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Partie II – De la naissance à la fin des dieux : l’évolution du paysage religieux entre âge du Fer et Antiquité tardive

Chapitre 4 – De l’âge du Fer à l’époque romaine : aux origines des sanctuaires

p. 425-459

Texte intégral

« La question […] n’est pas de décider une fois pour toutes s’il y a eu “rupture” ou “continuité” généralisée dans les lieux, les pratiques et l’architecture cultuelles, mais bien d’essayer de cerner les places respectives de l’une et de l’autre dans l’histoire de chaque sanctuaire, de chaque culte, et d’en comprendre les implications pour l’histoire de la société. »
Polignac, 1996, p. 46.

  • 77 En revanche, les données sont insuffisantes pour qualifier avec toute la précision requise la natur (...)

1Les composantes du paysage religieux des cités d’époque romaine du centre et de l’ouest de la Gaule Lyonnaise, de même que l’armature urbaine de ces dernières, n’ont pas été déployées sur un terrain vierge : les lieux de culte ont été fondés sur les territoires de peuples gaulois (fig. 267) déjà dotés, depuis plusieurs décennies voire plusieurs siècles, d’espaces partagés entre les dieux et les hommes. L’analyse des niveaux sous-jacents aux sanctuaires du Haut-Empire révèle d’ailleurs qu’au moins une dizaine d’entre eux a été aménagée à l’emplacement ou en bordure d’un ancien lieu de rituels laténien. Pour autant, la prudence s’impose : un examen critique des antécédents des espaces cultuels de la période romaine démontre que ces derniers, lorsqu’ils succèdent à une occupation protohistorique – ce qui est le cas, au total, pour au moins 51 sites, soit 18 % du corpus (fig. 268) –, ne recouvrent pas toujours les vestiges d’un sanctuaire plus ancien : d’autres lieux de culte ont été indubitablement construits, par exemple, à l’emplacement d’une agglomération gauloise désertée ou d’une nécropole protohistorique77. Ainsi, dès les décennies qui ont suivi la conquête césarienne, ce sont sans doute différents facteurs qui ont contribué à l’émergence ou au réaménagement de ces espaces cultuels qui n’ont pas été fondés ex nihilo, marquant ainsi la volonté des nouvelles communautés intégrées à l’Empire romain de créer, d’une manière ou d’une autre, un lien avec le passé.

Figure 267 : Peuples gaulois cités par César et principales agglomérations de la fin de l’âge du Fer identifiées dans l’emprise du territoire étudié.

Figure 267 : Peuples gaulois cités par César et principales agglomérations de la fin de l’âge du Fer identifiées dans l’emprise du territoire étudié.

Réal. S. Bossard, d’après Fichtl, 2016b.

Figure 268 : Antécédents de l’âge du Fer des sanctuaires du centre et de l’ouest de la Gaule Lyonnaise.

Figure 268 : Antécédents de l’âge du Fer des sanctuaires du centre et de l’ouest de la Gaule Lyonnaise.

Réal. S. Bossard.

  • 78 Pour la notion de mémoire collective et de lieux de mémoire dans les sociétés antiques et, en parti (...)

2Après avoir procédé à l’identification et à la caractérisation des sanctuaires préromains, afin de dresser un état des lieux du paysage religieux antérieur à la guerre des Gaules, il faudra alors s’interroger sur les raisons qui ont conduit à conserver et à transformer, entre celle-ci et les premiers temps de l’époque impériale, une grande partie des sanctuaires préexistants. D’autres espaces aménagés par l’homme au cours de la Protohistoire, qui ont laissé une empreinte durable dans les paysages et dans les mémoires78 – en particulier d’anciens habitats et des espaces funéraires monumentaux – et qui seront investis par un lieu de culte durant l’époque romaine, seront ensuite examinés dans une deuxième partie.

4.1. Des espaces cultuels aux racines gauloises, entre ruptures et continuités

4.1.1. Sanctuaires gaulois du nord-ouest de la Celtique : bilan critique des données

  • 79 À onze sites ayant aussi accueilli un sanctuaire durant l’époque romaine, s’ajoutent les deux enclo (...)

3Les sites à vocation religieuse du second âge du Fer, évoqués à plusieurs reprises au cours des trois chapitres précédents, sont généralement caractérisés par un état de conservation médiocre, résultant souvent des destructions opérées au cours de réaménagements plus récents – en particulier pour ceux qui ont été réoccupés par un sanctuaire durant l’époque romaine. Cependant, la découverte d’un grand nombre d’objets, caractéristiques de pratiques rituelles réalisées dans un cadre communautaire, permet d’identifier sans problème 14 espaces cérémoniels laténiens79 (fig. 269), que leur cadre architectural soit renseigné ou non. Sur ces sites, les dépôts de pièces d’équipement militaire, de parures ou de monnaies, probables offrandes rejetées en quantités plus ou moins importantes, ou encore l’accumulation de tessons de céramiques ou de restes fauniques évoquant le partage de repas ou la consommation collective de vin, confirment l’existence d’espaces qui étaient exclusivement ou en partie réservés à des pratiques rituelles (cf. supra, 1.1.2 et 2.3.2.1 et infra, 4.1.2).

Figure 269 : Principales caractéristiques des sanctuaires gaulois avérés ou possibles.

Figure 269 : Principales caractéristiques des sanctuaires gaulois avérés ou possibles.

Réal. S. Bossard.

4Au contraire, il est nécessaire de revenir sur d’autres cas moins assurés, en partie décrits ou simplement signalés, au cours des deux dernières décennies, dans le cadre de plusieurs synthèses régionales (Gomez de Soto et Lejars, 1991 ; Bouvet et al., 2003 ; Bossard et al., 2016, p. 42-45 ; Remy, 2016, p. 200-230). Les incertitudes portent notamment sur deux sites qui n’ont pas connu de réoccupation durant la période romaine, puisqu’ils ont été abandonnés dans le courant ou à la fin du second âge du Fer ; les doutes émis au sujet du possible sanctuaire enclos de Moulay, en Mayenne, ont déjà été évoqués supra (3.1.1 ; Le Goff dir., 2015 ; 2016, p. 130-131 et p. 136). Aussi, l’établissement rural des Sept-Perthuis à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) a été considéré, depuis sa fouille en 1989-1990, comme un probable sanctuaire gaulois ; il figurerait parmi les rares exemples de l’ouest de la France dont le plan peut être restitué dans son intégralité (Bizien-Jaglin et Lejars, 2003 ; Bouvet et al., 2003, p. 78-79). Ce site a probablement été fondé au cours de La Tène finale et est resté occupé jusqu’aux premières décennies du ier s. de n. è., comme le suggèrent le comblement tardif d’un puits et quelques objets épars datés de cette période. L’interprétation cultuelle repose avant tout sur la présence, au centre d’un enclos polygonal délimité successivement par des fossés et par une palissade, d’un ensemble complexe de fosses creusées en plusieurs étapes, évoquant l’« autel creux » de Gournay-sur-Aronde (Oise) ou d’autres enceintes à vocation religieuse du nord de la France, ainsi que sur la découverte, parmi un mobilier peu varié – céramique, restes fauniques, quelques objets lithiques et métalliques –, d’un fragment d’épée ployée. Or ses dimensions réduites (environ 700 m² puis 1 800 m²) comme ses équipements sont tout à fait comparables (fig. 270) à ceux d’un modeste établissement rural récemment fouillé à Pleurtuit (Ille-et-Vilaine), soit à seulement 4 km des Sept-Perthuis (Hamon dir., 2014). Occupée entre la fin du iiie s. et la première moitié du ier s. av. n. è., cette exploitation agricole a d’abord été circonscrite par une double enceinte de plan pentagonal, qui abrite, comme à Saint-Malo, une grande cuvette ; d’importantes dépressions similaires ont aussi été observées au cœur de plusieurs établissements ruraux de la Plaine de Caen, où elles pourraient constituer des mares, des espaces de stabulation pour le bétail, des fosses à fumier ou encore des carrières (Jahier et Vauterin, 2011, p. 125-127). Ainsi, bien que la configuration des enclos successifs de Saint-Malo évoque celle du sanctuaire de Mirebeau-sur-Bèze (Côte-d’Or) ou de celui, plus incertain (cf. infra), de Neuville-sur-Sarthe (cf. supra, 3.2.1), l’hypothèse d’un petit établissement rural ou d’un enclos réservé à des activités agropastorales, dépendant d’un habitat plus vaste, doit être considérée avec sérieux.

Réal. S. Bossard.

5En ce qui concerne les occupations laténiennes auxquelles succède, durant le Haut-Empire, un lieu de culte avéré, la découverte de quelques objets particuliers de facture gauloise n’est pas un critère suffisant pour affirmer avec assurance que l’espace a été partagé par les dieux et les hommes dès l’âge du Fer. Sur plusieurs sites, notamment à Cléden-Cap-Sizun (S.168 ; Galliou, 2015, p. 40-42), Mordelles (S.189 ; Batt, 1987, p. 8-9 et fig. 11 à 13 et in Bouvet et al., 2003, p. 98-99), Champlost (S.203 ; Coutand, 2008, p. 18-19, p. 23-24, p. 41-42 et p. 51 ; Nouvel, 2010 ; Barral et Nouvel, 2012, p. 148-150) et Baron-sur-Odon (S.279; Bertin, 1974b et 1977 ; Lejars, 2003), l’absence d’informations relatives aux contextes de découverte d’un nombre réduit d’armes ou de parures gauloises supposées ou avérées pose ainsi problème : ont-ils été introduits au sein d’un premier sanctuaire gaulois ou proviennent-ils, par exemple, d’une sépulture perturbée, ou d’un contexte domestique antérieur à la fondation de l’espace cultuel de l’époque romaine ? Pour des sites mieux documentés, au sein desquels les objets découverts peuvent être rattachés avec plus ou moins de précision à un contexte stratigraphique fiable, l’interprétation des vestiges n’est, de même, pas toujours univoque. À Andard (S.1, ph. 1), par exemple, sur le site du foyer-logement, occupé durant le Haut-Empire par un ou plusieurs temples, deux segments de fossés parallèles constituent les plus anciens aménagements identifiés, avec peut-être quelques trous de poteau. Leur comblement a livré un ensemble d’objets datés de La Tène finale : des tessons de céramique laténienne, une fibule de type Nauheim, un potin, trois fragments de calotte crânienne humaine et des morceaux de terre brulée, recouvrant un clayonnage disparu (Delestre, 1983). Si l’on ne peut déterminer avec certitude les activités qui ont généré de tels rejets, d’autres sondages, réalisés sur le site de la maison commune de loisirs, à moins de 200 m au sud-ouest, ont aussi conduit à la mise au jour de divers vestiges gaulois et d’époque romaine qui pourraient relever d’un sanctuaire, à tout le moins pour l’âge du Fer. De fait, dans le voisinage de quatre puits comblés entre la fin de l’âge du Fer et le début du ier s. de n. è., ont été découverts trois fragments d’épées gauloises en fer mutilées – leur lame est pliée ou cassée –, trois pointes et un talon de lance (Delestre, 1986). Les informations recueillies ne sont pas assez précises pour définir l’étendue du ou des sites consacrés aux pratiques rituelles durant l’époque gauloise ; il est possible que l’agglomération secondaire antique succède à un habitat groupé laténien (Monteil, 2012, vol. II, p. 230-231), qui serait pourvu d’un ou de plusieurs sanctuaires, reconstruits ou non, voire déplacés à partir de l’époque augustéenne.

6Certains enclos datés de La Tène finale, détruits au début de l’époque romaine pour laisser place à une nouvelle aire sacrée, ont aussi pu abriter des activités religieuses, mais l’absence ou la rareté des dépôts pouvant être assimilés à des offrandes interdit également toute conclusion définitive. Ainsi, à Quimper (S.176, ph. 1), deux enclos fossoyés successifs sont antérieurs à la création d’un troisième, dont l’orientation diffère, qui est associé à un mobilier varié, daté des premières décennies du ier s. de n. è. et caractéristique de pratiques religieuses. L’un des fossés qui matérialise les limites des premiers enclos a servi de réceptacle à un important dépôt de petites céramiques daté de La Tène finale (cf. supra, 2.2.1.3). À quelques mètres à l’ouest de ces enclos, une fosse cylindrique contient des ossements de bovins, résultant de la sélection et de l’enfouissement de quartiers de viande, issus d’au moins huit individus. Ces dépôts particuliers de vases et de quartiers de viande ont incité J.-P. Le Bihan à considérer ces enclos comme de premières enceintes à vocation rituelle, aménagées dès la fin de la période gauloise (Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 311-319 ; 2021). Toutefois, si cette interprétation est plausible, l’étroite surface fouillée ne permet pas d’affirmer avec certitude que la fonction des enclos est exclusivement liée à des pratiques rituelles ; l’hypothèse d’un habitat aristocratique qui aurait accueilli des banquets peut aussi être évoquée.

7Il est tout aussi difficile de comprendre l’organisation et la fonction du site des Mureaux à Authevernes durant La Tène finale (S.253, ph. 1). Parmi plusieurs fosses, de morphologie et de dimensions variées, l’une (1406) se démarque des autres par la quantité de mobilier contenue dans son remplissage – 91 tessons, appartenant à un minimum de 8 vases de formes diverses, des ossements de faune, dont un membre de porc en connexion anatomique, 2 monnaies et 9 fibules, attribués à La Tène D1 ou D2. Une autre structure du même type, isolée à proximité d’un fossé repéré au nord-est du site, présente la particularité d’avoir livré deux fragments de voûte crânienne humaine. Ces éléments, somme toute peu nombreux, peuvent correspondre à de premiers dépôts rituels, mais on ne sait s’ils ont été enfouis au sein d’un habitat ou d’un sanctuaire (Doyen et al., 2011 ; Michel et al., 2014).

8Il est effectivement envisageable qu’au moins une partie de ces sites corresponde à des habitats, au sein desquels les objets évoqués auraient été enfouis, par un individu ou une famille et peut-être dans le cadre de rites domestiques, mais on ne peut totalement écarter l’éventualité d’espaces cérémoniels fréquentés de manière collective, dont les marqueurs les plus évidents seraient ici absents, ou n’auraient pas été conservés in situ. D’ailleurs, est-on en mesure d’identifier l’ensemble des sanctuaires de l’âge du Fer, ou bien ne perçoit-on que ceux qui ont livré certains types d’offrandes, en particulier des armes, des parures ou peut-être des monnaies ? Il est effectivement possible que la nature des objets manipulés dans les sanctuaires gaulois ait varié en fonction des entités divines concernées, en plus d’avoir évolué au fil des siècles (cf. supra, 2.3.2.1). En l’état des connaissances et pour l’aire géographique considérée, il faut admettre que les circonstances qui ont conduit à la formation des premiers lieux de rituels et leur évolution au cours du second âge du Fer ne peuvent être appréhendées qu’à partir de l’étude, seulement, d’une douzaine de sanctuaires gaulois avérés ou, du moins, pour lesquels l’interprétation religieuse semble plausible.

4.1.2. L’évolution du paysage religieux des peuples gaulois

4.1.2.1. Dépôts anciens et premiers lieux de rituels (ve-iiie s. av. n. è.)

9Si la borne inférieure retenue pour notre étude, fixée au début du iie s. av. n. è., semble coïncider, pour le territoire considéré, avec le développement des sanctuaires enclos (cf. infra, 4.1.2.2), des assemblages d’armes et de parures, plus anciens de quelques décennies ou de plusieurs siècles, témoignent vraisemblablement de premiers dépôts collectifs à caractère rituel, qui paraissent dès lors avoir été dédiés à des puissances divines, dont on ne sait toutefois quasiment rien. Ces objets ont été réunis puis rejetés dans des espaces a priori peu aménagés, mais encore insuffisamment documentés, que l’on peut alors qualifier de sanctuaires ou de lieux de rituels, et dont la genèse pourrait se situer dans le courant du ive s., voire du ve s. av. n. è., pour les exemples les plus précoces (cf. supra, 2.3.2.1 et fig. 162).

10Il est cependant difficile de dater avec précision la formation de certains dépôts, constitués d’objets métalliques que l’on a retrouvés en position secondaire, dans des niveaux a priori plus tardifs – à Allonnes (S.9) et, pour une partie du mobilier, à Meaux (S.158 ; cf. supra, 2.1.2.2 et 2.1.2.3) – ou bien que l’on a exhumés dans le courant du xixe s., sans prendre soin de renseigner leur contexte stratigraphique, comme à Jublains (S.32 ; Lejars, 1997) et à Saint-Jean-Trolimon (S.179; Duval, 1990 ; Lejars, 2007, p. 278-279). En outre, d’autres dépôts sont composés d’objets dont la chronologie s’inscrit dans un intervalle large de plusieurs siècles, à Aunou-sur-Orne (S.195; Lejars et Pernet, 2007) ou à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236; Bataille, 2008) et que l’on a donc sans doute accumulés sur le long terme avant de les enfouir définitivement. Au contraire, les épandages de Meaux (S.158; Magnan, 2006, p. 181-184 et Marion et al., 2019) et d’Aubigné-Racan (S.11 ; Lejars et al., 2001) rassemblent des artefacts fragmentaires (fig. 271), dont la chronologie semble plus homogène, puisqu’elle est resserrée, tant pour la céramique que pour l’armement, autour de la fin du ive s. et du début du iiie s. av. n. è. pour le premier cas, et autour du second quart du iiie s. av. n. è. – du moins pour les pièces d’équipement militaire – pour le deuxième.

Figure 271 : Épandage de fragments d’objets laténiens, notamment d’armes métalliques, en cours de fouille dans une ancienne zone marécageuse à Aubigné-Racan (Sarthe).

Figure 271 : Épandage de fragments d’objets laténiens, notamment d’armes métalliques, en cours de fouille dans une ancienne zone marécageuse à Aubigné-Racan (Sarthe).

Cliché Lambert (1994), in Raux et al. (dir.), 2015, p. 47, fig. 19.

11Pour ces différents exemples, les éléments de fourniment et, dans une moindre mesure, les parures et la céramique constituent généralement les principaux fossiles directeurs utiles pour établir la chronologie des dépôts. Il faut néanmoins rappeler que certains objets – telles des parures, des armes de qualité ou encore des pièces issues de chars – ont pu avoir été conservés sur plusieurs générations par les membres d’une famille avant d’avoir été introduits dans un sanctuaire, de même qu’un guerrier qui a gardé le même équipement tout au long de sa vie a pu y déposer des armes produites une vingtaine ou une trentaine d’années auparavant. La découverte d’éléments épars, attribués à La Tène ancienne à Allonnes (fig. 272), à Saint-Jean-Trolimon et peut-être à Jublains, ne signe donc pas nécessairement une fréquentation précoce du site, dès le ve s. ou le courant du ive s., d’autant plus que pour ces trois sites, le contexte de découverte des objets est inconnu ou n’apporte aucune information sur les circonstances de leur introduction ou de leur enfouissement (cf. supra, 2.3.2.1). S’il s’agit bien de dépôts particulièrement anciens (Lejars, 2007 ; 2019), il faudrait alors y voir une spécificité de l’ouest de la Celtique, puisque dans les autres régions de Gaule intérieure, de tels assemblages n’apparaissent généralement qu’à la fin du ive s. et surtout dans le courant du iiie s. av. n. è. (Arcelin et Brunaux, 2003 ; Poux, 2018 ; Demierre et al., 2019). En l’absence de données sur la structuration de ces sites et sur l’organisation des dépôts durant La Tène ancienne et moyenne, il semble davantage prudent de considérer que ces quelques objets anciens, s’ils n’ont pas été volontairement offerts pour leur caractère archaïque, aient pu provenir d’une nécropole (cf. infra) ou d’un habitat aristocratique antérieur au développement du sanctuaire, comme l’ont évoqué P. Aupert et K. Robin (2015) au sujet du lieu de rituels enclos du Fâ à Barzan (Charente-Maritime), fondé dès la fin du vie s. ou le début du ve s. av. n. è., mais dont la nature avant le iie s. av. n. è. est incertaine.

