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Partie II – De la naissance à la fin des dieux : l’évolution du paysage religieux entre âge du Fer et Antiquité tardive

Chapitre 5 – Organisation et évolution de l’armature religieuse des cités au cours du Haut-Empire

p. 461-522

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Texte intégral

« Quelle cause a répandu parmi les grandes nations l’idée de la divinité, a rempli d’autels les villes, et fait instituer ces cérémonies solennelles dont l’éclat se déploie de nos jours pour de grandes occasions et dans des lieux illustres ? D’où vient encore aujourd’hui chez les mortels cette terreur qui, sur toute la terre, leur fait élever de nouveaux sanctuaires aux dieux, et les pousse à les remplir en foule aux jours de fête ? Il n’est pas si difficile d’en donner la raison. »
Lucrèce, De la nature, V, 1161-1168.

1Dans les cités des Gaules désormais placées sous le contrôle de Rome, le maillage de sanctuaires mis en place dès la seconde moitié du ier s. av. n. è., sur un substrat plus ancien, n’est pas resté figé au cours des siècles suivants. En témoignent les nombreux chantiers, étalés sur plus de trois siècles, que les hommes ont ouvert tant dans les villes que dans les campagnes pour bâtir, réaménager, agrandir ou embellir les espaces qu’ils partagent avec les dieux. Les rythmes auxquels se déploient les composantes des systèmes religieux, en particulier les sacra publica, cultes célébrés à titre public, ne peuvent être analysés sans tenir compte de l’évolution des civitates, qui en constituent le cadre institutionnel et politique de référence. En effet, le développement des sanctuaires gérés par les cités s’inscrit dans le processus de la municipalisation, engagé dès le principat d’Auguste et qui a mené à la transformation radicale, en plusieurs décennies, des organisations et des territoires civiques : les chefs-lieux des civitates, où siègent les autorités locales, ont été progressivement dotés d’une trame régulière, de constructions à la romaine et d’une parure monumentale, tandis que se développe sur le territoire associé, souvent vaste, un réseau hiérarchisé de routes et d’agglomérations dites secondaires, dont l’ampleur, les équipements et les activités sont très variables. Dans ce cadre en plein essor, les lieux de culte, ancrés dans l’espace et étroitement liés au caput civitatis, aux autres agglomérations, aux domaines ruraux voire aux confins des cités, contribuent également à structurer le territoire de ces dernières : l’expression d’« armature religieuse » prend alors tout son sens (Scheid et Polignac, 2010, p. 431).

2Il est donc évident que l’approche spatiale doit être croisée à la dimension temporelle pour tenter de comprendre comment le réseau de sanctuaires, publics et privés, a été établi, enrichi et consolidé au fil des siècles par les diverses communautés implantées dans le centre et l’ouest de la Lyonnaise. Après quelques réflexions d’ordre général sur la chronologie des espaces cultuels, trois grandes étapes, pour le Haut-Empire, retiendront notre attention : dans un premier temps, celle de la mise en place des civitates et des lieux de culte accueillant les nouvelles communautés intégrées au système civique, entre la fin du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è. ; puis celle, située entre le milieu du ier s. et la fin du iie s., des importants travaux de reconstruction, entrepris tant dans les villes que dans les campagnes, et de la monumentalisation de certains sanctuaires public ; enfin, l’apparente stabilisation de l’armature religieuse entre la fin du iie s. et le milieu du iiie s.

5.1. De la fondation à l’abandon : chronologie générale des sanctuaires

3L’examen de la chronologie générale des lieux de culte permet de distinguer plusieurs phases dans la mise en place et l’évolution du paysage religieux des cités centrales et occidentales de la Lyonnaise. Le décompte des sites occupés par demi-siècle en offre un premier aperçu ; parmi les 259 sanctuaires avérés de l’époque romaine, les données recueillies ne permettent cependant d’appréhender la chronologie que de 131 sites (soit 51 %), avec une précision toutefois variable d’un exemple à l’autre. Ainsi, pour 22 lieux de culte (8 %), les fossiles directeurs correspondent uniquement à des objets dépourvus de tout contexte stratigraphique, car collectés au cours de prospections pédestres, tandis que pour 59 autres sites à vocation religieuse (23 %), le mobilier étudié, issus d’opérations de sondages ou de fouille plus ou moins anciennes, n’est pas assez abondant – ou trop peu caractéristique – pour établir avec assurance la chronologie des vestiges et, en particulier, pour fixer les bornes inférieure et supérieure de l’occupation. Enfin, une datation relativement précise des occupations peut être proposée pour les 50 derniers espaces cultuels (20 %), à partir d’un examen stratigraphique des vestiges et de l’analyse, avant tout, du matériel céramique et de numéraire, auxquels s’ajoutent parfois d’autres types d’objets (en particulier des fibules). Il est important de garder en mémoire que l’on ne peut proposer qu’un terminus post quem plus ou moins précis pour chaque étape ayant marqué la vie d’un sanctuaire – construction, occupation, réfections, abandon et destruction – et que certaines dates proposées pourraient donc être antérieures de plusieurs années, voire décennies, à l’évènement considéré.

4Malgré la qualité fluctuante de ces données, les histogrammes et les cartes de répartition obtenus révèlent des résultats globalement similaires, que la datation des vestiges soit précise ou non (fig. 291 à 293). Les courbes traduisent dans tous les cas une augmentation progressive du nombre d’espaces cultuels fréquentés entre la seconde moitié du ier s. av. n. è. et le courant du iie s. de n. è. ; puis un déclin est amorcé dès la première moitié du iiie s. et s’accentue au cours du siècle suivant. Les tendances observées sont tout à fait analogues à celles qui ont été mises en évidence par Cl. Mitton (2008, p. 32, fig. 17) pour les civitates des Arvernes et des Vellaves et par S. Girond (2015, vol. 1, p. 193-194) pour celle des Bituriges Cubes, relevant toutes trois de la province voisine d’Aquitaine. Pour cette dernière cité, le pic des occupations est cependant atteint dès les premières décennies du iie s. de n. è. ; l’auteur, en s’appuyant sur les travaux de C. Gandini (2008, p. 132-133, fig. 36), a d’ailleurs souligné que l’évolution des sanctuaires est quasi parallèle à celle des habitats ruraux identifiés au sein du même territoire.

Figure 291 : Nombre de sanctuaires avérés occupés par demi-siècle, en fonction de la précision de leur datation.

Figure 291 : Nombre de sanctuaires avérés occupés par demi-siècle, en fonction de la précision de leur datation.

Réal. S. Bossard.

Figure 292 : Répartition spatiale des sanctuaires avérés par demi-siècle, du milieu du ier s. av. n. è. au milieu du iiie s. de n. è.

Figure 292 : Répartition spatiale des sanctuaires avérés par demi-siècle, du milieu du ier s. av. n. è. au milieu du iiie s. de n. è.

Réal. S. Bossard.

Figure 293 : Répartition spatiale des sanctuaires avérés par demi-siècle, du milieu du iiie s. au milieu du ve s. de n. è.

Figure 293 : Répartition spatiale des sanctuaires avérés par demi-siècle, du milieu du iiie s. au milieu du ve s. de n. è.

Réal. S. Bossard.

5La détermination du terminus post quem du début et de la fin de l’occupation des sanctuaires fournit des informations plus détaillées sur les rythmes de fondation et d’abandon qui ont cadencé l’évolution du paysage religieux des cités du centre et de l’ouest de la Lyonnaise (fig. 294). Il est encore une fois nécessaire de distinguer les sites associés à une documentation de qualité, autorisant une datation fiable des vestiges, de ceux pour lesquels les marqueurs chronologiques sont moins précis : cet exercice permet de constater d’évidentes disparités entre les deux courbes, qui trahissent en fait plusieurs difficultés d’ordre méthodologique.

Figure 294 : Nombre de sanctuaires fondés ou abandonnés par demi-siècle, en fonction de la précision de leur datation.

Figure 294 : Nombre de sanctuaires fondés ou abandonnés par demi-siècle, en fonction de la précision de leur datation.

Réal. S. Bossard.

  • 85 La fondation du sanctuaire a été considérée comme antérieure au milieu du ier s. av. n. è. lorsqu’i (...)

6L’évolution des sites datés avec précision est marquée par une intense période de fondation d’aires sacrées au cours du siècle qui a suivi la guerre des Gaules, tandis qu’assez rares sont les sanctuaires d’origine préromaine85 (cf. supra, 4.1.3). Puis, dès la seconde moitié du ier s. de n. è. et, surtout, au cours du iie s., on observe une nette raréfaction des nouvelles créations. En ce qui concerne l’abandon des lieux de culte, phénomène abordé plus en détail dans le chapitre suivant, notons dès à présent qu’il intervient de manière progressive entre le courant du iie s. et la fin du ive s., voire le début du ve s. pour de rares sites (cf. infra, chapitre 6).

  • 86 Les différents types de mobilier caractéristiques cette période charnière, étudiés d’une part par l (...)

7La prise en compte de la cinquantaine de sanctuaires pour lesquels la chronologie est plus incertaine révèle une évolution sensiblement différente. Le nombre de fondations attribuées à la seconde moitié du ier s. av. n. è. est ainsi bien plus faible ; néanmoins, les lots de mobilier provenant de ces sites n’ont souvent pas été étudiés de manière exhaustive, et les témoins d’une occupation précoce n’ont pas nécessairement été identifiés86. En outre, la datation du numéraire, tout particulièrement des monnaies de facture gauloise, pose problème : les émissions des deux derniers siècles avant notre ère sont souvent restées en circulation au début du Haut-Empire, parfois jusqu’au milieu du ier s. de n. è. (cf. supra, 2.2.3.1). Ainsi, les sites qui n’ont livré qu’une quantité peu importante de numéraire gaulois, tandis que les autres fossiles directeurs qui pourraient témoigner d’une occupation antérieure au changement d’ère sont a priori absents, ont été considérés par défaut comme fondés au cours de la première moitié du ier s. de n. è. ; il est toutefois probable qu’une part d’entre eux ait été aménagée dès la fin du ier s. av. n. è. Par ailleurs, pour ce même histogramme, la courbe des abandons montre que les sites délaissés après le milieu du ive s. sont plus rares pour les sanctuaires de datation imprécise. Si ces abandons globalement plus précoces peuvent s’expliquer par un matériel moins abondant et donc par l’absence des témoins les plus tardifs, qui n’auraient pas été conservés, prélevés ou identifiés, il faut aussi envisager d’autres facteurs, développés infra, pouvant fausser l’attribution chronologique (cf. infra, chapitre 6).

8Cependant, pour l’ensemble de ces sites, que le terminus post quem associé au début et à la fin de leur occupation soit précis ou non, les rythmes mis en évidence sont peu ou prou similaires et, au demeurant, ils coïncident globalement avec l’évolution du paysage religieux proposée pour d’autres cités des Gaules romaines (Mitton, 2008 ; Izri et Nouvel, 2011 ; Hostein et al., 2014 ; Girond, 2015, vol. 1, p. 193-198). Il est alors possible de distinguer trois grandes phases, au cours desquelles sont aménagés et se développent les sanctuaires publics et privés des cités du centre et de l’ouest de la Lyonnaise.

9Dans un premier temps, entre le milieu du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è., se met en place l’essentiel de l’armature religieuse : à la création d’une soixantaine de lieux de culte nouveaux, au moins, représentant plus de la moitié des sites dont la chronologie est connue, s’ajoute un groupe, minoritaire, de quelques sanctuaires d’origine laténienne, réaménagés au cours des décennies qui ont suivi la conquête romaine (cf. supra, 4.1.3). Cette vague de fondations et de reconstructions, accompagnée d’une reformulation des pratiques rituelles et de leur cadre architectural, doit être mise en perspective en définissant la place des activités religieuses au sein des mutations qui transforment, sur divers plans, les cités des Gaules romaines à partir du règne d’Auguste (cf. infra, 5.2). La période suivante, débutant au milieu du ier s. de n. è. et s’achevant vers la fin du iie s., se caractérise par un net ralentissement des créations, mais aussi par un temps fort de l’activité édilitaire, qui n’est d’ailleurs pas spécifique au domaine religieux : les espaces cultuels préexistants, qui continuent d’être fréquentés – à de rares exceptions près (fig. 291 et 294 et infra, 6.2.2.1) –, sont souvent réaménagés dans le cadre de travaux plus ou moins monumentaux (cf. infra, 5.3). Enfin, une troisième phase, couvrant la fin du iie s. et la première moitié du iiie s., est marquée par l’absence de nouvelles fondations, tandis que les témoins des activités religieuses tendent à se raréfier, malgré l’entretien, voire le réaménagement, de certains lieux de culte (cf. infra, 5.4). Il faut alors s’interroger sur le devenir des anciens sanctuaires demeurant en activité, avant que ne soit envisagée, dans le chapitre suivant, la question des abandons, qui progressent à partir de cette même phase.

5.2. Fabriquer du divin : la mise en place du paysage religieux des civitates (fin du ier s. av. n. è. - milieu du ier s. de n. è.)

10À l’issue des huit années de guerre menées contre les légions romaines, entre 58 et 51 av. n. è., les peuples gaulois, vaincus, sont intégrés au vaste espace gouverné par Rome. Cependant, dans ce nouveau cadre, la réorganisation et la transformation des territoires du centre et de l’ouest de la Lyonnaise n’ont pas été immédiates : elle se sont inscrites dans un processus long de plusieurs décennies, scandé par la création des provinces et par la municipalisation des cités, dès la première moitié du principat d’Auguste, puis par l’accession de ces dernières au droit latin – accordé, selon toute vraisemblance et ce de manière peut-être progressive, entre le règne de Claude (41-54) et le terme du ier s. de n. è. (cf. infra, 5.3.2.1). Que ce soit en matière de politique ou de religion, les cités, restées pérégrines durant la seconde moitié du ier s. av. n. è. et une partie du ier s. de n. è., ont donc bénéficié d’une certaine autonomie au cours de cette période de transition. Ainsi, il faut sans doute considérer que les décisions prises à l’égard des systèmes religieux par leurs dirigeants, en grande partie issus des anciennes familles aristocratiques gauloises, n’ont pas été les mêmes d’une civitas à l’autre, même si des échanges d’idées ont certainement eu lieu, notamment, lors des rassemblements annuels des délégués des cités des Trois Gaules à l’autel du Confluent, sanctuaire supra-municipal fondé en 12 av. n. è. à Lyon/Lugdunum et consacré aux cultes conjoints de Rome et d’Auguste (Van Andringa, 2017a, p. 35-41 et p. 190). Le degré de soumission des civitates à Rome, en fonction du statut plus ou moins coercitif imposé par le pouvoir romain après les conflits, et la diligence dont ont fait preuve certains sénats locaux pour transformer leur cité ont d’ailleurs contribué à accentuer les disparités (Van Andringa, 2015).

  • 87 Cette expression a été empruntée au titre d’un récent ouvrage collectif dirigé par N. Belayche et V (...)
  • 88 Tels les blocs du pilier des Nautes de Lutetia, dressé sous Tibère, ou peut-être les bases des stat (...)

11Quelle est la place des pratiques religieuses au sein du nouveau modèle de référence introduit par l’organisation des peuples en cités, et comment évoluent les sanctuaires et les rites qui y sont prescrits entre les années 50 av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è. ? Peut-on identifier l’empreinte des civitates en cours de réorganisation – ou d’autres acteurs – dans les mutations observées au sein des espaces cultuels au cours du siècle qui a suivi la guerre des Gaules, en ville comme dans les campagnes ? En d’autres mots, quels sont les témoins matériels de la fabrique du divin87 qui s’opère au sein des cités en voie de municipalisation ? Pour répondre à ces questions, on ne peut que regretter la quasi-absence de sources iconographiques et épigraphiques, flagrante pour l’aire géographique et la période considérée, à l’exception de rares documents88. Cette lacune prive la réflexion d’informations capitales, puisque l’univers mental des communautés humaines et leur perception du phénomène divin ne peuvent être appréhendés que de façon superficielle. Paradoxalement, le tableau que l’on peut peindre des premiers temps de la religion de ces cités est donc peuplé de divinités dont le profil ne peut être qu’à peine esquissé.

12Pour autant, les structures archéologiques, plus ou moins bien documentées, et les vestiges mobiliers, particulièrement abondants pour cette période (cf. supra, 2.3.2.2), ne sont pas muets : au contraire, leur étude est riche en enseignements à l’égard de l’histoire religieuse des groupes humains du début de l’époque romaine. Certes, comme pour la fin de l’âge du Fer (cf. supra, 4.1.2), les vestiges des plus anciens états des sanctuaires de l’époque romaine ont souvent été endommagés par les aménagements plus récents, d’autant plus que l’ensemble des sites fondés au cours de cette période continue d’être occupé et est même reconstruit au cours des décennies suivantes (cf. infra, 5.3). En outre, les matériaux utilisés pour bâtir les aires sacrées, encore dominés par la terre et le bois, n’ont généralement laissé que peu de traces et, dans la plupart des cas, les structures mises en place au cours de cette période ont été intégralement démontées ou remblayées pour laisser place, par la suite, à des architectures en pierre. Néanmoins, la multiplication des fouilles stratigraphiques, au cours des dernières décennies, a contribué à une meilleure connaissance des niveaux anciens. Elle a ainsi permis d’acquérir, en dépit d’un nombre encore limité de sites bien documentés, la matière nécessaire pour dresser un bilan, à l’échelle des cités concernées, des transformations opérées au sein des sanctuaires, tant sur le plan des architectures que des dépôts qui y sont réalisés.

5.2.1. Des sanctuaires et des dieux nouveaux pour des communautés émergentes

13L’identification d’une soixantaine de lieux de culte fondés, de façon certaine ou plus hypothétique, entre la guerre des Gaules et le milieu du ier s. de n. è., alors que seule une douzaine de sanctuaires laténiens a pu être reconnue dans la région considérée et que les créations plus tardives sont bien moins nombreuses (cf. supra, 5.1), montre que ces décennies ont été particulièrement favorables au développement de nouveaux espaces communautaires, aménagés par les hommes en l’honneur des divinités. S’il ne fait pas de doute que le déploiement d’aires sacrées est un phénomène global, qui touche à la fois les villes et les campagnes et qui est l’œuvre d’individus agissant à différents titres, la question de la chronologie précise des fondations au fil du siècle considéré est plus épineuse et induit à formuler plusieurs commentaires liminaires.

14Il est ainsi difficile, pour des raisons que l’on a déjà évoquées (5.1), d’identifier les sanctuaires qui auraient été aménagés – ou reconstruits – dès la génération qui a suivi la fin de la guerre des Gaules. Par ailleurs, au sein des lieux de culte bien documentés et a priori occupés sans interruption entre l’âge du Fer et l’époque romaine (cf. supra, 4.1.3), rares sont les objets de cette période que l’on a pu associer à un contexte stratigraphique fiable. À La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2), les abondantes monnaies gauloises qui proviennent du remplissage de la tranchée de l’un des deux enclos palissadés, mêlées en surface à quelques exemplaires augustéens, ne suffisent pas pour établir un terminus post quem précis (Piette et Depeyrot, 2008, p. 4-9). Leur enfouissement pourrait tout aussi bien avoisiner le milieu que la fin du ier s. av. n. è. À la Forêterie, sur la commune d’Allonnes (S.9, ph. 2), la construction d’une enceinte délimitée par plusieurs rangs de poteaux et d’un probable premier temple en bois et en terre est attribuée, d’une façon large, au ier s. av. n. è., tandis qu’à Bennecourt (S.254, ph. 2), la réoccupation du site d’origine laténienne et la construction de deux édicules en matériaux périssables, à l’issue d’un abandon probable d’un demi-siècle, intervient durant le troisième ou le dernier quart du ier s. av. n. è. (Bourgeois dir., 1999, p. 36-42 ; Brouquier-Reddé et Gruel, 2015, p. 77). De même, sur le site de la Bauve, à Meaux (S.158, ph. 2), a priori délaissé depuis le début du iiie s. av. n. è., l’examen du mobilier collecté dans les niveaux formés au début de l’époque romaine indique que la fréquentation reprend dès la seconde moitié du ier s. av. n. è., sans davantage de précision (Magnan, 2006, p. 184-185). Du côté des fondations a priori postérieures à la guerre des Gaules, les datations proposées pour les occupations les plus précoces oscillent également entre le milieu et la fin du ier s. av. n. è., au Mans (S.16, ph. 1 ; Chevet et al., 2014), à Orléans (S.114, ph. 1 ; Verneau et Noël dir., 2009, vol. 1, p. 105-126), Richebourg (S.118 ; Barat, 1999) ou Douarnenez (S.170 ; Clément et al., 1987, p. 35). Plus précisément, l’analyse conjointe du mobilier céramique et monétaire provenant du sanctuaire d’Amboise (S.237, ph. 1) plaide en faveur d’un développement au début de la période augustéenne, voire durant La Tène D2b, vers les années 40 à 30 av. n. è. (Peyrard, 1980 ; Laruaz, 2009, vol. 1, p. 119-121).

