une face altérée, témoin d’une exposition durable à l’air libre. Les ossements sont majoritairement issus de moutons et de bœufs et proviennent pour une grande part de mandibules et de membres (S. Marion et S. Lepetz, in Couturier dir., 2005, p. 83-97 et p. 123-129).

84La découverte de vases en grande quantité rappelle également l’important dépôt de céramiques provenant d’un segment de fossé d’enclos à Quimper (S.176, ph. 1) : son comblement a livré plus de 150 petit pots, pour partir complets, enfouis durant la première moitié du ier s. av. n. è. L’enclos, antérieur au développement du sanctuaire d’époque romaine, n’a été que partiellement fouillé et on ignore donc son étendue ainsi que la nature exacte des activités qu’il abrite (Le Bihan et Villard, 2021).

85Enfin, à Balloy (Seine-et-Marne), les débris de quinze amphores italiques, datées du premier quart du ier s. av. n. è., ainsi que quelques tessons de céramiques domestiques ont été mis au jour dans les fossés d’un enclos de plan carré que l’on peut vraisemblablement interpréter comme un sanctuaire, à moins d’y voir un espace funéraire dont la ou les sépultures n’auraient pas laissé de trace. Les contenants de vin ont été volontairement décolletés, brisés et, pour certains, passés au feu (fig. 99) ; après la consommation probable de la boisson au sein de l’enclos, leurs restes sont restés exposés à l’air libre un certain temps avant d’être ensevelis (Poyeton et Séguier, 1999 ; Poux, 2004, p. 422-425).

Figure 99 : Plan de l’enclos du Bois de Roselle à Balloy (Seine-et-Marne) et vue des débris d’amphores volontairement brisées et rejetées dans ses fossés, près de son entrée, vers le premier quart du ier s. av. n. è.

Figure 99 : Plan de l’enclos du Bois de Roselle à Balloy (Seine-et-Marne) et vue des débris d’amphores volontairement brisées et rejetées dans ses fossés, près de son entrée, vers le premier quart du ier s. av. n. è.

D’après Poyeton et Séguier, 1999, p. 58-59, fig. 2-3.

86Pour ces cinq sites gaulois, le déroulement des banquets qui y ont vraisemblablement eu lieu demeure peu connu : les assemblages de céramique et parfois d’ossements d’animaux sont en position de rejets et on ignore tout du nombre de repas organisé et de leur périodicité ; la quantité élevée d’animaux consommés et de vases manipulés témoigne probablement de la participation d’une communauté importante, à moins d’envisager que ces pratiques aient été étalées sur plusieurs décennies et qu’elles n’aient réuni, à chaque fois, qu’un petit nombre de commensaux. Les enclos de Bennecourt et de Balloy, d’une surface interne de 110 m² et 175 m², se caractérisent par une capacité d’accueil limitée – encore faudrait-il être certain que les repas avaient bien lieu en son sein et non en sa périphérie – mais, à l’opposé, celui de Juvigné (environ 2 500 m²) a sans doute permis de rassembler un groupe bien plus important de convives (cf. supra, 1.1.1.1) ; quant au site de Meaux, on ignore tout de sa structuration avant le début de l’époque romaine et le cadre spatial des repas ne peut donc être défini.

87Un faisceau d’indices autorise aussi la restitution de repas à plus ou moins grande échelle au sein de plusieurs sanctuaires du Haut-Empire, pour lesquels les données sont plus étoffées. À de multiples reprises, comme à Jouars-Pontchartrain (S.127, ph. 2-3) pour des os de porcs et de caprinés (Blin et Lepetz, 2008, p. 230), l’étude archéozoologique a montré que les restes fauniques qui en proviennent, qu’ils soient issus de niveaux d’abandon, de remblais ou du remplissage de fosses ou de fossés, correspondent à des déchets alimentaires. Par ailleurs, l’analyse de la répartition anatomique des os montre que les parties charnues, privilégiées dans le cadre d’une consommation alimentaire, sont généralement les plus abondantes, que ce soit pour le porc à Allonnes (S.9, ph. 4 ; Brouquier-Reddé et al., 2008, p. 107-114), où il a d’ailleurs été abattu, préparé et consommé sur place, à l’instar des caprinés, mais aussi à Val-de-Reuil (S.269 ; G. Jouanin, in Lukas dir., 2014, p. 328), où les côtes de bœuf et les membres de porcs et de caprinés dominent les assemblages, de même qu’à Châteaubleau (S.204 ; Bontrond et al., 2008, p. 96). La prédominance des restes de ces morceaux riches en viande peut résulter de l’évacuation des déchets éliminés lors de la découpe primaire des carcasses, mais aussi de l’introduction de provisions, par les autorités gérant le lieu de culte ou par les cultores, qui étaient destinées à être offertes aux divinités ou partagées lors de repas sacrés, en complément des mets préparés à partir des victimes sacrifiées.

88Dans d’autres cas, toutes les parties anatomiques des principales espèces attestées sont représentées et les os portent des traces de découpe bouchère et de consommation. C’est notamment le cas au sanctuaire d’Amboise (S.237, ph. 1 et 2), où la viande de porc, suivi d’abord des caprinés (ph. 1) puis du bœuf (ph. 2), a constitué un mets de choix (P. Nuviala, in Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 85-101). De même, au mithraeum de Septeuil (S.122, ph. 2), l’ensemble des os du squelette des coqs a pu être identifié, mais, les fragments de crâne étant très rares, il est possible que ces oiseaux aient été décapités sur place avant d’être consommés. En revanche, pour ce même site, alors que la majorité des porcs a été abattue alors qu’ils étaient jeunes, probablement sur le site même, d’autres quartiers de viande porcine, issus d’individus plus âgés, semblent avoir été importés en guise de complément (Gaidon-Bunuel et Caillat, 2008).

89Comme l’illustrent ces différents exemples, des animaux ont donc manifestement été sacrifiés, préparés et mangés dans l’enceinte même de plusieurs lieux de culte, tandis que d’autres ont été introduits dans les aires sacrées après leur abattage ; pour autant, les locaux accueillant les cuisines et les banquets sacrés n’ont que rarement été identifiés au sein du territoire considéré (cf. supra, 1.1.4.2 et 1.1.4.3).

90En outre, une partie de la viande produite grâce aux sacrifices – en particulier de bœufs – a sans doute été distribuée à l’extérieur du sanctuaire, notamment dans les marchés à viande (macella) des agglomérations d’époque romaine, de même que les os et la peau peuvent fournir en matières premières les ateliers artisanaux qui y sont établis (Van Andringa, 2017a, p. 114). L’abattage d’un grand ruminant, animal coûteux et plutôt réservé aux cérémonies communautaires ou publiques (Van Andringa, 2008, p. 31), peut en effet produire une importante quantité de viande, estimée à environ 300 kg pour un bœuf d’époque romaine (selon P. Méniel et S. Lepetz, cités dans Scheid, 2011b, p. 229) – soit 1 500 portions de 200 g, 1 000 portions de 300 g ou 600 portions de 500 g, c’est-à-dire de quoi rassasier plusieurs centaines d’individus.

91D’après les résultats de plusieurs études archéozoologiques, menées sur des lots osseux issus de sanctuaires urbains ou voisins d’une grande ville, il est effectivement probable que la chair des bœufs sacrifiée ait été en grande partie écoulée et consommée en dehors de leurs murs, puisque les parties les plus charnues sont globalement absentes des ensembles analysés, tandis que les rejets issus des premières étapes de découpe des carcasses y sont plus abondants. À Jouars-Pontchartrain (S.127), le décompte de nombreux os de bas de pattes de bœufs et l’observation de traces de découpe spécifiques plaident ainsi en faveur de cette hypothèse (Blin et Lepetz, 2008). D’ailleurs, la forte proportion d’ossements appartenant à cette espèce (64 % des 1 219 restes déterminés) montre que le bœuf a été privilégié pour les hommages rendus à la divinité honorée ; elle témoigne d’un statut probablement public du sanctuaire, au sein duquel on sacrifiait avant tout de grands animaux. à Meaux (S.158, ph. 1-2 et 3), la découverte de segments de colonnes vertébrales et d’autres déchets éliminés lors des découpes bouchères va dans le même sens : les carcasses ont été préparées pour que la viande soit probablement mangée ailleurs (Lepetz et Magnan, 2008). Enfin, les conclusions que tire F. Poupon de l’examen du matériel faunique issu des sanctuaires d’Allonnes (la Forêterie, S.9, ph. 4) et de Macé (S.196) sont aussi tout à fait similaires : la forte proportion de pieds et de côtes, entre autres, indique que les bœufs ont été abattus sur place, mais qu’ils ont probablement été consommés en un autre lieu (Brouquier-Reddé et al., 2008 ; Poupon, 2008, p. 69-70).

92L’étude de la céramique et de ses contextes de relégation au sein des sanctuaires, notamment lorsqu’elle est mêlée à des déchets alimentaires, peut également étayer l’hypothèse de repas consommés dans les enceintes à vocation religieuse. Pour plusieurs sanctuaires, la part importante de formes liées au service des boissons et des aliments solides (cf. supra, 2.2.1.2) constitue un premier indice, bien que ces récipients aient aussi pu contenir des offrandes alimentaires destinées aux dieux et non aux visiteurs. Seule une coupe provenant de la cella du temple de Vannes (S.278, ph. 5) porte un graffito qui pourrait évoquer la consommation d’une boisson, en l’occurrence la bière, au sein d’un sanctuaire : elle a été lue « […]ndinaed bibis c[er]uesa(m) gratis[…] », soit : « […] tu bois de la bière gratuitement » (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 6-34 ; Simon et Bérard, 2007). Cet objet pourrait toutefois avoir servi dans un autre contexte avant d’être introduit dans l’aire sacrée. Les autres vases sont généralement muets au sujet des pratiques au cours desquels ils étaient utilisés.

93Quant à leur traitement, on ignore si les bris volontaires de vases, assez rarement mis en évidence pour les sanctuaires de la zone d’étude – ils ont notamment été signalés, sous différentes formes (fond perforé, col sabré, panse fragmentée, éventuelle calcination), à Hérouvillette (S.145 ; M.-A. Thierry, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 208-211), Hecmanville (S.152 ; Maret dir., 2003, vol. 3, p. 28) et Authevernes (S.253 ; Y.-M. Adrian, in Michel et al., 2014, p. 217-218) – sont liés à la volonté de détruire, après usage, des contenants qui ont été manipulés dans le cadre de banquets, ou plutôt des vases offerts aux dieux et qui ne peuvent donc plus être employés par les hommes, à l’exemple de phénomènes que l’on observe, avec des raisons différentes, dans le domaine des rites funéraires.

94L’association récurrente de vases, complets ou brisés, et de restes fauniques – du moins lorsqu’ils sont conservés – dans les fossés et dans les fosses rituelles de plusieurs sanctuaires témoigne de la mise au rebut d’objets sans doute liés, pour une grande partie d’entre eux, à des pratiques alimentaires. Pour autant, doit-on y voir des reliefs de banquets et les débris de la vaisselle qui y a été utilisée, ou bien une accumulation de détritus issus de rejets d’offrandes alimentaires à l’origine contenues dans des récipients en terre cuite ?

95Dans certains cas, l’observation de traces de découpe et de cuisson sur les ossements appuie la première hypothèse, puisque ces rejets sont caractéristiques de déchets alimentaires. L’enfouissement des vestiges de repas au sein même de l’aire sacrée peut alors signifier que ce dernier a été consommé en présence de la divinité, qui a pu lui-même y participer en recevant sa part (Van Andringa, 2017a, p. 111). Ainsi, une fosse mise au jour dans le bâtiment à double galerie d’Entrammes (le Port, S.31, B) a été remblayée en plusieurs étapes, en y déversant des rejets issus d’un ou de plusieurs foyers, ainsi que de nombreux tessons de céramique, parmi lesquels les débris d’assiettes abondent, et un millier de restes fauniques ; ces derniers, appartenant pour les deux tiers à du bœuf et à du porc, présentent des traces de découpe et de cuisson. Il est alors probable que la fosse ait accueilli les reliefs d’un ou de plusieurs repas consommés au sein même du bâtiment ou à ses abords (Naveau, 1982). Suivant un processus sans doute similaire, à Hérouvillette (S.145, ph. 3), une fosse creusée à une dizaine de mètres au sud-est du temple a accueilli des vases en terre cuite quasi complets (nr = 76 ; nmi = 17), de formes très variées et datées de la fin du iie s. ou du début du iiie s. ; ils y sont mêlés à 171 ossements de faune, également caractérisés par la présence de traces de découpe (Veron dir., 2018, vol. 1, p. 260 et vol. 2, p. 100-101 et p. 297). Parmi les quatre fosses creusées dans la cour du lieu de culte associé à la villa de Bais (S.183, ph. 1), l’une accueille également un important ensemble de vases pour partie complets (fig. 100) – 446 restes, pour un minimum de 12 individus de formes variées : cruche, écuelles, jattes et petits et grand pots, attribués à la seconde moitié du ier s. de n. è. –, tandis que les ossements sont quasi absents, sans doute en raison d’un sol trop acide (F. Labaune-Jean, in Pouille dir., 2011, p. 157 et p. 255-257).

Figure 100 : Vue de la fosse F707 en cours de fouille du sanctuaire de la villa du Bourg Saint-Pair à Bais (Ille-et-Vilaine) et dessins des vases complets ou quasi complets qui y ont été déposés.

Figure 100 : Vue de la fosse F707 en cours de fouille du sanctuaire de la villa du Bourg Saint-Pair à Bais (Ille-et-Vilaine) et dessins des vases complets ou quasi complets qui y ont été déposés.

Cliché E. Gaumé et dessin F. Labaune-Jean et S. Jean (Inrap) ; in Pouille (dir.), 2011, p. 157, fig. 77 et p. 256-257, fig. 6.

96À Authevernes (S.253, ph. 4), la nécessité de mettre en terre les débris formés au cours de multiples repas ou résultant d’offrandes sacrifiées a sans doute motivé le creusement d’une douzaine de cavités, dont une partie pourrait toutefois correspondre à des caves, scellées, au moment du démantèlement du site, au moyen de matériaux prélevés à proximité. Leur remplissage contient en effet de nombreux restes malacofauniques et fauniques – parfois en connexion anatomique et correspondant, pour près de 80 % d’entre eux, à des restes de caprinés –, ainsi que des tessons de céramique, partiellement brûlés. Occasionnellement, des débris de construction et d’autres objets, en lien ou non avec des pratiques alimentaires (une louche et un couperet en fer, mais aussi un chandelier, une lampe à huile à suspension, une monnaie ou encore une fibule), ou des débris de construction accompagnent ces dépôts. Sur ce site, il est difficile de distinguer les vestiges qui sont issus d’offrandes sacrificielles de ceux qui résultent du partage d’un ou de plusieurs repas, puisque la part et dieux et des hommes a pu avoir été réunie dans une même structure. En outre, deux fosses (st. 1302 et 1338) ont contenu des quartiers issus d’au moins sept moutons, dont une partie a été brûlée – pour être consacrée aux dieux ? – et enfouie dans la première, tandis que le reste, qui n’a pas été passé sur la flamme – et a été consommé par les hommes ? –, a été enseveli dans la seconde. La fosse 1302, comblée en plusieurs temps, a aussi livré, outre les tessons d’une jatte complète qui a subi l’action du feu, quelques morceaux de porcs, d’oiseaux de la basse-cour et de poissons, ainsi que des coquilles d’huîtres, de moules et des macrorestes végétaux non décrits, qui peuvent correspondre aux reliefs de repas ou à d’autres offrandes brûlées sur la flamme de l’autel. Une autre fosse (1254) a également livré, piégés dans des sédiments essentiellement composés de limon cendreux et de fragments de torchis rubéfié, d’abondants 1 327 tessons de céramique (nmi = 48), 199 restes osseux (caprinés, bœuf, lièvres, poissons, huîtres, moules et oiseaux), en grande partie brûlés, et divers objets. Les vases sont datés, pour les formes les plus récentes, de la fin du iie s. et du premier tiers du iiie s. ; 45 % des formes identifiées relèvent de la vaisselle utilisée pour le service et à table ; elles sont pour certaines complètes, malgré leur passage au feu (cf. supra, fig. 90 ; Michel et al., 2014, p. 201-209 et p. 226-228).

97La découverte de telles fosses, livrant les vestiges de repas, parfois mêlés à ceux d’offrandes sacrificielles, reste toutefois assez rare. Il est aussi possible que des reliefs de banquets aient été rejetés dans les fossés délimitant certains sanctuaires : des vases complets ou fragmentés et des ossements, dont l’état de conservation est malheureusement médiocre, ont ainsi été mis au jour à Saint-Martin-des-Entrées (S.82, ph. 1) et à Tiercé (S.8), deux lieux de culte toutefois incertains (cf. infra, 3.2.2.3 et 3.2.3.1).

98Les sacrifices et les pratiques alimentaires laissent donc de multiples traces archéologiques, souvent équivoques, au sein des sanctuaires. Qu’il s’agisse de mets consommés par les dieux ou par les hommes, il n’en reste généralement qu’un lot d’ossements et de récipients, la plupart du temps brisés, du moins pour les vestiges enfouis au sein même ou en périphérie du lieu de culte. Des offrandes d’origine végétale et des boissons, il ne subsiste rien, si ce n’est parfois le contenant, de même que de la vaisselle en bois ou des tables dressées dans les enceintes à vocation religieuse.

99Les points abordés ci-dessus ont bien montré qu’il est crucial de combiner une analyse détaillée du matériel osseux et des lots de céramique, ainsi qu’un examen critique de leurs contextes de découverte, pour cerner au mieux la place de ces vestiges au sein des pratiques alimentaires. La détermination des espèces, les critères de sélection des animaux et des régions anatomiques privilégiées, la caractérisation des formes et du contenu des vases, l’identification d’ustensiles métalliques, l’observation de stigmates révélant le passage au feu ou la destruction volontaire des objets, ou encore la reconnaissance de dépôts primaires ou au contraire détritiques sont autant d’étapes indispensables à la bonne compréhension des rituels qui ont impliqué des aliments d’origine animale ou végétale. Cependant, en l’état des connaissances, la plupart de ces informations manquent et, pour l’instant, si des points communs s’observent d’un site à l’autre, les vestiges conservés offrent l’image d’une grande variété de gestes, dont l’essentiel nous échappe. De fait, le déroulement des cérémonies ne peut pas être restitué dans le détail à partir de l’examen de ce mobilier archéologique et on ne sait qui réalise les sacrifices, dépose une offrande alimentaire ou partage un repas sacré, ni dans quelles conditions.

100Alors qu’à la fin de l’âge du Fer, l’étude des vestiges révèle avant tout que des repas sont préparés et surtout consommés au sein des enclos à caractère religieux – mais les exemples documentés sont encore rares –, les pratiques semblent se diversifier à partir du début de l’époque romaine. Apparaissent alors des rejets brûlés, sans doute passés sur la flamme de l’autel qui est désormais associé au temple, tandis que se maintiennent, dans le cadre du sacrifice tel qu’il est pratiqué à Rome, des repas préparés ou organisés au sein des sanctuaires ; la viande issue du sacrifice, profane, est parfois écoulée à l’extérieur des aires sacrées. Au sein de ces dernières, sont également enfouies de vraisemblables offrandes non brûlées et non consommées, sous la forme de mets préparés ou de morceaux de viande, placés ou non dans des vases, ou d’animaux entiers mis en terre dans des fosses ; ces pratiques, encore peu étudiées, mériteraient une analyse plus détaillée, qu’il faudrait mener à une échelle plus large.

101Si l’abondance de restes fauniques ou céramiques caractérise nombre de sanctuaires et semble indiquer que les pratiques concernent ici de larges communautés, il faut garder en mémoire que les sites en question sont fréquentés durant plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, au cours desquels une grande partie des objets qui y sont manipulés sont régulièrement évacués. L’identification des vestiges de banquets réunissant plusieurs dizaines ou centaines d’individus est donc un exercice délicat, puisqu’on ignore tout de la fréquence des repas dont les reliefs alimentaires témoignent parfois. Dans la plupart des cas, il est aussi difficile de distinguer les vestiges relevant de la consommation massive d’aliments, partagés entre les dévots, de ceux qui résultent de l’accumulation sur le long terme d’offrandes individuelles. L’enfouissement d’un modeste quartier de viande, disposé ou non dans un vase, voire d’un petit animal complet est un acte probablement réalisé par un seul individu ou un petit groupe de dévots. En revanche, l’interprétation de vestiges brûlés, éparpillés dans les poubelles du sanctuaire ou regroupés dans des fosses creusées à cet effet, est moins aisée : s’agit-il des rejets de combustion d’offrandes présentées aux divinités à titre individuel, ou de sacrifices publics ou du moins communautaires, pour lesquels seule une part symbolique de la victime a pu être brûlée sur la flamme de l’autel puis rejetée au sein même du site ?

102Si les restes des victimes impliquées dans les sacrifices et les offrandes alimentaires sont en grande partie périssables, d’autres types de présents, également destinés aux dieux, laissent des traces plus pérennes au sein des sites à vocation religieuse.

2.2.2. Les offrandes par destination : des objets fabriqués dans le cadre des cultes

103Les objets que l’on a spécifiquement conçus pour être manipulés dans le cadre de rites sont variés, tant par leurs formes que par les matériaux qui les composent : à des représentations figurées, en bois, en pierre, en métal ou en terre cuite, façonnées ou sculptées à l’image de divinités, d’animaux, de dévots ou de parties anatomiques, s’ajoutent des reproductions en miniature d’objets issus de différents domaines, ainsi que de petits artefacts circulaires, telles les rouelles métalliques, ou encore de probables tablettes de malédiction en plomb. Cette liste peut être complétée par de petits autels en pierre, dont seuls de rares exemplaires, déjà été évoqués supra (1.1.5.2), sont connus au sein des lieux de culte étudiés.

104La quantité d’offrandes par destination n’est pas la même d’un site à l’autre, d’autant plus que nombre de sanctuaires n’en ont livré aucune. Il faut alors examiner chacune des catégories mentionnées afin de mettre l’accent sur leurs particularités et de déterminer les raisons qui ont conduit à les introduire dans les aires sacrées ou, du moins, dans certaines d’entre elles.

2.2.2.1. Représentations divines, humaines et animales : des images pour les dieux

105D’une manière générale, les images sculptées sont quasi absentes des sanctuaires antérieurs à la guerre des Gaules et semblent donc se développer essentiellement au cours du Haut-Empire – mais il faut garder en mémoire que toute production en bois a pu disparaître sans laisser de trace. Le remplissage des fossés de l’enclos de Bennecourt (S.254, ph. 1), daté de la fin du iie s. av. n. è., n’a livré qu’une figurine en craie, mesurant près de 6 cm de haut, qui représenterait un oiseau de façon schématique (Bourgeois dir., 1999, p. 134). À Meaux (S.158), une figurine en alliage cuivreux, haute de 2,1 cm, prend la forme d’un personnage assis en tailleur (fig. 101) ; elle provient d’un niveau antique, mais la posture du sujet représenté renvoie plutôt à l’âge du Fer, bien qu’on ne puisse dater avec certitude cet objet, qui a pu avoir été fixé sur un vase, disparu (Marion, 1998 ; Magnan, 2006, p. 184). En revanche, aucune statue ou statuette datée de l’âge du Fer n’a été découverte parmi les lieux de rituels étudiés.

Figure 101 : Personnage assis en tailleur en alliage cuivreux (a), provenant de la Bauve à Meaux (Seine-et-Marne) et oiseau (?) en craie (b), découvert dans le remplissage des fossés de l’enclos de La Tène finale de Bennecourt (Yvelines).

Figure 101 : Personnage assis en tailleur en alliage cuivreux (a), provenant de la Bauve à Meaux (Seine-et-Marne) et oiseau (?) en craie (b), découvert dans le remplissage des fossés de l’enclos de La Tène finale de Bennecourt (Yvelines).

Cliché musée Bossuet, d’après Delattre et Pecqueur, 2017, p. 12, fig. 11 ; in Bourgeois (dir.), 1999, p. 133, no 884.

106À l’opposé, durant l’époque romaine, qu’elles soient taillées dans la pierre ou dans le bois, moulées à partir d’argile ou constituées de métal fondu et parfois martelé, les représentations figurées, en ronde-bosse ou en relief, sont omniprésentes dans les lieux de culte, à tout le moins dans la cella où repose l’image divine (cf. supra, 1.1.2.2). Elles peuvent aussi agrémenter de grands bâtiments ou des édicules sous la forme de décors sculptés, ou encore se dresser à l’intérieur d’édifices – temples, portiques ou autres constructions – ou prendre place dans la cour sacrée, voire, pour les plus petites, être déposées sur des réceptacles destinés à accueillir les offrandes. Pour autant, rares sont les images qui nous sont parvenues intactes : leur fragmentation et leur dispersion constituent souvent un obstacle majeur à l’identification des sujets représentés, à la localisation de l’endroit où elles étaient exposées et à la compréhension de leur fonction au sein de l’espace sacré. Il est ainsi difficile, du moins pour certains objets brisés, de déterminer s’ils correspondent à des images de culte – dont la taille devait varier en fonction des dimensions et de l’importance du temple –, à des offrandes que les cultores auraient introduites dans l’enceinte des sanctuaires, ou bien s’il s’agit d’éléments de décor intégrés aux architectures, qui peuvent elles-mêmes avoir fait l’objet d’un don aux divinités ; on peut le supposer, par exemple pour un pilier orné de scènes en reliefs, découvert à Jouars-Pontchartrain (S.127), probablement construit par les vicani pour la divinité du sanctuaire dont il occupe les abords orientaux (Blin, 2000, p. 104-114).

107De fait, la reconnaissance des décors sculptés n’est pas toujours aisée à partir d’un matériel fragmenté, du moins pour les éléments en haut-relief, qui peuvent être confondus avec des représentations en ronde-bosse. De telles difficultés ont par exemple été soulevées au sujet des nombreux débris de statuaire provenant du lieu de culte de Mars Mullo à Allonnes (S.9, ph. 4), dont l’ornementation sculptée était particulièrement riche, sans doute à partir du iie s. de n. è. Des figures en très haut-relief, divinités ou personnages mythologiques – dont Mars, trois femmes d’âge différent, un vieil homme barbu et des chasseurs ou guerriers –, ont pu avoir pris place sur le fronton du temple ou avoir relevé de groupes indépendants, sculptés en ronde-bosse. Le thème triomphal apparaît aussi sur des fragments d’entablement et de colonnes, ornés d’armes sculptées, tandis que d’autres scènes sont d’inspiration dionysiaque : combat d’Amour et de Pan, auquel assistent un couple de personnage, peut-être Mars et Vénus ; figures de satyres, feuilles de vigne et grappes de raisin en relief (F. Gury, in Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 354-360).

108L’étude des fragments lapidaires découverts à Genainville (S.260) témoigne également d’une variété de sujets sculptés, parant entre autres les murs du temple principal : frises d’armes ou de créatures marines (tritons et monstres chevauchés par des Amours, ornant l’entablement du temple), cyclopes, ou encore épisode mythologique du rajeunissement du bélier par Médée. Néanmoins, la majorité des personnages – une soixantaine, au total – n’a pu être identifiée, en raison de la fragmentation importante des blocs, sur lesquels apparaissent aussi des représentations animales (lions, oiseau, possible chien) et différents objets (lyre, corbeille avec pelotes de laine et fuseau ; Mitard, 1993, p. 171-184 et p. 194-208).

109Quant aux images en ronde-bosse, elles peuvent être divisées en plusieurs groupes en fonction de leurs matériaux, de leur format ou encore des sujets retenus : alors que les statues et statuettes à l’effigie de divinités ou de personnages mythologiques sont encore peu documentées car souvent fragmentaires, les figurines métalliques et surtout en terre cuite constituent des productions mieux connues et parfois abondamment présentes au sein des sanctuaires ; une dernière catégorie rassemble les figurations des dévots, qui y introduisent leur propre image ou celle d’une partie de leur corps sous la forme d’une statuette ou d’une offrande anatomique.

Statuaire divine et figures mythologiques : de grandes représentations souvent fragmentaires

110Quelle étaient la place et la fonction des images divines ou mythologiques en ronde-bosse, de grandes ou de moyennes dimensions, que l’on a découvertes dans plusieurs sanctuaires ? Tandis que les effigies de bois ne sont pas conservées, certaines œuvres métalliques ou en pierre témoignent de sujets variés, que l’on peine toutefois à identifier, dans la plupart des cas, en raison des dégâts qu’elles ont subis à l’issue de l’abandon des sites.

111En ce qui concerne les productions métalliques, si l’on excepte les plus petites images, mesurant tout au plus une dizaine de centimètres de haut (cf. infra), seulement quatre représentations en pied plus ou moins complètes, en alliage cuivreux ou en argent, ont été mises au jour au sein des lieux de culte du centre et de l’ouest de la Lyonnaise : elles proviennent des sanctuaires monumentaux de Berthouville (S.150), en territoire lexovien, et du Vieil-Évreux (S.79, ph. 3), chez les Aulerques Éburovices.

112Les deux statuettes en argent de Berthouville ont été exhumées en 1830, parmi un lot d’artefacts confectionnés à partir du même matériau (cf. supra, 2.1.2.2) ; elles représentent le dieu Mercure, aisément identifiable grâce au caducée et au pétase qu’il porte (fig. 102). Si ces deux figurations, hautes de 0,56 m et de belle facture, ne sont probablement pas suffisamment grandes pour correspondre à des images de culte, il faut sans doute y voir – et malgré l’absence d’inscription qui y soit directement gravée – des offrandes de qualité destinées à ce dieu, qui devait résider dans l’un des grands temples du sanctuaire. L’ensemble des 26 objets épigraphes du trésor, vraisemblablement enfoui, au plus tôt, à la fin du iie s. ou au début du iiie s., lui est d’ailleurs adressé (Avisseau-Broustet et Colonna, 2017, p. 41-55).

Figure 102 : Statuettes du trésor de Berthouville représentant Mercure (argent) et du sanctuaire central du Vieil-Évreux, à l’image d’Apollon et de Jupiter (alliage cuivreux).

Figure 102 : Statuettes du trésor de Berthouville représentant Mercure (argent) et du sanctuaire central du Vieil-Évreux, à l’image d’Apollon et de Jupiter (alliage cuivreux).

Cliché BnF, d’après Avisseau-Broustet et Colonna (dir.), 2017, p. 249 et p. 255 ; cliché D. Bagault (C2RMF), Azéma et al., 2012, p. 154, fig. 1.

113Les images de bronze du Vieil-Évreux ont été mises au jour à la même période, entre 1837 et 1840, dans le temple méridional de l’ensemble monumental (S.79, ph. 3) et surtout dans le soubassement de la galerie qui le relie à l’édifice de culte central (Azéma et al., 2012 ; Guyard et al., 2012 et 2014). Elles reposaient sur un niveau cendreux qui témoigne vraisemblablement d’un incendie postérieur à l’abandon et au démantèlement partiel du monument, daté du troisième quart du iiie s. de n. è. Bien qu’elles aient été mutilées avant leur enfouissement, à l’instar des autres représentations métalliques découvertes, les statues à l’effigie de Jupiter et d’Apollon constituent encore une fois des images de trop petite taille (0,92 m et 0,69 m de haut) pour envisager qu’elles reposaient sur les bases des cellae des temples monumentaux, dont les titulaires ne sont d’ailleurs pas connus. Aucune inscription n’indique les circonstances de leur introduction au sein du lieu de culte ; elles ont été découvertes en position de rejet et on ne sait, à l’instar de celles de Berthouville, si elles étaient tout de même exposées dans les cellae, à proximité des statues de culte, ou dans d’autres espaces du sanctuaire, où elles devaient alors être abritées.

114Si les figurations suffisamment complètes pour être identifiées sont absentes de la plupart des sanctuaires, il est toutefois relativement courant de mettre au jour des débris métalliques ayant appartenu à des statues anthropomorphes – représentant uniquement des divinités ou des membres de la famille impériale ? Au Vieil-Évreux, les mêmes contextes stratigraphiques ont aussi livré les fragments d’au moins deux grandes statues anthropomorphes et d’une statue équestre monumentale, figurant vraisemblablement un empereur, ainsi que plusieurs bras, issus d’au moins quatre autres statuettes et d’un moyen-bronze ; à Berthouville, d’autres éléments métalliques pourraient provenir de diverses statues – tel un instrument de musique ressemblant à une lyre ou un sistre, ainsi qu’un possible fragment de la cuirasse anatomique d’un empereur (Azéma et al., 2012 ; Guyard et al., 2012 ; Chew, 2013 ; Vendries, 2016). La découverte de pièces diverses (bras, pied, chevelure, drapés ou tôles de bronze doré), issues de statues ou de statuettes, a aussi été signalée à Allonnes (la Forêterie, S.; R. Lucas, in Gruel et Brouquier-Reddé dir., 2003, p. 134-137), Jublains (S.32 ; Barbe, 1865, p. 92 et p. 178), La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 ; Bataille, 2008, p. 121), Bennecourt (S.254 ; Bourgeois dir., 1999, p. 98-101), Criquebeuf-sur-Seine (S.256 ; Vesly, 1909, p. 50) et Genainville (S.260 ; Mitard, 1993, p. 366-367). Un fragment de torche en bronze, haut de 6,5 cm et découvert à Sens (S.226), pourrait aussi avoir constitué l’attribut d’une figure divine ou mythologique (Hure, 1941, p. 101). La présence de ces résidus, de taille variable, montre bien que la statuaire métallique devait être relativement fréquente au sein des sanctuaires, à l’exception probable des plus modestes, mais que ces images ont été souvent fragmentées et en grande partie récupérées pour être refondues à l’issue de l’arrêt des activités religieuses. L’état de ces statues et statuettes dégradées ne permet pas d’identifier les sujets qu’elles représentent, ni leur emplacement au sein du sanctuaire ; il est probable qu’une partie d’entre elles corresponde aux images de culte, rarement conservées, mais d’autres ont pu, au même titre que celles de Berthouville et probablement du Vieil-Évreux, avoir été offertes aux divinités, et exposées ou soigneusement conservées dans l’un des espaces de l’aire sacrée.

115Dans la plupart des cas, les sculptures de pierre qui adoptent les traits de personnages divins ou mythologiques ont aussi été retrouvées à l’état de fragments et ne peuvent être reconstituées. Parmi la quinzaine de sanctuaires d’où provient du matériel lapidaire, les groupes sculptés de Genainville (S.260, ph. 2), bien qu’incomplets, figurent parmi les mieux conservés et les plus imposants. Mis au jour, en pièces détachées, dans le remplissage de l’un des bassins du site, condamné vers le milieu du iie s. de n. è., ces statues en calcaire relèvent d’au moins deux ensembles en ronde-bosse (fig. 103). Le premier, conservé sur une hauteur de 1,43 m, associe trois personnages. À droite, une déesse indéterminée, plus grande que nature, est assise sur un fauteuil ou un trône ; elle est vêtue d’une longue tunique et ses cheveux, attachés en chignon, sont ceints d’un bandeau ou d’un diadème. Sa main gauche est relevée et tient peut-être une corne d’abondance, tandis que de son bras droit, tendu, elle présente une patère à un petit enfant nu, souriant, assis à ses pieds et se dressant pour toucher l’objet. À gauche, une figure féminine, possible nymphe ou divinité liée à une source, se tient debout ; seules ses jambes sont couvertes d’un drapé. Sa tête manque et ses cheveux, détachés, retombent sur ses épaules. Elle s’appuie de son bras gauche sur un vase couché sur un support, duquel s’écoule de l’eau et devant lequel est assis l’enfant. Le second ensemble, long de 1,58 m et conservé sur 0,77 m de haut, comprend une autre figure féminine grandeur nature – une seconde nymphe ? –, nue et allongée sur une étoffe qui lui couvre partiellement les jambes. Son corps est appuyé sur son coude gauche et elle lève l’autre bras au-dessus d’un petit enfant nu et souriant, qui se hisse sur ses deux jambes pour essayer de saisir l’objet, aujourd’hui disparu, qu’elle tenait. Ces différentes sculptures pouvaient orner les abords des bassins, à moins qu’elles n’aient été exposées dans le temple ou dans un autre secteur de la cour (Mitard, 1993, p. 185-194 ; Vermeersch, 2012, p. 233-234 ; Barrière et al., 2019, p. 131-134).

Figure 103 : Ensembles sculptés fragmentaires en calcaire, inhumés vers le milieu du iie s. dans un bassin (C) du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise) : déesse trônant, avec enfant et probable nymphe (a) ; probable nymphe allongée et enfant (b).

Figure 103 : Ensembles sculptés fragmentaires en calcaire, inhumés vers le milieu du iie s. dans un bassin (C) du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise) : déesse trônant, avec enfant et probable nymphe (a) ; probable nymphe allongée et enfant (b).

Cliché Studio H. Madvo, in Landes et Triboulot (dir.), 2022, p. 194, fig. 162 ; Mitard, 1993, p. 189, no 167.

116D’autres sculptures de différentes tailles ont été mises au jour au sein d’édifices de culte ou à leurs abords. Au complexe monumental de Saint-Martin-au-Val de Chartres (S.101), la fouille récente d’un édifice interprété comme un temple a ainsi livré la base d’une statue, dont il ne subsiste que le pied droit, de grandeur nature ; l’objet a été dédicacé à un dieu, vraisemblablement Apollon Vatumogons, possible titulaire du bâtiment de culte. Le buste dénudé d’une représentation féminine, portant peut-être un carquois, est issu du même secteur et pourrait appartenir à une image de Diane ou d’une figure mythologique (E. Rosso et N. Laubry, in Bazin et al., 2015, p. 138-143).

117À Mauves-sur-Loire (S.167), une petite statue de Minerve, en ronde-bosse ou en haut-relief, provient du sol du podium du temple, mais ses dimensions – elle est haute de 0,70 m – ne concordent vraisemblablement pas à celles d’une image de culte. Il est donc probable qu’elle était exposée auprès de cette dernière, à moins qu’elle n’ait été intégrée au décor architectural de l’édifice ; une autre représentation fragmentaire, issue cette fois-ci d’un grand bâtiment à double galerie, faisant face au temple, figure un personnage masculin au torse nu, tenant un vase dans une main, tandis qu’un bas-relief à l’image de Mars ou d’un empereur cuirassé a aussi été mis au jour dans le même contexte (Y. Maligorne, in Monteil et al., 2009, p. 182-184).

118On ignore si le fragment d’une statue a priori féminine, exhumé lors de l’exploration ancienne du temple de Saint-Ouen-de-Thouberville, à La Londe (S.86), correspond à la représentation divine qui prenait place au centre ou au fond de sa cella, ou bien à une offrande (Vesly, 1920, p. 218). Le problème est le même pour une petite statuette en calcaire, conservée sur une hauteur de 15 cm, qui a été mise au rebut dans une fosse creusée à l’intérieur de l’édicule F du sanctuaire d’Orléans (S.114) ; elle prend la forme d’une déesse siégeant dans un fauteuil et tenant d’une main un objet indéterminé (D. Canny, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 59-60). L’identification d’une divinité est également incertaine pour une statuette en calcaire très incomplète, conservée sur une hauteur de 14 cm, découverte à proximité d’un édicule de la villa de Mareuil-lès-Meaux (S.157, A) : le sculpteur a façonné le portrait d’un homme imberbe dont l’essentiel a disparu, puisqu’il n’en reste que la tête (fig. 104) ; on ne peut déterminer, ainsi, s’il s’agit d’un dieu ou plutôt d’un dévot (cf. infra), voire d’un membre ou d’un ancêtre de la famille résidant au sein de l’établissement aristocratique (Bet et Delage dir., 2008, p. 237-239 et p. 1111-1112). Quant à une statuette en calcaire d’Epona, haute de 0,30 m et associée à plusieurs petites représentations équines métalliques (cf. infra), qui a été rejetée dans le comblement d’un puits avoisinant l’ensemble de temples de l’Aumône/la Justice à Châteaubleau (S.204), elle a pu constituer l’une des offrandes destinées à cette déesse, peut-être honorée dans l’un des bâtiments de culte adjacents (Bontrond, 1998 ; Parthuisot et al., 2008, p. 56-57).

D’après Bet et Delage (dir.), 2008, vol. 1, p. 238, fig. 311.

119Certaines statues, probablement offertes par des dédicants, ont pu avoir été installées dans la cour des sanctuaires, comme le laisse supposer la brève mention des « fragments très mutilés et épars » d’une « statue colossale » qui aurait été dressée sur un socle localisé à une dizaine de mètres à l’est du temple d’Oissel (S.266 ; Vesly, 1909, p. 102-103 et 111). La reconnaissance de bases réparties dans les environs de plusieurs bâtiments de culte (cf. supra, 1.1.5.2) plaide d’ailleurs en faveur de l’exposition d’images dans les aires sacrées. Enfin, peu d’éléments utiles à la réflexion peuvent être tirés de l’examen des blocs ouvragés, représentant notamment des figures anthropomorphes – humaines ou divines ? – ou animales, provenant de niveaux de démolition ou de contextes non décrits au Vieil-Évreux (Cracouville, S.78 ; Cliquet et al., 1996, p. 14-15), à Meaux (S.158 ; Magnan, 2006, p. 191), Saclas (S.221 ; Manson et Noël, 1973, p. 171-173), Sceaux-du-Gâtinais (S.225 ; Roncin, 1977, p. 56-57 ; Vilpoux, 1996, p. 122, p. 124 et p. 199-200), Sens (S.226 ; Lallier, 1848, p. 57), Épiais-Rhus (S.257 ; Simon et Lemoine, 1972, p. 70), Genainville (S.260 ; Mitard, 1993, p. 171-184 et p. 194-208) ou Baron-sur-Odon (S.279 ; Dumons, 1961, p. 18) ; il est possible qu’une partie d’entre eux relève d’ailleurs du décor architectural de temples monumentaux, à Meaux ou à Sens par exemple.

120En revanche, le décor sculpté dont les salles cultuelles des mithraea ont été parées est relativement bien documenté, du moins à Angers (S.2) et à Septeuil (S.122, ph. 2), tandis qu’à Lillebonne (S.85), seule une stèle portant l’effigie d’une divinité solaire présente un état de conservation satisfaisant (Cochet, 1866, p. 41 ; Gauthier, 1982). Outre des fragments issus du relief cultuel, sur lequel apparaît Mithra tauroctone, les deux spelaea accueillaient divers personnages sculptés, dont une partie seulement a pu être identifiée. À Angers, les statues des deux dadophores, Cautès et Cautopatès, étaient probablement installées de part et d’autre de l’entrée, tandis que les autres représentations sont trop fragmentées pour être analysées (Brodeur et Petit, 2016). À Septeuil, outre une statue de nymphe en marbre blanc, déjà présente dans une niche de l’édifice du Haut-Empire où a été aménagé le mithraeum, ce sont les restes de diverses représentations de facture locale qui ont été exhumés (fig. 105). Parmi celles-ci figurent deux exemplaires de Mithra pétrogène, jaillissant de la roche au moment de sa naissance, une tête de femme et une autre d’homme, des reliefs représentant plusieurs individus, dont l’un porte un bonnet phrygien et un autre correspond peut-être un dadophore, ainsi que deux pattes probablement griffues et poilues, autour desquelles s’enroule un serpent et qui sont sans doute issues de l’image d’un individu léontocéphale, généralement interprété, en contexte de mithraeum, comme une personnification du temps (Sainrat, 1987, p. 35-38 ; Gaidon-Bunuel, 2000, p. 199-200, p. 203 et p. 207-208). Ainsi, les quelques personnages identifiés au sein de ces deux sanctuaires s’inscrivent tout à fait dans l’imagerie mithriaque traditionnelle, composée de « tout un environnement de figures mythiques et symboliques » qui accompagnent communément le relief cultuel (Turcan, 2000, p. 45).

Figure 105 : Blocs sculptés provenant du mithraeum de la Féérie à Septeuil (Yvelines) : Mithra pétrogène (a) ; pieds d’un personnage léontocéphale autour desquels s’enroule un serpent (b : personnification du temps ?).

Figure 105 : Blocs sculptés provenant du mithraeum de la Féérie à Septeuil (Yvelines) : Mithra pétrogène (a) ; pieds d’un personnage léontocéphale autour desquels s’enroule un serpent (b : personnification du temps ?).

Dessin N. Zarka, in Sainrat, 1987, p. 36, fig. 5 et 6.

Figurines en terre cuite et métalliques : des sujets variés

  • 36 A. Ledauphin note ainsi, pour les représentations provenant des cités des Aulerques Cénomans et Dia (...)

121La présence de figurines en terre cuite blanche ou plus rarement rouge, pour l’essentiel produites en série, a été relevée pour 52 lieux de culte du centre et de l’ouest de la Lyonnaise, soit seulement 31 % des sites dont le mobilier est documenté. Manifestement confectionnées pour être utilisées dans le cadre de pratiques rituelles, ce ne sont pas des objets que l’on retrouve exclusivement au sein des sanctuaires communautaires – où, néanmoins, elles sont souvent plus fréquentes que dans d’autres types contextes36 –, puisqu’on les découvre aussi au sein d’espaces domestiques ou artisanaux, où elles sont associées, en particulier, à de modestes chapelles privées, ainsi que dans certaines sépultures (G. Lintz, in Bémont et al. dir., 1993, p. 139-142 ; Talvas, 2007). En ce qui concerne les lieux de culte qui en ont livré, parmi ceux qui sont ici étudiés, un tiers d’entre eux n’a fait l’objet que d’une exploration sommaire et ancienne ; le nombre minimal de figurines pouvant être reconstituées à partir des débris n’a été évalué que pour 63 % de ces sites, alors que pour l’essentiel (88 %), la quantité de fragments découverts est connue. Cette dernière donnée constitue alors l’élément de comparaison le plus utile pour évaluer l’importance des dépôts d’un site à l’autre (fig. 106), bien qu’elle ne soit pas proportionnelle au nombre d’objets, dont l’état de fragmentation est variable d’un contexte à l’autre.

Figure 106 : Répartition et nombre de figurines en terre cuite découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 106 : Répartition et nombre de figurines en terre cuite découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

122L’examen du nombre de fragments (nr) – ou de figurines (nmi), lorsqu’il a pu être déterminé – mis au jour au sein des sanctuaires témoigne de profondes disparités d’un exemple à l’autre, mais aussi de vraisemblables préférences régionales, les cités de la péninsule armoricaine ainsi que celle des Sénons ayant livré davantage d’images en terre cuite que les autres territoires considérés (Bossard, 2021, vol. I, p. 280-282, tabl. XIII). Au sein de 16 lieux de culte (31 %), ce n’est qu’un seul fragment de figurine (ou un objet complet) qui a été recueilli, tandis qu’à 11 autres sont associés entre 2 et 10 restes (pour un nmi oscillant entre 2 et 6) ; 14 sanctuaires ont livré entre 11 et 100 restes (pour un nmi compris entre 4 et 60) et, enfin, seulement 5 espaces sacrés se caractérisent par la présence d’une ou de plusieurs centaines de restes (le nmi, estimé pour deux d’entre eux, est alors égal à 54 ou à 70). Parmi ces derniers, seul celui de la Tannerie à Châteaubleau (S.205) est localisé dans la partie orientale de la province, alors que les autres se concentrent en Bretagne.

123L’abondance de figurines en terre cuite est notamment remarquable pour le site de Saint-Jean-Trolimon (S.179), exploré dans les années 1870-1880, qui aurait livré environ 20 kg de débris d’objets de ce type – soit plus de 500 figurines, selon A. Millon (1905, p. 20) – au sein d’« amas considérables de cendres mêlées de pierres » (Châtellier, 1877, p. 338 ; Rouvier-Jeanlin, 1972, p. 419). Par ailleurs, la fouille de deux modestes sanctuaires coriosolites, localisés à Plouër-sur-Rance (S.137 ; Menez dir., 1996, p. 76-78) et à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138 ; Bizien-Jaglin dir., 2004, p. 107-124), a aussi permis de collecter 132 et 254 débris de figurines, appartenant a minima à 70 et 54 objets, tandis que J. Miln en a recueilli 153 restes, récemment examinés par M. Mauger (2018b, p. 345), au sein ou aux abords du temple de la villa des Bosseno à Carnac (S.272). Il est en revanche plus incertain que les plus de 700 fragments mis au jour par A. Grenot dans les années 1860 à la Tourelle, sur la commune de Quimper, proviennent bien des sanctuaires reconnus plus tardivement sur le mont Frugy, à une centaine de mètres au sud-ouest (S.177) et à près de 300 m au sud (S.176), puisqu’ils ont été découverts dans le comblement d’un fossé ou d’une dépression formée après l’effondrement d’une salle souterraine du second âge du Fer (Le Men, 1868 ; Grenot, 1871 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 358-361). Il est possible, mais non démontré, que cette accumulation particulièrement dense de fragments de figurines résulte du nettoyage de l’une des aires sacrées établies sur la colline, notamment du grand lieu de culte de Parc ar Groas (S.176), où a été mis au jour un nombre indéterminé de figurines.

124À l’opposé, il est étonnant de constater qu’aucun reste de figurine en terre cuite n’a été recueilli au cours des multiples sondages menés au sein du lieu de culte de La Chapelle-des-Fougeretz (S.184 ; Provost, 1991 ; Aubry dir., 2019), alors que plusieurs vestiges indiquent la production de cette catégorie d’objets en périphérie nord-occidentale du péribole, dans un atelier de surmoulage. De fait, outre un moule en terre rouge, utilisé pour la fabrication d’images de déesses-mères et découvert à moins de 100 m (Provost, 1983), ce sont plus de 300 fragments de figurines, dont la cuisson n’a pas été maîtrisée, et une couche d’argile blanche qui ont été reconnus le long du ruisseau de Moulin Neuf, situé à 250 m (Lahanier et al., 1988 ; F. Fichet de Clairfontaine et H. Joubeaux, in Bémont et al. dir., 1993, p. 83-84). Il est néanmoins possible que des figurines offertes aux divinités du lieu de culte voisin, dont l’étude n’a pas été complète, aient été enfouies au sein de structures qui n’auraient pas encore été découvertes, qu’elles soient localisées au sein même de l’enceinte ou dans ses environs proches.

125Comment expliquer la quantité élevée de figurines en terre cuite introduites dans les sanctuaires de la péninsule armoricaine, en particulier dans les civitates des Osismes, des Vénètes et des Coriosolites, mais aussi, dans une moindre mesure, dans les territoires voisins des Riédones et des Aulerques Diablintes et Cénomans ? Il faut d’ailleurs ajouter que leur présence a aussi été notée dans dix-huit monuments funéraires pré- ou protohistoriques, essentiellement localisés en territoire vénète, que l’on a manifestement fréquenté, durant l’âge du Fer et l’époque romaine, dans le cadre de pratiques rituelles ; elles sont généralement retrouvées dans les couloirs ou les chambres mégalithiques, souvent avec d’autres objets (notamment des céramiques ou des monnaies). Alors que la majorité de ces contextes n’a livré que quelques figurines, ce sont parfois plusieurs dizaines d’objets – et même plusieurs centaines au Petit-Mont à Arzon (Morbihan), où un autel épigraphe a aussi été découvert – qui ont été recensés (Lecornec, 1985 ; Galliou, 2009). Trois ou quatre ateliers de production de figurines ont certes pu être identifiés en Bretagne, dont l’un, vraisemblablement localisé à Rennes ou dans ses environs, est le lieu de fabrication de Vénus à gaine portant la signature de Rextugenos (F. Fichet de Clairefontaine, H. Joubeaux et H. Kerébel, in Bémont et al. dir., 1993, p. 79-84 et p. 155-157). Pour autant, leur existence ne peut expliquer à elle seule l’importance des dépôts observés en Bretagne. De fait, l’étude à l’œil nu des fragments collectés à Carnac et à Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192), mais aussi à Vannes (S.279), a conduit à la conclusion que les figurines n’ont vraisemblablement pas toutes été façonnées dans des ateliers régionaux : une part d’entre elles – probablement les deux tiers des fragments à Vannes, tandis que le ratio n’a pas été chiffré pour les deux autres sites (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 70 ; Mauger, 2018b, p. 345) –, a priori importée, relèverait de productions attribuées aux coroplathes du centre de la France, qui ont été diffusées à l’échelle des Gaules et même au-delà. Il serait toutefois nécessaire de procéder systématiquement à l’analyse des pâtes utilisées lors du façonnage pour confirmer qu’il ne s’agit pas de produits confectionnés à l’échelle régionale en copiant des modèles plus lointains.

126Il faut probablement envisager que les dizaines ou centaines de figurines déposées au sein ou en périphérie des lieux de culte des cités de l’Ouest et du territoire sénon – et en particulier sur les sites de la Tannerie à Châteaubleau (S.205 ; Revenu, 2008, p. 76), à Montbouy (S.217 ; Dupuis, 1851, p. 15-16 ; Kisch, 1997, annexe 3) et à Sceaux-du-Gâtinais (S.225 ; Roncin, 1977, p. 61 ; Vilpoux, 1996, p. 192-195) –, témoignent plutôt de la place privilégiée accordée à ce type d’objets dans les pratiques religieuses de ces régions. Elles y constituent sans doute une offrande de choix, notamment au sein de sanctuaires privés (Carnac, Paule, Saint-Jacut-de-la-Mer, Plouër-sur-Rance et Noyal-Châtillon-sur-Seiche, cf. infra, 3.2.2.1 et 3.2.3.5), mais aussi dans certains monuments publics – à Châteaubleau, Montbouy, Sceaux-du-Gâtinais, la Forêterie à Allonnes (S.9), et peut-être aussi à Quimper et Saint-Jean-Trolimon ?

  • 37 Elles sont d’ailleurs peu honorées, du moins pour Vénus, à l’échelle de la province de Lyonnaise (B (...)