Figure 272 : Fibules en alliage cuivreux (1 et 2), pointe de flèche de type gréco-oriental en alliage cuivreux (3), perle tubulaire (?) en verre (4) et piton à oeillet en fer (5) provenant du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (Sarthe) et attribués à La Tène A (seconde moitié du ve s. av. n. è.).

Figure 272 : Fibules en alliage cuivreux (1 et 2), pointe de flèche de type gréco-oriental en alliage cuivreux (3), perle tubulaire (?) en verre (4) et piton à oeillet en fer (5) provenant du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (Sarthe) et attribués à La Tène A (seconde moitié du ve s. av. n. è.).

In Brouquier-Reddé et Gruel (dir.), 2004, p. 299, fig. 11.

12En tout état de cause, à Allonnes et, dans une moindre mesure, à Saint-Jean-Trolimon et à Jublains, le dépôt d’objets métalliques ne semble prendre de l’ampleur qu’à partir de la fin du ive s. et du début du iiie s., période à laquelle ont aussi été rattachées les armes et les céramiques laténiennes de Meaux, ainsi que les plus anciens éléments de fourniment et parures de La Villeneuve-au-Châtelot ; l’armement d’Aubigné-Racan a vraisemblablement été produit au cours des décennies suivantes, de même que celui d’Aunou-sur-Orne. La composition de ces assemblages renvoie notamment à la sphère militaire, puisqu’ils sont avant tout composés de panoplies complètes ou incomplètes, dont seule une partie nous est généralement parvenue, en raison de tris opérés dès le second âge du Fer et, surtout, d’une fouille partielle des niveaux qui les recèlent (cf. supra, et 2.2.3.3 et 2.3.2.1). Cependant, il n’est guère aisé d’évaluer l’importance et la temporalité des dépôts, a fortiori lorsque les objets proviennent de couches ou d’épandages hétéroclites. Les armes de La Villeneuve-au-Châtelot datées de La Tène B2 (au minimum 14 objets) ou C1 (51) sont peu nombreuses, en regard des phases suivantes, puisqu’elles n’ont manifestement appartenu qu’à une quinzaine ou à une vingtaine de panoplies – d’après le nombre de fourreaux identifiés –, pour une période s’étendant sur environ un siècle (Bataille, 2008, p. 129-130). Doit-on y voir des objets progressivement accumulés sur le site ? À l’opposé, à Meaux et, dans une moindre mesure, à Aubigné-Racan, les pièces de fourniment, fabriquées durant une ou deux générations, ont pu avoir été rassemblées en une seule occasion – à l’issue d’une bataille ? – ou, du moins, au cours d’une brève période. Sur ces deux sites, ce sont respectivement 25 et 8 fourreaux qui donnent une idée du nombre minimal de guerriers dont l’équipement a été prélevé et amassé au sein du lieu de rituels (Marion et al., 2019 ; Lejars et al., 2001).

13Dès la fin du ive s. et le début du iiie s., les dépôts d’armes, dans l’ouest de la Celtique comme dans le reste de la Gaule intérieure, deviennent donc fréquents et s’inscrivent, du moins dans certains cas, dans des pratiques sans doute collectives, impliquant la participation d’une communauté plus ou moins importante de guerriers (Arcelin et Brunaux, 2003, p. 245 ; Bataille, 2008, p. 154-170 ; Demierre et al., 2019). De fait, sont parfois offerts les équipements de quelques dizaines d’individus, dont « le souvenir des faits d’armes et des exploits […] est célébré dans les lieux de culte où sont conservées les armes des morts héroïques et consacrées celles des ennemis tués au combat » (K. Gruel et T. Lejars, in Buchsenschutz dir., 2015, p. 285). L’identité des anciens propriétaires des armes n’est cependant pas connue et les données collectées sont insuffisantes pour déterminer les circonstances de leur introduction et de leur manipulation au sein des sanctuaires, où ces vraisemblables offrandes ont pu avoir été exposées un certain temps, avant d’être délibérément mutilées et mises au rebut (cf. supra, 2.2.3.3 ; fig. 273). On ignore ainsi si elles correspondent à l’équipement de combat des visiteurs des lieux de rituels, à celui de leurs ancêtres ou encore de leurs ennemis. Quoi qu’il en soit, les séquences rituelles, dont les acteurs et la plupart des gestes ne peuvent donc être restitués en l’état des connaissances, sont vraisemblablement encadrées par les membres d’une élite dont le pouvoir est fondé sur la puissance militaire – ou d’une classe sacerdotale naissante ? (Brunaux, 2016, p. 68-71) –, dans une société où le fait guerrier est particulièrement valorisé, que ce soit dans les lieux de rituels communautaires ou dans le domaine funéraire (Brunaux, 2006, p. 99). Dans les sanctuaires, les manifestations liées au monde de la guerre visent vraisemblablement « à affirmer la cohésion sociale et à renforcer le contrôle idéologique de l’élite sur une population qui dispose maintenant d’un accès plus important aux armes » (Marion, 2004, p. 351).

Figure 273 : Éléments restaurés d’armes en fer provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) et présentant des marques évidentes de dégradations.

Figure 273 : Éléments restaurés d’armes en fer provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) et présentant des marques évidentes de dégradations.

In Baray (dir.), 2018, p. 231, fig. 2.

14Cependant, le domaine militaire n’est pas le seul à être représenté parmi les témoins matériels des rites pratiqués au sein des premiers espaces cérémoniels, puisque c’est aussi une vingtaine de fibules de La Tène B2 et C1 que l’on a recueillies à La Villeneuve-au-Châtelot (Bataille, 2008, p. 129-130), ou encore des déchets caractéristiques de repas – et peut-être de sacrifices d’animaux ? –, vraisemblablement consommés par plusieurs dizaines d’individus, à Meaux (Couturier dir., 2005, p. 83-97 et p. 123-129 ; cf. supra, 2.2.1.3). La présence de céramique de la fin de La Tène ancienne et de La Tène moyenne a aussi été signalée, en position résiduelle dans des contextes plus récents, à Jublains (J.-Ph. Bouvet, in Aubin et al., 1997, p. 222-240). De même que pour les armes, peu d’informations peuvent être tirées de l’étude de ces catégories de mobilier à l’égard des gestes réalisés, du nombre d’individus concernés et de la périodicité des dépôts. À l’échelle du territoire étudié et avant le iie s. av. n. è., les exemples bien documentés de parures et de reliefs alimentaires en contexte de sanctuaire sont encore rares et on ne peut déterminer la place précise de ces objets dans les pratiques rituelles. L’introduction de fibules – qui, lorsqu’elles sont associées à des armes, comme à La Villeneuve-au-Châtelot, peuvent aussi relever de l’équipement de guerriers (Demierre et al., 2019, p. 332) – dès la fin du ive s. ou le courant du iiie s. est cependant attestée dans d’autres sanctuaires de Gaule intérieure, où le fourniment paraît avoir été absent à la même période, tel qu’à Fesques (Seine-Maritime) ou à Mirebeau-sur-Bèze (Côte-d’Or ; Bataille, 2008, p. 173-178 ; Demierre et al., 2019, p. 333). Quant aux pratiques alimentaires accueillies au sein des plus anciens espaces cérémoniels, elles ne sont encore documentées que par un nombre limité d’exemples – tels les dépôts de vases à Mirebeau-sur-Bèze (Barral et Joly, 2012, p. 87), ou les restes fauniques et la céramique fragmentée de l’enclos circulaire de Ribemont-sur-Ancre (Somme ; Fercoq du Leslay, 2017, p. 155-157). Dans tous les cas, la déposition et l’entassement d’objets en grand nombre, que ce soit des armes ou d’autres catégories de mobilier, sont caractéristiques des lieux de rituels, constituant vraisemblablement des espaces communs aux dieux et aux hommes (Van Andringa, 2019, p. 418-419).

15L’interprétation de ces pratiques rituelles constitue donc un exercice délicat. De surcroît, pour l’ensemble des sites de la région considérée qui ont été fréquentés avant le tournant des iiie s. et iie s. av. n. è., leur cadre architectural n’est pas renseigné. Lorsque les objets n’ont pas été mis au jour au sein de couches postérieures à l’âge du Fer, ils proviennent d’un ou de plusieurs épandages, manifestement dissociés de toute construction ou de tout enclos – à Meaux, La Villeneuve-au-Châtelot ou Aubigné-Racan. Pour autant, les fouilles menées sur ces sites n’ont pas été exhaustives et on ne peut exclure que les dépôts aient pris place au sein d’enceintes plus vastes, qui n’auraient pas reconnues (cf. supra, 1.1.1.4), ou que des constructions voisines en terre et en bois, dont les fondations ne seraient pas conservées, n’aient laissé aucune trace. Les objets résiduels, manipulés dans le cadre des rituels, ont aussi pu avoir été formés, sous la forme d’épandages, en périphérie d’un sanctuaire bâti, dont les structures n’auraient pas été localisées.

16Quoi qu’il en soit, les espaces cérémoniels naissent avant les premières agglomérations, qui se multiplient à partir du début du iie s. av. n. è. (Fichtl, 2005 ; 2016a et b). Leur environnement est cependant peu connu et, dans la majorité des cas, on ne peut donc pas déterminer leur place au sein du maillage des habitats ruraux, notamment des résidences des élites qui ont pu contribuer à leur développement et organiser les cérémonies ; de même, aucun lien avec un site funéraire, dont la présence a aussi pu motiver leur implantation, n’a été clairement mis en évidence. La zone de dépôts laténiens sondée dans la plaine de Cherré à Aubigné-Racan est certes localisée à moins de 250 m au sud d’une nécropole tumulaire, aménagée entre la fin de l’âge du Bronze et le premier âge du Fer, mais on ne peut prouver que la présence de cette dernière a été déterminante pour la fondation du sanctuaire (Bouvet et al., 2001, p. 144-145 ; Remy, 2016, p. 51-53). La relation de proximité qu’entretient le lieu de rituels de La Villeneuve-au-Châtelot avec des espaces funéraires protohistoriques est encore moins étroite, puisque le site est établi à 600 m à l’ouest et à 700 m au nord de concentrations d’enclos ayant vraisemblablement abrité des sépultures, bien que deux autres sépultures à crémation de l’âge du Bronze – d’apparence plus modeste ? – aient été fouillées aux abords immédiats du sanctuaire laténien (Denajar, 2005, p. 621 ; Piette, 2018, p. 172). En aucun cas, un espace cérémoniel de la fin de l’âge du Fer ne semble avoir été implanté au cœur même d’une nécropole protohistorique, à l’exemple du sanctuaire de Champagne à Nitry (Yonne), avoisinant un ensemble de sépultures de La Tène moyenne et un enclos carré laténien (Barral et Nouvel, 2019, p. 53-54). La présence d’objets métalliques datés entre le viiie s. et le ve s., à Allonnes et surtout à Saint-Jean-Trolimon (cf. supra), pourrait toutefois s’expliquer par la proximité de sépultures plus anciennes, bien que leurs structures n’aient pas été formellement identifiées. En ce qui concerne les autres sites, aucun établissement voisin ne semble avoir assuré un rôle particulier dans l’implantation du sanctuaire, mais, rappelons-le, leurs abords n’ont été que peu étudiés.

17Au regard de ces éléments, il faut donc reconnaître que les vestiges des plus anciens sanctuaires, fondés vers la fin du ive s. ou le début du iiie s., voire dans le courant du ive s. ou dès la fin du ve s. pour de rares sites, posent plusieurs problèmes d’interprétation, en partie liés à des lacunes documentaires et aux perturbations occasionnées par des aménagements plus récents. A priori peu nombreux, ces sites sont dispersés dans l’ensemble du territoire pris en considération ; leur identification repose avant tout sur la reconnaissance de dépôts métalliques, en particulier d’armes mutilées. La quantité plus ou moins importante de ces dernières trahit l’implication de guerriers, qui ont pu les rassembler seuls ou à titre collectif, de manière progressive, au fil des années, ou peut-être à l’issue de faits d’armes particuliers – comme l’évoque César, lorsqu’il mentionne les amoncellements (« cumulos ») érigés dans des lieux consacrés avec le butin récolté après une bataille, formant ce qui a parfois été qualifié de « trophées » par les archéologues (Brunaux, 2016, p. 335-342). L’organisation spatiale des premiers lieux de rituels n’est pas connue ; les données disponibles sont insuffisantes pour affirmer qu’il s’agissait d’espaces peu ou pas aménagés, séparés ou non des terrains environnants par une clôture. Enfin, les raisons de l’émergence de ces espaces particuliers ne peuvent être définies et, si le rôle des élites guerrières semble avoir été prépondérant, les arguments manquent pour lier leur apparition, comme l’a proposé St. Fichtl (2012, p. 153-158), à la naissance des civitates gauloise. Certains d’entre eux, tels les sanctuaires de Meaux, de Jublains et d’Allonnes, sont certes implantés au cœur de ce qui deviendra les cités des Meldes et des Aulerques Diablintes et Cénomans à la fin de l’âge du Fer et durant l’époque romaine, mais on ne sait pas si ces sites, occupés durant plusieurs siècles – a priori sans continuité à Meaux (cf. infra, 4.1.3) – et accueillant un lieu de culte monumental après le changement d’ère, avaient un rôle fédérateur dès le ive s. ou le iiie s. av. n. è. Il est toutefois probable que l’implantation de sanctuaires communautaires ait contribué à l’appropriation symbolique des territoires, en créant des lieux destinés spécifiquement au culte des divinités tutélaires de groupements humains (Brunaux, 2006, p. 99-100), mais on ignore tout de l’identité de ces dernières, ainsi que des formes sous lesquelles elles se manifestaient dans leur périmètre.

4.1.2.2. Du début du iie s. à la guerre des Gaules : l’affirmation des sanctuaires enclos

18La documentation relative aux deux derniers siècles avant notre ère, alors que se développe l’armature urbaine des territoires gaulois, est plus étoffée : outre les sites déjà évoqués précédemment, dont une partie continue d’être occupée (cf. infra, 4.1.3), apparaissent six enclos abritant des activités rituelles, auxquels s’ajoutent d’autres cas plus hypothétiques.

19La chronologie de ces installations cultuelles, dont la datation peut s’appuyer sur le mobilier métallique ou en verre – armement, parure –, mais aussi sur des lots de céramiques et parfois sur des monnaies, révèle des rythmes de fondation variés (cf. supra, 2.3.2.1 et fig. 162). En effet, certains sites, tels ceux de Juvigné (S.36; Bossard et al., 2016 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016 ; 2019), d’Ablis (S.91; Brutus et Leconte, 2014 ; Ginoux et al., 2020) et de Saumeray (Hamon et Lejars, 2002), sont fréquentés dès la fin du iiie s. ou le début du iie s. av. n. è. ; à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), l’essentiel du mobilier métallique (soit 173 armes et 34 parures) se rattache aussi à La Tène C2, soit la première moitié du iie s. av. n. è. (Bataille, 2008, p. 129-130). Les dépôts de Bennecourt (S.254; Bourgeois dir., 1999, p. 31-35) et d’Alençon (S.194 ; Pernet et al., 2011) sont plus tardifs, car ils relèvent des dernières décennies du iie s., alors que les amphores de l’enceinte de Balloy ont été attribuées au début du ier s. (Poyeton et Séguier, 1999 ; Poux, 2004, p. 422-425) ; les quelques objets recueillis dans les plus anciens états des enclos de Neuville-sur-Sarthe (S.18) peuvent être datés, sans plus de précision, de La Tène finale (Guillier dir., 2020, p. 36-46).

20Chacun des sites fondés au cours de ces deux siècles présente la particularité d’avoir été doté d’une enceinte de dimensions variables, marquant une séparation nette entre l’aire du sanctuaire et le monde profane (cf. supra, fig. 16), de même que les limites de plusieurs lieux de cultes grecs et italiques sont clairement matérialisées (Brunaux, 2006, p. 100). L’enclos, généralement délimité par un fossé, est souvent de petite taille (à Bennecourt, Saumeray, Balloy ou Neuville-sur-Sarthe), enserrant tout au plus une ou quelques centaines de mètres carrés : l’espace interne ne devait alors permettre d’accueillir que quelques dizaines de visiteurs, peut-être davantage dans certains cas. Le lieu de rituels de Juvigné constitue à ce titre une exception notable : sa surface interne, estimée à 2 500 m², est bien plus considérable, tandis que le système qui le circonscrit, associant un profond fossé et un talus probablement élevé, vraisemblablement en fonction dès La Tène finale, lui confère une apparence plus monumentale (cf. supra, 1.1.1.1). L’organisation interne de ces espaces enclos n’est généralement pas connue, ou alors quelques structures fossoyées sont les témoins de constructions en terre et en bois dont le plan ne peut pas être restitué (cf. supra, 1.2.1). Cependant, l’hypothèse d’un « autel creux » ou d’un bâtiment qui pourrait être identifié à un temple n’est guère soutenable à partir de l’examen critique des vestiges, de conservation souvent trop médiocre. Rappelons enfin qu’à La Villeneuve-au-Châtelot, malgré l’importance quantitative des dépôts métalliques attribués à la première moitié du iie s. et, dans une moindre mesure, à La Tène finale, aucune structure contemporaine n’a été reconnue dans la zone fouillée (Piette, 1989 ; Bataille, 2008, p. 47-48). Encore une fois, l’absence de vestiges immobiliers, ici comme au sein de certains enclos, ne doit pas être interprétée comme une preuve de l’existence de sites non aménagés : les surfaces étudiées au cours des opérations archéologiques ne couvrent que rarement l’emprise totale des sites du second âge du Fer, souvent partiellement détruits par des creusements plus récents, et la présence de constructions faiblement ancrées dans le sous-sol peut aussi être envisagée.

21L’analyse du mobilier piégé dans les fossés des enclos ou au sein d’épandages, rassemblant parfois des artefacts couvrant un large intervalle chronologique (cf. supra, 4.1.2.1), témoigne de pratiques plus diversifiées qu’auparavant (fig. 274), dont on peut suivre l’évolution au cours des décennies (cf. supra, 2.3.2.1). Les débris des objets utilisés au cours des rituels sont intégralement ou en grande partie inhumés sur place, car ils sans doute considérés comme sacrés et inaliénables (cf. supra, 2.1.3). Parmi eux, les dépôts d’armes, parfois accompagnés de parures, sont encore relativement nombreux à la fin du iiie s. et durant la première moitié du iie s., à La Villeneuve-au-Châtelot, à Aunou-sur-Orne, à Ablis, à Saumeray et à Juvigné, alors qu’ils semblent se raréfier à Jublains, à Allonnes et peut-être à Saint-Jean-Trolimon. Ainsi, à La Villeneuve-au-Châtelot, 173 pièces de fourniment militaire, appartenant à plusieurs dizaines de panoplies – une cinquantaine si l’on s’appuie sur le nombre (55) de fourreaux –, ont été dénombrées (Bataille, 2008, p. 129). Ce sont aussi une ou plusieurs dizaines d’individus qui sont représentés par leurs armes à Ablis (Ginoux et al., 2020) et à Saumeray (Hamon et Lejars, 2002). De même que pour la période précédente, on ne peut déterminer s’il s’agit d’offrandes ponctuelles, prélevées à l’issue d’un ou de plusieurs combats ou introduites simultanément par une communauté d’hommes en armes, ou bien de dons individuels, s’échelonnant sur plusieurs années ou dizaines d’années. Cependant, à Saumeray, les différences morphologiques observées entre les lots d’armes issus des deux enclos, bien qu’ils soient contemporains, laissent penser que ces derniers ont servi à l’exposition puis à l’enfouissement d’objets à l’origine possédés par deux groupes de guerriers distincts (Hamon et Lejars, 2002, p. 121-123 ; cf. supra, 2.2.3.3).