15Si certains espaces cultuels ont donc pu avoir été créés ou réaménagés dès le troisième quart du ier s. av. n. è., l’essentiel des travaux semble cependant avoir été mené autour du changement d’ère, en particulier durant le règne d’Auguste, entre le dernier quart du ier s. av. n. è. et les premières années du ier s. de n. è., du moins pour les sites les mieux documentés. Le faciès numismatique des monnaies recueillies à Paule (S.172, ph. 1) renvoie probablement à une fréquentation débutant à partir de la dernière décennie du ier s. av. n. è. (Menez et al., 2021, p. 207). À Bauné (S.4, ph. 1 ; Mare dir., 1995), Évreux (lep Hébert, S.56 ; Doyen dir., 2000), Le Vieil-Évreux (Cracouville, S.78 ; Baudot, 1936 ; Cliquet et al., 1996, p. 11-16), Bû (S.99, ph. 1 ; Fauduet, 1988), Quimper (S.176, ph. 2 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 319-326 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 194-195), Bais (S.183, ph. 1 ; Pouille dir., 2011, p. 76-78 et p. 148-152), Genainville (S.260, ph. 1 ; Mitard, 1993, p. 41 et p. 48 ; Vermeersch, 2012, p. 232-233 et p. 241-243), Val-de-Reuil (S.269, ph. 1 ; Lukas, 2018a, p. 115-117) et Vannes (S.278, ph. 2 ; Baillieu et Simon dir., 2000, vol. 1, p. 8-13 et p. 27-34), le mobilier collecté (céramique, monnaies, fibules) est caractéristique de pratiques religieuses amorcées, au plus tard, dans le courant de la période augustéenne. Dans d’autres cas, la fréquentation du lieu de culte ne semble pas antérieure au règne de Tibère et aurait ainsi commencé vers 15-40 de n. è., à Guichainville (le Devant de la Garenne, S.61, ph. 1 ; Flotté et al., 1996, vol. 1, 3.3), Mauves-sur-Loire (S.167, ph. 1 ; Monteil et al., 2009, p. 162-163) et peut-être à Hérouvillette (S.145, ph. 2 ; Veron dir., 2018, vol. 1, p. 158-214), et à Authevernes (S.253, ph. 2 ; Michel et al., 2014, p. 199), si la fondation n’est pas d’origine laténienne (ph. 1) pour ce dernier site.

16Que retenir de cette liste, non exhaustive, de sites fondés avant le milieu du ier s. de n. è. ? Si les fondations ont probablement été échelonnées tout au long du siècle considéré, la plupart d’entre elles se concentre manifestement autour du changement d’ère. Il faut toutefois reconnaître que les bornes proposées pour le début de l’occupation de ces installations cultuelles sont souvent mouvantes ; il serait nécessaire d’affiner les dates proposées en menant à terme l’étude exhaustive du mobilier de certains sites dont la stratigraphie est bien connue, et aussi de renforcer cette ébauche chronologique au moyen de données nouvelles et fiables.

17Comment expliquer la vague de créations et de réaménagements qui a vraisemblablement marqué l’époque augustéenne ? Un premier élément de réponse peut être fourni par l’implication des civitates en cours de constitution. Quel qu’ait été le régime auquel elles étaient soumises, les communautés en voie de municipalisation ont effectivement dû, dès leur formation – donc à partir des dernières décennies avant le changement d’ère – et dans le cadre de l’élaboration d’une identité collective, forger leur propre panthéon en dressant l’inventaire des divinités honorées à titre public et des obligations collectives, en établissant un calendrier religieux puis en affectant à chaque culte un espace et des équipements qui lui sont propres (Scheid, 2008a, p. 17). Pour mettre en place ce que l’on peut alors qualifier de sacra peregrina (Raepsaet-Charlier, 2015, p. 194), les représentants des cités ont cependant dû tenir compte d’un patrimoine religieux préexistant, spécifique à chacune d’entre elles, que ce soit dans les villes structurées depuis la fin de l’âge du Fer ou dans les campagnes, densément occupées et déjà parsemées de sanctuaires au cours de La Tène finale.

18Toutefois, en l’absence de textes, il n’est guère aisé d’identifier les édifices publics de l’époque romaine (cf. supra, chapitre 5) et, à plus forte raison, les plus anciens espaces communautaires, qui devaient être gérés par les cités pérégrines. De fait, le critère de la monumentalité, tout à fait pertinent pour certaines constructions maçonnées plus tardives, l’est bien moins pour les aménagements, souvent modestes, qui caractérisent cette période précoce (cf. infra, 5.2.2). À notre sens, la démarche la plus judicieuse, bien qu’empirique, est régressive : elle consiste à supposer que les sanctuaires monumentalisés à partir de la seconde moitié du ier s. de n. è., alors que les cités ont probablement acquis – ou sont en voie d’obtenir – le droit latin, constituaient déjà des points forts du paysage religieux des communautés pérégrines au début du Haut-Empire. Cette assertion semble d’ailleurs corroborée par l’étude des plus anciens niveaux des sites concernés, généralement caractérisés par un abondant mobilier, que l’on peut supposer être le reflet d’une fréquentation relativement intense.

19Débutons par la question des chefs-lieux de cités, qui figurent parmi les premiers espaces à avoir été modifiés dans le cadre de la municipalisation, à partir des années 15-10 av. n. è., mais aussi au cours des décennies suivantes (Van Andringa, 2015). Le dossier des cultes pratiqués sur le forum des cités du centre et de l’ouest de la Lyonnaise est bien mince en ce qui concerne le début de la période impériale (cf. supra, 3.1.2.1). Les traces des premiers espaces réservés à la pratique des cultes officiels sont inexistantes, faute d’une bonne connaissance des couches archéologiques les plus anciennes. On ne sait si les aires sacrées probablement intégrées à la place du forum, qui a d’abord pu prendre la forme d’une vaste esplanade associée à de modestes aménagements en terre et en bois, étaient simplement définies par l’installation d’un autel mobile ou si un temple, associé à une cour délimitée par un péribole, servait déjà d’ancrage au culte. Le seul document pouvant être rattaché aux hommages publics rendus au cœur de l’espace civique au début de notre ère est une base de statue liée au culte dynastique, provenant de Sens/Agedincum, déjà évoquée supra (3.1.2.1).

  • 89 De récentes découvertes ont confirmé les racines laténiennes du sanctuaire de la Genetoye à Autun ( (...)
  • 90 Leurs principaux oppida n’ont pas été identifiés et on ne sait donc si la butte du Vieux Mans, dont (...)

20Certains grands sanctuaires urbains ont pu succéder à un lieu de rituels plus ancien, dans le cas des chefs-lieux établis à l’emplacement d’une ville gauloise préexistante : le seul exemple documenté, à Jublains/Noviodunum (S.32, ph. 2), est toutefois ambigu, puisque les preuves manquent pour confirmer que l’espace cérémoniel laténien, fondé plusieurs siècles auparavant, continue d’être fréquenté au cours de la période julio-claudienne, avant qu’un quadriportique et qu’un temple monumental n’y prennent place à partir du dernier tiers du ier s. de n. è. Il semble toutefois probable que le culte d’une divinité majeure et ancestrale des Aulerques Diablintes y ait été maintenu, probablement sous une nouvelle forme (cf. infra), d’autant plus qu’un enclos palissadé pourrait l’avoir abrité au début du Haut-Empire et ainsi faire le lien entre l’âge du Fer et la période flavienne (cf. supra, 3.1.2.4 et 4.1.3). D’ailleurs, l’existence d’un sanctuaire pluriséculaire a pu avoir été un critère déterminant au début du Haut-Empire, lorsque les élites locales ont dû choisir, en concertation avec le pouvoir central romain, la nouvelle capitale de la cité, auparavant sise sur un éperon fortifié à Moulay, à 10 km à l’ouest de Jublains (Bocquet et Le Goff, 2016). Sur le site de la Bauve, à Meaux (S.158, ph. 2), la fondation d’un lieu de culte – et d’un habitat associé ? –, semble également avoir fait appel à des valeurs mémorielles, liées à l’histoire religieuse de la communauté civique dont le chef-lieu, Iatinum, vient d’être établi à moins d’un kilomètre plus à l’ouest (Magnan, 2006). De fait, le site choisi par les Meldes, dont l’organisation au cours du ier s. de n. è. est mal connue (cf. supra, 3.1.2.4), coïncide avec un lieu de dépôts à caractère rituel (armes, céramique, faune) bien plus ancien, car fréquenté entre la fin du ive s. et le début du iiie s. av. n. è., dont la mémoire – et peut-être certains vestiges, jusqu’à leur enfouissement définitif au début de l’époque romaine ? – a sans doute été préservée au cours des générations (cf. supra, 4.1.3). En outre, les témoins matériels des rituels qui y ont été pratiqués entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du ier s. de n. è. sont particulièrement nombreux, tandis que les travaux engagés au terme de cette période, pour y bâtir un imposant sanctuaire équipé d’un double temple, sont tout à fait monumentaux (cf. infra, 5.3.2). On est alors en droit d’estimer que ce sanctuaire a été choisi dès le début du Haut-Empire par la communauté melde, qui y était probablement attachée en raison de son ancienneté, pour accueillir l’un des principaux cultes de la cité, à faible distance de sa capitale. Au demeurant, l’évolution des sites de Jublains et de Meaux – comme à la Genetoye, en lisière d’Autun, tandis que les preuves manquent à Sens (S.226)89 –, est tout à fait comparable à celle du sanctuaire de la Forêterie à Allonnes (S.9, ph. 2), bien que ce site soit plus à l’écart (soit environ 4 km) du chef-lieu des Aulerques Cénomans. Le sanctuaire, manifestement fondé dès La Tène ancienne (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004 ; 2015), constituait probablement l’un des principaux espaces cérémoniels du peuple gaulois cénoman90 ; le lot remarquable de monnaies gauloises, républicaines et augustéennes qui en proviennent (au moins 584 pièces ; cf. supra, 2.2.3.1), parmi d’autres vestiges contemporains, montre bien que le site devait aussi occuper une place prééminente au sein du paysage religieux de la cité à la charnière entre l’âge du Fer et le début du Haut-Empire. Le développement d’une agglomération secondaire à ses abords, à partir de la première moitié du ier s. de n. è. (cf. supra, 3.1.3.1), pourrait même avoir été motivé par sa renommée et par les activités générées par le culte ; il sera, comme les exemples précédents, monumentalisé à une époque plus tardive.

21Parmi les fondations en contexte d’agglomération secondaire naissante, que l’on peut également attribuer avec vraisemblance à des initiatives publiques, mentionnons aussi l’autre sanctuaire d’Allonnes, sur le site des Perrières (S.10, ph. 1), dont le développement a manifestement accompagné la mise en place de l’habitat, ou encore le lieu de culte d’Amboise/Ambacia (S.236, ph. 1), ancienne capitale gauloise des Turons, avant que le siège institutionnel de la civitas ne soit transféré à Tours, au début de l’Empire (cf. supra, 3.1.3.1 ; Laruaz, 2009 et dir., 2017 ; Lucas et al., 2019). L’état augustéen du premier site n’est que peu documenté, mais l’agrandissement et l’embellissement dont il fait l’objet au cours des siècles suivants, comme à Ambacia, traduisent sans guère de doute un statut public ; à Amboise, c’est encore une fois d’abondants dépôts – générés par la pratique de la stips, mais aussi à l’issue de probables banquets collectifs – qui caractérisent le premier état du lieu de culte antique, implanté au cœur de l’ancien oppidum, alors en pleine mutation. Dans ces deux cas, comme peut-être en bordure de Quimper (S.176 ; cf. supra, 3.1.3.5), l’installation d’importants sanctuaires aurait alors accompagné la création, ou le réaménagement, dès les premiers temps du Haut-Empire, des pôles principaux de l’armature urbaine des cités.

22Dans un quartier périphérique du Mans/Vindinum (S.16, ph. 1), chez les Cénomans, comme en d’autres points du territoire de certaines cités – à Montbouy (S.217), et peut-être à Genainville (S.260), voire à Orléans (S.114, ph. 1), respectivement situés chez les Sénons, les Véliocasses et les Carnutes –, c’est la présence d’un cours d’eau ou de résurgences qui a manifestement déterminé l’emplacement d’un lieu de culte établi ex nihilo : les abondants dépôts – en particulier monétaires, témoins de gestes individuels ? – réalisés dès la période augustéenne, au plus tard, au sein ou en bordure de la zone humide ou en eau, sommairement aménagée, révèlent qu’une divinité devait y habiter (cf. supra, 1.1.3.2). L’installation de ces premiers sanctuaires des eaux, jusqu’alors inconnus dans les Gaules (Barral et al., 2015 ; Vurpillot, 2016), trahit l’appropriation d’une conception du divin et de pratiques importées d’Italie, à l’exemple du sanctuaire des sources du Clitumne, décrit par Pline le Jeune (Lettres, VIII, 8 ; Scheid, 1996 et 2008b). Le développement monumental qui conduira à la transformation radicale de ces sites au cours du Haut-Empire montre bien que la symbolique véhiculée par l’élément aquatique était considérée comme importante pour les communautés qui les ont manifestement érigés au rang de sanctuaires publics, sans que l’on puisse reconstituer l’histoire mythologique propre à chacun de ces lieux remarquables, privilégiés au détriment d’autres sources.

23D’autres lieux de culte, également disséminés sur les territoires mais, en l’état des connaissances, situés à l’écart de tout habitat groupé ou de toute résurgence, semblent également avoir été des points particulièrement attractifs de l’armature religieuse des cités naissantes, du moins si l’on se fie aux nombreuses offrandes, notamment monétaires, qui y ont été amassées autour du changement d’ère. Plusieurs de ces sites, à Juvigné (S.36), La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) – voire à Neuville-sur-Sarthe (S.18), Douarnenez (S.170) et Panzoult (S.242) ? (cf. supra, chapitre 4) – plongent leurs racines dans un passé laténien : l’occupation du début de l’époque romaine succède manifestement sans hiatus à un sanctuaire plus ancien. Le caractère ancestral des dépôts d’objets métalliques de La Villeneuve-au-Châtelot – en particulier, pour les plus anciens, d’armes et de parures, introduits dès la fin du ive s. av. n. è. – et l’apparence sans doute monumentale du sanctuaire gaulois de Juvigné, ceinturé par d’imposants talus et fossés (cf. supra, 1.1.1.1 et 4.1.2.2), en faisaient certainement d’importants lieux de mémoire qu’il semblait alors crucial d’intégrer aux cultes célébrés par les cités naissantes sur leur territoire – les Aulerques Diablintes pour le premier cas et les Tricasses, vraisemblablement nés d’une division de l’ancienne grande civitas gauloise sénone, pour le second. Durant la période augustéenne, ces deux sites ont sans doute été des lieux particulièrement fréquentés, comme en témoignent, à Juvigné, les 269 monnaies émises entre la fin de l’époque gauloise et le principat d’Auguste et, a fortiori, les 3 700 exemplaires issus de La Villeneuve-au-Châtelot, où 70 000 rouelles été également introduites, au moins en partie, au cours de ces mêmes décennies (Bataille, 2008 ; Piette et Depeyrot, 2008 ; Bossard et al., 2016 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016 ; 2019). On pourrait envisager aussi que d’autres lieux de mémoire, à l’exemple de celui d’Entrammes (le Port, S.31), localisé au cœur d’un oppidum déserté, aient été aménagés à l’initiative des cités, au moment de la redéfinition du réseau d’agglomérations au début du Haut-Empire. Les preuves manquent toutefois pour rattacher avec certitude cet exemple, comme celui d’Orival (S.267), aux sacra peregrina puis publica des cités diablinte et véliocasse (cf. supra, 4.2.1).

24Ainsi, outre plusieurs fondations vraisemblablement liées à la volonté de doter les nouveaux espaces urbains – chefs-lieux ou agglomérations secondaires d’importance – de sanctuaires communautaires habités par des divinités honorées à titre public, « les lieux naturels spectaculaires ou attestant une continuité d’occupation paraissent attirer en quelque sorte les fondateurs des nouvelles cités » (Scheid, 2006, p. 443). Il est tout à fait possible que d’autres lieux de culte, a priori créés autour du changement d’ère, tels le sanctuaire de Cracouville, près du Vieil-Évreux (S.78), voire le sanctuaire central (S.79) de cette agglomération secondaire, et ceux de Bû (S.99) et de Macé (S.196), aient aussi été fondés dans le cadre de la mise en place des cultes publics des cités pérégrines. Cependant, on ne peut expliquer les facteurs qui auraient incité leurs représentants à cibler ces emplacements qui semblent dépourvus d’antécédents ou d’élément naturel remarquable. Dans tous les cas, ces sites seront favorisés par les évergètes au cours des deux siècles suivants, sans doute en raison d’un statut public, qui pourrait leur avoir été octroyé dès leur fondation.

  • 91 Dans certains cas, extérieurs au territoire choisi pour cette étude, il pourrait s’agir d’une divin (...)

25Des sanctuaires nouveaux, ou bien investissant d’anciens lieux de rituels d’importance, sont donc établis en divers points des territoires des cités pérégrines durant les premières décennies du Haut-Empire. Bien que leurs aménagements soient souvent modestes (cf. infra, 5.2.2), le mobilier collecté en leur sein plaide en faveur d’une activité religieuse relativement intense, même s’il est impossible de déterminer les rythmes des dépôts et d’évaluer précisément le nombre de dévots concernés. La fondation de ces sanctuaires, qui accueillent vraisemblablement les cérémonies publiques de la religion des civitates naissantes, implique l’installation de divinités nouvelles91, forgées dans le cadre de la fabrique du divin engagée par ces dernières, mais qu’en est-il des lieux de culte dont l’occupation est a priori continue ? Si l’on se fie au seul exemple bien documenté, celui de la Forêterie à Allonnes (S.9), l’instauration d’un culte à Mars Mullo, attesté par plusieurs bases de statues datées du ier s. de n. è., montre bien que c’est aussi un dieu nouveau, interprété, qui réside désormais dans le temple du sanctuaire. Il semble alors légitime de supposer que son prédécesseur, durant le second âge du Fer, ait été un grand dieu dénommé Mullo, dont les compétences ne sont pas connues mais devaient être proches de celles du Mars romain (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 308-310 ; Bérard, 2006 ; Van Andringa, 2017a, p. 205-208). Honoré dans plusieurs sanctuaires de l’ouest des Gaules, comme en témoignent diverses inscriptions, le dieu et son identité auraient été redéfinis lors de la création des cultes publics des nouvelles civitates de l’Empire romain (cf. supra, 4.1.3 et infra, 5.3.2.1). Son assimilation par le processus de l’interpretatio romana a ainsi permis son « intégration dans la cité tout en sauvegardant [sa qualité de dieu ancestral légué] par la tradition » (Van Andringa, 2017a, p. 149).