127D’une manière globale, l’analyse des sujets représentés, tels que les a définis M. Rouvier-Jeanlin (1972) et sans entrer dans le détail des nombreuses variantes connues, montre que les divinités (841 restes identifiés, pour un minimum de 162 objets), et en particulier celles que l’on identifie à Vénus (541 restes pour au moins 105 figurines) et aux déesses-mères nourricières (273 restes, 44 figurines), sont majoritaires au sein des sanctuaires, du moins parmi les images qui ont pu être déterminées (Bossard, 2021, vol. I, p. 280-282, tabl. XIII). La prédominance de ces deux sujets (fig. 107) n’est pas spécifique à cet ensemble de sanctuaires, puisqu’il s’agit des thèmes les plus courants dans tous les types de contextes (Bémont et al. dir., 1993, p. 131 et p. 141-142). Comme l’a récemment proposé S. Girond, dans le sillage de de J. Scheid (1991a, p. 55, note 40) et en s’appuyant sur les travaux, portant sur le monde grec, de S. Huysecom-Haxhi et A. Muller (2007, p. 244), il est tout à fait possible que les figurines à l’effigie de ces deux personnages féminins évoquent, plutôt que les divinités elles-mêmes37, les orantes, sous une forme standardisée et symbolique : « Vénus représenterait la jeune fille nubile et celle de la nourrice, la matrone. Ces figurines auraient été employées lors de rituels ponctuant diverses étapes de la vie d’un individu », notamment lors de rites de passages et d’intégration (Girond, 2015, vol. 1, p. 256). Il faudrait alors admettre que la déposition d’une figurine est un geste essentiellement féminin, ou du moins réalisé à l’attention d’une femme, puisque rares sont les autres types de représentations, en particulier masculines (Mauger, 2018b, p. 349). Quoi qu’il en soit, l’examen de ce dossier, à l’échelle des lieux de culte considérés, n’apporte aucun nouvel élément en faveur ou à l’encontre de cette hypothèse : les modalités de l’introduction de telles figurines au sein des sanctuaires sont encore peu connues et aucun objet particulier ou inscription, pouvant apporter des informations sur l’identité des cultores qui les ont offertes, ne leur est spécifiquement associé.

Figure 107 : Figurines en terre cuite découvertes au sein des sanctuaires de la Forêterie à Allonnes (Sarthe) et de la Tonnelle à Jublains (Mayenne).

Figure 107 : Figurines en terre cuite découvertes au sein des sanctuaires de la Forêterie à Allonnes (Sarthe) et de la Tonnelle à Jublains (Mayenne).

D’après Naveau, 1998, p. 88, no 279 ; Gruel et Brouquier-Reddé (dir.), 2003, p. 143 et Ledauphin, 2015b, p. 360, fig. 2.

128D’autres personnages divins, dont l’identification semble plus assurée, sont plus rarement représentés : il s’agit de Minerve (14 restes), Mercure (4), Epona (3), ou encore Apollon, Abondance et Sucellus, attestés une seule fois. Les autres personnages (96 restes identifiés, pour au moins 41 figurines) correspondent essentiellement à des bustes d’enfant souriant, communément qualifié de Risus (70 restes pour 34 objets), auxquels s’ajoutent divers bustes masculins ou féminins, souvent non identifiés et globalement peu fréquents, ainsi que de rares cavaliers, des enfants portant le cucullus ou encore un couple, un faune ou un tireur d’épine. Les 45 fragments issus d’au moins 20 animaux appartiennent à des images variées de chevaux (au moins 5), de béliers (au moins 3), d’oiseaux (au moins 3), ou encore de bœuf ou de taureau, de chien, de singe, de cervidé et peut-être de lion. Les autres objets en terre cuite sont des édicules (11 fragments, au moins 4 objets), dont certains ont pu abriter des figurines, ainsi que de rares médaillons (8 fragments, au moins 3 objets).

129Tandis que les images de Vénus dominent (en nr) les lots de Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138 ; Bizien-Jaglin dir. 2004, p. 107-124), Saint-Jean-Trolimon (S.179 ; Rouvier-Jeanlin, 1972), Plouër-sur-Rance (S.137, où elles sont aussi majoritaires en nmi ; Menez dir. 1996, p. 76-78), Jublains (S.32 ; Aubin et al., 1997, p. 246), Allonnes (S.9 ; Ledauphin, 2015a, p. 367), Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, 164), Mauves-sur-Loire (S.167 ; Archer, 2019, p. 527-528) ou encore Criquebeuf-sur-Seine (S.256 ; Vesly, 1909, p. 52 et pl. IV), celles des déesses-mères sont plus fréquentes à Carnac (S.272 ; Mauger, 2018b, p. 345-346), Châteaubleau (S.205 ; Revenu, 2008, p. 76) et Sceaux-du-Gâtinais (S.225 ; Roncin, 1977, p. 61 ; Vilpoux, 1996, p. 192-195). Toutefois, la détermination du nombre minimum de figurines pourrait inverser les perspectives, puisque le nombre de fragments qui en sont issus est souvent de peu supérieur à celui des Vénus. Notons également la bonne représentation des bustes de Risus (fig. 107) à Allonnes (S.9), puisque ce sont 46 restes (provenant d’au moins 28 figurines), sur un total de 67, qui se rapportent à cette image. La présence des autres divinités et de personnages variés reste anecdotique et dépend surtout de l’ampleur du lot : la diversité des sujets qui caractérise le mobilier en terre blanche de Saint-Jean-Trolimon est sans doute liée à son importance numérique.

130L’étude des contextes de découverte témoigne de situations variées et n’apporte que peu d’informations au sujet de la manipulation des figurines au sein des sanctuaires ou de la chronologie des dépositions. En effet, rares sont les contextes bien datés : les débris de figurines proviennent souvent de niveaux formés après l’abandon des sites, liés à leur démolition, de fosses ou de fossés où ils reposent en position secondaire, ou d’espaces de circulation généralement fréquentés durant un ou plusieurs siècles, à l’exemple de la trentaine de débris mis au jour dans la cour du sanctuaire de Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192 ; Provost et Le Bouteiller, 1986, pl. XII).

131D’une façon générale, les figurines en terre cuite, dont la production débute, pour les plus anciens modèles, aux alentours du milieu du ier s. de n. è. (Bémont et al. dir., 1993, p. 124), apparaissent au sein des lieux de culte dès la seconde moitié de ce siècle : à Douarnenez (S.170 ; Sanquer, 1979a, p. 362), Quimper (S.176 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 90) et Val-de-Reuil (S.269 ; Talvas-Jeanson et Lukas, 2019, p. 502), elles relèvent de contextes datés de ces quelques décennies ou du début du iie s. Il est plus difficile de se prononcer sur la chronologie des figurines issues des autres sites, puisque les contextes, plus tardifs, peuvent receler des objets détritiques. Rapportons toutefois la découverte d’un fragment de figurine dans une couche ayant livré des tessons de céramique du iiie s. de n. è. sur le site des Jardins du bourg à Pithiviers-le-Vieil (S.116 ; Salé dir., 2011, p. 164), ainsi que la présence de 5 restes sur le sol de la cella du temple de Vannes (S.278 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 28-31) – construit au plus tôt durant le second quart du iie s. de n. è. –, également parsemé d’autres objets, dont des monnaies et de la céramique datés entre la fin du iiie s. et le début ou le courant du ive s. Enfin, à Macé (S.196), 2 fragments de Vénus anadyomènes ont été mis au jour au sein d’un édicule (H), auprès de 7 monnaies postérieures au milieu du ive s. (Leclerc, 2006, p. 44).

132Les modalités de déposition des figurines au sein des sanctuaires peuvent être étudiées à partir de quelques exemples bien documentés, bien que ces objets soient rarement découverts intacts et qu’ils aient été généralement brisés – volontairement ou non, dans le cadre de rites particuliers ou lors de leur mise au rebut ? – avant d’être enfouis ou rejetés au sol ou inhumés. L’analyse de la répartition spatiale des images en terre cuite confirme, pour plusieurs habitats ruraux équipés d’une aire sacrée, qu’elles sont avant tout manipulées au sein même de cette dernière, alors qu’elles sont généralement absentes des autres espaces de l’établissement. Ainsi, à Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192), l’enclos qui abrite le temple concentre 46 des 48 débris de figurines en terre cuite découvertes sur le site (Provost et Le Bouteiller, 1986). De même, les quelques objets de cette catégorie mis au jour au sein des villae de Carnac (S.272 ; Miln, 1877) et de Richebourg (S.118 ; Barat, 1999, p. 145) proviennent exclusivement de leur bâtiment de culte à cella centrale et galerie périphérique ou de ses abords immédiats. En revanche, au sein de l’habitat de Saint-Patrice (S.247), le seul fragment de figurine recueilli (une Vénus à gaine) a été découvert au sein de l’enclos résidentiel, dans une petite pièce dont le centre est occupé par un radier de pierre – supportant peut-être une modeste chapelle domestique, qui serait intégrée à l’habitation ? –, alors que l’enceinte abritant une vraisemblable cella, à l’extérieur de cet enclos, n’a livré aucun objet de ce type (Guiot, 2003, p. 141).

133Que les lieux de culte dépendent ou non d’un habitat, les figurines sont fréquemment découvertes près de temples ou d’édicules identifiés à des cellae, voire à l’intérieur même de ces derniers. Aux exemples déjà évoqués de Vannes, Carnac, Richebourg et Macé, s’ajoute la dizaine de fragments découverts dans les niveaux de démolition associés à la cella B de Paule (S.172, ph 2 ; Menez et al., 2021, p. 210), ainsi que, peut-être, une vingtaine de débris non décrits, qui proviendraient d’une petite construction de plan circulaire – cella ou bassin ? – signalée à Allaire (S.271 ; Blain et Santrot, 2000, p. 127). Comme l’a démontré A. Ledauphin (2015a, p. 367 et 2015b, p. 220), la soixantaine de figurines, peu fragmentées, que H. Barbe a recueillies dans un petit bâtiment carré au xixe s., à proximité immédiate du sanctuaire périurbain de Jublains (S.32), constitue vraisemblablement un lot d’offrandes conservées dans une cella, plutôt que les marchandises d’un magasin où seraient vendus différents objets destinés à être donnés à la divinité résidant dans le lieu de culte voisin. Dans les temples, qui constituent ainsi des lieux privilégiés pour les dépôts, les figurines étaient peut-être dressées ou couchées sur des tables à offrandes installées dans les cellae, à moins qu’elles n’aient été accumulées au sol, au pied de la statue de culte ; en revanche, elles semblent avoir été quasi absentes des galeries périphériques.

134Par ailleurs, dans plusieurs cas, elles ont été mises au jour dans d’autres bâtiments relevant des aires sacrées, dont on ne connaît pas toujours la fonction. À Caillouet-Orgeville (S.50), la présence d’au moins quatre Vénus anadyomènes dans le porche permettant l’accès au sanctuaire ne trouve guère d’explication satisfaisante (Chédeville et Chédeville, 1908, p. 68), tandis qu’un grand bâtiment composé d’une double galerie, probablement placé à l’entrée du lieu de culte de Mauves-sur-Loire (S.167), a également livré la grande majorité des fragments d’images en terre cuite du site (Archer, 2019, p. 527). À Quimper (S.176, ph. 4, H), une quantité indéterminée de débris de figurines provient d’une pièce accolée au mur occidental du péribole ; s’il ne s’agit pas également d’un porche, cette dernière pourrait être rattachée à un modeste édifice balnéaire adjacent, mais la description succincte des vestiges ne permet pas de l’affirmer (Le Men, 1876, p. 187). Cependant, si cette hypothèse est correcte, la présence de figurines dans un tel bâtiment pourrait alors être rapprochée de l’exemple de Sceaux-du-Gâtinais (S.225), puisqu’un édifice thermal, accolé au sud du monument à quadriportique qui est interprété comme le sanctuaire de la déesse Segeta, en a livré plusieurs fragments. Outre quelques débris épars, mis au jour dans une piscine et dans diverses salles, ce sont 24 figurines, certainement complètes à l’origine et représentant notamment des déesses-mères et Vénus, que l’on a rassemblées dans une « cachette » – une niche, faisant peut-être office de chapelle ? –, aménagée dans l’un des murs de la piscine (Vilpoux, 1996, p. 192-197). En tout état de cause, d’autres débris ont été retrouvés dans la cour des deux sanctuaires de Sceaux-du-Gâtinais et de Quimper et le dépôt de figurines n’est donc pas spécifique au secteur des bains, qu’ils soient avérés ou hypothétiques.

135Enfin, à Sceaux-du-Gâtinais comme à Montbouy, plusieurs représentations en terre blanche ont été découvertes dans un bassin, parmi d’autres objets interprétés comme des offrandes (Roncin, 1977, p. 60-61 ; Dupuis, 1851, p. 15-16 ; Kisch, 1997, annexe 3). Les figurines semblent alors avoir été immergées dans des bassins habités par une divinité (cf. supra, 1.1.3.2 ; infra, 2.2.3.1), de la même manière que l’on en introduit d’autres dans les cellae ; les données stratigraphiques font toutefois ici défaut et il est aussi possible qu’elles aient été mises au rebut dans l’eau lors du nettoyage de l’aire sacrée ou du démantèlement des sites.

136Au contraire des figurines en terre cuite, celles qui ont été confectionnées en alliage cuivreux, mesurant tout au plus une dizaine de centimètres de haut, sont peu nombreuses au sein des sanctuaires : seulement 19 sites en ont livré un ou plusieurs exemplaires, entiers ou fragmentaires (fig. 108). Il est néanmoins probable qu’une part de ces objets métalliques ait été récupérée dès l’Antiquité pour être refondue ou mise au rebut ailleurs. C’est du moins ce que suggère la découverte, sur différents sites, de fragments vraisemblablement issus de figurines ou de statuettes qui auraient été brisées et peut-être en partie recyclées, à l’exemple du vraisemblable cimier de casque identifié à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 163) ou de divers éléments (une main tenant un globe, une autre avec un caducée, un pied humain, un ergot ou une corne ainsi qu’une patte de bovidé) mis au jour à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 ; Bataille, 2008, p. 121).

Figure 108 : Répartition des statuettes ou figurines métalliques découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 108 : Répartition des statuettes ou figurines métalliques découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

137Parmi la quarantaine de petites représentations de bronze que l’on connaît (Bossard, 2021, vol. I, p. 286, tabl. XIV), dont les dimensions et la qualité varient, les images d’animaux occupent une place choix, puisqu’au moins 24 mammifères, volatiles et crustacés ont pu être identifiés. Les espèces concernées sont très variées, puisque l’on retrouve des cervidés, des chevaux, des chèvres, des boucs et des béliers, des bovidés, un lion, un chien, un coq, une colombe ou encore un crabe. Si certaines figurines, qu’elles soient en métal ou en terre cuite, pourraient évoquer des animaux que l’on a abattus et offerts aux divinités, et donc commémorer un sacrifice ou se substituer de manière symbolique aux victimes, d’autres, plus exotiques, ne semblent guère se rapporter à de telles intentions. Certains objets pourraient aussi être à l’image d’animaux de compagnie ou du moins domestiques, faisant l’objet de préoccupations particulières au sujet de leur santé (Deyts, 1994b, p. 156 ; Söderlind, 2004) ; il est enfin possible que certaines espèces soient liées à l’histoire de divinités spécifiques ou qu’elles fassent référence à des épisodes mythologiques. Toutefois, le contexte de découverte de ces objets fait généralement défaut et l’identité des divinités auxquelles ils ont été adressés reste souvent inconnue, privant la réflexion d’éléments cruciaux.

138À Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, S.204), deux petits chevaux en bronze – dont l’un est monté par une figure disparue – et sept appliques, confectionnées à partir de tôles du même alliage et représentant aussi des équidés, sont néanmoins associés à une statuette en calcaire à l’image d’Epona (fig. 109). L’ensemble de ces objets provient du remplissage d’un puits voisin de l’un des temples du sanctuaire et il est probable que les images soient toutes liées, d’une manière ou d’une autre, au culte de la déesse cavalière (Bontrond, 1998 ; Parthuisot et al., 2008, p. 56-57). De même, à Juvigné (S.36), la mise au jour d’au moins deux figurines de cervidés, dont l’une est complète (fig. 110), montre que ces ruminants occupent une place particulière au sein des pratiques religieuses, mais aucun indice n’aide à déterminer l’identité de la divinité à laquelle ils ont été vraisemblablement donnés en tant qu’offrandes, ni la signification de leur présence (Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 141).

Figure 109 : Figurines (a et b) et appliques en alliage cuivreux (c à i) à l’image de chevaux (dont l’un était monté par Épona ? : a), provenant du comblement d’un puits du sanctuaire de l’Aumône/la Justice à Châteaubleau (Seine-et-Marne) ; le socle de la figurine b est composé d’une tôle métallique enveloppant une âme en bois de chêne.

Figure 109 : Figurines (a et b) et appliques en alliage cuivreux (c à i) à l’image de chevaux (dont l’un était monté par Épona ? : a), provenant du comblement d’un puits du sanctuaire de l’Aumône/la Justice à Châteaubleau (Seine-et-Marne) ; le socle de la figurine b est composé d’une tôle métallique enveloppant une âme en bois de chêne.

D’après Bontrond, 1998, p. 102, fig. 2 et p. 104, fig. 5.

Figure 110 : Figurines en alliage cuivreux à l’effigie de divinités, de personnages divers et d’un animal, provenant des sanctuaires de la Fermerie à Juvigné (Mayenne) et des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

Figure 110 : Figurines en alliage cuivreux à l’effigie de divinités, de personnages divers et d’un animal, provenant des sanctuaires de la Fermerie à Juvigné (Mayenne) et des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

Dessin S. Bossard et in Bataille, 2008, p. 120, fig. 75.

139Les figurines métalliques anthropomorphes, quant à elles, représentent sans doute des divinités, que l’on peut identifier, avec toutes les réserves que ce genre d’exercice impose, à partir de leurs attributs ; certaines d’entre elles, trop fragmentaires pour être interprétées, ont été simplement qualifiées de personnages masculins ou féminins (fig. 110). Encore une fois, les sujets reconnus témoignent d’une grande variété : si un dieu guerrier, probablement Mars – figurant d’ailleurs parmi les principaux personnages divins honorés dans la province (Bossard, à paraître) – a pu être identifié à quatre reprises, les autres divinités (Jupiter, Mercure, Minerve, Hercule, Fortune, Victoire, Génie et Osiris ?) ne sont représentées que par un seul objet. S’y ajoute une dizaine de personnages anthropomorphes – divins ou humain ? – qu’on ne peut identifier, faute d’attribut reconnaissable.

140Somme toute peu fréquentes au sein des aires sacrées, les figurines métalliques sont difficiles à dater, puisque peu d’entre elles sont rattachées à un contexte stratigraphique précis. Au Vieil-Évreux (S.79, ph. 2), un petit sanglier a été enfoui dans un trou creusé dans la cour sacrée, à l’arrière des temples de la seconde moitié du ier s. et du iie s. de n. è., à l’instar d’autres offrandes de nature variée (Bertaudière et al., 2019, p. 475). À Saclas (S.221 ; Dunet, 1988, p. 68), une figurine de coq proviendrait d’une fosse voisine du temple, qui a servi de réceptacle, sans doute durant l’Antiquité tardive, à plusieurs centaines de monnaies, tandis que les chevaux de Châteaubleau, déjà mentionnés, ont également été enfouis à la fin de l’occupation du sanctuaire, vers la première moitié du ive s., probablement au moment de son démantèlement.

Représentations humaines et offrandes anatomiques : les dévots en images

141Les dernières catégories d’images que l’on retrouve dans certains sanctuaires du centre et de l’ouest de la Lyonnaise correspondent à des représentations humaines, à l’effigie de dévots – statuettes en pied, bustes ou têtes isolées –, et à des figurations partielles du corps, sous la forme de membres (jambes, pieds), d’organes (yeux, oreille, organes internes ?), de bassins ou encore de seins. Les matériaux qui ont servi à fabriquer ces objets, présents en un ou en plusieurs exemplaires au sein d’un même lieu de culte, changent d’un site à l’autre (fig. 111 ; Bossard, 2021, vol. I, p. 290, tabl. XV). La conservation de sculptures de bois, qui devaient être présentes dans nombre de sanctuaires, n’a été possible que sur le site de Craon à Montbouy (S.217), grâce à la présence de bassins encore en eau. Une seule série d’images en pierre représentant des dévots a pu être identifiée, à Genainville (S.260), mais d’autres, trop fragmentées pour être interprétées (cf. supra), ont pu exister dans certains sanctuaires qui ont livré du matériel lapidaire. Cependant, l’essentiel de ces représentations, et en particulier celles que l’on regroupe habituellement sous l’expression d’offrandes anatomiques, a été réalisé à partir de tôles d’alliage cuivreux ou de plomb, ou plus rarement de métal – argent ou bronze – fondu dans un moule.

Figure 111 : Répartition, nombre et matériaux des offrandes anatomiques découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 111 : Répartition, nombre et matériaux des offrandes anatomiques découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

142D’une manière générale, qu’elles soient complètes ou volontairement restreintes à une partie de l’anatomie, ces figurations humaines sont inconnues des sanctuaires des Gaules avant le début de l’époque romaine et il est aujourd’hui admis que leur apparition et leur mode témoignent de transferts culturels entre l’Italie et les territoires gaulois. De fait, de telles représentations en terre cuite ou en métal, connues également dans le monde grec, sont en vogue dès la fin du ive s. ou le début du iiie s. av. n. è. dans la partie centrale de la péninsule italique (Cazanove, 2016, p. 217-219). Selon toute vraisemblance, que ce soit en Italie ou dans les Gaules, une grande partie de ces images – si ce n’est toutes – expriment ou plutôt accompagnent l’acquittement d’un vœu, qui devait être avant tout traduit par un sacrifice offert à la divinité concernée (Cazanove, 2009, p. 371 ; Franceschi, 2013). À l’échelle du territoire considéré, l’inscription « v(otum) s(olvit) l(ibens) m(erito) », confirmant qu’un vœu a bien été contracté et acquitté, n’a toutefois été gravée que sur trois objets de ce type, tandis que les autres sont « muets » : il s’agit de la base d’une stèle de Genainville (fig. 113, l), d’un vraisemblable ex-voto oculaire d’argent à Pannes (fig. 116) – et, peut-être, d’un buste en alliage cuivreux à Beaumont-le-Roger (fig. 114, a), offert par un dénommé Esumopas Cnusticus.

  • 38 Des monnaies découvertes plus récemment dans le bassin captant la résurgence y ont été déposées, (...)

143Les personnages en pied et les têtes ou bustes détachés de leur corps sont assez rares en Lyonnaise : ils proviennent uniquement de quelques lieux de culte localisés dans ses cités centrales. Deux bassins intégrés au monument de Montbouy (S.217), dont l’un capte une source, ont livré, dans les années 1850-1860, une dizaine de représentations anthropomorphes schématiques en bois, taillées dans du chêne (Desnoyers, 1882, p. 159, no 969-976 ; Espérandieu, 1911, p. 116-117, no 2970 ; Debal, 1986). Parmi les 14 fragments qui ont été inventoriés au moment de la découverte – seuls 3 sont encore conservés au musée historique et archéologique de l’Orléanais –, figure un personnage dépourvu de membres, mesurant 0,57 m de haut, trois têtes (associées, pour deux d’entre elles, à un buste), un autre buste dont la tête a disparu, un pied et trois jambes (fig. 112). Ces sculptures, qui n’ont jamais été datées par dendrochronologie38, s’inscrivent cependant dans une série d’images en bois tout à fait comparables, dont les plus représentatives et les mieux documentées sont celles qui proviennent des sanctuaires des eaux de Chamalières (Puy-de-Dôme), des sources de la Seine (Source-Seine, Côte-d’Or) ou encore de Magny-Cours (Nièvre), où elles sont datées des premières décennies du Haut-Empire (Romeuf et Dumontet, 2000 ; Franceschi, 2013 ; Vernou, 2016). D. Vurpillot a d’ailleurs récemment rapproché, d’un point de vue formel, la statuette de Montbouy de l’un des bois ouvragés de Magny-Cours, plus long d’une vingtaine de centimètres – mais plusieurs représentations tout à fait similaires, vraisemblablement produites entres les années 40 av. n. è. et 40 de n. è., proviennent aussi des sources de la Seine (Vernou dir., 2011, p. 36-37). Il a souligné que ce type de représentation hiératique en bois paraît s’inspirer d’une tradition de sculpture plus ancienne, d’origine celtique, et qu’il apparaît dès le début de la période romaine au sein des lieux de culte, où il traduit « un nouveau discours centré sur l’individu » (Vurpillot, 2016, vol. 1, p. 304 et p. 311-312). Aucun attribut ou signe distinctif, que ce soit sur cette statuette ou sur les têtes isolées, ne permet en effet d’identifier des personnages divins et il est probable que ces images, réalisées dans un ou plusieurs ateliers dépendant ou non du sanctuaire, représentent les visiteurs de ce dernier, qui les auraient commandées pour les y déposer en tant qu’offrandes dans le cadre d’un don ou plutôt d’un vœu, dont on ne connaît la teneur exacte. À l’instar de ce qui a été proposé pour les autres sanctuaires des eaux évoqués, ces objets en bois ont pu avoir été exposés à l’air libre, dans l’enceinte du lieu de culte de Montbouy – dans un état antérieur à sa phase monumentale ? – avant d’être immergées, peut-être lors d’un nettoyage de l’aire sacrée, dans l’eau où réside la divinité (Romeuf et Dumontet, 2000, p. 33 ; Vernou dir., 2011, p. 10 ; Vurpillot, 2016, vol. 1, p. 310-312).

Figure 112 : Sculptures anthropomorphes en bois, représentant des têtes, des bustes ou des membres, découvertes dans les bassins du monument de Craon à Montbouy (Loiret) ; les images accompagnées d’un astérisque correspondent au même objet.

Figure 112 : Sculptures anthropomorphes en bois, représentant des têtes, des bustes ou des membres, découvertes dans les bassins du monument de Craon à Montbouy (Loiret) ; les images accompagnées d’un astérisque correspondent au même objet.

D’après Dupuis, 1861, p. 336 (a) ; Espérandieu, 1911, p.  116, no 2970 (b) et le musée historique et archéologique de l’Orléanais, in Vurpillot, 2016, vol. 1, p. 312, fig. 68.

144De même, une série relativement bien conservée d’une vingtaine de statuettes et de stèles en calcaire, découverte à Genainville (S.260, ph. 3-4), représente vraisemblablement, en haut ou en bas-relief, les visiteurs de l’aire sacrée. La plupart de ces sculptures, hautes entre 0,40 m et 1,20 m, a été brisée et répandue au sol, sans organisation apparente (cf. infra, fig. 324), au plus tôt dans les années 260 de n. è. ; elles proviennent alors de niveaux de démolition formés au voisinage et au sein d’un bassin (D) localisé à une dizaine de mètres à l’ouest du temple monumental, près duquel elles étaient peut-être exposées à l’origine. Si certaines stèles, fragmentaires, pourraient éventuellement figurer des divinités, dont les attributs n’auraient pas été conservés, d’autres semblent bien représenter des dévots, hommes et femmes vêtus de tuniques, représentés en pied, dont il est difficile de fournir un décompte précis, en raison de leur morcellement. Certains d’entre eux (fig. 113, f) tiennent des deux mains un objet qui, lorsque la sculpture est en bon état, s’apparente à un récipient ou à un petit sac. Un personnage, dont il manque la tête, tient d’une main un oiseau et semble le nourrir de l’autre (e), tandis qu’un second, de sexe masculin, croise les mains sur son abdomen (a) ; d’autres, également les mains vides, adoptent des postures plus variées ; deux enfants nus ont aussi été reconnus (g). H. Mitard (1993, p. 312-322) propose de voir dans cette foule d’humains les dévots du sanctuaire, figurés ou non avec l’offrande destinée à l’une des divinités qui y sont vénérées. Si ce type de représentation trouve peu de comparaisons dans les cités du centre et de l’ouest de la Lyonnaise, il est en revanche plus fréquent dans le centre-est des Gaules, en particulier en territoire éduen (Lamy, 2015, vol. 1, p. 127-128). L’important lot d’œuvres sculptées découvert au sources de la Seine, en Côte-d’Or, comprend ainsi des figurations tout à fait similaires, sur lesquelles certains individus tiennent un volatile ou une bourse. Ici ou là, les stèles peuvent arborer le portrait de visiteurs qui auraient offert leur propre image à la divinité honorée, en guise de remerciement, mais on peut aussi supposer que d’autres aient été réalisées à l’effigie de bienfaiteurs : à Source-Seine, les riverains du fleuve ont ainsi fait don d’une stèle représentant Lucius, fils de Nertecomaros (Deyts, 1994a, p. 11 ; 1994b, p. 157-158).

Figure 113 : Sculptures anthropomorphes en calcaire, probablement à l’image de dévots, découvertes dans la cour sacrée du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise).

Figure 113 : Sculptures anthropomorphes en calcaire, probablement à l’image de dévots, découvertes dans la cour sacrée du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise).

D’après Mitard, 1993, p. 315-319.

145Les représentations métalliques de cultores sont bien plus rares ; elles se limitent à la tête ou au buste – représentant, comme les exemplaires de bois de Montbouy, « l’individu tout entier, dont l’image du visage exprime à elle seule la personnalité » (Romeuf et Dumontet, 2000, p. 68) ? – et leur identification reste parfois sujette à caution. Outre une série de visages martelés sur des petites tôles de bronze à Orléans (S.114, cf. infra), dans le même esprit que les plaquettes anatomiques, deux bustes, également en alliage cuivreux, peuvent figurer des dédicants. L’un a été offert par le citoyen Esumopas Cnusticus, suite à l’accomplissement d’un vœu, à la divinité inconnue du temple de la Butte des Forges dans la forêt de Beaumont-le-Roger (S.45 ; Stabenrath, 1830, p. 253-254 ; CIL XIII, 3199). Il mesure 16,5 cm de haut et devait être fixé sur un support plat, comme en témoignent les deux trous qui encadrent la base de son cou (fig. 114, a). Il est tentant d’y voir, plutôt que le masque d’une femme comme le propose C. de Stabenrath, le portrait du dédicant lui-même, représenté sous les traits d’un homme jeune – à moins qu’il ne s’agisse de la divinité sollicitée : Apollon, si l’on se fie à ses traits juvéniles et à sa coiffure ? Par ailleurs, à Genainville (S.260), la fouille des couches liées à la destruction de l’édicule E, manifestement constituées dans le courant du ive s., a livré les fragments d’un buste composé de tôles de bronze assemblées, de grandeur nature – la tête mesure environ 30 cm de haut et devait faire partie d’un ensemble plus important (fig. 114, b). Il prend l’apparence d’un homme barbu, dont les yeux sont incrustés d’un cabochon de verre bleu ; le visage est relativement plat et la représentation est empreinte d’un certain schématisme (Mitard, 1982). Doit-on y voir le portrait d’un empereur, à l’instar d’imagines découvertes dans certains sanctuaires (Van Andringa, 2017a, p. 194-197), d’un dieu ou plutôt d’un dévot ? L’absence d’inscription, les lacunes de l’objet et le contexte stratigraphique n’aident guère à trancher en faveur d’une hypothèse ou d’une autre.

Figure 114 : Bustes en alliage cuivreux découverts à Beaumont-le-Roger (Eure ; a) et à Genainville (Val-d’Oise ; b).

Figure 114 : Bustes en alliage cuivreux découverts à Beaumont-le-Roger (Eure ; a) et à Genainville (Val-d’Oise ; b).

Cliché H. Lewandowski, https://www.pop.culture.gouv.fr/​notice/​joconde/​50010000513 et d’après un cliché d’A. Späni, in Barrière et al., 2019, p. 135.

146Les offrandes anatomiques, représentant une partie du corps humain, sont souvent confectionnées à partir d’une tôle métallique découpée et travaillée au repoussé. Sous cette forme, elles constituent des objets relativement répandus entre la Loire et la Seine – à l’exception de la péninsule armoricaine et de l’ouest de la Normandie, où ce type de représentation demeure inconnu (fig. 115). Au sein des vingt sanctuaires qui en ont livré un ou plusieurs exemplaires, tous matériaux confondus, les parties représentées varient, de même que les formes propres à chacune d’entre elles.

Figure 115 : Répartition des offrandes anatomiques en fonction de leur type et de leur matériau.

Figure 115 : Répartition des offrandes anatomiques en fonction de leur type et de leur matériau.

Réal. S. Bossard.

147Une cinquantaine d’yeux, isolés ou figurés par paire, provient de quinze lieux de culte (fig. 116) : il s’agit de la partie anatomique la plus fréquemment représentée ; sa diffusion dans les cités centrales de la Lyonnaise est particulièrement étendue (Fauduet, 1990, p. 95-96). Les artefacts travaillés à partir d’une tôle de bronze sont les plus nombreux, mais quelques exemplaires en argent, en plomb et même un probable œil figuré sur un support en os, à Châteaubleau (S.205 ; Revenu, 2008, p. 76), sont attestés. De forme losangique, en amande ou circulaire, ou dans de rares cas imprimés sur une plaquette de forme rectangulaire, les yeux présentent souvent une perforation à l’emplacement de la pupille ; ils peuvent être circonscrits, de manière schématique, par une rangée de cils. Le vraisemblable ex-voto oculaire en argent de Pannes (S.220), quant à lui, se caractérise par une forme particulièrement simplifiée et étirée ; il a été offert par une citoyenne romaine d’origine gauloise, Prisceia Aviola, à une divinité dont le nom n’a pas été cité (Dondin-Payre et Cribellier, 2011). Généralement découverts en moins de cinq exemplaires par site, ces objets sont néanmoins plus nombreux à Areines (S.92 : 6 ou 7 ; Plat, 1923, p. 13), à Orléans (S.114 : 11 ; Verneau, 2014 ; Canny, 2015) et à Bû (S.99 : 16 ; Fauduet, 1990). L’observation de la forme des plaquettes ophtalmiques de chacune de ces trois séries montre qu’elles ont certainement été produites par des mains différentes et qu’elles ont donc probablement été déposées en plusieurs étapes au sein des sanctuaires. Des trous de fixation sont visibles sur plusieurs exemplaires, notamment à Orléans, à Berthouville (S.150 ; Dondin-Payre, 2012a) et à Areines : ces objets étaient cloués sur des supports qui n’ont pas été conservés – sur les murs des temples ou bien sur des objets en bois, à l’exemple d’une planchette de hêtre en forme de cœur, à Chamalières, sur laquelle sont maintenus deux yeux de bronze (Romeuf et Dumontet, 2000, p. 86-87).

Figure 116 : Sélection d’offrandes anatomiques à l’image d’yeux, en argent (Pannes) ou en alliage cuivreux (pour les autres).

Figure 116 : Sélection d’offrandes anatomiques à l’image d’yeux, en argent (Pannes) ou en alliage cuivreux (pour les autres).

Réal. S. Bossard.

148Les autres types de représentations (fig. 117) sont bien plus rares et se caractérisent par une diffusion spatiale plus limitée. Une seule probable oreille, en bronze coulé, provient du lieu de culte de Juvigné (S.36 ; Bossard et al., 2016, p. 36-37). Par ailleurs, la fouille du sanctuaire d’Orléans a permis de recueillir 19 tôles de forme rectangulaire, mesurant 2 à 4 cm de côté, sur lesquelles ont été imprimées des visages plus ou moins détaillés (Canny, 2015, p. 333-336). Huit plaquettes ciselées en forme de paires de seins – dont deux ont été perforées pour être fixées – ont été découvertes lors de l’exploration du temple de Saint-Ouen-de-Thouberville à La Londe (S.86 ; Deglatigny, 1921, p. 57-58), tandis qu’un objet similaire est issu de l’aire sacrée d’Oissel (S.266 ; Deglatigny, 1927, p. 10) et peut-être de Châteaubleau (S.205 ; Revenu, 2008, p. 76) et d’Orléans. Sur ce dernier site, l’identification d’organes internes est plus incertaine (Canny, 2015, p. 340-341). En revanche, au moins trois bassins masculins, réalisés à partir de tôles d’alliage cuivreux et sur lesquels apparaissent nettement les organes génitaux, ont été identifiés à Sceaux-du-Gâtinais (S.225). Enfin, 4 jambes et des pieds en bois, dont les dimensions ne sont pas précisées, ont été collectés dans l’un des bassins de Montbouy (cf. supra), tandis qu’au moins 2 autres jambes en ronde-bosse et en bronze, mesurant quelques centimètres de haut, ont été mises au jour à Sceaux-du-Gâtinais (Vilpoux, 1996, p. 124).

Figure 117 : Sélection d’offrandes anatomiques en forme de visage (a), d’oreille (b), de probables organes internes (c) et de seins (d), en alliage cuivreux.

Figure 117 : Sélection d’offrandes anatomiques en forme de visage (a), d’oreille (b), de probables organes internes (c) et de seins (d), en alliage cuivreux.

Réal. S. Bossard.

149Ces offrandes anatomiques correspondent très vraisemblablement à des ex-voto – la seule certitude concerne en fait celui de Pannes, inscrit – qui ont pu avoir été données aux divinités en remerciement de la guérison de la partie du corps figurée, malade au moment de la prise de vœu. Aucun des objets mentionnés ne présente les caractéristiques évidentes d’une quelconque pathologie, mais ils ont pu adopter l’apparence du membre ou de l’organe redevenu sain (Cazanove, 2016, p. 215). Néanmoins, plusieurs auteurs ont souligné le caractère équivoque de la lecture que l’on peut proposer pour de tels objets : l’offrande d’un œil ou d’une paire d’yeux pourrait également signaler l’attention accordée par la divinité au dévot, de la même manière que l’oreille célèbre peut-être l’exaucement d’une demande écoutée ; les pieds et les jambes, quant à eux, peuvent traduire la protection offerte au cours d’un voyage (Scheid, 1992, p. 30 ; W. Van Andringa, in Chevet et al., 2014, p. 157 ; Raux, 2015, p. 213).

150Un bref examen des contextes de relégation des offrandes anatomiques, souvent peu renseignés ou correspondant à des niveaux remaniés après l’abandon des sites, révèle que les objets de ce type sont souvent concentrés aux abords ou au sein même des édifices de culte, comme pour d’autres catégories de dons. Ainsi, les représentations anatomiques de Bû proviennent essentiellement de la galerie orientale et des environs proches du temple principal (Fauduet, 1990, p. 93), de même que celui de Genainville a été découvert sur le sol du déambulatoire de l’édifice de culte monumental (A2 ; Mitard, 1993, p. 364) ; l’objet d’argent de Pannes a été enfoui dans une fosse peu profonde, creusée dans l’angle oriental du vestibule du grand temple, avec d’autres artefacts (Dondin-Payre et Cribellier, 2011, p. 556). À Orléans, c’est le fond d’un vallon, situé à une vingtaine de mètres au sud-est du temple d’Orléans, qui a livré 21 tôles de bronzes, parmi de nombreux objets interprétés comme des offrandes de natures diverses (Verneau, 2014, p. 100, fig. 84). Enfin, à Sceaux-du-Gâtinais et à Montbouy, les ex-voto proviennent de bassins, où ils ont été vraisemblablement jetés, lors de leur consécration ou peut-être dans le cadre de la gestion des offrandes accumulées à leurs abords (Roncin, 1966-1976 ; Vilpoux, 1996, p. 124). D’un point de vue chronologique, les plus anciennes dépositions ont manifestement eu lieu entre la période augustéenne et le milieu du ier s. de n. è. à Bû (Fauduet, 1983, p. 25-26), de même qu’à Orléans, où les contextes les plus récents qui sont pourvoyeurs d’offrandes anatomiques ne sont d’ailleurs pas postérieurs au milieu du iie s. (Canny, 2015, p. 348-351) ; la plaquette oculaire du Vieil-Évreux provient également d’un niveau associé à l’occupation attribuée au iie s. (Bertaudière et al., 2019, p. 478-479).

2.2.2.2. Des objets miniatures ?

151Les miniatures, qu’elles proviennent de sanctuaires, de nécropoles ou, plus rarement, de contextes domestiques, sont généralement considérées comme des reproductions à moindre échelle d’objets fonctionnels ; elles sont destinées à les représenter, mais ne peuvent être utilisées de la même manière, puisqu’elles n’en sont que l’image symbolique. Cependant, les objets répondant à cette définition, dans les sanctuaires gaulois ou antiques, sont parfois difficiles à identifier : certains artefacts considérés comme miniatures, car de très petite taille, ont pu avoir revêtu d’autres rôles que celui de simples simulacres de dimensions réduites (Kiernan, 2009, p. 2 ; Goussard, 2015). Les objets potentiellement miniatures, relativement rares au sein des lieux de culte étudiés, renvoient à différents domaines et il convient de les analyser type par type afin d’identifier au mieux les exemplaires non fonctionnels et d’en préciser les caractéristiques (fig. 118).

Figure 118 : Répartition des objets considérés comme miniatures découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 118 : Répartition des objets considérés comme miniatures découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

152Très peu de mentions de vaisselle miniature ont été relevées : si l’on exclut quelques petits vases en terre cuite qui ne reproduisent pas des formes attestées dans un plus grand format et qui ont pu servir de contenants pour des quantités peu importantes d’éléments liquides ou solides – dont on ne connaît d’ailleurs pas la nature –, seulement deux pots miniatures, mis au jour à Authevernes (S.236), méritent une attention particulière. Mesurant environ 7 cm de haut, ils accompagnent toutefois une urne qui a pu contenir les restes osseux d’un jeune enfant et relèvent donc vraisemblablement de pratiques funéraires, dont le lien avec le culte de la divinité honorée à proximité est difficile à saisir (Michel et al., 2014, p. 199-200 et p. 219).

153La question d’une éventuelle miniaturisation doit aussi être posée pour une série de petits couteaux (fig. 119, a), longs d’environ 10 cm et dotés d’un manche en alliage cuivreux ainsi que d’une lame en fer, droite ou courbée. Tandis qu’un seul exemplaire a été découvert à Macé (S.196 ; Leclerc, 2005, p. 17 et p. 25), au pied du mur sud du péribole, six autres proviennent du sanctuaire enclos de Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 165). Parmi ces derniers, deux ont été mis au jour dans une couche formée tout au long de l’occupation du Haut-Empire, tandis qu’un autre a été découvert dans le remplissage d’un fossé ceinturant le site au cours de la phase 3, datée des trois premiers quarts du ier s. de n. è. Malgré leur module réduit, ces ustensiles, dotés d’une lame tranchante, semblent tout à fait fonctionnels ; ils ne peuvent donc être considérés comme de véritables miniatures. Leurs dimensions sont peut-être liées au fait qu’ils étaient manipulés dans le cadre d’usages spécifiques – par exemple, en tant que canifs pour affûter des calames (Božič et Feugère, 2004, p. 37-39 ; Guillier dir., 2020, p. 165).

Figure 119 : Sélection d’objets métalliques (en alliage cuivreux, sauf indication contraire) considérés comme miniatures : couteaux (a), haches ou lames de haches (b) et lance (c).

Figure 119 : Sélection d’objets métalliques (en alliage cuivreux, sauf indication contraire) considérés comme miniatures : couteaux (a), haches ou lames de haches (b) et lance (c).

Réal. S. Bossard.

154Un autre ensemble d’objets, dont le rôle symbolique ne fait cette fois-ci pas de doute (fig. 119, b), comprend cinq ou sept haches miniatures en alliage cuivreux, issues des lieux de culte de Cracouville au Vieil-Évreux (S.78 ; Fauduet, 1992, p. 148-149) pour trois d’entre elles, de la place des Épars à Chartres (S.100, ph. 4 ; Canny et al., 2019) et d’Oissel (S.266 ; Vesly, 1909, p. 108 et pl. VII, no 12) pour deux autres et peut-être de Saint-Saëns (S.88 ; Le Breton, 1894, p. 272) pour deux « très petites hachettes votives » signalées anciennement, mais non figurées ni décrites. Ces objets, longs de moins de 5 cm et plus ou moins plats, se composent d’un manche cylindrique, bouleté à la base, et d’une lame rectangulaire, coulés à partir d’un même moule. Leur forme permet de les rattacher au type 1A défini par P. Kiernan (2009, p. 123-124), diffusé dans les Trois Gaules et surtout sur l’île de Bretagne. Les trois miniatures de Cracouville relèvent d’une même série, puisqu’elles présentent des dimensions identiques et se distinguent seulement par le nombre de sillons parallèles, s’échelonnant d’un à trois, qui incisent leur lame. Tandis que le contexte de découverte des exemplaires du Vieil-Évreux n’est pas documenté, l’objet de Chartres a été mis au jour sur sol de la cella du temple construit dans le courant du iie s. et détruit au cours de la seconde moitié du iiie s. ; il était associé à d’autres haches – ou du moins leur lame – de différentes factures et époques (une petite lame en cuivre, dont la datation n’est pas assurée, et six autres, produites au cours du Néolithique, en pierre polie ; cf. infra, 2.2.4), ainsi qu’à divers objets (oursins, galet, objets métalliques variés ; Canny et al., 2019). Les haches miniatures de ce type, attestées dans les Gaules, les Germanies et la Bretagne romaines, mais peu répandues dans les cités considérées, sont généralement interprétées comme des offrandes de substitution déposées à la place d’outils, ou bien comme des simulacres évoquant l’instrument du sacrifice animal (Kiernan, 2009, p. 143-151 ; Fauduet, 2010, p. 245).

155Il est possible que trois autres haches de petit format, dont la morphologie ou les dimensions les distinguent des précédentes, correspondent aussi à des miniatures : à Mordelles (Sermon, S.189 ; Le Boulanger dir., 2017, p. 57-58), un objet en alliage cuivreux, mesurant environ 6 cm de long, s’apparente à une petite hache à talon protohistorique ; toutefois, en raison de ses dimensions inhabituelles, elle pourrait avoir été plutôt produite au cours de l’époque romaine, peut-être comme la petite lame de cuivre de Chartres. À Yville-sur-Seine (S.90), c’est un modèle en fer, long de 3,6 cm et sans doute muni d’un manche en bois, que G. Guillier a pu comparer à d’autres exemples provenant de sanctuaires des Gaules (Guillier et al., 2020, p. 177-178). Enfin, à Montbouy (S.217), « une petite hache d’un décimètre environ de longueur, marquée d’entailles » à la manière de « quelques baguettes très minces en bronze », aurait été mise au jour dans « une sorte de conduit ou égout », mais aucune illustration de ces objets n’a été fournie (Dupuis, 1861, p. 334-335).

  • 39 Ils sont associés à 8 monnaies, émises entre les règnes d’Auguste et d’Hadrien, ainsi qu’à une fibu (...)

156Si l’on excepte de possibles répliques de strigiles en fer – dont aucun dessin ou cliché n’a été publié –, qui proviendraient d’une fosse creusée à l’extérieur du péribole du sanctuaire monumental de Saint-Martin-au-Val (S.101)39, les autres objets miniatures identifiés au sein des lieux de culte étudiés correspondent tous à des armes. Rares parmi le mobilier des sanctuaires étudiés, ces images se partagent entre des représentations d’armes d’hast ou de jet et peut-être d’épées, tandis que les boucliers sont absents. Ainsi que l’ont récemment souligné S. Marion et al., il n’est toutefois pas assuré que les deux « épées » gauloises de Meaux (S.158, ph. 1), longues d’une vingtaine de centimètres et provenant d’un lot de 208 fragments d’armes datées de La Tène B2 (fin du ive s. ou début du iiie s. av. n. è.), soient bien des miniatures. Elles ont pu avoir été pourvues d’une sorte de fourreau, constitué d’une seule plaque métallique, et on peut supposer qu’elles ont plutôt été maniées en tant que poignards et qu’elles soient donc des armes réelles (Marion et al., 2019, p. 392-393). En tout état de cause, l’élaboration d’armes miniatures et leur déposition dans certains sanctuaires des Gaules sont des pratiques qui semblent surtout avoir été développées plus tardivement, à partir du courant ou de la fin du ier s. av. n. è. (Bataille, 2011, p. 657-658 ; Goussard, 2015 ; Goussard et al., 2019).

157Par ailleurs, deux modèles réduits de lances ont été identifiées à Juvigné (S.36) et au sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79, ph. 2). Celle de Juvigné (fig. 119, c), détachée de tout contexte stratigraphique, se compose d’une pointe en alliage cuivreux, dont la longueur ne devait pas excéder 7 cm, qui était emmanchée sur une hampe en bois. En revanche, l’objet du Vieil-Évreux (Bertaudière et al., 2019, p. 477 et p. 479, fig. 6), enfoui au cours du dernier tiers du ier s. de n. è. dans une petite fosse creusée à l’arrière des temples, est une réplique intégralement constituée de bronze. Sa pointe mesure moins de 2 cm de long et elle s’apparente à des miniatures issues du sanctuaire de Baâlons-Bouvellemont (Ardennes) ou de celles provenant de plusieurs lieux de culte britanniques (Squevin, 1994 ; Kiernan, 2009, p. 98-104). Ces deux derniers objets ne peuvent être considérés comme de véritables petites armes, en raison de leur matériau, mais aussi de leurs dimensions et de leur forme, qui interdisent d’y voir des lances ou des flèches fonctionnelles. S’agit-il d’offrandes de substitution, visant à remplacer de manière symbolique des armes réelles, dont le port et l’usage ont été interdits en dehors de la sphère militaire au cours des décennies qui ont suivi la conquête de César (Kiernan, 2009, p. 5 et p. 110-112 ; Bataille, 2011, p. 658) ? Il est aussi envisageable, par exemple pour la petite lance de Juvigné, que certaines de ces images aient constitué les attributs de statuettes divines en métal ou en bois, qui ont pu avoir été ornées de véritables objets rapportés, tels que des parures, des armes ou des vêtements (Kiernan, 2009, p. 104 ; 2020, p. 204-207).

2.2.2.3. Rouelles, jetons et anneaux : de petits objets circulaires aux fonctions variées ?

158Certains petits objets circulaires de différents types – rouelles, jetons ou anneaux – peuvent aussi correspondre à des offrandes par destination : retrouvés en grand nombre au sein de quelques sanctuaires, ils ont pu avoir été fabriqués sur place ou à proximité, afin d’y être donnés aux dieux ou, dans certains cas, pour y être manipulés à l’occasion d’autres activités placées sous la surveillance divine.

159Rares sont les lieux de culte du centre et de l’ouest de la Lyonnaise qui ont livré des rouelles, petits disques métalliques ajourés figurant une roue, dotée d’un nombre variable de rayons et mesurant tout au plus 5 cm de diamètre : de tels objets n’ont été identifiés que sur sept sites. À l’exception du sanctuaire tricasse de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), dont la fouille a permis d’en recueillir plus de 70 000 exemplaires (cf. infra), ce n’est qu’un nombre peu important de rouelles qui provient des autres aires sacrées, fréquentées durant le Haut-Empire (fig. 120 ; Babelon, 1916, p. 19 ; Jobic, 1998, p. 106 ; Bourgeois dir., 1999, p. 99-100 ; Poitevin dir., 2007, p. 97 et p. 130 ; Dugast, 2009, p. 16-17 ; Guillier dir., 2020, p. 265, fig. 153).

Figure 120 : Répartition, nombre et composition métallique des rouelles découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 120 : Répartition, nombre et composition métallique des rouelles découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

160Le lot exceptionnel de rouelles de La Villeneuve-au-Châtelot se compose de 2 exemplaires en or, 35 en argent (dont 32 proviennent d’un dépôt placé dans deux céramiques, avec deux tiges et un anneau en argent et un millier de monnaies ; cf. infra, 2.2.3.1), plus de 500 en alliage cuivreux et plus de 70 000 en plomb – qui représentent plus de 99 % de l’ensemble et 26 kg de métal (Veillon, 1987 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 57-91 ; Piette, 2018, p. 177-178). Certaines rouelles en alliage cuivreux ont été confectionnées à partir de tôles découpées, tandis que les autres ont été moulées ; elles se présentent sous la forme d’unités ou de bandes réunissant jusqu’à une vingtaine d’exemplaires. La découverte, aussi, de fragments de coulures de plomb et de scories laisse penser qu’elles étaient produites sur place, aux abords du sanctuaire, au sein d’un atelier pérenne ou temporaire qui n’a pu être localisé. La variété de matériaux s’accompagne d’une grande diversité typologique : leurs dimensions, leur poids et le nombre de rayons, oscillant entre quatre et douze, varient d’un objet à l’autre ; le moyeu de la roue est plus ou moins proéminent et certains exemplaires sont décorés au moyen de motifs géométriques (fig. 121). Certaines rouelles, à l’instar du numéraire, ont été mutilées à coups de burin : il s’agit de l’une des deux en or, de l’intégralité de celles en argent issues du dépôt augustéen et de certains exemplaires en bronze : les traitements appliqués à une partie des monnaies (cf. infra, 2.2.3.1) ont donc aussi concerné les rouelles, du moins celles dont la valeur métallique est la plus élevée.

Figure 121 : Sélection de rouelles en or, argent, alliage cuivreux (a) et plomb (b) provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

Figure 121 : Sélection de rouelles en or, argent, alliage cuivreux (a) et plomb (b) provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

In Piette, 2018, p. 177-178, fig. 4-5.

161Certaines rouelles de la Villeneuve-au-Châtelot ont été mises au jour individuellement, dans les mêmes secteurs que d’autres types d’offrandes ; d’autres, qui rassemblent la majorité des exemplaires, ont été réunies en piles ou par bottes. Les contextes de découverte les plus fiables permettent de dater leur apparition durant la seconde moitié du ier s. av. n. è. ou, au plus tard, aux alentours du changement d’ère ; les exemples les plus tardifs ont été sans doute produits et utilisés, sans plus de précision, dans le courant du Haut-Empire. De fait, plusieurs concentrations de rouelles, parfois accompagnées de nombreuses monnaies, sont associées aux vestiges du double enclos palissadé construit et occupé entre le milieu du ier s. av. n. è. et le courant du ier s. de n. è. (ph. 2), voire au-delà (ph. 3). Trente-deux rouelles d’argent ont ainsi été disposées dans le même récipient, enterré au pied de la façade occidentale de la palissade, qu’un important ensemble de monnaies, dont le terminus post quem a été fixé en 7 de n. è. (Zehnacker, 1984). Près de la moitié des exemplaires en alliage cuivreux (soit 234 rouelles) a été mise au jour de part et d’autre de l’entrée du grand enclos quadrangulaire, vraisemblablement détruit pour laisser place au petit enclos durant la seconde moitié du ier s. av. n. è. ou au début du ier s. de n. è. ; elles proviennent, de même que 700 monnaies essentiellement gauloises – mêlées à quelques pièces de la période augustéenne –, du comblement de la tranchée de fondation ou de ses abords (cf. supra, fig. 83), témoignant vraisemblablement de l’éparpillement d’un contenant qui en était rempli ou, moins probablement, du jet régulier de ce type d’objet dans le secteur de l’entrée. Quant à la plus petite enceinte, détruite au plus tôt durant la période augustéenne (Piette, 1989, p. 250), sa tranchée a livré, près de son accès, plus de 30 000 rouelles en plomb et aussi quelques monnaies, non décrites. Si les autres rouelles en alliage cuivreux semblent avoir été dispersées sur le site, celles en plomb, en revanche, forment aussi d’importants regroupements à l’extérieur de l’enclos, entre ce dernier et un édicule en pierre installé à une douzaine de mètres au sud-est. Elles proviennent alors d’un amas de pierres de forme grossièrement carrée ou, pour dizaines de milliers d’exemplaires, ont été rassemblées au sein de quatre « bottes » – enfouies dans des fosses voisines du petit bâtiment ?