Figure 274 : Objets laténiens enfouis au sein du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), entre la fin du iiie s. av. n. è. et le début du ier s. de n. è. : plaque foyère en terre cuite et lames d’épées en fer (a), statère de la série au personnage tenant un crochet (b), fragments de bracelets en verre (c) et céramiques (d ; en rouge et gris : enductions peintes).

Figure 274 : Objets laténiens enfouis au sein du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), entre la fin du iiie s. av. n. è. et le début du ier s. de n. è. : plaque foyère en terre cuite et lames d’épées en fer (a), statère de la série au personnage tenant un crochet (b), fragments de bracelets en verre (c) et céramiques (d ; en rouge et gris : enductions peintes).

Cliché S. Bossard, dessin et DAO S. Bossard, Y. Dufay-Garel et M. Queffurus.

22En tout état de cause, la présence d’équipements militaires au sein des espaces cérémoniels s’efface progressivement à partir de la seconde moitié du iie s. et, surtout, dans le courant du ier s. av. n. è., au profit d’autres types de mobilier. À Juvigné, Bennecourt, Alençon, La Villeneuve-au-Châtelot ou Saumeray, la part plus ou moins importante des débris de vaisselle, des restes fauniques, des parures, des monnaies ou encore des outils indique effectivement que les pratiques se diversifient : à de nouveaux types d’offrandes s’ajoutent les reliefs de repas vraisemblablement consommés au sein ou en périphérie d’enclos, en particulier à Juvigné et à Bennecourt. Pour ces deux derniers sites, la quantité considérable de récipients en terre cuite (au moins 161 vases à Bennecourt et 223 à Juvigné) et d’ossements animaux (appartenant à plus de 253 individus à Bennecourt, en majorité des porcs) plaide en faveur d’une consommation à grande échelle, d’autant plus qu’à Bennecourt, l’enclos paraît n’avoir été fréquenté que durant quelques décennies (Bourgeois dir., 1999, p. 136-147, p. 151-168 et p. 186-187 ; Bossard et Dufay-Garel, 2019). En outre, à Saumeray et, dans une moindre mesure, à Bennecourt, l’introduction de monnaies gauloises dès La Tène finale est relativement importante. Les outils, attribués à la seconde moitié du iie s. et au début du ier s., abondent à La Villeneuve-au-Châtelot (94 objets), tandis qu’à Balloy, les vestiges des pratiques rituelles se limitent essentiellement aux fragments d’une quinzaine d’amphores à vin, volontairement brisées (Poyeton et Séguier, 1999 ; Poux, 2004, p. 422-425 ; Bataille, 2008, p. 129).

23Ainsi, en plus d’une diversification du mobilier, s’observe une spécialisation des sites, les objets manipulés variant manifestement d’un sanctuaire à l’autre. Pour autant, on ne peut affirmer que ces disparités sont liées au culte de divinités différentes, puisqu’aucun indice ne permet d’identifier leur nom, leurs attributs ou la façon dont elles sont représentées au sein des espaces cérémoniels. Si cette hypothèse est toutefois plausible, il faut aussi envisager que chaque communauté honore les puissances divines auxquelles elle s’adresse selon ses propres règles, malgré plusieurs similitudes dans la composition du matériel enfoui d’un sanctuaire à l’autre. L’évolution des pratiques religieuses, dans le courant du iie s. av. n. è., s’effectue en contrepoint d’autres mutations des sociétés gauloises, perceptibles notamment à travers le développement d’agglomérations ouvertes puis fortifiées, l’ouverture accrue aux marchés italiens et la monétarisation progressive des échanges, ou encore une plus grande perméabilité à la culture méditerranéenne (Buchsenschutz dir., 2015, p. 295-371). Si certains gestes, telle la déposition d’une monnaie, ont pu avoir été directement inspirés par des pratiques italiques, le sens qu’ils revêtaient reste aujourd’hui opaque, en l’absence de source textuelle directe qui en expliquerait les motivations et les circonstances (cf. supra, 2.2.3.1).

24Les lacunes documentaires relatives à l’intégration des sanctuaires dans le paysage des territoires gaulois au cours des deux derniers siècles avant notre ère ont déjà été exposées supra (3.1.1 et 3.2.1). S’il ne fait pas de doute que les deux petits enclos de Saumeray ont été fondés en bordure d’une agglomération naissante et que le sanctuaire de Jublains est vraisemblablement associé à un habitat aggloméré, dont il pourrait même être à l’origine, l’identification d’autres lieux de rituels intégrés à des habitats groupés est bien plus incertaine. Aucun grand sanctuaire établi au cœur d’une agglomération et fréquenté tout au long de l’existence de cette dernière, à l’exemple de celui de Corent (Puy-de-Dôme), n’est attesté pour la zone géographique étudiée (Poux et Demierre dir., 2015). Cependant, les connaissances relatives à l’armature urbaine des cités gauloises sont encore embryonnaires ; certains sites peu documentés, à l’exemple d’Andard (S.1 ; Delestre, 1983) ou d’Ablis (S.91; Brutus et Leconte, 2014 ; Ginoux et al., 2020), ont pu relever d’un habitat groupé qui serait à l’origine du développement d’une agglomération secondaire au cours du Haut-Empire. Quant aux sanctuaires a priori ruraux, leur environnement proche n’a généralement pas été sondé et leur isolement supposé doit donc être considéré avec circonspection, tout comme ensuite à l’époque romaine.

  • 80 L’usage du terme civitas par César pour désigner les peuples gaulois et leur organisation a priori (...)

25Ces carences grèvent considérablement l’analyse du réseau des sanctuaires de la fin de l’âge du Fer : il est difficile d’évaluer la place de chaque lieu de rituels au sein de l’organisation des cités gauloises, d’autant plus que les sanctuaires avérés sont répartis à raison d’un ou deux sites seulement par territoire (cf. supra, fig. 269). Notons toutefois que certains sites, tels Juvigné, pourvu d’une enceinte monumentale, et peut-être Allonnes, équipé de nombreuses constructions dont la fonction ne peut être déterminée, semblent correspondre à des sanctuaires majeurs, ouverts à une importante communauté – soit l’ensemble d’un peuple gaulois80 ? –, tandis que d’autres, tels les petits enclos de Saumeray ou de Balloy, paraissent adaptés à une fréquentation plus limitée. À Balloy, les quelques amphores décolletées et brûlées – et dont le contenu vinaire a probablement été consommé sur place – ont probablement été manipulées par un petit groupe, réuni dans un cadre privé. L’enceinte, par ses dimensions, sa forme et le mobilier qu’elle a livré, est d’ailleurs tout à fait similaire à celles qui ont été fouillées en bordure d’importants établissements ruraux de La Tène finale, aux Genâts (Fontenay-le-Comte) et aux Teuilles (Benet), en Vendée (Bouvet et al., 2003, p. 87-89). À moins d’envisager que ces petits enclos aient été destinés à célébrer la mémoire d’un notable décédé, dont les restes auraient été enfouis ailleurs ou n’auraient pas été conservés, il faut probablement considérer que ces espaces clôturés étaient fréquentés au cours de repas à caractère rituel organisés sur le domaine d’un aristocrate, au cours desquels on consommait le breuvage alcoolisé et, peut-être, de la nourriture (Poux, 2004, p. 425). La possible relation de dépendance du lieu de culte d’Alençon, qui pourrait avoir pris place au sein d’un habitat rural, a aussi été déjà évoquée (cf. supra, 3.2.1).

26L’interprétation de certains sites, tel celui de Bennecourt, est plus problématique : malgré les dimensions peu importantes de l’enclos identifié, le matériel rejeté dans ses fossés semble témoigner d’une fréquentation intense. Si la position du site, dominant la vallée de la Seine et à la limite entre les territoires de plusieurs cités durant l’époque romaine, a peut-être été un facteur déterminant, on ne peut le lier à aucun habitat voisin de la fin de l’âge du Fer. La restitution du tracé des frontières des peuples gaulois, incertaine, ne permet pas non plus d’affirmer qu’il a été volontairement implanté, dès son origine, aux confins de territoires et qu’il a été fréquenté par différentes communautés, d’autant plus que les émissions monétaires et la céramique du sanctuaire se caractérisent surtout par des affinités avec les productions de la rive droite de la Seine, et bien moins de la rive opposée ; il pourrait toutefois avoir matérialisé l’autorité d’une communauté locale aux limites de son territoire (Bourgeois dir., 1999, p. 190-194 ; cf. infra, 5.3.2.2).

27L’impact de la guerre des Gaules sur la vie religieuse et les sanctuaires en activité dans les années 60 av. n. è. est difficile à mesurer, d’une part en raison d’une connaissance peu détaillée des niveaux directement antérieurs et postérieurs à cet épisode de conquête militaire et, d’autre part, puisqu’aucune trace évidente d’éventuelle destruction ou de fermeture temporaire ou définitive n’a pu être décelée. L’abandon des quelques sanctuaires gaulois qui ne sont plus fréquentés durant l’époque romaine paraît avoir précédé de plusieurs décennies l’arrivée des légions romaines en Gaule intérieure : outre les enceintes de Saint-Malo et de Moulay, dont la vocation est incertaine, les enclos de Saumeray et de Balloy n’ont a priori livré aucun témoin matériel postérieur au premier quart du ier s. av. n. è. (Hamon et Lejars, 2002, p. 117 et p. 120 ; Poux, 2004, p. 425). De même, d’autres sites, tels ceux de Meaux et de Bennecourt, vraisemblablement désertés au cours de l’âge du Fer avant d’être réinvestis au début du Haut-Empire (cf. infra, 4.1.3), ont été abandonnés bien avant que César ne pénètre en Gaule, soit respectivement vers le début du iiie s. et la fin du iie s. av. n. è. (Bourgeois dir., 1999, p. 194 ; Magnan, 2006, p. 184). Quant aux lieux de rituels dont la fréquentation était en cours au moment de l’intégration des territoires gaulois au monde romain, ils ont manifestement tous été conservés dans le paysage religieux des communautés organisées en cités à partir de l’époque d’Auguste, mais ont connu des destins variés, liés à l’histoire propre à chacune de ces dernières.

4.1.3. Ancrer les cultes dans le passé : réappropriation et transformations d’anciens sanctuaires gaulois au début de l’époque romaine

28Dans les cités étudiées, au moins une dizaine de sanctuaires a été construite, dans le courant du Haut-Empire, à l’emplacement d’un ancien lieu de rituels gaulois, qu’il soit encore en activité ou qu’il ait été a priori abandonné plusieurs décennies, voire plusieurs siècles auparavant (fig. 268 et 275). Il ne faut cependant pas y voir une simple continuité des activités religieuses : le site est rapidement réaménagé, tandis que les rites qui y ont cours évoluent, dès les décennies qui ont suivi la conquête césarienne et surtout à partir du principat d’Auguste. En outre, ces mutations ont lieu dans un cadre nouveau, celui de communautés en cours de formation, qui choisissent les divinités destinées à protéger leurs intérêts (cf. infra, 5.2). L’examen des vestiges des états du second âge du Fer et de la période romaine est riche en enseignements sur les transformations des espaces sacrés préexistants, qui s’effectuent à des rythmes et suivant des formes variables.

Figure 275 : Chronologie des sanctuaires gaulois, avérés ou possibles, qui ont été réaménagés au début du Haut-Empire.

Figure 275 : Chronologie des sanctuaires gaulois, avérés ou possibles, qui ont été réaménagés au début du Haut-Empire.

Réal. S. Bossard.

29Si l’on s’en tient aux dossiers les mieux documentés, il ne fait parfois pas de doute que le site est fréquenté de manière continue entre le second âge du Fer et l’époque romaine et dans le cadre de pratiques rituelles. Les épandages d’objets laténiens de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) sont ainsi composés d’armes, de parures, d’outils, d’éléments de harnachement et d’ustensiles divers dont la chronologie couvre un large intervalle, s’étirant entre la fin du ive s. et le milieu du ier s. av. n. è. ; les artefacts attribués à La Tène D2 y sont toutefois peu abondants. La formation de ces dépôts (phase 1), achevée vers 80-50 av. n. è., résulte donc d’une accumulation d’objets sur le long terme. Si l’on ne peut pas écarter complètement l’idée d’un abandon de quelques années ou de quelques décennies à l’issue de cet épisode, il est certain que le site connaît de nouveau une phase de fréquentation intense durant la seconde moitié du ier s. av. n. è. et autour du changement d’ère (ph. 2), comme en témoignent la fondation de plusieurs enclos palissadés successifs (cf. supra, fig. 20) et d’abondants dépôts, notamment de numéraire et de rouelles (Bataille, 2008, p. 129-131 et p. 137-138 ; cf. supra, 1.1.1.1, 2.2.2.3 et 2.2.3.1).

30Il est également probable qu’aucun hiatus n’ait existé sur le site de la Forêterie à Allonnes (S.9) entre l’occupation laténienne et le premier sanctuaire de l’époque romaine. Bien qu’il soit difficile de restituer l’organisation et l’évolution de l’espace cérémoniel gaulois (ph. 1 ; cf. supra, 1.2.1 et fig. 20), il semble effectivement que ce dernier ait été fréquenté sans interruption entre la fin du ive s. ou le début du iiie s. av. n. è., au plus tard, et le terme du second âge du Fer. Encore une fois, le mobilier caractéristique de La Tène finale est toutefois moins abondant que celui de la fin de La Tène ancienne et du début de La Tène moyenne, à l’exception du numéraire gaulois, qui pourrait cependant avoir été introduit sur le site après la guerre des Gaules et, surtout, durant la période augustéenne (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 302-306 ; cf. supra, 2.2.3.1). Quoi qu’il en soit entre le milieu du ier s. av. n. è. et le début du ier s. de n. è., le site est réaménagé (ph. 2) : une enceinte de plan elliptique, circonscrite par une clôture de bois (fig. 276), est construite, de même que, selon toute vraisemblance, un premier temple (A1), dont la charpente repose sur des poteaux en bois. Peu de temps après, durant la première moitié du ier s. de n. è., le lieu de culte est agrandi et reconstruit (ph. 3), en édifiant cette fois-ci des bâtiments maçonnés, dont un temple de plan carré et à galerie périphérique (A2), ainsi qu’un portique à avancées (C) (Gruel et Brouquier-Reddé, 2015, p. 76-78).

Figure 276 : Évolution du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (Sarthe), de l’âge du Fer au ier s. de n. è.

Figure 276 : Évolution du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (Sarthe), de l’âge du Fer au ier s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Gruel et Brouquier-Reddé (dir.), 2004, pl. II, fig. 7 ; Brouquier-Reddé et Gruel, 2015, p. 75-78, fig. 25-28.

31De même, à Aunou-sur-Orne (S.195), la chronologie du mobilier recueilli laisse penser que le site est occupé de manière continue, bien que la datation des aménagements identifiés (fig. 277) n’ait pu être établie avec précision (Lejars et Pernet, 2007). Un ensemble de fosses et de trous de poteau, appartenant à une ou à plusieurs constructions dont le plan et l’élévation ne peuvent être restitués, est associé à un riche matériel métallique gaulois, comprenant des pièces de fourniment, des parures, quelques outils et des éléments de char, daté de La Tène moyenne et, dans une moindre mesure, finale. Ce secteur, avoisiné à la même période par une série de constructions sur poteaux, dont la nature n’est pas connue (cf. supra, 3.1.1), accueille un modeste sanctuaire durant le Haut-Empire, et ce peut-être dès le début de l’époque romaine : plusieurs monnaies et une fibule de la période augusto-tibérienne témoignent d’une vraisemblable continuité de l’occupation. Son temple, intégré à une enceinte et reposant vraisemblablement sur des piliers ou des poteaux en bois, n’est décalé que de quelques mètres au nord-est de la zone où se concentraient les dépôts d’objets métalliques laténiens.

Figure 277 : Évolution du sanctuaire du Pré du Mesnil à Aunou-sur-Orne (Orne), de l’âge du Fer à l’époque romaine.

Figure 277 : Évolution du sanctuaire du Pré du Mesnil à Aunou-sur-Orne (Orne), de l’âge du Fer à l’époque romaine.

Réal. S. Bossard, d’après Lejars et Pernet, 2007, p. 109, fig. 1.

32À Juvigné (S.36), si l’organisation spatiale du site de La Tène finale et des premières décennies du Haut-Empire n’est que très partiellement renseignée, l’examen des objets manipulés dans le cadre des activités rituelles permet aussi d’envisager une fréquentation continue (Bossard et al., 2016 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016). Selon toute vraisemblance, l’espace cérémoniel est délimité, dès la fin du second âge du Fer, par une enceinte fossoyée et un imposant talus ; les dépôts laténiens proviennent essentiellement de la partie centrale de l’enclos, occupée par plusieurs fosses et trous de poteau, qui ne dessinent aucun plan cohérent de bâtiment. Ils se composent d’armes et de parures métalliques ou en verre, mais aussi d’un important lot de céramiques, l’ensemble étant rattaché, principalement, aux deux derniers siècles avant notre ère. La grande majorité du numéraire gaulois et des premiers temps de l’époque romaine (116 monnaies gauloises, 68 républicaines et 85 augustéennes), en partie mutilé, a vraisemblablement été apportée sur le site aux alentours du changement d’ère, peut-être dès la seconde moitié du ier s. av. n. è. Si l’offrande de monnaies a connu un réel succès durant la période augustéenne, l’utilisation de céramiques à usage culinaire, bien attestée à la fin du second âge du Fer, semble en revanche devenir plus rare dès le début du Haut-Empire ; quant à la déposition de parures et de monnaies, elle paraît se poursuivre, dans des proportions également moindres, dans le courant du ier et du iie s. de n. è. La transformation des architectures est ici plus difficile à suivre : l’enceinte fossoyée, d’origine probablement gauloise, reste manifestement en fonction jusqu’au troisième quart du ier s. de n. è., au plus tôt, avant d’être remplacée par un péribole maçonné (cf. infra) ; quant à l’aire sacrée, elle a pu avoir été dominée par un premier bâtiment de culte en matériaux périssables, non identifié, avant que ne soit érigé un temple de plan circulaire, aux fondations de pierre et à la couverture de tuiles. Puis, après sa destruction – non datée, comme sa construction –, est bâti un deuxième édifice, plus grand, de plan rectangulaire et doté d’une galerie périphérique.

33Ajoutons à cette liste des sites occupés sans discontinuité celui de Tronoën, à Saint-Jean-Trolimon (S.179), dont les structures, partiellement exhumées à la fin du xixe s., sont très peu connues. La datation des objets collectés par p. du Châtellier révèle néanmoins une fréquentation s’étirant du ve s. ou du ive s. av. n. è. au ive s. de n. è., au minimum, bien qu’on ne puisse garantir que le sanctuaire, qui a pu avoir bordé un habitat ou une nécropole, soit resté en activité durant toute cette période, en particulier durant l’âge du Fer (cf. supra, 3.1.1). Pour autant, la chronologie des équipements guerriers couvre vraisemblablement le ive s. et, dans une moindre mesure, les iiie s. et iie s. av. n. è., tandis que les fibules et les céramiques gauloises ont été produites tout au long du second âge du Fer ; à la toute fin de cette période et à l’époque romaine peuvent être rattachés plus de 220 monnaies, plusieurs dizaines de fibules, ou encore des tessons de céramique (Cotten, 1985, p. 35-39 ; Duval, 1990 ; Lejars, 2007, p. 278-279 ; Galliou, 2010, p. 419-422 ; Guezennec, 2014, p. 166-168).