26Dans les campagnes des cités pérégrines comme en ville, d’autres espaces cultuels ont certainement été fondés à titre privé dès le début du Haut-Empire. En contexte urbain, rares sont les premiers témoignages des dévotions privées, qui devaient essentiellement prendre place au sein de modestes sanctuaires, dont les vestiges archéologiques sont probablement difficiles à mettre en évidence. L’ensemble exceptionnel constitué par les blocs du pilier des Nautes, découverts sur l’île de la Cité à Paris/Lutetia (Van Andringa, 2006), indique toutefois que les transformations qui modèlent le paysage religieux des cités s’appliquent aussi, à une autre échelle, aux panthéons des collectivités privées. Ici, une corporation religieuse, celle des bateliers de la Seine, rend hommage, durant le règne de Tibère (14-37) et à travers l’érection d’un monument sculpté – dans un sanctuaire public ou au sein même de son siège ? –, à l’empereur, à Jupiter et à d’autres divinités choisies pour patronner leurs activités, voire à des personnages mythologiques. L’emplacement des aires sacrées réservées aux pratiques religieuses de ces associations, ou bien d’habitants d’un même quartier célébrant collectivement un culte, n’a pas été identifié au sein des premiers états des chefs-lieux des cités étudiées. Au sud de l’agglomération secondaire de Pouillé (S.243), la découverte d’un très petit temple, d’abord construit en terre et en bois et fréquenté dès le début du Haut-Empire, constitue probablement le seul exemple avéré de lieu de culte privé installé dès la fondation d’un habitat groupé ou, au plus tard, quelques années ou décennies après sa création ; installé dans un quartier sans doute occupé par une communauté d’artisans, il a pu avoir été géré par une corporation professionnelle (cf. supra, 3.1.3.2 ; Bourgeois, 1982 ; Cadalen-Lesieur dir., 2016). Il faut peut-être y ajouter le sanctuaire de la place des épars, à Chartres (S.100, ph. 1), bien que l’on ne puisse prouver que le premier état de la cour qui accueillera un temple à cella centrale et galerie périphérique, à partir du iie s., soit déjà un espace réservé aux rituels (Joly dir., p. 129-131 ; cf. supra, 3.1.2.3).

27L’apparition de premiers temples au sein de certains établissements ruraux de statut élevé fournit aussi une belle illustration du développement de cultes privés, cette fois-ci à l’extérieur des agglomérations. À Richebourg (S.118, ph. 1 ; Barat, 1999), à Bais (S.183, ph. 1 ; Pouille dir., 2011) et peut-être à Bauné (S.4, ph. 1 ; Mare dir., 1995), une aire sacrée et son édifice de culte – non identifié, pour la première phase, à Bais – ont manifestement été aménagés dès la fin du ier s. av. n. è. ou le début du ier s. de n. è. Elle est alors située à proximité ou au sein (à Bauné ?) de l’enclos fossoyé qui accueille la résidence rurale d’un aristocrate, établie ex nihilo ou succédant à un habitat plus ancien (cf. supra, 3.2.2.2 et 3.2.2.3). L’installation de nouveaux dieux accompagne donc aussi, du moins dans les plus riches domaines, celle des familles qui les choisissent pour qu’ils veillent à leurs activités et au bon fonctionnement des exploitations agricoles. L’implication des élites dans la création d’aires sacrées vraisemblablement privées, en milieu rural, se devine aussi à Paule (S.172, ph. 1) : une ancienne nécropole tumulaire, voisine de la résidence tout juste démantelée d’une famille aristocratique osisme, sert d’ancrage, au moment où la civitas s’organise, à un probable culte ancestral, légitimant le pouvoir local (cf. supra, 4.2.2 ; Menez et al., 2021). à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138, ph. 1), sur le territoire proche des Coriosolites, c’est une communauté sans doute plus modeste, résidant dans les environs, qui rend hommage à une divinité ou à plusieurs divinités siégeant sur un îlot rocheux exposé aux intempéries marines, à l’emplacement d’un petit ensemble funéraire qui accueille peut-être les ancêtres de ces individus (cf. supra, 4.2.2 ; Bizien-Jaglin dir., 2004).

28Ces divers exemples, sélectionnés parmi les sites les mieux documentés et les moins équivoques, montrent bien qu’à partir du début du Haut-Empire, et en particulier dès le règne d’Auguste, le développement des aires sacrées connaît un essor sans précédent, vraisemblablement amorcé au moment de l’organisation en cités des anciens peuples gaulois : les initiatives locales se multiplient pour doter les nouveaux territoires, tant dans un cadre public que privé, des espaces nécessaires à la pratique des cultes forgés par les différentes communautés, de la cité à la famille. La « dilatation du paysage religieux » des civitates émergentes, pour reprendre les mots de S. Girond – appliqués à la cité d’Aquitaine des Bituriges Cubes, mais que l’on peut tout à fait étendre aux civitates du centre et de l’ouest de la Lyonnaise – concerne à la fois les villes-capitales, les agglomérations secondaires et les campagnes : « autrement dit, on peut penser que s’est alors engagé un processus d’appropriation de l’espace, de territorialisation, qui a suscité de nouvelles dynamiques dans le dialogue entre les hommes et les dieux » (Girond, 2015, vol. 1, p. 493).

29Si les données épigraphiques, littéraires et iconographiques manquent globalement pour cerner le profil des divinités choisies, et donc comprendre de quelle façon sont élaborés les panthéons des diverses communautés, l’examen des vestiges archéologiques des lieux de culte fréquentés entre le milieu du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è. permet de définir les traits saillants des changements opérés dans les espaces où se tiennent les célébrations religieuses. Que les personnages divins dont le culte est célébré dans les sanctuaires de fondation récente ou plus ancienne aient été dotés d’un nom latin ou qu’ils aient conservé un théonyme celtique, les équipements des sanctuaires et les témoins des rites qui y ont lieu sont révélateurs d’innovations, certes mêlées à certaines traditions, qui dénotent l’émergence de manières inédites de pratiquer la religion.

5.2.2. Reformuler les architectures et les pratiques rituelles, entre traditions et innovations

30Si l’interprétation des vestiges les plus anciens des sanctuaires de l’époque romaine constitue parfois un exercice difficile, en raison d’un état de conservation souvent médiocre et des perturbations engendrées par les réaménagements ultérieurs, les données enregistrées sur une quinzaine de sites permettent de définir à grands traits les principales caractéristiques des espaces cultuels aménagés entre les années 50 av. n. è. et 50 de n. è. De leur examen global ressort une certaine modestie des architectures, qui transparaît à la fois dans les matériaux employés et dans les dimensions des aires sacrées et, surtout, des bâtiments. En outre, l’usage quasi exclusif, jusqu’à la première moitié du ier s. de n. è., de la terre, du bois et d’autres matières végétales témoigne d’un certain attachement aux traditions architecturales d’origine laténiennes, bien que le développement d’architectures inédites révèle une nouvelle conception de l’espace sacré (fig. 295).

Figure 295 : Sélection de sanctuaires datés entre le milieu du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è.

Figure 295 : Sélection de sanctuaires datés entre le milieu du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è.

Réal. S. Bossard.

31La cour des lieux de culte est alors généralement enclose par un système de fossés ou par une clôture en bois, dont il ne reste que les tranchées qui ont servi de fondation aux palissades, ou bien des rangées de trous de poteau. Tandis que les enceintes fossoyées, associées à des talus, ont été fréquemment adoptées pour circonscrire l’espace réservé aux rituels à la fin du second âge du Fer, la mise en œuvre de systèmes de clôture en bois semble avoir été assez rare avant la guerre des Gaules et devient plus systématique à partir du courant – et même la fin ? – du ier s. av. n. è. et le début du ier s. de n. è. (cf. supra, 1.1.1.1). C’est ainsi le cas à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236, ph. 2), Bennecourt (S.254, ph. 3), Amboise (S.237, ph. 1), Allonnes (la Forêterie, S.9, ph. 2), Quimper (S.176, ph. 2) et peut-être Jublains (S.204, ph. 1 ou 2 ?). Les dimensions de l’aire ainsi circonscrite, lorsqu’elle a pu être mesurée, sont relativement peu importantes, de l’ordre de quelques centaines de mètres carrés – soit 550 m² à la Villeneuve-au-Châtelot, en milieu rural (?) et environ 1 100 m² à Allonnes, en marge d’une agglomération naissante. L’érection de clôtures en bois plus ou moins hautes peut certes marquer un changement dans la perception visuelle de l’aire sacrée, masquée par cet aménagement, et préfigure probablement la construction des murs d’enceinte qui se multiplient à partir du courant du ier s. de n. è. (Van Andringa, 2017a, p. 104 ; cf. infra). Néanmoins, le creusement, à la même période, de modestes fossés autour d’autres cours sacrées montre bien que les traditions gauloises sont également maintenues dans une partie des sites à vocation religieuse – à Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 2-3), Orléans (S.114, ph. 1 et 2), Bais (S.183, ph. 1) ou Quimper (S.176, ph. 3). L’emprise de ces enclos fossoyés est alors souvent supérieure à celle des enceintes en bois, en dépit du faible nombre de valeurs enregistrées pour ces dernières (cf. supra, fig. 15). Il faut aussi rappeler que l’on ne sait quasiment rien des talus et des éventuelles haies ou palissades qui pouvaient se dresser à leur sommet ou sur leur bordure, tant pour la fin de l’âge du Fer qu’au début de l’époque romaine, et ainsi dissimuler complètement la cour sacrée depuis l’extérieur. La hauteur de la levée de terre ceinturant vraisemblablement le sanctuaire de Juvigné (Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 149-152) entre la fin de la période gauloise et le milieu du ier s. de n. è., au moins, estimée à plus de 2 m, invite d’ailleurs à minorer les changements qu’a pu réellement induire la multiplication des palissades au début du Haut-Empire.

32En outre, si les fossés sont des « structures propices au rejet des vestiges cultuels » et que leur disparition progressive pourrait aussi être liée à l’évolution de la gestion des offrandes (Van Andringa, 2017a, p. 104 ; cf. infra), il n’est pas certain qu’ils étaient utilisés pour enfouir ces dernières au cours de la fréquentation du sanctuaire, à plus forte raison si un talus barrait le passage entre la cour sacrée et le fossé. Les opérations de curage mises en évidence pour les fossés de l’enclos laténien de Bennecourt démontrent bien qu’il fallait que ces structures soient préservées en l’état (Bourgeois dir., 1999, p. 17). L’abondant mobilier qui provient de leur remplissage, ici comme ailleurs, a sans doute été plutôt accumulé de façon pragmatique lors de l’abandon du site ou des travaux entrepris dans le cadre d’un chantier de reconstruction – de même que de nombreux objets proviennent aussi des couches scellant les tranchées de fondation des palissades de la Villeneuve-au-Châtelot, qui n’ont pu y être piégés qu’au moment de leur démantèlement (Piette, 1989 ; Piette et Depeyrot, 2008, p. 4-9).

33Quant aux premières clôtures en pierre, il est plus difficile de dater leur apparition, mais elles semblent avoir été rares, voire inexistantes, avant le milieu du ier s. de n. è., à l’instar des plus anciens temples maçonnés, qui ne sont vraisemblablement pas antérieurs à 15 de n. è., voire au second quart du ier s. (cf. supra, 1.1.1.2 et 1.1.2 et infra, 5.3.1).

34Le mode de clôture des sanctuaires n’a donc guère connu de modifications majeures au cours du siècle qui a suivi les conquêtes de César : les types d’architectures en vigueur à la fin du second âge du Fer ont continué d’être mis en œuvre, si ce n’est que les enceintes en bois paraissent avoir été plus fréquentes qu’auparavant. En revanche, l’analyse de leur aire interne révèle de profonds changements : des cellae de plan carré ou rectangulaire, construites en bois et en terre et progressivement remplacées par des édifices maçonnés, sont dressées en leur sein et sont associées à des foyers, aménagés au sein même de ces bâtiments ou, plus rarement, à leurs abords. En revanche, rares sont les autres types de constructions reconnus au sein des premières aires sacrées de l’époque romaine : les temples constituent généralement les seuls édifices identifiés, bien que l’interprétation des concentrations de trous de poteau reconnues sur plusieurs sites ne soit pas toujours aisée. Quant aux résurgences aux abords desquelles sont rendus certains cultes, elles ne sont alors que sommairement aménagées, tels les bassins de Genainville (S.260, ph. 1 ; Mitard, 1993, p. 41-43 ; Vermeersch, 2012 ; cf. supra, 1.1.3.2).

35Si l’existence de temples préromains, en Gaule et dès le début de La Tène finale, est débattue (cf. notamment Poux, 2019 ; Poux et Fichtl, 2019), aucun argument décisif ne permet d’en attester la présence au sein du territoire étudié avant le troisième quart, voire le dernier quart du ier s. av. n. è., soit plusieurs années ou décennies après l’intégration des peuples gaulois au monde romain. Rappelons toutefois que l’on ne peut définir avec précision la forme et la fonction des bâtiments en terre et en bois reconnus dans les espaces cérémoniels du second âge du Fer et que l’on ne peut donc exclure totalement l’idée qu’ils aient pu abriter des divinités gauloises et leur éventuelle représentation (cf. supra, 1.1.2.3). En tout état de cause, il faut attendre la fin du ier s. av. n. è. pour que de premières structures de combustion – et de cuisson ? – prennent place au sein des temples avérés ou dans leur proche périphérie (cf. supra, 1.1.2.2). Le rôle accru du feu dans les pratiques rituelles, désormais utilisé, selon toute vraisemblance, pour sacrifier des offrandes destinées à la divinité résidant dans la cella (Bourgeois dir., 1999, p. ; Van Andringa, 2017a, p. 105) – peut-être alors sous la forme d’une statue en bois, qui n’aurait pas laissé de traces ? –, marque l’adhésion des communautés locales aux pratiques religieuses romaines ; à l’autel en pierre est toutefois préférée une modeste plaque foyère en argile, voire un feu allumé à même le sol.

36La restitution des temples dont les vestiges sont les mieux préservés révèle l’absence de toute forme monumentale avant le milieu du ier s. de n. è. Durant le siècle considéré, les simples cellae de plan proche du carré ou barlong dominent largement, si elles ne sont pas exclusives (types A1a et A2a, cf. supra, 1.1.2.1). De fait, l’adjonction d’une galerie périphérique semble tardive et relève surtout de la phase suivante (cf. infra, 5.3), puisque qu’aucun édifice doté d’un tel équipement (type B1) n’est formellement attesté avant les années 40 de n. è., même si certains exemples, dont la datation est imprécise, pourraient être quelque peu plus anciens (cf. supra, 1.1.2.3). Qu’elles soient intégralement construites en matériaux périssables – à Bennecourt (S.254, B1 et C1 : 33 m² et 88 m²) ou à Saint-Martin-de-Boscherville (S.87, A1 et A2 : 123 m² et 196 m² ?), par exemple –, qu’elles reposent sur des solins de pierre, comme à Macé (S.196, A1 : 25 m²), à Richebourg (S.118, A1 : 38 m²), à Bauné (S.4, A1 : 43 m²) ou à Vannes (S.278, A1 : 74 m²), ou, plus rarement, qu’elles soient maçonnées, tel qu’au Mans (S.16, : 12 m²) ou à Bennecourt (B2 et C2 : 50 m² et 72 m²), leur surface est très souvent inférieure à 80 m² et n’atteint jamais, dans tous les cas, 200 m², contrairement aux constructions plus tardives (cf. infra, 5.3). Alors que les exemples les plus précoces sont exclusivement pourvus de murs en terre et en bois, parfois dressés sur des fondations empierrées, le développement des cellae maçonnées n’est a priori pas antérieur à 15 de n. è. (cf. supra, 1.1.2.1). Le maintien de constructions en matériaux périssables n’est pas spécifique aux sanctuaires et il s’inscrit dans la lente évolution des techniques architecturales employées dans les cités du nord-ouest des Gaules, que ce soit dans les villes ou dans les campagnes. En effet, à titre de comparaison, les quartiers d’habitations et les monuments publics en pierre sont rares, dans les chefs-lieux des cités, avant le milieu du ier s. de n. è. (Maligorne, 2006, p. 161 ; Joly et al., 2015 ; Kasprzyk et al., 2015 ; Nouvel, 2015). En outre, au sein des établissements ruraux, ce matériau, allié à la chaux, ne s’impose véritablement qu’à partir de la seconde moitié du ier s. et surtout le iie s. de n. è. (C. Loiseau et F. Sarreste, in Sarreste et Bertrand dir., 2012, p. 29 ; Nüsslein et Bernigaud, 2018, p. 149-150 ; Spiesser, 2018, vol. 1, p. 93 et p. 106).

37En ce qui concerne la forme des premiers temples, dont on ne connaît encore que peu d’exemples bien documentés (cf. supra, fig. 28), elle est somme toute très simple et ne semble en aucun cas s’inspirer des architectures religieuses romaines. Il n’est pas anodin de noter que par leur plan, leurs dimensions et les techniques de construction mises en œuvre, les plus anciens bâtiments de culte des cités étudiées s’apparentent aux habitations gauloises (Poux et Fichtl, 2019, p. 456-457), d’ailleurs parfois équipées d’un foyer central, que les archéologues identifient dans les agglomérations et dans les nombreux établissements ruraux de la fin de l’âge du Fer (cf. notamment Maguer et Le Gall, 2018). Il paraît donc tout à fait pertinent d’envisager que les communautés locales – et ce, que l’apparition des temples soit antérieure ou postérieure à la conquête romaine – se soient inspirées des architectures domestiques pour concevoir les premiers bâtiments de culte, au demeurant considérés comme des maisons divines. On ne connaît cependant que peu de chose de leur élévation et il est possible que les résidences des dieux et des déesses aient été distinguées des demeures des mortels par un décor spécifique, ou encore par une hauteur plus importante, qui aurait matérialisé la supériorité des premiers sur les seconds et qui aurait été conservée, sous la forme d’une cella turriforme – d’ailleurs inconnue à Rome (Aupert, 2010, p. 246-252) –, lors de l’édification des premiers temples maçonnés à galerie périphérique. Une enquête plus approfondie, à l’échelle des Gaules et des provinces voisines, serait nécessaire pour proposer une restitution plus précise de leur architecture, qui pourrait en outre avoir été variable d’un site ou d’une région à l’autre.

38Le mobilier enfoui au sein ou en périphérie des cours sacrées fréquentées entre le milieu du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è. est souvent abondant : en témoignent les dépôts, déjà décrits (cf. supra, 2.3.2.2), de monnaies, de parures, de céramiques et de restes fauniques, auxquels se mêlent parfois d’autres catégories d’artefacts, tels des petits objets circulaires (rouelles, anneaux, jetons), des outils ou des ustensiles divers. Les vestiges cultuels accumulés sont progressivement répandus à même le sol – lorsque les offrandes n’y sont pas volontairement enfoncées – ou rassemblés dans des structures destinées à être remblayées (anciens fossés ou fosses rituelles), notamment lors d’opérations de nettoyage ou de réaménagement des sanctuaires. Ces restes, se présentant souvent sous la forme de déchets, sont donc ensevelis sur place, à l’instar de ceux qui étaient enfouis au sein même des espaces cérémoniels de la période gauloise.