162Alors que les quelques rouelles découvertes au sein des autres sanctuaires d’époque romaine constituent probablement des offrandes apportées par un ou par plusieurs de leurs visiteurs, celles de La Villeneuve-au-Châtelot ont été produites par dizaines de milliers. Leur fabrication a sans doute eu lieu sur le site même, à partir de différents métaux, et elle s’est probablement étalée sur plusieurs années ou décennies. La production de rouelles en plomb, intensive, semble avoir été plus récente que celle des objets en argent, en alliage cuivreux et probablement en or ; on ignore si ces disques de moindre valeur métallique ont été fabriqués en très grande quantité parce qu’ils étaient destinés à être utilisés par lots, ou bien parce qu’ils concernent désormais une communauté de dévots plus importante.

163En tout état de cause, la portée symbolique et les fonctions que revêtent les rouelles, d’une manière générale, ne sont pas connues avec certitude : s’agit-il d’évoquer un attribut divin – notamment de Jupiter – ou la course solaire, de se substituer à des monnaies, d’assurer la protection en tant qu’amulettes ou de constituer de simples offrandes individuelles (Debord, 1989, p. 29-30 ; Kiernan, 2009, p. 29-37) ? À l’entrée des deux enclos successifs de La Villeneuve-au-Châtelot, elles présentent une répartition similaire à celle de monnaies ayant circulé à la fin du ier s. av. n. è. ou au début du ier s. de n. è., tandis qu’elles ont aussi été entaillées et ensevelies auprès de numéraire dégradé à la même époque. Certains de ces disques métalliques ont alors pu avoir, au sein du sanctuaire, la valeur d’une monnaie, ou du moins ils ont été manipulés dans le cadre de pratiques similaires voire identiques. Devait-on déposer une monnaie ou bien une rouelle à la porte de l’enclos, ou bien peut-être pouvait-on y échanger l’une contre l’autre ? Quoi qu’il en soit, l’abondance de ce type d’objets n’est pas exclusive à ce lieu de culte : alors qu’elles sont rares dans les cités occidentales de la Lyonnaise, on retrouve un grand nombre de rouelles sur des sites de Gaule Belgique, dans les cités voisines des Tricasses, à l’exemple de l’oppidum de Villeneuve-Saint-Germain (Aisne) ou des sanctuaires de Nanteuil-sur-Aisne (Ardennes) et de Moyencourt (Somme). Sur ce dernier site, les rouelles, exclusivement en plomb et associées à un mobilier daté au plus tôt du ier s. de n. è., ont d’ailleurs été enfouies aux abords de l’entrée sud-est de l’enclos fossoyé qui abrite manifestement les activités religieuses (Debord, 1989 ; Lambot, 1989 ; Morel et Dubuis, 2018).

164La découverte d’un nombre important de petits objets métalliques au sein d’un sanctuaire, où ils ont été produits en série et à l’échelle locale, n’est pas un trait spécifique au site de La Villeneuve-au-Châtelot : l’exploration des vestiges antiques du Mesnil, à Baron-sur-Odon (S.279), dont la stratigraphie n’est que partiellement connue, a permis de recueillir plus de 400 anneaux en alliage cuivreux, dont la majorité provient d’un monument de plan polygonal identifié à un lieu de culte enclos. Il s’agit, en particulier, d’un lot constitué de 158 objets de ce type, découvert entre deux murs d’un bâtiment accolé au sud-est de la galerie qui circonscrit l’aire sacrée ; on ignore si ces anneaux ont été enfouis dans une fosse creusée pour leur mise au rebut ou s’ils ont été piégés dans un remblai déversé dans ce secteur (Dumons, 1961, p. 24-25 ; Bertin, 1977, p. 81-82). Mesurant autour de 1,5 cm de diamètre, ils ont été coulés en série, dans des moules, par deux ou trois – certains n’ont d’ailleurs pas été séparés à l’issue de leur production. L’examen récent de 252 anneaux et de leur contexte archéologique, réalisé par E. Goussard (2022), a montré qu’il en existe différents types et que ces objets apparaissent essentiellement dans des contextes datés entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et le ier s. de n. è. ; d’autres, extérieurs au monument polygonal, sont associés à des tessons de céramique de La Tène moyenne, qui pourraient toutefois être résiduels. De fait, leur présence ne se limite pas à l’enceinte du sanctuaire : au moins une soixantaine d’anneaux supplémentaires a été découverte au cours des sondages et des fouilles réalisés dans un rayon de 100 m autour du lieu de culte (Pillault et Parra-Prieto dir., 2016, p. 193-237). Ainsi, à Baron-sur-Odon, des anneaux de petite taille ont été produits, au plus tôt, dans les années qui ont suivi la guerre des Gaules, dans un ou plusieurs ateliers qui n’ont pas été identifiés, mais qui ont pu avoir été installés dans l’environnement proche du sanctuaire ; l’usage de ces objets n’est pas restreint à l’aire sacrée, mais semble étendu à l’ensemble des occupations antiques du site, dont la nature et l’organisation sont peu connues (cf. infra, 3.2.3.3). La fouille du lieu de culte et de ses abords, partiellement documentée, n’a pas permis de déterminer la ou les fonctions qu’ont pu revêtir de tels artefacts – offrandes, jetons de comptabilité, substituts de monnaies ou de rouelles (Kiernan, 2009, p. 23-26) ? –, qui devaient constituer des objets relativement courants sur le site du Mesnil.

165Au moins 42 autres sites ont livré de tels objets (soit 25 % des lieux de culte pour lesquels le mobilier a été analysé ou simplement inventorié), mais leur nombre, lorsqu’il est connu, dépasse rarement la vingtaine d’individus. En outre, les anneaux, qu’ils soient en bronze, en fer ou en métaux précieux, ont pu avoir été utilisés de diverses façons : certains correspondent sans doute à des bagues, d’autres à des bélières destinées à attacher des cordes, ou bien à des éléments de chaînes ou de harnachement, ou encore à des anses de récipients métalliques (Bataille, 2008, p. 38). En contexte laténien, s’ils accompagnent des armes (cf. infra, 2.2.3.3), ils peuvent aussi relever du système de suspension de fourreaux, à l’exemple, probablement, d’une grande partie des 145 anneaux en fer provenant de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 ; Bataille, 2008, p. 126).

166Enfin, il est nécessaire de discuter l’interprétation de divers petits disques circulaires, plus ou moins plats et produits à partir divers matériaux, qui sont souvent qualifiés, en fonction des auteurs, de rondelles, de jetons ou de pions.

167La découverte de tels objets, présents en un simple exemplaire, en plusieurs unités ou par dizaines (fig. 122), a été signalée pour 23 lieux de culte (soit 13 % des sites dont le mobilier est documenté). Lorsqu’ils ont été décrits, les exemplaires en terre cuite, qui sont les plus fréquents, ont généralement été découpés dans la panse ou dans le fond d’un vase, parfois d’une tuile, tels ceux d’Authevernes (S.253) ou de Genainville (S.260) [fig. 123]. Ce dernier site a aussi livré 5 objets en verre ou en pâte de verre, de couleurs variées et qui sont de forme plano-convexe, à l’instar de ceux de Bennecourt (S.254 ; Bourgeois dir., 1999, p. 127-128) ; à Vannes (S.278 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 66), un autre jeton aurait été taillé dans le fond d’une fiole en verre. En os, ils sont souvent plats et ornés de cercles concentriques incisés, ou bien présentent une face bombée, à l’exemple de 2 objets de Genainville (fig. 123). Enfin, rares sont les disques conçus dans une autre matière : un objet en plomb, mouluré, a été découvert à Criquebeuf-sur-Seine (S.256) [fig. 123] tandis que 2 pastilles réalisées à partir du même métal, non empreintes, ont été signalées au Mans (S.16 ; Chevet et al., 2014, p. 142-143) ; à Genainville, 9 disques ont été manifestement façonnés à partir de débris de mortier couverts d’un enduit peint de différentes teintes (Mitard, 1993, p. 406). Lorsque leur contexte stratigraphique est connu, ces objets sont issus de niveaux postérieurs au milieu du ier s. av. n. è., datés du Haut-Empire, de la fin du iiie s. ou du ive s.

Figure 122 : Répartition et nombre de jetons ou de pions circulaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 122 : Répartition et nombre de jetons ou de pions circulaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

Figure 123 : Sélection de jetons ou pions en différents matériaux, provenant de trois lieux de culte.

Figure 123 : Sélection de jetons ou pions en différents matériaux, provenant de trois lieux de culte.

Réal. S. Bossard.

168Certains jetons, associés à d’autres catégories d’offrandes, ont vraisemblablement constitué des présents destinés aux divinités. À Vannes (S.278 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 20 et p. 66), 2 disques en verre ont ainsi été découverts sur le sol de la cella du temple, parmi d’autres objets divers, dont des monnaies, de même que 2 des 5 jetons de Macé (S.196 ; Leclerc, 2005, p. 28) proviennent de l’intérieur ou des abords d’un même édicule. Les 8 disques en terre cuite mis au jour à Amboise (S.237) ont été recueillis dans un niveau argileux formé au cours de la période augustéenne, qui a par ailleurs livré une centaine de monnaies, une fibule, un pendant en alliage cuivreux, ainsi que de nombreux tessons de céramique et des os d’animaux (Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 28, p. 49-53).

169Leur quantité est parfois importante : au sein de la modeste aire sacrée de Pouillé (S.243), s’étendant seulement sur 165 m², ce sont 54 rondelles taillées dans des vases en terre cuite qui ont été collectées ; à Saint-Jean-Trolimon (S.179 ; Châtellier, 1882, p. 155), 26 tessons en terre cuite, perforés d’un trou central, auraient été rassemblés dans un même espace du sanctuaire, mais l’exploration est ancienne et peu documentée. Pour autant, il est probable qu’une partie de ces jetons ne corresponde pas à des offrandes par destination mais plutôt à des objets issus du quotidien, si l’on admet qu’ils ont été utilisés, par exemple, en tant que pions de jeu, en particulier pour des exemplaires en pâte de verre ou en os (Mitard, 1993, p. 403 ; Bourgeois dir., 1999, p. 127). Cette hypothèse est toutefois moins probable pour les disques confectionnés à partir de débris de vases ou de fragments de mortier, que l’on a pu découper au sein même du lieu de culte. Ainsi que l’a proposé R. Guichon pour le sanctuaire gaulois de Corent, mais ses remarques peuvent aussi être étendues à l’époque romaine, il est possible d’envisager d’autres usages, peut-être similaires à ceux des anneaux de Baron-sur-Odon et des rouelles de la Villeneuve-au-Châtelot, pour ces objets qui ont pu avoir été manipulés dans le cadre de pratiques individuelles ou collectives. De fait, ils pourraient relever « non seulement de la sphère religieuse (divination), mais aussi des activités ludiques (jeux de table, d’adresse) […], du commerce (comptabilité), de l’économie domestique (mémorisation des échanges) ou encore des pratiques politiques (tirages au sort, recensements, votes) » (Guichon, 2019 ; voir aussi K. Gruel et R. Guichon, in Poux et Demierre dir., 2015, p. 591-609). L’examen de ces objets et de leur contexte, dans le cadre des sanctuaires étudiés, ne permet cependant pas de valider l’une ou l’autre de ces hypothèses, non exclusives d’ailleurs.

2.2.2.4. De rares tablettes de défixion

170Enfin, une dernière catégorie d’objets que l’on a conçus dans le but de les adresser à une divinité correspond aux tablettes de défixion. Pratique magique répandue dans le monde romain, la defixio est un envoûtement qui consiste à faire appel à une divinité ou à un démon pour « fixer » ou « clouer » un être humain, c’est-à-dire pour lui ôter sa capacité d’agir afin de le soumettre à sa propre volonté. La victime doit alors être maudite au moyen d’une tablette, généralement en plomb, sur laquelle sont inscrites des formules magiques. Cet objet doit ensuite être jeté au fond d’un puits, dans une tombe ou encore déposé dans l’enceinte d’un sanctuaire, où on les retrouve mêlés à d’autres offrandes (Martin, 2010, p. 9-11 ; Koch, 2019, p. 96-101 et p. 105-106).

171Les lamelles de malédiction ne sont représentées que par de très rares exemplaires au sein des sanctuaires étudiés : ce type d’objets n’a été identifié avec vraisemblance qu’au sein de deux d’entre eux (fig. 124), localisés dans le chef-lieu de la cité des Aulerques Cénomans, au Mans (S.16) et dans sa périphérie proche, à Neuville-sur-Sarthe (S.18).

Figure 124 : Tablettes de défixion en plomb découvertes dans deux sanctuaires cénomans.

Figure 124 : Tablettes de défixion en plomb découvertes dans deux sanctuaires cénomans.

Réal. S. Bossard.

172Au sein du sanctuaire du Mans, la fouille des sédiments accumulés au fond d’un probable étang, alimenté par le ruisseau de l’Isaac et que l’on a aménagé vers le milieu du ier s. de n. è., a permis de recueillir une quantité particulièrement importante d’objets en plomb : parmi eux, figurent 71 feuilles, dont 25 sont pliées, 10 perforées et au moins 9 présentent des traces incisées qui s’apparentent aux lettres d’un alphabet inventé. Ces dernières, de dimensions et de formes variées, ont également été pliées ou enroulées, avant d’être manifestement immergées dans le bassin (Chevet et al., 2014, p. 137-138 et p. 143-145). Le contenu de la tablette découverte à Neuville-sur-Sarthe, dans les niveaux de démolition accumulés aux abords du temple principal, est également inconnu : les symboles, ici répartis sur cinq lignes et gravés sur un support de forme trapézoïdale, peuvent correspondre, du moins pour certains, à des lettres de l’alphabet latin, mais leur lecture demeure incertaine (Guillier dir., 2020, p. 164).

173On ignore donc quasiment tout des modalités des vraisemblables defixiones dont témoignent les lamelles métalliques du Mans et de Neuville-sur-Sarthe. Mises au jour au sein de contextes ayant livré d’autres types d’offrandes en grand nombre, à l’instar d’exemplaires connus dans d’autres lieux de culte des provinces du nord-ouest de l’empire romain (Koch, 2019, p. 105), elles ont pu avoir été exposées au sein du lieu de culte avant d’être volontairement enfouies ou immergées. Le jet probable de feuilles inscrites dans l’étendue d’eau du Mans n’est pas un geste spécifique à ce site, puisque l’ensemble des 130 tablettes de malédiction découvertes à Bath (Royaume-Uni) provient également d’un bassin captant la source d’eau chaude intégrée au sanctuaire de Minerve Sulis, déesse à laquelle sont adressées les formules magiques (Koch, 2019, p. 98-99).

174Qu’il s’agisse de figurines en terre cuite ou métalliques, d’ex-voto anatomiques, d’armes ou de hachettes miniatures, de rouelles, de jetons ou de tablettes de defixio, les objets conçus pour être déposés au sein d’un sanctuaire – ou bien dans un autre contexte où l’on a accompli un geste rituel (sépulture, dépôt d’objets) – n’apparaissent donc dans les lieux de culte étudiés, mais ce constat peut être élargi aux Trois Gaules, qu’à une date avancée du ier s. av. n. è., peut-être après la conquête césarienne, voire durant la période augustéenne (Bataille, 2011 ; Demierre et al., 2019, p. 331). Pour une grande partie d’entre eux, ils ont vraisemblablement été introduits au sein des aires sacrées en tant qu’offrandes par destination – mais d’autres hypothèses ont pu être émises pour plusieurs catégories de mobilier. Ils sont présents en quantité variable et sont parfois accumulés en grand nombre, traduisant alors, selon toute vraisemblance, de multiples actes individuels, dont le cadre nous échappe toutefois : ont-ils lieu au cours de cérémonies collectives, ou lors de visites quotidiennes ?

2.2.3. Les offrandes par transformation : des objets issus du quotidien

175Souvent plus abondant que les offrandes par destination, le mobilier produit et utilisé dans la sphère profane avant d’être introduit dans les sanctuaires est également varié. Ces objets sont généralement de petite taille et parfois fragmentaires, et il peut être difficile de les distinguer de ceux qui ont été perdus, à moins d’identifier des contextes de relégation spécifiques, des accumulations en grand nombre ou des traitements particuliers. Parmi ces offrandes par transformation, les monnaies, les objets de parure et les accessoires vestimentaires apparaissent fréquemment au sein des lieux de culte antiques, mais aussi dans certains lieux de rituels gaulois, tandis que les pièces d’armement proviennent essentiellement des sites laténiens ; les autres types de mobilier, tels que les outils, les objets de toilette ou de médecine, le matériel lié à l’écriture ou les instruments sonores, demeurent bien plus rares, à quelques exceptions près.

2.2.3.1. La stips, offrande monétaire

176Parmi les sanctuaires dont le mobilier est documenté, 127 sites (soit 75 %) ont livré au moins une monnaie de facture gauloise ou romaine (fig. 125). Les trois cinquièmes de ces lieux de culte ont été étudiés dans le cadre de fouilles archéologiques plus ou moins récentes, dont les contextes de découverte du mobilier ont été renseignés avec une précision relativement bonne (indice 2 ou 3), tandis que les autres ont avant tout fait l’objet de prospections pédestres ou d’explorations anciennes (indice 1). La quantité de monnaies mises au jour, lorsqu’elle a été chiffrée, varie d’une unique pièce – pour une douzaine de sites – à 4 683 monnaies à la Villeneuve-au-Châtelot (S.236), mais dans la majorité des cas, ce sont moins de 100 monnaies que les archéologues ont collectées sur chaque site. Les interventions menées sur 24 ont permis de recueillir entre 101 et 1 000 pièces et, sur 5 autres, entre 1 001 et 4 683 monnaies (fig. 126).

Figure 125 : Répartition et nombre de monnaies gauloises et romaines découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 125 : Répartition et nombre de monnaies gauloises et romaines découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

Figure 126 : Répartition des sanctuaires en fonction du nombre de monnaies qu’ils ont livrées, par classe.

Figure 126 : Répartition des sanctuaires en fonction du nombre de monnaies qu’ils ont livrées, par classe.

Réal. S. Bossard.

  • 40 Celles-ci ont été récemment mises en exergue par S. Estienne et O. de Cazanove (2009, p. 22-34), R. (...)

177Dans le monde romain, les monnaies, lorsqu’elles n’ont pas été simplement perdues dans l’enceinte des lieux de culte, ont pu avoir été déposées ou jetées dans le cadre de pratiques variées : en témoigne la lecture de plusieurs sources littéraires antiques40. Ainsi, Sénèque (Des Bienfaits, VII, 4, 6) indique qu’il faut distinguer l’offrande monétaire qui est déposée, généralement dans un tronc conçu à cet effet (le thesaurus), de celle qui est jetée. Dans le premier cas, les fonds collectés sont issus de l’accumulation d’un nombre relativement important de monnaies – offertes à titre individuel ou dans le cadre de quêtes collectives, éventuellement publiques, comme l’a proposé R. Golosetti (2019a, p. 122 et p. 146) – ; ils peuvent être réinvestis par les représentants de la communauté qui gère le lieu de culte pour l’achat d’un don à la divinité, de nature variable. Il peut alors s’agir d’objets liturgiques, telle une phiale d’argent destinée à Mercure, offerte ex stipe à Berthouville, ou bien de statues ou encore, à Nantes, d’un tribunal cum locis, construits en l’honneur de Vulcain (CIL XIII, 3183-26 et 3106). En sus des monnaies glissées dans la fente des thesauri (Varron, De la langue latine, V, 182 ; Sénèque, Lettres à Lucilius, 115, 5), généralement situés à proximité d’un temple (Estienne et Cazanove, 2009, p. 25-26 ; cf. infra), des stipes peuvent aussi être déposées dans la cella, à côté d’autres présents, sur une table d’offrandes (la mensa) placée devant la statue de la divinité (Macrobe, Saturnales, III, 11, 6). Aux dons des visiteurs, qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’un vœu ou non, peuvent aussi se joindre des monnaies versées au sanctuaire pour le paiement d’une taxe sacrificielle, c’est-à-dire pour le droit au sacrifice ; les gestionnaires d’un lieu de culte peuvent également percevoir une partie des amendes, prélever un droit sur l’entrée ou encore établir des « honoraires » pour rétribuer les oracles d’un dieu guérisseur (Malrieu, 2005, p. 102 ; Estienne et Cazanove, 2009, p. 26-28).

178Quant aux monnaies que l’on jette, selon un rite que les auteurs latins nomment « iactatio stipis », elles relèvent d’une pratique qui est généralement interprétée comme une forme d’accompagnement du votum, qu’elles soient lancées à l’intérieur d’un temple, aux pieds d’une statue divine (Lactance, Institutions divines, II, 2, 14 ; Tertullien, Apologétique, 42) ou dans l’eau, au passage d’un gué ou dans une source (Pline le Jeune, Lettres, VIII, 8 ; Besombes, 2015).

179En revanche, les pratiques pouvant expliquer la présence de numéraire au sein des sanctuaires gaulois n’ont pas été décrites par leurs contemporains. Au iie s. de n. è., Arrien écrit certes que certains Celtes font don à Artémis d’une offrande monétaire, dont la valeur dépend de l’animal qu’ils réussissent à chasser ; la masse collectée chaque année est alors destinée à financer l’achat d’une victime qui lui est sacrifiée (Arrien, Cynégétique, XXXIII ; Brunaux, 1987, p. 160). Il n’est toutefois pas certain que ses propos se rapportent à l’espace gaulois et aux temps qui ont précédé sa conquête par les légions césariennes.

180Pour réfléchir à l’importance accordée à l’offrande monétaire dans les sanctuaires, ainsi qu’aux gestes qui y ont été réalisés, il faut s’interroger sur le nombre de monnaies, parfois considérable, qui ont été conservées dans l’enceinte des lieux de culte et sur la part de celles qui ont au contraire disparu, notamment en vertu d’investissements destinés à la reconstruction ou à l’embellissement des équipements religieux. Il est aussi nécessaire d’identifier les structures ou les espaces des lieux de culte où se concentrent les monnaies, en distinguant les contextes de la fin de l’âge du Fer de ceux du Haut-Empire et de l’Antiquité tardive, et d’étudier les traitements subis par certaines pièces, en particulier les dégradations volontaires. Avant d’aborder ces points, il est cependant crucial d’évoquer la question de la chronologie des monnayages gaulois et romains représentés au sein des sanctuaires, ainsi que celle de leur valeur.

Des monnayages gaulois aux émissions romaines : quantification et chronologie du numéraire des sanctuaires

181Pour établir la chronologie des dépositions de numéraire au sein d’un lieu de culte, il est possible de s’appuyer sur la date d’émission des monnaies, mais cet exercice implique aussi de tenir compte de la durée de leur circulation et, bien sûr, de la datation de leur contexte de découverte. Si le premier point ne pose généralement pas de problème, du moins pour les frappes romaines, les deux aspects suivants sont souvent plus difficiles à appréhender.

182En effet, les données stratigraphiques d’une dizaine de sites, seulement, sont suffisamment précises pour évaluer le nombre de monnaies déposées au cours de chaque phase – mais leur identification n’a pas toujours été réalisée phase par phase. Le numéraire qui en est issu provient d’ailleurs en partie des niveaux de démolition ou d’autres contextes perturbés et ne peut alors, dans ce cas, être associé de manière assurée à l’une des étapes de la vie du sanctuaire. Dans d’autres cas, des lots de monnaies, concentrées au sol, dans des espaces spécifiques des aires sacrées, ou bien disposées dans un récipient qui a été enfoui dans leur enceinte (cf. infra), forment des ensembles plus cohérents, mais, s’ils sont issus d’un même contexte et donc d’une seule phase, ils ont toutefois pu avoir été constitués au cours d’une collecte longue de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

183Par ailleurs, le nombre d’années durant lesquelles une monnaie est restée en circulation avant d’avoir été introduite au sein du lieu de culte varie amplement en fonction des périodes et des émissions concernées. La datation de l’introduction des monnaies gauloises, qui ne disparaissent véritablement des stocks en circulation dans la Gaule interne qu’à partir du milieu du ier s. de n. è. (Martin, 2015, p. 252-267), pose par exemple question ; le problème est aussi le même pour les émissions d’époque romaine, dont la durée de circulation est affectée par plusieurs variables que l’on doit également prendre en considération. Si les travaux de F. Pilon, par exemple pour les monnaies de Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; in Guillier dir., 2020, p. 299), tiennent compte de différents paramètres (démonétisation de la dénomination, estimation de la date de circulation maximale déduite de l’étude de dépôts monétaires ou encore usure de la pièce) pour déterminer la « date [en réalité une période] estimative de perte » propre à chaque monnaie, ce type de démarche reste malheureusement peu appliqué et ne pourrait être envisagé que dans le cadre d’un réexamen complet du matériel issu des différents sites.

  • 41 Les bornes de ces dix périodes ont été déterminées en fonction des règnes des empereurs et de la ré (...)

184Comme l’a récemment rappelé R. Golosetti (2019a, p. 122), il faut donc garder en mémoire le fait que la date d’émission d’une monnaie ne fournit qu’un terminus post quem. Pour autant, l’analyse de la répartition chronologique des émissions constitue souvent le seul moyen d’apprécier l’évolution des dépositions. L’établissement d’un découpage chronologique commun à l’ensemble du territoire étudié permet alors de comparer le numéraire issu des différents sites et d’identifier des phénomènes récurrents à large échelle : en plus de deux ensembles regroupant les monnaies gauloises et celles de la République romaine, émises durant les deux ou trois siècles qui ont précédé le changement d’ère, ce sont dix périodes d’une durée plus ou moins équivalente, voisine d’un demi-siècle41, qui ont été retenues pour l’époque romaine impériale, entre 27 av. n. è. et 402 de n. è.

185Cette enquête, si on la restreint aux lieux de culte qui ont livré plus de 10 monnaies et aux inventaires suffisamment détaillés pour être exploités, peut s’appuyer sur l’étude du numéraire provenant de 58 sites, pour un total de 15 610 monnaies (Bossard, 2021, vol. I, p. 310-313, tabl. XVII). Avant de poursuivre, notons que la part des monnaies accidentellement perdues, qui n’ont donc aucun lien avec les activités religieuses des espaces sacrés, ne peut généralement pas être évaluée, d’autant plus qu’elle doit varier d’un site à l’autre ; il faut donc être conscient qu’une partie inestimable de ce numéraire ne correspond sans doute pas à des stipes. En tout état de cause, il existe des différences quantitatives notables entre les sites, qu’il convient d’analyser de manière plus détaillée, en distinguant d’abord les monnayages gaulois des émissions romaines.

Les monnayages gaulois

186Le numéraire gaulois, qui représente un quart du total des monnaies recensées sur les sites étudiés, provient de 43 sanctuaires fréquentés durant l’Antiquité (fig. 127 et infra, fig. 129 et 131) et pour lesquels des antécédents gaulois ont parfois – mais pas systématiquement – été reconnus (cf. infra, 4.1). S’y ajoutent les deux enclos laténiens de Saumeray (Eure-et-Loir), abandonnés avant la conquête romaine (Hamon et Lejars, 2002). La quantité de monnaies gauloises par site est très variable, s’échelonnant entre 1 et 1 887 pièces, pour une moyenne égale à 90 ; plus d’un tiers des sanctuaires (soit 17 sites) se caractérise cependant par la présence de moins de 10 monnaies gauloises et seulement 8 autres en ont livré plus de 100.

Figure 127 : Répartition des monnaies en fonction de leur chronologie.

Figure 127 : Répartition des monnaies en fonction de leur chronologie.

Réal. S. Bossard.

  • 42 Selon G. Aubin (in Menez dir., 2021, p. 261-262), la monnaie a pu avoir été réservée, sur la pénins (...)

187Contrairement aux émissions d’époque romaine, les repères chronologiques manquent pour dater avec précision la frappe ou le coulage de la plupart des monnaies gauloises, qui a pu débuter dès le iiie s. ou le iie s. av. n. è. pour certaines séries et s’achever à la fin du ier s. av. n. è. pour les ultimes productions. Ce problème concerne en particulier les monnayages fabriqués à la fin de l’âge du Fer sur la péninsule armoricaine et ses marges, soit dans la moitié occidentale de la zone géographique prise en considération, puisque les pièces issues de contextes archéologiques bien datés, que ce soit au sein des sanctuaires mais aussi des habitats ou des nécropoles, y sont très rares42 (Gruel et Morin, 1999, p. 30-33 ; Gruel, 2014).

188L’étude du faciès monétaire de plusieurs ensembles mis au jour en contexte de sanctuaire montre néanmoins, dans nombre de cas, qu’il s’agit de lots assez tardifs, datés du courant du ier s. av. n. è. et, pour certains, indubitablement postérieurs à la conquête de la Gaule interne. Ainsi, la présence de 25 bronzes en partie épigraphes à Évreux (S.56 ; Delestrée et Mantel, 2001), de même qu’à Panzoult (S.242 ; Troubady et al., 2019, p. 275), où ils sont mêlés à 1 631 potins à tête diabolique et, entre autres, à quelques pièces républicaines et augustéennes, renvoie à une circulation caractéristique de la seconde moitié du ier s. av. n. è. (La Tène D2b), datation également proposée pour 9 des 10 monnaies, issues de séries essentiellement locales ou régionales, découvertes à Hérouvillette (S.145 ; P.-M. Guihard, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 461-475). À Orléans (S.114), la présence majoritaire de bronzes frappés (70 % du lot de monnaies gauloises), probablement en grande partie émis sur le territoire carnute – tels les bronzes à l’aigle ou à l’aiglon ou ceux à la légende Pixtilos –, appuie également l’hypothèse d’un ensemble monétaire constitué, au plus tôt, dans les années 60 av. n. è., mais qui a pu rester en circulation jusqu’aux premières décennies du ier s. de n. è. (M. Troubady, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 126). Dans la moitié orientale du territoire étudié, l’identification de monnaies relevant de séries généralement datées de La Tène D1 (vers 150-80 av. n. è.), à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 20-35), à Brienon-sur-Armançon (S.202 ; P. Nouvel, in Labaune et al., 1999, p. 120), à Champlost (S.203 ; Coutand, 2008, p. 51) ou encore à Authevernes (S.253 ; Doyen et al., 2011) n’est pas nécessairement significative de dépositions débutant avant la conquête romaine, puisqu’elles y sont systématiquement associées à des frappes plus récentes, postérieures au milieu du ier s. av. n. è. Le constat est le même à Juvigné (S.36), plus à l’ouest : si la chronologie des séries en or et en argent attribuées aux Aulerques Diablintes et Cénomans demeure imprécise, les émissions datables (provenant du Centre-Est de la Gaule, de la vallée du Rhône et de la rive droite du Rhin) sont attribuées à La Tène D2a voire La Tène D2b, soit au plus tôt de la première moitié du ier s. av. n. è. (G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 29-30).

189Rares sont les contextes fiables qui démontrent que des monnaies ont été introduites dans les enclos à vocation rituelle du second âge du Fer avant la guerre des Gaules. À Bennecourt (S.254), ce sont 20 potins, appartenant à quatre types différents, qui ont été mis au jour dans les fossés de l’enclos de la phase 1. La céramique associée, abondante, ainsi qu’une trentaine de fibules et d’autres objets métalliques – parures et armes –, découverts dans les mêmes couches, sont tous attribués à La Tène C2 et D1 ; quant aux potins, leur émission débute également à la fin de La Tène C2 ou au début de LT D1, bien qu’ils soient parfois mis au jour au sein de contextes plus tardifs. De l’examen de ces divers objets résulte donc une attribution chronologique homogène, que l’on peut situer vers la fin du iie s. av. n. è. (Bourgeois dir., 1999, p. 31-35). Les petits enclos de Saumeray, auxquels ne succède aucune occupation romaine, ont également livré d’importants lots d’objets, tout aussi variés, piégés dans le remplissage de leurs fossés. Des deux enceintes de plan carré (I) et elliptique (II), proviennent respectivement un peu plus de 200 et 16 monnaies, découvertes aux côtés d’environ 6 000 et 300 tessons de céramique, datée de La Tène D1, et de 300 et 230 objets métalliques, relevant en grande partie d’armes attribuées à La Tène C2. Un examen rapide des monnaies, entrepris par K. Gruel, a révélé que le numéraire se compose principalement de potins, tandis que les monnaies d’or, d’argent et les bronzes frappés sont plus rares ; les deux lots pourraient être datés, à l’instar de la vaisselle en terre cuite, de La Tène D1 (vers 150-80 av. n. è. ; Hamon et Lejars, 2002, p. 117).

190Au cœur du sanctuaire de Juvigné (S.36, ph. 1), dans un niveau limoneux ayant piégé l’essentiel du mobilier gaulois – dont des tessons de céramique et des fragments d’épée, de fibules et de bracelets en verre –, la seule monnaie préromaine découverte est un statère d’argent relevant d’une série attribuée aux Diablintes, qui n’est pas datée avec précision ; le contexte des 115 autres monnaies gauloises du site n’est toutefois pas renseigné ou est postérieur à la fin du second âge du Fer ; on ne peut donc affirmer que le dépôt de numéraire était une pratique courante, sur ce site, avant le début de l’époque romaine. D’ailleurs, l’identification d’entailles sur une soixantaine de monnaies gauloises mais aussi romaines montre bien qu’un même traitement, sans doute appliqué à la même période, a concerné à la fois le numéraire laténien et celui du début du Haut-Empire (G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 31-32 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 50-51). Des observations similaires ont pu être réalisées à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), à Paule (S.134) ou encore à Mordelles (S.172) et indiquent bien qu’une part probablement importante des monnayages gaulois était encore en circulation au moment de la mutilation des espèces du début du Haut-Empire (cf. infra).

191En outre, l’examen de plusieurs contextes, mêlant numéraire de facture laténienne et romaine, plaide en faveur d’une introduction relativement tardive de certaines monnaies gauloises au sein des sanctuaires. À Bennecourt (S.254), site déjà évoqué, la majorité des 84 monnaies gauloises provient non pas de l’enclos laténien de la phase 1, mais de niveaux postérieurs, d’époque romaine. On ne peut certes exclure que certaines d’entre elles aient bien été introduites sur le site dès la première phase et qu’elles n’auraient été scellées que plus tardivement, à l’issue de perturbations liées aux travaux réalisés sur le site – 44 % des monnaies gauloises proviennent d’ailleurs des niveaux de démolition du sanctuaire d’époque romaine (M. Amandry et M. Dhénin, in Bourgeois dir., 1999, p. 72-77).

192À Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 2-5 ; Guillier dir., 2020, p. 56-57) comme à Vannes (S.278, ph. 3 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 1, p. 27-34), la majorité des pièces gauloises – respectivement 20 sur 38 (53 %) et 21 sur 24 (88 %) – a été découverte dans des niveaux de sol formés, sur le premier site, à partir de l’époque augustéenne et, sur le second, au plus tôt dans les années 10 de n. è. ; elles y sont mêlées à un abondant mobilier du Haut-Empire.

  • 43 Information aimablement communiquée par M. Troubady, numismate en charge de l’étude (Umr 5060 Irama (...)

193De même, les fouilles entreprises à Amboise (S.237, ph. 1) ont montré que l’essentiel de la centaine de monnaies gauloises recensée est issu d’un niveau argileux riche, entre autres, en tessons de céramique de la période augustéenne, voire du deuxième tiers du ier s. av. n. è.). En ce qui concerne le matériel monétaire, à plus de 112 potins à tête diabolique, s’ajoutent quelques bronzes frappés et 6 pièces d’époque romaine – 4 as de Nîmes et 2 monnaies à l’autel de Lyon, l’ensemble ayant été émis sous le règne d’Auguste et, pour les plus récentes, entre 10 et 14 de n. è.43. L’accumulation de monnaies gauloises en grand nombre s’est donc vraisemblablement achevée au début du ier s. de n. è., mais elle a pu débuter, tout au plus, quelques années ou quelques décennies auparavant. Bien que les potins à tête diabolique aient pu avoir été produits avant le milieu du iie s. av. n. è. (Troubady et al., 2019, p. 275), aucun autre indice ne confirme que le sanctuaire a été fréquenté avant la guerre des Gaules.

194Enfin, au Mans (S.16, ph. 1), il faut aussi probablement dater les premiers jets de monnaies, réalisés dans un ruisseau qui sera intégré à un sanctuaire enclos durant le Haut-Empire, des années contemporaines de la conquête césarienne, voire de la seconde moitié ou de la fin du ier s. av. n. è. En effet, parmi les 50 monnaies recueillies, 20 monnaies gauloises sont associées – aux côtés d’autres espèces sans doute intrusives car plus tardives – à 3 pièces républicaines et à 7 augustéennes (Chevet et al., 2014, p. 134).

195Un examen rapide des métaux entrant dans la composition des monnaies gauloises issues des sanctuaires ayant livré au moins 10 objets de ce type (fig. 128) révèle d’importantes disparités, d’un site à l’autre, que l’on peut imputer avant tout à l’état de la circulation monétaire propre à chaque région, à la fin de l’âge du Fer et au début du Haut-Empire.

Figure 128 : Répartition, nombre et composition métallique des monnaies gauloises découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 128 : Répartition, nombre et composition métallique des monnaies gauloises découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

  • 44 Il s’agit notamment de « petits billons armoricains », nombreux dans les contextes de la seconde mo (...)

196D’une manière générale, l’or allié est peu présent dans les lieux de culte et les monnaies produites à partir de ce métal, de provenance locale ou régionale, sont systématiquement minoritaires – tout au plus 20 % –, que ce soit dans le Massif armoricain ou dans le quart oriental du territoire étudié. Tandis que les monnaies à base d’argent sont relativement fréquentes dans la moitié occidentale de l’aire géographique étudiée, souvent sous forme de billons44, les bronzes frappés et les potins sont davantage présents dans sa partie centrale et dans sa moitié orientale. Quant aux potins, monnaies coulées de faible valeur, ils sont largement majoritaires, pour ceux dits « à tête diabolique », dans les territoires proches de la moyenne vallée de la Loire au cours de La Tène finale et de l’époque augustéenne (Barthélémy, 1995). Plus à l’est, coexistent d’autres séries de potins, souvent minoritaires par rapport aux monnaies frappées et dont l’aire de circulation est plus ou moins étendue (Bossard, 2021, vol. I, p. 317, tabl. XVIII).

197Les séries monétaires représentées se rapportent en grande partie à des productions locales ou régionales, systématiquement dominantes au sein des lots étudiés, comme l’illustrent de nombreux exemples. Ainsi, à Orléans (S.114), plus de quatre monnaies gauloises sur cinq, parmi celles qui ont pu être identifiées, sont des émissions locales, attribuées aux Carnutes, alors qu’à Meaux, 72 % du numéraire gaulois a vraisemblablement été émis en territoire melde, en grande partie après la conquête césarienne pour les séries à la légende Roveca ou Epenos (M. Troubady, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 129 ; Dhénin, 1998 ; Drouhot, 1998). Les monnaies du sanctuaire de Bennecourt (S.254) correspondent à des productions variées, dont les quatre cinquièmes sont locales ou régionales : quatre types de potins, dont la circulation est concentrée autour de la vallée de la Seine ou sur sa rive droite, sont complétés par des émissions attribuées aux Aulerques Éburovices, aux Ambiens, aux Véliocasses ou encore aux Lexoviens. En revanche, bien plus rares sont les monnaies de provenance plus lointaine, émises sur les territoires des Sénons, à Marseille et en Bretagne insulaire (M. Amandry et M. Dhénin, in Bourgeois dir., 1999, p. 72-77). Par ailleurs, tandis qu’à Évreux (S.56), 17 des 25 monnaies (67 %) ont sans doute été produites sur le territoire même des Aulerques Éburovices, ces monnayages sont représentés à hauteur de 70 %, soit une part similaire, au sein du numéraire laténien (154 pièces) du lieu de culte de Cracouville, au Vieil-Évreux (S.78), distant de moins de 5 km ; dans les deux cas, les autres monnaies proviennent avant tout des territoires voisins des Carnutes et des Véliocasses (Scheers, 1981 ; Delestrée et Mantel, 2001). Toujours en Normandie, le faciès monétaire du lot provenant d’Aunou-sur-Orne (S.195), composé en grande partie de drachmes « à la tête de Pallas » et de statères attribués aux Diablintes, témoigne quant à lui de liens forts avec les territoires voisins des Aulerques (Gruel et al., 2011).

  • 45 Cf. aussi Colbert de Beaulieu, 1973, p. 238, au sujet de la circulation généralisée des monnayages, (...)

198À ces productions circulant dans la région du sanctuaire, et parfois même sur un territoire très peu étendu, s’ajoute très fréquemment une faible part de numéraire produit à plus grande distance. Si 65 % des 116 monnaies gauloises de Juvigné (S.36) sont vraisemblablement d’origine régionale ou même locale (statères attribués aux Aulerques Diablintes ou Cénomans, petites monnaies à la tête de Pallas, potins à tête diabolique), 26 % du lot correspondent à des monnaies d’argent « étrangères », issues des territoires des Bituriges, des Éduens, des Séquanes, de la vallée du Rhône et de la rive droite du Rhin (G. Aubin, J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 29-30). Parmi les 38 monnaies gauloises de Neuville-sur-Sarthe (S.18), la présence d’un bronze d’Ampurias, émis sur la côte catalane durant la seconde moitié du ier s. av. n. è., est remarquable, bien que la plus grande part du lot corresponde à des potins à tête diabolique et à quelques bronzes frappés régionaux, auxquels s’ajoutent de rares quinaires séquanes ou éduens (F. Pilon, in Guillier dir., 2020, p. 281-301). De même, au sein du matériel monétaire d’Allonnes (la Forêterie, S.9), K. Gruel a identifié plusieurs oboles de Marseille, ou encore des drachmes de Rhode et leurs imitations, qui confèrent au lot un caractère original, tandis que la majorité (69 %) des 530 monnaies correspond à des potins à tête diabolique et à des monnaies d’argent à la tête casquée et au carnyx, attribuées aux Aulerques Cénomans ; cet ensemble particulièrement important de monnaies gauloises comprend aussi d’autres pièces étrangères, issues des territoires des Voconces, des Allobroges, des Éduens, des Séquanes, des Ségusiaves, des Lémovices, des Pictons et des Bituriges Cubes. K. Gruel a émis l’hypothèse, pour une partie de ces dernières, d’espèces véhiculées par des militaires issus de troupes auxiliaires romaines, durant la seconde moitié du ier s. av. n. è., ou encore d’offrandes faites par des étrangers, voire de monnaies introduites dans le sanctuaire – qui pourrait alors faire office de lieu de change, placé sous la protection du dieu – pour obtenir leur équivalent dans des séries locales ou romaines45 (in Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 304 ; Gruel, 2012, p. 23-24). Quoi qu’il en soit, ces monnaies « étrangères » sont assez peu nombreuses et le numéraire des sanctuaires reflète bien, dans l’ensemble, une circulation avant tout locale ou régionale, témoignant d’une fréquentation à l’échelle d’un territoire d’emprise relativement limitée, bien que difficile à cerner avec précision, et qui pouvait inclure le passage de quelques voyageurs.

199Au terme de ces quelques réflexions, il ressort qu’encore peu de contextes préromains ont livré du numéraire gaulois, comme l’a aussi noté S. Izri pour le centre-est de la Gaule (Izri, 2011, p. 648). Néanmoins, sa présence est bien attestée, avec d’autres catégories de mobilier relevant de pratiques rituelles, à Bennecourt et à Saumeray durant la seconde moitié du iie s. ou les premières décennies du ier s. av. n. è. Du reste, les niveaux laténiens de la plupart des sanctuaires sont encore peu documentés et, dans de multiples cas, il est impossible de faire la part entre les espèces gauloises qui ont été introduites dès la fin de l’âge du Fer et celles dont la déposition est plus tardive, car datée du début du Haut-Empire. De nombreux exemples montrent toutefois qu’une grande part du numéraire gaulois a vraisemblablement été offerte aux dieux, dans les sanctuaires, après la conquête césarienne, au plus tôt dans les décennies qui l’ont suivi – mais les jalons chronologiques disponibles restent peu précis –, et surtout durant le règne d’Auguste et de ses successeurs, au moins jusqu’au second quart du ier s. de n. è.

200On ne saurait alors affirmer qu’un sanctuaire est fréquenté durant le second âge du Fer – et surtout avant la guerre des Gaules – à partir de la seule présence de monnaies de facture laténienne, puisqu’il est certain que ces dernières sont restées en circulation et qu’elles ont continué d’être déposées dans les sanctuaires tout au long des premières décennies du Haut-Empire. D’ailleurs, dans certains lieux de culte du début de l’époque romaine, tels ceux d’Allonnes (S.9 : 530 monnaies gauloises), d’Orléans (S.114 : 220) ou encore d’Amboise (S.237 : 129), le nombre important de monnaies gauloises données aux dieux, alors que le numéraire d’époque augustéenne y est bien moins représenté (respectivement 43, 41 et 7 pièces), laisse penser que leurs visiteurs avaient peut-être l’intention d’écouler des pièces que l’on devait retirer de la circulation monétaire, au moment où de nouvelles espèces, de facture romaine, commençaient à les remplacer.

Les monnaies de la République romaine

201Bien moins abondant au sein des lieux de culte du secteur considéré, le numéraire romain de la période républicaine, émis avant 27 av. n. è., ne représente que 3 % des monnaies inventoriées et n’apparaît qu’au sein de 31 des 58 sites retenus pour étude (soit 53 %). De surcroît, pour 26 d’entre eux, seulement moins de 10 monnaies républicaines ont été identifiées et, pour les autres, ce sont entre 11 et 69 monnaies qui se rapportent à cette période – si l’on excepte les 263 pièces dénombrées à La Villeneuve-au-Châtelot, au sein du lot qui est certes le plus important. En moyenne, ce ne sont que 16 monnaies républicaines qui ont été découvertes par sanctuaire. Circulant de manière marginale en Gaule jusqu’à la toute fin du ier s. av. n. è. (Meissonnier et Popovitch, 1993 ; Martin, 2015, p. 41-48 et p. 146-158), les espèces républicaines d’argent ou de bronze, quelle que soit leur date d’émission, sont généralement nombreuses au sein de sanctuaires qui ont également livré une importante quantité de numéraire augustéen, mais aussi gaulois. Leur aspect globalement usé a quelquefois été relevé, tel qu’à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 39) ou à Quimper (S.176 ; P. Abollivier, in Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 636), et il faut sans doute considérer qu’elles ont été introduites au sein des espaces cultuels, au plus tôt, autour du changement d’ère, à l’instar d’une partie des monnayages gaulois. À Juvigné (S.36), la présence d’entailles et d’une contremarque particulière sur plusieurs deniers, quinaires et as républicains, comme sur des monnaies gauloises et d’autres émises entre les règnes d’Auguste et de Claude, permet d’ailleurs de supposer que certaines espèces frappées avant le début du Haut-Empire ont même circulé, à tout le moins, jusqu’au milieu du ier s. de n. è. (G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 30-32 ; cf. infra).

Le numéraire du Haut-Empire et de l’Antiquité tardive

202Si les monnaies produites au cours de l’époque impériale sont plus fréquemment découvertes au sein des sanctuaires, leur quantité et leur répartition chronologique sont très variables. Les monnaies émises entre 27 av. n. è. et 253 de n. è. (année arbitrairement retenue pour marquer la fin du Haut-Empire et le début de l’Antiquité tardive) représentent 29 % du numéraire issu des lieux de culte considérés et elles ont été découvertes dans la quasi-totalité d’entre eux (56 sites, soit 97 %), à raison de 1 à 1 779 pièces par site, pour une moyenne égale à 79 et une médiane inférieure à 20. Quant aux 49 sites (84 % du total) qui ont livré des monnaies de l’Antiquité tardive – ici limitée à la période comprise entre 253 et 402 de n. è. –, les interventions qui y ont été menées ont permis de collecter 40 % du total du numéraire considéré, pour un nombre de monnaies par site oscillant entre 1 et 1 612, et une moyenne égale à 126. La distribution chronologique des monnaies, par date d’émission, au sein des six périodes retenues ici pour le Haut-Empire et des quatre autres pour l’Antiquité tardive (Bossard, 2021, vol. I, p. 310-313, tabl. XVII) révèle des évolutions très diverses d’un site à l’autre, qui dépendent à la fois des dates de fondation et d’abandon des lieux de culte, de leur fréquentation, de l’importance accordée à l’offrande monétaire, du nettoyage des aires sacrées, mais aussi des circonstances de la découverte et de l’étude archéologique. Pour autant, l’examen de la répartition chronologique des monnaies d’époque impériale fait ressortir plusieurs constantes qui méritent d’être considérées avec attention.

203Un premier pic témoigne d’un apport relativement massif de numéraire au cours de la période augustéenne, pour une quinzaine de sanctuaires qui ont livré une ou plusieurs dizaines de monnaies émises entre 27 av. n. è. et 14 de n. è. – et même 1 550 à La Villeneuve-au-Châtelot (fig. 129). Si cette importante quantité de numéraire augustéen s’accompagne souvent d’un grand nombre de monnaies gauloises et parfois républicaines (cf. supra), notamment à Neuville-sur-Sarthe (S.18), Juvigné (S.36), Brienon-sur-Armançon (S.202), La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) et à Vannes (S.279), dans d’autres cas, tel que ce phénomène a pu être observé à Quimper (S.176), Montbouy (S.217 ; cf. infra, fig. 141) ou Pouillé (S.243), les émissions antérieures au début du principat d’Auguste sont au contraire rares. Dans le premier cas, il est possible que les dépositions de monnaies aient débuté plus précocement, au plus tard durant la seconde moitié du ier s. av. n. è. et notamment durant la première partie du règne d’Auguste, avant que ne pénètrent dans les Trois Gaules les premières grandes frappes de bronze des ateliers de Lyon et de Nîmes, entre autres, dont la diffusion est restée discrète avant le changement d’ère et même, dans les contextes civils, avant le début du règne de Tibère (14-37 de n. è. ; Besombes et Barrandon, 2001, p. 310-311 ; Martin, 2015, p. 185). Toutefois, et nous avons déjà insisté sur ce point, les monnayages gaulois continuent d’être utilisés dans la circulation courante durant les premières décennies du ier s. de n. è. et ils ont donc pu avoir été aussi introduits au sein des lieux de culte en parallèle des séries émises et diffusées au début du Haut-Empire, sous contrôle romain.

Figure 129 : Répartition des monnaies de plusieurs sanctuaires fréquentés dès le second âge du Fer ou le début du Haut-Empire, en fonction de leur date d’émission.

Figure 129 : Répartition des monnaies de plusieurs sanctuaires fréquentés dès le second âge du Fer ou le début du Haut-Empire, en fonction de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard.

204D’une manière générale, les phases suivantes du Haut-Empire, du règne de Tibère à celui de Commode (soit de 14 à 192), se caractérisent par une quantité moindre de monnaies et même, pour la majorité des sites, par leur rareté (fig. 129). Le numéraire émis jusqu’à la fin du règne de Claude, en 54, reste relativement abondant à Oisseau-le-Petit (S.20 : 18 monnaies), à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138 : 9), à Paule (S.172 : 12) et à Brienon-sur-Armançon (S.202 : 38), tandis qu’il est largement sous-représenté au cours des phases suivantes. Au contraire, il se raréfie dès les règnes de Tibère et de Caligula (14-41) à Juvigné (S.36) et à Mordelles (S.189) ou, dans une moindre mesure, à Pouillé (S.243). En outre, les lieux de culte ayant livré des monnaies du iie s. en quantité remarquable sont également rares ; on observe une diminution progressive de numéraire aux lieux de culte du Mans (S.16 : 130 monnaies), de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 : 85), d’Allonnes (la Forêterie, S.9 : 57), et de Neuville-sur-Sarthe (S.18 : 43), alors que les courbes sont plus irrégulières à Genainville (S.260 : 222), à Jouars-Pontchartrain (S.127 : 64), à Brienon-sur-Armançon (S.202 : 28) ou à Orléans (S.114 : 29).

205Comment expliquer cette baisse progressive ou plus soudaine d’approvisionnement en numéraire des sanctuaires, qui intervient souvent à partir du second ou du dernier tiers du ier s., ou plus tardivement, dans le courant du iie s. ? La faible quantité de monnaies qui caractérise la plupart des lieux de culte après l’époque augustéenne peut être interprétée de deux manières : soit par une diminution réelle des offrandes monétaires, liée à une évolution des pratiques rituelles ou à une baisse de la fréquentation du site, soit par l’adoption d’une nouvelle politique de gestion des biens du sanctuaire – par un nettoyage plus fréquent des aires sacrées ou par le réinvestissement des sommes collectées pour assurer l’entretien, l’embellissement ou la reconstruction des équipements religieux, voire pour l’achat d’offrandes d’un autre type. Il faut sans doute envisager que les mutations que l’on observe, qui ne se limitent d’ailleurs pas au seul numéraire, sont la conséquence de facteurs multiples, mais en aucun cas d’une réduction de l’activité du site (cf. infra, 2.3.2.2). Quant aux sanctuaires pour lesquels la quantité de numéraire du iie s. ne connaît pas de baisse significative, il est aussi possible d’invoquer diverses causes : à de probables pertes plus ou moins régulières s’ajoutent, au Mans (S.16) et à Jouars-Pontchartrain (S.127), le fait qu’une partie des monnaies a été jetée et n’était pas destinée à être récupérée, sur les berges d’un probable étang et sur le sol limoneux d’une cella dans le premier cas, et autour d’un monument sculpté installé dans un enclos dans le second (cf. infra). Par ailleurs, sur ce dernier site, la répartition spatiale des espèces du iie s., comme pour celles du dernier tiers du ier s., est très similaire à celle des monnaies plus tardives, de la fin du iiie s. et du ive s., notamment autour de l’édicule sculpté (fig. 130 ; Blin, 2000, p. 109-111). Il est alors possible que les monnaies émises au iie s., voire dès la fin du ier s., dont la durée de circulation a souvent été longue (cf. infra), aient été introduites plus tardivement, par exemple dans le courant du iiie s., à une période où les offrandes monétaires sont de nouveau plus abondantes – ou du moins ne sont pas évacuées des lieux de culte. La même hypothèse pourrait aussi être émise à Saclas (S.221), à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) ou encore à Genainville (S.260), où le numéraire de l’Antiquité tardive est également très bien représenté, mais la localisation des monnaies n’est pas connue avec suffisamment de précision pour ces trois autres exemples.