34Évoquons enfin les enclos de La Tène finale de Neuville-sur-Sarthe (S.18) et de Quimper (S.176, ph. 1), qui ont pu abriter les plus anciennes activités rituelles de deux sanctuaires dont les états d’époque romaine sont mieux documentés. Pour le premier, la superposition des enclos fossoyés de la fin de l’âge du Fer et du début de l’époque romaine (ph. 1 à 3), puis des périboles maçonnés plus tardifs (ph. 4 et 5), tous concentriques, rend crédible l’identification de l’enceinte la plus ancienne à un premier espace cultuel clôturé, malgré la rareté des objets qui en proviennent. Celui-ci a pu renfermer une construction sur poteaux, dont la nature ne peut néanmoins être définie. Il est d’ailleurs difficile de dater l’édification du premier temple, sans doute bâti en matériaux périssables et peut-être associé, durant la deuxième phase du site (fin du ier s. av. n. è. – début du ier s. de n. è.) ou bien la troisième (premier – troisième quart du ier s. de n. è.), à un ou à plusieurs foyers (cf. supra, 1.1.2.2 et fig. 233 et 263). Quoi qu’il en soit, l’occupation de ces différents espaces clôturés a pu avoir été continue, même si les quelques objets laténiens recueillis ne permettent pas de dater avec précision le premier état, attribué d’une manière large à La Tène finale (Guillier dir., 2020, p. 36-57). Au contraire, à Quimper (fig. 278), un changement d’orientation net et un décalage de plusieurs mètres sont adoptés durant les premières décennies du ier s. de n. è., lors de l’aménagement de l’enceinte palissadée qui enserre le sanctuaire de la phase 2, dont seule une façade a toutefois été localisée, suite au remblaiement des enclos fossoyés de La Tène finale (ph. 1). L’existence d’un éventuel lien entre les deux occupations est donc moins évidente (cf. supra, 4.1.1) ; néanmoins, vers 40 de n. è., un nouveau déplacement et une rotation de plusieurs degrés sont de nouveau entrepris au moment du réaménagement du sanctuaire, désormais circonscrit par une enceinte fossoyée (ph. 3 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 311-336 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 194-199).

Figure 278 : Évolution du sanctuaire de Parc ar Groas à Quimper (Finistère), de l’âge du Fer (?) au ier s. de n. è.

Figure 278 : Évolution du sanctuaire de Parc ar Groas à Quimper (Finistère), de l’âge du Fer (?) au ier s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Nicolas et Villard (dir.), 2019, p. 193 et p. 196.

35Si ces divers exemples témoignent, avec plus ou moins de certitude, de l’existence de sanctuaires fréquentés sans discontinuité – mais avec de multiples réaménagements – entre la fin de la période gauloise et le début du Haut-Empire, d’autres semblent en revanche se caractériser par une période d’abandon plus ou moins longue d’une époque à l’autre. L’état lacunaire des connaissances complique cependant l’analyse de plusieurs de ces lieux de culte, tel celui d’Ablis (S.91) : alors que la construction du temple du Haut-Empire n’a pu être datée avec précision, les armes en fer enfouies dans le fossé de l’enclos laténien, matérialisant sans doute l’emprise d’un premier sanctuaire, ont été attribuées à la fin du iiie s. ou à la première moitié du iie s. av. n. è., voire à la seconde moitié de ce siècle. Il n’est pas certain que le sanctuaire soit demeuré en activité durant La Tène finale, puisqu’aucun vestige n’est attribué à cette période ; néanmoins, le périmètre de la zone fouillée est peu important et on ne saurait conclure à une absence de continuité à la seule aune des quelques objets découverts (Brutus et Leconte, 2014 ; Ginoux et al., 2020).

36L’hypothèse d’un hiatus long de plus de deux siècles paraît davantage probable à Meaux (S.158; Couturier dir., 2005, p. 83-129 ; Magnan, 2006, p. 181-184 ; Marion et al., 2019). Les dépôts gaulois de fourniment métallique, de céramiques et, vraisemblablement, de restes fauniques, témoins de pratiques rituelles variées, ont été datés, de manière homogène, de la fin du ive s. ou du début du iiie s. av. n. è. (ph. 1 ; cf. supra, 4.1.2.1). Rejetés sous la forme d’épandages dès le second âge du Fer, ou bien mêlés à des objets plus récents dans des niveaux interprétés comme des remblais du début de l’époque romaine (fig. 279), ces artefacts et écofacts constituent les seules traces d’une occupation laténienne antérieure à la conquête romaine, puisqu’aucun vestige daté entre le courant du iiie s. et la première moitié du ier s. av. n. è. n’a été identifié. Le site de la Bauve s’étend toutefois sur plusieurs hectares et on ne peut être sûr que l’espace à vocation cultuelle ne s’étend pas au-delà de l’emprise concernée par les fouilles et les diagnostics réalisés. En tout état de cause, le site est de nouveau investi dans le cadre d’activités notamment religieuses, comme en témoigne l’abondant mobilier collecté (céramique, faune, monnaies ou parures), durant la seconde moitié du ier s. av. n. è. (ph. 2), bien que les structures identifiées pour cette phase ne soient guère caractéristiques d’un sanctuaire (cf. supra, 3.1.2.4 et fig. 197). Ce dernier a toutefois pu avoir été situé en périphérie de la zone de fouille, peut-être à l’est ou plus à l’ouest, à l’emplacement du lieu de culte monumental (ph. 3) qui sera bâti à partir de la fin du ier s. ou du début du iie s. de n. è. (Magnan, 2006, p. 184-188).

Figure 279 : Répartition des fragments d’armes, des monnaies et des fibules dans les remblais accumulés à l’est du sanctuaire monumental de la Bauve à Meaux (Seine-et-Marne) au cours du ier s. de n. è. (cf. fig. 4-10a, zone a).

Figure 279 : Répartition des fragments d’armes, des monnaies et des fibules dans les remblais accumulés à l’est du sanctuaire monumental de la Bauve à Meaux (Seine-et-Marne) au cours du ier s. de n. è. (cf. fig. 4-10a, zone a).

In Magnan, 2006, p. 186-187, fig. 12-13.

37Les fouilles programmées menées à Bennecourt (S.254) illustrent un autre exemple d’un sanctuaire a priori déserté avant la fin de l’âge du Fer, puis de nouveau occupé à partir de la seconde moitié du ier s. av. n. è. (fig. 280). Les fossés du petit enclos marquant les limites du sanctuaire gaulois (ph. 1) ont servi de réceptacle à un abondant matériel, manipulé dans le cadre des rituels – des restes fauniques et de la vaisselle en terre cuite témoignant de la consommation d’aliments, des fibules et d’autres objets de parure, des armes, des potins et peut-être des outils. L’examen de leur stratigraphie a révélé qu’après l’arrêt des pratiques, vers la fin du iie s. av. n. è., ces objets fragmentés, vraisemblablement entreposés au sein de l’enclos ou dans sa proche périphérie, ont été massivement rejetés, sans ordre, dans les fossés. Puis, après le tassement des remblais très meubles qui les contiennent, une nouvelle séquence de comblement a permis de sceller définitivement la dépression formée en surface, en y déversant d’autres couches de cailloux et de limon, mêlés à divers détritus. Ces derniers sont d’ailleurs issus du même lot que les objets enfouis auparavant, comme en témoignent les remontages observés entre de nombreux artefacts des deux séquences. Il est cependant difficile de dater avec précision les deux opérations de nettoyage, qui ont pu intervenir dès la fin du iie s. av. n. è. ou plus tardivement, dans le courant du ier s. av. n. è., lors de la réorganisation du site et de la reprise des activités religieuses. La découverte de deux ensembles d’ossements animaux en connexion anatomique, piégés dans les niveaux de la plus ancienne étape du remplissage, semble toutefois indiquer que le premier remblaiement a été réalisé peu de temps après les dernières activités rituelles, alors que la viande n’était pas encore totalement décomposée (Bourgeois dir., 1999, p. 22-27) ; le remblaiement définitif a peut-être eu lieu quelques décennies plus tard, lorsque le site a été de nouveau occupé. De fait, l’absence de mobilier daté de la première moitié du ier s. av. n. è. montre certainement que le site est déserté durant deux générations environ, avant de connaître plusieurs réaménagements. Les témoins d’une occupation fugace (ph. 2) – quelques trous de poteau, un crâne de brebis inhumé dans une petite fosse et deux épandages composés de restes fauniques, de fragments d’épées, d’une fibule et de perles en verre – ont été reconnus aux abords de l’ancien enclos. Postérieure au remblaiement des fossés, elle a été datée, sans certitude, du troisième quart du ier s. av. n. è. (Bourgeois dir., 1999, p. 36-39). L’édification des deux premières cellae, installées dans une cour vraisemblablement délimitée par une palissade, intervient au plus tard autour du changement d’ère (ph. 3) ; d’abord bâties en matériaux périssables, elles seront ensuite construites en dur, puis complétées par d’autres équipements, à partir du premier ou du second quart du ier s. de n. è. (ph. 4 à 6).

Figure 280 : Évolution du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines), de l’âge du Fer au début du ier s. de n. è.

Figure 280 : Évolution du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines), de l’âge du Fer au début du ier s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 12, fig. 2 ; p. 16, fig. 3 ; p. 37, fig. 24 ; p. 40, fig. 29.

38Pour deux autres sites, enfin, il est moins facile de répondre à la question d’un éventuel hiatus entre l’occupation à vocation rituelle de l’âge du Fer et la construction d’un sanctuaire monumental durant le Haut-Empire. À Aubigné-Racan (S.11), l’étroitesse du sondage réalisé à l’emplacement des dépôts laténiens, dans un ancien terrain humide localisé à 50 m au nord du péribole de l’époque romaine, entrave la réflexion (Lejars et al., 2001 ; cf. supra, fig. 217 et 271). La datation des objets métalliques, en particulier de l’armement, semble indiquer que cet épandage d’objets résiduels a été formé sur un temps bref, vers le second quart du iiie s. av. n. è. Néanmoins, quelques tessons de céramique, issus du même contexte, pourraient avoir été produits au cours de La Tène finale. Par ailleurs, dans un autre sondage réalisé au nord du temple, près du mur de l’enceinte du lieu de culte du Haut-Empire, une couche argilo-sableuse datée de La Tène finale recèle des ossements humains et un possible arc de fibule en fer. Dans d’autres niveaux reconnus au cours de divers sondages, des tessons de céramique tournée, un fragment de fibule en fer et un potin gaulois ont aussi été rencontrés (Bouvet dir., 2001, p. 146). Au vu de ces différents types de mobilier rattachés aux deux derniers siècles avant notre ère (céramique, parure, restes humains et monnaie), il est possible qu’un lieu de culte ait existé dans la partie nord du futur sanctuaire de l’époque romaine, prenant la suite des dépôts du iiie s. Cependant, il est tout aussi envisageable que ces vestiges relèvent d’un espace funéraire, une nécropole protohistorique étant connue à quelques centaines de mètres plus au nord (cf. infra, 4.2.3), voire d’un habitat. Dans tous les cas, la construction du sanctuaire maçonné de l’époque romaine, bien que datée sans grande précision, ne semble pas avoir été antérieure au dernier du ier s. de n. è., soit au moment où se développe la parure monumentale du site de Cherré (Lambert et Rioufreyt, 2006, p. 227). Ainsi, en l’état des connaissances – mais les abords du lieu de culte n’ont guère été étudiés –, un hiatus de plusieurs décennies, voire de plusieurs siècles, a pu exister entre la fréquentation du lieu de rituels gaulois et l’édification du sanctuaire monumental du Haut-Empire.

39Enfin, à Jublains (S.32), la fouille du site de la Tonnelle a porté avant tout sur les niveaux contemporains de l’édification et de la fréquentation du lieu de culte monumental, bâti à partir du dernier tiers du ier s. de n. è. (ph. 3), en périphérie nord du chef-lieu antique (Naveau dir., 1997 et 2006 ; cf. supra, 3.1.2.4). Les états les plus anciens n’ont été que peu étudiés, au cours de sondages plus profonds, et l’évolution du site, depuis ses origines jusqu’à la construction du monument, ne peut donc être que partiellement retracée. Toutefois, il ne fait guère de doute qu’un sanctuaire y a existé au cours du second âge du Fer, au regard de la découverte, entre autres, de pièces d’armement laténien mutilé et de céramiques, en position souvent secondaire. Parmi les structures antérieures à l’édification du temple, les vestiges d’une enceinte palissadée ont été partiellement identifiés ; on ignore cependant si elle circonscrit l’aire sacrée dès la fin de la période gauloise (ph.1), ou bien, éventuellement, durant la période augustéenne et la première moitié du ier s. de n. è. (ph. 2) (cf. supra, 1.1.1.1 et fig. 20). De fait, des objets datés des premières décennies du Haut-Empire, bien que rares, ont été recueillis dans les quelques niveaux sondés, mais, pour l’instant, on ne peut déterminer s’il existe un état intermédiaire entre l’espace cérémoniel laténien, vraisemblablement fondé durant le ive s. ou le iiie s. av. n. è. et sans doute associé, à la fin de l’âge du Fer, à un habitat groupé (cf. supra, 3.1.1), et le monument du Haut-Empire. Il est possible que les sondages profonds aient été pratiqués en limite du premier sanctuaire de l’époque romaine, peut-être délimité par l’enceinte palissadée, dont le centre pourrait être occupé par une anomalie circulaire, repérée lors d’une prospection géoradar et qui pourrait relever, à titre d’hypothèse, d’un premier temple aux fondations de pierre (Caraire, 2020). La construction d’un lieu de culte monumental, lors du dernier tiers du ier s. de n. è., argumente aussi en faveur d’une continuité des pratiques religieuses : il semble peu plausible que ce sanctuaire d’agglomération ait été bâti durant l’époque romaine dans un espace désaffecté depuis plusieurs décennies, alors que l’habitat associé n’a cessé d’être occupé.

40Ainsi, rares sont les sanctuaires dont l’histoire a été indubitablement ponctuée par un temps d’arrêt des pratiques religieuses qui serait antérieur à la guerre des Gaules. Un hiatus plus ou moins long semble néanmoins avoir marqué l’occupation des sites de Meaux et de Bennecourt, et peut-être d’Ablis, d’Aubigné-Racan et de Jublains, bien que les lieux aient pu faire l’objet de visites, dans le cadre de commémorations qui n’auraient laissé aucune trace, entre leur premier abandon et la toute fin de l’âge du Fer (Magnan, 2006, p. 184). Quoi qu’il en soit, il est probable que leur emplacement et le souvenir des rassemblements à caractère religieux qui y étaient organisés aient été conservés dans la mémoire des communautés qui résidaient dans les environs, en particulier pour les descendants des individus qui les fréquentaient. Comme l’a récemment rappelé R. Golosetti, la mémoire est indissociable de la notion d’identité ; chaque groupe social peut définir des espaces ou des monuments, servant de « points d’ancrage à ses souvenirs » (Assmann, 2010, p. 35-36) et généralement qualifiés de lieux de mémoire, afin de commémorer un passé parfois réinventé, voire pour légitimer un nouvel ordre social (Golosetti, 2019b, p. 11-13).

41Au demeurant, les vestiges de ces pratiques et des aménagements qui pouvaient en former le cadre spatial ont très bien pu rester en élévation, visibles par tous, et ce malgré leur détérioration progressive, jusqu’à ce qu’un nouveau sanctuaire y soit construit. Le talus circonscrivant l’enceinte de Bennecourt a pu avoir été partiellement préservé, même si les fossés avaient peut-être déjà été en partie comblés dès l’abandon du site ; dans tous les cas, la dépression générée par le tassement des sédiments, en surface des fossés, devait permettre de localiser sans problème les vestiges de l’ancien enclos. Par ailleurs, à Meaux, S. Marion a émis l’hypothèse (in Couturier dir., 2005, p. 65) qu’un ou plusieurs trophées militaires aient été érigés avec les armes prélevées sur des équipements guerriers de la fin du ive s. ou du début du iiie s. av. n. è. La forme de ces hypothétiques amas d’armes, qui renverraient aux amoncellements mentionnés par César (cf. supra, 4.1.2.1), n’est pas connue ; les objets militaires, auxquels étaient peut-être mêlés d’autres artefacts, étaient-ils regroupés au sol ou sur des supports disparus, en bois voire en os, comme les « ossuaires » de Ribemont-sur-Ancre au iiie s. av. n. è., autour desquels ont été découvertes des pièces d’armement (Fercoq du Leslay, 2017, p. 95) ? L’interdit qui pesait sur les objets consacrés aux divinités des Gaulois (César, Guerre des Gaules, VI, 17) a pu contraindre les hommes à laisser en place certains aménagements ou dépôts anciens, qu’on ne pouvait toucher ni réparer (Brunaux, 2016, p. 343), ou du moins qu’on ne pouvait évacuer du site où ils avaient été introduits, après les avoir mutilés et répandus au sol ou enfouis dans des fosses ou des fossés (Van Andringa, 2019, p. 419). D’ailleurs, il est intéressant de noter que trois des quatre épandages de La Villeneuve-au-Châtelot, formés aux alentours du milieu du ier s. av. n. è. – alors que les plus anciens objets remontent à la fin du ive s. – (cf. supra, fig. 84, dépôts I à III), sont localisés en périphérie orientale de l’enclos palissadé fréquenté à partir de la seconde moitié de ce siècle : proviennent-ils d’un aménagement qui aurait été démonté pour laisser place à la nouvelle aire sacrée, qui en reprendrait alors l’emplacement exact ? Une partie du matériel métallique laténien d’Allonnes (S.9) et de Meaux (S.158), a priori piégée dans des niveaux de remblais du début de l’époque romaine, pourrait aussi provenir de trophées ou d’autres types d’aménagements détruits afin de pouvoir ériger un nouvel état du sanctuaire. À Aubigné-Racan, la présence de quelques tessons de La Tène finale, mêlés aux armes du second quart du iiie s. av. n. è., indique peut-être aussi que le démantèlement des structures où pouvaient être exposés ces objets a été relativement tardif.

42Qu’une interruption plus ou moins longue ait marqué ou non l’évolution des sanctuaires entre l’âge du Fer et l’époque romaine, les travaux mis en œuvre dès la seconde moitié du ier s. av. n. è. ou, au plus tard, dans le courant du ier s. de n. è., montrent souvent – du moins lorsque les vestiges des premiers états de l’époque romaine sont conservés – que le parti pris a été de transformer radicalement l’espace réservé aux rituels, ainsi que ses équipements. À Bennecourt, la construction, au plus tard à la fin du ier s. av. n. è. (ph. 2 ou 3), d’un probable péribole et de deux cellae et en terre et en bois, abritant des foyers servant sans doute d’autels, constitue ainsi un tournant dans l’histoire du site, autrefois doté d’un simple enclos, dont l’organisation interne est peu connue. À la même période, l’aire sacrée d’Allonnes (ph. 2) est désormais ceinturée par une clôture structurée par des poteaux de bois et accueille vraisemblablement un temple unique, qui sera par la suite agrandi, en étant reconstruit à deux reprises au même emplacement (ph. 3 et 4) ; au contraire, les vestiges du second âge du Fer paraissent se rapporter à des constructions multiples, de plan circulaire ou quadrangulaire, dont la chronologie n’est pas connue (cf. supra, 1.2.1). Si les aménagements antérieurs à la guerre des Gaules du sanctuaire de La Villeneuve-au-Châtelot n’ont pas été localisés avec certitude, l’érection d’une enceinte palissadée, durant les décennies qui ont suivi cette dernière, semble aussi avoir marqué un changement fondamental dans l’organisation spatiale du site. Au centre de cet espace, la découverte de fosses et de trous de poteau pourrait indiquer l’existence d’un premier temple en bois, sans certitude toutefois. Il est plus délicat de se prononcer sur les transformations opérées au cœur des enceintes fossoyées de Neuville-sur-Sarthe, dont la partie centrale a été en partie détruite lors de la construction du temple d’époque romaine ; dans tous les cas, que le sanctuaire de la période augustéenne succède ou non à un lieu de culte enclos plus ancien, de nouvelles limites fossoyées sont tracées pour accueillir les pratiques religieuses du début de l’époque romaine. Ces dernières ont probablement lieu au sein ou en périphérie d’un temple en bois et en terre, qui prendrait place au centre de l’enceinte, dans une zone où la mise au jour de foyers rappelle d’ailleurs les aménagements observés à Bennecourt (cf. supra, 1.1.2.2).