39La diversification des dons déposés aux divinités au sein des sanctuaires est un phénomène qui, s’il est perceptible dès La Tène finale (cf. supra, 2.3.2.1), s’accentue manifestement après la conquête romaine : les offrandes par destination (objets miniatures, ex-voto anatomiques, rouelles, entre autres) se multiplient dans certains sites dès la fin du ier s. av. n. è. ou la première moitié du ier s. de n. è. et complètent l’éventail des objets jusqu’alors manipulés dans l’enceinte des lieux de culte (cf. supra, 2.2.2.1 à 2.2.2.3). Par ailleurs, il est probable que l’essor sans précédent de l’offrande monétaire découle, outre d’un usage devenu courant du numéraire, de l’adoption de nouvelles pratiques, peut-être en partie calquées sur la stips romaine, sous des formes variées – dont le jet individuel d’une monnaie au pied d’une image de culte ou dans un bassin habité par une divinité. L’accumulation de monnaies par centaines, voire par milliers, mises au rebut sans être recyclées au sein d’un même espace cultuel, et surtout la mutilation volontaire de certaines pièces, aux alentours de la période augustéenne, trahissent cependant des pratiques propres aux provinces nord-occidentales de l’Empire, et qui n’étaient pas en vigueur – du moins pour les dégradations – avant la conquête romaine (cf. supra, 2.2.3.1). Les dépôts d’armes, caractéristiques des sanctuaires gaulois, bien que moins fréquents au cours de La Tène finale, cessent – à de rares exceptions près – après la conquête romaine, probablement dans le cadre de la démilitarisation des Gaules en voie de pacification (2.2.3.3), tandis que les parures, fréquemment déposées dans les sanctuaires gaulois, continuent d’être introduites en grand nombre jusque dans le courant du ier s. de n. è. (2.2.3.2). Quant aux pratiques alimentaires, dont l’identification et l’interprétation, reposant surtout sur l’étude de tessons de céramique et de restes fauniques, ne sont pas toujours évidentes, elles évoluent aussi au cours de cette période. Si la préparation et surtout la consommation de nourriture et de boissons sont attestées avant et après la conquête, sans que l’on puisse déterminer les circonstances des repas organisés au sein des sanctuaires, la multiplication des restes brûlés, dès la seconde moitié du ier s. av. n. è., doit certainement être liée à une nouvelle façon de sacrifier, par le feu, comme en témoignent aussi la présence de foyers au sein des cellae (cf. supra et 2.2.1.3).

40La fin du ier s. av. n. è. et les premières décennies du ier s. de n. è. ont donc marqué une étape décisive dans l’évolution des pratiques religieuses, comme en témoignent les vestiges, nombreux et variés, rejetés dans l’enceinte même des sanctuaires. Néanmoins, il est impossible de reconstituer l’ensemble des séquences rituelles à partir des seules données archéologiques et on ignore sans doute tout de certaines activités qui avaient lieu au sein des lieux de culte, de même que l’on ne peut définir les règles qui régissaient les premiers dons. Identifier la part des influences italiques dans les mutations mises en évidence relève donc de la gageure, puisqu’on ne peut comprendre pleinement le sens des gestes réalisés. Il semble néanmoins évident que les habitants des Gaules romaines n’ont pas simplement imité l’ensemble des pratiques en vigueur à Rome, comme l’illustre l’exemple déjà abordé des offrandes monétaires. En outre, du côté des rites sacrificiels, si la part des dieux semble désormais brûlée dans la flamme d’un autel, comme à Rome, la combustion a généralement lieu au sein même du temple – de même que le foyer brûle à l’intérieur des maisons des mortels –, et non pas à l’extérieur, comme le veut la coutume romaine. Ce n’est qu’à partir de la reconstruction des temples sous une forme maçonnée, dès la première moitié ou le milieu du ier s. de n. è., que de tels équipements disparaissent véritablement de leur espace interne. Par ailleurs, on ne sait si les premiers foyers étaient allumés au pied d’une effigie divine – alors en bois ? – ou si les dieux et les déesses n’étaient pas encore physiquement représentés au sein de leur temple (cf. supra, 1.1.2.2 et 1.1.2.3).

41L’analyse de l’architecture des sanctuaires nés ou réaménagés entre la conquête césarienne et le milieu du ier s. de n. è., ainsi que des rites qu’ils accueillent, témoigne donc d’une période de mutations, au cours de laquelle s’élaborent de nouvelles façons de concevoir l’espace sacré et d’honorer les dieux. Les reconstructions programmées dès la seconde moitié du ier s. av. n. è. dans les sanctuaires préexistants et l’aménagement ex nihilo de nombreux sites à vocation cultuelle sont significatifs : on ne souhaitait pas conserver tel quel le paysage religieux de la fin de la période gauloise, mais il fallait le recomposer et l’adapter à de nouvelles normes et à des cultes redéfinis, même si l’on s’appuie en partie, pour cela, sur le réseau de sanctuaires préexistant. L’adoption rapide du binôme associant une résidence divine et un autel – support indispensable pour les sacrifices par le feu –, sous des formes toutefois propres aux provinces du nord-ouest de l’Empire, signe probablement l’adhésion des communautés gauloises aux règles religieuses romaines. Ces dernières sont toutefois reformulées : si Rome est un modèle de référence, en particulier pour les élites des cités locales (Woolf, 1998), on ne procède cependant pas, dans un premier temps, à une simple imitation des architectures et des pratiques italiques, d’autant plus que le statut pérégrin et l’absence de colonies, pour les civitates du territoire étudié, leur confèrent une certaine liberté, notamment en ce qui concerne la religion. Le nombre réduit de Romains de souche alors présents dans ces territoires a probablement contribué également à privilégier des pratiques locales.

42Que les sanctuaires nouvellement fondés soient établis en périphérie ou au cœur d’une agglomération ou qu’ils soient isolés dans les campagnes, ou bien rattachés à un établissement rural, les architectures et les activités pratiquées semblent avoir été peu ou prou les mêmes. En outre, il est impossible de distinguer des spécificités qui seraient propres à certaines cités, bien que des particularités observées sur quelques sites – telle la fabrication et l’offrande massive de rouelles à La Villeneuve-au-Châtelot, ou d’anneaux métalliques à Baron-sur-Odon, probablement dès cette période – témoignent de l’adoption de pratiques locales. Par ailleurs, la distinction entre les aires sacrées privées et celles qui sont gérées par les cités pérégrines est difficile à établir à partir de l’étude des vestiges archéologiques, si ce n’est par un mobilier a priori plus abondant en contexte public, témoin d’une fréquentation sans doute plus intense. Rappelons que contrairement à la phase suivante, on ne peut guère s’appuyer sur l’évaluation de la monumentalité des sanctuaires pour tenter d’en comprendre le statut, à de rares exceptions près – telle l’enceinte de Juvigné, dont les dimensions, remarquables, pourraient être liées à un culte pratiqué par un grand nombre de dévots –, puisque l’architecture des temples et des clôtures est modeste dans la plupart des cas.

43À partir des années 40 et 50 de n. è., alors que le nombre de fondations nouvelles décroît et que l’armature religieuse des cités commence donc à se stabiliser, les chantiers ouverts dans la plupart des sites préexistants vont aboutir à leur transformation radicale et à la mise en place d’équipements parfois monumentaux, adaptés à la place que les cultes associés occupent au sein des territoires.

5.3. La transformation radicale de l’armature religieuse : mise en chantier et monumentalisation des sanctuaires (milieu du ier s. – iie s.)

44La seconde moitié du ier s. et le iie s. de n. è. ont constitué un tournant dans le développement des cités des Trois Gaules : les techniques de construction romaines se diffusent plus largement, en particulier dans les agglomérations, qui croissent progressivement et se dotent peu à peu d’une parure monumentale à la mesure de leur importance, tandis que le maillage d’établissements ruraux se densifie et que les villae s’épanouissent dans les campagnes. Il s’agit sans conteste d’une époque florissante, d’autant plus que les civitates acquièrent le droit latin, selon toute vraisemblance, au début de ce siècle et demi : la citoyenneté est alors acquise par un plus grand nombre d’individus, appartenant certes au cercle des élites locales, et l’obtention du nouveau statut fait évoluer la place des communautés civiques au sein de l’empire romain. Les mutations propres à cette période concernent aussi les paysages religieux, profondément transformés : si les fondations nouvelles sont peu nombreuses et s’inscrivent dans la continuité des créations plus anciennes, la ferveur édilitaire, la pratique de l’évergétisme et le développement des résidences aristocratiques rurales favorisent aussi l’agrandissement et l’embellissement des lieux de culte des chefs-lieux, des agglomérations secondaires et des campagnes. Après avoir défini les modalités des fondations, des reconstructions et des chantiers de monumentalisation, il sera possible d’analyser les rythmes de l’évolution des sanctuaires publics et privés, tout en examinant les modes d’organisation des cultes au sein des territoires.

5.3.1. Fonder, reconstruire et monumentaliser

5.3.1.1. De plus rares fondations

45Le décompte des fondations postérieures au milieu du ier s. est éloquent, à plus forte raison si on le compare à celui des créations du siècle qui a précédé ce jalon chronologique : parmi 109 sanctuaires fouillés et dont la datation est connue, seulement 16 ont été vraisemblablement aménagés durant la seconde moitié du ier s. de n. è., tandis que 10 autres ont été fondés au cours de la première moitié du iie s. et 5 lors de la seconde moitié du iie s. (cf. supra, fig. 294). Au-delà du début du iiie s., l’unique création attestée correspond au mithraeum de Septeuil (S.122), dont les premières activités sont datées du milieu du ive s. de n. è. – tandis que celui d’Angers (S.2) accueille manifestement de premières cérémonies dès la seconde moitié du iie s. de n. è. Si l’on excepte les cultes mithriaques, dont l’organisation est spécifique et la diffusion plus tardive (cf. infra, 6.1.2), il faut donc admettre qu’assez peu de nouveaux sanctuaires ont été établis après le milieu du ier s. de n. è. et, surtout, que le nombre de fondations décroît progressivement jusqu’à la fin du iie s. En outre, les chiffres énoncés doivent être considérés avec prudence : pour plus d’un site sur deux dont la genèse est a priori postérieure à 50 de n. è., les premiers états sont peu documentés et on ne peut exclure une fondation quelque peu plus ancienne, qui aurait eu lieu dès les premières décennies du Haut-Empire.

46Malgré ces réserves, quelques sites précisément datés semblent bien avoir été aménagés tardivement, et ce dans des contextes variés. Au sein ou en périphérie des chefs-lieux de cité, d’importants sanctuaires publics ont ainsi probablement été créés ex nihilo au cours de la seconde moitié du ier s. de n. è. ou, au plus tard, au début du siècle suivant, même si l’on ne peut écarter l’hypothèse d’un transfert depuis un site proche, qui n’aurait pas été découvert. C’est notamment le cas du grand temple circulaire de Tours (S.248 ; Jouquand, 2007, p. 189 et p. 192), occupant l’un des îlots centraux de Caesarodunum, dont la construction n’a pu débuter avant le dernier tiers du ier s. de n. è., ou encore du vraisemblable temple du forum de Paris/Lutetia (S.181 ; Busson, 2019, p. 66), dont l’état monumental est manifestement bâti à partir du dernier quart du ier s. de n. è. Ces édifices, dominant l’area forensis ou probablement, pour celui de Tours, les abords de celle-ci, pourraient toutefois avoir succédé à des aires sacrées plus anciennes – non identifiées –, peut-être simplement équipées d’un autel, qui auraient été mises en place dès l’organisation des cités, afin d’assurer les premiers cultes célébrés à titre public (cf. supra, 3.1.2.1). De même, en lisière des villes-capitales ou à plusieurs centaines de mètres à l’écart de celles-ci, certains monuments particulièrement imposants paraissent avoir été érigés à une date relativement tardive. C’est par exemple le cas de celui du Haut-Bécherel, à Corseul (S.134 ; Provost et al., 2010, p. 175-182), manifestement construit ex nihilo à partir du début du iie s., et peut-être de celui de Troyes (S.235 ; Driard, 2014, p. 29), qui a pu avoir été bâti à partir du dernier tiers du ier s., sans certitude toutefois, à l’emplacement d’un quartier résidentiel et artisanal antérieur. L’histoire du complexe monumental de Saint-Martin-au-Val, à Chartres (S.101) est plus difficile à retracer : si la très grande enceinte à quadriportique, abritant probablement le temple principal, n’est pas édifiée avant les années 70 de n. è., l’ensemble oriental, composé de galeries qui relient plusieurs bâtiments – dont au moins un temple –, est apparemment réaménagé à la même époque, à l’emplacement de constructions toutefois plus anciennes. Ces dernières, non datées, semblent relever d’un premier monument, dont le plan aurait été globalement conservé lors des modifications apportées vers la fin du ier s. de n. è., et leur découverte suggère alors l’existence d’un sanctuaire plus ancien, dont les limites ne sont pas connues (cf. supra, 3.1.2.4 ; Bazin dir., 2013, p. 96-97 et p. 106-109 ; Bazin et al., 2014, p. 15-18 et 2019, p. 127-134).

47D’imposants espaces cultuels, sans doute publics, sont aussi fondés au sein d’agglomérations secondaires naissantes ou en cours de développement (cf. supra, 3.1.3.1). La station thermale de Sceaux-du-Gâtinais/Aquae Segetae semble ainsi avoir été créée ex nihilo durant la seconde moitié du ier s. de n. è., auprès d’un complexe monumental associant un sanctuaire des eaux (S.225) – dédié à la déesse éponyme Segeta et construit dès cette période –, un théâtre et des thermes. Il est probable, aussi, que le sanctuaire de Beaune-la-Rolande (S.199), bien que non daté, ait été inauguré au plus tôt durant les années 40-70 de n. è., alors que naît l’agglomération de bord de voie à laquelle il est rattaché, à moins d’envisager qu’il lui soit éventuellement antérieur (Cribellier, 2016b). De même, à Châteaubleau, le vaste lieu de culte de l’Aumône/la Justice (S.204) est aménagé au cours de la première moitié du iie s., tandis que l’agglomération, jusqu’alors modeste et confinée aux abords d’une voie, se déploie considérablement en direction de l’est, autour de l’aire sacrée et du théâtre qui lui est adjoint quelques décennies plus tard. L’autre sanctuaire reconnu, à l’écart du même habitat, sur le site de la Tannerie (S.205), n’a livré aucun témoin évident d’une occupation antérieure au milieu du iie s. et pourrait aussi relever d’un même programme de développement de l’agglomération et de ses équipements publics (Parthuisot et al., 2008 ; Revenu, 2008 ; Pilon, 2016, p. 19-35).

48Ainsi, au sein ou en bordure des chefs-lieux de cité et des agglomérations secondaires, la fondation possible ou avérée de monuments à vocation religieuse accompagne l’installation de nouvelles communautés d’habitants, mais témoigne aussi du déploiement de grands sanctuaires dans les villes et sur le territoire. Elle s’inscrit dans une entreprise plus générale de transformation et d’embellissement des sacra publica, intervenant en particulier entre le dernier tiers du ier s. et le courant du iie s. de n. è. (cf. infra, 5.3.2.1).

49À cette vague de fondations publiques s’ajoute une série d’initiatives privées, attestées en ville et surtout dans les campagnes. Les difficultés que l’on éprouve à identifier les sanctuaires privés établis au sein des chefs-lieux de cité et des agglomérations secondaires ont déjà été soulignées ; en ce qui concerne la période considérée, seul le temple de Vieux (site du musée archéologique, S.281) pourrait avoir pris place au sein d’un établissement urbain privé, peut-être le siège d’une association (cf. supra, 3.1.2.3 et 3.1.3.2 ; Kerébel dir., 2000). Bâti après le début du iie s. de n. è. au centre d’une cour préexistante et bordée de bâtiments, il a peut-être été financé par une corporation qui a pu réunir les fonds nécessaires pour offrir une résidence à la divinité protégeant les intérêts de ses membres.

50Sur le territoire des cités, la plupart des temples reconnus au sein des établissements ruraux semble avoir été bâtie au cours de cette phase, bien que les données manquent souvent pour établir avec précision leur chronologie (cf. supra, 3.2.2). Il ne fait toutefois pas de doute que les sanctuaires privés des habitats ruraux fondés après le milieu du ier s. de n. è. ont été construits au moment de l’installation de ces derniers ou éventuellement quelques années ou décennies plus tard, comme à Saint-Patrice (S.247 ; Guiot, 2003) et, si l’on admet qu’il s’agit bien d’une exploitation rurale, à Saint-Martin-des-Entrées (S.82 ; Paez-Rezende et Adrian, 2014). Dans d’autres cas, l’édification d’un temple maçonné semble avoir été entreprise au moment d’un agrandissement de l’habitat – à Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192 ; Provost et Le Bouteiller, 1986 ; Provost, 1990, p. 18-21 et Simier dir., 2016, p. 146-151), vers la fin du ier s. ou le début du iie s. de n. è. –, ou, peut-être, pour certains sites fondés dès le début du Haut-Empire, lors de leur reconstruction en pierre, entre le troisième quart du ier s. et le courant du iie s. – à Saint-Denis-du-Maine (S.39 ; Séris dir., 2015), Guichainville (le Long Buisson, S.62 ; Guillier et Lourdeau dir., 2006), Mareuil-lès-Meaux (S.157 ; Bet et Delage dir., 2008) et Corbeilles (S.206 ; Poitevin, 2015). Pour ces divers exemples, on ne peut toutefois écarter totalement l’hypothèse d’un premier édifice de culte en terre et en bois, antérieur au temple maçonné et dont les vestiges n’auraient pas été identifiés, ou encore celle d’un espace cultuel antérieur plus modeste, dépourvu de bâtiment de culte et installé au sein même de la résidence.

51Les plus récentes créations de sanctuaires – mithraea exclus –, ayant eu lieu entre le milieu du ier s. et la fin du iie s. de n. è., s’inscrivent donc dans la continuité des fondations plus anciennes : l’aménagement de nouveaux habitats, groupés ou ruraux, s’accompagne de la mise en place d’espaces cultuels où l’on honore des divinités à titre public, dans les villes, ou privé, notamment dans les campagnes. À Sceaux-du-Gâtinais, la construction d’un important sanctuaire des eaux, sans doute à l’initiative de la cité, a même cristallisé le développement d’un ensemble monumental et d’une agglomération qui lui sont dès lors associés. Dans d’autres cas, la construction tardive de temples au sein de lieux qui en étaient jusqu’alors a priori dépourvus semble plutôt liée au développement d’établissements ruraux ou d’équipements monumentaux urbains, mais il est alors possible que des installations à vocation religieuse plus anciennes et plus modestes n’aient laissé aucune trace, et donc que les cultes n’aient pas été instaurés ex nihilo au cours de cette période, mais bien plusieurs années ou décennies auparavant. En tout état de cause, la diminution progressive de fondations avérées et la rareté des abandons précoces (cf. infra, 6.2.2.1) montre bien que l’essentiel des espaces cultuels était déjà en place et en activité après le milieu du ier s. et surtout au cours du iie s. de n. è. C’est également durant ces mêmes décennies que le paysage religieux des cités a été profondément transformé, grâce à la mise en œuvre de multiples travaux de reconstruction, voire de monumentalisation.

5.3.1.2. Vers la pétrification et la monumentalisation des sanctuaires : des chantiers parfois de grande ampleur

52De fait, à partir des années 40-50 de n. è. et tout au long de la seconde moitié du ier s. et du iie s., des chantiers ont été progressivement ouverts dans la plupart des sanctuaires de fondation plus ancienne, à la fois publics et privés (cf. infra, 5.3.2 et 5.3.3).

53Des témoins de ces travaux, parfois échelonnés sur des années, voire sur plusieurs décennies pour les plus ambitieux (cf. infra, 5.3.2.1 pour les lieux de culte publics), ont pu être mis en évidence sur plusieurs sites récemment fouillés, en particulier lorsqu’ils ont été scellés par les niveaux de sol – ou les remblais sous-jacents – des sanctuaires reconstruits. Les aménagements antérieurs, souvent en terre et en bois et plus rarement en pierre, ont alors été démantelés et leurs débris sont parfois enfouis au sein même du site, mêlés ou non à des vestiges cérémoniels ; ils sont alors épandus au sol sous forme de remblais ou déversés dans les anciens fossés, comblés, ou dans des fosses creusées à l’occasion. L’emploi désormais plus systématique de la pierre liée au mortier a nécessité la mise en place temporaire de certains types d’installations : ainsi, à Macé (S.196), des échafaudages, dont témoignent des séries de trous creusés pour enfoncer les perches en bois qui les soutiennent, sont installés pour la construction d’un porche et de la cella du temple A2, tandis qu’un four à chaux, aménagé près de l’angle occidental du péribole, a sous doute servi au cours d’une ou de plusieurs phases de travaux (Leclerc, 2007b, p. 134-135).