Figure 130 : Répartition spatiale des monnaies découvertes lors de la fouille du sanctuaire de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines), en fonction de leur date d’émission.

Figure 130 : Répartition spatiale des monnaies découvertes lors de la fouille du sanctuaire de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines), en fonction de leur date d’émission.

In Blin, 2000, p. 108-111, fig. 11.

206Le numéraire frappé au cours de la période suivante, comprise entre l’avènement de la dynastie des Sévères et les règnes conjoints de l’empereur Valérien et de son fils Gallien (soit de 192 à 253), est invariablement absent des lieux de culte : seulement 2 ou 3 monnaies de cette phase, tout au plus – à l’exception notable des 23 pièces inventoriées à Genainville (S.260) – ont été dénombrées pour chaque site. Si certains auteurs y ont vu l’indice du déclin de l’activité voire de l’abandon temporaire de certains sanctuaires, à Baron-sur-Odon (S.280 ; Bertin, 1977, p. 81 et p. 84), à Douarnenez (S.170 ; Clément, 1979, p. 24) ou à Orléans (S.114 ; Verneau, 2014, p. 101), il est aujourd’hui admis que cette absence n’est pas spécifique aux édifices religieux et qu’elle traduit, hors d’Italie et en particulier dans l’ouest des Gaules, des difficultés d’approvisionnement en numéraire frais. Le stock monétaire préexistant, émis dans le courant du iie s., continue alors d’être utilisé pour pallier le manque de nouvelles espèces (Doyen, 2007, p. 198-199 ; Aubin et al., 2014, p. 227).

207Durant l’Antiquité tardive, les lieux de culte dont l’activité perdure ont livré une quantité variable de numéraire. Pour nombre de sanctuaires, il est toutefois difficile de distinguer la part de monnaies qui correspond à d’ultimes dons aux divinités de ce qui a pu avoir été perdu lors du développement d’activités profanes succédant à leur abandon, notamment dans le cadre des chantiers de démolition mis en œuvre pour démanteler les sanctuaires les plus monumentaux, mais aussi au cours de réoccupations ponctuelles ou plus durables des sites (cf. infra, 6.1.1.2 et 6.4.1). À partir du milieu du iiie s., l’accroissement considérable du nombre de monnaies, par rapport au siècle précédent, est néanmoins particulièrement marqué pour 13 lieux de culte, d’où proviennent plus de 100 monnaies tardo-antiques (émises entre 253 et 402) – de 138 à Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, S.204) à 1 612 à Saclas (S.221) –, auxquels on peut également associer 6 autres sanctuaires moins riches en numéraire – de 44 pièces à Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6) à 79 à Macé (S.196) [fig. 131]. Le nombre de monnaies émises après 253 est d’ailleurs supérieur à la quantité de numéraire attribué au Haut-Empire pour 26 lieux de culte, soit près de la moitié des sites étudiés.

Figure 131 : Répartition des monnaies de plusieurs sanctuaires fréquentés au cours de l’Antiquité tardive, en fonction de leur date d’émission.

Figure 131 : Répartition des monnaies de plusieurs sanctuaires fréquentés au cours de l’Antiquité tardive, en fonction de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard.

208La concentration de plusieurs dizaines, voire centaines de monnaies tardo-antiques, a fortiori lorsqu’elles ont été mises au jour au sein ou aux abords de temples, d’édicules ou de bassins (cf. infra), montre bien que la stips reste une pratique courante dans de nombreux sanctuaires entre la seconde moitié du iiie s. et le terme du ive s. Pour autant, l’examen des diagrammes révèle des rythmes et des pics d’intensité différents d’un cas à l’autre, peut-être révélateurs d’une fréquentation plus ou moins importante ou, sur certains sites, de collectes partielles des monnaies. Ainsi, dans plusieurs lieux de culte, la présence d’antoniniens produits dans les ateliers officiels du monde romain (à partir du règne conjoint de Gallien, dès 253) et de l’empire gaulois (entre 260 et 274) pourrait indiquer que la déposition de monnaies s’intensifie – ou se poursuit sans changement d’ampleur, si l’on considère que les monnaies antérieures ont été jusqu’alors récupérées pour alimenter les caisses du sanctuaire ? – dès le troisième ou le dernier quart du iiie s. de n. è. Ce sont ainsi 59 monnaies produites entre 253 et 274 qui ont été identifiées à Saclas (S.221), tandis qu’elles sont au nombre de 43 à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) et de 72 au mithraeum d’Angers (S.2).

209Cependant, pour la majorité des sites, l’accroissement du nombre de monnaies est surtout perceptible avec l’arrivée massive d’imitations radiées, diffusées à partir du dernier quart du iiie s. et qui pourraient « faire le lien entre la fin de l’empire gallo-romain et le début de l’Empire constantinien (306-337) » (Aubin et al., 2014, p. 230). Qu’elles reproduisent des monnaies de Rome (notamment le type divo Claudio) ou qu’elles soient à l’effigie des empereurs gaulois (Postume, Victorin, Tetricus et son fils), elles sont fabriquées en grand nombre après 274 et, probablement, jusqu’à la toute fin du iiie s. ou les premières années du ive s., au sein d’officines régionales. Ces monnaies de nécessité assurent l’alimentation des territoires gaulois, alors dépourvus de numéraire nouveau et sont encore largement présentes, en Gaule du Nord, dans de nombreux contextes du courant du ive s. (Doyen, 2007, p. 297 et p. 378 ; Chameroy, 2013, p. 79 ; Aubin et al., 2014, p. 230). La distinction entre les frappes officielles, émises avant 274, et ces imitations de médiocre qualité, fabriquées durant le dernier quart du iiie s., n’a pas toujours été signalée dans les inventaires les plus anciens ; pour 14 sanctuaires, on ne peut donc dissocier le numéraire produit au cours du troisième et du dernier quart du iiie s. En revanche, pour une dizaine de sites, en particulier ceux de Saclas (360 monnaies) et de La Villeneuve-au-Châtelot (118), déjà évoqués, mais aussi à Bennecourt (S.254 : 95 monnaies), à Allonnes (la Forêterie, S.9 : 68) et à Orléans (S.114 : 62), la part relativement importante d’imitations d’antoniniens témoigne bien d’un approvisionnement considérable du site en numéraire au plus tôt durant le dernier quart du iiie s.

210La période constantinienne antérieure à la réforme monétaire de Constance II (307-348) est également bien représentée dans la plupart des lieux de culte pourvus de monnaies tardo-antiques ; elle marque d’ailleurs un pic dans la courbe du numéraire de Meaux (S.158 : 296 monnaies), de La Londe (S.86 : 154), d’Angers (S.2 : 45), de Macé (S.196 : 25) ou encore de Chênehutte-lès-Tuffeaux (S.6 : 22), tandis qu’elle reste particulièrement importante pour nombre d’autres sites, tels ceux de La Villeneuve-au-Châtelot (303), de Saclas (201) ou d’Oissel (S.266 : 72).

211Enfin, la distribution chronologique des monnaies émises après le milieu du ive s., pour les deux dernières périodes définies (348-378 et 378-402), témoigne de trajectoires variables, sans doute liées l’abandon progressif des derniers sites encore en activité (cf. infra, 6.2.2.2). Alors que la part de numéraire rattachée au troisième quart du ive s., représentée par les émissions postérieures à la réforme de Constance II et notamment de la dynastie valentinienne, décroît pour une vingtaine de sites et devient même nulle pour neuf autres, elle est au contraire supérieure à Saclas (avec un nombre considérable de 799 monnaies) et encore particulièrement élevée à Angers (196), Meaux (175), La Villeneuve-au-Châtelot (137), Bennecourt (90) et Jouars-Pontchartrain (72). Le portrait des derniers Valentiniens et des membres de la famille théodosienne a, quant à lui, été identifié sur les monnaies provenant de 18 lieux de culte. On ignore toutefois, dans la plupart des cas, s’ils sont encore fréquentés dans le cadre d’activités religieuses ou s’il s’agit de bâtiments en ruine, ponctuellement visités. Seuls cinq sites, dont les mithraea d’Angers (51) et de Septeuil (72), ainsi que les sanctuaires de Jouars-Pontchartrain (plus de 28), La Villeneuve-au-Châtelot (25) et Saclas (23), ont livré plus de 10 monnaies émises après 378, soit une quantité relativement élevée, qui semble témoigner de derniers gestes d’offrande, puisque le numéraire postérieur au terme du ive s. y est systématiquement absent. En revanche, la présence anecdotique d’une ou de quelques monnaies, relevée pour 13 autres sites, est plus difficile à interpréter, la probabilité qu’elles aient été accidentellement perdues étant plus élevée.

  • 46 Une telle abondance de numéraire a aussi été observée pour d’autres mithraea des provinces nord-occ (...)
  • 47 Elles sont tout de même relativement nombreuses par rapport aux autres sanctuaires étudiés ; ici co (...)

212Quelles sont les causes de la relative abondance du numéraire de l’Antiquité tardive au sein – de l’ensemble ? – des lieux de culte encore en activité après le milieu du iiie s. ? Comme l’a récemment rappelé R. Golosetti, on ne peut malheureusement pas déterminer si l’augmentation plus ou moins soudaine du nombre de monnaies, à partir du troisième ou du dernier quart du iiie s., ou sinon de la première moitié du ive s., témoigne d’un regain d’activité, du développement de la pratique de la stips ou plutôt de l’arrêt de la récupération systématique du numéraire déposé (Golosetti, 2019a, p. 157 ; cf. aussi Doyen, 2014, p. 144 ; Hostein et al., 2014, p. 201). L’absence de nettoyage des aires sacrées pourrait alors être significative d’un « ralentissement ou une interruption de l’entretien du sanctuaire et de la gestion des offrandes » (Aubin et al., 2014, p. 225). En tout état de cause, il ne fait pas de doute que l’offrande monétaire connaît un réel succès à la fin du iiie s. et surtout dans le courant du ive s., notamment dans les mithraea où le numéraire est singulièrement abondant46 – 711 monnaies à Angers (S.2) et 1 311 à Septeuil (S.122), en grande majorité émises après le milieu du iiie s. Néanmoins, comme l’ont rappelé J.-M. Doyen (2014, p. 144) et R. Golosetti (2019a, p. 155), il est nécessaire de nuancer l’intensité de ce phénomène en tenant compte de l’état général de la circulation monétaire dans les Gaules, que l’on peut par exemple appréhender à travers l’étude du numéraire de l’Antiquité tardive découvert en contexte d’agglomération. Une mise en parallèle stimulante peut être effectuée ici entre le diagramme obtenu pour le sanctuaire de Jouars-Pontchartrain et les données monétaires disponibles pour l’agglomération secondaire associée (Blin et al., 2001, p. 86, tabl. 1 et graph. 1). La comparaison entre les deux séries (fig. 132) montre clairement que la distribution chronologique des monnaies du lieu de culte est en tout point similaire à celle du numéraire issu des autres quartiers de l’habitat groupé. Les rares discordances concernent, pour la période antérieure à l’Antiquité tardive, les émissions du iie s., moins fréquentes au sein du sanctuaire qu’en contexte profane47, ainsi que la phase 307-348, mieux représentée dans le sanctuaire qu’à l’extérieur de ce dernier – et témoin d’une fréquentation particulièrement intense ? En revanche, l’importante quantité de numéraire produit entre 348 et 378 n’est pas un trait spécifique au lieu de culte, puisqu’il s’observe également dans le reste de l’agglomération, tandis que la baisse que l’on perçoit pour les émissions du dernier quart du ive s., au contraire abondante dans les autres secteurs de l’habitat, semble bien marquer un déclin des activités religieuses.

Figure 132 : Répartition des monnaies du lieu de culte de la Ferme d’Ithe et des autres quartiers fouillés au sein de l’agglomération secondaire de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines), en fonction de leur date d’émission.

Figure 132 : Répartition des monnaies du lieu de culte de la Ferme d’Ithe et des autres quartiers fouillés au sein de l’agglomération secondaire de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines), en fonction de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard, d’après Blin et al., 2001, p. 86.

La valeur des monnaies des sanctuaires

213D’un point de vue général, plusieurs auteurs ont souligné le fait que les monnaies que l’on met au jour dans les sanctuaires des Gaules romaines correspondent généralement à de petites dénominations, reflétant la circulation monétaire quotidienne, alors que les espèces à plus forte valeur sont rares, voire absentes (Meissonnier, 2000, p. 567-568 ; Popovitch, 2012, p. 33 ; Golosetti, 2019a, p. 153-154). Ce constat est aussi tout à fait valable pour les lieux de culte du centre et de l’ouest de la Lyonnaise, et ce pour différents types de contextes datés du Haut-Empire ou de l’Antiquité tardive (tabl. V).

Tableau V : Composition métallique du numéraire gaulois et dénominations antiques de bronze et d’argent de six lieux de culte.

  La Villeneuve-au-Châtelot (S.237) Juvigné (S.36) Évreux (S.56) Orléans (S.114) Montbouy (S.217) Authevernes (S.253)
Gauloises 1851 90 25 99 3 27
Or allié 32 9 - - - -
Argent/billon 93 69 - 2 - -
Bronze frappé 1028 0 25 72 3 17
Potin 698 12 - 25 - 10
République 263 68 6 20 12 2
Denier 114 31 1 - - -
Quinaire 143 30 - - - -
Dupondius - - 1 - - -
As 6 7 4 20 12 -
1/2 as - - - - - 2
             
Haut-Empire 1663 133 11 101 136 20
Denier 54 15 - - - -
Sesterce 28 7 2 8 1 3
Dupondius 541 28 - 11 31 2
Dupondius ou as ? - 9 - - 2 -
As 891 73 8 70 63 13
Semis 74 1 - 10 7 -
Quadrans 75 0 1 2 32 -
             
Antiquité tardive ND 3 5 164 0 0
Antoninien - 1 5 56 - -
Minimus - 1 - 36 - -
Aurelianus - - - 1 - -
Nummus - - - 54 - -
1/2 nummus - - - 2 - -
Aes 2 / maiorina - - - 7 - -
Aes 3 - 1 - 7 - -
Aes 4 - - - 1 - -
             
Total déterminé 3777 204 47 285 148 49

Réal. S. Bossard.

214En ce qui concerne les espèces républicaines, les dénominations de bronze sont généralement majoritaires, sinon exclusives dans la plupart des sites, comme l’illustrent les pièces qui ont été jetées dans le bassin circulaire de Montbouy (S.217). À l’opposé, les sites de La Villeneuve-au-Châtelot (S.237) et de Juvigné (S.36), au sein desquels les monnayages romains antérieurs au règne d’Auguste sont particulièrement bien représentés (cf. supra), font figure d’exception. Les deniers et les quinaires d’argent, en proportion équivalente, dominent effectivement les deux lots, avec une part respectivement égale à 98 % et 90 %. Ces deux sites se distinguent également par présence de deniers du début du Haut-Empire, émis uniquement sous Auguste à La Villeneuve-au-Châtelot, et entre les principats d’Auguste et de Titus (79-81) à Juvigné, mais aussi par des séries gauloises en or allié et en argent ou billon, largement majoritaires sur ce dernier site (87 % des monnaies gauloises dont la composition métallique a été déterminée). Ainsi, pour ces deux sites, des monnaies d’une certaine valeur ont été introduites à la toute fin du second âge du Fer et durant les premières décennies du Haut-Empire. Néanmoins, des espèces de bronze y ont également été déposées à la même période – en particulier à La Villeneuve-au-Châtelot, puisque ce sont 1 476 monnaies d’alliage cuivreux, essentiellement des asses, en grande partie rassemblées dans un dépôt monétaire (cf. infra), qui ont été frappées durant le règne d’Auguste ; par ailleurs, les monnaies gauloises de bronze et de potin représentent 93 % du numéraire laténien (Piette et Depeyrot, 2008, p. 39-43 ; G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 29-30 et p. 45-50).

215Au sein des autres lieux de culte, les monnaies de bronze des époques républicaines et impériales sont de loin les plus nombreuses, tandis que l’argent est presque absent. En ce qui concerne la période du Haut-Empire, cette remarque s’applique au numéraire issus de différents types de contextes : aux pièces essentiellement augustéennes, lancées dans le bassin circulaire de Montbouy (S.217 ; M. Baillot, in Kisch, 1997), qui n’étaient probablement pas destinées à être récupérées ; à celles qui ont été découvertes, éparpillées sur le sol, à l’entrée du temple d’Évreux (S.56 ; Pilon, 2001) ; à celles qui ont été jetées ou enfouies dans la cour et dans les fossés du sanctuaire d’Orléans (S.114, ph. 1 et 2 ; J.-L. Roche, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 3, p. 368-429) ; ou, encore, à celles du lieu de culte d’Authevernes (S.253 ; J.-M. Doyen, in Michel et al., 2014, p. 230), provenant notamment de fosses. Les asses dominent systématiquement les lots étudiés, suivis des autres petites dénominations (dupondii, semisses et quadrantes en proportion variable) ; les sesterces, rares dans la circulation monétaire avant le règne de Trajan (98-117) [Meissonnier, 2000, p. 563 ; Doyen, 2007, p. 366], sont peu nombreux et apparaissent effectivement à partir du iie s. de n. è. Quant aux monnaies mises au jour dans les niveaux datés de l’Antiquité tardive, elles correspondent aussi à des espèces de bronze, très souvent de faible valeur, comme l’a noté B. Foucray au sujet de celles qui ont été jetées dans un bassin ou découvertes dans d’autres espaces du mithraeum de Septeuil (S.122 ; Foucray, 1987). L’examen du numéraire tardif d’Orléans, relativement abondant, conduit aux mêmes conclusions : aux antoniniens et aux minimi de la seconde moitié du iiie s., dont la plupart sont des imitations pauvres en argent, complétés par un seul aurelianus, succèdent de multiples nummi entre la fin du iiie s. et la première moitié du ive s., puis, après 348, de nouvelles petites dénominations de bronze (aes 2, 3 et 4).

216Si les offrandes monétaires étaient sans doute proportionnées aux ressources de chacun et qu’elles semblent avoir été, d’une manière globale, de faible valeur, il ne faut pas oublier qu’une grande part des monnaies déposées, et probablement les espèces les plus fortes, était sans doute ponctionnée pour financer des travaux édilitaires ou d’autres achats utiles au développement du sanctuaire. Les monnaies qui n’étaient a priori jamais récupérées, notamment celles que l’on jette dans l’eau, paraissent néanmoins correspondre, aussi, à de petites dénominations ; par ailleurs, des monnaies d’or ou d’argent ont aussi été mutilées – et donc rendues inutilisables (cf. infra) – au début du Haut-Empire. Néanmoins, après le milieu du ier s. de n. è., les espèces dont la valeur fiduciaire est la plus élevée (en or et en argent, mais aussi les sesterces qui demeurent assez rares) disparaissent des ensembles qui sont enfouis ou perdus au sein des sanctuaires, ce qui plaide en faveur de leur collecte et donc de leur réinvestissement, à moins que la stips ne concerne désormais que de la menue monnaie.

217Signalons enfin l’identification, au Mans (S.16), de plusieurs simulacres de monnaies, grossièrement coulés sur des empreintes de monnaies officielles – 2 semisses à l’effigie de Néron, une monnaie très fine de Trajan et plusieurs asses –, « qui ne pouvaient tromper un utilisateur » et étaient sans doute destinées à être offertes aux divinités. Il faut peut-être aussi reconnaître la même fonction à plusieurs rondelles de plomb non empreintes, dont la forme et le module évoquent ceux de monnaies (P.-A. Besombes, in Chevet et al., 2014, p. 135-136). Il s’agit des seuls objets de ce type qui ont été signalés parmi les sites étudiés.

Restituer les gestes : l’examen des contextes de découverte

218L’étude des modalités de l’enfouissement des monnaies gauloises et romaines au sein des sanctuaires, lorsque les niveaux archéologiques sont suffisamment bien conservés et documentés pour les déterminer, révèle des configurations diverses, mais aussi des zones de rejet privilégiées. En effet, des concentrations de monnaies s’observent au sol, dans certains espaces – notamment à l’intérieur ou aux abords de cellae –, dans des fosses ou dans des bassins. S’y ajoutent quelques pièces isolées et en position secondaire, rejetées au cours de nettoyages dans les fossés qui ceinturent parfois l’aire sacrée ; celles-ci ne seront pas abordées ici, puisque l’examen de leur contexte de relégation n’apporte aucune information sur les circonstances de leur introduction ou de leur manipulation au sein du lieu de culte.

Des monnaies dispersées au sol : enfouies, jetées, éparpillées ou perdues ?

219Les difficultés liées à l’interprétation des monnaies découvertes sur le sol des sanctuaires, qui ont pu avoir été perdues, simplement jetées ou volontairement enfouies, à faible profondeur, ont déjà été énoncées par plusieurs chercheurs (Aubin et Meissonnier, 1994 ; Izri, 2011, p. 641 ; Popovitch, 2012, p. 29). À ce titre, R. Golosetti (2019a, p. 123) a récemment mis en garde contre l’interprétation trop souvent systématique des concentrations de monnaies observées en surface de la cour sacrée ou de temples comme étant le résultat de la pratique de la iactatio stipis : il est aussi possible d’y voir une partie du numéraire, qui n’a pas été récupéré et que l’on a dispersé, qui était à l’origine disposé sur une table à offrandes, dans une cella, ou dans un tronc monétaire. Ces monnaies auraient alors été répandues au sol, lors de la collecte d’autres pièces – de plus grande valeur ? – ou après l’abandon du site.

220Dans de rares cas, il a pu être mis en évidence que des niveaux de sols, qualifiés de « truffés » par S. Izri, contiennent, entre autres ou exclusivement, des monnaies qui y ont été intentionnellement enfoncées, ou bien placées dans de petits trous creusés dans ce but. Cette pratique, attestée à partir de la période augustéenne dans le centre-est des Gaules (Izri, 2011, p. 646), mais difficile à identifier sans une observation rigoureuse de la position stratigraphique et de l’orientation des pièces, n’a été reconnue que sur de rares sites de Lyonnaise, dans des contextes datés entre le tout début de la période romaine impériale et le iie s. de n. è.

221À Paule (S.172, ph. 1), ce sont 7 monnaies républicaines et augustéennes qui ont été plantées verticalement en surface d’un tumulus du Bronze moyen, intégré à l’aire sacrée ; elles sont localisées à l’intérieur d’un espace délimité par des poteaux (fig. 133), correspondant peut-être à une première cella (A : 3,70 × 3,50 m ; Menez et al., 2021, p. 205-210). Les monnaies enfouies auprès d’autres types de petits objets au sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79, ph. 2 ; cf. supra, 2.1.2.1), à l’arrière des temples, entre le dernier tiers du ier s. et la fin du iie s. de n. è., ont quant à elles été fichées dans le sol de la cour sacrée, de même qu’un modeste dépôt monétaire – composé de quatre sesterces et de deux asses qui étaient probablement placés dans une bourse –, qui a été enterré après le milieu du iie s. dans la cour du monument de la Tannerie à Châteaubleau (S.205), près de son bassin central (Bertaudière et al., 2019, p. 475-476 ; Pilon, 1994). Comme l’a relevé S. Izri (2011, p. 646), la faible valeur de ces offrandes, volontairement enfouies dans l’enceinte du sanctuaire, renvoie sans doute à des dons individuels.

Figure 133 : Répartition spatiale, période d’émission et traitement des monnaies découvertes au sein du sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor).

Figure 133 : Répartition spatiale, période d’émission et traitement des monnaies découvertes au sein du sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor).

Réal. S. Bossard, d’après Menez et al., 2021, p. 225, fig. 168.

222Il n’est pas assuré que toutes les monnaies provenant des espaces de circulation, en particulier des portiques et de la cour sacrée, aient été volontairement déposées, jetées ou enfouies par les visiteurs des sanctuaires, bien au contraire : il est probable qu’un grand nombre de ces objets plus ou moins épars ait été simplement perdu. En effet, l’examen de la répartition spatiale du numéraire des sanctuaires témoigne souvent de la présence de monnaies sur l’ensemble de l’aire sacrée, sans que des secteurs privilégiés de dépôt n’apparaissent, par exemple à Jouars-Pontchartrain (S.127 ; fig. 130), à l’exception des abords d’un monument sculpté (cf. infra), ou à Val-de-Reuil (S.269). Il est néanmoins possible qu’une partie des monnaies découvertes dans la cour sacrée de plusieurs sanctuaires, à l’exemple de ce qui a été mis en évidence dans l’allée et l’espace non bâti situé à l’arrière des temples du Vieil-Évreux, ait été fichée dans un sol de terre ou de cailloutis, voire, à Genainville (S.260, ph. 3), glissé entre les dalles de l’allée conduisant au grand temple, où pas moins de 71 pièces ont été découvertes (Mitard, 1996, p. 170). Quoi qu’il en soit, les données stratigraphiques sont trop imprécises, dans la plupart des cas, pour restituer les gestes qui ont conduit à l’éparpillement des monnaies découvertes dans la cour sacrée ; pour certaines concentrations autour ou au sein de constructions spécifiques, l’hypothèse d’une perte n’est pas crédible et il faut alors envisager d’autres scenarii.

Temples et édicules : jet, dépôt ou enfouissement ?

223Comment expliquer la concentration de monnaies au sein même ou aux abords d’édifices de culte, qu’il s’agisse de temples pourvus d’une galerie périphérique ou de simples édicules ? La découverte de monnaies à l’intérieur de cellae a effectivement été signalée à de multiples reprises, mais il n’est pas toujours aisé de restituer les gestes qui sont à l’origine de leur introduction. Ainsi, on ignore si les quelques pièces mises au jour sur le sol de la cella du temple de Baudreville (S.94 ; Jalmain, 1985) ou quatre autres provenant du bâtiment de culte d’Hecmanville (S.152 ; Maret dir., 2003, vol. 1, p. 18) ont été volontairement déposées, jetées ou enfouies au sein de ces édifices, ou bien si elles ont tout simplement été perdues par les visiteurs. À Pouillé (S.243 ; Amandry, 1982), l’identification de sept monnaies frappées entre les règnes d’Auguste et de Claude, contenues dans un remblai sableux antérieur aux sols bétonnés du temple, pose question : doit-on y voir le reliquat d’offrandes plus anciennes, piégées lors de la reconstruction du lieu de culte, ou bien des monnaies qui auraient été fichées dans un premier état du sol du temple ?

224Au contraire, d’autres exemples montrent bien que des monnaies ont été volontairement accumulées, d’une manière ou d’une autre, au sein de cellae, et ce à différents moments de l’époque romaine. Neuf bronzes frappés gaulois et un as augustéen, émis au plus tôt en 12 av. n. è., proviennent ainsi du premier temple de plan carré de la villa de Richebourg (S.118, ph. 1, A1). Six ou sept d’entre eux ont été découverts dans le comblement d’une fosse centrale, qui a probablement servi d’ancrage à la statue de culte, tandis que les autres ont été mis au jour en périphérie orientale, c’est-à-dire près de l’entrée de la cella, dans un contexte stratigraphique qui n’a pas été décrit (fig. 134) ; en outre, une vingtaine de monnaies supplémentaire, provenant de ce même secteur, a disparu suite à un pillage (Barat, 1999, p. 125). Les pièces conservées, probablement concentrées aux abords de l’image divine, ont pu avoir été jetées dès la fin du ier s. av. n. è. ou le début du siècle suivant au pied de celle-ci, suivant la pratique romaine de la iactatio stipis ; il est tout aussi possible, cependant, que ces objets aient été d’abord déposés sur un support qui prenait place dans la cella et qu’ils aient ensuite été éparpillés au sol lors de la reconstruction du temple.

Figure 134 : Répartition spatiale des monnaies découvertes lors de la fouille du sanctuaire de la Pièce du Fient à Richebourg (Yvelines), provenant exclusivement du temple A.

Figure 134 : Répartition spatiale des monnaies découvertes lors de la fouille du sanctuaire de la Pièce du Fient à Richebourg (Yvelines), provenant exclusivement du temple A.

Réal. S. Bossard, d’après Barat, 1999, p. 146, fig. 22.

225Le dépôt ou plutôt le jet de monnaies dans un édicule maçonné récemment fouillé au Mans (S.16, A) semble également avoir commencé dès le début du Haut-Empire. Le petit bâtiment prend place à une vingtaine de mètres au nord d’un ruisseau, dans lequel ont également été lancées de nombreuses pièces dès la seconde moitié du ier s. av. n. è. (cf. infra). Son sol n’a pas été aménagé, mais à sa base, un sédiment limoneux, épais de 0,30 m, a livré 287 monnaies, réparties dans l’ensemble de son épaisseur ; ces monnaies ont vraisemblablement été jetées sur le sol de terre de l’édicule, progressivement exhaussé au fil de l’occupation. L’étude numismatique indique que l’introduction de monnaies a commencé au plus tôt vers le début du règne de Tibère, dans les années 15-20, et a cessé vers la fin du iie s., ou la première moitié du iiie s. (fig. 135). L’édicule s’apparente ainsi à un petit temple au sein duquel ont été jetées des offrandes monétaires, probablement au pied d’une statue divine (P.-A. Besombes, in Chevet et al., 2014, p. 134-135).

Figure 135 : Répartition des monnaies mises au jour au sein d’un édicule (A) du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe) en fonction de leur date d’émission.

Figure 135 : Répartition des monnaies mises au jour au sein d’un édicule (A) du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe) en fonction de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard, d’après P.-A. Besombes, in Chevet (dir.), 2015, vol. 1, p. 351, tabl. 12.

226Les découvertes réalisées au sein d’un autre édicule, installé à proximité immédiate de la pars urbana de la villa de Mareuil-lès-Meaux (S.157), sont similaires à celles qui ont été effectuées au Mans, bien que la chronologie des dépôts soit ici quelque peu plus tardive (B. Foucray, in Bet et Delage dir., 2008, p. 242-244 et p. 1113-1135). Parmi les 43 monnaies mises au jour dans le secteur de l’édicule, 39 proviennent des 10 m² que délimitent ses murs ; elles sont contenues dans un remblai de limon jaune, entaillé par ses fondations. À l’intérieur de l’édicule, reposant sur le remblai, une petite base de colonne pourrait être en position primaire et avoir ainsi servi à supporter une image de culte et au moins trois pièces (non identifiées), localisées à ses abords, sont à l’oblique et ont pu avoir été fichées dans le sol (fig. 136). Les dates d’émission des monnaies découvertes dans l’édicule couvrent un intervalle chronologique large, de la fin du ier s. av. n. è. au premier quart du ive s. de n. è. Mais si l’on prend en compte l’usure des pièces, notamment des plus anciennes, il faut alors considérer que l’offrande monétaire n’a vraisemblablement pas été pratiquée dans cet édifice avant le iie s. ou le iiie s. de n. è. ; les 5 pièces découvertes à la base du remblai, qui a pu – comme au Mans – avoir été progressivement rechargé, sont d’ailleurs exclusivement datées entre les règnes de Néron et de Marc-Aurèle. Par ailleurs, la moitié du numéraire collecté a été émise lors de la seconde moitié du iiie s. ou au début du ive s., témoignant également de dons tardifs – la plus récente a été frappée en 323-324. Il semble donc que des monnaies aient été enfoncées dans le sol de la cella, ou peut-être jetées pour certaines, durant plusieurs décennies, vraisemblablement au pied d’une image de culte. Il faudrait donc admettre, contrairement au Mans où l’accumulation de monnaies semble plutôt résulter de la pratique de la iactatio stipis, que les dévots avaient ici accès à l’intérieur de la cella.

Figure 136 : Monnaies de bronze découvertes auprès d’une base de colonne, probablement enfoncées dans le sol d’un édicule (A) de la villa de la Grange du Mont à Mareuil-lès-Meaux (Seine-et-Marne), et répartition des monnaies provenant de ce bâtiment en fonction de leur date d’émission.

Figure 136 : Monnaies de bronze découvertes auprès d’une base de colonne, probablement enfoncées dans le sol d’un édicule (A) de la villa de la Grange du Mont à Mareuil-lès-Meaux (Seine-et-Marne), et répartition des monnaies provenant de ce bâtiment en fonction de leur date d’émission.

D’après Bet et Delage (dir.), 2008, vol. 1, p. 242, fig. 323, p. 243, fig. 324 et B. Foucray, in vol. 3, p. 1113-1135.

227Si le dépôt de monnaies (enfouies, jetées ou déposées) au sein de cellae est attesté au début et dans le courant du Haut-Empire, les observations réalisées sur plusieurs sites – et notamment celui de Mareuil-lès-Meaux – permettent d’affirmer que l’introduction de monnaies au sein de temples a aussi lieu à la fin de l’Antiquité, en particulier à la fin du iiie s. et tout au long du ive s. Dans certains cas, il demeure toutefois impossible d’interpréter la présence de quelques monnaies, qui ont pu avoir été déposées sur la mensa d’une cella, ou jetées tardivement au sol, comme à Vannes (S.278 : 6 imitations radiées ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 28-31). Au contraire, à Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6), la mise au jour de 46 monnaies (soit 85 % du numéraire collecté sur le site), produites entre le iie s. et le ive s. et concentrées dans la moitié sud-ouest de la cella du temple (fig. 137), prouve bien l’intentionnalité du geste d’offrande. Il est possible que ces pièces, en grande majorité (80 %) émises entre 318 et 378, aient été progressivement jetées au sol, au pied de la statue divine, à moins qu’elles n’aient été posées sur un support, aujourd’hui disparu. D’ailleurs, un nummus de Constantin II (330-335) a été enfoui sous un empierrement elliptique, aménagé en surface du sol de la cella, indiquant que celui-ci a été mis en place tardivement, peut-être pour y installer (ou réinstaller) l’image de culte, probablement placée au centre de la pièce ou contre son mur nord-est (Collin et Boisbouvier, 1982 ; Aubin et al., 2014, p. 226-227).

Figure 137 : Répartition spatiale des monnaies mises au jour dans le temple du Villier à Chênehutte-les-Tuffeaux (Maine-et-Loire).

Figure 137 : Répartition spatiale des monnaies mises au jour dans le temple du Villier à Chênehutte-les-Tuffeaux (Maine-et-Loire).

Réal. S. Bossard, d’après Boisbouvier et Bouvet, 1984, p. 22 et M. Monteil, in Aubin et al., 2014, p. 226, fig. 178.

228À Macé (S.196, ph. 5), deux des multiples édicules parsemant l’aire sacrée du sanctuaire (fig. 138) ont livré des monnaies tardo-antiques, associées à d’autres objets que l’on peut interpréter aussi comme des offrandes : un assemblage composé de 14 monnaies – pour la plupart à l’effigie des membres de la famille constantinienne –, de parures et de divers objets métalliques ou en os a été déposé dans l’édicule D ; une autre construction de même plan (H) a reçu 7 monnaies postérieures au milieu du ive s. et deux fragments de figurines en terre cuite (Leclerc, 2005, p. 38 ; 2006, p. 44 et p. 54). Si ces édicules correspondent bien à de petites cellae, ils fournissent alors un autre témoignage de l’introduction d’un nombre relativement important de monnaies tardives au sein de temples – à moins d’y voir des constructions utilisées comme réceptacles pour les offrandes (cf. supra, 1.1.2.1, types A1 et A2).

Figure 138 : Répartition spatiale des monnaies et de l’instrumentum au sein du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne), tous états confondus.

Figure 138 : Répartition spatiale des monnaies et de l’instrumentum au sein du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne), tous états confondus.

Réal. S. Bossard, d’après Leclerc, 2005, p. 24, fig. 7 et p. 30, fig. 8 ; 2006, p. 15-16, fig. 7-8 ; 2007a, p. 16-17, fig. 8-9.

229La pratique de l’offrande monétaire au sein des cellae pourrait même avoir été réalisée, dans certains cas, en parallèle du démantèlement des temples, durant l’Antiquité tardive (cf. infra, 6.1.1.2). À Genainville (S.260, ph. 4), au centre de la cella nord du temple monumental, une petite fosse rectangulaire, bordée de pierres et divisée en deux parties, a ainsi livré 10 monnaies, dont les plus tardives sont à l’effigie de Tetricus (271-274) ; dans la cella sud, un sesterce d’Antonin le Pieux et 16 petits bronzes de Tetricus ont été rassemblés sur l’un des gros blocs taillés que l’on a installés sur le sol, sans doute après les avoir prélevés dans les murs du temple, et dans un niveau cendreux épandu au pied (Mitard, 1993, p. 268-271). La déposition des monnaies semble ici relever d’ultimes gestes d’offrande au sein de temples partiellement détruits, peu avant que ne s’y accumulent d’épais niveaux de démolition. De même, à Bennecourt (S.258, ph. 7), la présence de 22 monnaies, émises entre 269 et le troisième quart du ive s. et découvertes dans le temple C2, dans des remblais de démolition postérieurs à l’effondrement de sa toiture, laisse penser que la pratique de l’offrande monétaire – jetée depuis l’extérieur ? – n’a pas cessé au sein de l’édifice en ruines. Quant à un lot composé de 10 monnaies en bronze, dont le terminus post quem est situé entre 383 et 386, dissimulé dans une anfractuosité de son mur oriental, on ne peut être certain qu’il s’agisse d’un véritable dépôt à caractère rituel, et non d’une cache provisoire aménagée après l’abandon du site (Bourgeois dir., 1999, p. 61-63 et p. 79-86).

230À ces quelques exemples relativement bien documentés, s’ajoutent d’autres cas plus problématiques, pour lesquels on ne peut déterminer avec certitude les circonstances de l’enfouissement des nombreuses monnaies identifiées dans le secteur de temples ou d’édicules, faute de données stratigraphiques suffisamment précises. Ainsi, 430 monnaies gauloises et romaines, dont les plus récentes sont datées du début du iie s. de n. è., proviennent de couches sableuses sur lesquelles reposent les fondations du temple A2 du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (S.9, ph. 3), mais on peut déterminer la part de monnaies qui pourrait avoir été piégée dans ces remblais, et donc relever d’une phase antérieure, des pièces qui auraient été plus tardivement enfoncées dans le sol, jetées à terre ou éventuellement éparpillées depuis un contenant disparu (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 303 et 2015, p. 77).

231Des concentrations plus ou moins importantes de monnaies ont aussi été signalées parmi les vestiges du temple de la villa de Carnac (S.272) – 13 monnaies, essentiellement datés de l’Antiquité tardive, soit un chiffre supérieur à celui que J. Miln a enregistré pour d’autres secteurs de l’habitat (Miln, 1877, p. 151-153) –, ainsi qu’« en avant et à côté » du grand temple de Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74 : 75 monnaies, en grande partie émises au cours du iiie s. et de la première moitié du ive s. ; Poulain, 1915, p. 56) ou, encore, près d’un édicule accolé à l’angle sud-est du premier état du temple de Cracouville, au Vieil-Évreux (S.78 : 150 monnaies gauloises ; Baudot, 1936, p. 90-95). D’autres monnaies ont été repérées à l’intérieur mais aussi aux abords d’édicules, sur le site des Perrières à Allonnes (S.10, B : 15 monnaies du Haut-Empire ; Térouanne et al., 1968), à Saclas (S.221 : plusieurs centaines de monnaies, surtout de l’Antiquité tardive, éparpillées au contact d’un alignement de cinq édicules ; Dunet, 1988, p. 77, fig. 1), ainsi qu’à Genainville (S.260, ph. 3-4, et : respectivement 80 et 44 monnaies romaines ; Mitard, 1996, p. 170-171).

232À Jouars-Pontchartrain (S.127), enfin, les monnaies se concentrent en particulier, pour environ 150 des 361 pièces recensées (cf. supra, fig. 130), dans un petit enclos accolé à l’angle nord-est du péribole, autour d’un monument sculpté (C ; cf. supra, 1.1.4.3). Le numéraire, particulièrement abondant dans ce secteur, témoigne probablement du jet de pièces dans cet espace, peut-être depuis l’extérieur de l’enclos, si l’on considère qu’il était fermé par des murets et non par des murs. Ce geste a été vraisemblablement régulièrement répété entre sa fondation, vers la fin du ier s. de n. è. – la présence de rares monnaies gauloises et de quelques exemplaires julio-claudiens pourrait s’expliquer par une circulation tardive de ces espèces – et la destruction du sanctuaire, à la toute fin du ive s. (Blin, 2000, p. 102-103 ; F. Moret-Auger, in Blin dir., 2012, vol. IV, p. 63-68).

Des monnaies issues de troncs monétaires ?

233Dans d’autres cas, l’analyse des données étaie l’hypothèse de monnaies à l’origine contenues dans un tronc à offrandes, puis dispersées au sol au moment de sa destruction ou de la récupération d’une partie des monnaies, que ce soit à proximité ou à l’écart des temples. L’identification de ce type de réceptacle n’est toutefois pas aisée puisque ce type d’objet n’est que rarement conservé, dans les sanctuaires étudiés comme dans les autres cités des Gaules romaines (Aubin et Meissonnier, 1994, p. 149-150 ; Popovitch, 2012, p. 30). Au sein du territoire pris en considération, seul le lieu de culte suburbain de Jublains (S.32, ph. 3) a livré un fragment de ce qui peut être interprété comme un tronc à offrandes (fig. 139). Il s’agit d’un bloc de calcaire, creusé dans sa partie supérieure en forme d’entonnoir et porteur d’une inscription dont la lecture est incertaine. Il provient de la partie méridionale du portique extérieur de lieu de culte et a pu avoir été installé près de son entrée (Naveau et al., 1997, p. 191-192).

Figure 139 : Vraisemblable fragment de tronc monétaire inscrit en calcaire, mis au jour dans le portique accolé à l’est du péribole du sanctuaire suburbain de la Tonnelle à Jublains (Mayenne).

Figure 139 : Vraisemblable fragment de tronc monétaire inscrit en calcaire, mis au jour dans le portique accolé à l’est du péribole du sanctuaire suburbain de la Tonnelle à Jublains (Mayenne).

Cliché J.-M. Fournier (Prisma-Laval), in Besombes, 2015, p. 207, fig. 78.

234Il est possible que ce genre d’équipement, destiné à recueillir les dons des visiteurs, ait été parfois fabriqué en bois ; il n’aurait donc laissé aucune trace archéologique. C’est du moins l’hypothèse qu’a émise Y. Menez au sujet d’un possible tronc au sanctuaire de Paule (S.172, ph. 1), qui aurait pu contenir, entre autres, au moins 28 monnaies – 1 gauloise, 3 républicaines, 12 augustéennes, 8 émises entre les règnes de Tibère et de Claude et 4 sous Néron ou Vespasien –, pour partie mutilées (Menez et al., 2021, p. 205 ; cf. supra, 4.1.2.1 et fig. 133). Cette découverte en évoque une autre : celle d’une fosse cylindrique, localisée dans l’angle sud-est de la cour du lieu de culte des Busses à Oisseau-le-Petit (S.20). Elle mesure 0,85 m de diamètre pour 1,10 m de profondeur et est bordée à son ouverture par un cercle de pierres. Dans son comblement d’argile et de calcaire, ont été retrouvés quelques objets épars (tessons de céramique, restes fauniques, un clou, deux monnaies augustéenne et une troisième au nom de Claude), tandis qu’en périphérie immédiate, ce sont 13 monnaies (2 gauloises et 11 du début du Haut-Empire, frappées entre les règnes d’Auguste et de Claude) qui ont été mises au jour au contact du sol de la cour (Lambert et Rioufreyt, 1987a). Cette fosse, qui n’était sans doute pas destinée à rester vide, a pu accueillir un tronc en bois cylindrique, à moins qu’elle n’ait servi d’ancrage à un autre élément, plein, qui aurait disparu – le socle d’une statue ? –, sur ou autour duquel des stipes auraient pu avoir été posées, avant d’être éparpillées au sol.

235D’autres troncs monétaires, dont il ne subsisterait parfois rien, ont pu avoir été placés à l’entrée de temples, de même qu’en Italie romaine (Catalli et Scheid, 1994, p. 63-64). Ainsi, à Évreux (S.56), une vingtaine de monnaies gauloises et romaines (de la République au règne d’Hadrien) sont répandues sur le niveau de circulation bordant le temple, directement au nord de son porche ou de son escalier d’accès (fig. 140 ; Pilon, 2001 ; Doyen dir., 2002, pl. XIX). Il est aussi envisageable que des récipients en terre cuite aient fait office de tronc dans de modestes sanctuaires, tel un vase de couleur noire à Louviers (S.264), près de la porte du temple, qui aurait contenu la plupart des 64 monnaies tardo-antiques découvertes à ses abords (Vesly, 1909, p. 29-35). Deux autres vases ont été découverts près de l’entrée d’un temple, à Vieux (S.281 ; Kerébel dir., 2000, p. 102) et à Villeneuve-le-Comte (S.164 ; Bet dir., 2018, p. 123 et p. 313), mais on ne sait pas s’ils ont pu assurer le rôle de tronc, voire de réceptacle pour la mise au rebut d’offrandes, d’autant plus que le premier, contenant seulement quelques restes fauniques, présente un fond percé, et que dans le second, situé à moins de 2 m à l’est du bâtiment de culte, n’a été découvert qu’un dupondius augustéen.

Figure 140 : Répartition spatiale des monnaies et des autres types de mobilier mis au jour lors de la fouille du sanctuaire de la rue Duguesclin à Évreux (Eure).

Figure 140 : Répartition spatiale des monnaies et des autres types de mobilier mis au jour lors de la fouille du sanctuaire de la rue Duguesclin à Évreux (Eure).

Réal. S. Bossard, d’après Doyen (dir.), 2002, pl. XIX.

D’autres accumulations massives (2nde moitié du ier s. av. n. è. – début du ier s. de n. è.)

236L’accumulation de monnaies à l’entrée d’un lieu de culte n’est attestée qu’à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2). Une concentration de numéraire a effectivement été observée autour de l’interruption de la tranchée de fondation du plus grand des deux enclos palissadés au sein desquels se sont déroulés une partie des activités religieuses entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et le courant du ier s. de n. è. Ce sont 702 monnaies gauloises, pour la plupart émises après la conquête césarienne, ainsi que quelques espèces augustéennes, en surface, qui proviennent du comblement de la tranchée et de ses environs proches, de même que 234 rouelles en alliage cuivreux (cf. supra, fig. 83 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 4-6). Cette concentration remarquable de deux types de mobilier s’explique manifestement par l’accumulation de monnaies et de rouelles qui ont été jetées ou déposées individuellement, sur un temps assez long, lors du passage des visiteurs du sanctuaire (cf. supra, 2.1.2.1 et 2.2.2.3). La présence d’une palissade laisse penser que les monnaies et les rouelles n’étaient pas lancées lors du franchissement de l’entrée, ce qui n’aurait guère de sens, mais plutôt qu’elles ont été progressivement déposées dans un ou plusieurs réceptacles adaptés ; le contenu de ces derniers aurait alors été vidé et dispersé au sol et dans le comblement des tranchées après le démontage de la clôture de bois, au plus tôt à la fin du ier s. av. n. è. ou au début du ier s. de n. è. La concentration de monnaies ou d’autres petits objets circulaires (rouelles, jetons) à l’entrée d’un sanctuaire enclos n’est pas spécifique à ce site, puisqu’elle a aussi été mise en évidence pour d’autres enceintes du second âge du Fer, notamment à Corent. Au sujet de ce dernier site, R. Guichon et K. Gruel (in Poux et Demierre dir., 2015, p. 318 et p. 591-609) évoquent différentes hypothèses pouvant expliquer une telle accumulation, que les objets soient liés à des pratiques individuelles ou collectives – simple offrande monétaire, acquittement symbolique lors d’un « rite de passage », paiement d’une taxe sacrificielle ou d’un droit de participation aux banquets, achat d’une offrande ou d’une part de nourriture à l’entrée ou à la sortie du sanctuaire, changement d’une monnaie étrangère, scellement d’un contrat, recensement ou encore vote placé sous la surveillance des dieux –, sans que les données permettent de trancher en faveur de l’une ou de l’autre.

237D’autres contextes, datés de la même période, se caractérisent par une abondance remarquable de numéraire gaulois, républicain et augustéen, issu d’épandages qu’il est difficile d’interpréter. À Amboise (S.237), les trouvailles monétaires se concentrent au sein d’un probable enclos palissadé, dans une importante couche argileuse de forme irrégulière et par endroits rubéfiée, épaisse d’une vingtaine de centimètres (Peyrard, 1980 ; Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 28, p. 49-53, p. 79-81 et p. 102-103). Cinq vases complets ont été disposés en bordure de ce niveau, qui a aussi livré de nombreux tessons de céramique, datés de la période augustéenne et éventuellement des années 60-30 av. n. è., des restes fauniques, plus de 150 monnaies, de rares parures et des rondelles en terre cuite. La grande majorité du numéraire est constituée de potins (au moins 112), complétés par quelques monnaies frappées de facture gauloise et par 6 pièces d’époque romaine – 4 as de Nîmes et 2 monnaies à l’autel de Lyon, les plus récentes ayant été émises entre 10 et 14 de n. è. Deux concentrations, de 25 et 9 monnaies, ont été observées ; la plus importante pourrait correspondre au contenu d’une bourse. Les circonstances de la formation de la couche argileuse n’ont pas pu être déterminées : on ne sait si elle résulte de la démolition d’une architecture en terre crue ou de l’aménagement d’un sol destiné au dépôt d’offrandes ; dans un cas comme dans l’autre, on ignore si les monnaies ont été posées, enfouies ou lancées.

238À la même période, à Douarnenez (S.170, ph. 2), près des vestiges d’un modeste édifice – une cella ? –, plus de 72 monnaies ont été rejetées au sol : 70 sont de facture gauloise et les 2 autres ont été émises en 25-23 et 10-7 av. n. è. ; le numéraire laténien comprend notamment 31 billons armoricains vraisemblablement tardifs, concentrés à 3 m à l’est des fondations du bâtiment. Les monnaies sont associées, dans les mêmes niveaux, à de nombreux restes fauniques, des tessons de céramique, une pointe de flèche en fer et 9 fibules – soit un matériel tout à fait similaire à celui observé à Amboise, caractéristique des dernières décennies du ier s. av. n. è. et des premières décennies du siècle suivant (Clément et al., 1987, p. 35 et p. 37-49). Là encore, il n’est guère aisé d’interpréter la concentration de monnaies : doit-on considérer, à la suite de K. Gruel (1991, p. 234 ; Gruel et Taccoen, 1992, p. 180), que les pièces ont été jetées, selon la pratique de la iactatio stipis ? Le regroupement de 31 billons, comme les deux agglomérations de potins à Amboise, évoque plutôt la présence d’un ou de plusieurs contenants disparus – des bourses ou peut-être, à Douarnenez, un tronc en bois ? –, qui n’auraient peut-être renfermé qu’une partie des monnaies découvertes.

239L’hypothèse de pièces lancées au sol pose donc problème et il faut sans doute envisager d’autres gestes, peut-être variés, mais aussi des perturbations qui auraient eu lieu au moment du scellement des couches riches en mobilier, lors du réaménagement du sanctuaire dans le courant du ier s. de n. è. Dans ce cadre, une partie des offrandes rassemblées dans l’aire sacrée, dans des réceptacles prévus à cet effet, a pu avoir été étalée au sol, avant que l’on ne procède au remblaiement de l’espace et donc à l’ouverture d’un nouveau chantier de construction. Cette action aurait alors permis de conserver l’ensemble des offrandes manipulées au sein du sanctuaire et que l’on ne souhaitait pas évacuer sur le site même, sans avoir besoin de creuser des fosses pour les enfouir (cf. infra, 2.3.2.2). Rappelons d’ailleurs que l’exemple contemporain d’Allonnes (S.9, ph. 2 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 303) n’aide guère à comprendre dans quel contexte les monnaies gauloises et du début de l’Empire ont été enfouies dans l’enceinte du lieu de culte, puisque l’hypothèse d’objets piégés dans un remblai plus tardif a été privilégiée par V. Brouquier-Reddé et K. Gruel, de même que pour le numéraire gaulois de Meaux (S.158 ; Magnan, 2006, p. 181-184). Pourtant, d’autres interprétations, impliquant une formation progressive de niveaux à l’issue d’épandages successifs, un scellement volontaire ou l’enfoncement de pièces dans le sol, mériteraient aussi d’être étudiées (cf. supra, 2.1.2.2).

240Enfin, à Orléans (S.114, ph. 1), ce sont au moins 43 monnaies gauloises qui proviennent de sédiments accumulés dans une zone peut-être humide, voire marécageuse. Encore une fois, le numéraire n’y est pas exclusif : ce secteur a aussi servi à l’enfouissement de vases entiers ou quasi complets en terre cuite, d’ex-voto anatomiques, d’objets de parure et de toilette et d’un millier de tessons de céramique du second âge du Fer et de l’époque romaine. Les modalités de la déposition des monnaies, comme de la plupart des autres types de mobilier, n’ont toutefois pas pu être déterminées et on ignore donc si elles ont été jetées dans ce secteur ou volontairement ensevelies, à l’image des céramiques (Verneau, Noël dir., 2009, vol. 1, p. 111-116). Le dépôt d’objets et, en particulier de monnaies en milieu humide, supposé à Orléans, est en revanche bien attesté pour d’autres sanctuaires mieux documentés.

Des monnaies dans l’eau, témoins de la iactatio stipis ?

241Le jet de monnaies dans l’eau d’un sanctuaire est une pratique romaine que Pline le Jeune a évoquée au sujet des pièces que l’on voyait briller au fond d’un bassin inviolable, formé à la source du Clitumne, où résidait le dieu de même nom (Lettres, VIII, 8). Il est probable que le numéraire immergé dans le cadre de pratiques rituelles, que l’on peut donc assimiler à des offrandes, n’était pas destiné à être récupéré, à de rares exceptions près (Estienne, Cazanove, 2009, p. 21). Au récit de Pline, font écho, dans le centre et l’ouest de la Lyonnaise, plusieurs découvertes réalisées au sein de lieux de culte implantés à l’emplacement de résurgences. Cependant, au cours de l’Antiquité, l’accumulation de monnaies dans l’élément aquatique n’est pas spécifique aux sanctuaires de source, puisque ce phénomène a aussi été observé au point de franchissement de plusieurs cours d’eau, notamment près de gués ou de ponts (Chameroy et Lambot, 2014 ; Besombes, 2015), dans certains bassins artificiels, ou encore sur les berges d’un ruisseau vraisemblablement transformé en étang, au Mans (S.16) [cf. supra, 1.1.3.2]. Il s’avère donc nécessaire de revenir aux contextes de découverte et à la chronologie des espèces enfouies dans l’eau des sanctuaires pour définir les caractéristiques de ces pratiques et déterminer leur évolution au cours de l’époque romaine.