43Ainsi, dans les anciens lieux de rituels gaulois que l’on a reconstruits peu de temps après la conquête romaine, l’espace cultuel est rapidement redéfini afin d’être adapté à une nouvelle façon de pratiquer la religion : des temples et des autels, permettant de sacrifier par le feu, sont aménagés au sein d’espaces systématiquement clos par une enceinte, formée d’un talus et d’un fossé ou d’une palissade (cf. supra, 1.1.1.1 et 1.1.2.3 et infra, 5.2.2). Les individus en charge des travaux choisissent généralement de faire table rase des aménagements antérieurs, alors démantelés pour dégager l’espace nécessaire à la mise en place des nouvelles architectures. Pour autant, l’emplacement de l’ancien site est souvent conservé, voire intégré à l’aire sacrée définie à l’occasion : c’est sans doute le cas du petit enclos gaulois de Bennecourt, alors arasé, des enceintes de Neuville-sur-Sarthe, également remblayée, et peut-être d’un ancien aménagement, détruit, à La Villeneuve-au-Châtelot et à Aunou-sur-Orne. De même, en Corrèze, le premier état du sanctuaire de Tintignac, à Naves, est démoli et englobé dans le périmètre de la nouvelle aire sacrée au début du ier s. de n. è. (Maniquet, 2004, p. 28 et p. 41).

44L’observation de la stratigraphie du site de la Fermerie à Juvigné (S.36) met en évidence l’un des rares exemples de lieux de culte dont l’emprise est soigneusement préservée (Bossard et al., 2016, p. 26-28). Des sondages réalisés sur la façade orientale du péribole de l’époque romaine ont montré que le mur qui le constitue, construit au plus tôt durant le troisième quart du ier s. de n. è. et flanqué de part et d’autre d’une double galerie, a été bâti de manière à conserver la limite définie par le profond fossé, d’origine probablement gauloise, qui cernait jusqu’alors la cour du sanctuaire (fig. 281 et cf. supra, fig. 16 et 75). En effet, les fondations du mur entaillent le remplissage du fossé, alors partiellement comblé, jusqu’à atteindre le fond de ce dernier, à plus de 2,50 m de profondeur ; il en reprend ainsi le tracé, malgré les difficultés engendrées par de tels travaux. Le fossé et le talus adjacent, particulièrement imposants, ont donc manifestement continué de marquer l’emprise du lieu de culte au début de l’époque romaine et ce n’est que plus d’un siècle après la conquête césarienne qu’ils ont été détruits pour laisser place à un péribole maçonné. Ce dernier en fossilise le plan, du moins sur son côté oriental, et son aménagement témoigne de la volonté de conserver des limites anciennes de plusieurs générations. Ce phénomène, observé aussi à Ribemont-sur-Ancre (Somme) autour du changement d’ère, constitue cependant un cas de figure relativement isolé (Fercoq du Leslay, 2017, p. 215). Aucun indice ne permet d’envisager, par exemple, que l’enceinte polygonale de Baron-sur-Odon (S.279), dont le plan est particulièrement original, succède à un enclos laténien plus ancien, à l’exemple du péribole de forme elliptique du Champ des Fougères à Mandeure (Doubs), d’abord délimité par des enceintes en bois, puis en pierre (Nouvel et Thivet, 2019). Si quelques objets laténiens témoignent d’une fréquentation du site de Baron-sur-Odon durant le second âge du Fer, aucune information n’a pu être recueillie au sujet de sa structuration avant l’époque romaine, tandis que la nature de l’occupation est également incertaine (Bertin, 1977 ; Pillault et Parra-Prieto dir., 2016). Il faut d’ailleurs souligner le fait que l’enceinte polygonale de Vannes (S.278), édifiée en pierre à partir du second quart du iie s. de n. è. et, probablement, en matériaux périssables dès le courant du ier s. de n. è., a été fondée ex nihilo, puisqu’aucun aménagement gaulois de morphologie similaire n’a été reconnu sur ce site (Baillieu et Simon, 2000). On ne peut donc considérer, dans ce cas et peut-être à Baron-sur-Odon, que l’adoption d’un plan polygonal constitue un héritage du second âge du Fer et qu’elle traduit le choix de conserver un trait archaïque du sanctuaire.

Figure 281 : Coupe stratigraphique réalisée au niveau de la clôture du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), et restitution des structures maçonnées. 1 : substrat schisteux ; 2 : creusement du premier fossé ; 3 : creusement des tranchées de fondation des murs ; 4 : restitution du mur de péribole ; 5 : restitution des deux murs encadrant le péribole et délimitant une double galerie.

Figure 281 : Coupe stratigraphique réalisée au niveau de la clôture du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), et restitution des structures maçonnées. 1 : substrat schisteux ; 2 : creusement du premier fossé ; 3 : creusement des tranchées de fondation des murs ; 4 : restitution du mur de péribole ; 5 : restitution des deux murs encadrant le péribole et délimitant une double galerie.

D’après Bossard et al., 2016, p. 27, fig. 3.

45Outre les transformations qui ont lieu, après la conquête romaine, sur le plan architectural, l’analyse du mobilier recueilli sur ces sites témoigne également de profondes mutations du point de vue des pratiques rituelles (cf. supra, 2.3.2.1 et 2.3.2.2). En effet, les exemples évoqués ci-dessus illustrent le développement de nouveaux gestes à caractère religieux, que ce soit la stips – qui, si elle a pu avoir été pratiquée dès la fin du second âge du Fer, ne prend vraisemblablement de l’ampleur qu’à partir de la seconde moitié du ier s. av. n. è. (cf. supra, 2.2.3.1) –, le don d’offrandes par destination, telles les rouelles (cf. supra, 2.2.2.3), ou encore la quasi-disparition des dépôts d’armes (cf. supra, 2.2.3.3). La multiplication des foyers au sein des aires sacrées, déjà évoquée, laisse aussi transparaître une évolution des pratiques notamment sacrificielles. En bref, la refondation des espaces cérémoniels gaulois qui avaient survécu à la conquête romaine, ou d’anciens lieux de rituels abandonnés depuis plusieurs générations, constitue un moment de rupture plutôt que de continuité religieuse : les pratiques comme leur cadre spatial sont reformulés, bien que le respect de l’emplacement de l’ancien site, et parfois même de ses contours, traduise la volonté de créer un lien évident entre le passé et le culte alors mis en place ou bien redéfini (Van Andringa, 2017a, p. 91-108 ; cf. infra, 5.2.2).

46Si le statut de certains lieux de culte d’origine gauloise ne peut être défini, il ne fait pas de doute que d’autres ont été élevés au rang des sacra publica des cités de Lyonnaise – probablement à Juvigné, Saint-Jean-Trolimon ou Neuville-sur-Sarthe, par exemple (cf. supra, chapitre 3). Une partie d’entre eux, telles les installations cultuelles monumentales de Meaux, d’Allonnes ou de Jublains, situées en périphérie de chefs-lieux, rassemble même de grands sanctuaires civiques, figurant parmi les plus imposants lieux de culte du paysage religieux des cités et sans doute consacrés à une divinité majeure des panthéons publics (cf. supra, 3.1.2.4). L’évolution de certains sanctuaires, implantés dès les premières décennies du Haut-Empire à l’emplacement d’espaces cérémoniels préexistants, montre donc que les communautés civiques, en Lyonnaise comme dans d’autres régions de l’empire romain (Scheid, 2006, p. 444 ; Bertrand, 2015, p. 105-112 ; Hošek, 2020), ont parfois choisi des lieux chargés d’histoire pluriséculaire, pouvant tirer leurs origines de la fin de La Tène ancienne ou de La Tène moyenne, pour asseoir des cultes publics majeurs. Le prestige attaché à certains espaces cultuels traditionnels, d’une certaine ampleur et dont le souvenir était ancré dans la mémoire collective, a donc été récupéré et mis à profit lors de la création des panthéons civiques et de la carte des sanctuaires publics (cf. infra, 5.2 et 5.3). Il est alors probable que des divinités ancestrales aient été forgées au début de l’époque romaine, notamment par les représentants des cités lors du processus de municipalisation, en s’appuyant sur les cultes antérieurs, remodelés pour être adaptés au cadre imposé par l’adoption de nouvelles pratiques religieuses. Les données manquent souvent, toutefois, pour définir l’identité et les compétences des personnages divins résidant dans les temples dressés à l’emplacement des anciens sanctuaires, constituant désormais des lieux de mémoire. À ce titre, seul l’exemple de la Forêterie, à Allonnes, peut alimenter la réflexion : le dieu Mars Mullo, qui y est honoré dès la période julio-claudienne, a pu avoir été créé à partir d’un ancien dieu gaulois, Mullo, dont la large diffusion laisse penser qu’il constituait l’une des grandes divinités de l’ouest des Gaules (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 308-310 ; Bérard, 2006 ; Van Andringa, 2017a, p. 205-208). On ignore toutefois si l’ensemble des lieux de culte pourvus d’origines gauloises a accueilli le culte, durant l’époque romaine, d’une divinité interprétée, à l’exemple de Mars Mullo. Cependant, ce même dieu a pu avoir été vénéré à Juvigné, si l’on admet que l’une des contremarques propres à ce site, apposée sur des monnaies du début du Haut-Empire et associant les caractères « mv » ligaturées, fait bien référence aux premières lettres de son nom, bien que cette hypothèse s’appuie sur des arguments fragiles (G. Aubin et J. Meissonnier, in Bossard et al., 2016, p. 34).

47D’autres lieux de culte, bien plus modestes durant l’époque romaine – à Aunou-sur-Orne et, peut-être, à Plouër-sur-Rance (cf. infra, 4.2.3) –, plongent aussi leurs racines dans un lieu de rituels du second âge du Fer. Dans ce cas, il est probable qu’il s’agisse, dès la période gauloise, d’espaces cérémoniels dont l’envergure et le rayonnement étaient limités, ou dont la gestion était assurée par des aristocrates, dont les descendants auraient souhaité honorer la mémoire à titre privé. Pour autant, il est encore difficile d’évaluer le statut et la fréquentation des sanctuaires gaulois, même si certains d’entre eux semblent bien avoir été destinés aux besoins religieux de communautés réduites (cf. supra, 4.1.2.2). Ainsi, à Aunou-sur-Orne, les pratiques religieuses semblent avoir été d’ampleur limitée au cours du second âge du Fer : les armes recueillies, qui en constituent les témoins matériels les plus nombreux, appartiennent au minimum à une quinzaine ou à une vingtaine de panoplies militaires qui, étalées sur plus d’un siècle de fréquentation, ont pu avoir été déposées par quelques individus seulement (Lejars et Pernet, 2007 ; cf. supra, 2.2.3.3).

48Si certains sanctuaires, somme toute peu nombreux, ont indubitablement succédé à un lieu de rituels plus ancien, d’autres voies ont parfois été suivies par les communautés pour créer un lien avec le passé et ancrer leurs cultes dans des lieux de mémoire : il s’agit d’aires sacrées implantées au sein ou en bordure d’un ancien site majeur qui n’était pas jusqu’alors réservé exclusivement aux pratiques religieuses, que ce soit un habitat ou une nécropole.

4.2. Des lieux de mémoire implantés au sein d’anciens habitats ou de nécropoles ancestrales

4.2.1. Sanctuaires et habitats désertés

49Une douzaine de sanctuaires du Haut-Empire a été fondée à l’emplacement d’un habitat groupé ou rural occupé à la fin du second âge du Fer (cf. supra, fig. 268). Si cette position ne semble généralement pas avoir été fortuite, l’aménagement d’une aire sacrée au sein d’un ancien établissement gaulois ne doit pas être systématiquement interprété, pour autant, comme l’installation d’une divinité liée à un passé plus ou moins lointain.

50Ainsi, les sanctuaires que l’on a implantés au début de l’époque romaine au sein d’agglomérations d’origine gauloise ont très probablement été aménagés pour satisfaire les besoins religieux des communautés déjà présentes ou ayant récemment rejoint l’habitat groupé, qui est généralement réorganisé dès la période augustéenne. Par exemple, à Angers, chef-lieu des Andicaves, le site du Château (S.3) accueille dès le ier s. de n. è., au plus tard, un vraisemblable lieu de culte, sis à la pointe d’un éperon autrefois occupé par un oppidum, qui avait été fondé vers le second quart du ier s. av. n. è. Les travaux de terrassement entrepris dans ce secteur vers 15-10 av. n. è., probablement au moment où la ville acquiert le statut de chef-lieu des Andicaves et entame sa métamorphose, ont nécessité l’évacuation et la destruction d’un ancien quartier à vocation résidentielle et artisanale ; la position, dominante et à proximité du forum de la ville, a sans doute été jugée favorable pour l’érection d’un monument à vocation religieuse, qui ne présente alors aucune relation avec les aménagements antérieurs (cf. supra, 3.1.2.1 et fig. 181 ; Brodeur dir., 1997, vol. 2 ; Chevet et Pithon, 2015).

51De même, le lieu de culte des Châtelliers, à Amboise (S.237), est construit à partir des années 40-30 av. n. è., sur un terrain a priori non occupé par un sanctuaire préexistant et au centre d’un habitat fortifié (Laruaz, 2009, vol. 1, p. 119-121 et p. 124-144). Il est alors localisé au cœur d’un important site en pleine transformation : interprété comme l’ancienne capitale des Turons durant La Tène finale, l’oppidum est vraisemblablement relégué au rang d’agglomération secondaire au début de la période impériale, alors que Tours/Caesarodunum est placée à la tête de la civitas. L’édification de ce nouveau sanctuaire s’inscrit dans un programme global de réaménagement de l’habitat, dont la surface totale est alors réduite, tandis que de nouvelles formes urbaines sont déployées sur le plateau, encore ceinturé par le rempart d’origine gauloise (cf. supra, 3.1.3.1 et fig. 207).

52Une situation analogue pourrait expliquer la présence d’un temple identifié en prospection aérienne à Chênehutte-les-Tuffeaux, sur le site du Camp des Romains (S.5). L’agglomération secondaire antique a été bâtie pour partie à l’intérieur d’une enceinte fortifiée de 7,5 ha, vraisemblablement mise en place dès La Tène finale (Monteil, 2012, vol. II, p. 232-234). Le bâtiment de culte qui y a été reconnu, dont la datation n’a pas été déterminée, a pu avoir été rattaché à l’un des principaux sanctuaires de l’agglomération antique, mais on ne peut affirmer qu’il succède à un lieu de rituels antérieur (cf. supra, 3.1.3.1 et fig. 208). Enfin, à Oisseau-le-Petit, le sanctuaire des Busses (S.20), construit vers 40 de n. è., prend probablement place au sein ou en périphérie d’un quartier de l’ancienne agglomération ouverte laténienne, dont l’organisation et les limites sont encore peu connues, sans que l’on puisse pour autant lui reconnaître des origines gauloises, faute de vestiges caractéristiques (cf. supra, 3.1.3.4 et fig. 227 ; Monteil et al., 2015 ; Remy, 2016, p. 53-54).

53Deux autres lieux de culte ont été implantés au sein d’oppida vraisemblablement désertés après la conquête romaine ; leur aménagement est donc porteur d’un sens différent. À Orival (S.267), les ruines du temple du Câtelier ont été découvertes et explorées par L. de Vesly en 1901, dans la forêt de La Londe-Rouvray, sur un promontoire dominant un méandre de la Seine (Vesly, 1909, p. 78-83 et pl. VII ; Deglatigny, 1927). L’édifice de culte, de plan proche du carré, pourvu d’une cella centrale et d’une galerie périphérique, se caractérise par des dimensions moyennes (166 m²) ; sa construction n’a pu être datée – seule une monnaie du iiie s. et des débris de céramique « noirs ou plombaginés » y ont été recueillis. Il n’occupe pas le point culminant du site, mais a été aménagé sur l’une des terrasses créées près de son sommet, au sein d’un réseau complexe de lignes de fortifications, dont au moins une partie a été mise en place au cours de la Protohistoire (fig. 282). De fait, des sondages récemment réalisés au sommet du plateau du Câtelier ont montré que celui-ci a été occupé par un ensemble de bâtiments sur poteaux, mis en place dans le courant du ier s. av. n. è. et relevant sans doute d’un oppidum, fondé au cours de La Tène finale et fréquenté jusqu’au premier tiers du ier s. de n. è. Le temple, seul édifice maçonné formellement reconnu au sein de l’espace enclos – mais sa fouille est ancienne et n’a pas concerné ses abords –, est positionné dans l’angle nord-ouest d’une enceinte qui circonscrit le sommet du plateau et dont le talus est encore en élévation aujourd’hui. Cependant, du mobilier d’époque romaine – des tessons de céramique datés du ier au iiie s. de n. è., des restes métalliques et fauniques, des moellons de calcaire et de grès – ont aussi été récoltés au cours de prospections pédestres conduites en divers points du plateau, laissant supposer que l’occupation des lieux, probablement de faible densité, perdure durant le Haut-Empire, sous une forme mal définie (Basset dir., 2017, p. 16-18 et p. 250).

Figure 282 : Localisation du temple du Câtelier à Orival (Seine-Maritime) et vestiges des fortifications (en marron) et du mobilier antique (en rouge) identifié sur le promontoire.

Figure 282 : Localisation du temple du Câtelier à Orival (Seine-Maritime) et vestiges des fortifications (en marron) et du mobilier antique (en rouge) identifié sur le promontoire.

Réal. S. Bossard, d’après Basset (dir.), 2017, p. 17, fig. 5, sur fond IGN.

54Le site du Port, à Entrammes (S.31), est mieux documenté : dans les années 1970, un temple (A) et un bâtiment de plan barlong, doté d’une double galerie et de pavillons latéraux (B), ont été identifiés en prospection aérienne puis partiellement fouillés (Naveau, 1982 ; 2015). Également de plan centré et carré, le temple est de dimensions similaires à celui d’Orival (172 m²), mais ses murs sont simplement couverts d’un enduit blanc ; le bâtiment B, d’une surface remarquable (389 m²), a probablement servi à l’accueil des visiteurs et à la préparation et à la tenue de banquets ou d’autres cérémonies (cf. supra, 1.1.4.2). Ces deux édifices correspondent aux seuls aménagements de l’époque romaine identifiés dans le périmètre d’un ancien habitat fortifié gaulois, dont ils occupent le centre géométrique, même s’ils n’en sont pas au point le plus élevé (fig. 283). L’oppidum, occupé durant La Tène finale, couvre une surface minimale de 55 ha ; il est protégé par un rempart encore partiellement visible aujourd’hui, circonscrivant l’extrémité d’un plateau bordé par les vallées de la Mayenne et de la Jouanne. Dès la première moitié du ier s. de n. è., au plus tard, une modeste agglomération secondaire, qui en prend le relais, est fondée à quelques centaines de mètres vers l’est, à l’extérieur et en contrebas de l’ancien oppidum, alors abandonné. Développée essentiellement sur l’autre rive de la Jouanne, elle s’étire de part et d’autre d’une voie menant du Mans à Rennes – qui traverse d’ailleurs l’ancien oppidum en passant à une centaine de mètres au nord du sanctuaire –, sur une surface comprise entre 10 et 15 ha. De ce petit habitat aggloméré ont été fouillés des thermes publics, localisés dans ses quartiers orientaux, ainsi qu’un autre grand bâtiment – également public ? –, en bordure sud-ouest, et quelques habitations regroupées en rive droite de la Jouanne (Monteil, 2012, vol. II, p. 228-229).