54Dans un tout autre registre, au sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79), la fouille récente du temple G et de ses abords a livré plusieurs témoins de l’important chantier qui a été conduit en vue de monumentaliser le site, vers la fin du iie s. de n. è. (phase 3). Des remblais, installés pour servir de rampes d’accès facilitant l’acheminement des blocs, au moyen de traîneaux, jusqu’à l’édifice de culte en cours de construction, ainsi que les traces d’échafaudages et d’engins de levage y ont été mis en évidence ; des aires de stockage des matériaux, de gâchage et de taille de la pierre ont aussi pu être localisées (Bertaudière et al., 2017, p. 75-76). De même, sur le site de la Forêterie à Allonnes (S.9), la conservation exceptionnelle et l’étude des vestiges du chantier du temple et des portiques de l’état monumental du sanctuaire (phase 4) ont permis de reconstituer les étapes successives des travaux, depuis le gros œuvre jusqu’à la pose des derniers éléments de décor et aux finitions (Gruel et Brouquier-Reddé dir., 2003, p. 64-95 ; Brouquier-Reddé et Cormier, 2011 ; Brouquier-Reddé et al., 2015, p. 177-180). La campagne de construction a vraisemblablement débuté dans les années 80 et a duré environ trois quarts de siècle. Pour commencer, les structures antérieures ont été arasées, y compris l’ancien temple A2, afin de dégager l’espace nécessaire à l’édification d’un nouvel édifice de culte sur podium (A3), premier bâtiment construit. Le gros œuvre de ce dernier est achevé vers 90-110, puis un atelier de forgerons, de bronziers et de marmorarii, lié aux travaux de décoration, est aménagé au nord de son escalier d’accès, entre les années 110 et 130 (fig. 296). D’une surface de près de 170 m², il est construit sur des sablières et des poteaux, et est pourvu de foyers destinés à la production d’objets en alliage cuivreux et en fer. En outre, une possible fosse de fusion de statues de grand bronze y a été identifiée et d’abondants déchets témoignent aussi de la préparation de la pierre ornementale. Enfin, à partir des années 130-140 et pendant une trentaine d’années, alors que le temple est en voie d’être achevé, le péribole et le quadriportique qui le borde sont érigés, puis les terrassiers procèdent au remblaiement de la cour à l’aide d’apports d’argile et de sable, déposés sur une aire de 9 000 m². Il semble peu probable que le culte ait continué d’être pratiqué dans l’enceinte du sanctuaire durant la longue phase de travaux ; aucune installation cultuelle temporaire n’a, du moins, été repérée à l’intérieur ou à proximité de l’aire sacrée et on ne sait ce qu’il advient alors des hommages rendus à Mars Mullo.

Figure 296 : Vestiges de l’atelier temporaire lié aux travaux de décoration du sanctuaire monumental de la Forêterie à Allonnes (Sarthe), installé au nord-est du temple en cours de construction : plan du premier et du second état de l’atelier (a et b) et schéma d’interprétation fonctionnelle du premier état (c).

Figure 296 : Vestiges de l’atelier temporaire lié aux travaux de décoration du sanctuaire monumental de la Forêterie à Allonnes (Sarthe), installé au nord-est du temple en cours de construction : plan du premier et du second état de l’atelier (a et b) et schéma d’interprétation fonctionnelle du premier état (c).

D’après Brouquier-Reddé et Gruel (dir.), 2004, p. 325, fig. 45 ; Brouquier-Reddé et Cormier, 2011, p. 408, fig. 2.

55La reconstitution du déroulement du chantier du sanctuaire monumental de la Tonnelle à Jublains (S.32, ph. 3) révèle un ordre inverse : le quadriportique corinthien, encadré par les murs d’enceinte du sanctuaire, a été mis en place dès le début du chantier, puis le sol de la cour a été rehaussé au moyen de remblais, afin de compenser la pente naturelle du terrain ; ce n’est que dans un troisième temps qu’a été entamée l’édification du temple sur podium. Comme à Allonnes, les repères chronologiques fournis par la stratigraphie et par l’étude stylistique des peintures et des éléments architectoniques témoignent d’une construction étalée sur plusieurs décennies, débutant dès le dernier tiers du ier s. et s’achevant au plus tôt à la fin du iie s. (Naveau et al., 1997, p. 122-143 ; Maligorne, 2006, p. 48-52 et p. 149-150).

56Par ailleurs, à Corseul, le monument du Haut-Bécherel (S.134), a été édifié en deux tranches à partir du début du iie s. de n. è., comme l’indique l’observation de ses maçonneries et bien qu’il relève d’un programme architectural unique et homogène (fig. 297). Ainsi, le gros œuvre du temple – la cella n’étant alors dotée que d’un plancher et d’un décor pariétal provisoires –, les deux tiers nord du portique occidental et l’extrémité ouest du portique septentrional ont été achevés dans un premier temps. Puis, au cours d’une seconde étape, non datée, la construction des portiques a été achevée, et celle des pavillons d’angle, des escaliers d’accès et du mur oriental a été menée à bien ; durant ce second chantier, un sol de béton a été coulé dans l’ensemble du monument, à l’exception de la cour, et les éléments décoratifs ont été mis en place (Provost et al., 2010, p. 137-140 et p. 215-217).

Réal. S. Bossard, d’après Provost et al., 2010, p. 38, fig. 15 et p. 139, fig. 126.

57Des chantiers de grande ampleur, sans doute entrepris dans le cadre d’initiatives publiques, ont aussi été engagés pour d’autres lieux de culte monumentaux, bien que le déroulement des travaux y soit moins bien renseigné : d’importantes opérations de terrassement et de nivellement ont ainsi été réalisées sur plusieurs sites localisés sur un terrain en pente, à Chartres (S.101 ; Bazin dir., 2013, p. 97-113), avant que ne soit construit l’imposant quadriportique de Saint-Martin-au-Val, ensuite complété par une série d’exèdres et d’absides – tandis que le ou les temples n’ont pas été identifiés –, ainsi qu’à Meaux (S.158 ; Magnan, 2006, p. 188-190), Troyes (S.235 ; Driard, 2014) ou encore Amboise (S.237 ; Laruaz, 2009, vol. 1, p. 135-137).

58Des travaux de plus ou moins grande envergure, dont la durée et la complexité sont inhérentes à la nature du projet envisagé, au statut du sanctuaire et aux financements qui y sont investis, sont ainsi entrepris dans la plupart des sanctuaires préexistants entre la seconde moitié du ier s. et le iie s. de n. è., parfois en plusieurs étapes. Ces chantiers, auxquels s’ajoutent ceux que l’on conduit dans le cadre de l’aménagement de nouveaux espaces cultuels (cf. supra, 5.3.1.1), aboutissent généralement à l’agrandissement des aires sacrées et à la multiplication et à l’embellissement de leurs équipements, maçonnés dans la plupart des cas, et parfois même à leur monumentalisation.

  • 92 Il est probable que l’enceinte maçonnée attribuée à l’état 5 par G. Guillier ait directement succéd (...)

59La pétrification progressive des architectures est effectivement l’un des principaux changements observés à partir du courant du ier s. de n. è., en particulier lors de la seconde moitié de ce siècle. Cette évolution, liée à la diffusion de techniques de construction romaines, n’est toutefois pas exclusive au domaine religieux, comme nous l’avons rappelé supra (5.2.2) : l’emploi de la pierre liée au mortier devient aussi prégnant, à partir des mêmes décennies et sans pour autant impliquer la disparition des constructions en matériaux périssables, pour les autres monuments des villes et dans l’architecture domestique, tant en contexte urbain que rural. Autour des sanctuaires, tandis que l’essentiel des clôtures en bois est abattu et que rares sont les enceintes fossoyées conservées au-delà du ier s. de n. è., les périboles maçonnés se multiplient à partir du second tiers et surtout lors de la seconde moitié de ce siècle ainsi que, dans une moindre mesure, durant les premières décennies du iie s. (cf. supra, 1.1.1.2). Dans les lieux de culte qui sont réaménagés à cette époque, leur tracé se superpose parfois aux anciennes limites, jusqu’alors matérialisées par des fossés ou par une palissade, à Juvigné (S.36, ph. 2 ; Bossard et al., 2016, p. 26-28), Quimper (S.176, ph. 4 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 34-40 ; Nicolas et Villard dir., 2019, p. 199-201), Amboise (S.237, ph. 2 ; Laruaz, 2009, vol. 1, p. 135-137), Bennecourt (S.254, ph. 5 ; Bourgeois dir., 1999, p. 48) et probablement, aussi, à Pacé (S.193 ; Leroux, 2000) et Neuville-sur-Sarthe92 (S.18, ph. 4 : cf. supra, fig. 263). La préservation de l’espace que l’on a attribué au culte des divinités semble alors avoir été primordiale.

60Pour d’autres exemples, au contraire, a priori plus nombreux, l’aire sacrée est agrandie, parfois de manière considérable. Le changement d’échelle permet alors l’accueil d’un nombre plus important de cultores, tout en contribuant, dans certains cas, à accentuer la monumentalité du sanctuaire. Entre le début du ier s. et le tournant des iie s. et iiie s. de n. è., en contexte rural, l’emprise du sanctuaire de Val-de-Reuil (S.269) est ainsi quintuplée, à l’issue d’un développement en plusieurs temps, tandis qu’à Hérouvillette (S.145 ; cf. supra, fig. 257), elle est presque triplée entre le milieu du ier s. et le début du iie s. de n. è. à Macé (S.196 ; fig. 298), l’examen des vestiges conservés révèle que la cour, complétée par plusieurs galeries, est étendue en deux ou trois étapes ; une évolution similaire, que l’on peut décomposer en au moins quatre phases, peut aussi être proposée – sans certitude toutefois – à partir de l’observation d’images aériennes (fig. 299) pour le sanctuaire de l’agglomération secondaire de Meilleray (S.234 ; Geslin, 1997 ; Girot et Lecœur, 2012 ; archives scientifiques du SRA d’Île-de-France).

Figure 298 : Évolution du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne).

Figure 298 : Évolution du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne).

Réal. S. Bossard, d’après Leclerc, 2007a, p. 19, fig. 10.

Figure 299 : Proposition de phasage des vestiges du sanctuaire de la Vieille Église à Meilleray (Seine-et-Marne), d’après l’observation d’images aériennes.

Figure 299 : Proposition de phasage des vestiges du sanctuaire de la Vieille Église à Meilleray (Seine-et-Marne), d’après l’observation d’images aériennes.

Réal. S. Bossard, d’après une orthophotographie de l’IGN, datée du 16 juin 1996, et des clichés aériens de J. Roiseux, F. Girot et P. Lecœur (1996-2012) ; archives scientifiques du SRA d’Île-de-France.

61À partir du milieu du ier s. de n. è., les agrandissements sont parfois accompagnés, du moins dans les sanctuaires les plus monumentaux, par le déploiement de portiques qui flanquent le péribole, prévus dans le programme initial – à Corseul (S.134 ; Provost et al., 2010), par exemple – ou ajoutés plus tardivement, comme à Oisseau-le-Petit (les Busses, S.20 ; Monteil et al., 2015), Macé (S.196, ph. 4 ; Leclerc, 2007b) et peut-être Pussigny (S.244 ; Coutelas et Hauzeur, 2017). Que l’espace à vocation religieuse ait été amplifié ou non, « la construction d’enceintes maçonnées contre lesquelles furent adossés des portiques a modifié la perception visuelle des sanctuaires et joué un rôle dans la fonction et l’attribution des espaces à l’intérieur du périmètre sacré » (Van Andringa, 2017a, p. 121) ; la cour est alors clairement séparée du monde profane – comme elle l’est toutefois depuis l’âge du Fer – et les portiques, qui ne sont d’ailleurs pas spécifiques à l’architecture religieuse, offrent aux dévots un abri contre les intempéries et le soleil, tout en assurant la liaison entre plusieurs composantes de l’aire sacrée (cf. supra, 1.1.4.1). Il faut néanmoins rappeler que tous les sanctuaires ne sont pas enclos, du moins par des murs, et qu’il faut probablement restituer des murets, des haies, de simples talus, voire aucune clôture dans certains cas, en particulier pour des temples établis dans la cour ou en bordure de villae, ou pour d’autres sites notamment ruraux et a priori isolés (cf. supra, 1.1.1.4, 3.2.2 et 3.2.3.1).

62La diffusion des architectures maçonnées et couvertes de tuiles est également perceptible dans l’évolution des temples, dont la forme évolue d’ailleurs autour du milieu du ier s. de n. è., alors que les foyers disparaissent des cellae et que les sacrifices ont désormais lieu sur un autel placé dans la cour, à l’extérieur de celles-ci (cf. supra, 1.1.2.3 et 1.1.5.2). De nouveaux types de temples, composés d’une cella centrale et d’une galerie périphérique (types B), sont bâtis ou reconstruits, le plus souvent en pierre, bien que certaines architectures en terre et en bois, reposant sur des solins, aient aussi perduré au sein de modestes sanctuaires, comme à Hecmanville (S.152 ; Maret dir., 2003) ou à Vieux (S.281 ; Kerébel dir., 2000). Dans de rares cas, ce sont d’anciens édifices de culte qui sont conservés et transformés, comme à Bennecourt (S.254, ph. 5), lorsqu’un déambulatoire est aménagé autour de la cella B2 à partir du début du iie s. (fig. 300 ; Bourgeois dir., 1999, p. 49-53). Cependant, dans le cadre de nombreux chantiers de reconstruction, comme à Allonnes (S.9 et S.10 ; Brouquier-Reddé et Gruel dir. 2004 et 2015 ; Lucas et al., 2019), Juvigné (S.36 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016), Le Vieil-Évreux (Cracouville, S.78 ; Cliquet et al., 1996, p. 11-16), Saint-Martin-de-Boscherville (S.87 ; Le Maho, 1995), Bû (S.99 ; Fauduet, 1988), Quimper (S.176 ; Le Bihan et Villard dir., 2012, p. 336-353), Macé (S.196 ; Leclerc, 2007b) ou Genainville (S.260 ; Mitard, 1993 ; Vermeersch, 2012), les temples successifs des ier s. et iie s. de n. è. conservent le même emplacement, ou bien sont décalés de quelques mètres, ce qui a impliqué de détruire au préalable le plus ancien édifice pour débuter l’érection du nouveau. La volonté de conserver la position de la maison divine est patente, tandis que le plan et l’élévation de cette dernière peuvent amplement varier d’un état à l’autre (cf. supra, 1.1.2.1). On ignore si une modeste construction temporaire abrite la statue divine et autorise le maintien du culte durant la phase de travaux, ou si l’activité du sanctuaire cesse à cette occasion.

Figure 300 : Évolution du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du iiie s. de n. è.

Figure 300 : Évolution du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du iiie s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 12, fig. 2 ; p. 40, fig. 29 ; p. 45, fig. 35 ; p. 46, fig. 37 ; p. 52, fig. 44 ; p. 55, fig. 48 et p. 56, fig. 50.

63Par ailleurs, dans certains espaces cultuels, tels ceux de Macé (S.196, ph. 2 à 4) et de Bennecourt (S.254, ph. 6), et probablement à Méréville (S.213), des temples à galerie ou des édicules sont progressivement bâtis au sein de la cour sacrée et sont peu à peu agrégés autour du ou des bâtiments de culte principaux. L’accumulation graduelle de temples peut indiquer que le sanctuaire accueille de nouvelles divinités, invitées auprès du ou des titulaires principaux, à moins que l’édification de ces nouvelles constructions ne permette de célébrer le culte de dieux ou déesses déjà présents sur le site et jusqu’alors honorés grâce à la présence d’un simple autel, peut-être d’une statue dressée dans la cour. En tout état de cause, les temples et édicules ajoutés progressivement, généralement modestes, hébergent sans doute des personnages divins secondaires, peut-être adorés par de petites communautés de dévots, à titre privé (cf. supra, 1.2.2 et 1.2.3).

64De fait, qu’ils soient de plan carré, rectangulaire, circulaire ou encore octogonal, les temples qui sont conçus après le milieu du ier s. sont de formes variées et comportent très souvent un déambulatoire, caractéristique des architectures religieuses des provinces nord-occidentales de l’Empire, tandis que les simples cellae dépourvues de galerie correspondent désormais à de modestes chapelles, qu’elles prennent place au sein d’habitats privés ou de lieux de culte équipés d’au moins un temple plus imposant. Une ou deux générations plus tard, à partir du dernier tiers du ier s. de n. è., des architectures plus monumentales et souvent originales (types C et peut-être D ? ; cf. supra, 1.1.2.1) sont bâties au sein des grands lieux de culte publics, généralement implantés dans les chefs-lieux de cité ou les agglomérations secondaires (cf. supra, 3.1.2 et 3.1.3.1).

65À la diversité morphologique que l’on observe à partir de la seconde moitié du ier s. et surtout au iie s., s’ajoutent de plus amples variations des surfaces des temples : alors que leurs dimensions étaient relativement modestes jusqu’au milieu du ier s., la reconstruction en pierre et surtout la monumentalisation de certains édifices conduisent à l’apparition de très grands bâtiments de culte, couvrant plusieurs centaines de mètres carrés, richement ornés et généralement installés au sein de vastes cours bordées de portiques. À l’opposé, de modestes chapelles sont érigées au sein de lieux de culte dépourvus de limites propres ou d’emprise réduite, ou bien sont associées à de grands temples au sein d’espaces plus grands (cf. supra, 1.1.2.1). En ce qui concerne les autres équipements des sanctuaires, il peut être noté que se multiplient aussi, dès le second quart et surtout à partir de la seconde moitié du ier s. et du iie s., des bassins plus ou moins imposants, parfois parementés au moyen de pierres de taille ou couverts d’un placage, à Allonnes (la Forêterie, S.9), Aubigné-Racan (S.11), Orléans (S.114) ou Genainville (S.260 ; cf. supra, 1.1.3). En outre, l’intégration de certains lieux de culte à des ensembles monumentaux, en contexte de chef-lieu ou d’agglomération secondaire (cf. supra, 3.1.2.1, 3.1.2.2 et 3.1.3.1), contribue à leur mise en valeur et témoigne sans doute d’un statut public.

66Ainsi, la nature, les dimensions et le décor des équipements dressés au sein ou en bordure des aires sacrées se caractérisent par d’importantes disparités qui concourent à creuser l’écart morphologique entre les espaces cultuels les plus modestes, sans doute privés, et ceux dont la monumentalité est particulièrement marquée et qui ont certainement revêtus un statut public. D’autres sanctuaires, que l’on peut qualifier d’« intermédiaires » et dont le rang est plus difficile à caractériser, sont pourvus de constructions de dimensions moyennes et d’architecture somme toute banale. Afin de faire ressortir ces différences, en partie liées à la place qu’occupent les sanctuaires au sein de l’armature religieuse des cités, il paraît alors utile d’établir un classement qui tient compte de ces multiples paramètres.

5.3.1.3. Un outil pour évaluer et comparer la monumentalité des sanctuaires

67La monumentalité des lieux de culte, très variable d’un exemple à l’autre, est l’un des critères qui permettent d’identifier ceux qui relèvent des sacra publica (cf. supra, chapitre 3), mais aussi de déterminer les sites que les civitates ont souhaité mettre tout particulièrement en valeur au sein du paysage religieux ; à une autre échelle, celle des cultes privés, son examen révèle le soin que certains individus ou associations ont pu porter à l’embellissement du lieu qui accueille les activités religieuses qu’ils pratiquent à titre privé. D’une manière générale, l’expression monumentale d’un sanctuaire est le résultat d’investissements financiers et de travaux plus ou moins considérables ; elle contribue à accroître sa notoriété et la visibilité des cultes qui y sont rendus, au sein et à l’extérieur de la cité.

  • 93 Lorsque les limites de la cour sacrée n’ont pas été reconnues sur l’intégralité de leur tracé, une (...)