242Dans les Gaules, le dépôt d’offrandes monétaires en contexte aquatique n’apparaît pas, a priori, avant la conquête césarienne (Gruel, 2015, p. 769 ; Barral et al., 2015, p. 662). De fait, à l’échelle du territoire considéré, les premières monnaies semblent bien avoir été immergées durant la seconde moitié du ier s. av. n. è., au plus tôt (cf. supra, 1.1.3.2).

243Le bassin circulaire de Montbouy (S.217), captant une résurgence, est intégré à un complexe monumental au sein duquel il est mis en valeur par une construction de plan octogonal ; au cours d’un sondage, il a livré 198 monnaies, en plus de quelques fragments de figurines en terre cuite, de tessons de céramique commune et d’une partie ou de l’ensemble de sculptures en bois mises au jour au xixe s. L’étude numismatique de ce matériel a montré que 83 % des 187 pièces identifiées – gauloises et surtout romaines – ont été émises entre la fin du ier s. av. n. è. et le règne de Claude (41-54), et qu’une monnaie sur deux (53 %) est datée de l’époque augustéenne (M. Baillot, in Kisch, 1997, annexe). Les dépôts, qui semblent avoir débuté au cours de cette dernière, se raréfient dès la seconde moitié du ier s. puis disparaissent vers la fin du iie s., la monnaie la plus récente ayant été émise en 174 (fig. 141). Les jalons chronologiques manquent pour dater l’aménagement du bassin et de son écrin architectural mais, au regard de leur monumentalité, leur construction n’a probablement pas eu lieu avant la seconde moitié du ier s. Le complexe aurait alors été édifié autour d’un bassin, peut-être déjà partiellement structuré, dans lequel des stipes auraient été jetées depuis plusieurs décennies.

Figure 141 : Répartition des monnaies mises au jour au sein du bassin circulaire du monument de Craon à Montbouy (Loiret), captant une source, en fonction de leur date d’émission.

Figure 141 : Répartition des monnaies mises au jour au sein du bassin circulaire du monument de Craon à Montbouy (Loiret), captant une source, en fonction de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard, d’après M. Baillot, in Kisch, 1997.

244À Genainville (S.260, ph. 1), un lot d’une vingtaine de monnaies a été recueilli sur les berges d’une mare localisée à l’aplomb d’une résurgence de la nappe phréatique, d’abord sommairement aménagée. Outre une majorité de pièces gauloises, cet ensemble comprend 2 monnaies à l’autel de Lyon, frappées sous Auguste, et est complété par de la céramique et par 2 fibules (Mitard, 1993, p. 41). Le numéraire, comme le reste du mobilier, renvoie, de même qu’à Montbouy, aux alentours du changement d’ère, les espèces gauloises ayant très bien pu être introduites sur le site durant le principat d’Auguste (cf. supra). Les bassins construits à partir du milieu du ier s. de n. è. (ph. 2 et 3), ont livré des monnaies qui témoignent de dépôts plus tardifs, ayant eu lieu au plus tôt à la fin du ier s. de n. è. et surtout durant l’Antiquité tardive (cf. infra ; Mitard, 1996). Il est toutefois probable qu’ils étaient régulièrement nettoyés, d’autant plus que des escaliers permettent d’y accéder et que les visiteurs s’y baignaient sans doute régulièrement.

245Enfin, au Mans (S.16, ph. 1), des monnaies ont été abandonnées sur les berges d’un ruisseau, au plus tôt vers le milieu du ier s. av. n. è. Il est toutefois difficile de préciser la chronologie de ces dépôts, puisque les niveaux correspondants ont été perturbés par l’aménagement d’un probable étang, vers les années 40-70 de n. è. (ph. 2), par la suite intégré à une aire sacrée enclose ; les monnaies, selon toute vraisemblance jetées, ont aussi été accumulées autour et dans l’étendue d’eau, au moins jusqu’à la fin du iie s. (ph. 3). Un nombre indéterminé de monnaies intrusives a donc été mêlé aux dépôts les plus anciens, de même que les niveaux les plus récents peuvent contenir des objets correspondant à des dons de la première phase (fig. 142). Quoi qu’il en soit, le nombre total de monnaies gauloises (45), républicaines (12) et augustéennes (56) est révélateur de la quantité remarquable de monnaies jetées entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et le début du ier s. de n. è., tandis que la distribution des émissions postérieures au milieu du ier s. témoigne d’une baisse progressive des dépôts jusqu’à la fin du iie s. ; les rares monnaies postérieures à ce terme pourraient n’avoir aucun lien avec le sanctuaire et relever d’une fréquentation épisodique d’un site qui n’est alors plus occupé (Chevet et al., 2014, p. 134-135 ; P.-A. Besombes, in Chevet dir., 2016, vol. 1-2, p. 57-59).

Figure 142 : Répartition des monnaies issues de l’étang du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe), en fonction de leur contexte de découverte et de leur date d’émission.

Figure 142 : Répartition des monnaies issues de l’étang du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe), en fonction de leur contexte de découverte et de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard, d’après P.-A. Besombes, in Chevet (dir.), 2015, vol. 2, p. 58, tabl. 20.

246Le jet de monnaies dans de modestes cours d’eau ou bassins d’abord sommairement aménagés, voire laissés dans leur état naturel au cours des décennies qui ont suivi la guerre des Gaules, n’est pas spécifique au territoire étudié : cette pratique importée du monde romain est attestée sur d’autres sites des provinces gauloises. Ainsi, aux nombreuses sculptures de bois de Chamalières (Puy-de-Dôme) est associée une centaine de monnaies, pour l’essentiel frappées entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et le ier s. de n. è. ; elles ont été mises au jour, en majorité, au point d’émergence de la source principale (Romeuf et Dumontet, 2000, p. 40-43). Par ailleurs, la chronologie des monnaies immergées à l’emplacement de gués ou de ponts antiques est peu ou prou similaire à celle de ces dépôts : à Saint-Léonard (Mayenne) ou à Rennes, sur la Vilaine (Ille-et-Vilaine), les milliers de pièces découvertes ont été émises, pour une large part, durant les premières décennies du Haut-Empire, à partir du principat d’Auguste et avant le dernier quart du ier s. de n. è. (Besombes, 2004 ; Besombes, 2007 ; Aubin et Monteil, 2015a).

247Si les exemples de Montbouy et du Mans montrent que le dépôt de monnaies se poursuit tout au long du iie s., aux côtés d’autres catégories d’offrandes et malgré une baisse progressive de leur nombre au fil des décennies, c’est surtout à partir de la fin du iiie s. et durant le ive s. que des pièces ont été accumulées dans les bassins de plusieurs sites, qu’ils soient ou non installés à l’emplacement d’une résurgence.

248Ainsi, à Genainville (S.260, ph. 4), parmi les trois bassins encore en activité durant l’Antiquité tardive, la structure B2 est la seule qui a livré du numéraire en grande quantité (fig. 143). En effet, tandis que rares sont les pièces provenant du remplissage du bassin D, et que la fouille du bassin f n’a été qu’à peine entamée, leur voisin (B2), captant quant à lui une résurgence, contient 99 monnaies qui y ont été vraisemblablement jetées, d’après l’usure des plus anciennes, à partir de la fin du iie s. et surtout à la fin du iiie s. et dans le courant du ive s. ; s’y ajoutent 2 monnaies ayant circulé à une date assez avancée du ve s. (Mitard, 1993, p. 291 ; 1996, p. 170).

Figure 143 : Répartition des monnaies mises au jour au sein de deux bassins du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), en fonction de leur date d’émission.

Figure 143 : Répartition des monnaies mises au jour au sein de deux bassins du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), en fonction de leur date d’émission.

Réal. S. Bossard, d’après Mitard, 1996, p. 170, tabl. I.

249Dans l’espace annexe du mithraeum de Septeuil (S.122, ph. 2), faisant office de vestibule et de cuisine, la fouille d’un autre bassin, aménagé dès le Haut-Empire autour d’une résurgence et conservé lors du réaménagement du sanctuaire de Mithra, a également fourni une part – non précisée – de l’abondant numéraire collecté sur le site, représenté par 1 311 monnaies (Gaidon-Bunuel, 2000, p. 208). D’une manière globale, le lot est dominé par des monnaies émises dans le courant du ive s., parmi lesquelles les émissions des années 330-348 sont les plus fréquentes ; les espèces les plus récentes, peu nombreuses après 378, sont toutes antérieures à la fin du ive s. (Foucray, 1987).

250De même, à Saclas (S.221), la couche inférieure du remplissage d’un probable bassin localisé à une dizaine de mètres au nord-est du temple recèle 55 monnaies, dont 50 ont été émises dans le courant du ive s., jusque sous le règne de Gratien (378-383). Au regard de leur contexte de découverte, il est probable que ces pièces aient été jetées dans l’eau ; des tessons de céramique, notamment de sigillée décorée à la molette du ive s., ont aussi été découverts dans le même niveau. En revanche, la partie supérieure de son comblement a piégé d’autres monnaies du ive s., dont la plus récente a été frappée au nom d’Honorius (vers 394-395), qui relèvent sans doute d’une fréquentation plus tardive du site, alors en cours de démantèlement (Manson, Noël, 1973a).

251Enfin, le bassin fouillé dans la moitié méridionale de la cour à quadriportique du monument de Sceaux-du-Gâtinais (S.225), aménagé durant la première moitié du iie s. de n. è., a également servi de réceptacle à nombre d’offrandes que l’on y a immergées (monnaies, figurines en terre cuite et ex-voto anatomiques, entre autres). Selon M. Roncin, plus de 70 monnaies auraient été découvertes dans le bassin ; aucun inventaire complet n’en a été fourni, mais 35 monnaies, auxquelles s’ajoutent 4 pièces indéterminées, ont néanmoins été identifiées pour les campagnes de 1972-1973 (Roncin, 1966-1976). Cet ensemble, représentant ainsi près de la moitié du numéraire issu de ce contexte, comprend seulement 4 monnaies émises durant le dernier tiers du ier s. de n. è. et 9 pièces frappées au cours du iie s., qui ont pu avoir été immergées dès le Haut-Empire – peut-être avec les figurines et les ex-voto anatomiques ? Parmi les monnaies tardo-antiques, figurent 5 antoniniens de la fin du iiie s. et 17 monnaies datées du ive s., dont la plus récente serait à l’effigie de Valentinien II (375-392).

  • 48 Le jet de monnaies dans ces bassins ne perdure a priori pas au-delà de la fin du ive s., les quelqu (...)

252Doit-on voir, pour ces dépôts tardifs, la continuité d’une pratique ancrée dans les habitudes religieuses depuis la fin du ier s. av. n. è. ? Les exemples étudiés révèlent que le jet de monnaies dans l’eau, durant l’Antiquité tardive, intervient sur des sites – ou du moins dans des structures – où ce geste n’avait pas cours auparavant48. Il est certes possible d’invoquer des différences de chronologie entre ces sanctuaires – ceux de Septeuil et de Saclas n’ont été fondés que dans le courant du ier s. de n. è., tandis que celui du Mans, comme peut-être celui de Montbouy, a sans doute été abandonné dès le courant du iiie s. – ainsi que l’éventuelle récupération régulière des monnaies les plus anciennes dans certains bassins dallés, tel celui de Genainville. Pour autant, les dépôts de l’Antiquité tardive semblent relever d’une conception des rites différente de celle en vigueur au début et dans le courant du Haut-Empire (cf. infra, 6.1.1). De fait, à Genainville, le dépôt des monnaies tardo-antiques intervient à une époque où le temple principal, accolé au bassin qui a livré près de cent pièces, est manifestement en cours de démantèlement depuis plusieurs décennies – son abandon est situé vers le dernier quart du iiie s. –, tandis que d’autres monnaies sont déposées ou jetées aux abords d’un ou de deux édicules de l’aire sacrée (Mitard, 1993, p. 267-280). De même, à Sceaux-du-Gâtinais, le monument a subi un incendie après la fin du iie s. ou le début du iiie s. et n’est, par la suite, que partiellement réoccupé ; il semble avoir été progressivement abandonné dès la première moitié du ive s., alors que les monnaies continuent d’être accumulées a minima jusqu’au troisième quart du ive s. dans le bassin.

253Les monnaies semblent donc être les principaux (voire les seuls ?) objets que l’on accumule encore à la fin de l’Antiquité dans certains points d’eau, selon une pratique qui ne paraît pas être nécessairement liée à la proximité d’un temple et donc au culte d’une divinité – mais peut-être faut-il y voir une nouvelle façon d’honorer une déesse ou un dieu lié à l’eau et dont la mémoire aurait perduré, malgré la destruction de sa résidence ? En dehors de l’aire géographique considérée, rares sont les autres exemples de bassins bâtis dans le courant du Haut-Empire et qui ont constitué au cours de l’Antiquité tardive, a priori sans antécédents, des réceptacles privilégiés pour des monnaies sans doute lancées. Tel est néanmoins le cas de la fontaine sans doute publique de l’îlot C d’Argentomagus (Saint-Marcel, Indre), aménagée vers le troisième quart du ier s. de n. è., dans un espace qui, a priori, ne relève pas d’un sanctuaire (Adam et al., 1999 ; Girond, 2015, vol. 1, p. 92). Dans son remplissage, ce sont 824 monnaies qui y ont été collectées : l’essentiel d’entre elles a été émis entre la seconde moitié du iiie s. et la fin du ive s., soit à une période tout à fait similaire à celle du numéraire recueilli au sein des sanctuaires du centre de la Lyonnaise (Bourgeois, 1992, p. 61-73).

Des dépôts de fondation ?

254Durant l’époque romaine, certaines monnaies ont aussi été rassemblées et enfouies en contexte terrestre, dans l’enceinte même du sanctuaire, en particulier dans des fosses creusées à l’occasion. Avant de revenir sur ces dépôts inhumés à l’écart des bâtiments, il faut évoquer deux amas de pièces, mêlés aux fondations d’édifices, qui ont été considérés comme d’éventuels dépôts de fondation.

255Au sanctuaire périurbain de Jublains (S.32, ph. 3), H. Barbe (1865, p. 85-86) rapporte avoir découvert et recueilli, en dégageant la base des fondations de la cella du temple monumental, 3 monnaies empilées, frappées sous le règne de Néron. Le sondage en question, dont l’emplacement a pu être retrouvé lors des fouilles plus récemment conduites par J. Naveau, est localisé au pied du mur oriental de la cella, dans son axe médian, à environ 2 m sous le niveau de circulation ancien (Naveau et al., 1997, p. 196-198). Dans le second cas, à Jouars-Pontchartrain (S.127, ph. 2), c’est un ensemble de 19 monnaies, dont la plus récente a été émise sous le règne de Nerva (96-98), qui a été mis au jour dans l’angle sud-est du radier de fondation du monument sculpté C, situé à l’extérieur du péribole et intégré à un enclos qui lui est accolé (Blin, 2000, p. 113). Découvert parmi les pierres de fondation et dans les niveaux de destruction sus-jacents, il devait se trouver « sous les blocs d’appareil en calcaire constituant les parois sculptées du monument » et « a certainement été bousculé lors de la destruction et sa mise en carrière » (Blin dir., 2012, vol. IV, p. 67). Cependant, étant donné que l’élévation de l’édicule a été intégralement récupérée, il convient de rester prudent et d’envisager que ces monnaies aient aussi pu avoir été piégées dans ce contexte lors de sa démolition, d’autant plus qu’une centaine de pièces a été découverte dans le même enclos, aux abords immédiats du monument (cf. supra).

  • 49 Le bloc associé aux offrandes d’or et d’argent en question pourrait toutefois correspondre à la bor (...)

256Si l’hypothèse de dépôts volontairement enfouis lors de la construction de ces édifices est tout de même possible, il s’agit alors de petits lots de monnaies que l’on aurait placés avec soin au contact des fondations d’un temple et d’un monument sculpté. Elles n’auraient donc pas été jetées, comme l’a relaté Tacite, dans un texte qui concerne la reconstruction, en 70 de n. è., du temple de Jupiter au Capitole de Rome49 (Histoires, 4, 53). En tout état de cause, les raisons qui ont conduit à introduire les monnaies à la base des édifices sont inconnues et, comme l’a récemment noté R. Golosetti (2019a, p. 135), en s’appuyant sur les travaux à paraître d’O. de Cazanove et de L. Popovitch, on ne sait si les rites qui sont souvent caractérisés de « dépôts de fondation » par les archéologues relèvent de processus codifiés et publics ou au contraire d’initiatives individuelles des constructeurs, auquel cas l’expression « dépôts de construction » serait plus adaptée. Le même auteur rapporte d’ailleurs la découverte, dans le sud-est des Gaules, d’au moins deux dépôts de 3 et de 10 monnaies ensevelies sous le seuil de la galerie et de la cella du temple de la place Camille-Jouffray à Vienne (Isère), soit à un emplacement similaire à celui des 3 pièces découvertes à Jublains, également placées à l’aplomb de la porte de la cella.

Des dépôts massifs en fosse

257De même que les dépôts dits de fondation, rares sont les enfouissements volontaires, au sein des aires sacrées, de monnaies réunies par dizaines ou par centaines. En outre, la majorité d’entre eux provient de sites qui n’ont pas été fouillés ou dont l’exploration est ancienne et donc peu documentée. Il est néanmoins possible de distinguer deux types de dépôt en fonction de leur chronologie : d’une part, des ensembles de monnaies gauloises, parfois associées à des espèces romaines de la fin de la République ou du début de l’Empire, et à d’autres objets métalliques, qui ont été en grande partie entaillées à coups de burin ; d’autre part, des dépôts monétaires plus récents, datés de l’Antiquité tardive.

258Parmi les trois dépôts que l’on peut rattacher à la toute fin du second âge du Fer ou plutôt au début du Haut-Empire, seul celui de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2) est associé à un contexte stratigraphique relativement précis. Des fouilles programmées ont permis de localiser l’emplacement d’origine du dépôt, découvert peu de temps avant leur lancement, dans l’angle nord-ouest d’un sanctuaire délimité par une palissade, dont la destruction est datée de la seconde moitié du ier s. av. n. è. ou plutôt du début du ier s. de n. è. (cf. supra ; fig. 83). La contemporanéité de l’enceinte et de l’enfouissement du dépôt, bien qu’elle n’ait pu être prouvée sur la base d’arguments stratigraphiques, est toutefois hautement probable, eu égard à la position des monnaies et aux termini post quem et ante quem de leur enfouissement, respectivement fixés en 7 et en 10 de n. è. Lors de sa découverte, ont été prélevées 66 monnaies gauloises, 195 républicaines et 989 augustéennes, complétées par 32 rouelles, 2 tiges et 1 anneau en argent ; les objets sont répartis dans deux récipients en terre cuite, l’un contenant les artefacts en argent et l’autre, des espèces en bronze (Zehnacker, 1984 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 10). Ainsi, il se compose d’au moins 1 250 monnaies, et même, probablement, de plus de 1 422 objets de ce type, si l’on tient compte de pièces supplémentaires, trouvées en fouille ultérieurement. Une grande part de ces monnaies (94,3 %) a été entaillée à coups de burin (cf. infra) ; ce même geste a aussi été appliqué sur d’autres exemplaires extérieurs au dépôt. Signalons l’existence d’un autre possible dépôt, bien plus modeste, de 30 monnaies gauloises – en grande majorité des bronzes frappés attribués aux Rèmes –, dont une seule mutilée, mises au jour dans le comblement de la tranchée de fondation du même enclos palissadé, à proximité de son angle nord-est (Piette et Depeyrot, 2008, p. 8-9).

259Les circonstances de la mise au jour de deux autres dépôts monétaires sont moins bien renseignées. Le premier, exhumé sur la commune de Mordelles en 1893, provient très vraisemblablement des abords d’un temple dont les vestiges ont été mis au jour près d’un siècle plus tard au lieu-dit Sermon (S.189 ; Harscouët de Keravel, 1908 ; M. Batt, in Bouvet et al., 2003, p. 98). Parmi les 200 à 300 monnaies gauloises en « argent et billon », qu’il contient, également placées dans un vase, seules 24 ont pu être étudiées (Colbert de Beaulieu et Guibourg, 1952). Ces dernières correspondent, en grande majorité, à des productions régionales ; s’y ajoute un bronze à la légende Togirix, série provenant généralement de contextes contemporains ou postérieurs à la guerre des Gaules (Gruel et Popovitch, 2007, p. 40). Une part importante d’entre elles, non chiffrée, présente des entailles au revers, à l’instar de quelques monnaies gauloises et d’une autre augustéenne recueillies lors de la fouille (cf. infra).

260À Oisseau-le-Petit (la Cordellerie, S.21), ce sont 55 monnaies qui ont été collectées dans le cadre d’une découverte clandestine, réalisée à l’aplomb d’un fossé qui aurait délimité l’aire sacrée d’un sanctuaire équipé d’un temple classique, non daté mais probablement ultérieur, dont les vestiges ont été dégagés par F. Liger à la fin du xixe s. (Liger, 1895). On ignore ici si les monnaies étaient conservées dans un contenant et même si elles formaient un ensemble compact ou au contraire dispersé. Une seule monnaie romaine, émise sous la République, a été identifiée, tandis que les 54 autres pièces sont gauloises et correspondent majoritairement à des statères et à des quarts armoricains d’argent ou de billon. Encore une fois, la quasi-totalité du numéraire du dépôt (53 pièces) se caractérise par des mutilations – coups appliqués au burin ou monnaies pliées (J. Pilet-Lemière, archives scientifiques du sra des Pays de la Loire ; Bouvet dir., 2001, p. 381).

261Les dépôts issus de ces trois sites présentent donc plusieurs points communs : ils sont composés d’espèces ayant circulé lors de la seconde moitié du ier s. av. n. è. ou au cours des premières décennies du ier s. ; ils relèvent de séries différentes et résultent probablement d’une accumulation de monnaies sur une durée plus ou moins longue ; au moins deux d’entre eux ont été contenus dans des céramiques ; enfin, ils rassemblent des pièces pour la plupart entaillées à coups de burin, selon une pratique interprétée comme un sacrifice (cf. infra). Comme l’ont suggéré G. Aubin et J. Meissonnier (1994, p. 148 et in Bossard et al., 2016, p. 33) au sujet du dépôt de Mordelles, on peut alors considérer que l’enfouissement de ces lots de dizaines ou de centaines de monnaies constitue la dernière étape d’un processus visant à rassembler des offrandes et à les conserver au sein même du sanctuaire – ou à sa périphérie immédiate ? –, dans le cadre d’une opération de nettoyage du sanctuaire.

  • 50 Leur inventaire n’a pas été dressé, mais on sait que 97 % des monnaies collectées sur le site ont é (...)
  • 51 Parmi le « grand nombre de monnaies en bas argent ou en bronze » qui le composent, 17 pièces ont pu (...)

262La seconde série de dépôts monétaires regroupe des assemblages composés uniquement ou majoritairement d’émissions tardives. Environ 450 monnaies50, découvertes à Saclas (S.221), proviennent de ce qui est qualifié de « fosse votive », située à moins de 10 m à l’est du temple, tandis que le dépôt51 mis au jour en 1913 à Comblessac (S.132) a été extrait au sommet d’un tronçon de mur maçonné – non localisé au sein du sanctuaire –, enfoui à 1,50 m de profondeur et épais de 1 m, « entre deux pierres posées d’angle et adossées à la paroi sud » (anonyme, 1914, p. LIII). En revanche, aucune information n’est disponible au sujet du contexte d’enfouissement du dépôt de Tournai-sur-Dive (S.149), composé d’un millier d’antoniniens, émis entre les règnes de Valérien et d’Aurélien (253-275) ; il provient manifestement d’un sanctuaire identifié par voie aérienne (Leclerc, 1996, vol. 1, p. 221 et vol. 2, p. 96-97).

263Quant au dépôt découvert en 1819, « près de Champlost du côté de Brienon », il pourrait provenir du sanctuaire du Champ de l’Areigne à Brienon-sur-Armançon (S.202). Sa composition n’est pas connue avec précision ; il comprend au moins cinquante pièces, agglutinées les unes aux autres et émises entre la fin du iiie s. et la dynastie constantinienne, la plus récente étant datée de 337 (Henry, 1833, p. 59-60). Or les prospections récemment réalisées sur le site du Champ de l’Areigne ont permis de découvrir, à l’est de l’un des bâtiments identifiés à partir de photographies aériennes, 6 monnaies agglomérées au nom de Licinius Ier et II, de Constantin Ier, de Constant César et de Crispus César. Au regard de leur état et de leur chronologie, il est probable qu’elles soient issues du même dépôt que le lot de monnaies exhumé au xixe s. (P. Nouvel, in Labaune et al., 1999, p. 121).

264Ainsi, les monnaies de Saclas, où le numéraire abonde au cours de l’Antiquité tardive, notamment autour d’édicules (cf. supra), pourraient correspondre à des offrandes rassemblées dans une fosse lors de l’un des ultimes nettoyages de l’aire sacrée. En revanche, il est difficile de se prononcer pour les autres dépôts identifiés : les données chronologiques manquent pour confirmer que les sanctuaires sont encore en activité au moment de l’enfouissement des monnaies et l’emplacement même des dépôts n’est connu qu’avec approximation ; il n’est d’ailleurs pas certain qu’ils proviennent bien de l’aire sacrée et non d’une occupation périphérique. Quant aux raisons ayant motivé la cache, elles peuvent être multiples et ne présenter aucun lien avec les activités religieuses des sites, a fortiori s’ils ont déjà été abandonnés.

Monnaies et autres types de mobilier issus de fosses dépotoirs ou de vases

265Pour terminer ce tour d’horizon des contextes d’enfouissement des monnaies au sein des sanctuaires, il reste à évoquer brièvement la place de pièces retrouvées en petit nombre dans des fosses dépotoirs ou des vases, qui contiennent souvent d’autres objets – pour la plupart déjà abordés supra, puisqu’ils correspondent avant tout à des tessons de céramique et à des restes fauniques (2.1.2.2 et 2.2.1.3).

266Rares sont les monnaies découvertes en faible quantité au sein de vases enfouis ou déposés dans l’aire sacrée. La mention ancienne d’« urnes renfermant des monnaies de cuivre et beaucoup de fibules » (Cussé, 1892, p. 130), qui proviendraient du temple de Plaudren (S.274), n’appelle guère de commentaires, puisque les propos de leur inventeur sont invérifiables et que la description de ces objets se limite à cette phrase lapidaire. Dans les autres cas, quelle que soit la position du numéraire par rapport aux contenants en terre cuite, l’association d’une ou de quelques monnaies, de restes fauniques et de vases entiers ou brisés évoque généralement un lot d’offrandes – stips et aliments, ou reliefs d’un repas consommé à l’issue d’un sacrifice ? – qui a pu avoir été enseveli dans le sanctuaire à titre individuel ou au nom d’une communauté réduite. Parmi les restes fauniques, l’identification d’oiseaux de la basse-cour est d’ailleurs signalée à deux reprises et renvoie plutôt à une modeste offrande, comme l’évoque aussi le petit nombre de monnaies associées. Ainsi, à Chilleurs-aux-Bois (S.103), une petite fosse a servi de réceptacle à un fond de céramique – entière à l’origine ? – qui repose en position fonctionnelle, ainsi qu’à quelques ossements de volaille et à une monnaie émise en 72 de n. è. (Fournier dir., 2010, vol. 1, p. 317). Au sein du probable sanctuaire de la Place des Épars à Chartres (S.100, ph. 2), l’une des deux amphores enfouies en bordure d’un bassin en bois – leur fond a été supprimé et leur col devait émerger du sol – renferme 202 restes fauniques (issus au minimum de 8 coqs) et 4 monnaies de la période julio-claudienne. Sur ce même site, durant la phase précédente, ce sont 6 monnaies (dont au moins 5 as augustéens) qui ont été inhumées avec des débris de dolia et d’amphores, dont l’une contenait aussi des restes fauniques (J.-M. Morin, in Joly dir., 2010, p. 129-130). L’une des fosses de l’aire sacrée de la villa de Saint-Patrice (S.247) recelait également quelques tessons non datés, des ossements d’animaux et 2 monnaies, frappées au cours des principats d’Hadrien et de Commode (Guiot, 2003, p. 157). Si les monnaies n’ont pas été accidentellement piégées dans ces contextes, il faut probablement y voir les témoins d’offrandes individuelles, que l’on aurait enfouies auprès de vestiges d’animaux peut-être sacrifiés – la stips accompagnant probablement, dans certains cas, un sacrifice (cf. supra).

Le traitement des monnaies : les mutilations rituelles

267Alors que les monnaies ont en majorité été déposées dans un tronc ou dans une fosse, jetées à terre ou enfoncées dans le sol après avoir été simplement extraites de la circulation courante, d’autres ont été dégradées avant d’être définitivement enfouies dans l’enceinte d’un sanctuaire : des traitements particuliers ont alors été appliqués pour porter volontairement atteinte à leur valeur libératoire. On ignore toutefois si certains gestes, notamment le passage au feu de certaines monnaies, relève également de pratiques destructrices délibérément mises en œuvre : plusieurs monnaies découvertes au sol, à proximité du temple d’Évreux (S.56 ; Doyen dir., 2002, p. 23), présentent des traces de brûlure, de même qu’un bronze frappé gaulois et que cinq autres pièces des ier s. et iie s. de n. è. provenant du lieu de culte d’Authevernes (S.253 ; Doyen et al., 2011, p. 121-122), mais rien ne prouve que la combustion n’a pas été accidentelle. À Juvigné (S.36), un statère en or allié et deux quinaires d’argent de facture gauloise, piégés dans le comblement d’une fosse ou d’un trou de poteau, semblent avoir été portés à haute température et soudés au moyen d’un métal blanc, mais ce type de manipulation ne trouve pas de parallèle évident sur d’autres sites et semble donc marginal (Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 136 et p. 138).

268En revanche, l’examen du numéraire collecté sur une quinzaine de lieux de culte du centre et de l’ouest de la Lyonnaise offre l’opportunité d’examiner un ensemble de pratiques plus largement répandues, du moins aux alentours du changement d’ère, qui consiste à dégrader certaines monnaies à coups de divers instruments, pour les entailler, les marteler ou les limer, voire les percer, les découper, les graver ou les poinçonner. Les travaux de G. Aubin et de J. Meissonnier ont bien montré, au cours des trois dernières décennies, que ces mutilations, lorsqu’elles ne concernent pas des monnaies fourrées ou l’effigie d’empereurs dont on souhaite effacer l’image selon la procédure de la damnatio memoriae, sont généralement réalisées dans le cadre de pratiques religieuses, au sein de lieux de culte construits ou au passage d’un gué (Aubin et Meissonnier, 1994 et in Bossard et al., 2016, p. 31-34 ; Aubin, 2015). Ces pratiques, bien attestées en Lyonnaise, ne sont pour autant pas spécifiques à cette aire géographique, puisqu’elles ont aussi été reconnues, pour une chronologie similaire, sur d’autres sites des Gaules, mais aussi en Germanie ou sur l’île de Bretagne (Jersey, 2005 ; Wigg-Wolf, 2005 ; Troubady, 2019). Les monnaies, ainsi mutilées, sont soustraites à l’usage profane et peuvent alors être considérées comme « sacrifiées » et donc consacrées aux divinités (Brunaux, 1987, p. 161 ; Aubin et Meissonnier, 1994, p. 146).

269Quelles sont les modalités des mutilations à l’échelle du territoire étudié ? à seize sanctuaires identifiés, ayant livré entre une et 1 378 monnaies dégradées (fig. 144), s’ajoutent – mais la liste n’est pas exhaustive – quelques découvertes isolées, pour lesquelles le contexte archéologique n’est pas suffisamment renseigné pour y reconnaître avec certitude un sanctuaire, ainsi que le gué Saint-Léonard à Mayenne (Besombes, 2004 ; Aubin et Monteil, 2015a).

Figure 144 : Répartition et nombre de monnaies mutilées découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 144 : Répartition et nombre de monnaies mutilées découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

270D’une manière générale, la part de monnaies entaillées est faible en regard de la quantité de numéraire recueillie sur ces sites (tabl. VI). Ainsi, une seule pièce gauloise – à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138), Quimper (S.176 ;), La Chapelle-aux-Fougeretz (S.184), Macé (S.196) et dans l’enceinte du sanctuaire d’Amboise (S.237) – ou bien augustéenne (Criquebeuf-sur-Seine, S.256), présentant les stigmates de coups de burin, a été identifiée sur des sanctuaires qui ont pourtant livré d’autres monnaies de la fin de l’âge du Fer ou du début de l’Empire (soit une monnaie augustéenne sur trois mutilée à Criquebeuf-sur-Seine et moins de 17 % des monnaies gauloises entaillées pour les cinq autre lieux de culte). De la même façon, les neuf sites au sein desquels ont été recueillies entre 2 et plus de 30 monnaies dégradées se caractérisent par une relative abondance de numéraire gaulois et antique, du moins pour ceux qui ont été fouillés (entre 68 et 843 monnaies, soit une proportion de pièces mutilées s’échelonnant entre moins de 1 % et 15 %). D’ailleurs, sur le site de la Forêterie à Allonnes (S.9 ; Brouquier-Reddé et Gruel, 2015, p. 76), seulement moins de 10 monnaies gauloises, parmi 530 exemplaires recensés, portent de telles marques, alors qu’à Paule (S.172 ; V. Drost, in Menez et al., 2021, p. 207), par exemple, le seul statère gaulois a été abîmé, de même que 3 ou 4 espèces augustéennes et une imitation d’as augustéen, soit près d’un tiers des monnaies à l’effigie du premier empereur romain.

Tableau VI : Caractéristiques des monnaies mutilées des sanctuaires étudiés.

Tableau VI : Caractéristiques des monnaies mutilées des sanctuaires étudiés.

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Réal. S. Bossard.

271Enfin, sept sites – les sanctuaires avérés de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 : 1 378 monnaies), Panzoult (S.242 : 648), Juvigné (S.36 : 61), la Cordellerie à Oisseau-le-Petit (S.21) et sans doute celui de Mordelles (S.189, cf. supra), ainsi que le gué Saint-Léonard de Mayenne (586 monnaies) et les dépôts de Quiberon (plus de 97) et de Jersey-11 (181) – se distinguent des précédents par une quantité élevée de numéraire dégradé, supérieure à une cinquantaine de pièces. Pour autant, ces monnaies ne représentent qu’environ 3 % du lot massif collecté dans la Mayenne à Saint-Léonard, 15 % des monnaies du sanctuaire de Juvigné, 30 % de celles du dépôt de Jersey-11 et 35 % de celles qui ont été prélevées en surface du lieu de culte de Panzoult, soit quatre sites pour lesquels la chronologie des émissions est resserrée autour du ier s. av. n. è. et du ier s. de n. è., ou encore 29 % du numéraire inventorié au sein du sanctuaire de La Villeneuve-au-Châtelot, où les monnaies de l’Antiquité tardive sont certes nombreuses (754). En revanche, les ensembles clos que constituent les dépôts en vase de Port-Haliguen I et II, de Mordelles et de La Villeneuve-au-Châtelot – voire celui d’Oisseau-le-Petit ? – présentent tous les quatre une part importante de monnaies mutilées qui, lorsqu’elle a pu être évaluée avec précision, est supérieure à 90 %. Il est alors évident que les dizaines ou centaines de monnaies rassemblées pour être mises au rebut dans un vase – enseveli au sein même de l’aire sacrée ? – ont été ici sélectionnées avant tout en fonction du traitement qu’elles avaient subi (cf. supra). À l’exception de ces contextes particuliers, il faut donc admettre, à la suite de G. Aubin et de J. Meissonnier (in Bossard et al., 2016, p. 34), que la pratique de la mutilation est minoritaire au sein des sanctuaires au début du ier s. de n. è., voire à la fin du ier s. av. n. è. Cependant, on ne sait si elle n’a été adoptée que par une partie des dévots, pour certaines monnaies seulement ou dans le cadre de rites précis.

272En tout état de cause, l’observation des traitements, pour chaque lot, permet souvent de restituer une variété de gestes et l’implication, sans doute, d’acteurs multiples ou, sinon, d’une même personne qui a agi de différentes manières. La nature même de la dégradation mise en œuvre peut changer d’une pièce à l’autre (fig. 145) : à La Villeneuve-au-Châtelot, tandis que la majorité des pièces gauloises, républicaines et augustéennes a été entaillée au moyen d’un, de deux ou de trois coups de burin, appliqués au droit ou, plus rarement, au revers, beaucoup de monnaies en bronze semblent avoir été frappées au moyen d’un marteau (Zehnacker, 1984, p. 85-86). À Juvigné, 61 pièces ont subi les mêmes traitements qu’à La Villeneuve-au-Châtelot, c’est-à-dire qu’elles ont été entaillées au moyen d’un instrument tranchant (pour la majorité d’entre elles) ou frappées (pour seulement 20 d’entre elles) à l’aide d’un marteau ou d’une pierre : 33 sont gauloises, 18 correspondent à des frappes républicaines, 4 sont datées du règne d’Auguste, une de celui de Caligula et une dernière de celui de Claude. G. Aubin et J. Meissonnier ont également mis en lumière une autre pratique, qui a pu être réalisée en parallèle des entailles et des martelages, ou bien avoir pris la relève lorsqu’elle a cessé ou qu’elle est devenue moins fréquente : une contremarque, inconnue d’autres sites (« mv » ligaturés), a été imprimée sur 36 autres monnaies, en utilisant au moins deux poinçons de module différent ; ce geste a surtout concerné des pièces républicaines (au moins 10 identifiées) et augustéennes (11) et, dans une moindre mesure, d’autres émises sous le règne de Tibère (2). Le poinçon pourrait alors avoir servi à marquer les monnaies d’un signe entérinant leur consécration, à l’instar des autres types de mutilation, et ainsi jouer le rôle de « cachet du sanctuaire » (Aubin et Meissonnier, 1994, p. 147-148 et in Bossard et al., 2016, p. 31-32 ; Aubin, 2015, p. 211 ; Bossard et Dufay-Garel (dir.), 2016, p. 136-140).

Figure 145 : Monnaies gauloises ou romaines mutilées à coups de burin (a, b, c, e, g et h), limée (f) ou marquée au moyen de la « contremarque de Juvigné » (d).

Figure 145 : Monnaies gauloises ou romaines mutilées à coups de burin (a, b, c, e, g et h), limée (f) ou marquée au moyen de la « contremarque de Juvigné » (d).

Réal. S. Bossard, d’après des cliclés de J.-M. Fournier (Prisma-Laval) et de J. Meissonnier ; Troubady, 2019, p. 412, fig. 2.

273L’incision et l’écrasement des monnaies sont deux pratiques qui ont aussi été réalisées conjointement pour le marquage des pièces composant le dépôt de Port-Haliguen I (Goulpeau, 1985), alors qu’à Panzoult, les monnaies, lorsqu’elles ne sont pas entaillées, ont été manifestement limées dans le but d’effacer l’image qu’elles portent (Troubady, 2019, p. 412). Des rayures (volontaires ?) ont également été mises en évidence sur une monnaie d’Orléans (M. Troubady, in Verneau et Noël dir., 2009, vol. 2, p. 107), alors qu’à Paule, 4 ou 5 pièces gauloises et augustéennes ont été délibérément détériorées à coups de ciseau ou à l’aide d’une pince, tandis qu’une imitation d’as augustéen a été légèrement déformée, peut-être par martelage, et qu’un as de Claude a été perforé à l’aide d’un clou (V. Drost, in Menez et al., 2021, p. 207). Certaines monnaies d’Oisseau-le-Petit, de Jersey-6 et de Jersey-11 ont, quant à elles, été pliées ; sur ces deux derniers sites, la tranche de plusieurs autres pièces a été délibérément martelée (J. Pilet-Lemière, in archives scientifiques du sra des Pays de la Loire ; Colbert de Beaulieu, 1957, p. 82).

274Quant aux entailles, marques les plus fréquemment identifiées, elles sont parfois limitées à un seul coup porté au droit ou au revers, prennent la forme de deux marques disposées en croix, notamment à La Villeneuve-au-Châtelot, ou bien apparaissent à trois reprises ou plus sur d’autres pièces. La dégradation du revers a été privilégiée pour les monnaies gauloises de Juvigné, de Mordelles, d’Oisseau-le-Petit et du Petit-Celland, mais le droit de statères ou de potins a aussi été incisé à Panzoult, Lémeré et à Allonnes (tabl. VI). Le plus souvent, le numéraire romain est mutilé au droit plutôt qu’au revers, que ce soit à La Villeneuve-au-Châtelot, à Juvigné, à Quiberon, Mézières-sur-Seine, Criquebeuf-sur-Seine ou Paule, sans que l’on puisse déterminer les motivations qui ont conduit à ces choix ; il serait nécessaire d’examiner attentivement et systématiquement l’emplacement des entailles pour vérifier si elles coupent des zones spécifiques des images ou si elles sont au contraire appliquées de façon aléatoire.

275L’examen des critères de sélection des monnaies révèle aussi l’existence de traits particuliers à certains ensembles et permet de fixer, en tenant compte de leur date d’émission, la chronologie des dégradations. À Juvigné, le taux de mutilation décroît avec la valeur des pièces, du moins pour les séries gauloises : les entailles ou les coups sont systématiques sur les statères en or allié, assez fréquents pour les monnaies d’argent et de billon et absents pour les potins (Aubin et Meissonnier, 1994, p. 146). En ce qui concerne les autres sites d’où proviennent des monnaies gauloises, la dégradation des espèces à base d’or ou d’argent paraît effectivement avoir été assez courante : une monnaie en bas électrum sur deux a été mutilée à Douarnenez, de même que 17 petits billons sur 39 (44 %), indifféremment au droit ou au revers ; parmi les 5 monnaies d’or d’Allonnes, 2 (40 %) ont été détériorées ; à Panzoult, alors que 4 statères gaulois sur 6 (67 %) et que 11 monnaies d’argent – gauloises ou romaines – sur 18 (61 %) ont subi un tel traitement, ce ne sont que 633 des 1 650 potins (38 %) qui ont été dégradés (Gruel et Clément, 1987 ; Aubin et Meissonnier, 1994, p. 146 ; Troubady, 2019, p. 412).

276Du côté des émissions romaines, à La Villeneuve-au-Châtelot, les monnaies de bronze et d’argent contenues dans les deux vases ont été, d’une manière générale, en très grande partie cisaillées ou martelées (soit 94 % du lot), mais des différences entre les pièces entières des ateliers augustéens de Nîmes et de Lyon (97 à 100 %) et les demi-pièces des groupes Nîmes I (73 %) et Nîmes II (54 %), de plus faible valeur et moins souvent mutilées, ont été observées (Zehnacker, 1984, p. 85-86 ; Aubin et Meissonnier, 1994, p. 146). À Juvigné, les bronzes républicains sont plus souvent dégradés (3 sur 7, soit 43 %) que les deniers et quinaires contemporains (15 sur 61, soit 25 %), mais les premiers sont ici bien moins représentés que les seconds ; quant aux monnaies de l’époque impériale, elles sont également peu nombreuses à avoir été incisées ou frappées, qu’elles soient en alliage cuivreux (5) ou en argent (2) [Bossard et al., 2016, p. 45-50 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 136-140]. Enfin, l’étude du dépôt de Port-Haliguen II indique que la mutilation est systématique pour les monnaies d’argent de la République – auxquelles s’ajoutent un quinaire de la vallée du Rhône –, tandis que 92 % des bronzes augustéens ont été abîmés ; l’état du denier frappé en 2 av. n. è. à Lyon n’a pas été précisé (Goulpeau, 1985). Ainsi, d’une manière globale, il semble bien que les coups aient été préférentiellement appliqués aux monnaies de plus grande valeur, que ce soit pour les monnayages gaulois ou romains, mais avec des proportions toutefois variables d’un site à l’autre.

277D’un point de vue chronologique, il est difficile de préciser à quelle date débute la destruction ritualisée des monnaies. Si le numéraire gaulois a été particulièrement touché par ce phénomène, il est quasi-systématiquement associé à des espèces d’époque romaine – entaillées ou non – et il semble donc probable que les mutilations aient été appliquées lors de la circulation conjointe des monnayages laténiens et des frappes des époques républicaines et impériales, soit au plus tôt durant le règne d’Auguste, aux alentours du changement d’ère. Le terminus post quem défini pour l’enfouissement des dépôts de Port-Haliguen I (8 av. n. è.), de Port-Haliguen II (2 av. n. è.) et de La Villeneuve-au-Châtelot (7 de n. è.) renvoie à cette même période ; sur ce dernier site, ont aussi été mis au jour des semis frappés à Lyon entre 12 et 14 de n. è., qui proviennent d’autres secteurs du sanctuaire et qui ont également fait l’objet de mutilations (Giard, 1967 ; Zehnacker, 1984 ; Goulpeau, 1985 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 52). D’autres dégradations, plus ponctuelles (tabl. VI), ont aussi été signalées pour des monnaies émises durant le règne de Tibère (à Brienon-sur-Armançon, Mézières-sur-Seine et peut-être Quimper), mais aussi ceux de Caligula et de Claude (41-54) à Juvigné ; à Paule, un as claudien a été perforé à l’aide d’un clou, marquant peut-être une évolution des pratiques, toutefois plus rares, alors que les émissions postérieures sont intactes (V. Drost, in Menez et al., 2021, p. 207). Quant aux coups de ciseau identifiés sur un as de Trajan, encore une fois à Juvigné (G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 32), ils sont bien plus tardifs et constituent une exception notable. En bref, la pratique des mutilations, sous ses diverses formes, a sans doute décliné dès le premier quart du ier s. de n. è., puis disparaît lors du second quart de ce siècle, à des rythmes cependant propres à chaque lieu de culte.

278Le contexte archéologique des monnaies mutilées fait souvent défaut. À La Villeneuve-au-Châtelot, à Mordelles, à Port-Haliguen (I et II) et à Oisseau-le-Petit, les dépôts, la plupart du temps placés dans des vases en terre cuite, témoignent vraisemblablement de la mise au rebut d’offrandes en grande majorité dégradées (cf. supra). Il faut donc envisager que la mutilation avait lieu dans un seul et même espace, très probablement dans l’enceinte même du sanctuaire, ou du moins qu’une partie ou l’ensemble des monnaies « sacrifiées » était collectée dans un même réceptacle à l’issue des manipulations. D’autres monnaies entaillées (au moins 199) ont été découvertes dans l’enclos – ou ses abords – de La Villeneuve-au-Châtelot, ce qui montre bien que l’on n’a pas cherché à récupérer et à enfouir l’intégralité du numéraire dégradé (Piette et Depeyrot, 2008, p. 95-194). À Paule, les quelques pièces mutilées, éparpillées au sol aux côtés de monnaies épargnées et de deux fibules, proviennent des abords d’une fosse (cf. supra, fig. 133) dans laquelle Y. Menez restitue un possible tronc à offrandes en bois (V. Drost, in Menez et al., 2021, p. 207-210). Encore une fois, il semble donc que ces objets volontairement abîmés étaient destinés, du moins en grande partie, à être rassemblés, ici à proximité d’une petite construction en matériaux périssables qui pourrait correspondre à une cella. L’enfouissement des monnaies dégradées dans un ou plusieurs vases – témoignant de dépôts successifs à Port-Haliguen, et donc d’une pratique étalée dans le temps ? –, ensevelis et jamais récupérés, alors que les sites continuent généralement d’être occupés, est révélateur du souci de conserver sur place des offrandes que l’on ne souhaitait pas évacuer du sanctuaire et qui ne devaient pas être recyclées, malgré leur valeur métallique. La découverte de monnaies mutilées dans les gués témoigne également en ce sens. On ne peut toutefois exclure qu’une partie du numéraire entaillé quittait le lieu de culte, non pour être remis en circulation mais pour être fondu, bien que cette hypothèse nous semble peu probable au regard du nombre important de pièces mutilées que l’on a pris soin d’enfouir dans leur enceinte même.

Les monnaies des sanctuaires : synthèse chronologique

  • 52 D’autres usages, déjà évoqués supra et liés à diverses activités placées sous le contrôle des dieux (...)

279L’usage des monnaies dans les lieux de rituels antérieurs à la guerre des Gaules est encore peu documenté, notamment en raison des difficultés liées à l’identification de niveaux archéologiques intacts, qui n’ont pas été perturbés par l’activité ultérieure des lieux de culte. Quoi qu’il en soit, leur introduction au sein des sanctuaires gaulois semble avoir été assez rare et seuls deux exemples, en l’état des connaissances, attestent leur présence dans de tels contextes, datés de la fin du iie s. ou du début du ier s. av. n. è. La manipulation de monnaies au sein de sanctuaires et à une époque aussi haute n’est pas spécifique au secteur étudié, puisque dans le quart nord-est des Gaules, les premiers dépôts sont datés – à de rares exceptions près, plus anciennes, correspondant à des statères en or – des premières décennies de La Tène finale (Wellington, 2005a, p. 176). Malheureusement, que ce soit à Bennecourt ou à Saumeray, ces monnaies – essentiellement ou exclusivement des potins, à l’instar des sites du nord-est – sont issues du remplissage des fossés de trois petits enclos, dans lesquels ont été déversés divers objets manipulés au sein ou à proximité immédiate, dont des offrandes et des déchets alimentaires, sans que l’on puisse expliquer leur présence. Il n’est toutefois guère probable que les dizaines de monnaies recueillies aient été simplement perdues par les participants aux cérémonies. Il faut alors envisager qu’elles ont probablement été introduites en tant qu’offrandes52, et que l’adoption de cette pratique, lorsque s’intensifient les contacts avec Rome et que se développe une économie monétaire dans les Gaules, témoigne d’une ouverture du monde celtique à la culture méditerranéenne, pour laquelle la stips fait partie des rites pratiqués en contexte religieux (Izri, 2011, p. 649-651 ; cf. infra, 4.1.2.2). On ne peut toutefois affirmer que l’on offre une monnaie dans un sanctuaire gaulois de la même façon qu’on le fait à Rome, puisqu’on ignore tout des mécanismes du don monétaire tel qu’il est pratiqué par les populations celtiques.

280Pour d’autres sites, il est certes possible qu’une partie du numéraire laténien que l’on a découvert en contexte d’époque romaine ou au sein de niveaux remaniés ait été apporté en guise d’offrande au cours des décennies qui ont précédé la conquête césarienne (cf. supra). Il faut néanmoins admettre que les modalités de la circulation des monnaies gauloises au début du Haut-Empire sont encore peu connues des numismates et des archéologues, en particulier pour le quart nord-ouest des Gaules. En outre, l’étude des contextes archéologiques les plus fiables témoigne – sauf exception – de l’association systématique, au sein des sanctuaires et dans les mêmes contextes stratigraphiques, des monnayages gaulois aux premières émissions de la période impériale et à quelques espèces républicaines. Ainsi, si des monnaies ont certainement été offertes aux divinités dès la fin du iie s. ou le début du ier s. av. n. è., la quantité de numéraire déposée dans les lieux de culte ne semble s’accroître véritablement qu’à partir du troisième quart du ier s. voire, plus vraisemblablement, au cours de la période augustéenne (Wellington, 2005a, p. 245-302).

281L’observation rigoureuse des contextes d’enfouissement datés entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et le second quart du ier s. de n. è. révèle alors une pluralité de pratiques, adoptées de manière peut-être progressive : des monnaies sont enfoncées dans le sol, à proximité et peut-être à l’intérieur de constructions que l’on peut identifier à des temples, tandis que d’autres sont jetées au pied de statues de culte, dans les cellae, ou bien dans l’eau, que ce soit sur les berges de bassins ou de ruisseaux, ou directement dans une résurgence sans doute habitée. Cependant, la pratique romaine de la iactatio stipis ne peut être invoquée systématiquement et sans appel pour expliquer les concentrations au sol de monnaies observées aux abords d’édifices, dans la cour sacrée : la présence de certains regroupements de monnaies plaide au contraire en faveur du dépôt de bourses ou d’offrandes – individuelles plutôt que collectives ? – réunies dans d’autres contenants en matériaux périssables, que l’on aurait pu disperser au moment du réaménagement des sites, afin de les conserver dans l’enceinte même du sanctuaire ; comme l’indiquent plusieurs sources latines, la iactatio stipis paraît avoir été restreinte, en Lyonnaise, à certains contextes, en particulier devant une statue ou dans l’eau habitée par un être divin. Quoi qu’il en soit, pour cette période, « ces monnaies avaient une autre fonction que celle d’alimenter une caisse servant à l’entretien du culte. Le caractère de ces dépôts évoquerait plutôt des offrandes consacrées et inviolables, attachées au patrimoine de la divinité » (Van Andringa, 2017a, p. 135).

282La mutilation de monnaies, autour du changement d’ère et au début du ier s. de n. è., appuie également l’hypothèse de dons que l’on a souhaité rendre inutilisables dans la sphère profane en les sacrifiant aux dieux et aux déesses. Cette pratique n’est toutefois pas courante et semble avoir été réservée – du moins à grande ampleur – à certains sanctuaires, au sein desquels seule une partie du numéraire introduit est soumis à de telles dégradations. Les monnaies gauloises ont manifestement constitué, dans de nombreux cas, des offrandes de choix : il est probable que l’on ait voulu supprimer des bourses ces pièces que concurrençaient alors les frappes des nouveaux ateliers monétaires de l’Empire romain, tout en s’attirant les faveurs des dieux ou en les remerciant. Néanmoins, les espèces augustéennes sont également fréquentes dans les niveaux archéologiques datés du début du ier s. de n. è. et on ne peut expliquer l’offrande de monnaies par la simple volonté de se débarrasser d’espèces en voie d’obsolescence.