Figure 283 : Vestiges du sanctuaire et de l’oppidum du Port à Entrammes (Mayenne), ainsi que de l’agglomération secondaire fondée en contrebas.

Figure 283 : Vestiges du sanctuaire et de l’oppidum du Port à Entrammes (Mayenne), ainsi que de l’agglomération secondaire fondée en contrebas.

Réal. S. Bossard, d’après Monteil, 2012, vol. II, p. 228, fig. 197, sur fond IGN.

55Les fouilles réalisées à Entrammes ont montré que le sanctuaire est fréquenté dès la fin du ier s. av. n. è. ou le début du ier s. de n. è. et, au minimum, jusqu’à la fin du ier s. ou le début du iie s. de n. è., comme en témoigne la découverte de céramique, de quatre fibules des premières décennies du Haut-Empire et de cinq monnaies – dont quatre sont gauloises et pourraient être résiduelles (Naveau, 1982, p. 26-27, p. 31, p. 36-37 et p. 40, pl. 7 et pl. 14 ; 2015). Les vestiges antérieurs à sa fondation se rattachent manifestement à l’occupation de l’oppidum de la fin de l’âge du Fer. En effet, une couche de terre argileuse préexiste à la construction des deux édifices maçonnés et contient plusieurs objets datés de la période gauloise. Par ailleurs, une grande fosse (ou un fossé ?), comblée en plusieurs étapes, a été partiellement fouillée sous la galerie orientale du bâtiment B. Le mobilier contenu dans la couche préromaine et dans le remplissage de la fosse – tessons de céramique laténienne et d’amphore italique, fragments de bracelet creux en alliage cuivreux, potin, débris de plaques foyères et déchets d’activités métallurgiques (possibles creusets, nodules de bronze fondu et scories) – renvoient à une occupation de la fin du iie s. et du ier s. av. n. La structure et le mobilier gaulois ne sont pas suffisamment caractéristiques pour déterminer la fonction des lieux avant l’implantation du sanctuaire d’époque romaine ; aucun argument ne plaide cependant en faveur d’une interprétation religieuse pour les vestiges antérieurs à la guerre des Gaules.

  • 81 P. Barral et P. Nouvel, dans le cadre de l’étude menée à l’échelle du centre-est de la Gaule, ont a (...)
  • 82 Les environs proches des deux bâtiments d’Entrammes n’ont certes pas été fouillés, mais aucun périb (...)

56Ainsi, ces deux lieux de culte ont vraisemblablement été fondés au sein d’un habitat groupé et fortifié déjà abandonné ou, éventuellement, en cours de destruction. Alors qu’à Entrammes, l’habitat n’a été déplacé que de quelques centaines de mètres, à Orival, l’agglomération antique la plus proche est probablement localisée à 4 km au sud, à l’emplacement du bourg actuel de Caudebec-lès-Elbeuf (Spiesser, 2018, vol. 1, p. 206-207). En l’état des connaissances, il est impossible d’affirmer qu’un lieu de rituels plus ancien, contemporain de l’occupation de l’oppidum, a précédé l’érection du sanctuaire du Haut-Empire. La création d’une aire sacrée, à Entrammes, semble d’ailleurs concomitante du transfert de l’agglomération, réaménagée à quelques centaines de mètres en bas d’un versant adjacent. Bien qu’aucun indice ne permette de déterminer l’identité de la divinité honorée dans chacun de ces deux temples, il est possible qu’il s’agisse, à tout le moins à Entrammes, d’une déesse ou d’un dieu liés à l’histoire de la communauté qui résidait au sein de l’oppidum et qui a vraisemblablement directement déménagé vers l’agglomération voisine au début de l’époque romaine. À l’instar d’autres sanctuaires répondant aux mêmes critères d’implantation – des édifices plus ou moins isolés au sein d’une ancienne agglomération laténienne fortifiée, délaissée au profit d’autres pôles après la conquête romaine –, reconnus dans le sud-est ou dans le centre-est des Gaules81, en particulier en territoire éduen, ces lieux de culte ont manifestement récupéré « un géosymbole mémoriel ou un lieu de mémoire, soit l’oppidum dans sa globalité » ; leur installation peut avoir traduit « le souhait d’établir une relation au passé, de légitimer le culte par cette relation et de participer par là à une (ré)appropriation de l’espace » (Golosetti, 2016, p. 382 ; cf. aussi Barral et Nouvel, 2019, p. 59-65). La mise en place du culte, probablement créé de toutes pièces au début de l’époque romaine, assure la cohésion communautaire des habitants de la nouvelle agglomération, qui ont gardé le souvenir de l’ancien habitat et en honorent ainsi la mémoire. Au demeurant, à Entrammes, la position centrale du sanctuaire ne semble pas fortuite et la divinité qui y prend place semble ainsi accorder sa protection à l’ensemble de l’ancien habitat ; aucune limite ne paraît d’ailleurs avoir matérialisé les contours de l’aire sacrée aux abords du temple82. Ainsi que l’a proposé R. Golosetti pour plusieurs exemples provençaux, tels les sites du Castellar à Cadenet (Vaucluse) et de Saint-Michel-de-Valbonne à Hyères (Var), c’est l’enceinte circonscrivant l’habitat du second âge du Fer, encore en élévation, qui a pu marquer l’emprise du sanctuaire et servir ainsi de support à un discours mémoriel (Golosetti, 2016, p. 375-380).

57La question du statut de ces sanctuaires est difficile à résoudre. Tandis que les données manquent à Orival, la présence du grand bâtiment B, à Entrammes, témoigne d’une certaine ampleur et pourrait indiquer, avec toutes les réserves possibles, qu’il s’agit d’un lieu de culte public ; on ne peut toutefois écarter l’hypothèse d’une construction financée directement par un ou par plusieurs notables locaux, pour un culte avant tout destiné aux habitants de l’agglomération de bas de versant et qui pourrait être privé. La divinité honorée a pu présenter une dimension ethnique, à l’exemple de Dexiua au Castellar de Cadenet, ou bien correspondre à un grand dieu romain, tel Mercure à Cocheren (Moselle), Hières-sur-Amby (Isère) et Saulny (Moselle) [Golosetti, 2016, p. 372 ; Barral et Nouvel, 2019, p. 64].

58D’autres lieux de culte, également peu nombreux, ont été bâtis à l’emplacement ou en bordure immédiate d’un ancien établissement rural laténien ; la question d’un éventuel lien avec le passé doit aussi être posée pour ces sites. L’un d’entre eux a été récemment fouillé au Four à Chaux, sur la commune d’Hérouvillette (S.145) : une opération archéologique préventive a permis de documenter les différents états d’un lieu de culte de l’époque romaine (ph. 2 et 3), déjà décrits supra (3.2.3.3 et fig. 257), ainsi qu’un établissement enclos antérieur (ph. 1), fondé vers le début du iie s. av. n. è. (Veron dir., 2018, vol. 1, p. 98-156). Cette enceinte fossoyée, dotée d’un accès au nord-nord-ouest, se caractérise par un plan pentagonal ou hexagonal, dont une grande partie se prolonge hors des deux zones de la fouille (fig. 284). Son espace interne est occupé par un ensemble assez dense de structures en creux – des trous de poteau, relevant d’un ou de plusieurs bâtiments dont le plan ne peut être restitué, et de nombreuses fosses, dont plusieurs correspondent à des structures de stockage parallélépipédiques. À l’est de l’enceinte, le long du fossé, une inhumation tardive a livré un quinaire gaulois, monnaie dont la circulation est encore attestée durant la période augustéenne.

Figure 284 : Vestiges du vraisemblable établissement agricole gaulois du Four à Chaux à Hérouvillette (Calvados ; iie s. - ier s. av. n. è.), à l’emplacement duquel sera fondé un sanctuaire vers le début du ier s. de n. è.

Figure 284 : Vestiges du vraisemblable établissement agricole gaulois du Four à Chaux à Hérouvillette (Calvados ; iie s. - ier s. av. n. è.), à l’emplacement duquel sera fondé un sanctuaire vers le début du ier s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Veron (dir.), 2018, vol. 1, p. 99, fig. 25.

  • 83 À l’échelle régionale, signalons toutefois l’enclos de la Pièce du Pressoir à Mosles (Calvados), bi (...)

59Comme l’a souligné J. Veron, cet enclos, de même que le mobilier qui y a été mis au jour, présente les caractéristiques d’un établissement à vocation agricole, et non d’un sanctuaire laténien : l’enceinte, malgré son plan polygonal, peu fréquent dans la région83, trouve de nombreuses comparaisons en Plaine de Caen, du point de vue de ses dimensions, de son fossé relativement profond, ainsi que des structures qu’elle renferme – notamment les fosses de stockage (Lepaumier et al., 2011 ; Veron dir., 2018, vol. 1, p. 154). La fondation d’un sanctuaire en son cœur, peu de temps après son abandon, suggère néanmoins l’existence d’un éventuel lien entre les deux occupations, gauloise et romaine. L’intervalle qui sépare le remblaiement des structures en creux de l’établissement, daté du troisième quart du ier s. av. n. è., et la construction des premiers édifices maçonnés, dans le courant du ier s. de n. è., est cependant peu documenté. Aucun aménagement de la période augustéenne n’a en effet été reconnu, mais le mobilier produit aux alentours du changement d’ère est bien présent, en particulier dans les niveaux d’abandon du site gaulois, dans la dépression formée au sommet du comblement du fossé d’enceinte et dans le remplissage de structures plus tardives. Bien que rare, la présence de céramique d’époque augustéenne est avérée et plusieurs monnaies et fibules caractéristiques de cette période ont aussi pu avoir été déposées – ou perdues – durant ces décennies, à moins d’envisager qu’elles n’aient été introduites au sein du lieu de culte que des années plus tard. Il est ainsi possible que le sanctuaire ait été fondé dès la fin du ier s. av. n. è. (Veron dir., 2018, vol. 1, p. 155-156 et vol. 2, p. 189-191). Quoi qu’il en soit, on ignore tout des raisons qui ont pu conduire à installer le lieu de culte à l’intérieur même de l’ancienne enceinte ; ce dernier n’est a priori pas isolé et pourrait être rattaché à un hameau ou, éventuellement, à des dépendances (cf. supra, 3.2.3.3), mais on ne peut dire si les individus qui ont pu résider aux abords du péribole au début de l’époque romaine sont les descendants de la famille qui possédait l’établissement rural enclos durant La Tène finale, souhaitant ainsi créer une relation avec le passé en établissant un lieu de culte privé à l’emplacement de l’ancienne résidence, ou si les deux occupations successives sont dépourvues de tout lien. Le lieu de culte, considérablement agrandi vers le début du iie s. de n. è., est cependant resté fréquenté jusqu’au ive s. et se caractérise ainsi par une longévité remarquable.

60À Plouër-sur-Rance (S.137), un modeste sanctuaire de l’époque romaine a pu être identifié grâce à la découverte, entre autres, de débris issus de soixante-dix figurines en terre cuite (cf. supra, 2.2.2.1), tandis que son organisation spatiale demeure peu connue (Menez dir., 1996, p. 35-43, p. 66-74 et p. 78-79). Un ou deux bâtiments en terre et en bois, construits en plusieurs étapes et dont l’un, au moins, correspond probablement à un petit temple, prennent place au sein d’un enclos fossoyé ; celui-ci a vraisemblablement été aménagé dès la fin de l’âge du Fer, durant La Tène finale ou moyenne, en périphérie septentrionale d’un grand établissement agricole (fig. 285). Toutefois, la vocation religieuse de cet espace enclos n’est pas avérée avant le début de l’époque romaine ; le mobilier daté de l’âge du Fer qui y a été découvert (tessons de céramique, deux fibules et possibles restes fauniques) pourrait avoir été introduit dans le cadre de pratiques rituelles gauloises, mais aucun argument décisif ne permet de l’assurer.

Figure 285 : Vestiges de l’établissement rural du Boisanne à Plouër-sur-Rance (Côtes-d’Armor) et de son possible sanctuaire durant La Tène finale.

Figure 285 : Vestiges de l’établissement rural du Boisanne à Plouër-sur-Rance (Côtes-d’Armor) et de son possible sanctuaire durant La Tène finale.

Réal. S. Bossard, d’après Menez (dir.), 1996, p. 191, fig. 163.

61Il est néanmoins raisonnable d’envisager qu’un lien organique a existé entre ce petit lieu de culte rural et l’établissement agricole laténien voisin. Si l’on considère que sa fondation est bien datée de la fin de l’âge du Fer, il a alors pu avoir été fréquenté par la communauté résidant au sein de l’habitat clôturé adjacent, dont il constituerait une dépendance. Quoi qu’il en soit, l’établissement agricole est abandonné avant la fin du ier s. av. n. è., alors qu’il ne fait pas de doute que le sanctuaire a été actif durant le ier s. et, peut-être, au début du iie s. de n. è. Il semble alors plausible que la mémoire de l’établissement déserté, ou de ses anciens propriétaires, ait été honorée en son sein. En outre, si sa fréquentation est bien contemporaine d’une probable villa installée à moins de 400 m plus au nord (cf. supra, 3.2.3.5), il pourrait s’agir d’un lieu de culte privé rattaché à cette dernière, où les descendants de la famille qui possédait autrefois la grande ferme gauloise, possibles maîtres du nouvel habitat, pourraient avoir commémoré le souvenir de leurs ancêtres (Menez dir., 1996, p. 194).

62Il reste enfin à évoquer deux autres espaces cultuels installés au sein d’anciens établissements ruraux de grande ampleur, composés d’enclos multiples et délimités par de profonds fossés. Les données recueillies à Rosporden (S.178) apportent peu d’éléments à la réflexion, étant donné que le site n’a fait l’objet que d’un diagnostic archéologique (Pouille, 2006a et b). Le sanctuaire d’époque romaine, de dimensions modestes malgré la présence d’un triportique, relève d’un établissement plus vaste, ceinturé par une enceinte maçonnée, qui s’apparente à une villa, dont la partie résidentielle n’aurait pas été formellement identifiée (cf. supra, 3.2.2.1). Il est alors probable que le système d’enclos fossoyés antérieur, d’origine gauloise et dont le remblaiement s’est achevé, au plus tôt, durant le ier s. de n. è., ait relevé d’un important habitat antérieur (fig. 286). Dans ce cas, la villa et son lieu de culte privé auraient alors succédé – sans hiatus ? – à un établissement aristocratique plus ancien, très peu documenté ; aucun vestige n’indique qu’un sanctuaire aurait pu y exister dès le second âge du Fer.

Figure 286 : Vestiges des époques gauloise et romaine du vraisemblable établissement rural de la Grande Boissière à Rosporden (Finistère) et de son sanctuaire.

Figure 286 : Vestiges des époques gauloise et romaine du vraisemblable établissement rural de la Grande Boissière à Rosporden (Finistère) et de son sanctuaire.

Réal. S. Bossard, d’après Pouille, 2006b, fig. 5.

63De même, à Bauné (S.4), les possibilités d’interprétation des vestiges sont limitées par l’emprise réduite de la fouille, puisque seule la moitié nord-est d’un établissement laténien, auquel succède un enclos renfermant au moins un temple, y a été étudiée (Mare dir., 1995). Le lieu de culte, fondé à la fin du ier s. av. n. è. ou au début du ier s. de n. è., prend place dans une enceinte circonscrite par un imposant fossé (cf. supra, 1.1.1.1), qui semble avoir pérennisé un enclos plus ancien, daté de La Tène finale (fig. 287). En effet, l’enceinte constitue l’extrémité occidentale d’un alignement de trois enclos, suivant une configuration bien connue en contexte d’habitat rural de la fin du second âge du Fer ; il semble alors plausible de considérer que le sanctuaire réinvestit un espace préexistant, soit le cœur d’un important établissement gaulois, abandonné dans le courant du ier s. av. n. è. On ne sait si le temple, bâti aux alentours du changement d’ère, sous la forme d’une simple cella, puis doté d’une galerie périphérique vers le second quart du ier s. de n. è., constitue l’unique édifice rattaché à l’espace cultuel. L’angle d’un bâtiment adjacent a été repéré en limite de la zone de fouille, mais aucun indice ne permet d’en déterminer la fonction : s’agit-il d’un autre temple ou d’une habitation, auquel cas le sanctuaire aurait été aménagé dans l’enceinte même d’un nouvel habitat (cf. supra, 3.2.2.2) ? Durant l’époque romaine, si les deux enclos orientaux n’ont pas été conservés dans la nouvelle configuration du site, un autre bâtiment maçonné, situé à 40 m à l’est de l’enceinte fossoyée, pourrait effectivement constituer l’une des dépendances d’une petite villa, dont la pars urbana aurait été installée au sein de l’enclos résidentiel, alors réaménagé, de l’ancien établissement gaulois.

Figure 287 : Évolution de l’établissement rural (?) du Haut Soulage à Bauné (Maine-et-Loire), de la fin de l’âge du Fer à l’époque romaine.

Figure 287 : Évolution de l’établissement rural (?) du Haut Soulage à Bauné (Maine-et-Loire), de la fin de l’âge du Fer à l’époque romaine.

Réal. S. Bossard, d’après Mare (dir.), 1995, pl. 11.

64Ainsi, à Rosporden comme à Bauné, l’aménagement d’un sanctuaire à l’emplacement d’un ancien enclos laténien s’inscrit visiblement dans le programme de reconstruction plus vaste d’un habitat rural, fondé durant la période gauloise et restructuré dans le courant du Haut-Empire. Il n’est pas certain qu’un lieu de rituels ait existé au sein de l’établissement de La Tène finale ; la construction du ou des temples a pu avoir lieu à l’époque romaine, alors que le propriétaire de l’habitat souhaitait pourvoir sa villa ou son importante ferme d’un lieu de culte (cf. supra, 3.2.2). Dans ce cas, il ne s’agirait alors pas de lieux de mémoire, mais de sanctuaires privés apparus plus ou moins tardivement dans l’histoire de ces établissements ruraux.

65Ces différents exemples de sanctuaires succédant à un habitat rural ou groupé de la fin du second âge du Fer montrent bien qu’il est indispensable de tenir compte de l’histoire locale, du statut du site et de son environnement proche pour déterminer les relations qu’ils ont pu entretenir avec un passé souvent peu lointain, car antérieur, tout au plus, d’une ou de deux générations à leur fondation. Certains cultes, privés ou publics, ont sans doute été volontairement instaurés au sein de lieux de mémoire, pour créer un lien évident avec le passé d’une communauté établie dans les environs. D’autres, qui ont pu avoir été assurés par une famille d’aristocrates, ont été mis en place au sein même ou en périphérie d’un important établissement rural que ces derniers possèdent. Ces propriétaires terriens descendent peut-être d’individus qui y étaient installés au cours de La Tène finale et, en y aménageant un ou plusieurs temples, ils ont pu honorer la mémoire de leurs ancêtres à travers le culte d’une divinité. L’identité des personnages divins auquel un culte est rendu dans ces différents sanctuaires n’est néanmoins jamais connue et on ne peut donc comprendre les liens qui les unissaient au passé. En outre, l’examen des pratiques rituelles qui y ont eu lieu n’apporte guère d’information significative, puisque le mobilier identifié dans ces aires sacrées est en tout point similaire à celui que l’on retrouve dans d’autres sanctuaires.