68En vue de comparer les sanctuaires des cités étudiées selon leur contexte d’implantation, leur statut supposé, leur chronologie ou encore la civitas dont ils relèvent, il paraît tout à fait judicieux d’établir un classement en s’appuyant sur un système de points, accordés en fonction de critères multiples. Cette méthode, bien qu’empirique, a notamment porté ses fruits dans le cadre d’études visant à hiérarchiser les chefs-lieux et les agglomérations secondaires de plusieurs cités des Gaules romaines (Chr. Goudineau, in Février et al., 1980, p. 387-390 ; Garmy, 2012, p. 258-286 ; Monteil, 2012, vol. II, p. 326-331). Au regard de la documentation ici réunie et en dépit de ses limites, l’exercice peut être tenté pour l’essentiel des espaces cultuels, du moins pour les états les mieux conservés et en tenant compte des difficultés engendrées par le caractère lacunaire de certains dossiers. Les critères et le barème retenus, détaillés dans le tabl. X, prennent en considération les dimensions de l’aire sacrée et des temples, lorsqu’elles ont pu être mesurées, ainsi que la richesse des matériaux employés pour la construction et le décor, le degré de monumentalité des édifices de culte et les équipements qui leur sont associés – portiques, exèdres, pavillons d’angle, porches, bassins, bâtiments divers, monuments et espaces publics bordant le péribole93.

Tableau X : Barème retenu pour évaluer la monumentalité des sanctuaires. Réal. S. Bossard.

Critères Nombre de points Critères Nombre de points
Mode de clôture   Dimensions des temples  
Modeste fossé ou muret 0 < 100 m² 0
Palissade ou fossé et talus imposants 0,5 101-300 m² 0,5
Enceinte en pierre 1 301-500 m² 1
501-1500 m² 2
Surface enclose   > 1 501 m² 4
< 1 000 m² 0
1 001-2 500 m² 0,5 Décors  
2 501-5 000 m² 1 Enduits peints 1
5 001-10 000 m² 2 Placage de roches locales ou régionales 1
10 001-20 000 m² 3 Placage de roches importées 2
> 20 000 m² 4 Mosaïques 2
Colonnes en briques ou corniche intégrée à la maçonnerie 1
Terrassement important 1 Ordre en pierre 2
Sculpture en bas ou haut-relief ou statues en ronde-bosse 2
Portiques longeant le péribole  
Une seule façade 1 Équipements divers  
Deux façades 2 Porche 0,5
Trois façades ou plus 3 Multiples édicules 0,5
Si dédoublé sur un ou plusieurs façades + 1 Bâtiments annexes indéterminés 0,5
Présence d'exèdres ou d'absides 0,5 Avant-cour 1
Présence de pavillons d'angle 1 Bassin(s) 1
Bassin monumental 2
Types des temples   Bâtiment à double galerie ou portique à avancées 1,5
Type A ou B1 (matériaux périssables) 0,5
Type B1 (maçonné), B3, B4, B5, B6, B7 ou E 1 Monuments associés  
Présence d'un porche ou d'un petit escalier + 0,5 Théâtre 3
Type B2 2 Forum 3
Type C1, C2, C3 ou D 3 Place (hors forum) ou autre équipement public (thermes, portique…) 1

69Si l’on tient compte uniquement de la phase de développement maximale des sanctuaires, ce sont 251 sites qui peuvent être retenus (fig. 301) ; les lieux de cultes les plus incertains et les moins bien documentés ont simplement été écartés de l’enquête. Le « score » calculé s’échelonne entre 0,5 et 37,5 points, soit une série de valeurs particulièrement étendue, pour une moyenne de 5,6 pt ; la majorité des totaux est toutefois inférieure à ce nombre, puisque la médiane de cette série est égale à 3,5 pt. Le « palmarès » ainsi défini permet cependant de distinguer une série de sites à vocation religieuse relativement monumentaux, dotés au minimum d’une dizaine de points et dominés par neuf sanctuaires auxquels ont été attribués 20 pt ou plus : le Haut-Bécherel à Corseul (S.134 : 20 pt), la Tonnelle à Jublains et les Vaux-de-la-Celle à Genainville (S.32 et S.260 : 23 pt), la Forêterie à Allonnes (S.9 : 25 pt), l’Aumône/la Justice à Châteaubleau (S.204 : 26 pt), Saint-Martin-au-Val à Chartres (S.101 : 26,5 pt), la Motte du Ciar à Sens (S.226 : 28 pt), la Bauve à Meaux (S.158 : 29,5 pt) et le lieu de culte central du Vieil-Évreux (S.79 : 37,5 pt).

Figure 301 : Répartition des sanctuaires avérés en fonction du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Figure 301 : Répartition des sanctuaires avérés en fonction du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Réal. S. Bossard.

  • 94 Les 134 sites dont la qualité des données a été jugée peu exploitable sont associés à un score moye (...)

70Ces résultats doivent être considérés avec circonspection, car les sanctuaires qui n’ont fait l’objet que de prospections aériennes ou géophysiques, ou encore ceux dont seule une surface peu importante a été étudiée, sont bien évidemment pourvus d’un nombre de points inférieur à celui des espaces cultuels dont le plan complet a pu être dressé et dont les élévations peuvent être restituées avec plus ou moins d’exactitude. Il suffit de comparer l’indice défini pour évaluer la qualité des données collectées pour chaque site (cf. supra, introduction) et le total de points correspondant pour constater que les valeurs les plus élevées se rapportent souvent aux sanctuaires les mieux renseignés94 (fig. 302).

Figure 302 : Répartition des sanctuaires avérés avec mention du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité et de la qualité de la documentation associée.

Figure 302 : Répartition des sanctuaires avérés avec mention du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité et de la qualité de la documentation associée.

Réal. S. Bossard.

71Malgré ces impondérables, quelques remarques d’ordre général sur les scores obtenus confirment la pertinence de ce type d’exercice. Il s’agit notamment de la différence que l’on observe entre les totaux calculés pour les sanctuaires en activité au cours du troisième quart du ier s. de n. è., à la veille des principaux chantiers qui contribueront à la métamorphose du paysage religieux des cités, et pour les états datés du terme du iis., postérieurs à cette phase de ferveur édilitaire (fig. 303 et 304). Bien que le nombre de lieux de culte pour lesquels des points ont pu être attribués soit relativement peu nombreux pour la borne inférieure de cette période (35 sites), il apparaît clairement qu’après plus d’un siècle, à la fin du iie s., la plupart des sanctuaires préexistants a gagné en monumentalité, tandis que les nouvelles fondations se caractérisent également par un score relativement élevé : la moyenne calculée pour les 94 sites les plus récents est alors égale à 8,2 pt, soit plus du double de celle des 35 sites du troisième quart du ier s., égale à 3,5 pt.

Figure 303 : Sanctuaires occupés au cours du troisième quart du ier s. de n. è. et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Figure 303 : Sanctuaires occupés au cours du troisième quart du ier s. de n. è. et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Réal. S. Bossard.

Figure 304 : Sanctuaires occupés vers 200 de n. è. et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Figure 304 : Sanctuaires occupés vers 200 de n. è. et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

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72L’examen de la répartition des espaces cultuels en fonction de leur implantation et de leur score est également riche en enseignements (fig. 305 a). Le décompte des points confirme effectivement que les formes les plus monumentales, absentes des contextes ruraux, sont exclusives aux chefs-lieux des cités et aux agglomérations secondaires, qu’elles soient avérées ou hypothétiques. Dans les campagnes, seulement 4 % des sanctuaires cumulent plus de 10 points, alors que ce nombre est atteint par 32 % des lieux de culte situés au sein ou en bordure immédiate d’un habitat groupé. En milieu rural, ce sont en particulier certains grands lieux de culte vraisemblablement publics, établis à moins de 5 km d’une ville-capitale, tels ceux de Neuville-sur-Sarthe (S.18) à proximité du Mans, du Haut-Bécherel près de Corseul (S.134) ou encore du Devant de la Garenne à Guichainville (S.61) ; dans d’autres cas, tel celui de Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74), le score relativement élevé (11 pt) et la présence d’aménagements périphériques, notamment d’une grande habitation, invite à considérer l’hypothèse d’une agglomération secondaire qui lui serait associée (cf. supra, 3.2.3.3 et infra, 3.3.2.2).

Figure 305 : Répartition des sanctuaires en fonction du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité et leur contexte d’implantation (a) ou leur statut présumé (b).

Figure 305 : Répartition des sanctuaires en fonction du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité et leur contexte d’implantation (a) ou leur statut présumé (b).

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73Si la monumentalité est un bon indice pour identifier les lieux de culte publics, elle ne peut suffire pour déterminer avec certitude leur statut : on ne peut définir un seuil précis à partir duquel un sanctuaire pourrait avoir relevé des sacra publica, d’autant plus que les scores calculés dépendent en partie de l’état des connaissances des sites et que l’ampleur et la qualité du décor de ces derniers était certainement variable d’une cité à l’autre, en fonction de ses revenus et du niveau de richesse de ses évergètes (cf. infra, 5.3.2). Cependant, dans le chapitre 3, l’analyse des sanctuaires et de leur contexte d’implantation a permis d’émettre des hypothèses plus ou moins solides au sujet du statut de plusieurs dizaines de sanctuaires, et ce à partir de différents critères. La confrontation de ces propositions et des scores obtenus par la distribution de points (fig. 305 b) invite à formuler plusieurs constats : si les lieux de culte les plus monumentaux, dotés de plus de 20 pt, correspondent certainement à des espaces gérés par la cité, il est plus difficile de se prononcer pour ceux qui cumulent entre 10,5 et 20 pt, bien qu’un statut public semble probable aussi dans ce cas ; quant à ceux dont le score est compris entre 5,5 et 10 pt, ils peuvent relever des différentes catégories. Les lieux de culte qui ont été assurément ou vraisemblablement publics cumulent en moyenne 9,8 pt. Quant aux sanctuaires privés, établis en ville ou dans les établissements ruraux (cf. supra, 3.1.2.3, 3.1.3.2 et 3.2.2), ils se caractérisent par une note particulièrement basse, généralement inférieure à 5 pt (en moyenne 2,1 pt) ; seuls deux sanctuaires domaniaux, à Rosporden (S.178 : 5 pt ; Pouille, 2006 a et b) et à Pannes (S.220 : 8 pt ; Renard et David dir., 1997) se distinguent des autres, notamment en raison de la présence d’un triportique dans le premier cas, et d’un grand nombre de temples, dont l’un est particulièrement grand, dans le second. Notons enfin que les mithraea sont associés à un score relativement peu élevé (6,5 pt à Angers, S.2 ; 7,5 pt à Septeuil, S.122), puisqu’à la richesse de leur décor s’opposent des dimensions et des équipements très modestes.

74Les disparités mises en évidence au moyen de la hiérarchisation multicritère montrent bien que, à l’issue des travaux menés entre le milieu du ier s. et la fin du iie s., le paysage religieux des cités de Lyonnaise, alors à l’apogée de son développement architectural, se compose de quelques lieux de culte particulièrement monumentaux, situés avant tout en contexte urbain, et d’un grand nombre de sanctuaires plus modestes, dont les dimensions et les équipements sont toutefois variés. Pour aller plus avant et comprendre comment l’armature religieuse des civitates a été mise en place et structurée au cours de cette phase d’activité édilitaire intense, il est à présent nécessaire d’analyser plus finement les rythmes de reconstruction et de monumentalisation des sacra publica et de s’interroger sur la répartition des cultes publics sur les territoires des cités étudiées.

5.3.2. L’évolution du maillage des sanctuaires publics

75L’analyse de l’armature religieuse des cités du centre et de l’ouest de la Lyonnaise peut s’appuyer sur un ensemble de 76 sanctuaires dont le statut a été probablement public, selon les critères établis dans le chapitre 3 et malgré les difficultés, déjà évoquées à cette occasion, liées à l’appréhension de sites qui n’ont généralement livré aucun argument épigraphique probant. Cependant, plusieurs inscriptions découvertes en réemploi ou dépourvues de contexte archéologique sont riches en enseignements à l’égard de quelques autres sanctuaires publics qui n’ont pas pu être localisés avec certitude, mais qui pourront être évoqués pour enrichir notre propos. Force est de reconnaître que les lieux de culte recensés, inégalement répartis au sein de la province (fig. 306), ne représentent qu’une infime partie des espaces religieux publics qui étaient disséminés au sein de ces civitates, en particulier pour les seize territoires sur lesquels seulement un, deux ou trois sanctuaires présumés publics ont pu être reconnus – aucun sanctuaire de ce rang n’est d’ailleurs documenté pour trois autres cités. Au demeurant, il faut probablement considérer qu’une part des 125 espaces cultuels, avérés ou hypothétique, pour lesquels la rareté des données recueillies nous prive d’indices cruciaux pour déterminer leur statut aient également relevée des sacra publica. Aussi, rappelons qu’il reste encore à découvrir l’essentiel des lieux de culte des espaces urbains, où se concentrait probablement un nombre important d’édifices gérés par la cité (cf. supra, chapitre 3).

Figure 306 : Sanctuaires publics avérés ou probables et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Figure 306 : Sanctuaires publics avérés ou probables et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Réal. S. Bossard.

76Nonobstant ces lacunes, l’examen approfondi de la chronologie, de la morphologie et de l’implantation de ces lieux de culte plus ou moins monumentaux révèle des trajectoires variées, qu’il faut sans doute imputer à leur place au sein du paysage religieux de la cité.

5.3.2.1. Concession du droit latin et évergétisme, moteurs des rythmes de reconstruction et de monumentalisation ?

77La monumentalisation des sanctuaires supposés publics, plus ou moins marquée en fonction des cas, n’a pas été un phénomène uniforme et ponctuel, puisqu’elle a généralement eu lieu par étapes successives, s’étirant parfois sur plusieurs décennies, et ce à des rythmes variables au sein d’une même cité ou d’une civitas à l’autre. Avant d’envisager les facteurs et les agents de la métamorphose des sites à vocation religieuse qui intéressaient l’ensemble de la communauté civique, il est d’abord utile de déterminer les principaux jalons chronologiques qui ont scandé leur développement à partir du milieu du ier s. de n. è. Cet exercice peut s’appuyer sur l’étude de 30 sanctuaires probablement publics et dont la chronologie a pu être établie à partir de fossiles directeurs relativement fiables ; ils sont répartis au sein de 16 cités, à raison de 1 à 5 sites par civitas. S’y ajoutent 11 lieux de culte dont le statut n’a pu être défini, qui pourront être évoqués à titre de comparaison. Le phasage de ces sites, avec mention – dans la mesure du possible – du terminus post quem des différents travaux de construction ou de réaménagement du péribole et des temples, ainsi que les changements architecturaux enregistrés d’un état à l’autre, sont résumés dans les fig. 307 et 308.

Figure 307 : Phasage des sanctuaires publics avérés ou probables, ou de statut indéterminé, par cité (des Andicaves aux Carnutes).

Figure 307 : Phasage des sanctuaires publics avérés ou probables, ou de statut indéterminé, par cité (des Andicaves aux Carnutes).

Réal. S. Bossard.

Figure 308 : Phasage des sanctuaires publics avérés ou probables, ou de statut indéterminé, par cité (des Coriosolites aux Vénètes).

Figure 308 : Phasage des sanctuaires publics avérés ou probables, ou de statut indéterminé, par cité (des Coriosolites aux Vénètes).

Réal. S. Bossard.

78La datation des chantiers engagés pour bâtir ou reconstruire les aires sacrées ne peut pas toujours être appréhendée avec précision et il faut insister une nouvelle fois sur le fait que seul un terminus post quem peut être fixé à partir de l’étude des données collectées sur le terrain. Les indices les plus précis sont généralement contenus dans les niveaux stratigraphiques scellés lors de l’aménagement du sanctuaire, qu’ils soient antérieurs à sa fondation ou contemporains de son chantier de construction ; mais les couches archéologiques les plus anciennes n’ont pas toujours été fouillées et elles n’ont parfois livré qu’un petit nombre d’objets que l’on peut dater. Quant à la valeur chronologique des éléments sculptés ou peints qui composent l’élévation et le décor des édifices, en particulier des temples et des portiques – fragments de colonnes et d’entablement en premier lieu, panneaux peints dans une moindre mesure –, elle peut apporter des informations utiles pour situer l’achèvement de la construction et les travaux de finition, mais elle reste souvent assez imprécise.

Du chef-lieu vers le territoire : une monumentalisation en plusieurs temps

79En l’état des connaissances, les principaux lieux de culte des cités que l’on a bâtis ou réaménagés après le milieu du ier s. de n. è., succédant parfois à des structures plus anciennes (cf. supra, 5.2), l’ont été au cours d’une ou de deux étapes de construction. Dans ce cadre, la pierre, le mortier et les tuiles ont alors été mis en œuvre de manière quasi exclusive, au détriment des architectures en terre et en bois, quasi absentes (cf. supra, 5.3.1.2).

80Certains grands monuments ont manifestement été conçus dans le cadre d’un programme architectural unitaire, déployé sur un terrain jusqu’alors dépourvu de toute construction ou bien occupé par des quartiers résidentiels ou artisanaux, et non par un sanctuaire préexistant. Le triportique et le temple du Haut-Bécherel, à Corseul (S.134 ; Provost et al., 2010), ont ainsi été a priori fondés ex nihilo sur le flanc d’une colline sise à plus de 1 km au sud-est du chef-lieu des Coriosolites, tandis que l’édifice de culte monumental de Tours/Caesarodunum (S.248 ; Jouquand, 2007), de même que le probable sanctuaire périurbain de Troyes/Augustobona (S.235 ; Driard, 2014) ont vraisemblablement été bâtis sur des îlots autrefois partagés par des propriétés privées, alors acquis par la cité et rasés pour y installer ces nouveaux espaces publics (cf. supra, 3.1.2.1). Un tel scénario a aussi pu avoir lieu, sans certitude toutefois, en lisière d’au moins deux autres chefs-lieux, à Jublains/Noviodunum (S.32) et à Chartres (S.101), bien que plusieurs indices, sur lesquels nous ne reviendront pas ici, concourent à supposer l’existence d’un lieu de culte antérieur, peut-être en activité au début du Haut-Empire (cf. supra, 3.1.2.4). Pour d’autres sites, tel le sanctuaire suburbain de Sens (S.226), qui est l’un des plus monumentaux de la Lyonnaise (cf. supra, 5.1.2.4), on ne peut reconstituer l’histoire de leur construction, puisque la connaissance de leur chronologie demeure très lacunaire.

81Cependant, dans la plupart des autres cas documentés, les sanctuaires ont été établis ou transformés en deux ou trois temps : lors d’une ou de deux étapes initiales, de premières constructions maçonnées, relativement modestes, ont d’abord été édifiées, puis, après plusieurs décennies, un nouveau chantier est engagé et aboutit à la monumentalisation des structures (fig. 309 et 310). Ce dernier temps marque alors un changement d’échelle considérable : l’aire sacrée est parfois agrandie et des temples particulièrement monumentaux (types C ou D) remplacent les bâtiments de culte préexistants (généralement de type B), tandis que la cour sacrée est souvent parée de portiques, jusqu’alors plutôt rares. De la monumentalité de cet ultime état de construction témoigne le barème mis en place supra (cf. 5.3.1.3), puisque le nombre de points associé – dépassant souvent la douzaine – est généralement doublé ou triplé par rapport à la phase précédente.

Figure 309 : Évolution de deux sanctuaires monumentalisés entre la fin du ier s. et la fin du iie s. de n. è. : la Forêterie à Allonnes (Sarthe ; a) et les Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise ; b).

Figure 309 : Évolution de deux sanctuaires monumentalisés entre la fin du ier s. et la fin du iie s. de n. è. : la Forêterie à Allonnes (Sarthe ; a) et les Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise ; b).

Réal. S. Bossard, d’après Brouquier-Reddé et Gruel (dir.), 2004, pl. II, fig. 7 et 2015, p. 78-81, fig. 27-28 ; Mitard, 1993, p. 42, pl. II ; Vermeersch, 2012, p. 233, fig. 5b, p. 239, fig. 16 et p. 240, fig. 17.