283En tout état de cause, la situation change du tout au tout dès le second quart du ier s. de n. è., ou au plus tard durant la seconde moitié de ce siècle, alors que s’estompe la circulation des dernières monnaies gauloises et que nombre de chantiers sont programmés pour reconstruire les principaux lieux de culte (cf. infra, 5.3) : à de rares exceptions près, la stips laisse désormais moins de traces archéologiques. Plutôt que de considérer qu’elle disparaît véritablement, il semble plus plausible d’affirmer qu’elle sert à présent, tout au long du Haut-Empire – et cette hypothèse n’est pas nouvelle (Nouvel, 2013a, p. 370-371 ; Golosetti, 2019a, p. 153-154) –, à financer les travaux ou les autres achats entrepris au profit des divinités et de leur culte. Les aires sacrées seraient alors équipées de troncs servant à leur collecte, bien que les arguments archéologiques favorables à cette hypothèse manquent encore dans la majorité des cas. Certaines monnaies échappent tout de même à ce procédé : d’une part, celles qui chutent accidentellement de la poche ou de la bourse des visiteurs et, d’autre part, quelques lots de monnaies que l’on continue vraisemblablement, tel qu’au Mans et peut-être à Mareuil-lès-Meaux, de jeter dans de petits temples ou dans l’eau. Ces derniers exemples renvoient sans doute à des pratiques individuelles, visant à offrir une espèce de faible valeur à une divinité. Quant aux dons monétaires les plus importants, il n’en subsiste aucune trace matérielle directe, puisqu’ils ont vraisemblablement été réinvestis pour l’agrandissement ou l’entretien du lieu de culte. Si cette hypothèse a le mérite d’expliquer l’absence, ou du moins la rareté des monnaies émises entre le dernier tiers et la fin du iie s. de n. è. au sein des lieux de culte, on ignore tout des comptes tenus par les gestionnaires des édifices religieux et, une fois les programmes de reconstruction achevés, on ne sait à quels usages a pu avoir été destiné le numéraire accumulé au gré d’initiatives individuelles ou à l’issue de quêtes collectives.

284La crise économique qui a marqué le courant du iiie s. et la quasi-absence de numéraire frais introduit pendant plus d’un demi-siècle dans les sanctuaires prive la réflexion des données qui permettraient de cerner l’évolution des pratiques durant cette période. La rareté globale des monnaies du iie s., qui ont probablement été utilisées pour pallier ce manque, laisse néanmoins penser que la situation ne varie pas avant le dernier quart du iiie s. ou le début du ive s., moment à partir duquel le dépôt de monnaies au sein de la plupart des lieux de culte encore en activité devient de nouveau perceptible, en Lyonnaise comme ailleurs dans les Gaules (Nouvel, 2013a, p. 373-377). Si la quantité importante de numéraire daté entre la fin du iiie s. et le terme du ive s. doit être comparée aux contextes d’habitat pour nuancer l’idée d’apports massifs qui seraient exclusivement spécifiques aux espaces sacrés, il ne fait pas de doute que les pratiques religieuses, ou sinon la gestion des offrandes, évoluent de manière globale au cours de cette période. Les contextes de découverte les mieux renseignés témoignent de l’accumulation d’offrandes – jetées selon le rite de la iactatio stipis, toujours en vigueur ? – à l’intérieur des principaux temples, mais aussi dans certains édicules, autour d’un monument sculpté à Jouars-Pontchartrain ou encore dans plusieurs bassins, bien que ces derniers semblent aussi avoir servi de réceptacle pour le jet de monnaies sur des sites dépourvus de bâtiment de culte. En tout état de cause, les monnaies ne sont plus systématiquement récupérées et s’amoncellent, parfois par dizaines ou par centaines, dans les sanctuaires, manifestement jusqu’à leur abandon, dont la date varie d’un exemple à l’autre (cf. infra, chapitre 6).

285Néanmoins, l’absence fréquente de données stratigraphiques ne permet souvent pas, pour l’Antiquité tardive – mais le constat peut aussi être élargi, d’une manière générale, aux siècles précédents –, de circonscrire avec toute la précision requise le cadre des pratiques rituelles et d’en cerner les modalités. S’ajoutent à ce problème, pour les contextes les plus tardifs, des difficultés liées à la distinction entre les ultimes offrandes et les monnaies perdues au cours de réoccupations profanes, postérieures à l’abandon des sanctuaires, ou des phases de démolition.

2.2.3.2. Des parures et des accessoires vestimentaires fréquents

286Présents dans 91 sanctuaires (soit 54 % de ceux dont le mobilier archéologique est connu), les parures et les ornements vestimentaires figurent parmi les catégories d’objets les plus courantes en contexte religieux, que ce soit durant le second âge du Fer ou l’époque romaine, en particulier jusqu’au ier s. de n. è. (fig. 146). S’il est admis que les artefacts de ce type ont été fréquemment introduits dans les lieux de culte gaulois ou d’époque romaine en tant qu’offrandes (Rey-Vodoz, 1991, p. 216 ; Arcelin et Brunaux, 2003, p. 245), il faut encore une fois évoquer de possibles pertes : la question se pose notamment pour les menus objets découverts en petit nombre au sein de certaines aires sacrées, a fortiori lorsqu’il ne s’agit que d’un fragment de fibule, à Richebourg (S.118 ; Barat, 1999, p. 125 et p. 147) par exemple, ou encore d’une perle isolée, tel qu’à Carnac (S.272 ; Miln, 1877, p. 140). L’examen du nombre et de la nature des parures et des objets vestimentaires mis au jour sur les sites, ainsi que de leur contexte de découverte, de la chronologie de leur enfouissement et des éventuels traitements qui y ont été appliqués, est riche en enseignements au sujet des pratiques religieuses, puisqu’il révèle des traits récurrents et confirme sans problème, dans nombre de cas, qu’il s’agit bien d’offrandes.

Figure 146 : Répartition et nombre de parures et d’accessoires vestimentaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 146 : Répartition et nombre de parures et d’accessoires vestimentaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

287Si l’on restreint l’enquête aux objets les plus fréquents et les plus aisément identifiables (fibules, bracelets, perles, bagues, pendants d’oreille, épingles de cheveux, intailles, boucles et agrafes de ceinture) et en excluant les quelques boutons, pendentifs, pendeloques et clous de chaussure, qui ont pu avoir été facilement perdus, ce sont 1 512 artefacts, répartis sur 80 sites et appartenant à un minimum de 1 360 parures ou ornements vestimentaires, qui ont pu être dénombrés ; s’y ajoute une quantité de mobilier indéterminée pour les 11 autres lieux de culte (fig. 147 ; Bossard, 2021, vol. I, p. 358-361, tabl. XXI).

Figure 147 : Répartition des différents types d’objets de parure et d’accessoires vestimentaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 147 : Répartition des différents types d’objets de parure et d’accessoires vestimentaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

288Au sein de ce lot, les fibules, de facture laténienne ou romaine, sont largement majoritaires : plus de 970 objets de ce type, en fer ou surtout en alliage cuivreux, proviennent de 85 sanctuaires. Dans près de deux cas sur trois (48 sites), moins de 10 fibules ont été mises au jour, alors qu’entre une dizaine et une trentaine d’attaches vestimentaires de ce type a été recueillie au sein de 23 autres sanctuaires ; enfin, les 5 lieux de culte dans lesquels ont été mis au jour entre une quarantaine et 108 fibules ont généralement été occupés sur le temps long, de la période laténienne à l’époque romaine – à Neuville-sur-Sarthe (S.18), Meaux (S.158) Saint-Jean-Trolimon (S.179), La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) et Bennecourt (S.254 ; fig. 148, d).

Figure 148 : Objets de parure et éléments vestimentaires issus de la fouille du sanctuaire gaulois puis antique de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) : fragment de probable torque en alliage cuivreux de La Tène ancienne (a) ; grosses perles en verre de facture laténienne (b) ; petites perles annulaires (fin du ier s. av. n. è. ? ; c) ; fibules en alliage cuivreux de l’époque romaine (d) ; épingles en os du ive s. de n. è.

Figure 148 : Objets de parure et éléments vestimentaires issus de la fouille du sanctuaire gaulois puis antique de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) : fragment de probable torque en alliage cuivreux de La Tène ancienne (a) ; grosses perles en verre de facture laténienne (b) ; petites perles annulaires (fin du ier s. av. n. è. ? ; c) ; fibules en alliage cuivreux de l’époque romaine (d) ; épingles en os du ive s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 96-123, fig. 72-91.

289Les perles gauloises ou antiques recensées (plus de 205), provenant de 40 lieux de culte, sont souvent en pâte de verre ou en verre, plus rarement en alliage cuivreux, en pierre, en ambre, en os ou en terre cuite ; il est probable qu’elles aient appartenu à une cinquantaine de parures, au moins. Il s’agit vraisemblablement de colliers ou de bracelets, dont la forme et la composition ne sont généralement pas restituables, puisque ces petits éléments sont souvent découverts isolés – à l’exception d’une concentration de 23 perles en verre (fig. 148, c) provenant d’un niveau daté autour du troisième quart du ier s. av. n. è. à Bennecourt (S.254, ph. 2 ; Bourgeois dir., 1999, p. 36 et p. 126-127) et d’un lot de 38 perles tubulaires en pâte de verre, mis au jour dans une fosse creusée durant l’époque romaine à l’intérieur du grand temple de Pannes (S.220 ; Dondin-Payre et Cribellier, 2011, p. 556).

290Par ordre de fréquence, les épingles à cheveux (fig. 148, e), en alliage cuivreux ou en os pour l’essentiel, sont ensuite les plus nombreuses, avec plus de 134 occurrences disséminées sur 20 sites ; la grande majorité de ces objets d’époque romaine (85 %) est toutefois concentrée dans trois lieux de culte des cités voisines des Véliocasses et des Carnutes, à Bennecourt (S.254), Genainville (S.260) et peut-être Jouars-Pontchartrain (S.127).

291Les bracelets (plus de 99), souvent fragmentaires, identifiés parmi le matériel de 31 sanctuaires, ont été confectionnés à partir de matériaux variés : aux productions en verre, caractéristiques du second âge du Fer, s’ajoutent des objets annulaires en métal (généralement de l’alliage cuivreux ou du fer, lorsqu’il est suffisamment conservé pour être identifié) ou en roche (schiste ou lignite), laténiens ou d’époque romaine.

292Les bagues sont aussi relativement fréquentes : au moins 80 exemplaires ont été reconnus sur 33 sites ; il faut probablement y ajouter un nombre indéterminé d’anneaux en fer ou en alliage cuivreux, dont les dimensions n’ont pas été précisées, qui constituent des objets fréquents dans les sanctuaires (cf. supra, 2.2.2.3). Si l’on s’en tient aux bagues certaines, elles sont le plus souvent métalliques – en alliage cuivreux ou en fer, voire en argent ou en or comme à Allonnes (S.9 et S.10), au Mans (S.16) ou à Neuville-sur-Sarthe (S.18) –, parfois serties d’une pierre, ou bien en verre ou en os. De rares bagues-clefs, à l’exemple de celles de Jublains (S.204), ont été signalées.

293Les autres objets de parure ou vestimentaires inventoriés sont peu nombreux : rapportons la découverte, sur 6 sites, de plus de 10 boucles ou agrafes de ceintures – hors agrafes des ceinturons liés à la suspension des armes laténiennes, cf. infra, 2.2.3.3 –, ainsi que de 8 pendants d’oreille métalliques, issus de 7 lieux de culte, et de 7 intailles, qui ont pu avoir orné des bagues ou des pendentifs, sur 5 sanctuaires. Enfin, trois médaillons taillés dans un bois de cervidé – à Cracouville, le Vieil-évreux (S.78), à Mauves-sur-Loire (S.167) et à la Forêterie, à Allonnes (S.9) – ainsi que deux petites représentations phalliques, en plomb à Orléans (S.114) et en alliage cuivreux à Jouars-Pontchartrain (S.127), constituent de probables amulettes à valeur prophylactique.

294Quant aux parures en or, qui ont certainement constitué des offrandes de prix, elles sont rares au sein des sanctuaires : aux bagues d’Allonnes (S.9) et du Mans (S.16), déjà évoquées, s’ajoutent quelques boucles d’oreille ou pendentifs, datés du Haut-Empire et mis au jour à Yville-sur-Seine (S.90), Brienon-sur-Armançon (S.202), Bennecourt (S.254) et Genainville (S.260), d’où provient également une vraisemblable épingle en or. L’assemblage de quatre bijoux en or, issus d’un niveau tardif du sanctuaire de Cracouville au Vieil-Évreux (S.78), fait figure d’exception, mais son ensevelissement pourrait être postérieur à l’abandon du site (cf. infra). D’une manière générale, ces multiples objets, relevant de types variés, ont certainement été portés en grande majorité par des adultes, mais il faut aussi considérer que certaines parures, tel un petit bracelet en alliage cuivreux à Oissel (S.266) et peut-être une bague miniature à Jublains (S.204), ont pu avoir appartenu à des enfants avant d’avoir été introduits dans les sanctuaires.

295L’évolution des pratiques de déposition des parures et des objets vestimentaires au sein des espaces sacrés peut être appréhendée grâce à l’analyse des contextes de découverte ou, à défaut, à partir de la datation typologique de ce mobilier ; toutefois, certains bijoux ont pu avoir été conservés par plusieurs générations d’individus avant d’être finalement cédés aux divinités.

296La question d’un certain décalage chronologique entre la production et la manipulation puis l’enfouissement de plusieurs parures en contexte laténien – mais le même problème pourrait également se présenter pour certains objets gaulois ou du début du Haut-Empire découverts dans des niveaux antiques – doit ainsi être posée. À Bennecourt (S.254 ; Bourgeois dir., 1999, p. 96-97), par exemple, un probable fragment de torque en alliage cuivreux de La Tène ancienne (cf. supra, fig. 148, a) a été recueilli dans le comblement d’un fossé de l’enclos fréquenté vers la fin du iie s. av. n. è., de même qu’à Aunou-sur-Orne (S.195 ; Lejars et Pernet, 2005, p. 17 et 2007), une ou plusieurs fibules de la fin de La Tène ancienne côtoient un assemblage de matériel métallique attribué, pour la plupart des pièces, à La Tène moyenne et finale. Le mobilier métallique laténien de la Forêterie à Allonnes (S.9), bien que provenant de couches de remblais manifestement mises en place au début de l’époque romaine, comprend également quelques objets particulièrement anciens, disparates, que l’on a datés de la fin du ve s. ou du début du ive s. av. n. è., tandis que la majorité des objets n’est pas antérieure à la fin du ive s. ou au début du iiie s. av. n. è. (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 298-299 ; cf. infra, 2.3.2.1). Enfin, la présence de quelques parures du premier âge du Fer ou du début du second âge du Fer a également été signalée à Saint-Jean-Trolimon (S.179), bien qu’ici les contextes de découverte restent peu documentés et qu’il soit difficile de se prononcer sur la nature de l’occupation gauloise (Galliou, 2011). S’il est possible d’envisager que ces objets témoignent, à Allonnes ou à Saint-Jean-Trolimon par exemple, d’une activité rituelle durable et ancienne (Lejars, 2019, p. 218-221), il faut aussi envisager sérieusement l’hypothèse d’« antiquités » introduites en tant qu’offrandes pour leur caractère remarquable ou ancestral, à l’image des dépôts observés à Mandeure, dans le Doubs (Nouvel et Thivet, 2019), ou éventuellement celle de sépultures plus anciennes qui auraient été bouleversées durant l’âge du Fer ou l’époque romaine.

297Dans les sanctuaires antérieurs à la guerre des Gaules, la déposition de fibules et, dans une moindre mesure, d’autres types de parures laténiennes est un fait avéré. Néanmoins, pour les exemples qui en témoignent, le matériel gaulois est parfois mêlé à des artefacts plus récents, dans des niveaux perturbés à la toute fin de l’âge du Fer et, surtout, dans le courant de l’époque romaine. Les trois épandages de mobilier laténien mis en évidence à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) se composent ainsi, en sus d’armes et d’outils divers, de plusieurs dizaines de fibules, dont les plus anciennes sont caractéristiques de La Tène B2 et ont donc pu avoir été introduites sur le site dès la fin du ive s. av. n. è. Cependant, les 63 fibules laténiennes découvertes sur le site sont attribuées, pour la majorité, à La Tène C1 (courant du iiie s. av. n. è.) et surtout C2 (première moitié du iie s.) ; au contraire, les exemplaires datés de La Tène D1 (seconde moitié du iie s. et début du ier s.) ou D2 (second et troisième quart du ier s.) sont plus rares. Ce lot d’objets est complété par une bague gauloise, au moins 3 bracelets en verre – dont un provient de l’un des dépôts –, 15 perles en verre issues de 8 parures ou plus et une agrafe de ceinture féminine ; ces éléments ont été datés de La Tène C2 ou D1 (Bataille, 2008, p. 92-102).

298Parmi le mobilier enfoui dans les fossés de l’enclos laténien de Bennecourt (S.254, ph. 1), pour l’essentiel attribués à la fin du iie s., figurent 30 fibules filiformes, en fer et plus rarement en bronze ; typologiquement proches, elles sont datées de La Tène C2-D1 ; s’y ajoutent 4 perles et un fragment de bracelet en verre (Bourgeois dir., 1999, p. 31-33 et p. 126-127). Ces découvertes rappellent celles effectuées à Saumeray, dans le remplissage des fossés de deux petits enclos abandonnés vers le début de La Tène finale, autour du milieu du iie s. av. n. è. : une demi-douzaine de fibules de La Tène moyenne provient de l’enclos II, tandis que leur nombre, certainement peu élevé, n’a pas été précisé pour l’enclos I (Hamon et Lejars, 2002, p. 117 et p. 120). Les dépôts réalisés à Alençon (S.194), également rejetés dans un fossé à l’issue de l’occupation gauloise, sont probablement contemporains de ceux de Bennecourt, ou quelque peu plus tardifs : les différents objets collectés, y compris 6 fibules, un fragment de bracelet en lignite et un autre en verre, ainsi que 3 perles en verre et en calcite, ont été rattachés à La Tène finale et ne sont donc pas antérieurs à la fin du iie s. av. n. è. (Pernet et al., 2011).

299Les objets recueillis au sein des autres sanctuaires fréquentés dès le second âge du Fer, généralement peu nombreux et souvent composés en majorité de fibules de bronze ou de fer, ont été découverts en majorité dans des contextes postérieurs à la guerre des Gaules ; on ne peut donc être tout à fait certain qu’ils aient tous été introduits dès leur phase gauloise, tel qu’à Allonnes (la Forêterie, S.9 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 298-303), Saint-Jean-Trolimon (S.179 ; Duval, 1990 et Galliou, 2011), Plouër-sur-Rance (S.137 ; A. Rapin, in Menez dir., 1996, p. 141), Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 182) ou Aunou-sur-Orne (S.195 ; Lejars et Pernet, 2005, p. 17). À Juvigné (S.36), signalons la découverte de 5 fibules et de parures assez variées (bracelets et perle en alliage cuivreux ou en verre). Les fibules gauloises de ce site, pour l’essentiel caractéristiques des iie s. et ier s. av. n. è., comprennent d’ailleurs un remarquable exemplaire, daté du iiie s. av. n. è., dont le pied évoque la tête d’un palmipède et qui est orné de globules et d’esses en relief (fig. 149). Encore une fois, en l’absence de contexte stratigraphique fiable, on ne peut déterminer s’il s’agit d’un objet de curiosité, offert plus tardivement au sein du sanctuaire, ou de l’une des premières offrandes qui y ont été réalisées (Bossard et al., 2016, p. 38-39 et Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 142-143).

Figure 149 : Fibule en alliage cuivreux ornée de la tête d’un oiseau aquatique et décorée selon la technique du « pseudo-filigrane », attribuée au iiie s. av. n. è. et découverte au sein du sanctuaire gaulois puis antique de la Fermerie à Juvigné (Mayenne).

Figure 149 : Fibule en alliage cuivreux ornée de la tête d’un oiseau aquatique et décorée selon la technique du « pseudo-filigrane », attribuée au iiie s. av. n. è. et découverte au sein du sanctuaire gaulois puis antique de la Fermerie à Juvigné (Mayenne).

Cliché J.-M. Fournier (Prisma-Laval) et dessin S. Bossard.

300L’introduction d’objets vestimentaires ou de parure se poursuivent, souvent en grand nombre, entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et la fin du ier s. de n. è. : en témoigne la chronologie des productions des fibules déposées, qui constituent généralement les artefacts de cette catégorie les plus fréquents, mais aussi quelques contextes de découverte datés de ce siècle et demi.

301Pour autant, certains lieux de culte fréquentés dès la période augustéenne, tels ceux de Richebourg (S.118 ; Barat, 1999, p. 125) et de Paule (S.172 ; Menez et al., 2021), n’ont livré que peu d’objets de cette catégorie – soit respectivement une fibule fragmentaire en bronze et 2 autres fibules du premier tiers du ier s., ainsi qu’une perle. Au contraire, aux niveaux de la seconde moitié du ier s. av. n. è. de Bennecourt (S.254, ph. 2 ; Bourgeois dir., 1999, p. 36-39), sont associées 10 fibules en fer et 23 perles en pâte de verre, probablement issues d’un même collier ou bracelet, tandis que les contextes de ces décennies et de la première moitié du ier s. renferment une quinzaine de fibules à Authevernes (S.253, ph. 1 et 2 ; Doyen et al., 2011, p. 100-101 ; Michel et al., 2014, p. 192-193), au moins 5 objets de ce type à Douarnenez (S.170, ph. 2 ; Clément et al., 1987, p. 46-48) et 3 ou plus à Bû (S.99, ph. 1 ; Fauduet, 1983, p. 25-26 ; 1988, p. 8 et p. 10).

302À Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 3), si les fossés qui ont délimité le sanctuaire entre le premier et le troisième quart du ier s. de n. è. ont livré 25 fibules, parmi un abondant mobilier, il faut sans doute aussi rattacher à cette même phase une grande part des 22 autres fibules et des 2 bagues piégées dans un niveau d’occupation, formé au cœur du site tout au long du Haut-Empire, ou encore d’autres objets dépourvus de contexte archéologique. De fait, l’étude typologique de l’ensemble des fibules provenant du site, au nombre de 76 – 3 seulement sont en fer et 73 autres, en alliage cuivreux –, a révélé que l’essentiel de ces objets (88 %) a été produit entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du ier s. de n. è. (Guillier dir., 2020, p. 54-55 et p. 182, tabl. 60). À Vannes (S.278, ph. 3), l’offrande d’accessoires vestimentaires et de parures est également une pratique courante à partir des années 10-40 de n. è. : 16 fibules, un fragment de bracelet en schiste et une perle proviennent des niveaux formés au cours du ier s. et du début du iie s. de n. è., en particulier du sol d’une enceinte de plan polygonale (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 44-52, p. 64-65 et p. 79-80). Dans la cour du sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79, ph. 2), 3 fibules et une possible bague ont été enfouies lors du dernier tiers du ier s. de n. è., alors que 3 autres fibules, 5 épingles, une perle et 3 probables bagues l’ont été au cours du siècle suivant (Bertaudière et al., 2019, p. 477-478).

303D’une manière globale et sans procéder à un inventaire détaillé, les fibules et les autres parures d’époque romaine que l’on retrouve dans les sanctuaires relèvent de types variés et ont sans doute été apportées dans leur enceinte à titre individuel, par de multiples visiteurs. Elles ont été fabriquées entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du ier s. ou le début du iie s. de n. è., du moins pour une large part d’entre elles. Ce constat a déjà été établi supra au sujet du lieu de culte de Neuville-sur-Sarthe (S.18) : près de 9 fibules sur 10 se rattachent à cette période ; elles appartiennent alors à 16 types différents, parmi lesquelles les exemplaires à queue de paon ou les fibules géométriques plates (Feugère, 1985, nos 19 et 24), de formes variées, sont les plus fréquents (Guillier dir., 2020, p. 174-184). Seulement 4 % des fibules de ce site ont été datés entre la fin du ier s. ou le début du iie s. et le iiie s. De même, à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2-3 ; Bataille, 2008, p. 103), parmi les fibules postérieures à la guerre des Gaules, 42 sont de types dont la chronologie est bien connue : 38 % correspondent à des exemplaires de la fin du ier s. av. n. è. ou du début du ier s. de n. è., 61 % relèvent du ier s. de n. è. et moins de 1 %, seulement, du iie s. ; les 6 bagues se répartissent également entre des exemplaires du tout début du Haut-Empire (2) et, surtout, du ier s. de n. è. (4). Les offrandes enfouies dans la partie orientale de la cour du sanctuaire d’Orléans (S.114), difficiles à répartir au sein des différentes phases en raison des perturbations liées au terrain, comprennent notamment 21 fibules, fabriquées entre le milieu du ier s. av. n. è. et la seconde moitié du ier s. de n. è., un bracelet en lignite et un autre en verre, 5 perles et une possible extrémité d’épingle en verre, ainsi qu’un anneau d’oreille en bronze.

304Les mêmes observations s’appliquent à une vingtaine d’autres de lieux de culte, au sein desquels a été recueillie une quantité variable de fibules – parfois associées à quelques bijoux de diverses natures –, qui ont été majoritairement datées entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du ier s., voire du courant du iie s. pour de rares exemplaires. Entre 5 et 10 fibules ont été dénombrées à Évreux (S.56), Pouillé (S.243), la Forêterie à Allonnes (S.9) et Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138) ; une dizaine sur le site des Perrières, à Allonnes (S.10), à Bû (S.99), Mauves-sur-Loire (S.167), Jublains (S.204), Genainville (S.260) ou Vannes (S.278) ; une vingtaine au Mans (S.16), sur le site des Busses à Oisseau-le-Petit (S.20), à Hérouvillette (S.145), Quimper (S.176), Brienon-sur-sur-Armançon (S.202) ou Bennecourt (S.254) ; enfin, une trentaine ou une quarantaine en périphérie du Vieil-Évreux, au sein du sanctuaire de Cracouville (S.78), à Meaux (S.158) ou à Berthouville (S.150).

305Ces découvertes, en particulier pour les objets représentés par une ou plusieurs dizaines d’exemplaires, témoignent du succès de la pratique de l’offrande de fibules durant la première partie du Haut-Empire, tandis que leur nombre décline progressivement dès la fin du ier s. ou dans le courant du iie s. de n. è. Si cette évolution s’inscrit sans doute dans le cadre de mutations des gestes de dévotion (cf. infra, 2.3), on ne peut la dissocier, aussi et surtout, de l’adoption de nouvelles habitudes vestimentaires à partir de la fin du ier s. : dans les Gaules, les costumes cousus remplacent progressivement les habits traditionnels, qui nécessitaient jusqu’alors l’emploi d’attaches métalliques, entraînant une raréfaction générale de ce type d’objet, que ce soit en contexte religieux ou profane (Perruche, 2017, p. 184-185).

306Tandis que les objets vestimentaires et de parure proviennent essentiellement, dans les sanctuaires d’époque gauloise, du comblement de fossés ou d’épandages au sol, où ils sont mélangés à d’autres types d’artefacts, ils apparaissent dans des contextes plus variés dans les espaces cultuels postérieurs à la conquête césarienne. Neuf fibules, découvertes dans le remplissage charbonneux d’une fosse à Bennecourt (S.254, ph. 2) pourraient avoir été inhumées au sein du premier état, en matériaux périssables, d’une cella (C1) dont l’existence est avérée à partir de la phase suivante (Bourgeois dir., 1999, p. 38-39). La déposition d’objets de parure au sein des temples est toutefois une pratique peu documentée à l’échelle des sites pris en considération, contrairement à d’autres catégories de mobilier. Des « agrafes, épingles, boutons » que H. Barbe (1879, p. 525) a mis au jour, à Jublains (S.204), dans un petit bâtiment de plan carré, auprès de nombreuses figurines en terre blanche, pourraient correspondre à des offrandes de ce type, introduites dans une cella, tandis qu’à Vannes (S.278), ce sont de petits bijoux (une bague en alliage cuivreux, un anneau d’argent et une perle en verre) que l’on a retrouvés, épars au milieu d’objets détritiques, sur le sol de la cella du temple A2 (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 17 et fig. 15). Ces objets étaient-il conservés sur des tables à offrandes ou dans des vases ? à Plaudren (S.274), H. de Cussé (1892, p. 130) aurait d’ailleurs exhumé, dans le temple, « des urnes renfermant des monnaies de cuivre et beaucoup de fibules », mais la découverte est trop peu documentée pour affirmer que les objets et les structures sont bien contemporains. Il est aussi possible que certaines parures aient « habillé » des statues divines en bois ou réalisées à partir d’un autre matériau, qui pouvaient être ornées de vêtements ou de bijoux (Heitzmann, 2019, p. 323 ; Kiernan, 2020, p. 204-207).

307Par ailleurs, il est probable que certains objets de parure ou vestimentaires aient été enfouis dans de petites fosses, creusées dans l’aire sacrée des sanctuaires, aux abords des bâtiments de culte : en témoigne la découverte d’une fibule dans une petite cavité creusée près de l’entrée du temple de Saint-Martin-de-Boscherville (S.87 ; Le Maho, 1995, p. 87). On ignore si les objets mis au jour dans la cour sacrée des autres sanctuaires, à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 54-55) ou à Douarnenez (S.170 ; Clément et al., 1987, p. 46-48) par exemple, ont également été inhumés de la sorte, ou bien s’ils ont été progressivement déposés ou jetés au sol, puis ensevelis grâce à des recharges successives du niveau de circulation. À Vannes (S.278, ph. 3), 9 fibules, parmi d’autres objets, ont ainsi été découvertes sur les sols d’un premier état, sans doute en matériaux périssables, d’une enceinte de plan polygonal, daté du courant du ier s. et du début du iie s. de n. è. (Baillieu et Simon, 2000, vol. 1, p. 33). Il est également envisageable, de même que pour certains épandages de monnaies (cf. supra, 2.2.3.1), que ces objets aient été éparpillés aux abords des temples avant une réfection des sols et qu’ils étaient à l’origine exposés ou regroupés dans ou sur une autre structure qui n’a pas laissé de traces.

308Enfin, certaines fibules, à l’instar d’autres offrandes, ont manifestement été mises au rebut dans des fosses creusées à l’occasion, que l’on peut qualifier de rituelles. À Authevernes (S.253, ph. 1), dès la seconde moitié du ier s. av. n. è., 9 fibules ont ainsi été enterrées dans une fosse parallélépipédique, avec un quartier de viande, des tessons de céramique et deux monnaies (Michel et al., 2014, p. 192-193). Au Mans (S.16), un coffre enterré, formé de tuiles, a livré un nombre relativement important d’artefacts, dont une douzaine de monnaies et 6 fibules (Chevet dir., 2016, vol. 1-1, p. 336-337). À cette découverte fait écho celle d’une fosse, également déjà évoquée, à Paule (S.172, ph. 1), qui a probablement servi d’ancrage à un tronc à offrandes en bois, dans lequel auraient été déposées, durant les premières décennies du Haut-Empire, 2 fibules, piégées dans les remblais de la fosse, ainsi que des monnaies, découvertes éparpillées à ses abords (Menez et al., 2021, p. 205).

309Rares sont les traitements particuliers mis en évidence sur les fibules et les autres objets de parure découverts dans les sanctuaires étudiés. Si l’essentiel de ce matériel a été retrouvé sous une forme fragmentaire, il faut aussi considérer qu’il s’agit d’objets fragiles, que ce soit pour les fibules ou encore pour les bijoux en verre. Quelques fibules semblent néanmoins avoir été délibérément brisées, pliées ou aplaties, à l’exemple de 2 des 22 exemplaires (soit 9 %) d’Orléans (S.114 ; Canny, 2015, p. 343 et p. 347) et d’un nombre non précisé d’objets à Jouars-Pontchartrain (S.127 ; Blin, 2000, p. 102). Ces pratiques sont cependant restées rares et le piétinement de mobilier rejeté au sol pourrait aussi expliquer les déformations observées. Cependant, à Meaux (S.158 ; Jobic, 1998, p. 105), 2 fibules à plaquettes latérales ont été trouvées enroulées et à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 168-169), 8 ou 9 fibules (soit 10 à 12 % de l’ensemble) présentent la particularité d’avoir été brûlées, comme en témoignent des traces d’oxydation caractéristiques. Encore une fois, il s’agit toutefois d’actes marginaux, qui n’ont pas été mis en évidence – ou du moins signalés – pour d’autres sanctuaires. Mentionnons enfin quelques associations remarquables d’objets, telle une paire de fibules attachées l’une à l’autre à Meaux (S.158 ; Jobic, 1998, p. 106) ou une perle en ambre enfilée sur l’ardillon d’une fibule à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 168-169).

310Éléments issus du quotidien et parfois découverts en grande quantité, tandis que les divers autres objets de parure sont moins fréquents, les fibules apparaissent donc dans différents contextes, de l’âge du Fer à l’époque romaine, et paraissent constituer des offrandes individuelles, du moins pour les artefacts qui n’ont pas été accidentellement perdus. On ignore tout du sens que revêtait le don d’une fibule à une divinité – s’agissait-il de « s’attacher » l’attention et la bienveillance de cette dernière, comme l’a proposé N. Kyll (1966, p. 58) ? De même, les conditions de la déposition ne sont pas connues : les attaches métalliques sont-elles des dons isolés ou bien sont-elles présentées avec les vêtements qu’elles servaient à fixer (Perruche, 2017, p. 193) ? L’offrande de tissus est une pratique attestée par plusieurs auteurs antiques (Meller, 2012, p. 257-259) et les étoffes, périssables, ont tout à fait pu disparaître des sites archéologiques. L’enfouissement d’une fibule dans une petite cavité creusée à ses dimensions, à Saint-Martin-de-Boscherville, montre néanmoins que ce type d’objet pouvait être offert en tant que tel et que des textiles n’y étaient vraisemblablement pas systématiquement associés.

311L’introduction volontaire – ou la perte, dans certains cas ? – de fibules ou d’autres bijoux est également attestée, certes en moindre quantité, dans les sanctuaires de la fin de l’Antiquité. Quelques fibules ont ainsi été mises au jour dans les mithraea d’Angers (S.2 ; Molin et al., 2015, p. 420 ; Mortreau, 2019, p. 553-554) et de Septeuil (S.122 ; Gaidon-Bunuel, 2000, p. 208) : sur le premier site, il s’agit de deux parures cruciformes de qualité, datées de la fin du ive s. ou du début du ve s., qui ont pu avoir été portées par des membres de l’administration ou de l’armée romaine (cf. infra, 2.2.3.3) ; du second proviennent deux autres fibules, dont l’une est datée des années 340-360 et l’autre, de style germanique et considérée comme une parure féminine, est attribuée à la seconde moitié du ive s. Parmi les vraisemblables ultimes offrandes déposées dans la cour du sanctuaire d’Orléans (S.114, ph. 4 ; Verneau, 2014, p. 106), dans la seconde moitié du ive s. ou éventuellement au tout début du ve s., figure également une fibule cruciforme ; un tel objet, dont aucune illustration n’a été fournie, a aussi été signalé à La Londe (le Vivier Gamelin, S.263 ; Barbier de la Serre, 1890, p. 458), où il aurait été découvert avec des monnaies. À Genainville (S.260), une ou deux fibules ont aussi été datées de l’Antiquité tardive (Mitard, 1993, p. 373-376).

312Pour la même période, d’autres types de parures ont aussi été découverts dans certains espaces cultuels : la garniture en alliage cuivreux d’une ceinture caractéristique de l’Antiquité tardive provient de Criquebeuf-sur-Seine (S.256 ; Vesly, 1909, p. 50 et pl. III), mais on ne sait rien du contexte de son enfouissement, tandis qu’une plaque-boucle appartenant à un ceinturon de la fin du ive s. ou du ve s. a été découverte à Mauves-sur-Loire (S.167 ; M. Mortreau, in Monteil et al., 2009, p. 180-181) ; une boucle de ceinturon tardive a également été mise au jour à Saint-Forget (S.182 ; Gory, 1867, p. 9 et pl. IV) et à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 170), mais ici, elle pourrait avoir été placée, à l’origine, dans l’une des sépultures de la fin de l’Antiquité aménagées à l’emplacement de l’ancien sanctuaire. À Bennecourt (S.254, ph. 7), 2 épingles à tête anthropomorphe en os (cf. supra, fig. 148, e) ont été introduites dans la cella C2, bien que partiellement démolie, avec une vingtaine de monnaies, vers le milieu du ive s. ; 3 autres objets du même type, ainsi que 19 épingles à tête géométrique, également datées de l’Antiquité tardive, ont aussi été mis au jour dans d’autres contextes liés aux derniers temps du sanctuaire et à sa destruction (Bourgeois dir., 1999, p. 62 et p. 121-124). Enfin, dans le lieu de culte de Cracouville, au Vieil-Évreux (S.78), un ensemble exceptionnel de parures en or – composé d’un anneau, d’une bague ornée d’une intaille en onyx, d’un bracelet incrusté d’émeraudes et d’un collier à rang de perles et grenat –, attribué au iiie s. de n. è., a été manifestement posé en désordre sur une tuile à rebord gisant au milieu de décombres, dans une couche de démolition localisée près du mur septentrional du temple (Baudot, 1936, p. 82-83 ; Cliquet et al., 1996, p. 16). On ignore toutefois si ce geste relève d’un acte religieux ou s’il résulte plutôt de la volonté de dissimuler, dans un espace désormais déserté et peu fréquenté, un lot d’objets précieux.

313Quoi qu’il en soit, les découvertes réalisées à Bennecourt, Orléans, Angers ou Septeuil évoquent de probables offrandes, réalisées dans des lieux de culte restés tardivement en activité et parfois partiellement abandonnés, voire démolis (cf. infra, 6.1.1). La plupart du temps, il s’agit d’objets isolés, traduisant des gestes probablement individuels et peu fréquents, avec un sens peut-être différent de celui que revêtait les dons de l’âge du Fer ou du début du Haut-Empire.

2.2.3.3. Les pièces d’équipement militaire

314Des débris métalliques d’armement ont été identifiés au sein d’au moins quatorze sanctuaires du second âge du Fer et qui ont été réaménagés durant la période romaine, auxquels s’ajoutent deux autres possibles lieux de rituels – à Moulay et à Saint-Malo –, abandonnés avant la conquête menée par Jules César ; quelques sites, dont la chronologie est incertaine et pour lesquels le mobilier métallique ne peut être daté avec précision, ont été écartés de la réflexion (Bossard, 2021, vol. I, p. 369, note 1488). Abondantes dans les sanctuaires préromains, où elles sont souvent représentées par plusieurs dizaines ou centaines d’objets, les pièces d’équipement militaire sont en revanche bien plus rarement découvertes au sein des lieux de culte du Haut-Empire ou de l’Antiquité tardive : elles n’ont été mises en évidence qu’au sein d’une dizaine de sites, où elles apparaissent généralement en quelques exemplaires. L’analyse de ces objets implique de distinguer les dépôts du second âge du Fer de ceux de la période romaine, puisque leur manipulation dans le cadre des rituels relève de pratiques différentes d’une époque à l’autre.

L’armement gaulois

315Le nombre de pièces de fourniment découvertes au sein des sanctuaires gaulois varie amplement d’un site à l’autre (fig. 150 et tabl. VII). Le remplissage des fossés de l’enclos de Bennecourt (S.254, ph. 1 et 2) contenait ainsi les fragments de moins de dix armes, de même que ceux des premières enceintes de Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 1), où seul un possible élément d’orle de bouclier a été identifié, et l’hypothétique sanctuaire enclos de Moulay, qui a livré, tout au plus, six objets relevant d’une ou deux panoplies. Pour d’autres sites, la faible quantité d’armement recueillie, également inférieure à la dizaine de pièces à Juvigné (S.36, ph. 1), Alençon (S.194, ph. 1) et Champlost (S.203), et égale à une quinzaine d’objets à Aubigné-Racan (S.11, ph. 1), doit être pondérée : ces lieux de rituels n’ont été étudiés que dans le cadre d’une fouille partielle ou de prospections. Au contraire, ce sont de nombreux débris, ayant appartenu, au minimum, à une ou à plusieurs dizaines d’armes, qui ont été collectés au sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (S.9, ph. 1), à Jublains (S.32, ph. 1), à Ablis (S.91, ph. 1), à Meaux (S.158, ph. 1), à Saint-Jean-Trolimon (S.179) et à Aunou-sur-Orne (S.195, ph. 1) – et ce, malgré une exploration souvent ancienne ou incomplète des vestiges de l’époque gauloise. Quant au site de la Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 1 et 2), il se distingue des précédents par l’important effectif de matériel guerrier identifié : 352 objets, relevant d’au moins une quarantaine d’équipements militaires – associant une épée, un fourreau, une arme d’hast et un bouclier –, voire près d’une centaine si l’on tient compte du nombre élevé (91) de fourreaux (Bataille, 2008, p. 80-92).

Figure 150 : Répartition et nombre de pièces d’équipement militaire laténien découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 150 : Répartition et nombre de pièces d’équipement militaire laténien découvertes au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

Tableau VII : Décompte des principaux types de pièces d’armement découvertes au sein des sanctuaires gaulois.

Tableau VII : Décompte des principaux types de pièces d’armement découvertes au sein des sanctuaires gaulois.

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Réal. S. Bossard.

316L’examen des assemblages issus de ces sites témoigne de modalités d’accumulation variables, bien que les lacunes évoquées faussent la composition de plusieurs de ces lots. Si l’on s’en tient aux ensembles les plus importants, d’un point de vue quantitatif, on observe ainsi – pour des éléments dont l’attribution chronologique varie (cf. infra) – que les épées, souvent associées à des fourreaux, prédominent le matériel des sanctuaires d’Allonnes, Jublains, Ablis, Meaux et La Villeneuve-au-Châtelot (dépôts I à III), avec toutefois des différences notables d’un site à l’autre. En effet, tandis que les fourreaux semblent absents à Jublains, ils sont au contraire majoritaires à Meaux, à Ablis et à La Villeneuve-au-Châtelot – où les agrafes de ceinturon, les chaînes de suspension et les boucliers sont également bien représentées (fig. 151), à l’opposé des autres sanctuaires (Lejars, 1997 ; Bataille, 2008, p. 80 ; Brutus et Leconte, 2014, p. 86 ; Marion et al., 2019 ; Ginoux et al., 2020, p. 125). Le mobilier des sites de Saint-Jean-Trolimon, Aunou-sur-Orne, Saumeray et le dépôt IV de La Villeneuve-au-Châtelot fait la part belle, en revanche, aux armes d’hast – lances, javelots ou javelines, tandis que la présence de flèches est anecdotique, à l’exception de ce dernier lieu de culte (Duval, 1990 ; Hamon et Lejars, 2002, p. 117-120 ; Lejars et Pernet, 2007, p. 113 ; Bataille, 2008, p. 83). Encore une fois, de remarquables disparités apparaissent entre ces ensembles : alors que les restes d’armement défensif – en particulier l’umbo des boucliers – sont relativement abondants à Saumeray et, dans une moindre mesure, à Aunou-sur-Orne, ils n’ont pas été identifiés au sein des deux autres assemblages. Par ailleurs, à Saumeray, Th. Lejars a bien souligné les variations typologiques qui existent entre les panoplies, pourtant vraisemblablement contemporaines, issues des deux enclos identifiés à des sanctuaires, distants de 70 m. Il propose d’expliquer les différences observées en supposant que deux groupes distincts de guerriers, l’un correspondant probablement à des cavaliers (enclos I) et l’autre, à des fantassins ou à d’autres types de cavaliers (enclos II), y ont cédé leurs armes – à moins qu’ils n’en aient été privés par leurs ennemis (Hamon et Lejars, 2002, p. 121-123) ?

Figure 151 : Sélection d’éléments métalliques de fourniment laténien provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

Figure 151 : Sélection d’éléments métalliques de fourniment laténien provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).

D’après Bataille, 2008, p. 50-68, fig. 25-41.

317D’une manière générale, les autres éléments participant de la protection corporelle des guerriers sont peu nombreux : seulement un ou deux fragments de cottes de mailles ont été déterminés à La Villeneuve-au-Châtelot, Alençon et Allonnes, tandis que de rares éléments de casque ont été signalés sur ce dernier site, ainsi qu’à Meaux (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 306 ; Bataille, 2008, p. 58 ; Pernet et al., 2011, p. 267 ; Marion et al., 2019, p. 391-392). S’y ajoutent, à Saint-Jean-Trolimon, les fragments de plusieurs casques, dont un exceptionnel objet en fer, recouvert de bronze et de corail (fig. 152), attribué à la fin du ve s. ou à la première moitié du ive s. av. n. è. ; il a été découvert à l’écart toutefois des autres dépôts d’armes et donc dans un espace peut-être extérieur au sanctuaire (Châtellier, 1882, p. 149-150 ; Schaaf, 1974, p. 175-177 ; Lejars, 2007, p. 278-279).

318Quant aux éléments métalliques liés au harnachement de chevaux et aux chars, qui ont pu avoir été conduits par des guerriers, ils sont également peu nombreux, bien qu’ils apparaissent dans la plupart des assemblages considérés : des mors ont ainsi été identifiés à La Villeneuve-au-Châtelot, à Aunou-sur-Orne, à Alençon et à Saumeray, tandis que quelques pièces ayant appartenu à des chars (clavettes, anneaux passe-guide, frette de moyeu, pitons, agrafe de jante, plaque de revêtement ou bandage de roue) ont été signalées sur ces quatre sites, ainsi qu’à Saint-Jean-Trolimon et à Allonnes (Duval, 1990, p. 34 ; Hamon et Lejars, 2002, p. 123 ; Brouquier-Reddé, Gruel dir., 2004, p. 298-299 ; Bataille, 2008, p. 123-124 ; Pernet et al., 2011, p. 273).

Figure 152 : Fragments de casques en alliage cuivreux et en fer de La Tène ancienne découverts dans les années 1870-1880 sur le site de Tronoën à Saint-Jean-Trolimon (Finistère).

Figure 152 : Fragments de casques en alliage cuivreux et en fer de La Tène ancienne découverts dans les années 1870-1880 sur le site de Tronoën à Saint-Jean-Trolimon (Finistère).

D’après Schaaf, 1974, p. 176-177, fig. 26-27.

319L’étude typologique des objets les mieux datés montre que leur chronologie couvre, d’un point de vue général, l’ensemble du second âge du Fer, bien que l’essentiel des armes suffisamment caractéristiques relève d’une période s’étendant de la fin de La Tène ancienne à la fin de La Tène moyenne, soit de la fin du ive s. à la première moitié du iie s. av. n. è. (tabl. VII). Les objets les plus anciens (cf. infra, 2.3.2.1), attribués au courant du ive s., voire à la fin du ve s. (La Tène A – La Tène B1/B2), proviennent des sites d’Allonnes (pour seulement une pointe de flèche en bronze et un élément de char ; Brouquier-Reddé, Gruel dir., 2004, p. 298-299), de Saint-Jean-Trolimon (pour la plupart des fourreaux et des épées et de nombreux fers de lance, dont la production s’est toutefois étirée jusqu’au début du iiie s., ainsi que les casques ; Lejars, 2007, p. 278-279) et peut-être de Jublains, pour plusieurs épées (Lejars, 1997, p. 205). La majorité des armes d’Allonnes, celles de Meaux ainsi que d’Aubigné-Racan, de même que les plus anciens éléments de fourniment de La Villeneuve-au-Châtelot, peuvent être rattachés à la fin du ive s. ou à la première moitié du iiie s. (La Tène B2-C1). À la seconde moitié du iiie s. et à la première moitié du iie s. (La Tène C1-C2) sont associés la plupart des armes de La Villeneuve-au-Châtelot, celles d’Aunou-sur-Orne, de Bennecourt, d’Ablis et de Saumeray, et certains artefacts de Saint-Jean-Trolimon, d’Allonnes et de Jublains. Les quelques objets recueillis à Alençon et à Moulay sont datés, pour la plus grande part, de La Tène finale.

320Peu d’enseignements peuvent être tirés de l’analyse des contextes de découverte de ces objets, qui renvoient invariablement à des dépôts secondaires : une grande part d’entre eux a été mise au jour sur des niveaux de sol ou d’occupation, formant des épandages et parfois mêlés à d’autres catégories de mobilier détritique, à Jublains (S.32, ph. 1), Juvigné (S.36, ph. 1) – où une bouterolle est par ailleurs issue du comblement d’une fosse –, Meaux (S.158, ph. 1 : zone b ?) et La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 1 et 2). À Ablis (S.91, ph. 1), Alençon (S.194, ph. 1), Bennecourt (S.254, ph. 1) et Saumeray (enclos I et II), les débris d’armes proviennent des remblais déversés dans les fossés qui ceinturaient l’espace réservé aux rituels, tandis qu’à Allonnes (S.9) et à Meaux (S.158 : zone a), l’essentiel de ces objets est issu de couches a priori mises en place au début de l’époque romaine, lors de travaux de terrassement. L’examen des divers objets mêlés aux débris de fourniment de La Villeneuve-au-Châtelot (Bataille, 2008, p. 137-138 et p. 147), répartis en quatre ensembles, indique que leur épandage est relativement tardif, puisque les dépôts I à III, regroupant des objets produits entre La Tène B2 et D2, ont manifestement été formés vers le milieu du ier s. av. n. è., alors que la constitution du dépôt IV, incluant des javelines, des flèches mais aussi des monnaies, pourrait être datée de la fin du ier s. av. n. è. ou du courant du ier s. de n. è.

321La comparaison des attributions chronologiques des différents types de mobilier (armes, parures, céramique, monnaies) rejetés dans les fossés d’Alençon, Bennecourt et Saumeray témoigne parfois d’un décalage de quelques décennies entre la période de production des armes et leur enfouissement définitif : si à Alençon, les quelques éléments de fourniment, certes peu caractéristiques, sont datés de La Tène finale, comme les autres objets (Pernet et al., 2011), à Bennecourt et à Saumeray, l’armement, attribué à La Tène C2 (première moitié du iie s. av. n. è.), a vraisemblablement été mis au rebut entre la seconde moitié du iie s. et le début du ier s. av. n. è., si l’on se fie à la présence de céramique, de parures et de monnaies datées de La Tène D1 (Bourgeois dir., 1999, p. 31-35 ; Hamon et Lejars, 2002, p. 117 et p. 120).

322L’étude conjointe de la typologie et des contextes de relégation montre donc que les dépositions, dont les plus anciennes manifestations sont difficiles à dater faute d’ensembles clos bien datés se raréfient, voire disparaissent sur certains sites, à partir de la Tène finale, avant même, semble-t-il, que les Gaules ne soient déclarées désarmées sous Auguste.

323Quelles que soient la nature et la chronologie des armes, ces dernières présentent généralement des traces de coups et des marques de réparation qui indiquent qu’elles ont servi sur les champs de bataille. En outre, elles ont fait l’objet, à de rares exceptions près, de manipulations destructrices particulières, réalisées au sein des lieux de rituels ; celles-ci témoignent de l’adoption de pratiques communes à l’échelle du territoire étudié et même, plus largement, du monde celtique (Bataille, 2015, p. 149-155).

324Les déformations subies par le fourniment de la Villeneuve-au-Châtelot, similaires à celles que l’on observe dans les autres sanctuaires, ont été examinées de près par G. Bataille. Celui-ci a mis en évidence que les armes ont été rendues inutilisables en mutilant avant tout leurs parties actives, c’est-à-dire les tranchants et la pointe des lances, l’extrémité pointue des armes de jet ou encore les fils des épées (cf. infra, fig. 273) ; les umbones des boucliers présentent des traces d’arrachage, de pliage, de découpe, tandis que les tôles des fourreaux ont été désolidarisées, pliées ou tranchées. Quelques objets ont toutefois échappé à ces pratiques destructrices : au moins cinq épées intactes (sur un total de quarante-trois) ont été dénombrées à La Villeneuve-au-Châtelot (Bataille, 2008, p. 70-76). Les raisons qui ont conduit les sociétés du second âge du Fer à mutiler de la sorte les composantes des panoplies militaires introduites dans les sanctuaires, avant leur enfouissement définitif, peuvent être multiples, sans que l’on puisse trancher, en l’état des connaissances, entre l’une ou l’autre : limiter les risques de pillage de ces lieux de rituels, détruire symboliquement le butin prélevé à l’ennemi, consacrer à une divinité les armes d’ancêtres ou de guerriers héroïques, ou encore restreindre la circulation de fourniment en tant de paix (Bataille, 2015, p. 161-162).

325Dans ces sanctuaires gaulois, des armes ont donc été apportées en quantité souvent importantes, puisqu’elles peuvent avoir appartenu à une ou à plusieurs dizaines de guerriers, au plus tôt durant La Tène ancienne et surtout au cours de La Tène moyenne et, dans une bien moindre mesure, de La Tène finale. Les observations réalisées par T. Lejars à Saumeray – mais ce constat peut certainement être étendu à d’autres lots moins bien documentés – plaident en faveur d’un séjour plus ou moins long de ces objets à l’air libre avant leur démantèlement et leur bris volontaire, suivant des pratiques rituelles codifiées, puis leur mise au rebut dans les fossés des deux enclos. Leur exposition – au sol ou sur des supports non conservés, à l’exemple des anathemata du monde grec, posés ou suspendus au sein d’un sanctuaire (Brunaux, 2016, p. 241-244) ? – durant plusieurs années, voire des décennies, pourrait expliquer, comme le suggère l’auteur, l’écart supposé entre la date de leur fabrication et celle de leur enfouissement, de l’ordre d’un demi-siècle ou d’un siècle (Hamon et Lejars, 2002, p. 120-121). Il est aussi possible d’émettre l’hypothèse d’équipements hérités – du moins pour certains – d’un proche, et donc plus anciens d’une génération ou deux. Quoi qu’il en soit, les contextes de découverte et l’examen de mobilier présentant, sur un même site, un spectre chronologique étendu (à Allonnes, Saint-Jean-Trolimon, Jublains par exemple, mais aussi à La Villeneuve-au-Châtelot) ne permettent pas de préciser les modalités de formation de ces ensembles parfois considérables de pièces, qui ont pu avoir été réunies dans le cadre d’une collecte longue – pièce par pièce ou par lots, à l’issue de batailles ? –, et rejetées, après sélection de certaines parties ou de certains types d’armes, au cours d’une ou de plusieurs actes (Bataille, 2015, p. 156-160).

Les militaria d’époque romaine

326Ainsi que l’a noté M. Mortreau (2019, p. 545) dans le cadre d’une récente synthèse consacrée aux militaria des sanctuaires d’époque romaine fouillés en Pays de la Loire, il est possible de classer ce type d’objets au sein de deux catégories : d’une part, des marqueurs primaires, c’est-à-dire des pièces directement liées à l’armement, et, d’autre part, des marqueurs secondaires, rassemblant des éléments de parure et d’habillement. Qu’il relève de l’une ou de l’autre de ces catégories, le mobilier interprété comme relevant des militaria, lorsqu’il a été identifié en tant que tel, est globalement rare.