66D’autres lieux de culte, qu’ils soient associés ou non à un habitat, ont pris place au sein d’anciennes nécropoles et leur étude révèle d’autres liens particuliers avec un passé qui, selon toute vraisemblance, a parfois été réinventé.

4.2.2. Des divinités parmi les ancêtres : lieux de culte et nécropoles

67Certaines opérations de fouille ont révélé l’existence d’une ou de quelques sépultures isolées et antérieures de plusieurs siècles à la fondation d’un sanctuaire, incluses dans son emprise ou situées dans ses environs proches ; leur apparence a priori non monumentale permet de supposer qu’elles n’étaient plus visibles au début de l’époque romaine. Deux sépultures à crémation de la fin de l’âge du Bronze final ont ainsi été signalées à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 ; Piette, 2018, p. 172), tandis que l’aménagement d’une modeste sépulture double, datée entre le ive s. et le iie s. av. n. è., a précédé la création de l’aire sacrée de Val-de-Reuil (S.269 ; Lukas dir., 2014, p. 66) ; pour ces exemples, il est probable que la présence de structures funéraires n’ait en rien déterminé l’emplacement du lieu de culte antique.

68En revanche, dans d’autres cas, des architectures tumulaires monumentales de la fin de la Préhistoire ou de la Protohistoire, bâties en terre ou en pierre et abandonnées depuis un intervalle plus ou moins long, ont laissé des traces évidentes dans le paysage, sans doute encore perceptibles à la fin de l’âge du Fer et au début du Haut-Empire, au moment de l’implantation d’un sanctuaire à leurs abords ou sur leurs flancs mêmes. Il faut alors s’interroger sur les liens établis entre les anciennes tombes, leurs occupants et les communautés qui décident d’y installer le culte d’une ou de plusieurs divinités.

69À ce titre, l’exemple du site de Kergroaz à Paule (S.172), récemment publié, est l’un des mieux documentés (Menez et al., 2021). Probablement au cours de la dernière décennie avant le changement d’ère (ph. 1), un vaste enclos (environ 8 400 m²), délimité par des fossés et par une clôture de bois, est fondé à l’emplacement d’une ancienne nécropole de l’âge du Bronze moyen ; il englobe notamment deux grands tumuli d’une trentaine de mètres de diamètre, qui devaient alors former deux buttes encore conservées sur près de 2 m de haut (fig. 288). L’espace interne de l’enclos est divisé en deux parties par un fossé médian, chacune d’entre elles intégrant l’un des deux monuments funéraires. L’essentiel des aménagements et du mobilier lié aux rituels paraît avoir été concentré autour du tumulus oriental, voire en surface même de son tertre, bien que la moitié occidentale de l’enclos soit moins bien connue. Dès la création du lieu de culte, des monnaies et des fibules y sont effectivement déposées, en particulier au sein d’un probable tronc à offrandes, installé sur son flanc ; à proximité, se dresse vraisemblablement un bâtiment en matériaux périssables (A), dont le plan et l’élévation restent mal connus, qui pourrait éventuellement correspondre à une première cella (cf. supra, 1.1.2.1, type A1 et 2.1.2.1). Puis, à partir du dernier tiers du ier s. de n. è. (ph. 2), le sanctuaire est réaménagé : une nouvelle cella, aux murs maçonnés (B), est implantée à une dizaine de mètres au nord-est du tumulus oriental, alors que l’aire sacrée est désormais délimitée par un muret et est sans doute accessible par un porche (C). Des structures de cuisson ou de combustion y sont utilisées jusqu’au iiie s., tandis que des monnaies et des figurines en terre cuite ont été introduites dans le temple B, probablement en guise d’offrandes, jusqu’à la même période.

Figure 288 : Évolution du sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor), installé à l’emplacement d’une ancienne nécropole tumulaire de l’âge du Bronze.

Figure 288 : Évolution du sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor), installé à l’emplacement d’une ancienne nécropole tumulaire de l’âge du Bronze.

Réal. S. Bossard, d’après Menez et al., 2021, p. 218, fig. 161.

70L’installation d’un sanctuaire à l’emplacement des deux monuments funéraires, autour desquels il s’organise dès sa fondation, n’est donc pas anodine. Selon W. Van Andringa (in Menez et al., 2021, p. 211), « l’intégration des deux tombes de l’âge du Bronze dans une enceinte indique bien un choix topographique spécifique, susceptible de favoriser le contact avec certains dieux ou un passé lointain et de participer à la définition d’un lieu sacré ». En outre, la mise en place de l’enclos est concomitante de l’abandon et de la destruction méthodique de l’habitat fortifié gaulois du Camp de Saint-Symphorien, dont les origines remontent au vie s. av. n. è. et qui était établi à quelques dizaines de mètres au nord-est de la nécropole tumulaire (fig. 289). De fait, cet établissement, qui a abrité plus de cinq siècles durant une lignée aristocratique dont les membres n’ont pu être identifiés, est abandonné durant la seconde moitié du ier s. av. n. è., tandis que seul un secteur demeure occupé aux alentours du changement d’ère, avant d’être lui aussi déserté. Son démantèlement et la construction de l’espace cultuel ont donc lieu à un moment crucial de l’histoire politique de la cité des Osismes, lorsque s’organisent les cités des Gaules romaines et que les anciens propriétaires de la résidence gauloise s’investissent probablement dans l’administration du nouveau chef-lieu Vorgium, implanté à une dizaine de kilomètres. Le sanctuaire, étroitement associé à un ensemble de structures funéraires que l’on a pu percevoir comme les tombeaux des ancêtres mythiques de la famille aristocratique, a dû être fondé à l’initiative de cette dernière, afin de légitimer son pouvoir : « l’établissement d’un culte funéraire permettait de faire valoir l’ancestralité et donc le caractère vénérable d’un clan, à un moment très sensible de profondes mutations politiques et sociales ». Ainsi, ces évènements sont sans doute liés à la volonté de « préserver la mémoire du lieu et de la lignée par la fondation d’un lieu de culte installé sur deux tombes de l’âge du Bronze qui marquaient le paysage depuis toujours et donc parfaitement adaptées à représenter l’ancrage ancestral de la lignée familiale de Paule » (W. Van Andringa, in Menez et al., 2021, p. 211).

Figure 289 : Le sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor) et son environnement durant le Haut-Empire.

Figure 289 : Le sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor) et son environnement durant le Haut-Empire.

Réal. S. Bossard, d’après Menez et al., 2021, p. 213, fig. 151 et p. 217, fig. 159, sur fond IGN.

71Le caractère modeste que l’espace cultuel a conservé tout au long de sa fréquentation, jusqu’au iiie s. de n. è., s’accorde en effet avec un statut sans doute privé. Du reste, durant l’époque romaine, il était placé le long d’une voie majeure de la cité, reliant Quimper à Saint-Brandan, et en position dominante, en haut du versant méridional d’une ligne de crête qui s’étend d’est en ouest ; ces critères, bien qu’ils n’aient sans doute été que secondaires par rapport à la présence d’une nécropole préexistante, ont contribué à rendre le sanctuaire visible et accessible, malgré son isolement apparent dans les campagnes du territoire osisme. Quant aux divinités qui étaient honorées dans ce lieu de mémoire, aucune inscription ne permet de les identifier ; il est cependant possible que « les mânes de grands personnages, masculins ou féminins, qui faisaient le lien entre deux époques et deux histoires », dieux collectifs et souterrains, y aient reçu un culte (W. Van Andringa, in Menez et al., 2021, p. 212).

72L’implantation du lieu de culte de Paule au sein d’une ancienne nécropole ne constitue pas un cas isolé, bien que pour les autres exemples identifiés, les liens entre les architectures funéraires et les temples soient moins évidents. Ainsi, à Pussigny (S.244), le sanctuaire a été édifié en bordure sud-ouest d’une ancienne nécropole, composée au minimum d’une centaine de sépultures et fréquentée durant le Néolithique moyen et à la fin de l’âge du Bronze, soit vers 1200 av. n. è. (Coutelas dir., 2015, vol. 1, p. 143-144 ; Coutelas et Hauzeur, 2017, p. 79-82). Les vestiges de ce grand espace funéraire devaient être encore visibles au début de l’époque romaine : les structures du sanctuaire antique ne recoupent aucune de sépulture (cf. supra, fig. 256), qui pouvaient donc encore marquer le paysage lors de son implantation, notamment pour les plus monumentales. De fait, la totalité ou une partie des sépultures était vraisemblablement surmontée d’un tertre, dont le diamètre et la hauteur, sans doute variables d’un exemple à l’autre, sont difficilement restituables, en raison de l’arasement des niveaux archéologiques. Par ailleurs, le dolmen de la Pierre Levée, qui se dresse encore de nos jours à une centaine de mètres à l’est, relève très probablement de cette importante nécropole pré- et protohistorique, qui se prolonge sans doute au nord et à l’est de l’aire étudiée. Enfin, deux autres petits enclos funéraires carrés (8 m et 10 m de côté) sont également isolés à quelques mètres au sud du sanctuaire et auprès d’un ensemble de bâtiments installé à une cinquantaine de mètres plus à l’ouest ; ils sont quant à eux attribués au premier âge du Fer. Notons aussi que l’entrée du lieu de culte s’effectue probablement depuis l’ouest, configuration originale qui pourrait s’expliquer par la présence d’obstacles – en l’occurrence les vestiges des sépultures – qui auraient gêné la circulation à ses abords orientaux (cf. supra, 1.1.1.3).

73Contrairement au sanctuaire de Paule, l’implication de notables dans la construction du lieu de culte de Pussigny est difficilement démontrable. Il s’avère d’ailleurs difficile de définir le statut de cet espace cultuel associé, dès sa fondation au cours de la première moitié du ier s. de n. è., à un vraisemblable hameau, plutôt qu’à un ensemble de dépendances (cf. supra, 3.2.3.3). Est-il géré par une communauté rurale indépendante, ayant choisi d’installer l’une de ses divinités protectrices aux abords de son habitat et en limite d’un ancien espace funéraire, que l’on pensait alors avoir abrité de lointains ancêtres ? Encore une fois, l’absence de données relative à l’identité du titulaire divin du temple limite les possibilités d’interprétation. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas ici de relation patente, comme à Paule, entre une ou deux sépultures et le sanctuaire : celui-ci, bâti en périphérie de la nécropole, n’englobe aucune architecture funéraire en son sein.

74De même, il est permis de douter de l’importance, aux yeux de la communauté ou de l’individu fondateur d’un sanctuaire, d’un ensemble de sépultures préexistant, lorsque d’autres critères peuvent avoir motivé son implantation et que les anciens monuments funéraires ont été détruits à l’occasion des travaux liés à sa construction.

75Ainsi, à Genainville (S.260), un espace funéraire de l’âge du Fer, fréquenté entre le viiie s. et le iie s. av. n. è., a été aménagé au fond du vallon qui accueillera, sans doute à partir de l’époque augustéenne, le lieu de culte des Vaux de la Celle. D’abord doté de modestes équipements, accueillant des dépôts d’offrandes aux abords de bassins formés en surface d’une nappe phréatique affleurant (ph. 1), il est pourvu d’un premier temple maçonné vers le milieu du ier s. de n. è. (ph. 2), avant de recevoir des constructions monumentales, intégrées au cœur d’une agglomération et consacrées à un couple divin, après le milieu du iie s. (ph. 3 ; cf. supra, 3.1.3.1). Les limites de la nécropole protohistorique antérieure à sa fondation sont inconnues ; elle s’étend a minima sur une surface de 275 m² et comprend au moins cinquante-sept sépultures, essentiellement des inhumations. Les monuments funéraires associés se présentent sous la forme de tumulus composés de pierres calcaires, dont le mieux conservé mesure 5,40 m de diamètre. La mise au jour de mobilier céramique laténien indique que le site a continué d’être fréquenté à la toute fin de l’âge du Fer, après l’aménagement des sépultures les plus récentes. Notons aussi que dans la zone centrale du futur sanctuaire, un premier bassin, bordé de blocs de grès, semble avoir été mis en place pour capter la nappe phréatique durant la Protohistoire, peut-être dès l’âge du Bronze, d’après l’examen de tessons qui en proviennent (Mitard, 1993, p. 38-41 ; Vermeersch, 2012, p. 232 et p. 241-243 ; Lebrun et Vermeersch, 2017). Quoi qu’il en soit, cette zone sépulcrale a sans aucun doute été perturbée durant l’époque romaine, lors du développement du sanctuaire : plusieurs os ont été découverts en position secondaire, dans les couches antiques, et il est probable que les monuments funéraires aient été partiellement arasés avant que ne soient mis en place les niveaux de circulation de l’aire sacrée. En outre, si la présence d’une nécropole ancestrale a pu avoir présidé au choix de l’emplacement du sanctuaire à l’époque d’Auguste, ce facteur n’est a priori pas le seul à avoir été déterminant : la mise en scène de l’eau et son utilisation dans le cadre des cultes du Haut-Empire (cf. supra, 1.1.3.2), sans aucun doute publics, indique que la présence de l’élément aquatique a été prépondérante, alors que celle de monuments funéraires antérieurs, qui n’ont manifestement pas été conservés – mais dont le souvenir a pu toutefois perdurer –, paraît avoir été secondaire. Il est néanmoins possible, dans ce cas comme dans d’autres, que les critères à l’origine du choix de l’emplacement aient été multiples et complexes, liées à l’histoire de la communauté locale ou même de la cité des Véliocasses, s’appuyant sur l’élaboration de mythes ancrés dans certains points de son territoire pour établir les sanctuaires des divinités du panthéon civique.

76À Quimper (S.176), avant l’implantation d’un premier établissement enclos attribué à La Tène finale et le développement d’un grand sanctuaire au cours de l’époque romaine (cf. supra, 3.1.3.5 et 4.1.1), le versant sud du mont Frugy semble aussi avoir eu une vocation funéraire (Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 310-311 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 164-189 et p. 192-194). Les vestiges d’un petit enclos circulaire (5 m de diamètre), probable monument funéraire de l’âge du Bronze, ont ainsi été mis au jour dans la partie méridionale du futur sanctuaire. Par ailleurs, trois sépultures à crémation, datées du début du ve s. au début du iie s. av. n. è., ont été fouillées au cœur de l’aire sacrée antique, tandis que des tessons d’urnes cinéraires et un fragment de stèle ont été mis au jour, épars, dans les couches formées durant l’Antiquité. Rien n’indique que les éventuels marqueurs de surface des sépultures étaient encore en élévation lors de la fondation du sanctuaire et on peut aussi considérer que les deux occupations, à vocation funéraire puis religieuse, ont pris place sur le mont Frugy en raison de sa position dominante et de sa visibilité, sans que la présence de la première n’ait assuré un rôle capital lors de l’implantation de la seconde, d’ailleurs entreprise en marge d’une agglomération secondaire naissante.

77Les autres exemples sont moins bien renseignés. Le temple de Saint-Saëns (S.88) semble avoir été érigé à l’emplacement d’un monument funéraire ou d’une nécropole antérieure, probablement aménagée dès le Néolithique. En effet, à la fin du xixe s., G. Le Breton (1894, p. 274) signale avoir mis au jour, à la base de l’édifice de culte, de « petites chambres sépulcrales », dont le lit est recouvert de cendres, précédées d’un couloir étroit et édifiées à l’aide de blocs formant des caissons. Elles seraient recouvertes « d’un petit dôme ou calotte composée d’argile, de silex et de marne ». Ces structures, non relevées en plan, ont livré, ainsi que leurs environs, des petites haches en pierre polie, des pointes de flèche, des tessons de céramique peu cuite, un poinçon ou une épingle en os, des défenses de sanglier, des morceaux de bois brûlés, des outils et des éclats en silex, ainsi que des ossements humains. Le fouilleur a considéré, aussi, que la base des murs délimitant la galerie du temple matérialisait la bordure d’un tumulus préhistorique ; la description de ces divers aménagements est toutefois confuse et il convient donc de rester prudent quant à leur interprétation.

78La découverte effectuée lors de l’exploration ancienne d’un temple carré, pourvu d’une galerie périphérique, sur le site de la Roche du Vieux Garçon à Triguères (S.231) est encore plus singulière : la cella (environ 5,50 x 5 m), aurait été construite aux dimensions d’un dolmen qu’elle aurait abrité. Le monument mégalithique, démoli – comme les ruines du temple – quelques années après avoir été décrit par M. Boutet de Monvel (1863, p. 138-140 et pl. 5), aurait été constitué de trois gros blocs en grès exogène. Il s’agit bien d’un aménagement anthropique, étant donné que le grès est absent du substrat local, composé de craie blanche à silex. Pour autant, on ne sait s’il s’agit d’un monument néolithique, qui serait alors le seul aménagement préhistorique reconnu sur le site, ou bien si les blocs massifs ont été apportés durant la construction du temple, ou éventuellement après son abandon, pour des raisons que l’on ignore. Peu d’objets proviennent de l’édifice de culte et aucune donnée ne renseigne sa chronologie. Selon son inventeur, la maçonnerie formant les murs de la cella « supporte [l’ouvrage mégalithique] à l’ouest de façon à en déterminer l’inclinaison » (Boutet de Monvel, 1863, p. 139), mais on ignore si le mur est venu soutenir le monument préexistant afin de le consolider ou si ce dernier a été construit – en déplaçant une architecture préhistorique préexistante ? – en même temps que le temple pour être intégré à sa pièce centrale ; au demeurant, le relevé réalisé est trop imprécis pour appuyer une hypothèse ou l’autre. À notre connaissance, aucun autre monument mégalithique n’a été mis au jour au sein d’un temple des Gaules romaines et l’association observée à Triguères est donc tout à fait originale. Il est possible que le temple ait été volontairement bâti pour englober une architecture monumentale en pierre – dont l’usage funéraire était connu ? – que l’on aurait alors considéré comme la résidence d’une divinité, mais les lacunes documentaires sont trop importantes pour l’affirmer.

79L’édification des sanctuaires décrits a donc eu lieu, du moins pour les exemples les mieux documentés, à l’emplacement d’une nécropole bien plus ancienne, dont les vestiges devaient être en partie visibles, et que l’on associait probablement, dans la mémoire collective, à des sépultures ancestrales, voire à des divinités souterraines liées au monde des morts. Ainsi, contrairement aux temples bâtis à l’aplomb de tombes augustéennes, sur les sites d’En Chaplix à Avenches (canton de Vaud, Suisse), de Folly Lane à Saint-Albans (Hertfordshire, Royaume-Uni) ou de Nospelt à Goeblange (Luxembourg), par exemple (Castella, 2008 ; Metzler et Gaeng, 2009), l’instauration d’un culte funéraire n’est pas liée à la commémoration d’un ou de plusieurs individus, probablement issus de grandes familles d’origine gauloise et dont l’identité devait être connue de tous, mais à de lointains ancêtres, légitimant d’ailleurs, selon toute vraisemblance, le pouvoir d’une lignée osisme à Paule. À Genainville ou à Pussigny, comme pour plusieurs sites cultuels de Champagne (Barral et Nouvel, 2019, p. 52-55), c’est une importante nécropole, regroupant de nombreuses sépultures individuelles, qui a servi d’ancrage à une ou à plusieurs demeures divines dès le début du Haut-Empire ; pour autant, on ne peut affirmer qu’il existe un lien entre la ou les divinités honorées dans l’aire sacrée et les occupants des tombes. En effet, ici comme ailleurs, le recouvrement de certains ensembles funéraires préromains par un sanctuaire pourrait être fortuit et il importe donc d’évaluer – ce qui n’est certes pas toujours évident – l’élévation des monuments antérieurs au moment de la transformation de l’espace en aire sacrée pour déterminer s’ils ont pu avoir été dotés d’une valeur mémorielle déterminante ou non.