Figure 310 : Évolution du sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure), monumentalisé vers la fin du iie s. de n. è.

Figure 310 : Évolution du sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure), monumentalisé vers la fin du iie s. de n. è.

Réal. S. Bossard, d’après Bertaudière et al., 2019, p. 472, fig. 1 et p. 474, fig. 2.

82Un tel schéma évolutif, scindé en plusieurs étapes, a surtout été mis en évidence au sein d’agglomérations secondaires, tandis qu’il semble avoir été peu présent en contexte de chef-lieu – il a toutefois pu exister à Angers (site du Château, S.3 ; Chevet et Pithon, 2015) et à Chartres (S.101 ; Bazin et al., 2019, p. 127-144) – ou a priori rural, comme à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; cf. supra, 3.2.3.4 et fig. 263 ; Guillier dir., 2020) ou à Douarnenez (S.170 ; Clément et al., 1987 ; Maligorne, 2006, p. 56-59). Ainsi, en périphérie de l’agglomération cénomane d’Allonnes, le lieu de culte de la Forêterie (S.9), en activité depuis le second âge du Fer, est probablement pétrifié durant la première moitié du ier s. de n. è. (ph. 3 ; cf. supra, fig. 276), puis est de nouveau transformé à partir des années 80 de n. è. (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004 ; 2015). L’autre sanctuaire identifié en bordure de cet habitat groupé, aux Perrières (S.10), entre vraisemblablement en chantier à trois reprises (ph. 2 à 4) entre le courant du ier s. et le début du iiie s., comme en témoignent les différents états, peu documentés, de son temple principal, dressé sur un podium et équipé d’un large perron et d’un décor sculpté au terme de son évolution (Biarne, 2006 ; Lucas et al., 2019). Un parallèle intéressant peut alors être effectué avec l’exemple de Mauves-sur-Loire (S.167), puisque le temple maçonné (type B3) de la phase 2, érigé au plus tôt dans les années 70 de n. è., a été comme aux Perrières réaménagé lors d’une ultime étape, datée autour du milieu du iie s., en surélevant son sol – et probablement en surhaussant ses murs en conséquence – afin de le pourvoir d’un podium et, par la même occasion, d’un ordre sculpté et d’un décor plaqué (Monteil et al., 2009). En revanche, au Vieil-Évreux (S.79 ; Bertaudière et al., 2017), à Chelles (S.180 ; C. Charamond, in Griffisch et al., 2008, p. 424-425) ou à Genainville (S.260 ; Mitard, 1993 ; Vermeersch, 2012), le parti pris a été de détruire le ou les temples en pierre construits au cours de la seconde moitié du ier s. de n. è. pour asseoir les fondations des nouveaux édifices de culte, monumentaux, qui leur ont succédé au cours du iie s., alors que la cour sacrée est agrandie et désormais bordée d’un ou de plusieurs portiques – à l’instar de ce qui a été observé à la Forêterie. Enfin, à Châteaubleau, les temples de l’ensemble central de l’Aumône/la Justice (S.204), accueillant le culte d’au moins cinq divinités, ont été édifiés de façon progressive, en au moins trois étapes échelonnées entre le début du iie s. et le début du ive s. (cf. infra, 5.4.1), tandis que les galeries qui ceinturent l’aire sacrée ont été ajoutées entre la fin du iie s. et la fin du iiie s. (Parthuisot et al., 2008).

83On ne peut cependant considérer que tous les lieux de culte supposés publics ont connu une telle phase de monumentalisation, puisque certains d’entre eux, malgré plusieurs chantiers de reconstruction et l’adjonction progressive d’équipements témoignant d’une certaine ampleur (péribole maçonné, portiques, temples parfois multiple), ont conservé des traits relativement modestes, du moins en regard des exemples précédemment évoqués. En contexte urbain, il pourrait s’agir notamment du sanctuaire des Jacobins au Mans (S.16), a priori dépourvu de tout temple monumental – bien que la prudence s’impose, sa limite orientale n’ayant pas été découverte (cf. supra, 3.1.2.2 ; Chevet et al., 2014). Au cœur de l’habitat groupé d’Amboise, relevant du territoire des Turons, le lieu de culte enclos des Châtelliers (S.237), même s’il s’inscrit dans un quartier religieux manifestement plus important (cf. supra, 3.1.3.1), n’a jamais été pourvu d’un temple sur podium et seule une possible galerie étroite, en façade principale, peut-être restituée en l’état de la recherche (Laruaz, 2009, p. 119-121 et p. 135-139). De même, d’autres sanctuaires, dispersés dans les campagnes mais localisés à quelques kilomètres d’un chef-lieu ou d’une importante agglomération secondaire (cf. infra, 5.3.2.2), comme à évreux (lep Hébert, S.56), Guichainville (le Devant de la Garenne, S.61), Orléans (S.114), Macé (S.196) ou Vannes (S.278), n’ont jamais été dotés d’un temple monumental, puisqu’ils abritent généralement de simples édifices à cella centrale de plan carré et galerie périphérique (types B1 et B2) ; leur emprise ne dépasse guère 3 000 m², alors que la surface des grands sanctuaires cités dans les paragraphes précédents couvre souvent plus de 5 000 m², voire plusieurs hectares.

84D’un point de vue chronologique, il est intéressant de noter que la phase de monumentalisation, lorsqu’elle est attestée, semble avoir été généralement plus précoce pour les lieux de culte implantés dans les chefs-lieux des cités – ou, parfois, à quelques kilomètres de ces derniers –, où elle a pu avoir été mise en œuvre dès les années 60-80 de n. è. à l’opposé, les sanctuaires ruraux et ceux qui sont intégrés aux agglomérations secondaires éloignées de la capitale ont été reconstruits sous une forme monumentale plus tardivement, le plus souvent dans le courant du iie s.

85Ainsi, dans les quartiers centraux des villes-capitales, signalons que le forum monumental de Paris (S.181 ; Busson, 2019, p. 66) est probablement mis en chantier dès le dernier quart du ier s., tandis que l’imposant temple de plan circulaire de Tours (S.248 ; Jouquand, 2007, p. 189 et p. 192) commence à être bâti, au plus tôt, durant le dernier tiers de ce siècle ; à Angers (S.3 ; Brodeur dir., 1997, vol. 1, p. 60-64), si l’on considère qu’un niveau de démolition, associé à un bâtiment de plan carré ou rectangulaire – correspondant au premier temple maçonné ? – et daté des années 40-70, est bien directement antérieur à la construction du ou des édifices sur podium, un terminus post quem situé au terme de cet intervalle pourrait aussi être proposé. En périphérie immédiate des chefs-lieux, l’édification de sanctuaires monumentaux intervient également dès le dernier tiers du ier s., comme en témoignent les jalons qui ont pu être posés avec précision, lors de fouilles récentes, à Jublains (S.32 ; ph. 3 ; Naveau et al., 1997, p. 196-199), à Chartres (S.101 ; Bazin dir., 2013, p. 97-113) et peut-être à Troyes (S.235 ; Driard, 2014, p. 29). En dehors de ces villes, seuls les sanctuaires d’Allonnes (la Forêterie ; S.9, ph. 4 ; Brouquier-Reddé et Gruel, 2015, p. 78-82) et de Douarnenez (S.170, ph. 4 ; Clément et al., 1987, p. 35-37 ; Maligorne, 2006, p. 56-59) ont pu avoir été monumentalisés dès la fin du ier s. : dans le premier cas, situé à seulement 4 km du Mans/Vindinum, caput civitatis des Aulerques Cénomans, les travaux de gros œuvre (cf. supra, 5.3.1.2) ont manifestement débuté dès les années 80, alors qu’à Douarnenez, lieu de culte a priori isolé sur le territoire osisme, un quinaire frappé entre 81 et 84 et piégé dans un remblai sous-jacent au sol bétonné de la galerie du monument, fournit un terminus post quem similaire.

86D’autres sanctuaires particulièrement imposants, situés dans les environs proches des chefs-lieux de cité, ont vraisemblablement été édifiés à partir de la toute fin du ier s. ou à l’aube du iie s., au Haut-Bécherel près de Corseul (S.134 ; Provost et al., 2010, p. 175-182) et probablement à Meaux (S.158, ph. 3 ; Magnan, 2000, p. 77 et 2006, p. 188). Sur le territoire des cités, les espaces cultuels de Neuville-sur-Sarthe (S.18, ph. 5 ; Guillier dir., 2020, p. 94-115), de Chelles (S.180 ; Chr. Charamond, in Griffisch et al., 2008, p. 424-425) et de Sceaux-du-Gâtinais (S.225, ph. 2 ; Vilpoux, 1996, p. 106-139), associés pour les deux derniers à des agglomérations secondaires, ont été réaménagés sous une forme monumentale au début ou durant la première moitié du iie s., au plus tôt. Quant aux travaux d’agrandissement et d’embellissement les plus tardifs, qui ont radicalement modifié la morphologie de sites exclusivement localisés au sein de grands habitats groupés dépourvus du rang de chef-lieu, ils ont manifestement été entamés entre le milieu du iie s. et le début du iiie s., à Allonnes (les Perrières, S.10, ph. 4 ; Lucas et al., 2019, p. 540-541), au sanctuaire central du Vieil-évreux (S.79, ph. 3 ; Bertaudière et al., 2017), à Mauves-sur-Loire (S.167, ph. 3 ; Monteil et al., 2009, p. 167-173), à Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, S.204, et peut-être la Tannerie, S.205 ; Parthuisot et al., 2008, p. 57-59 ; Revenu, 2008, p. 77) et à Genainville (S.260, ph. 3 ; Mitard, 1993, p. 63-310 ; Vermeersch, 2012, p. 234-238). Précisons néanmoins qu’au Vieil-Évreux, le premier état en pierre du lieu de culte situé au centre de l’agglomération (S.79, ph. 2), bâti durant le troisième quart du ier s. de n. è. puis remanié quelques décennies plus tard, au début du iie s., présentait déjà un caractère monumental, eu égard à son emprise – il prend place dans une enceinte d’environ 2,7 ha – et à la présence d’au moins quatre temples de plan centré et d’un grand bâtiment organisé autour d’une cour centrale. Cependant, à partir de la fin du iie s. (ph. 3), l’érection de trois édifices de culte monumentaux, juchés sur un haut podium et reliés par des galeries, ainsi que l’extension considérable de l’aire sacrée, qui se développe désormais sur plusieurs cours (soit environ 8 ha), marque un tournant sans précédent dans l’évolution architecturale du sanctuaire.

La monumentalisation, traduction architecturale de l’acquisition du droit latin ?

87Les chantiers de reconstruction de grande envergure, engagés en vue de monumentaliser certains lieux de culte préexistants ou de bâtir ex nihilo d’imposants sanctuaires, ont donc démarré à des dates successives, s’échelonnant entre le troisième quart du ier s. et la fin du iie s. Les premiers espaces cultuels à bénéficier de tels travaux, dès les années 60-80, sont invariablement situés au sein même ou à proximité des villes-capitales, et il s’agit alors de lieux de culte majeurs au sein du paysage religieux, où prennent place des cérémonies auxquelles a pu participer une large part des membres de la communauté civique, ou du moins qui sont liées aux grandes divinités tutélaires de la cité et aux hommages rendus à titre public au pouvoir impérial (cf. infra, 5.3.2.2).

88Au regard de ces éléments, il semble tout à fait plausible, pour les cités étudiées comme pour d’autres, que le changement d’échelle opéré au sein des principales composantes de leur paysage religieux ait pu être lié à une modification de leur statut, puisqu’elles ont vraisemblablement accédé au droit latin entre le milieu et la fin du ier s. de n. è., sans que l’on puisse être plus précis (Le Roux, 1998, p. 264 ; Raepsaet-Charlier, 1998, p. 174-176 ; Ferdière, 2005, p. 151-152). De fait, le passage d’une communauté pérégrine à une cité de droit latin impliquait, pour cette dernière, une évolution de ses institutions et de ses élites, ainsi qu’une reformulation de ses rapports avec Rome et avec les autres cités, mais aussi de sa propre identité. L’accès à la citoyenneté romaine est désormais élargi, à l’issue de leurs fonctions, aux notables qui désirent s’investir dans les affaires municipales et la promotion juridique encourage alors l’évergétisme – pratique qui est toutefois déjà attestée au début de l’Empire dans les cités pérégrines (Jacques et Scheid, 1990, p. 324-330). Du point de vue de la religion de la civitas, dirigée par l’élite décurionale, « la généralisation du droit latin au cours du ier s. impliquait la publication d’une charte qui instaurait une gestion municipale et publique des cultes et des temples », comme en témoigne le règlement d’Irni, en Bétique (Van Andringa, 2000a, p. 11 ; 2017a, p. 205-206). Néanmoins, comme l’a évoqué J. Scheid (2008a, p. 17) au sujet de la cité des Trévires, il est nécessaire de prendre en compte les antécédents religieux des civitates qui, dès leur réorganisation sous le principat d’Auguste, on l’a vu, avaient déjà certainement sélectionné et réaménagé certains lieux de mémoire importants pour la communauté civique et fondé d’autres sanctuaires nouveaux (cf. supra, 5.2.1). De la même façon qu’elles avaient reformulé le paysage religieux de leur cité, au début du Haut-Empire, en s’appuyant sur le réseau des sanctuaires de la fin de l’âge du Fer, les élites locales, au moment de la mutation institutionnelle engagée dans le courant du ier s. de n. è., ont donc sans doute intégré la majorité ou l’ensemble des sites préexistants à la carte des lieux de culte publics. La pérennisation d’une armature religieuse antérieure de plusieurs décennies n’a toutefois pas empêché des fondations nouvelles, comme le suggère l’apparition probable, à cette période, de grands sanctuaires monumentaux dans le centre de Tours (S.248) ou dans les environs de Corseul, au Haut-Bécherel (S.134), du moins si ces imposants sanctuaires n’ont pas été créés dans le cadre du transfert d’un culte plus ancien. D’autres fondations, opérées entre le dernier tiers du ier s. et le début du iie s., notamment au sein d’agglomérations secondaires naissantes ou en voie de développement – à Châteaubleau (S.204-205) ou à Sceaux-du-Gâtinais (S.225), par exemple, chez les Sénons –, pourraient aussi s’inscrire dans le cadre d’un rééquilibrage sur le territoire des cultes publics, mais aussi de l’armature urbaine, dans le sillage de la concession du droit latin et donc du développement accéléré des équipements de la cité.

89Quoi qu’il en soit, l’acquisition du droit latin confère un certain prestige aux communautés civiques qui l’obtiennent et, en ce qui concerne leurs espaces publics, « la monumentalisation, qui devait confirmer la confiance témoignée par le pouvoir bienfaiteur, illustre [leurs] mérites et [leur] dignitas » (Ben Akacha, 2011, p. 89-90). L’évolution architecturale des grands sanctuaires pourrait alors être perçue comme la traduction monumentale de la concession du droit latin. La promotion institutionnelle d’une cité de l’Empire peut effectivement déclencher une frénésie constructrice, comme l’ont formalisé plusieurs études récentes, menées dans différentes provinces de l’Occident romain et prenant appui sur une documentation archéologique et épigraphique de qualité – notamment en Italie, en Afrique du Nord ou sur la péninsule ibérique (Goffaux, 2003 ; Ben Akacha, 2011 ; Bertrand, 2015, p. 198-205). Dans le cadre de travaux réalisés sur les civitates de cette dernière région et dans l’ouest de la Lyonnaise, qui intéresse plus particulièrement notre propos, B. Goffaux (2003, p. 147) et Y. Maligorne (2006, p. 167-171) ont néanmoins mis l’accent sur la pluralité des scénarios que l’on peut restituer à l’égard de leur développement monumental, a fortiori pour les cités dont on ignore la date de la concession du droit latin. De fait, certaines cités pérégrines ont pu avoir été dotées de monuments publics, marque de leur autonomie, avant que les autorités impériales ne leur reconnaissent un nouveau statut juridique ; il s’agit d’ailleurs d’une preuve de leur capacité à se doter d’infrastructures nécessaires à la vie civique, dont l’existence a pu appuyer leur demande d’accession au droit latin auprès du pouvoir romain. D’autres communautés, plus modestes, n’avaient probablement pas les moyens de transformer leurs équipements publics dès l’acquisition du droit latin et ont même été contraintes d’échelonner les chantiers de monumentalisation sur plusieurs décennies.

90Il faut donc faire preuve de prudence : on ne peut interpréter tout chantier de monumentalisation d’un lieu de culte comme le résultat d’une décision prise par le sénat local au lendemain de l’intégration politique de la communauté civique qu’il gouverne. Cette hypothèse paraît néanmoins tout à fait crédible pour les premiers grands sanctuaires bâtis ou rebâtis sous une forme monumentale, dès les années 60-70 pour les plus précoces – ce qui impliquerait que le ius Latii ait été accordé aux cités correspondantes sous Vespasien, au plus tard –, d’autant plus qu’il s’agit avant tout d’importants lieux de culte siégeant au sein même ou dans les environs proches du chef-lieu, donc au cœur de la cité (cf. infra, 5.3.2.2).

  • 95 La construction des thermes du Lycée Descartes pourrait aussi avoir eu lieu plus tardivement, dans (...)

91Au demeurant, leur fondation ou leur reconstruction doit être replacée dans un contexte plus large – et sans doute en partie lié, lui aussi, à l’obtention du nouveau statut –, celui de l’accroissement et de l’embellissement de la panoplie monumentale des villes des Trois Gaules entre le milieu du ier s. de n. è. et la première moitié du iie s. Ainsi, à Paris (S.181), le forum et son vraisemblable temple figurent probablement parmi les premiers édifices publics monumentaux à avoir été construits, peut-être avec les thermes du Collège de France, puisque leur aménagement remonte au plus tôt au dernier quart du ier s. de n. è., tandis que les autres équipements collectifs de Lutetia – en particulier les thermes de Cluny et un édifice à arène – ont vraisemblablement été bâtis dans le courant du iie s. (Busson, 2019, p. 64-102). À Tours95 (S.248), la construction du temple de la rue Nationale a pu avoir été menée en parallèle à celle de l’amphithéâtre et des thermes publics du Lycée Descartes, aménagés au plus tôt durant la seconde moitié, voire le dernier tiers du ier s. de n. è. De même, à Angers, le réaménagement de la terrasse monumentale du château, qui accueille par la suite un probable temple sur podium (S.3), est peut-être concomitant, à quelques années ou décennies près, de la construction, durant la seconde moitié du ier s. et au début du iie s., des thermes de la place de la République et de ceux de la rue Delaâge, voire de l’amphithéâtre (Maligorne, 2006, p. 162-163). Enfin, à Jublains (S.32), à Chartres (S.101) et à Corseul (S.134), l’édification des grands monuments religieux établis en périphérie des chefs-lieux s’inscrit également dans le cadre de l’essor urbain de ces villes, qui se traduit, entre le milieu du ier s. et le début du iie s., par un développement sans précédent des quartiers résidentiels, pour certains équipés de domus, ainsi que de la parure monumentale (Maligorne, 2006, p. 164-164 et p. 166 ; Joly et al., 2015). Si cette dernière est toutefois peu documentée dans les deux derniers cas, le dossier de Jublains/Noviodunum est plus fourni et permet de suivre, malgré d’inévitables imprécisions, la transformation des monuments du chef-lieu au cours de la période flavienne (Maligorne, 2006, p. 30-31 et p. 163-164). Alors que le premier état du théâtre, à l’extrémité méridionale de la ville, et la version monumentale de son vraisemblable forum sont probablement mis en place durant la seconde moitié du ier s. de n. è., le chantier du sanctuaire suburbain, succédant sans doute à un lieu de culte d’origine laténienne (cf. supra, 3.1.2.4 et 4.1.3), est également monumentalisé à partir des années 60 ou 70. La position de ce dernier pourrait même avoir dicté le choix de l’emplacement des autres monuments, alignés sur un même axe qui constitue l’épine dorsale de l’espace urbain.