327Différents types d’équipements militaires sont représentés dans les sanctuaires, le plus souvent par un seul artefact, plus rarement par une série de quelques éléments (tabl. VIII, fig. 153 et 154). L’armement offensif apparaît ainsi sous la forme de poignards, dont une lame a été découverte à Bû (S.99), une autre à Hérouvillette (S.145) et deux dernières à Neuville-sur-Sarthe (S.18) ; s’y ajoutent quelques gardes de poignard isolées – en os à Neuville-sur-Sarthe et à Jublains (S.32), en alliage cuivreux à Oisseau-le-Petit (S.20) – et une poignée d’épée ou de poignard en os à Mauves-sur-Loire (S.167). Des éléments de fourreau d’arme de poing ont été reconnus à Mauves-sur-Loire, à Angers (S.2) et à Genainville (S.260), tandis que le seul fer de hache d’armes d’origine germanique, daté de l’Antiquité tardive, provient du mithraeum d’Angers. Les armes d’hast ou de jet sont également récurrentes : des pointes de lance, de javeline ou de pilum – ou bien les talons associés – sont conservées, en un, 2 ou 3 exemplaires à Val-de-Reuil (S.269), Mauves-sur-Loire, Angers, Allonnes (les Perrières, S.10), Neuville-sur-Sarthe, Oisseau-le-Petit, Genainville et peut-être Hérouvillette, alors que des pointes de flèche figurent parmi le mobilier de Val-de-Reuil, Angers, Neuville-sur-Sarthe et Genainville – où 8 objets de ce type ont été dénombrés. L’identification d’un trait de catapulte à Hérouvillette nous paraît plus incertaine et 4 possibles éléments de stimuli, pièges formés d’un pieu terminé par une pointe en fer, ont été recensés à Val-de-Reuil. L’armement défensif et les équipements de protection comprennent un umbo de bouclier non daté à Genainville, des fragments de cotte de mailles à Angers, une écaille de bronze, vraisemblablement issue d’une cuirasse, à Mauves-sur-Loire ou encore un possible fragment de paragnathide à Neuville-sur-Sarthe et un autre hypothétique élément de casque à Mauves-sur-Loire.

Figure 153 : Répartition des principaux types de militaria d’époque romaine découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 153 : Répartition des principaux types de militaria d’époque romaine découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

Figure 154 : Militaria d’époque romaine en fer (sauf mention contraire) provenant de trois sanctuaires : lame de poignard (a) ; talon d’arme d’hast ? (b) ; pointe de flèche (c) ; garde d’épée ou de poignard en os (d) ; pointe de projectile (e) ; écaille de cuirasse (?) en alliage cuivreux (f) ; lame de hache d’armes d’origine germanique (g) ; fragment de cotte de mailles (h).

Figure 154 : Militaria d’époque romaine en fer (sauf mention contraire) provenant de trois sanctuaires : lame de poignard (a) ; talon d’arme d’hast ? (b) ; pointe de flèche (c) ; garde d’épée ou de poignard en os (d) ; pointe de projectile (e) ; écaille de cuirasse (?) en alliage cuivreux (f) ; lame de hache d’armes d’origine germanique (g) ; fragment de cotte de mailles (h).

Réal. S. Bossard, d’après Mortreau, 2019, p. 546-552, fig. 2-5.

Tableau VIII : Inventaire des militaria (marqueurs primaires) découverts au sein des sanctuaires d’époque romaine.

No Commune Lieu-dit Nombre de militaria (marqueurs primaires) Description   Bibliographie
S.2 Angers Clinique Saint-Louis 5 Fer de hache d’armes d’origine germanique ; pointe de flèche ; talon de lance ; fourreau de poignard (?) en os ; fragments d’une cotte de mailles   Mortreau, 2019, p. 551-553
S.10 Allonnes Les Perrières 1 Pointe de lance   Lucas et al., 2019, p. 72
S.18 Neuville-sur-Sarthe Le Chapeau 7 Possible fragment de paragnathide (ph. 2) ; 2 poignards et une pointe de flèche (ph. 3) ; pointe de pilum, talon d’arme d’hast et garde de poignard (?) en os (ph. 4)   Guillier (dir.), 2020, p. 165 et p. 169-172
S.20 Oisseau-le-Petit Les Busses 2 Pointe de pilum ; garde de poignard en alliage cuivreux   Bouvet (dir.), 2001, p. 385
S.32 Jublains La Tonnelle 1 Garde de poignard en os   J. Naveau, in Naveau (dir.), 1997, p. 252-253
S.99 Les Bois du Four à Chaux 1 Lame de poignard   Fauduet, 1988, p. 22, no 71
S.145 Hérouvillette Le Four à Chaux 2 Lame de poignard ; possible pointe de javelot   E. Bisson, in Veron (dir.), 2018, vol. 2, p. 373-375
S.167 Mauves-sur-Loire Vieille Cour 6 Poignée en os d’épée ou de poignard ; 2 pointes de projectile (javeline ou flèche ?) ; possible agrafe de suspension de fourreau ; écaille de bronze (cuirasse ?) ; élément de casque ?   M. Mortreau, in Monteil et al., 2009, p. 179-182 ; Archer, 2019, p. 530-532
S.260 Genainville Les Vaux-de-la-Celle 15 Bouterolle de fourreau d’épée en fer damasquiné (fin du iis. ou IIIs.) ; umbo de bouclier (antique ou médiéval ?) ; 3 pointes et 2 possibles talons à douille d’armes d’hast ; 8 pointes de flèche   Mitard, 1993, p. 390-393
S.269 Val-de-Reuil Le Chemin aux Errants 7 2 pointes de lance ; probable pointe de flèche ; 4 stimuli ?   Talvas-Jeanson et Lukas, 2019, p. 515-516

Réal. S. Bossard.

328Parmi les marqueurs secondaires peuvent être rangés plusieurs éléments datés de l’Antiquité tardive, relevant peut-être de costumes militaires, qui ont déjà été évoqués supra (2.2.3.2) : il s’agit notamment de fibules cruciformes, habituellement portées par les membres de l’administration impériale ou de l’armée romaine, à Angers ou à Septeuil (S.122) par exemple, ou encore des boucles de ceinturon identifiées à Mauves-sur-Loire ou à Saint-Forget (S.182).

329Enfin, des éléments de harnachement renvoient, au sein d’au moins douze sanctuaires, à l’équipement des montures utilisées, entre autres, par la cavalerie auxiliaire (Mortreau, 2019, p. 551) : ce sont des appliques décoratives ou des pendants de harnais ou de courroie, dont quatre éléments ont, par exemple, été identifiés à Neuville-sur-Sarthe (Guillier dir., 2020, p. 169). Un éperon damasquiné provient également du site de Saint-Forget, où il est d’ailleurs associé à deux phalères et à une boucle de ceinturon (Gory, 1867, p. 9-10 et pl. IV), tandis qu’une hipposandale a été découverte à Hérouvillette (E. Bisson, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 370). La présence de mors, en contexte d’époque romaine, a été rapportée pour seulement quatre sites – Le Mans (S.16), Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138), Meaux (S.158) et un remarquable mors de tradition thrace à Aunou-sur-Orne (S.195 ; Lejars, Pernet, 2007, p. 113) – mais elle ne signe pas nécessairement le passage d’un cavalier, puisque certains de ces objets ont pu avoir servi à l’attelage d’animaux de trait.

330Ces quelques artefacts, du moins pour ceux qui n’ont pas été accidentellement égarés au cours de la visite d’une aire sacrée, peuvent correspondre à des offrandes individuelles, déposées par des militaires en fonction – légionnaires ou auxiliaires –, par des vétérans sacrifiant une partie de leur équipement après leur congé, par des fabricants d’armes ou encore par des civils, donnant aux divinités – par exemple pour les javelines – des armes qu’ils utilisent dans le cadre d’activités cynégétiques. Alors que le pilum est un objet issu du matériel des légionnaires et que les flèches et les javelines étaient uniquement manipulées, en contexte militaire, par des auxiliaires, les autres objets sont moins caractéristiques des différentes unités des armées romaines. Il est également possible que les éléments de harnachement ne relèvent pas de l’équipement des cavaliers, mais plutôt de civils (Nicolay, 2007 ; Mortreau, 2019, p. 550-551).

331D’un point de vue chronologique, les plus anciennes dépositions sont reliées à des contextes du ier s. de n. è. – le comblement des fossés de la phase 3 de Neuville-sur-Sarthe (Guillier dir., 2020, p. 54 et p. 170) –, mais la plupart des objets attribués au Haut-Empire, à partir de critères typologiques, n’est pas associée à une couche stratigraphique précise. En ce qui concerne l’Antiquité tardive, le mithraeum d’Angers a livré un lot relativement important d’artefacts en rapport avec la sphère militaire, témoignant de la fréquentation de ce site par certains hommes armés, qui y ont vraisemblablement déposé des pièces de leur panoplie en guise d’offrandes : ces objets ont été découverts mêlés aux autres types de mobilier manipulés dans le cadre du culte, dans les niveaux de démolition (Mortreau, 2019, p. 551-554 ; cf. infra, 6.1.2). En revanche, il n’est pas assuré que l’ensemble des militaria tardifs aient un lien avec les pratiques religieuses : certains ont pu avoir été introduits sur les sites mentionnés après l’abandon des sanctuaires, lors d’une phase de réoccupation profane des lieux, à l’exemple du lieu de culte central du Vieil-Évreux, transformé en forteresse dès la fin du iiie s. de n. è. et au sein duquel ont été retrouvées diverses armes (Bertaudière et al., 2019, p. 483-487).

2.2.3.4. Varia

332D’autres objets, fabriqués à partir de matériaux variés et relevant de différents domaines, apparaissent de manière récurrente dans les sanctuaires étudiés, essentiellement dans les niveaux du Haut-Empire, et ont également pu constituer des offrandes par transformation – du moins, s’ils n’y ont pas été perdus ou manipulés dans le cadre d’activités liées à leur fonctionnement ou à leur entretien. Moins fréquents que les autres catégories de mobilier, ils ont fait l’objet d’un simple décompte, mais leur présence dans l’enceinte de certains espaces cultuels appelle plusieurs commentaires.

333Parmi les objets relativement courants au sein des lieux de culte, figure toute une gamme de mobilier lié au soin du corps (miroirs, peignes, rasoirs, nécessaires de toilette, coupe-ongles ou cure-ongles) ou peut-être, pour certains d’entre eux, au domaine médical, chirurgical ou pharmaceutique (cuillères-sondes, spatules-sondes, spatules, cuillères, pinces, tablettes à broyer), selon les typologies récemment définies par E. Vigier (2018, vol. 1, p. 60-64). Ils apparaissent avant tout dans les sanctuaires de la partie nord-orientale de la Lyonnaise (fig. 155), où leur quantité reste tout de même anecdotique en regard des autres catégories de mobilier.

Figure 155 : Répartition des principaux types d’objets de toilette ou de médecine découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 155 : Répartition des principaux types d’objets de toilette ou de médecine découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

334La présence d’au moins un miroir en alliage cuivreux – et même de 7 exemplaires à Orléans (S.114 ; Canny, 2015, p. 347) – a été relevée dans 14 lieux de culte, tandis que seulement 2 autres ont livré un peigne en os. Seulement 3 rasoirs ou possibles manches de rasoirs ont été identifiés à Allonnes (les Perrières, S.10 ; Lucas et al., 2019, p. 542) et peut-être à Bennecourt (S.254 ; Bourgeois dir., 1999, p. 101), d’où provient aussi un nécessaire de toilette en alliage cuivreux, composé d’une pincette et d’une lime. Des objets qualifiés de « pinces à épiler » ont été reconnus parmi le matériel de 14 sanctuaires, où ils ont été généralement découverts en un seul exemplaire, tandis que 2 cure-ongles, 1 coupe-ongles et 3 cure-oreilles proviennent de 6 sites différents. Des tablettes à broyer, objets lithiques utilisés pour réduire en poudre les ingrédients destinés à la préparation de produits cosmétiques ou pharmaceutiques, ont été mises au jour au sein de 9 lieux de culte, à raison de 1 à 3 exemplaires. Quant aux divers outils en alliage cuivreux ou, plus rarement, en argent, utilisés dans le cadre de pratiques médicales – notamment chirurgicales – ou pour une application cosmétique, ils se partagent entre des cuillères-sondes (5 sites), des spatules-sondes (10) et des « spatules » (10), dont le nombre par sanctuaire varie entre 1 et 8. Certaines cuillères métalliques ou en os, parmi les 8 lieux de culte qui en sont pourvus, ont pu avoir servi pour la toilette féminine, bien que leur usage soit principalement culinaire (Vigier, 2018, vol. 1, p. 64). Si l’on excepte ces derniers instruments et les tablettes, qui peuvent être polyvalents, les objets liés au domaine de l’hygiène semblent donc être bien plus récurrents que les outils à usage médical, qu’on ne peut d’ailleurs identifier avec certitude au sein des sanctuaires.

335Le matériel d’écriture (fig. 156) est également documenté par la découverte de stylets en fer, sur 13 sites, d’un couvercle d’encrier et peut-être de boîtes à sceau, au sein de 9 sanctuaires. De fait, T. Derks (1998, p. 227-229) a émis l’hypothèse que ces petits objets en alliage cuivreux (fig. 158, c) aient pu sceller, à l’aide d’un cachet de cire qui y était coulé autour d’un cordon, les contrats votifs rédigés par les dévots dans le cadre de la nuncupatio (cf. supra, 2.1.1), qui étaient déposés dans l’enceinte du sanctuaire, dans l’attente de leur accomplissement. Ces objets ont aussi pu avoir fermé des bourses en tissu ou en cuir renfermant de petits biens précieux (bagues ou monnaies, par exemple) et ne présenteraient alors aucun lien avec l’écriture (Andrews, 2012, p. 80-92 ; Bertrand dir., 2018, vol. 2, p. 560 ; Bertrand et al., 2021). Quoi qu’il en soit, ils sont peu répandus dans les sanctuaires étudiés, qui n’en ont livré tout au plus qu’un à cinq exemplaires, et leur contexte de découverte n’apporte aucune information à l’égard de leur usage. Quant à l’usage des quelques stylets et de l’encrier reconnus, on ne sait s’il s’agit d’offrandes personnelles ou plutôt des instruments utilisés au sein des aires sacrées pour rédiger divers documents – dont les prises de vœux ou les archives conservées dans leur enceinte ?

Réal. S. Bossard.

336D’autres artefacts, sonores, ont peut-être été manipulés lors de cérémonies religieuses, à moins d’envisager encore une fois qu’il s’agisse de présents individuels (fig. 157 et 158). Dans le monde romain, la musique des flûtes pouvait accompagner les sacrifices et les processions qui les ouvraient (Prescendi Morresi, 2005, p. 36). Seul un instrument de ce type, en os et en alliage cuivreux, mis au jour dans un niveau daté du milieu du ier s. de n. è. à Mauves-sur-Loire (S.167), a pu être identifié dans les sanctuaires étudiés (Bertrand et Monteil, 2009 ; Archer, 2019, p. 526-527). Plus fréquentes, les clochettes en alliage cuivreux sont présentes sur 17 sites, à raison de 1 à 3 objets – à l’exception des 22 petits exemplaires découverts dans différents secteurs du sanctuaire de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), dans des contextes datés entre la période augustéenne et le iie s. de n. è. (Bataille, 2008, p. 122) –, sans que l’on puisse déterminer précisément leurs fonctions au sein des lieux de culte.

Figure 157 : Répartition des clochettes ou grelots métalliques et des instruments de musique découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 157 : Répartition des clochettes ou grelots métalliques et des instruments de musique découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

Figure 158 : Flûte fragmentaire en alliage cuivreux et os (a), clochette en alliage cuivreux (b) et boîte à sceller (c) provenant du sanctuaire de Vieille Cour à Mauves-sur-Loire (Loire-Atlantique).

Figure 158 : Flûte fragmentaire en alliage cuivreux et os (a), clochette en alliage cuivreux (b) et boîte à sceller (c) provenant du sanctuaire de Vieille Cour à Mauves-sur-Loire (Loire-Atlantique).

D’après Archer, 2019, p. 526, fig. 3.

337Les éléments de luminaire recueillis au sein des sanctuaires ont sans doute, pour une partie d’entre eux, fait partie de leur équipement, mais certains de ces objets ont également pu constituer, à titre d’hypothèse, des offrandes. Si des lustres fragmentaires en terre cuite, à Septeuil (S.122 ; Gaidon-Bunuel et al., 2006, p. 159) et à Angers (S.2 ; Mortreau, 2013a) – où le luminaire est composé d’une couronne agrémentée de têtes de Nubiens –, étaient indispensables pour l’éclairage des salles obscures de deux mithraea, des lampes à huile, fabriquées à partir du même matériau, ont peut-être servi de manière plus occasionnelle, à Angers et à Lillebonne (S.85), mais aussi dans cinq autres lieux de culte – au Vieil-Évreux (Cracouville, S.78), à Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192), Sens (S.226), Amboise (S.237) et Vannes (S.278). Ces objets sont donc peu fréquents dans les sanctuaires, bien qu’ils apparaissent en 6 exemplaires à Angers (Mortreau, 2013a) et en 10 autres à Sens (Hure, 1941, p. 105-107). Il peut être noté que la lampe découverte aux abords du temple privé de Noyal-Châtillon-sur-Seiche, ornée d’un médaillon représentant un lion et un crocodile affrontés, correspond au seul objet de ce type recueilli lors des fouilles de la villa de laquelle il dépend (Provost et Le Bouteiller, 1986).

338Rapportons également l’identification de trois possibles fragments de lampes à huile en alliage cuivreux à Mauves-sur-Loire (S.167 ; Archer, 2010, vol. 1, p. 37), d’un bougeoir tripode à Hecmanville (S.152 ; Maret dir., 2003, vol. 2) et de quatre bougeoirs en terre cuite à Vannes (S.278 ; Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 31), dont deux ont été taillés dans le fond de vases brisés. À ces objets mobiles s’ajoutent quelques chandeliers en fer, à l’origine fixés aux murs des sanctuaires de la Forêterie à Allonnes (S.9) et des Busses à Oisseau-le-Petit (S.20 ; Raux et al. dir., 2015, p. 256), à Val-de-Reuil (S.269 ; Talvas-Jeanson et Lukas, 2019, p. 506) et à Authevernes (S.253 ; Michel et al., 2014, p. 205-206) – d’où provient également une lampe à huile équipée d’un système de suspension en fer.

339Parmi les équipements des sanctuaires peuvent aussi figurer plusieurs clefs métalliques : 45 sites ont livré un ou plusieurs objets de ce type ; leur taille variable témoigne d’usages sans doute différents, liés à l’ouverture et à la fermeture de portes donnant accès aux différents espaces des aires sacrées, ou encore de meubles, de coffres ou de coffrets qui y étaient conservés, mais dont il ne subsiste généralement aucune trace.

340Il faut enfin évoquer la présence de différents outils, découverts dans nombre de sanctuaires, bien que leur identification soit parfois difficile, en raison de la corrosion des métaux – en particulier du fer – qui composent la plupart d’entre eux ; s’y ajoute sans doute aussi toute une gamme d’objets en matériaux périssables, dont il ne reste rien.

341En contexte laténien, les outils semblent peu nombreux, à l’exception de ceux qui ont été prélevés au sein d’épandages d’objets et hors stratigraphie sur le site de la Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 1). L’outillage – qui pourrait en partie dater de l’époque romaine – et les activités de production sont ici représentés par 94 objets, notamment liés au travail du bois (9 individus), aux activités agro-pastorales (25 objets, dont 12 socs de charrues) et à l’artisanat des métaux (25 currency-bars et d’autres chutes et scories métalliques). Leur nombre important témoigne probablement de leur déposition en tant qu’offrandes, à une période où ce type d’objets gagne d’ailleurs en importance au sein du mobilier des sanctuaires celtiques : G. Bataille propose de placer leur apparition, ici, dans des contextes de La Tène C2, soit durant la première moitié du iie s., bien qu’ils soient majoritaires durant La Tène D1, à la fin de ce siècle ou au début du suivant (Bataille, 2008, p. 107-115). Les rares outils (marteau, faux et faucille, entre autres) découverts dans le remplissage des fossés des deux enclos de Saumeray (Eure-et-Loir) sont d’ailleurs mêlés à des objets datés de La Tène C2 et D1 (Hamon et Lejars, 2002, p. 125). Des currency-bars, produits semi-finis faisant office de réserve de métal ferreux sous forme de barres, ont également été identifiées parmi les objets laténiens des sanctuaires de la Forêterie à Allonnes (S.9 : 2 exemplaires ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 298 et p. 305) et d’Aubigné-Racan (S.11 : 8 exemplaires ; Lejars et al., 2001, p. 5). L’absence de documentation relative à la stratigraphie du site de Tronoën, à Saint-Jean-Trolimon (S.179), interdit toute attribution chronologique des objets en fer, peu caractéristiques, qui y ont été mis au jour lors du dernier quart du xixe s. : deux poinçons, un coin, un ciseau, un outil massif de carrier ou encore une pince, parmi les instruments dont la morphologie et la fonction ont pu être déterminées, pourraient avoir été introduits au sein du sanctuaire ou dans ses environs proches dès le second âge du Fer ou durant l’époque romaine (Duval, 1990, p. 34-36).

342Dans les sanctuaires du Haut-Empire, il est souvent difficile de prouver que la présence d’un ou de plusieurs outils résulte bien d’un geste intentionnel lié à des pratiques religieuses, sous la forme de l’offrande d’un objet manipulé par un artisan ou d’un paysan, par exemple, et non de la perte, du stockage ou de la mise au rebut d’instruments utilisés lors de la construction ou de l’entretien des bâtiments. La question se pose par exemple pour une série d’outils mis au jour dans l’enceinte du lieu de culte de Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 196-197), notamment de quatre marteaux, dont deux ont été découverts l’un à côté de l’autre dans la cour sacrée, ainsi que d’un peigne à carder ou d’une lame de faux, ou encore, à Baudreville (S.94 ; Jalmain, 1985, p. 5-6), de truelles, de gouges et d’un compas, provenant d’un bâtiment adossé au péribole et des abords du temple. La découverte de divers outils métalliques a aussi été signalée à Hérouvillette (S.145 : serpettes, ciseaux, force, poinçon, peigne à carder ; E. Bisson, in Veron dir., 2018, vol. 2, p. 333-337), ou encore aux Perrières, sur la commune d’Allonnes (S.10 : lime, deux truelles ou spatules, mèche de drille ; Lucas et al., 2019, p. 542). À Orléans (S.114), il est possible que deux truelles et trois autres vraisemblables outils en fer, ainsi que des maillons de chaîne et un crampon, aient été disposés au fond d’une grande fosse dans le cadre d’une offrande tardive, réalisée au sein du temple partiellement démoli, à la fin du iiie s. ou au ive s., alors que le site est encore fréquenté dans le cadre de vraisemblables activités cultuelles (Verneau, 2014, p. 106-108). Une hache et un trident, à Val-de-Reuil (S.269 ; Talvas-Jeanson, Lukas, 2019, p. 509-511), pourraient constituer des offrandes apportées par un bûcheron et par un pêcheur, tandis que les 13 lests de filets de pêches mis au jour au Mans (S.16 ; Chevet et al., 2014, p. 138-141), issus des sédiments du ruisseau qui traverse le site ou de l’étang qui lui a succédé, sont vraisemblablement liés à des activités de pêche qui étaient pratiquées dans l’enceinte même du sanctuaire. Par ailleurs, la découverte d’aiguilles (identifiées sur 8 sites), de pesons (3 sites) et de fusaïoles (au moins 8 sites), artefacts liés aux activités textiles, est assez rare ; ces derniers objets apparaissent néanmoins en deux exemplaires parmi le mobilier varié que recèle le comblement des fossés de l’enclos laténien de Bennecourt (S.254, ph. 1 ; Bourgeois dir., 1999, p. 126), tandis que les autres découvertes correspondent à des contextes antiques.

2.2.4. Lames de haches polies néolithiques et autres objets de curiosité

343Dans les sanctuaires antiques et en particulier ceux de la Normandie orientale, la présence, parfois en abondance, de lames de hache en pierre polie et d’autres outils lithiques de facture préhistorique, mais aussi de fossiles d’oursins, a été remarquée par L. de Vesly dès le début du xxe s. (Vesly, 1909, p. 143). La carte des découvertes d’outils préhistoriques en contexte religieux antique, dressée par L. Bourgeois il y a une vingtaine d’années (Bourgeois dir., 1999, p. 185-186), peut aujourd’hui être complétée, du moins à l’échelle des cités considérées, à l’aune des données étudiées : il ressort de cette enquête que, si les lieux de culte implantés dans la basse vallée de la Seine et dans ses environs ont fourni l’essentiel de ces objets taillés et souvent polis, ils ont aussi été inventoriés dans une dizaine d’autres sites localisés dans les cités du centre et de l’ouest de la Lyonnaise – pour un total de 22 sanctuaires (fig. 159).

Figure 159 : Répartition des lames de haches polies, des autres outils préhistoriques et des oursins fossiles découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Figure 159 : Répartition des lames de haches polies, des autres outils préhistoriques et des oursins fossiles découverts au sein des sanctuaires étudiés.

Réal. S. Bossard.

344Ces artefacts – lames de haches en pierre taillée ou polie et divers outils, lames ou éclats en silex –, lorsqu’ils ne sont pas clairement associés à une occupation plus ancienne des lieux, sont issus de contextes variés et ont été retrouvés en quelques unités ou, pour au moins quatre cas, en plus de dix exemplaires. Sur certains sites, leur déposition en tant qu’offrande ne fait pas de doute, notamment quand ils ont été accumulés à l’intérieur d’un temple. Ainsi, sur le sol de la cella du bâtiment de culte de la place des Épars, à Chartres (S.100, ph. 4), ont été découvertes cinq lames de hache en jadéite, en silex ou en quartzite poli, accompagnées par une autre petite lame en cuivre et par une hachette miniature en bronze, ainsi que par divers autres objets métalliques, quatre fossiles d’oursins et des pierres naturelles (boules de silex, galet et plaquette calcaire ; J.-M. Morin, in Joly dir., 2010, p. 131-134 ; Canny et al., 2019). De même, à Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74), une vingtaine de fragments de petites haches en silex, toutes ébréchées, et deux oursins ont été mis au jour dans la cella et dans la galerie, près de sa porte, du temple ; d’autres objets similaires proviennent des abords du temple A et de l’édicule C (Poulain, 1915, p. 55, p. 61 et p. 74). Bien que confuse, la relation de l’exploration du temple de Saint-Saëns (S.88) fait aussi état de la découverte de plusieurs petites haches de pierre polie à l’intérieur de l’édifice, dans sa cella ou dans sa galerie périphérique (Le Breton, 1894, p. 270-272). Signalons enfin la mise au jour d’une petite lame de hache polie en roche verte dans l’édicule B du lieu de culte privé de Richebourg (S.118 ; Barat, 1999, p. 145) et de deux autres objets du même type identifiés à l’intérieur d’une hypothétique cella (A), au pied des fondations de son mur oriental, localisée au sein de l’établissement rural du Long Buisson à Guichainville (S.62 ; Guillier et Lourdeau dir., 2006, p. 144).

345Par ailleurs, deux dépôts, comptabilisant un nombre important d’outils préhistoriques, ont été probablement enfouis ou accumulés au sol à proximité du temple de deux sanctuaires voisins de quelques kilomètres, à Grand-Couronne (S.261) et à Oissel (S.266) [fig. 160]. Dans le premier cas, ce sont 70 objets en pierre taillée (et parfois polie) – pour un total de 94 artefacts lithiques prélevés lors de l’exploration du site – qui ont été rassemblés au pied du bâtiment de culte, le long du mur septentrional qui délimite la galerie, avec des fossiles d’ammonite et d’oursin et une figurine de Vénus anadyomène ; au sein du lot, figurent notamment 47 petites lames de haches complètes (Vesly, 1909, p. 86, p. 88 et pl. VI). Quant au dépôt d’Oissel, il se compose de 20 hachettes en pierre polie et de 22 oursins, réunis à moins de 5 m au sud-est du temple (Vesly, 1909, p. 102 et pl. VI). En sus de ces deux exemples, des lames de haches néolithiques – et peut-être des éclats et des boules de silex, ainsi que des oursins dont la provenance n’est pas précisée – ont aussi été mises au jour dans un bassin, à Sceaux-du-Gâtinais (S.225), auprès d’autres offrandes de nature variée (Roncin, 1977, p. 63).

Figure 160 : Lames de hache en pierre, fossiles d’oursins et autres éléments lithiques découverts au sein des lieux de culte du Grand Essart à Grand-Couronne et de la Mare du Puits à Oissel (Seine-Maritime).

Figure 160 : Lames de hache en pierre, fossiles d’oursins et autres éléments lithiques découverts au sein des lieux de culte du Grand Essart à Grand-Couronne et de la Mare du Puits à Oissel (Seine-Maritime).

In Vesly, 1909, pl. VI.

346Les lames de haches préhistoriques, dénommées « céraunies » par Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXXVII, 51), pouvaient être ramassées, comme l’expliquent cet auteur ainsi que Suétone (Vies des douze Césars, Galba, VIII), dans des lieux où serait tombée la foudre. De fait, l’encyclopédiste écrit à ce sujet que deux « variétés de céraunies, une noire et une rouge, […] ressemblent à des haches ; parmi ces pierres, celles qui sont noires et rondes sont sacrées […]. On prétend qu’il y a encore une autre espèce de céraunie extrêmement rare, et recherchée par les mages pour leurs opérations, attendu qu’elle ne se trouve que dans un lieu frappé de la foudre ». Certains de ces objets de curiosité, considérés comme relevant du domaine divin, ont donc été collectés et réunis, pour des objets parfois de formes ou issus de roches diverses, au sein des sanctuaires, où ils devaient constituer des offrandes individuelles ou peut-être collectives, pour les dépôts les plus massifs.

347Au cours de l’époque romaine, d’autres objets ont pu avoir été introduits au sein des aires sacrées pour leur caractère remarquable ou ancestral (Nouvel et Thivet, 2019), à l’exemple de quelques parures de l’âge du Fer (cf. supra, 2.2.3.2) ou d’une pointe de flèche en silex découverte à Cracouville (Le Vieil-Évreux, S.78), d’où proviennent aussi un polissoir en basalte, une lame en silex, des haches polies en grès, en silex et en jadéite, ainsi que plusieurs oursins fossilisés (Baudot, 1936, p. 82). Dans nombre de cas, on ne peut toutefois déterminer si ce mobilier de facture préhistorique ou protohistorique a été volontairement apporté au sein du lieu de culte, ou s’il témoigne d’une occupation antérieure du site, qui n’aurait pas été mise en évidence en tant que telle. La question peut aussi être posée pour une petite armature de lance datée de l’âge du Bronze final, mise au jour à Aunou-sur-Orne (S.195 ; Lejars et Pernet, 2005, p. 16), ou encore pour une hache à talon du Bronze moyen, également en alliage cuivreux, découverte à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 167-168).

348Enfin, la présence de fossiles d’oursins, déjà évoquée à plusieurs reprises, résulte d’une intention probablement similaire à celle qui a motivé l’offrande de haches en pierre polie. Au sein des six lieux de culte qui ont livré de tels écofacts (fig. 159), généralement situés sur des terrains calcaires aptes à fournir des fossiles de ce type (Demnard et Néraudeau, 2001, p. 705, fig. 11), ces derniers accompagnent en effet les outils néolithiques, que ce soit dans la cella de Chartres (S.100) ou dans le temple B de Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74) pour les contextes les mieux documentés. Les fossiles d’échinidés, aussi déposés au sein de sépultures entre la Préhistoire et la période romaine, revêtaient probablement une valeur symbolique et pouvaient constituer des amulettes protectrices (Demnard et Néraudeau, 2001) ; un oursin minéralisé, enchâssé dans une monture en alliage cuivreux pour être porté comme pendentif, a d’ailleurs été découvert dans les environs du sanctuaire de Grand-Couronne (S.261), d’où provient un autre exemplaire intact (Vesly, 1909, p. 84). Selon Pline l’Ancien (Histoire naturelle, XXIX, 12 ; cf. Chauvet, 1900), ces objets de curiosité étaient même collectés par les druides, qui lui auraient montré ce qu’il qualifie d’ovum anguinum, « espèce d’œuf très renommé dans les Gaules », formé grâce à l’enlacement de serpents et préconisé « pour le gain des procès et l’accès auprès des souverains ».

2.3. Faciès mobiliers et évolution des pratiques

2.3.1. Définir des faciès mobiliers : méthode et limites

349L’analyse des différentes catégories de mobilier des sanctuaires, présentes en nombre plus ou moins important, témoigne de pratiques qui varient tout au long de la période étudiée, du second âge du Fer à l’Antiquité tardive. Si l’essentiel des séquences rituelles n’est pas documenté, puisque la plupart des gestes des officiants et des dévots n’a laissé aucune trace, l’examen du matériel archéologique et de ses contextes d’enfouissement est cependant riche en enseignements, malgré les écueils méthodologiques évoqués à plusieurs reprises, au sujet des artefacts et des écofacts manipulés au sein des aires sacrées, et notamment des objets que l’on peut considérer comme des offrandes. Une approche globale du mobilier, tenant compte avant tout des catégories fonctionnelles les plus récurrentes et des contextes de découverte les mieux datés, permet de progresser dans la compréhension des pratiques religieuses et de leur évolution, en déterminant des assemblages particuliers d’objets et en confrontant les faciès ainsi établis d’un site à l’autre et d’une période à l’autre. Ce genre d’exercice a été notamment tenté par G. Bataille (2008, p. 155-215) qui, en quantifiant et en datant les principaux types d’objets, essentiellement métalliques, de sept sanctuaires gaulois, a pu définir l’évolution de leur « faciès mobilier » ainsi que différentes modalités d’agencement des artefacts.

350Si les artefacts amassés en grand nombre sur les sites laténiens se prêtent tout à fait à une enquête de ce type, les offrandes des lieux de culte antiques sont a priori davantage affectées par des phénomènes de recyclage et d’évacuation–, auxquels s’ajoutent bien sûr les problèmes inhérents à la disparition des matériaux périssables et aux conditions de l’étude archéologique menée (cf. supra, 2.1.3). Pour autant, aux contextes les plus précoces, datés du début du Haut-Empire, est souvent associé un matériel abondant ; une importante quantité de mobilier caractérise parfois, aussi, d’autres ensembles plus tardifs, notamment ceux qui ont précédé de peu l’abandon des sites. Il semble alors pertinent d’appliquer un protocole similaire aux lieux de culte antiques, comme l’ont récemment proposé I. Bertrand et S. Raux (2019a et b) pour l’instrumentum, afin de déterminer les types de mobilier les plus fréquents au cours des périodes les mieux documentées, mais aussi de mettre en évidence les épisodes au cours desquels se raréfient ou s’accumulent des objets – et donc de dater les changements qui rythment les pratiques rituelles, la fréquentation des sanctuaires et les façons de gérer les offrandes.

  • 53 Le nombre minimum d’individus ne peut malheureusement pas servir de base aux comparaisons puisqu’il (...)
  • 54 Le numéraire a été scindé en deux ensembles : d’une part, les monnaies gauloises, de la République (...)

351À l’échelle de l’aire géographique et de la période considérées et au regard de l’hétérogénéité de la documentation, il faut se résoudre à ne sélectionner que les catégories fonctionnelles ou les types de mobilier les mieux représentés au sein des espaces cultuels et à évaluer leurs proportions respectives de manière simple, tout en tenant compte de la fragmentation d’un grand nombre d’entre eux (céramique, faune et malacofaune, figurines en terre cuite) et donc de leur difficile quantification53. La méthode retenue consiste à distinguer, pour chacune des douze catégories retenues54 et pour chaque sanctuaire ou phase de sanctuaire, cinq degrés (mobilier absent, rare, en quantité moyenne, importante ou très importante), dont les seuils ont été définis de façon arbitraire, en fonction des fluctuations observées au sein du corpus d’étude (fig. 161). Les combinaisons obtenues ont été transcrites sous une forme graphique, qui facilite la comparaison des assemblages ainsi déterminés.

Figure 161 : Seuils arbitrairement retenus pour l’évaluation de la quantité des différents types de mobilier des sanctuaires étudies et légende des figures 187 à 194.

Figure 161 : Seuils arbitrairement retenus pour l’évaluation de la quantité des différents types de mobilier des sanctuaires étudies et légende des figures 187 à 194.

Réal. S. Bossard.

352Après avoir écarté les sites dont l’exploration n’a été que très partielle, ceux dont le mobilier n’a pas été quantifié avec précision, les lieux de culte incertains et les phases pour lesquelles des objets n’ont pu être rattachés avec assurance, ce sont 117 sanctuaires ou phases de sanctuaire, correspondant à 82 sites distincts, qui ont été examinés. Seulement 20 d’entre eux se caractérisent par une occupation relativement courte, dont la durée totale – marge d’incertitude incluse – est inférieure à moins de cent ans, tandis que pour les autres sites, elle s’étire sur deux à cinq siècles. Ce paramètre n’a toutefois pas été pris en compte lors de la définition des seuils et donc de l’évaluation des quantités de mobilier : si de nombreux sites ont été fréquentés durant plusieurs siècles, il faut admettre que l’accumulation de certains objets a pu se concentrer sur une période bien moins longue, de l’ordre de seulement quelques années ou décennies. Quant aux phases les plus courtes qui ont pu être déterminées, elles correspondent souvent à d’intenses moments de déposition de mobilier, que les critères retenus mettent bien en évidence.

353Enfin, précisons que la chronologie du mobilier est ici envisagée, dans la mesure du possible, en fonction de la datation de leur contexte de découverte, établie à partir d’indices multiples, et non de leurs seules caractéristiques typologiques. Ce choix présente l’inconvénient d’exclure de la réflexion un bon nombre d’artefacts découverts hors contexte, ainsi que ceux qui n’ont pas été attribués avec précision à l’une des phases du sanctuaire, mais il permet aussi de tenir compte de la durée de circulation parfois longue des objets avant leur mise au rebut.

2.3.2. Analyse globale du mobilier des sanctuaires, de l’âge du Fer à la fin de l’Antiquité

354En dépit de multiples écueils, qu’ils soient liés à la datation approximative de nombreux sanctuaires ou au dénombrement imprécis de certains types d’objets, la méthode élaborée offre l’opportunité de mettre en série et de confronter des assemblages de mobilier issus d’une centaine de contextes et permet de cerner les principaux changements qui ont marqué leur évolution depuis la fin du ive s. av. n. è. à l’aube du ve s. de n. è.

2.3.2.1. Les dépôts laténiens

355Une quinzaine d’ensembles datés du second âge du Fer, associés ou non à des niveaux archéologiques conservés, a pu être déterminée. Alors que les plus anciens sanctuaires structurés reconnus à l’échelle du territoire considéré ne sont a priori pas antérieurs à la fin du iiie s. (cf. supra, 1.2.1 et infra, 4.1.2), les premiers épandages d’objets manipulé au cours de pratiques rituelles ont vraisemblablement été formés dès la fin du ive s. ou le début du iie s. av. n. è., voire dès le courant du ive s. (fig. 162). Les dépôts de La Tène ancienne sont cependant les moins bien renseignés, car ils ont souvent été perturbés par des occupations plus récentes, ou bien parce qu’ils n’ont été étudiés que sur une surface réduite. Les quelques objets, aux fonctions variées, attribués à la fin du ve s. ou au courant du ive s. (La Tène A-B1) ont été mis au jour sur plusieurs sites localisés uniquement dans l’ouest de la Celtique : à Allonnes (la Forêterie, S.9, ph. 1 : deux fibules, un ou deux éléments de char, une pointe de flèche en bronze, un fourreau, des appliques décoratives de casque et une perle tubulaire en verre ; cf. infra, fig. 272 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 298-299 ; Lejars, 2007, p. 27), à Saint-Jean-Trolimon (S.179, ph. 1 : quatre fibules, un casque, des fourreaux et des épées, des fers de lance et des garnitures de char, auxquels s’ajoutent deux fibules datées du viie s. av. n. è. ; Lejars, 2007, p. 278-279 ; Galliou, 2010) et peut-être aussi à Jublains (S.32, ph. 1 : quelques épées, difficiles à dater, pourraient également avoir été produites à une période ancienne ; Lejars, 1997). Ces pièces remarquables (objets de parure, armes et composantes de char), dont le contexte de découverte n’est pas connu, sont toutefois peu nombreuses et on ne peut exclure qu’elles proviennent d’ensembles plus anciens – des nécropoles ? –, bouleversés par les installations postérieures, ou qu’il s’agisse d’objets ancestraux de qualité, conservés au sein de familles aristocratiques sur plusieurs générations et déposés dans l’enceinte du sanctuaire plusieurs décennies après leur fabrication. Une autre hypothèse, soutenue notamment par Th. Lejars, consiste à considérer ces objets comme les plus anciens témoins d’activités rituelles au sein de lieux de rituels organisés (Lejars, 2019), mais les dossiers évoqués sont encore trop lacunaires pour pouvoir la rendre valide ou l’infirmer.

Figure 162 : Faciès mobilier des sanctuaires laténiens.

Figure 162 : Faciès mobilier des sanctuaires laténiens.

Réal. S. Bossard.

356Ce n’est qu’à partir de la fin du ive s. et du début du iiie s. (La Tène B2-C1) que se multiplient véritablement, en différents points de la Celtique, des épandages d’objets qui ont manifestement été manipulés dans le cadre de rites, dont on ignore en grande partie la teneur. Ce mobilier, souvent fragmenté et même volontairement mutilé, a minima pour les pièces de fourniment, a été rejeté pêle-mêle au sol, parfois avec d’autres artefacts plus tardifs – à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 1), à Aunou-sur-Orne (S.195, ph. 1) et peut-être à Aubigné-Racan (S.11, ph. 1) –, sans que l’on puisse reconstituer les modalités de leur collecte et de leur mise au rebut. À Meaux (S.158, ph. 1), les assemblages se composent de restes fauniques – issus de moutons et de bœufs –, de plusieurs dizaines de gobelets en terre cuite, vraisemblables reliefs de repas consommés à grande échelle (Couturier dir., 2005), et de débris d’armement métallique, ayant appartenu à plus d’une vingtaine de guerriers, quant à eux piégés dans des remblais d’époque romaine (Marion et al., 2019). L’attribution chronologique de la majeure partie des éléments d’équipement militaire (épées, fourreaux, armes d’hast et boucliers, en proportions variables) d’Allonnes, de Jublains et d’Aubigné-Racan (S.11, ph. 1), mais aussi des plus anciennes armes et fibules de La Villeneuve-au-Châtelot, renvoie également à la fin du ive s. et au début ou à la première moitié du iiie s. (Lejars et al., 2001 ; Bataille, 2008, p. 140-141). Il faut donc envisager, du moins si les dépôts sont bien composés d’objets récemment fabriqués, et non d’artefacts conservés sur une ou plusieurs générations, que l’offrande de fourniment en grande quantité – et, dans une moindre mesure, de parures – s’ancre et se généralise à la transition entre La Tène ancienne et moyenne, et ce à l’échelle du monde celtique (Bataille, 2011, p. 656 ; Demierre et al., 2019, p. 331).

357Sur certains sites, les armes et, en moindre quantité, les fibules et les autres parures demeurent des offrandes privilégiées tout au long du iiie s. et, surtout, lors de la première moitié du iie s. En témoignent les importants lots, attribués à La Tène C1 et surtout C2, recueillis au sol (à La Villeneuve-au-Châtelot et à Aunou-sur-Orne ?), puis dans les fossés d’enclos à partir du iie s. à Ablis (S.91, ph. 1) ou à Saumeray (Hamon et Lejars, 2002 ; Ginoux et al., 2020). Sur ce dernier site, comme à Bennecourt (S.254, ph. 1 ; Bourgeois dir., 1999, p. 31-35), le comblement des structures en creux recèle néanmoins d’autres types de mobilier (céramique et vaisselle métallique, faune et monnaies notamment), dont le terminus post quem est plus tardif de quelques décennies (soit La Tène D1) que celui proposé pour la fabrication des armes. Ces dernières ont-elles été exposées un certain temps dans l’enceinte des sanctuaires, avant d’être définitivement enfouies au côté d’objets introduits peu de temps après, ou bien faut-il considérer que ces équipements ont été utilisés au cours d’une ou de deux générations de guerriers avant d’être y être apportés et offerts, au même moment que les autres artefacts ?

358Quoi qu’il en soit, les assemblages se diversifient et l’armement laisse progressivement place, au cours de La Tène finale (fig. 162), à d’autres types de dépôts (Bataille, 2011, p. 656 ; M. Demierre, in Poux, Demierre dir., 2015, p. 566-572). De fait, la quantité de fourniment enfoui à Bennecourt à la fin du iie s. av. n. è. – prélevé sur une ou deux panoplies militaires –, mais aussi à Juvigné (S.36, ph. 1 ; Bossard et Dufay-Garel, 2019) et à Alençon (S.194, ph. 1 ; Pernet et al., 2011), deux sites certes partiellement explorés, est bien inférieure à celle des dépôts plus anciens qui ont identifiés sur d’autres sanctuaires. Le nombre d’armes forgées au cours de La Tène D1 et D2 décroît également de manière tout à fait sensible à La Villeneuve-au-Châtelot (Bataille, 2008, p. 88-89). En revanche, les objets de parure, représentés majoritairement par des fibules, ainsi que par quelques bracelets annulaires en alliage cuivreux, en lignite, en verre ou composés de perles, sont particulièrement abondants à Bennecourt et, dans une moindre mesure, à Juvigné et à Alençon. L’importante quantité de matériel lié à la cuisine et à la consommation alimentaire, sur ces quatre sites – en particulier à Bennecourt et à Juvigné –, témoigne certainement de la tenue d’un ou de plusieurs banquets, et même de leur préparation au sein même des enclos, ou dans leurs environs immédiats. En outre, au sein de la petite enceinte de Balloy, le décolletage d’une quinzaine d’amphores à vin italiques, datées du début du ier s. av. n. è., ainsi que la consommation probable de leur contenu et le bris volontaire des récipients, plaide également en faveur de la consommation de boissons dans un cadre religieux (Poyeton et Séguier, 1999 ; Poux, 2004, p. 422-425). La céramique du second âge du Fer de Jublains, provenant surtout de niveaux plus tardifs ou inconnus, a également pu être datée, pour l’essentiel, de La Tène finale, tandis qu’à la même période, les dépôts de multiples petits vases et de quartiers de viande, dans les fossés d’une enceinte de Quimper (S.176, ph. 1) et dans une fosse creusée à ses abords, pourraient également témoigner de pratiques de commensalité réalisées dans un cadre religieux (Naveau dir., 1997, p. 222-230 ; Le Bihan et Villard, 2021). Par ailleurs, l’introduction de numéraire au sein de certains sanctuaires – et parfois en centaines d’exemplaires – semble bien pouvoir être daté, à partir des contextes étudiés, du courant du iie s. et, probablement, de ses dernières décennies. Les composantes métalliques de chars, présentes dans les assemblages les plus anciens, apparaissent également dans des contextes tardifs, notamment à Alençon. Quant aux outils, multiples et variés à La Villeneuve-au-Châtelot, tandis qu’ils paraissent avoir été plus rares sur les autres sites, ils seraient également caractéristiques de la fin de La Tène, puisqu’ils y auraient été déposés dès la première moitié du iie s. et surtout à la fin de ce siècle et au début du suivant (Bataille, 2008, p. 107-115).

359Les contextes laténiens les plus récents, postérieurs à la guerre des Gaules (La Tène D2b : années 60 à 30 av. n. è.), sont peu documentés, car les vestiges de cette période sont souvent difficiles à distinguer de ceux de la première moitié du ier s. av. n. è. et surtout de l’époque augustéenne (cf. infra). Les rares ensembles rattachés avec plus ou moins d’assurance à ces quelques décennies, composés de quelques objets, ne présentent toutefois pas de rupture marquante avec les autres dépôts de La Tène finale (fig. 162). Ainsi, à Bennecourt (S.254, ph. 2), une dizaine de fibules, les perles d’un bracelet ou d’un collier, plusieurs fragments d’épées – résiduels ? –, un crâne de brebis et d’autres restes fauniques ont probablement été rejetés au sol durant le troisième quart du ier s. av. n. è. (Bourgeois dir., 1999, p. 36-39). À Authevernes (S.253, ph. 1), une fosse, peut-être datée de la seconde moitié du ier s. av. n. è. – à moins qu’elle ne soit plus ancienne et qu’elle signe une occupation du site dès La Tène D1 (Doyen et al., 2011 ; Michel et al., 2014, p. 192-193) ? –, recèle différents objets qui évoquent les restes de repas (les fragments d’au moins 8 vases et des ossements de faune, dont un membre de porc) ou des offrandes personnelles (2 monnaies et 9 fibules). Il est également possible que les premiers états fossoyés du sanctuaire enclos de Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 1), qui n’ont livré que des tessons de céramique et un hypothétique fragment de bouclier, aient été aménagés et fréquentés à la toute fin de La Tène (Guillier dir., 2020, p. 42-43).

2.3.2.2. De la période augustéenne au milieu du iiie s. de n. è.

360Les contextes d’époque romaine, bien plus nombreux que ceux du second âge du Fer – une centaine d’ensembles cohérents et plus ou moins bien documentés a été retenue –, ne sont pas tous datés avec précision. De fait, la chronologie de 24 sites est approximative, en raison d’une exploration ancienne ou de de fossiles directeurs trop rares, tandis que parmi les 77 autres ensembles, seulement une vingtaine correspond à des phases relativement courtes, dont la durée est inférieure à un siècle et demi. Ainsi, pour une cinquantaine de lieux de culte bien datés, le mobilier relève de l’ensemble de l’occupation, couvrant généralement une grande partie du Haut-Empire, voire la fin de cette période et parfois l’Antiquité tardive, sans que l’on puisse distinguer différentes étapes de construction et d’enfouissement du mobilier. L’étude de la plupart des sites offre donc une image globale des objets introduits dans les aires sacrées, mais interdit une analyse fine des rythmes de déposition.

361Les lieux de culte fréquentés dès le début du Haut-Empire, au cours de l’époque augusto-tibérienne (vers 30 av. n. è. – 30 de n. è.), voire dès le troisième quart du ier s. av. n. è., se caractérisent généralement par une abondance et une variété de mobilier ; leur examen montre que les pratiques rituelles évoluent (fig. 163 à 165). À 11 phases de sanctuaires précisément datées de cette période s’ajoute une trentaine de sites fondés dès les premiers temps du Haut-Empire et occupés durant plusieurs siècles, pour lesquels le matériel introduit précocement n’a pu être distingué des objets plus tardifs.

Figure 163 : Faciès mobilier des phases datées de la période augustéenne.

Figure 163 : Faciès mobilier des phases datées de la période augustéenne.

Réal. S. Bossard.

Figure 164 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits au cours de la période augustéenne.

Figure 164 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits au cours de la période augustéenne.

Réal. S. Bossard.

Figure 165 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits au cours de la période augustéenne (suite).

Figure 165 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits au cours de la période augustéenne (suite).

Réal. S. Bossard.

362Dans un cas comme dans l’autre, l’omniprésence du numéraire est remarquable et constitue l’un des traits saillants de ces quelques décennies ; il est souvent représenté par un grand nombre de pièces gauloises, républicaines ou du début de l’époque impériale, témoins d’une circulation monétaire composée de multiples espèces (cf. supra, 2.2.3.1). Les dizaines de monnaies recensées pour cette courte période à Paule (S.172, ph. 1), à Authevernes (S.253, ph. 2), à Orléans (S.114, ph. 1) ou encore à Amboise (S.237, ph. 1), les centaines de pièces vraisemblablement déposées, pour la plupart, au cours de ce même intervalle à la Forêterie, à Allonnes (S.9, ph. 2-3), ou encore le dépôt d’un millier de monnaies, inhumé au plus tôt en 7 de n. è., à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2) illustrent de façon éloquente ce phénomène. L’offrande monétaire, jusqu’alors limitée dans les sanctuaires – à de rares exceptions près –, semble alors devenir la norme. Quant aux quelques ensembles auxquels sont rattachés peu de monnaies, il s’agit surtout de sites dont les plus anciens états sont mal conservés et pour lesquels le numéraire en circulation au début du Haut-Empire provient essentiellement de niveaux plus récents – à Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 2), Vannes (S.278, ph. 2) ou encore à Bennecourt (S.254, ph. 3).

363La part des restes fauniques et de la vaisselle en terre cuite au sein de ces ensembles précoces de l’époque romaine n’a été que rarement quantifiée, mais quelques exemples bien documentés témoignent de leur relative abondance, ainsi que de pratiques variées. Alors que se multiplient les foyers dans les aires sacrées, en particulier dans les cellae où une structure de combustion sert sûrement à la crémation d’offrandes sacrifiées (cf. supra, 1.1.2.2), des produits alimentaires d’origine animale sont manifestement brûlés à Saint-Martin-de-Boscherville (S.87), à Quimper (S.176, ph. 2), à Authevernes (S.253, ph. 2) et à Vannes (S.278, ph. 2-3). Des os présentant les stigmates de passage au feu y ont effectivement été identifiés : des animaux entiers ou des quartiers de viande sont manifestement offerts aux divinités qui reçoivent leur part brûlée, selon les principes du sacrifice romain. Des dépôts de vases entiers, à Amboise (S.237, ph. 1) et à Orléans (S.114, ph. 1), contenant parfois des restes fauniques, pourraient aussi témoigner de l’enfouissement d’offrandes alimentaires non brûlées (cf. supra, 2.2.1). En outre, à Amboise, par exemple, d’abondants reliefs de repas – 804 restes fauniques présentant des traces de découpe bouchère et de consommation, issus d’au moins 80 animaux et 1 363 tessons de céramique, appartenant à un minimum de 128 vases – indiquent que des banquets ont sans doute été consommés, et peut-être préparés, dans l’enceinte du lieu de culte de La Tène D2b et de la période augustéenne (Laruaz dir., 2008).

364La déposition de parures et d’accessoires vestimentaires, en particulier de fibules, déjà courante dans nombre de sanctuaires préromains, se poursuit a priori sans grande rupture au début du Haut-Empire, et s’accompagne parfois par l’offrande d’objets de toilette, relevant également de la sphère individuelle, à Authevernes (S.253, ph. 2), Amboise (S.237, ph. 1), Paule (S.172, ph. 1), Douarnenez (S.170, ph. 2) ou encore Genainville (S.260, ph. 1 ; cf. supra, 2.2.3.2).