  • 84 Il est toutefois possible que de tels aménagements aient existé en territoire tricasse, notamment à (...)

80Alors qu’aucun temple, parmi les exemples étudiés, ne semble avoir été bâti au cœur d’une nécropole dont le développement serait contemporain de sa fréquentation84, un lieu de culte, fouillé sur un îlot de l’archipel des Ébihens, à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138), prend sans interruption le relai d’un espace funéraire de peu antérieur. Les premiers dépôts à caractère rituel (céramiques, monnaies, parures), recueillis en grande partie sur la plateforme orientale de l’îlot, qui est particulièrement exposé aux marées et aux vents, ont été datés de La Tène finale et des premières décennies du ier s. de n. è. (ph. 1), bien que l’essentiel des offrandes, notamment plusieurs dizaines de figurines en terre cuite, y ait été introduit à partir du troisième quart du ier s. de n. è. (ph. 2). Les structures associées aux deux moments du développement du site sont peu connues, à l’exception d’un petit groupe de sépultures, localisé à l’est de l’îlot, mis en place au cours de la première phase et scellé ensuite par un apport de sable (Bizien-Jaglin dir., 2004).

81La petite zone funéraire a été aménagée à quelques mètres au sud et en contrebas du plateau oriental de l’îlot. Elle occupe un espace bordé par le rocher naturel et par des blocs rapportés ; une partie de cet ensemble, au sud, a disparu sous l’effet de l’érosion marine (fig. 290). Les cinq sépultures à inhumation conservées ont été installées dans une couche de coquillages et de sédiments minéraux, formant le premier amas coquillier à avoir été mis en place sur le site. Elles sont associées à un grand foyer, probablement flanqué de deux trous de poteau et aménagé au nord de l’hémicycle ; il a pu servir dans le cadre de rites liés aux funérailles ou à des commémorations. L’analyse des os des défunts a montré qu’au sein de la sépulture triple et des quatre tombes individuelles, ont été inhumés quatre femmes, un ou deux hommes et un sujet de sexe indéterminé ; tous sont adultes et issus d’une même population, peut-être d’une même famille. Les objets piégés dans l’amas coquillier ou directement associés aux sépultures (tessons de céramique, bracelets en verre et métalliques, deux statères coriosolites postérieurs à la conquête) renvoient globalement à une datation homogène située à la fin de La Tène finale, probablement après la guerre des Gaules. Cependant, la nécropole est encore visitée alors que le sanctuaire se développe à proximité immédiate : 5 monnaies – émises entre la fin de la période gauloise et le règne de Claude –, 2 fragments de tegula et 14 tessons de la fin de l’âge du Fer et du ier s. de n. è. ont été découverts en surface de l’amas coquillier dans lequel les sépultures ont été creusées (Bizien-Jaglin dir., 2004, p. 11-16). Il est donc difficile de faire la part entre le mobilier qui renvoie aux prémices des activités religieuses, vraisemblablement liées à l’installation d’une divinité sur l’îlot au début de l’époque romaine, de celle des objets liés aux pratiques funéraires et commémoratives, qui ont pu se poursuivre en parallèle de la mise en place du modeste lieu de culte. Ainsi, ce dernier a été fondé, dans un cadre sans doute privé, aux abords d’une petite nécropole d’origine sans doute plus ancienne, rassemblant les tombes de quelques individus, qui résidaient probablement dans l’un des établissements contemporains reconnus sur l’île principale des Ébihens (fig. 290). Les raisons qui ont motivé l’implantation d’un petit espace funéraire puis d’un lieu de culte dans un endroit hostile et au contact de l’océan nous échappent, mais il semble probable que la présence du premier ait été déterminante pour le développement du second, qui a pu avoir été réservé à un culte funéraire et notamment celui des dieux mânes, représentant les individus après leur inhumation – comme l’a proposé W. Van Andringa pour le sanctuaire de Paule (cf. supra).

Figure 290 : Contexte d’implantation (a) et vestiges du site des Haches à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor) datés entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et les années 40-70 de n. è. (b) et entre ces dernières et la fin du ier s. ou le début du iie s. de n. è. (c).

Figure 290 : Contexte d’implantation (a) et vestiges du site des Haches à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor) datés entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et les années 40-70 de n. è. (b) et entre ces dernières et la fin du ier s. ou le début du iie s. de n. è. (c).

Réal. S. Bossard, d’après Bizien-Jaglin (dir.), 2004, p. 5, fig. 2, p. 10, fig. 1, p. 24, fig. 6 et p. 28, fig. 7 ; archives scientifiques du SRA de Bretagne.

82***

83L’analyse des vestiges antérieurs à la fondation des sanctuaires du Haut-Empire et, en particulier, des niveaux et des structures du second âge du Fer révèle donc une variété de configurations, témoignant de liens volontairement créés, ou parfois de superpositions fortuites, entre les espaces consacrés aux divinités et des aménagements plus anciens.

84Si seulement un cinquième, à peine, des lieux de culte étudiés a été bâti avec certitude à l’emplacement d’une occupation gauloise préexistante, il faut aussi prendre en considération la part élevée de sites qui n’ont pas été fouillés de manière extensive et dont les éventuels antécédents pourraient n’avoir pas été perçus. Certains enclos fossoyés, non datés, reconnus aux abords d’autres lieux de culte – telle l’enceinte à dominante curviligne observée en prospection aérienne à quelques mètres du temple de Loupfougères (S.37; Gautier et al., 2019, p. 269) ou le système d’enclos identifié par la même voie en périphérie septentrionale de l’espace cultuel d’Abbéville-la-Rivière (S.197; Besse, 2013) –, abritent peut-être les vestiges d’habitats qui auraient précédé, comme à Paule ou à Hérouvillette, l’établissement d’un culte inscrit dans une lecture mémorielle de l’espace.

85Il n’est pas toujours évident de prouver qu’une relation a bien existé entre l’occupation gauloise et le sanctuaire d’époque romaine, ni d’en déterminer le sens, en l’absence de document littéraire ou épigraphique décrivant la manière dont étaient perçus les témoins du passé ou bien renseignant le nom et les compétences de la divinité qui y a élu demeure. Dans le cas des lieux de rituels d’origine gauloise ayant laissé place au développement d’une nouvelle aire sacrée après la conquête césarienne, les données manquent souvent pour restituer avec toute la précision requise leur morphologie, les activités – collectives ou individuelles – qui y avaient lieu, ou encore leur évolution au fil du temps. L’examen des dossiers les mieux documentés révèle néanmoins que, dans la plupart des cas, de profonds changements ont transformé le lieu et les pratiques religieuses dès les décennies qui ont suivi la guerre des Gaules : la permanence d’un site à vocation cultuelle n’induit pas pour autant une continuité immuable des hommages rendus aux puissances divines. Au contraire, les espaces et les rites sont rapidement reformulés et les dévots s’adaptent aux mutations imposées par l’adoption de cultes nouveaux (cf. infra, 5.2). Pour autant, il n’est pas anodin de noter que la grande majorité des sanctuaires gaulois identifiés à ce jour a été réoccupée, parfois durant plusieurs siècles, par un lieu de culte au cours de l’époque romaine. Entre la fin du ier s. av. n. è. et les premières décennies du ier s. de n. è., l’armature religieuse de la fin du second âge du Fer a donc été transformée, plutôt que conservée telle quelle, pour accueillir les divinités forgées dans le cadre de la réorganisation des cités, mais aussi, pour certains cultes sans doute privés, de la formation de communautés plus réduites : « les espaces cultuels restent parce qu’ils fondent le patrimoine de tout groupe humain » (Van Andringa, 2017a, p. 91).

86Au cours d’un même processus, vraisemblablement amorcé peu ou prou au moment de la réorganisation politique et administrative des Gaules, les représentants de ces nouvelles communautés, de taille et de statut variés, ont aussi procédé à des choix particuliers, visant à sélectionner certains sites jugés essentiels pour l’histoire collective des individus qui les composent, et à les aménager afin qu’un culte y soit rendu à une ou à plusieurs divinités. Ces choix s’accompagnent parfois de l’élaboration d’un « passé remodelé, voire réinventé par le présent pour promouvoir l’identité du groupe et la cohésion sociale » (Golosetti, 2019b, p. 15). Dans un cadre privé, ces lieux de mémoire peuvent être liés à une résidence aristocratique ou aux tombeaux d’aïeux illustres ; à l’échelle de la cité, il peut s’agir d’antiques espaces cérémoniels, empreints d’une forte valeur mémorielle, ou peut-être d’agglomérations désertées, auxquelles est attachée une divinité qui en perdure le souvenir. La diversité morphologique des sanctuaires établis autour ou en bordure des vestiges d’une occupation antérieure montre bien que pour chaque site, on décide ou non de conserver et de mettre en valeur ces derniers pour servir de support à l’élaboration du culte.

87La recomposition du paysage religieux des cités naissantes de la Gaule Lyonnaise ne s’est pas seulement appuyée sur un réseau de sites plus anciens : d’autres sanctuaires, sans doute plus nombreux, ont été créés ex nihilo, aux rythmes impulsés par le déploiement progressif des habitats groupés et ruraux et de l’appropriation des territoires. Il faut alors embrasser plus largement l’ensemble des lieux de culte pour déterminer les principales composantes de l’armature religieuse des cités et identifier les étapes majeures de leur développement au cours du Haut-Empire.

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Notes

77 En revanche, les données sont insuffisantes pour qualifier avec toute la précision requise la nature de l’occupation laténienne, antérieure ou peut-être de peu postérieure à la guerre des Gaules, qui a précédé l’édification de 12 sanctuaires de l’époque romaine (Bossard, 2021, vol. I, p. 596-597).

78 Pour la notion de mémoire collective et de lieux de mémoire dans les sociétés antiques et, en particulier, des Gaules celtiques puis romaines, cf. Golosetti, 2019b.

79 À onze sites ayant aussi accueilli un sanctuaire durant l’époque romaine, s’ajoutent les deux enclos de Saumeray (Eure-et-Loir ; Hamon et Lejars, 2002) et, probablement, celui de Balloy (Seine-et-Marne ; Poyeton, Séguier, 1999 ; Poux, 2004, p. 422-425), abandonnés avant la conquête romaine et pour lesquels l’hypothèse religieuse semble plausible. Cette liste pourrait être complétée par le site du Moulin à Vent à Montchevrel (Orne), probable sanctuaire d’origine gauloise qui n’est pas évoqué ici, car il n’a été identifié qu’à partir de ramassages de surface qui ont livré, entre autres, plusieurs armes de facture laténienne et des dizaines de parures et de monnaies de la période gauloise et du Haut-Empire (Leclerc, 2003).

80 L’usage du terme civitas par César pour désigner les peuples gaulois et leur organisation a priori similaire à celle des cités méditerranéennes pourrait aussi impliquer l’existence d’une religion communautaire, intéressant l’ensemble des membres de la civitas et pourvue de son réseau de sanctuaires « publics » (Raepsaet-Charlier, 2015, p. 178-179).

81 P. Barral et P. Nouvel, dans le cadre de l’étude menée à l’échelle du centre-est de la Gaule, ont aussi inventorié d’autres configurations similaires en Picardie, en Lorraine, ou encore sur les territoires des Trévires ou des Arvernes (Barral et Nouvel, 2019, p. 56-65).

82 Les environs proches des deux bâtiments d’Entrammes n’ont certes pas été fouillés, mais aucun péribole n’a été identifié lors des survols aériens ; à Orival, la prudence s’impose, puisque l’exploration du site, sommaire, ne permet pas d’assurer qu’aucun péribole n’y a été aménagé.

83 À l’échelle régionale, signalons toutefois l’enclos de la Pièce du Pressoir à Mosles (Calvados), bien que plus ancien, car daté du ive s. av. n. è. (Marcigny et al., 1999).

84 Il est toutefois possible que de tels aménagements aient existé en territoire tricasse, notamment à Allibaudières et à Arcis-sur-Aube (Aube), mais les hypothétiques temples qui y ont été reconnus (Achard-Corompt et al., 2016, p. 38-39 ; Barral et Nouvel, 2019, p. 55) pourraient aussi être interprétés comme des monuments funéraires.

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Table des illustrations

Titre Figure 267 : Peuples gaulois cités par César et principales agglomérations de la fin de l’âge du Fer identifiées dans l’emprise du territoire étudié.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Fichtl, 2016b.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 721k
Titre Figure 268 : Antécédents de l’âge du Fer des sanctuaires du centre et de l’ouest de la Gaule Lyonnaise.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 708k
Titre Figure 269 : Principales caractéristiques des sanctuaires gaulois avérés ou possibles.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 808k
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 351k
Titre Figure 271 : Épandage de fragments d’objets laténiens, notamment d’armes métalliques, en cours de fouille dans une ancienne zone marécageuse à Aubigné-Racan (Sarthe).
Crédits Cliché Lambert (1994), in Raux et al. (dir.), 2015, p. 47, fig. 19.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 788k
Titre Figure 272 : Fibules en alliage cuivreux (1 et 2), pointe de flèche de type gréco-oriental en alliage cuivreux (3), perle tubulaire (?) en verre (4) et piton à oeillet en fer (5) provenant du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (Sarthe) et attribués à La Tène A (seconde moitié du ve s. av. n. è.).
Crédits In Brouquier-Reddé et Gruel (dir.), 2004, p. 299, fig. 11.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 130k
Titre Figure 273 : Éléments restaurés d’armes en fer provenant du sanctuaire des Grèves à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) et présentant des marques évidentes de dégradations.
Crédits In Baray (dir.), 2018, p. 231, fig. 2.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 563k
Titre Figure 274 : Objets laténiens enfouis au sein du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), entre la fin du iiie s. av. n. è. et le début du ier s. de n. è. : plaque foyère en terre cuite et lames d’épées en fer (a), statère de la série au personnage tenant un crochet (b), fragments de bracelets en verre (c) et céramiques (d ; en rouge et gris : enductions peintes).
Crédits Cliché S. Bossard, dessin et DAO S. Bossard, Y. Dufay-Garel et M. Queffurus.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 612k
Titre Figure 275 : Chronologie des sanctuaires gaulois, avérés ou possibles, qui ont été réaménagés au début du Haut-Empire.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 678k
Titre Figure 276 : Évolution du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (Sarthe), de l’âge du Fer au ier s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Gruel et Brouquier-Reddé (dir.), 2004, pl. II, fig. 7 ; Brouquier-Reddé et Gruel, 2015, p. 75-78, fig. 25-28.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 582k
Titre Figure 277 : Évolution du sanctuaire du Pré du Mesnil à Aunou-sur-Orne (Orne), de l’âge du Fer à l’époque romaine.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Lejars et Pernet, 2007, p. 109, fig. 1.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 265k
Titre Figure 278 : Évolution du sanctuaire de Parc ar Groas à Quimper (Finistère), de l’âge du Fer (?) au ier s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Nicolas et Villard (dir.), 2019, p. 193 et p. 196.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 369k
Titre Figure 279 : Répartition des fragments d’armes, des monnaies et des fibules dans les remblais accumulés à l’est du sanctuaire monumental de la Bauve à Meaux (Seine-et-Marne) au cours du ier s. de n. è. (cf. fig. 4-10a, zone a).
Crédits In Magnan, 2006, p. 186-187, fig. 12-13.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-13.jpg
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Titre Figure 280 : Évolution du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines), de l’âge du Fer au début du ier s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 12, fig. 2 ; p. 16, fig. 3 ; p. 37, fig. 24 ; p. 40, fig. 29.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-14.jpg
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Titre Figure 281 : Coupe stratigraphique réalisée au niveau de la clôture du sanctuaire de la Fermerie à Juvigné (Mayenne), et restitution des structures maçonnées. 1 : substrat schisteux ; 2 : creusement du premier fossé ; 3 : creusement des tranchées de fondation des murs ; 4 : restitution du mur de péribole ; 5 : restitution des deux murs encadrant le péribole et délimitant une double galerie.
Crédits D’après Bossard et al., 2016, p. 27, fig. 3.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-15.jpg
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Titre Figure 282 : Localisation du temple du Câtelier à Orival (Seine-Maritime) et vestiges des fortifications (en marron) et du mobilier antique (en rouge) identifié sur le promontoire.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Basset (dir.), 2017, p. 17, fig. 5, sur fond IGN.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-16.jpg
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Titre Figure 283 : Vestiges du sanctuaire et de l’oppidum du Port à Entrammes (Mayenne), ainsi que de l’agglomération secondaire fondée en contrebas.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Monteil, 2012, vol. II, p. 228, fig. 197, sur fond IGN.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-17.jpg
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Titre Figure 284 : Vestiges du vraisemblable établissement agricole gaulois du Four à Chaux à Hérouvillette (Calvados ; iie s. - ier s. av. n. è.), à l’emplacement duquel sera fondé un sanctuaire vers le début du ier s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Veron (dir.), 2018, vol. 1, p. 99, fig. 25.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-18.jpg
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Titre Figure 285 : Vestiges de l’établissement rural du Boisanne à Plouër-sur-Rance (Côtes-d’Armor) et de son possible sanctuaire durant La Tène finale.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Menez (dir.), 1996, p. 191, fig. 163.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-19.jpg
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Titre Figure 286 : Vestiges des époques gauloise et romaine du vraisemblable établissement rural de la Grande Boissière à Rosporden (Finistère) et de son sanctuaire.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Pouille, 2006b, fig. 5.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-20.jpg
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Titre Figure 287 : Évolution de l’établissement rural (?) du Haut Soulage à Bauné (Maine-et-Loire), de la fin de l’âge du Fer à l’époque romaine.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Mare (dir.), 1995, pl. 11.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-21.jpg
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Titre Figure 288 : Évolution du sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor), installé à l’emplacement d’une ancienne nécropole tumulaire de l’âge du Bronze.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Menez et al., 2021, p. 218, fig. 161.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-22.jpg
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Titre Figure 289 : Le sanctuaire de Kergroaz à Paule (Côtes-d’Armor) et son environnement durant le Haut-Empire.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Menez et al., 2021, p. 213, fig. 151 et p. 217, fig. 159, sur fond IGN.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-23.jpg
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Titre Figure 290 : Contexte d’implantation (a) et vestiges du site des Haches à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d’Armor) datés entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et les années 40-70 de n. è. (b) et entre ces dernières et la fin du ier s. ou le début du iie s. de n. è. (c).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bizien-Jaglin (dir.), 2004, p. 5, fig. 2, p. 10, fig. 1, p. 24, fig. 6 et p. 28, fig. 7 ; archives scientifiques du SRA de Bretagne.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10485/img-24.jpg
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Pour citer cet article

Référence papier

« Chapitre 4 – De l’âge du Fer à l’époque romaine : aux origines des sanctuaires »Revue archéologique de l'Ouest, Supplément 14 | -1, 425-459.

Référence électronique

« Chapitre 4 – De l’âge du Fer à l’époque romaine : aux origines des sanctuaires »Revue archéologique de l'Ouest [En ligne], Supplément 14 | 2024, mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rao/10485 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ppk

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