365Les offrandes par destination, si elles ont pu apparaître dans certains sanctuaires gaulois dès le courant du ier s. av. n. è., durant La Tène D2 (Bataille, 2011, p. 657), ne sont pas attestées au sein du territoire considéré avant la seconde moitié du ier s. av. n. è. et même, plus probablement, avant la période augustéenne. Les rouelles d’argent de la Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2) proviennent en grande partie du dépôt monétaire dont le terminus post quem a été fixé en 7 de n. è., tandis que celles en alliage et en plomb – dont le total atteint près de 70 000 exemplaires – sont associées, pour celles qui ont été découvertes concentrées à l’entrée des enclos palissadés, à des monnaies gauloises et augustéennes. Il est plus difficile de dater les premières productions de petits anneaux métalliques, retrouvés par centaines, du lieu de culte de Baron-sur-Odon, qui ont toutefois pu être fabriqués et diffusés dans l’enceinte et à ses abords dès la seconde moitié du ier s. av. n. è. (cf. supra, 2.2.2.3). En revanche, les premiers ex-voto anatomiques métalliques apparaissent bien dans des contextes de la fin du ier s. av. n. è. ou du début du ier s. de n. è. à Orléans (S.114, ph. 1) et avant le milieu du ier s. de n. è. à Bû (S.99) – tandis que la chronologie de ceux, en bois, de Montbouy (S.217) n’a pas pu être déterminée (cf. supra, 2.2.2.1). Ainsi que l’a évoqué J.-M. Demarolle (2005, p. 48-49) au sujet des offrandes par destination, la confection de ces objets produits en série, du moins pour les centaines ou milliers de rouelles et d’anneaux, a dû nécessiter l’aménagement d’installations artisanales plus ou moins pérennes au sein ou aux abords de certains lieux de culte. Cependant, elles n’ont pas été identifiées à La Villeneuve-au-Châtelot – d’où proviennent néanmoins quelques fragments de coulures de plomb et des scories, témoignant manifestement de productions métallurgiques entreprises sur le site même ou dans ses environs (Bataille, 2008, p. 109) – ni à Baron-sur-Odon.

366Les sanctuaires du début du Haut-Empire se caractérisent ainsi par une abondance globale des objets qui y sont introduits et répandus au sol ou enfouis, dans la droite ligne de ce qui était réalisé à la fin de l’âge du Fer. Le nettoyage des aires sacrées n’est donc a priori pas entrepris régulièrement ou, à tout le moins, une grande part des objets consacrés aux divinités et des déchets produits au cours des cérémonies religieuses continue d’être conservée et ensevelie dans leur enceinte (Rey-Vodoz, 1991, p. 219 ; Van Andringa, 2017a, p. 104 et p. 137). Pour autant, les faciès mobiliers ne sont pas homogènes et trahissent une diversification sans précédent des pratiques rituelles. Ainsi, bien que le numéraire précoce soit présent dans l’ensemble des lieux de culte considéré, le plus souvent à raison de quelques unités ou de dizaines de pièces, il est représenté par plusieurs centaines ou milliers de monnaies sur quelques sites seulement – à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), Allonnes (S.9), Mordelles (S.189), Le Mans (S.16), Juvigné (S.36) ou encore Orléans (S.114). Par ailleurs, à l’exception de quelques objets épars, les rouelles sont nombreuses uniquement à La Villeneuve-au-Châtelot et les anneaux, à Baron-sur-Odon ; les plaquettes métalliques figurant des yeux ou des visages apparaissent par dizaines, dès le début du Haut-Empire, à Orléans et à Bû, tandis que leur présence reste anecdotique sur les autres sites ; les restes osseux et les débris de récipients en terre cuite sont foisonnants à Amboise (S.237, ph. 1), mais, à l’opposé, ils semblent très rares à Juvigné autour du changement d’ère, alors que la céramique y était particulièrement abondante durant La Tène finale (Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 151 et p. 157).

367Les combinaisons sont multiples, mais on ne peut reconnaître des configurations propres à des cultes spécifiques : la variété est de règle et chaque communauté, dans le sanctuaire qu’elle fréquente, paraît honorer à sa manière la ou les divinités qu’elle a choisies. Au-delà de cette diversité, la récurrence de certains types de mobilier – alors que l’armement ou les éléments de char, par exemple, ont disparu – montre bien que des pratiques importées de Rome, telle la crémation de la part du sacrifice destinée aux divinités, la stips ou l’offrande anatomique, sont adoptées pour la première fois ou, du moins, se développent considérablement dès la fin du ier s. av. n. è. Il faut enfin rappeler que, dans la plupart des cas, les niveaux archéologiques du début du Haut-Empire n’ont pu être étudiés que de manière incomplète et que, pour cette période, la restitution des pratiques religieuses repose donc, en l’état des connaissances, sur des dossiers somme toute lacunaires.

368La vingtaine de sanctuaires fondés ou réaménagés entre le second quart et la fin du ier s. de n. è. présente des faciès mobiliers moins variés et caractérisés par des quantités d’objets généralement plus faibles que lors de la phase précédente (fig. 166 et 167). La déposition de numéraire semble connaître encore, sur quelques sites, un certain succès – à Orléans (S.114, ph. 3) ou, dans une moindre mesure, à Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 3) ou à Quimper (S.176, ph. 3), où le mobilier a été en partie déversé dans les fossés délimitant l’aire sacrée. Il n’est toutefois en rien comparable au phénomène observé autour du changement d’ère, puisque seules quelques dizaines de monnaies, tout au plus, peuvent être rattachées à ces contextes. Par ailleurs, la place du sacrifice animal et des pratiques alimentaires est peu documentée pour cette période, du moins pour les ensembles datés avec précision, si ce n’est à Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 3) : près de la moitié des céramiques fragmentaires, au minimum, a été introduite et enfouie dans les fossés ou au cœur de l’enclos fréquenté entre les années 20-30 et 70-80 de n. è. (Guillier dir., 2020, p. 63). En outre, à Hérouvillette (S.145, ph. 2), ce sont plusieurs dizaines de kilogrammes de coques que l’on a inhumés dans les fossés bordiers, condamnés dans le courant du ier s. de n. è., d’un chemin bordant le sanctuaire ; ces vestiges, ainsi que de la vaisselle de table fragmentée et des ossements de faune, constituent probablement les restes de grands repas organisés au sein de l’aire sacrée ou à ses abords (Veron dir., 2018, vol. 1, p. 183-185). À Neuville-sur-Sarthe, l’offrande d’objets du quotidien semble également avoir été relativement fréquente au cours de cette phase, si l’on se fie aux artefacts mis au jour dans les fossés qui circonscrivent la cour sacrée, bien qu’ils peuvent aussi avoir piégé des éléments plus anciens : 25 fibules, 2 poignards, une pointe de flèche ou encore un fragment de sonde en sont issus (Guillier dir., 2020, p. 54). Entre la seconde moitié du ier s. et la première moitié du iie s., le don d’offrandes anatomiques se poursuit à Orléans (S.114, ph. 2), bien qu’il paraisse être plus rare qu’au début du Haut-Empire (Canny, 2015, p. 349-351). Quant aux premières figurines en terre cuite, produites à partir du milieu du ier s. de n. è. (cf. supra, 4.2.2.1), elles sont vraisemblablement déposées dans les sanctuaires dès la seconde moitié de ce siècle ou durant les premières décennies du siècle suivant, notamment à Plouër-sur-Rance (S.137 ; Menez dir., 1996, p. 76) et à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138 ; Bizien-Jaglin dir., 2004, p. 107-124), deux sites coriosolites manifestement abandonnés dès le début du iie s.

Figure 166 : Faciès mobilier des phases datées entre le second quart du ier s. et le début du iie s. de n. è. et des sanctuaires vraisemblablement fondés au cours de cette période, mais dont la chronologie est imprécise.

Figure 166 : Faciès mobilier des phases datées entre le second quart du ier s. et le début du iie s. de n. è. et des sanctuaires vraisemblablement fondés au cours de cette période, mais dont la chronologie est imprécise.

Réal. S. Bossard.

Figure 167 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits entre le second quart du ier s. et le début du iie s. de n. è.

Figure 167 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits entre le second quart du ier s. et le début du iie s. de n. è.

Réal. S. Bossard.

369L’examen du mobilier associé à la dizaine de sanctuaires construits ou agrandis durant la seconde moitié du ier s. et le courant du iie s., et fréquentés jusqu’au iiie s. ou au-delà, révèle que sa raréfaction, amorcée dès le courant du ier s., semble désormais se généraliser (fig. 168). Ce constat est à la fois valable pour de grands monuments, tel le lieu de culte localisé en périphérie de Corseul (S.134), et de modestes temples privés, à l’exemple des sites de Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192), de Pannes (S.220) ou de Saint-Patrice (S.247). Les couches archéologiques datées avec certitude du iie s. sont toutefois peu nombreuses, puisque rares sont les structures fossoyées désormais creusées au sein ou autour des aires sacrées ; aussi, dans les niveaux de sol ou de démolition, où s’accumule la plupart des objets, s’entremêlent des artefacts et des écofacts au cours de plusieurs décennies et même, souvent, de plusieurs siècles. C’est par exemple le cas de strates formées entre le ier s. et la fin du iiie s. de n. è. dans la cour sacrée de Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 2-5), au sein desquelles ont été recueillies seulement 11 monnaies de la période antonine (contre 24 du ier s.), une vingtaine de tessons de céramique attribués aux iie s. et iiie s. (plus de 200 ont été datés du ier s.) et 22 fibules, pour l’essentiel produites dans le courant du ier s. (Guillier dir., 2020, p. 56 et p. 137).

Figure 168 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits dans le courant du iie s. de n. è.

Figure 168 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits dans le courant du iie s. de n. è.

Réal. S. Bossard.

370Les monnaies émises durant le iie s. sont globalement peu nombreuses dans les sanctuaires (cf. supra, 2.2.3.1), à l’exception de quelques sites – tels ceux de Genainville (S.260), Le Mans (S.16, ph), La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), Jouars-Pontchartrain (S.64) ou Allonnes (la Forêterie, S.9). Pour ces derniers, leur quantité, supérieure à cinquante pièces, pourrait notamment s’expliquer par des dons plus tardifs, ayant eu lieu dans le courant du iiie s., à une période de pénurie monétaire, ou encore par la pratique de la iactatio stipis, visant à jeter des monnaies qui ne sont pas destinées à être récupérées, tel que dans l’étang du Mans ou dans l’édicule qui l’avoisine (Chevet et al., 2014). Au contraire, dans la majorité des cas dépourvus de numéraire, il faut probablement envisager que des troncs monétaires, dont peu d’exemples sont encore avérés (cf. supra, 2.2.3.1), servaient de réceptacle aux dons de pièces et qu’ils étaient régulièrement vidés pour assurer l’entretien du sanctuaire, acquérir de coûteuses offrandes ou, dès la seconde moitié du ier s. et tout au long du iie s., financer une partie de la reconstruction et de l’embellissement, sous une forme plus ou moins monumentale, des aires sacrées (cf. infra, 5.3.2.1).

371Dans nombre de sanctuaires, les restes fauniques et céramiques sont également plus rares que durant le ier s. de n. è., comme l’illustre l’exemple de Neuville-sur-Sarthe, bien que certaines exceptions notables soient à signaler. En effet, entre la fin du iie s. et tout au long du iiie s., quelques dizaines de fosses sont ainsi creusées et comblées, à Authevernes (S.253, ph. 4) et à Pussigny (S.244), afin d’enfouir d’importants lots de débris de vaisselle et de déchets alimentaires, ainsi que des quartiers de viande, que l’on peut interpréter comme les reliefs de banquets ou d’offrandes de nourriture (cf. supra, 2.2.1.3). Ces exemples montrent bien que les sacrifices et leur complément indissociable, le banquet sacré, continuent d’être pratiqués dans les aires sacrées tout au long du Haut-Empire. Si les détritus générés à l’occasion de ces cérémonies ont pu avoir été en partie ensevelis, pour ces modestes sites, dans l’enceinte même du sanctuaire, il faut imaginer que dans les lieux de culte les plus fréquentés, notamment dans les grands monuments publics, ces déchets étaient probablement évacués de façon périodique, alors qu’une partie de la viande devait même être écoulée en dehors du site, notamment dans les villes (cf. supra, 2.2.1.3).

372Dans la majorité des lieux de culte du iie s. et du iiie s., s’observe également une baisse remarquable du nombre d’objets personnels déposés en tant qu’offrandes. La mode des fibules connaît malgré tout un déclin certain dès la fin du ier s. et leur diminution au sein des contextes de cette période n’est donc pas spécifique à la sphère religieuse (cf. supra, 2.2.3.2). Les autres types d’objets, notamment les bracelets, les bagues, ou encore les nécessaires de toilette et les miroirs, sont toutefois rarement découverts au sein des sanctuaires et il faut donc accepter le fait que la chute du nombre de fibules, à partir de la période flavienne, s’inscrit dans une quasi-disparition de cette catégorie d’offrandes par transformation. Remarquons toutefois, en guise de contre-exemple, que 12 fibules, un miroir et une pince à épiler proviennent de l’aire sacrée de Vieux (S.281), a priori fréquentée entre la fin du ier s. ou le début du iie s. et le iiie s. (Kerébel dir., 2000). Aux niveaux de la phase antonine du sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.78, ph. 2), datée du courant du iie s., ne sont associées que 2 fibules, mais aussi de possibles bagues, 1 perle et 5 épingles en os (Bertaudière et al., 2019, p. 478).

373Peu d’offrandes anatomiques ont été collectées au sein de contextes postérieurs à la fin du ier s. de n. è., mais la stratigraphie des sites qui en ont livré une importante quantité est rarement maîtrisée. Cependant, à Orléans (S.114), ce type d’artefacts n’apparaît pas dans des niveaux formés après le milieu du iie s., à l’exception des couches de démolition dans lesquelles est mêlé du mobilier de toutes les époques (Canny, 2015, p. 348-351). La déposition de figurines en terre cuite se poursuit dans le courant du iie s. et probablement même au-delà (cf. infra), comme le suggère leur présence au sein ou à proximité de plusieurs temples manifestement fondés à la fin du ier s. ou durant le iie s. La vingtaine de représentations sculptées, à l’image de dévots et peut-être de divinités, entreposés dans la cour du lieu de culte de Genainville (S.260, ph. 3), y a peut-être été progressivement introduite après le chantier de reconstruction monumentale, entamé après le milieu du iie s. (Mitard, 1993, p. 312-322). Quant aux lames de hache polies, il est difficile de dater avec assurance le moment de leur offrande, puisque les sanctuaires où elles ont été accumulées, parfois par dizaines, ont souvent été explorés il y a plus d’un siècle. Seul le dépôt placé dans la cella du temple de la Place des Épars, à Chartres (S.100, ph. 3), est associé à un terminus ante quem relativement précis : les objets, accompagnant des haches miniatures en bronze, ont été brûlés au cours d’un incendie qui a ravagé le site vers le second quart du iiie s. (Joly dir., 2010, p. 131-134 ; Canny et al., 2019).

374D’un point de vue général, si l’on considère les faciès mobiliers de l’ensemble des sanctuaires fréquentés au cours du Haut-Empire, des disparités, qui ne semblent pas uniquement liées à des questions de chronologie des occupations, s’observent sur plusieurs sites. Les offrandes anatomiques ont ainsi été préférentiellement déposées, tout au long du ier s. de n. è. et peut-être au-delà, sur un nombre réduit de sites – à Orléans (S.114) ou à Bû (S.99) et, dans une moindre mesure, à Châteaubleau (S.205) ou à La Londe (S.86). Si leur présence au sein de quelques sites ne peut s’expliquer uniquement par l’hypothèse de divinités douées de compétences guérisseuses – puisque plusieurs objets, représentant des yeux, des oreilles ou des jambes pourraient avoir été offerts pour des raisons étrangères à des questions de santé (cf. supra, 2.2.2.1) –, il faut reconnaître que cette catégorie d’offrandes était a priori réservée à des cultes particuliers, bien que l’identité des personnages divins impliqués soit inconnue dans la plupart des cas. L’introduction progressive de numéraire paraît aussi avoir été plus ou moins régulière, malgré une baisse significative dans le courant du iie s., dans certains lieux de culte, tels ceux du Mans (S.16), de Neuville-sur-Sarthe (S.18) ou de Jouars-Pontchartrain (S.127), alors que les monnaies sont complètement absentes, ou du moins très rares, à l’instar des parures, dans les sanctuaires de Bais (S.183), de Plouër-sur-Rance (S.137), d’Aubigné-Racan (S.11, ph. 2) ou de Pussigny (S.244). Les débris de vaisselle ou les restes fauniques, dont les problèmes de conservation faussent certes toute tentative de quantification pour nombre de sites, abondent au sein de quelques aires sacrées, à Pussigny, à Hecmanville (S.152) ou à Authevernes (S.253) entre autres, tandis que de très rares tessons ont été collectés à Juvigné (S.36). De même, l’amoncellement de dizaines ou de centaines de débris de figurines en terre cuite, représentations surtout attestées dans des sanctuaires de la péninsule armoricaine (cf. supra, 2.2.2.1), se limite également à une poignée de lieux de culte, où les autres types de mobilier se restreignent parfois à de rares artefacts – à Carnac (S.272) ou à Plouër-sur-Rance (S.137), par exemple. La statuaire en ronde-bosse, quasi absente de la plupart des sanctuaires étudiées – malgré, là encore, des problèmes liés à la destruction et à la récupération des blocs –, est au contraire particulièrement abondante à Genainville (S.260).

375La question des membres de la communauté qui fréquentent les sanctuaires et donc du statut des cultes doit certes être prise en considération pour d’expliquer ces faits (cf. infra, chapitres 3 et 5), de même que le degré de conservation des niveaux et du mobilier archéologique et les conditions des études scientifiques qui y ont été menées. Cependant, il est tout à fait probable que l’identité des divinités vénérées – et notamment des domaines d’action dans lesquels elles sont considérées comme compétentes – aient influé sur la nature des offrandes qui leur étaient consacrées, de même que varient les animaux sélectionnés pour les sacrifices qui leur étaient adressés (cf. supra, 2.2.1.1). Malheureusement, les inscriptions évoquant les théonymes ainsi que les statues de culte ont disparu dans la plupart des cas et les sanctuaires dont on peut identifier les dieux et les déesses qui y résidaient – tel Mars Mullo à Allonnes (S.9), Acionna à Orléans (S.114) ou Segeta à Sceaux-du-Gâtinais (S.225), pour ceux dont le mobilier est documenté – sont trop rares pour tenter d’interpréter les motivations qui ont présidé au choix des dons qui ont été déposés.

2.3.2.3. Le mobilier de l’Antiquité tardive : des ensembles peu connus

376L’étude des contextes les plus tardifs, datés de la seconde moitié du iiie s. ou du ive s. de n. è., pose plusieurs problèmes liés à l’interprétation des objets introduits au sein des aires sacrées : à de nombreuses reprises, on ne peut déterminer si ces dernières sont encore en activité, si elles ont été en partie abandonnées mais restent tout de même fréquentées dans le cadre d’activités religieuses, ou bien si les cultes ont pris fin mais que de nouvelles activités se déploient au sein des espaces abandonnés (cf. infra, 6.1.1.2). À ces questions épineuses s’ajoutent les difficultés propres à la datation de nombreux objets – à l’exception des monnaies –, introduits dans des sanctuaires qui n’ont souvent pas connu de réaménagement depuis le courant du Haut-Empire, au sein desquels se mêlent alors du mobilier manipulé et rejeté sur un temps long. Rares sont donc les contextes bien datés : les objets issus de deux mithraea, qui correspondent aux seules fondations de la fin de l’Antiquité, sont toutefois bien documentés, tandis qu’une phase tardive n’a pu être individualisée que pour trois autres sanctuaires (fig. 169). Il faut aussi intégrer à ce dossier les lots monétaires émis après le milieu du iiie s. (2.2.3.1), ainsi que quelques objets de parure (2.2.3.2) et des tessons de céramique attribués à cette époque tardive.

Figure 169 : Faciès mobilier des sanctuaires réaménagés au cours de l’Antiquité tardive et des deux mithraea de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire) et de la Féérie à Septeuil (Yvelines).

Figure 169 : Faciès mobilier des sanctuaires réaménagés au cours de l’Antiquité tardive et des deux mithraea de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire) et de la Féérie à Septeuil (Yvelines).

Réal. S. Bossard.

377Le matériel recueilli au cours de la fouille des mithraea d’Angers (S.2 ; Brodeur dir., 2014 ; Molin et al., 2015 ; Mortreau, 2019, p. 551-554) et de Septeuil (S.122 ; Gaidon-Bunuel, 2000 ; Gaidon-Bunuel et al., 2006 ; Gaidon-Bunuel et Caillat, 2008) est particulièrement abondant : les importantes quantités de restes fauniques et de vaisselle fragmentée témoignent de sacrifices et de repas qui avaient lieu au sein du spelaeum, au cours desquels de la viande de coq, entre autres, était consommée (cf. supra, 2.2.1), mais aussi du probable don d’aliments (brûlés ou non ?), placés au sein de vases dédicacés. La présence de centaines de monnaies ne peut être fortuite et indique que la stips était couramment pratiquée au sein de ces espaces, bien que les circonstances de ce rite nous échappent complètement. Les objets de parure y sont bien plus rares et se réduisent à deux fibules pour chaque site ; elles y ont peut-être été déposées en tant qu’offrandes, à l’instar de quelques militaria identifiés à Angers. Ces derniers témoigneraient alors de la présence de soldats ou de fonctionnaires romains, à moins de les considérer comme des accessoires manipulés dans le cadre de la liturgie mithriaque, par des initiés atteignant ou ayant acquis le grade de miles (Mortreau, 2019, p. 553-554).

378La restitution des pratiques rituelles réalisées au sein des autres lieux de culte est moins évidente, en raison des problèmes évoqués. Néanmoins, il ne fait pas de doute que l’offrande monétaire est un acte courant au sein de certains sanctuaires, et ce jusqu’à la seconde moitié du ive s. de n. è. La concentration de dizaines ou de centaines de monnaies au sein ou aux abords d’édicules ou de temples encore en élévation, tels ceux de Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6), Macé (S.196, ph. 5) Saclas (S.221) ou Bennecourt (S.254, ph. 7), le trahit par exemple (cf. supra, 2.2.3.1). Les centaines, voire milliers de monnaies collectées lors de la fouille d’autres sanctuaires, à Orléans (S.114, ph. 3-4), Meaux (S.158, ph. 3), La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 3), Genainville (S.260) ou Oissel (S.266), renvoie certainement à des pratiques similaires, bien que les contextes de découverte soient ici moins bien documentés, ou que les pièces semblent avoir été éparpillées au sein de l’aire sacrée. La présence de numéraire tardif, plus ou moins abondant en fonction des cas, paraît être systématique au sein des lieux de culte encore en activité après le milieu du iiie s. Alors que la stips n’a laissé que peu de traces entre la fin du ier s. et les années 250-270, ce geste redevient aisément perceptible à partir du troisième ou du dernier quart du iiie s. Les raisons de l’invariable présence de monnaies tardives, déjà évoquées supra, peuvent être multiples : on ignore si leur grand nombre est révélateur d’une évolution des pratiques religieuses ou plutôt du délaissement des aires sacrées et de l’arrêt des collectes des dons (Aubin et al., 2014, p. 225 ; Doyen, 2014, p. 144 ; Hostein et al., 2014, p. 201).

379Quoi qu’il en soit, rares sont les autres types de dépôts mis en évidence pour les phases tardives des sanctuaires. À Macé (S.196), par exemple, le réaménagement de l’aire sacrée, daté du troisième quart du iiie s., conduit à la disparition d’une partie des constructions, alors que le culte semble se maintenir autour de plusieurs édicules, où se concentrent des monnaies. Il est en revanche plus difficile de déterminer si les autres types de mobilier retrouvés au côté des monnaies – figurines en terre blanche, objets de parure ou encore squelette d’un chien – ont également été introduits durant l’Antiquité tardive, ou bien s’il s’agit d’offrandes résiduelles plus anciennes (Leclerc, 2007b et in Aubin et al., 2014, p. 243-244). À Vannes (S.278, ph. 5), un assortiment de probables offrandes a manifestement été répandu sur le sol de la cella du temple au moment de son abandon, au plus tôt survenu à la fin du iiie s. Les objets, comprenant 6 monnaies, de la céramique, une bague en alliage cuivreux, un anneau d’argent, une perle, un jeton et un pion de jeu en verre et deux bougeoirs fragmentaires en terre cuite, étaient probablement présents dans le temple peu de temps avant sa démolition, mais il s’agit surtout de petits éléments qui peuvent être résiduels, du moins pour une partie d’entre eux (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 28-31). La découverte de figurines en terre cuite au sein d’une cella abandonnée tardivement n’est toutefois pas spécifique à ce site : le temple de Carnac (S.272) a également livré un important lot de débris du même type et des monnaies, bien que la stratigraphie de ce site soit inconnue et qu’on ne puisse être certain, une nouvelle fois, que l’on ait encore déposé des figurines en tant qu’offrandes durant l’Antiquité tardive (Miln, 1877, p. 143-150 ; Mauger, 2018b, p. 345-346). Quant aux quelques parures caractéristiques de la fin de l’Antiquité, il est généralement impossible d’affirmer qu’elles ont été introduites dans les aires sacrées comme présents aux dieux, faute de contextes de découverte convenablement renseignés. Rappelons toutefois l’exemple des deux épingles à tête anthropomorphe en os mises au jour dans la cella C2 de Bennecourt, alors partiellement démontée, avec une vingtaine de monnaies, dont les plus tardives ont été produites vers le milieu du ive s., alors qu’une vingtaine d’autres épingles ont également été découvertes sur le site (Bourgeois dir., 1999, p. 62 et p. 121-124).

380Si la stips reste pratiquée dans les derniers sanctuaires, notamment dans des bâtiments de culte, à leurs abords ou dans des bassins, les motifs du dépôt ou du jet d’une monnaie, à cette époque, demeurent inconnus ; certains dépôts sont manifestement localisés dans des espaces en cours de démolition (cf. infra, 6.1.1.2) et il n’est pas certain qu’on laisse une monnaie dans un lieu de culte du ive s. comme on l’adressait à une divinité au début du Haut-Empire. En dehors du numéraire, très rares sont les autres objets que l’on offre intentionnellement au sein des ultimes édifices de culte ou des cours qui les environnent ; les dépôts sont abondants au sein des mithraea, alors que l’on peine à les identifier dans les autres sanctuaires. L’abandon progressif de ces derniers, ou du moins leur transformation, paraît donc bien s’être accompagné d’une reformulation des pratiques, qui restent encore peu connues.

381Peut-on distinguer différents types d’assemblages de mobilier en fonction du contexte d’implantation du sanctuaire et de la communauté auquel s’adressait le culte qui y était rendu ? La prise en compte de l’environnement proche des espaces cultuels, qu’il faut confronter à l’étude de leur cadre architectural, est nécessaire pour envisager la question de leur statut et celle de leur fréquentation.

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Notes

30 Le sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme) en est sans doute l’exemple le plus éloquent (Demierre et al., 2019, p. 339). Plusieurs dizaines de rouelles ont aussi été enfouies près de l’interruption du fossé délimitant le sanctuaire de Moyencourt (Somme), au plus tôt durant le ier s. de n. è. (Morel et Dubuis, 2018).

31 Le terme latin « favissae » a été utilisé, entre autres, par l’auteur Aulu-Gelle pour désigner des sortes de caves aménagées au Capitole de Rome, où étaient conservées de vieilles statues et d’anciens dons consacrés, probablement non recyclables ; employé à de nombreuses reprises dans la littérature archéologique, il nous paraît cependant peu prudent de l’appliquer aux fosses des lieux de culte des Gaules romaines, dont aucune description textuelle ne nous est parvenue (Rey-Vodoz, 1991, p. 217).

32 Au sujet des quelques restes humains découverts dans les sanctuaires du centre et de l’ouest de la Lyonnaise, cf. Bossard, 2021, vol. I, p. 385-387.

33 Les proportions sont ici exprimées en fonction du nombre total de restes déterminés ou, à défaut, par rapport aux restes des animaux de la triade domestique.

34 Il s’agit toutefois d’un cas exceptionnel, à plus d’un titre (cf. infra, 6.1.2), d’autant plus que les tessons de céramique ont été en partie accumulés dans un dépotoir, presque intégralement fouillé, qui a été formé aux abords du spelaeum (étude R. Delage et M. Mortreau, in Brodeur dir., 2014, vol. 1, p. 330-331 et vol. 2, p. 139-157, p. 229-277 et p. 284-288).

35 S’y ajoute la vaisselle en argent du trésor de Notre-Dame-d’Allençon à Chavagnes (Maine-et-Loire), dont le contexte n’est toutefois pas documenté (cf. supra, 2.1.2.2).

36 A. Ledauphin note ainsi, pour les représentations provenant des cités des Aulerques Cénomans et Diablintes, que près d’une figurine sur deux est issue d’un sanctuaire (Ledauphin, 2015b, p. 220). Un recensement effectué en 1993 en Île-de-France a révélé que 60 % de l’ensemble des objets de ce type ont été découverts au sein du seul sanctuaire de la Tannerie à Châteaubleau (S.205

 ; M. Wilcocz, in Bémont et al. dir., 1993, p. 148), tandis que les lieux de culte de Normandie et de Picardie ont livré moins de 26 % des figurines dont le contexte est connu (P. Blaskiewicz, F. Carré, B. Giesbert, F. Pesnelle et F. Warin, in Bémont et al. dir., 1993, p. 150).

37 Elles sont d’ailleurs peu honorées, du moins pour Vénus, à l’échelle de la province de Lyonnaise (Bossard, à paraître).

38 Des monnaies découvertes plus récemment dans le bassin captant la résurgence y ont été déposées, a minima, entre la fin du ier s. av. n. è. ou le début du ier s. de n. è. et la fin du iie s. de n. è. (cf. infra, 2.2.3.1).

39 Ils sont associés à 8 monnaies, émises entre les règnes d’Auguste et d’Hadrien, ainsi qu’à une fibule zoomorphe en forme de poisson (Drost et al., 2011).

40 Celles-ci ont été récemment mises en exergue par S. Estienne et O. de Cazanove (2009, p. 22-34), R. Golosetti (2019a, p. 122-123) et W. Van Andringa (2017a, p. 135-136).

41 Les bornes de ces dix périodes ont été déterminées en fonction des règnes des empereurs et de la réforme monétaire entreprise à l’initiative de Constance II en 348, en adaptant le découpage proposé par R. Reece (1987, p. 71-97) pour le Haut-Empire et celui établi par G. Aubin et al. (2014, p. 227-228) pour l’Antiquité tardive. Des intervalles suffisamment larges ont été choisis afin de pouvoir classer la plupart des monnaies en tenant compte de leur attribution parfois imprécise, à quelques exceptions près qui n’ont pu être comptabilisées que par siècle ou par grande période. Nous tenons ici à remercier G. Aubin pour ses conseils avisés.

42 Selon G. Aubin (in Menez dir., 2021, p. 261-262), la monnaie a pu avoir été réservée, sur la péninsule armoricaine et jusqu’à la conquête romaine, aux paiements importants, et donc avoir été peu utilisée pour les petits échanges du quotidien.

43 Information aimablement communiquée par M. Troubady, numismate en charge de l’étude (Umr 5060 Iramat-Ceb) ; voir aussi Laruaz (dir.), 2008 ; vol. 1, p. 102-103 et vol. 2, p. 38-42.

44 Il s’agit notamment de « petits billons armoricains », nombreux dans les contextes de la seconde moitié du ier s. av. n. è. en Bretagne, en Pays de la Loire et en Normandie occidentale, où ils côtoient souvent des séries de statères de bas-argent (Gruel et Taccoen, 1992 ; Gruel et al., 2011 ; G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 29-30).

45 Cf. aussi Colbert de Beaulieu, 1973, p. 238, au sujet de la circulation généralisée des monnayages, à partir des années de la conquête césarienne, au-delà des cités où ils ont été émis.

46 Une telle abondance de numéraire a aussi été observée pour d’autres mithraea des provinces nord-occidentales de l’Empire, notamment à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or), Mackwiller (Bas-Rhin), Sarrebourg (Moselle) et Trèves (Allemagne, Rhénanie-Palatinat), qui ont livré plusieurs centaines de monnaies, ou à Martigny (Suisse, canton du Valais), où environ 2 000 pièces ont été recueillies (Sauer, 1996, p. 22).

47 Elles sont tout de même relativement nombreuses par rapport aux autres sanctuaires étudiés ; ici comme ailleurs, elles ont pu avoir été récupérées dans le cadre d’une ou de plusieurs collectes.

48 Le jet de monnaies dans ces bassins ne perdure a priori pas au-delà de la fin du ive s., les quelques monnaies postérieures étant particulièrement rares et pouvant avoir été perdues plutôt que volontairement déposées. Au sujet de la disparition de cette pratique à la fin de l’Antiquité et de l’absence de témoignage durant le haut Moyen Âge, à l’échelle du monde romain et plus spécifiquement dans les sources, cf. aussi Sauer, 2011.

49 Le bloc associé aux offrandes d’or et d’argent en question pourrait toutefois correspondre à la borne de Terminus, sur laquelle a été édifié le temple capitolin, et non à une simple pierre de fondation (Scheid, 2017, p. 241).

50 Leur inventaire n’a pas été dressé, mais on sait que 97 % des monnaies collectées sur le site ont été produites après le milieu du iiie s. et, en particulier, dans le courant du ive s. ; 330 monnaies supplémentaires, entre autres, auraient été découvertes « sur toute la périphérie » de ce dépôt (Dunet, 1998, p. 68-69 et p. 77, fig. 1).

51 Parmi le « grand nombre de monnaies en bas argent ou en bronze » qui le composent, 17 pièces ont pu être identifiées ; elles ont été émises entre les règnes de Gallien et de Victorin, soit entre 253 et 271 de n. è. (anonyme, 1914 ; Aubin, 1973, p. 148-149).

52 D’autres usages, déjà évoqués supra et liés à diverses activités placées sous le contrôle des dieux, ont cependant été proposés par K. Gruel (2012 et in Poux et Demierre dir., 2015, p. 318) : changement de monnaies étrangères, attestation du droit de participer à des cérémonies, achat d’objets que l’on souhaite déposer au sein du sanctuaire ou que l’on a acquis auprès du personnel religieux pour l’emporter avec soi, thésaurisation, paiement de taxes à la communauté, scellement de contrats, etc.

53 Le nombre minimum d’individus ne peut malheureusement pas servir de base aux comparaisons puisqu’il n’a été que rarement calculé pour ces catégories de mobilier ; à défaut, c’est donc le nombre de restes qui a été retenu, bien qu’il soit moins représentatif.

54 Le numéraire a été scindé en deux ensembles : d’une part, les monnaies gauloises, de la République et du Haut-Empire romain ; d’autre part, celles de l’Antiquité tardive, ce qui permet d’individualiser les dépôts les plus récents. Les catégories de mobilier non quantifiées (notamment la vaisselle métallique, les objets de toilette ou de médecine, les éléments de char ou de harnachement, les outils, les tablettes de défixion ou encore la statuaire et les figurines métalliques) sont simplement évoquées.

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Table des illustrations

Titre Figure 81 : Localisation d’une partie du mobilier du site du musée archéologique de Vieux (Calvados), au sein du sanctuaire et à ses abords.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Kerébel (dir.), 2000, vol. 2, p. 104-105, fig. 123-124.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-1.jpg
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Titre Figure 82 : Objets enfouis dans de petites fosses creusées auprès des temples du sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure), au cours du dernier tiers du ier s. de n. è.
Crédits D’après Bertaudière et al., 2019, p. 479, fig. 6.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-2.jpg
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Titre Figure 83 : Répartition spatiale des rouelles en alliage cuivreux et des monnaies du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Piette, 2018, p. 173, fig. 1.
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Titre Figure 84 : Répartition spatiale des pièces d’armement laténien découvertes à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) et des quatre dépôts distingués par G. Bataille.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bataille, 2008, p. 48 et Piette, 2018, p. 173, fig. 1.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-4.jpg
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Titre Figure 85 : Répartition des sanctuaires en fonction du degré d’étude et de conservation de leurs niveaux archéologiques et du mobilier qui en est issu.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-5.jpg
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Titre Figure 86 : Répartition et nombre de restes fauniques découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-6.jpg
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Titre Figure 87 : Répartition des restes malacofauniques découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-7.jpg
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Titre Figure 88 : Part des principales espèces domestiques au sein du spectre faunique d’une sélection de sanctuaires.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-8.jpg
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Titre Figure 89 : Répartition et nombre de tessons de céramique découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-9.jpg
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Titre Figure 90 : Vaisselle culinaire et de table provenant de la fosse 1254 du site des Mureaux à Authevernes (Eure).
Crédits D’après Michel et al., 2014, p. 204-206, fig. 20, 21, 24 et 25.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-10.jpg
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Titre Figure 91 : Calice à engobe rouge (a), vase tonnelet à décor de singe musicien (b) et vase à verser zoomorphe en forme de cerf (c) provenant du mithraeum de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).
Crédits Clichés et dessins H. Paitier et M. Mortreau (Inrap) ; d’après Brodeur (dir.), 2014, vol. 2, p. 254, fig. 8, p. 275, fig. 19 et p. 284, fig. 25.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-11.jpg
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Titre Figure 92 : Ustensiles en fer provenant du sanctuaire des Mureaux à Authevernes (Eure) : couteau (a), gril (b) et louche (c).
Crédits D’après Michel et al., 2014, p. 232, fig. 57.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-12.jpg
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Titre Figure 93 : Vaisselle et statuettes en argent découvertes en 1830 à Berthouville (Eure), appartenant au trésor d’un sanctuaire dont l’exploration archéologique a débuté en 1861.
Crédits Cliché BnF, in Avisseau-Broustet et Colonna (dir.), 2017, p. 42-43.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-13.jpg
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Titre Figure 94 : Dédicaces à Mithra, dieu invaincu, sur un gobelet sphérique de type Déchelette 72 et sur un plat caréné de type Lezoux 043 en céramique sigillée, provenant du mithraeum de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).
Crédits In Molin et al., 2015, p. 422, fig. 5 et p. 425, fig. 9.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-14.jpg
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Titre Figure 95 : Dépôts de vases découverts dans la moitié orientale de la cour du sanctuaire de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Verneau, 2014, p. 100-101, fig. 84 et 86-87.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-15.jpg
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Titre Figure 96 : Pots enfouis en bordure du probable étang du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe) et contenant, pour certains d’entre eux, des quartiers de viande animale (b : restes de poulets ; c : restes de porc).
Crédits D’après Chevet et al., 2014, p. 130, fig. 8, p. 132, fig. 11 et p. 154-155, fig. 25-27.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-16.jpg
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Titre Figure 97 : Quartiers de viande de brebis ensevelis dans une fosse du sanctuaire du Four à Chaux à Hérouvillette (Calvados).
Crédits Cliché conseil départemental du Calvados ; in Veron (dir.), 2018, vol. 2, p. 295, fig. 120.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-17.jpg
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Titre Figure 98 : Relevé en plan et en coupe et cliché de la fosse 1120 du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), qui a livré trois pots de cuisson quasi entiers de La Tène finale.
Crédits Réal. et cliché S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-18.jpg
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Titre Figure 99 : Plan de l’enclos du Bois de Roselle à Balloy (Seine-et-Marne) et vue des débris d’amphores volontairement brisées et rejetées dans ses fossés, près de son entrée, vers le premier quart du ier s. av. n. è.
Crédits D’après Poyeton et Séguier, 1999, p. 58-59, fig. 2-3.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-19.jpg
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Titre Figure 100 : Vue de la fosse F707 en cours de fouille du sanctuaire de la villa du Bourg Saint-Pair à Bais (Ille-et-Vilaine) et dessins des vases complets ou quasi complets qui y ont été déposés.
Crédits Cliché E. Gaumé et dessin F. Labaune-Jean et S. Jean (Inrap) ; in Pouille (dir.), 2011, p. 157, fig. 77 et p. 256-257, fig. 6.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-20.jpg
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Titre Figure 101 : Personnage assis en tailleur en alliage cuivreux (a), provenant de la Bauve à Meaux (Seine-et-Marne) et oiseau (?) en craie (b), découvert dans le remplissage des fossés de l’enclos de La Tène finale de Bennecourt (Yvelines).
Crédits Cliché musée Bossuet, d’après Delattre et Pecqueur, 2017, p. 12, fig. 11 ; in Bourgeois (dir.), 1999, p. 133, no 884.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-21.jpg
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Titre Figure 102 : Statuettes du trésor de Berthouville représentant Mercure (argent) et du sanctuaire central du Vieil-Évreux, à l’image d’Apollon et de Jupiter (alliage cuivreux).
Crédits Cliché BnF, d’après Avisseau-Broustet et Colonna (dir.), 2017, p. 249 et p. 255 ; cliché D. Bagault (C2RMF), Azéma et al., 2012, p. 154, fig. 1.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-22.jpg
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Titre Figure 103 : Ensembles sculptés fragmentaires en calcaire, inhumés vers le milieu du iie s. dans un bassin (C) du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise) : déesse trônant, avec enfant et probable nymphe (a) ; probable nymphe allongée et enfant (b).
Crédits Cliché Studio H. Madvo, in Landes et Triboulot (dir.), 2022, p. 194, fig. 162 ; Mitard, 1993, p. 189, no 167.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-23.jpg
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Crédits D’après Bet et Delage (dir.), 2008, vol. 1, p. 238, fig. 311.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-24.jpg
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Titre Figure 105 : Blocs sculptés provenant du mithraeum de la Féérie à Septeuil (Yvelines) : Mithra pétrogène (a) ; pieds d’un personnage léontocéphale autour desquels s’enroule un serpent (b : personnification du temps ?).
Crédits Dessin N. Zarka, in Sainrat, 1987, p. 36, fig. 5 et 6.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-25.jpg
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Titre Figure 106 : Répartition et nombre de figurines en terre cuite découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-26.jpg
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Titre Figure 107 : Figurines en terre cuite découvertes au sein des sanctuaires de la Forêterie à Allonnes (Sarthe) et de la Tonnelle à Jublains (Mayenne).
Crédits D’après Naveau, 1998, p. 88, no 279 ; Gruel et Brouquier-Reddé (dir.), 2003, p. 143 et Ledauphin, 2015b, p. 360, fig. 2.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-27.jpg
Fichier image/jpeg, 451k
Titre Figure 108 : Répartition des statuettes ou figurines métalliques découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Fichier image/jpeg, 695k
Titre Figure 109 : Figurines (a et b) et appliques en alliage cuivreux (c à i) à l’image de chevaux (dont l’un était monté par Épona ? : a), provenant du comblement d’un puits du sanctuaire de l’Aumône/la Justice à Châteaubleau (Seine-et-Marne) ; le socle de la figurine b est composé d’une tôle métallique enveloppant une âme en bois de chêne.
Crédits D’après Bontrond, 1998, p. 102, fig. 2 et p. 104, fig. 5.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-29.jpg
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Titre Figure 110 : Figurines en alliage cuivreux à l’effigie de divinités, de personnages divers et d’un animal, provenant des sanctuaires de la Fermerie à Juvigné (Mayenne) et des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).
Crédits Dessin S. Bossard et in Bataille, 2008, p. 120, fig. 75.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-30.jpg
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Titre Figure 111 : Répartition, nombre et matériaux des offrandes anatomiques découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Fichier image/jpeg, 721k
Titre Figure 112 : Sculptures anthropomorphes en bois, représentant des têtes, des bustes ou des membres, découvertes dans les bassins du monument de Craon à Montbouy (Loiret) ; les images accompagnées d’un astérisque correspondent au même objet.
Crédits D’après Dupuis, 1861, p. 336 (a) ; Espérandieu, 1911, p.  116, no 2970 (b) et le musée historique et archéologique de l’Orléanais, in Vurpillot, 2016, vol. 1, p. 312, fig. 68.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-32.jpg
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Titre Figure 113 : Sculptures anthropomorphes en calcaire, probablement à l’image de dévots, découvertes dans la cour sacrée du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise).
Crédits D’après Mitard, 1993, p. 315-319.
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Titre Figure 114 : Bustes en alliage cuivreux découverts à Beaumont-le-Roger (Eure ; a) et à Genainville (Val-d’Oise ; b).
Crédits Cliché H. Lewandowski, https://www.pop.culture.gouv.fr/​notice/​joconde/​50010000513 et d’après un cliché d’A. Späni, in Barrière et al., 2019, p. 135.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-34.jpg
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Titre Figure 115 : Répartition des offrandes anatomiques en fonction de leur type et de leur matériau.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 116 : Sélection d’offrandes anatomiques à l’image d’yeux, en argent (Pannes) ou en alliage cuivreux (pour les autres).
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 117 : Sélection d’offrandes anatomiques en forme de visage (a), d’oreille (b), de probables organes internes (c) et de seins (d), en alliage cuivreux.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 118 : Répartition des objets considérés comme miniatures découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 119 : Sélection d’objets métalliques (en alliage cuivreux, sauf indication contraire) considérés comme miniatures : couteaux (a), haches ou lames de haches (b) et lance (c).
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 120 : Répartition, nombre et composition métallique des rouelles découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 121 : Sélection de rouelles en or, argent, alliage cuivreux (a) et plomb (b) provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).
Crédits In Piette, 2018, p. 177-178, fig. 4-5.
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Titre Figure 122 : Répartition et nombre de jetons ou de pions circulaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 123 : Sélection de jetons ou pions en différents matériaux, provenant de trois lieux de culte.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 124 : Tablettes de défixion en plomb découvertes dans deux sanctuaires cénomans.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 125 : Répartition et nombre de monnaies gauloises et romaines découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 126 : Répartition des sanctuaires en fonction du nombre de monnaies qu’ils ont livrées, par classe.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 127 : Répartition des monnaies en fonction de leur chronologie.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 128 : Répartition, nombre et composition métallique des monnaies gauloises découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 129 : Répartition des monnaies de plusieurs sanctuaires fréquentés dès le second âge du Fer ou le début du Haut-Empire, en fonction de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 130 : Répartition spatiale des monnaies découvertes lors de la fouille du sanctuaire de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines), en fonction de leur date d’émission.
Crédits In Blin, 2000, p. 108-111, fig. 11.
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Titre Figure 131 : Répartition des monnaies de plusieurs sanctuaires fréquentés au cours de l’Antiquité tardive, en fonction de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 132 : Répartition des monnaies du lieu de culte de la Ferme d’Ithe et des autres quartiers fouillés au sein de l’agglomération secondaire de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines), en fonction de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Blin et al., 2001, p. 86.
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Titre Figure 133 : Répartition spatiale, période d’émission et traitement des monnaies découvertes au sein du sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Menez et al., 2021, p. 225, fig. 168.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-53.jpg
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Titre Figure 134 : Répartition spatiale des monnaies découvertes lors de la fouille du sanctuaire de la Pièce du Fient à Richebourg (Yvelines), provenant exclusivement du temple A.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Barat, 1999, p. 146, fig. 22.
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Titre Figure 135 : Répartition des monnaies mises au jour au sein d’un édicule (A) du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe) en fonction de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après P.-A. Besombes, in Chevet (dir.), 2015, vol. 1, p. 351, tabl. 12.
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Titre Figure 136 : Monnaies de bronze découvertes auprès d’une base de colonne, probablement enfoncées dans le sol d’un édicule (A) de la villa de la Grange du Mont à Mareuil-lès-Meaux (Seine-et-Marne), et répartition des monnaies provenant de ce bâtiment en fonction de leur date d’émission.
Crédits D’après Bet et Delage (dir.), 2008, vol. 1, p. 242, fig. 323, p. 243, fig. 324 et B. Foucray, in vol. 3, p. 1113-1135.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-56.jpg
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Titre Figure 137 : Répartition spatiale des monnaies mises au jour dans le temple du Villier à Chênehutte-les-Tuffeaux (Maine-et-Loire).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Boisbouvier et Bouvet, 1984, p. 22 et M. Monteil, in Aubin et al., 2014, p. 226, fig. 178.
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Titre Figure 138 : Répartition spatiale des monnaies et de l’instrumentum au sein du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne), tous états confondus.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Leclerc, 2005, p. 24, fig. 7 et p. 30, fig. 8 ; 2006, p. 15-16, fig. 7-8 ; 2007a, p. 16-17, fig. 8-9.
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Titre Figure 139 : Vraisemblable fragment de tronc monétaire inscrit en calcaire, mis au jour dans le portique accolé à l’est du péribole du sanctuaire suburbain de la Tonnelle à Jublains (Mayenne).
Crédits Cliché J.-M. Fournier (Prisma-Laval), in Besombes, 2015, p. 207, fig. 78.
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Titre Figure 140 : Répartition spatiale des monnaies et des autres types de mobilier mis au jour lors de la fouille du sanctuaire de la rue Duguesclin à Évreux (Eure).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Doyen (dir.), 2002, pl. XIX.
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Titre Figure 141 : Répartition des monnaies mises au jour au sein du bassin circulaire du monument de Craon à Montbouy (Loiret), captant une source, en fonction de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après M. Baillot, in Kisch, 1997.
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Titre Figure 142 : Répartition des monnaies issues de l’étang du sanctuaire des Jacobins au Mans (Sarthe), en fonction de leur contexte de découverte et de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après P.-A. Besombes, in Chevet (dir.), 2015, vol. 2, p. 58, tabl. 20.
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Titre Figure 143 : Répartition des monnaies mises au jour au sein de deux bassins du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), en fonction de leur date d’émission.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Mitard, 1996, p. 170, tabl. I.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-63.jpg
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Titre Figure 144 : Répartition et nombre de monnaies mutilées découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Tableau VI : Caractéristiques des monnaies mutilées des sanctuaires étudiés.
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Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 145 : Monnaies gauloises ou romaines mutilées à coups de burin (a, b, c, e, g et h), limée (f) ou marquée au moyen de la « contremarque de Juvigné » (d).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après des cliclés de J.-M. Fournier (Prisma-Laval) et de J. Meissonnier ; Troubady, 2019, p. 412, fig. 2.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-66.jpg
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Titre Figure 146 : Répartition et nombre de parures et d’accessoires vestimentaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-67.jpg
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Titre Figure 147 : Répartition des différents types d’objets de parure et d’accessoires vestimentaires découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-68.jpg
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Titre Figure 148 : Objets de parure et éléments vestimentaires issus de la fouille du sanctuaire gaulois puis antique de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) : fragment de probable torque en alliage cuivreux de La Tène ancienne (a) ; grosses perles en verre de facture laténienne (b) ; petites perles annulaires (fin du ier s. av. n. è. ? ; c) ; fibules en alliage cuivreux de l’époque romaine (d) ; épingles en os du ive s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 96-123, fig. 72-91.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-69.jpg
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Titre Figure 149 : Fibule en alliage cuivreux ornée de la tête d’un oiseau aquatique et décorée selon la technique du « pseudo-filigrane », attribuée au iiie s. av. n. è. et découverte au sein du sanctuaire gaulois puis antique de la Fermerie à Juvigné (Mayenne).
Crédits Cliché J.-M. Fournier (Prisma-Laval) et dessin S. Bossard.
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Titre Figure 150 : Répartition et nombre de pièces d’équipement militaire laténien découvertes au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Tableau VII : Décompte des principaux types de pièces d’armement découvertes au sein des sanctuaires gaulois.
Légende Fichier source : https://api.nakala.fr/​data/​10.34847/​nkl.01394609/​654207fa8206581b5472249553daeec6b490e0b6
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 151 : Sélection d’éléments métalliques de fourniment laténien provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube).
Crédits D’après Bataille, 2008, p. 50-68, fig. 25-41.
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Titre Figure 152 : Fragments de casques en alliage cuivreux et en fer de La Tène ancienne découverts dans les années 1870-1880 sur le site de Tronoën à Saint-Jean-Trolimon (Finistère).
Crédits D’après Schaaf, 1974, p. 176-177, fig. 26-27.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-74.jpg
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Titre Figure 153 : Répartition des principaux types de militaria d’époque romaine découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 154 : Militaria d’époque romaine en fer (sauf mention contraire) provenant de trois sanctuaires : lame de poignard (a) ; talon d’arme d’hast ? (b) ; pointe de flèche (c) ; garde d’épée ou de poignard en os (d) ; pointe de projectile (e) ; écaille de cuirasse (?) en alliage cuivreux (f) ; lame de hache d’armes d’origine germanique (g) ; fragment de cotte de mailles (h).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Mortreau, 2019, p. 546-552, fig. 2-5.
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Titre Figure 155 : Répartition des principaux types d’objets de toilette ou de médecine découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 157 : Répartition des clochettes ou grelots métalliques et des instruments de musique découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 158 : Flûte fragmentaire en alliage cuivreux et os (a), clochette en alliage cuivreux (b) et boîte à sceller (c) provenant du sanctuaire de Vieille Cour à Mauves-sur-Loire (Loire-Atlantique).
Crédits D’après Archer, 2019, p. 526, fig. 3.
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Titre Figure 159 : Répartition des lames de haches polies, des autres outils préhistoriques et des oursins fossiles découverts au sein des sanctuaires étudiés.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 160 : Lames de hache en pierre, fossiles d’oursins et autres éléments lithiques découverts au sein des lieux de culte du Grand Essart à Grand-Couronne et de la Mare du Puits à Oissel (Seine-Maritime).
Crédits In Vesly, 1909, pl. VI.
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Titre Figure 161 : Seuils arbitrairement retenus pour l’évaluation de la quantité des différents types de mobilier des sanctuaires étudies et légende des figures 187 à 194.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 162 : Faciès mobilier des sanctuaires laténiens.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 163 : Faciès mobilier des phases datées de la période augustéenne.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 164 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits au cours de la période augustéenne.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 165 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits au cours de la période augustéenne (suite).
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 166 : Faciès mobilier des phases datées entre le second quart du ier s. et le début du iie s. de n. è. et des sanctuaires vraisemblablement fondés au cours de cette période, mais dont la chronologie est imprécise.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 167 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits entre le second quart du ier s. et le début du iie s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-89.jpg
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Titre Figure 168 : Faciès mobilier des sanctuaires vraisemblablement fondés ou reconstruits dans le courant du iie s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 169 : Faciès mobilier des sanctuaires réaménagés au cours de l’Antiquité tardive et des deux mithraea de la clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire) et de la Féérie à Septeuil (Yvelines).
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10471/img-91.jpg
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« Chapitre 2 – Du mobilier aux cultes : objets et pratiques rituelles »Revue archéologique de l'Ouest, Supplément 14 | -1, 147-288.

Référence électronique

« Chapitre 2 – Du mobilier aux cultes : objets et pratiques rituelles »Revue archéologique de l'Ouest [En ligne], Supplément 14 | 2024, mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rao/10471 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ppi

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