92Ainsi, si l’agrandissement et l’embellissement des principaux sanctuaires des villes a été l’un des points forts des programmes édilitaires du dernier tiers du ier s. de n. è. et d’une partie du iie s., ce ne sont pas des actes isolés, puisqu’ils s’inscrivent dans un processus d’urbanisation plus global, dont ont aussi bénéficié les autres composantes des chefs-lieux, dans un contexte de prospérité économique qui caractérise l’ensemble de l’Empire, ses villes et ses campagnes. Néanmoins, contrairement à d’autres types de monuments, tels les thermes ou les édifices de spectacle, ces lieux de culte publics ont des origines parfois plus anciennes, à Jublains, à Chartres ou à Angers probablement. L’édification d’un état monumental peut avoir été initiée en parallèle d’autres chantiers, ou peut-être plus tardivement, comme à Corseul, où le sanctuaire périurbain du Haut-Bécherel (S.134) n’a pas été bâti avant les premières années du iie s., alors que le centre monumental de la ville a pu se développer dès la seconde moitié du ier s. (Chevet et al., 2009, p. 137). Si l’hypothèse d’une accession relativement tardive au droit latin peut être ici émise – puisque ce dernier a pu avoir été concédé par les représentants du pouvoir impérial au cas par cas, cité par cité (Reddé, 2022, p. 335) –, il faut aussi considérer que « certaines communautés modestes », telles les petites civitates de l’ouest de la Lyonnaise, « devaient éprouver des difficultés à mettre à jour leur patrimoine monumental » (Provost et al., 2010, p. 215), même après avoir obtenu une promotion juridique.

93Quant aux autres sanctuaires, en particulier ceux des agglomérations secondaires localisées à l’écart du caput civitatis, leur monumentalisation plus tardive, située dans le courant du iie s., semble montrer qu’ils n’étaient pas au centre des priorités de la cité, mais que leur développement a certainement été entrepris une fois que les grands chantiers du chef-lieu ont été menés à leur terme ou, du moins, qu’ils sont en voie d’achèvement (cf. infra). À l’instar de certains lieux de culte des villes-capitales, les états monumentaux peuvent ici succéder à des sanctuaires de plus faible envergure – au Vieil-Évreux (S.79) ou à Genainville (S.260), par exemple, sites qui avaient été pétrifiés dès le milieu du ier s. de n. è. –, sans pour autant bénéficier d’équipements de grande ampleur avant le milieu du iie s. Dans ces habitats groupés, la monumentalisation des principaux sanctuaires publics doit également être replacée dans le contexte de programmes édilitaires plus étendus, comme au Vieil-Évreux (S.79), où l’évolution décisive des temples et de leurs abords, vers la fin du iie s., est apparemment contemporaine de la reconstruction de l’aqueduc, jusqu’alors en bois, de l’agrandissement du théâtre et des thermes, de l’embellissement de certaines habitations ou encore du début de l’édification d’un macellum, qui ne sera a priori jamais achevé (Hartz, 2015a, vol. 1, p. 229).

Des chantiers de longue durée : questions de rythmes et de financements

94Si la concession du droit latin a donc vraisemblablement stimulé la mise en chantier des sanctuaires majeurs des civitates, du moins dans leur chef-lieu ou dans ses environs, elle n’a pas pour autant conduit à une évolution soudaine de leur armature religieuse : il faut aussi tenir compte de la durée de ces travaux – et donc de la date d’ouverture ou de réouverture des sanctuaires publics –, sans doute très variable d’un site à l’autre. Bien qu’aucune dédicace ne commémore la fin des programmes de construction et la reprise des activités religieuses, et ne permette donc de dater avec précision l’achèvement des campagnes de travaux, plusieurs témoins stratigraphiques et l’attribution stylistique des décors révèlent effectivement, pour certains lieux de culte urbains, que les chantiers n’ont sans doute été terminés que plusieurs décennies après les premières manœuvres.

  • 96 La date du début du chantier pose néanmoins problème. De fait, les niveaux de remblais associés au (...)

95Cependant, au cœur de la ville antique de Tours (S.248), la construction d’un temple monumental, mesurant près de 35 m de diamètre, a vraisemblablement été initiée à la fin du ier s. de n. è. 96et a pu avoir été finie quelques années plus tard, ou tout au plus une génération après. En effet, les débris de chapiteaux et de corniche recueillis sur le site ont aussi été attribués, d’après des critères stylistiques, au dernier tiers du ier s. de n. è. et aucun autre élément plus tardif, parmi les fragments issus de l’élévation du bâtiment de culte, n’a été mis au jour. En revanche, pour d’autres sanctuaires, établis en périphérie de chefs-lieux, un écart chronologique notable a pu être mis en évidence entre les niveaux liés aux premières étapes des travaux et la réalisation du décor architectonique. Les données manquent encore pour établir la chronologie des travaux des lieux de culte de Meaux (S.158) ou de Sens (S.226), ou pour dater l’aboutissement du chantier du Haut-Bécherel, à Corseul (S.134). Pour ce dernier site, l’observation des maçonneries a néanmoins permis de distinguer deux tranches de travaux, puisque seul l’angle nord-ouest du monument, incluant le temple et une partie des galeries occidentale et septentrionale de la porticus triplex, a été bâti dans un premier temps ; le sanctuaire était dès lors fonctionnel et a pu accueillir les premières cérémonies. En tout état de cause, on ne sait combien de temps – des années, voire des décennies ? – s’est écoulé entre cette première étape et la reprise du chantier, qui a permis de mener à bien la fin de la construction et la pose des éléments décoratifs (cf. supra, 5.3.1.2 et fig. 297). Comme l’a suggéré Y. Maligorne (2006, p. 150 et in Provost et al., 2010, p. 216-217), l’hypothèse d’une interruption imprévue semble la plus probable, au regard de l’état d’avancement du chantier ; en dépit de l’absence d’inscription permettant de déterminer l’identité des commanditaires, cet auteur propose de lier l’arrêt temporaire des opérations, plutôt qu’à l’incompétence des bâtisseurs qui aurait pu entraîner des erreurs de conception et une révision du projet initial, à des difficultés financières.

96Les données chronologiques sont plus précises pour trois autres lieux de culte suburbains. À Chartres, le complexe monumental de Saint-Martin-au-Val (S.101) est probablement doté de premiers équipements d’une certaine ampleur dès le courant du ier s. de n. è., bien que seule la partie orientale de l’ensemble ait livré les traces de constructions antérieures aux grands travaux entrepris vers 70 de n. è. (Bazin dir., 2013 ; Bazin et al., 2019, p. 127-144). De fait, à cette date, le monument oriental, doté de portiques qui relient plusieurs corps de bâtiments – dont au moins un temple (I) – est réaménagé sur la base de structures plus anciennes, tandis qu’est lancée, plus à l’ouest et au-delà d’une voie, l’édification (ex nihilo ?) de ce qui peut être considéré comme le monument principal du site, composé d’une cour circonscrite par un quadriportique et accueillant probablement le ou les temples des divinités principales (cf. supra, fig. 192). Le terrain, marécageux aux abords de l’Eure, est alors d’abord nivelé par l’apport de remblais, puis la construction en elle-même a été divisée en plusieurs étapes, que l’on peut restituer en détail pour l’angle nord-est du quadriportique. Dans un premier temps, jusqu’aux années 90-110, le portique oriental et le pavillon nord-est, puis la galerie septentrionale ont été bâtis ; puis, dans un second temps, vraisemblablement entre 110 et 130, ce sont les exèdres et les absides que l’on a érigées le long de la façade orientale. La datation proposée sur des critères stylistiques pour les colonnes du portique oriental, située entre le iie s. et le début du iiie s., ne contredit pas l’hypothèse d’une construction achevée, ou en voie d’achèvement, durant les premières décennies du iie s. – et donc d’un chantier qui a duré au minimum un demi-siècle.

97Il n’est pas utile de revenir en détail sur le déroulement, déjà décrit (cf. supra, 5.3.1.2), des travaux du monument de la Forêterie à Allonnes (S.9), situé à quelques kilomètres du Mans et en limite orientale d’une agglomération secondaire. Rappelons seulement que la conservation remarquable des niveaux antérieurs et contemporains du chantier et d’un atelier fréquenté par divers artisans offre ici des bornes chronologiques relativement précises : le chantier s’est étalé entre les années 80-90 et 160-170, soit sur trois ou quatre générations. Enfin, au grand sanctuaire de la Tonnelle, sis à l’orée septentrionale de Jublains/Noviodunum (S.32), les repères fournis par la stratigraphie et par l’étude stylistique des peintures et des éléments architectoniques témoignent également d’une construction étalée sur plusieurs décennies. Celle-ci débute effectivement dès le dernier tiers du ier s. – au plus tôt sous le règne de Néron – pour l’édification du quadriportique et peut-être pour l’aménagement des fondations du temple, et est finalisée au plus tôt lors de la seconde moitié du iie s., lorsque sont achevés la galerie externe et le façonnage du décor sculpté du temple (cf. supra, 5.3.1.2 ; Naveau et al., 1997, p. 196-199 ; Maligorne, 2006, p. 48-52). Il faut donc là encore envisager un chantier étalé sur plus d’un demi-siècle, probablement étendu sur deux à quatre générations.

98Ainsi, pour les chantiers les plus ambitieux, souvent localisés à proximité des chefs-lieux des cités, les opérations de terrassement, l’édification de temples monumentaux et de portiques ou encore la pose des éléments décoratifs sculptés, peints ou métalliques ont mobilisé d’importantes équipes d’ouvriers et d’artisans, issus de différents corps de métiers, sur un temps plus ou moins long et, peut-être, avec des périodes d’interruption. Les quelques exemples analysés montrent que les travaux s’étirent alors sur plusieurs décennies, généralement sur une cinquantaine d’années, voire davantage : en définitive, les premières fêtes religieuses célébrées à titre public n’y ont certainement pas été organisées avant la première moitié ou le milieu du iie s. de n. è. à Rennes/Condate, d’ailleurs, la création d’un flaminat de Mars Mullo, grand dieu de la cité, pourrait d’ailleurs être contemporaine de l’ouverture, ou de la remise en service, de son sanctuaire – non localisé – à l’issue d’une phase de monumentalisation : le premier citoyen qui revêt ce sacerdoce, T. Flavius Postuminus, y fait dresser plusieurs statues en 135 de n. è., dans une basilica intégrée à l’aire sacrée et qui venait peut-être d’être bâtie (cf. infra, 5.3.2.2 ; AE, 1969-1970, 405a).

99Comment expliquer la lenteur de ces chantiers, dont la longueur paraît considérable en regard de celle, par exemple, de la construction des grands sanctuaires de Rome, évaluée entre 5 et 28 ans (Brouquier-Reddé et al., 2015, p. 173 et p. 180, note 9) ? On est en droit d’estimer, et cette hypothèse n’est pas nouvelle (cf. notamment Maligorne, 2006, p. 149-151 ; Provost et al., 2010, p. 215-217 ; Brouquier-Reddé et al., 2015, p. 173-174), que des contraintes d’ordre financier, plutôt que liées à des problèmes techniques ou d’approvisionnement en matériaux, soient à l’origine de l’étalement observé. Le rythme des travaux aurait ainsi été imposé par l’investissement progressif et peut-être irrégulier des fonds nécessaires à l’achat des matières premières et au paiement de l’abondante main-d’œuvre qui y est impliquée.

  • 97 Voir notamment Andreau, 2017, pour un exposé synthétique des financements investis dans la construc (...)

100Les informations directes – textuelles ou épigraphiques – relatives au financement des chantiers de monumentalisation des grands sanctuaires sont globalement absentes, mais différentes pistes peuvent être explorées pour tenter d’expliquer ces délais particulièrement longs. Il est d’abord nécessaire de s’interroger sur les sources des crédits que l’on investit dans ces chantiers97. L’implication directe du pouvoir impérial n’est pas attestée pour les cités étudiées – et est d’ailleurs exceptionnelle à l’échelle des Trois Gaules (Frézouls, 1984, p. 32-33) – et il paraît plus plausible d’envisager que ces monuments, relevant du patrimoine des civitates et fréquentés dans le cadre de grandes cérémonies publiques (cf. infra, 5.3.2.2), aient été intégralement construits aux frais de la cité et des élites locales. L’intervention d’évergètes ou de la civitas n’est toutefois en aucun cas confirmée par la documentation épigraphique, du moins pour les lieux de culte des cités prises en considération. Dans certains cas, cependant, c’est une partie des équipements et des ornements d’un sanctuaire qui a pu avoir été offerte par un dédicant, souvent à l’issue de l’accomplissement d’un vœu contracté auprès d’une divinité. Ainsi, l’espace cultuel de la Fontaine de l’Étuvée, à Orléans (S.114, ph. 3), où réside la déesse Acionna, a été pourvu par un pérégrin dénommé Capillus, fils d’Illiomarus, d’un portique et de ses ornements (cf. supra, 2.1.1 ; CIL XIII, 3063 ; Verneau, Noël dir., 2009 ; Verneau, 2014). Si la galerie en question correspond probablement à celle qui borde la façade nord-ouest de la cour déployée au-devant du temple principal, on ignore tout de la forme précise des ornamenta mentionnés : s’agit-il de statues ou d’autres objets décoratifs qui y étaient abrités, d’un édicule (F) découvert à proximité, voire de la cour tout entière ? Une plaque circulaire, dédiée par le citoyen T. Marius Priscinus à la déesse topique Segeta, à Sceaux-du-Gâtinais (S.225), commémore aussi l’acquittement d’un vœu et, peut-être, le dépôt d’une offrande plus importante, dont la nature n’est pas précisée ici (AE, 1974, 423 ; Vilpoux, 1996, p. 13-15 et p. 122). De même, il semble probable que ce soit la communauté des vicani qui ait fait dressé un monument sculpté, sur lequel leur nom apparaît, près de l’entrée du lieu de culte principal de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (S.127). Toutefois, cet équipement, isolé dans un enclos accolé au péribole, constitue ici aussi un ajout sans doute postérieur au projet initial (Blin, 2000, p. 104-114). Dans un autre cadre, à Nantes/Condevicnum, il est probable que la statue de culte (signum), l’aire sacrée associée (templum) et ses ornamenta, dédiés à Mars Mullo en remerciement de l’accomplissement d’un vœu formulé par Agedovirus au nom de sa fille Toutilla, aient été offerts à titre privé et qu’ils correspondent à de modestes aménagements – sous la forme d’un simple édicule ? –, d’autant plus que l’image divine est mentionnée en premier et devait constituer l’objet principal du don (CIL XIII, 3101 ; Maligorne, 2006, p. 142). On ne saurait en revanche se prononcer sur le statut des lieux de culte de Minerve qui reçoivent, dans la même ville (CIL XIII, 3104 = AE, 2006, 830), par un pérégrin, et à Yzeures-sur-Creuse (CIL XIII, 3075), par un citoyen accomplissant le souhait de son père, une enceinte maçonnée (murus) et d’autres équipements – dont la description n’est pas conservée – dans le premier cas, et un temple (aedes) et ses ornements dans le second.

101En ce qui concerne les manifestations évergétiques, il faut aussi mentionner une série de bases de statues, découvertes en remploi dans le rempart tardo-antique de Rennes/Condate et qui prenaient place dans la basilique d’un grand sanctuaire public, dont l’emplacement n’est pas connu, consacré à Mars Mullo (CIL XIII, 3149-3152 = AE, 1969-1970, 405 ; Chastagnol, 1980 ; Van Andringa, 2017a, p. 158-159). Représentant des divinités territoriales (cf. infra, 5.3.2.2), les images sculptées, qui n’ont pas été retrouvées, ont été offertes par trois importants citoyens, ayant exercé la charge de prêtre municipal de Rome et d’Auguste : T. Flavius Postuminus, aussi premier flamine perpétuel de Mars Mullo, ainsi que L. Campanius Priscus et son fils L. Campanius Virilis. L’emplacement de ces statues, dont au moins cinq bases sont connues, a été accordé par le sénat local, qui pourrait être à l’initiative de la commande (Maligorne, 2006, p. 140).

102À Nantes, c’est au sein d’un sanctuaire probablement public de Vulcain que deux mandataires des habitants d’un vicus portuaire font construire, cette fois-ci à partir d’une collecte (ex stipe conlata), un tribunal cum locis – interprété comme une estrade et des sièges, c’est-à-dire un théâtre, par Y. Maligorne (2007 ; cf. CIL XIII, 3106-3107). Deux autres citoyens ont aussi offert à ce dieu un espace découvert bordé de portiques (porticus cum campo), qu’ils ont concédé aux mêmes vicani. Ces constructions ont pu avoir remplacé d’autres structures plus modestes et ainsi avoir été mises en place dans le cadre de la monumentalisation du lieu de culte, qui aurait alors été en partie financée par les cultores eux-mêmes. De ces collectes, rarement mentionnées dans les inscriptions évoquant la prise en charge de travaux d’importance, pourrait aussi témoigner, indirectement, la raréfaction globale du numéraire au sein des sanctuaires, à partir du second quart et surtout de la seconde moitié du ier s. de n. è. : des troncs auraient pu permettre de rassembler, au gré des visites des dévots ou dans le cadre de collectes publiques, organisées lors de fêtes religieuses, les fonds utiles au lancement des chantiers et au paiement régulier de la main-d’œuvre (cf. supra, 2.2.3.1 et 2.3.2.2). Au regard des sommes considérables qui devaient être investies dans les opérations les plus importantes, il ne semble toutefois guère concevable que de telles quêtes suffisaient à financer l’ensemble des travaux, et il faut probablement considérer qu’elles servaient avant tout à l’achat d’offrandes plus modestes, telles que des statues ou divers ornements.

103Le bilan s’avère donc décevant : force est d’admettre qu’on ne peut déterminer avec certitude les acteurs qui, à partir du milieu du ier s. de n. è., se sont engagés à financer l’édification ou la reconstruction, sous une forme plus ou moins monumentale, des sanctuaires publics. Les quelques témoignages recueillis montrent que des notables, agissant généreusement en tant qu’évergètes, ou les dévots eux-mêmes, dans le cadre de collectes, de vœux ou d’autres types de don, ont pu prendre en charge le coût d’une partie de la construction et surtout de l’ornementation de l’espace sacré, mais rares sont les inscriptions qui indiquent clairement que l’ensemble d’un chantier de reconstruction, voire de monumentalisation, a été financé par de tels individus. Faut-il y voir le signe que c’est la cité elle-même qui, grâce à la caisse municipale, se serait acquittée de la totalité des frais, ou du moins de l’essentiel, c’est-à-dire du gros œuvre ? C’est ce que propose Y. Maligorne au sujet de certains grands chantiers de l’ouest de la province, tels ceux des sanctuaires monumentaux de Corseul et de Jublains, en considérant que « l’ampleur des programmes et l’étalement – ou le fractionnement – des travaux suggèrent d’en attribuer l’initiative et le financement aux cités des Coriosolites et des Diablintes », d’autant plus que les preuves manquent pour identifier, dans ces deux civitates, des individus issus de familles particulièrement opulentes (Maligorne, 2006, p. 151 ; cf. aussi Provost et al., 2010, p. 217). S’il ne fait pas de doute que la décision d’ériger de tels monuments n’a pu être entérinée que par le sénat local, la prudence s’impose, puisqu’on ne peut exclure que les frais aient été en partie réglés par un ou plusieurs évergètes, même si leur fortune était limitée – ce qui pourrait d’ailleurs expliquer aussi la lenteur des chantiers, puisque leurs dons, permettant de faire progresser une partie des travaux seulement, auraient été étalés sur le long terme. En outre, la relative rareté des inscriptions, caractéristique de l’ensemble des cités étudiées, prive la réflexion de données cruciales, même si certains témoignages montrent bien qu’un notable local pouvait offrir lui-même à la cité dont il dépend la construction d’un monument. Au sein de la capitale de la même civitas des Aulerques Diablintes, les dédicaces affichées par un pérégrin dénommé Orgetorix, qui a pris en charge l’édification du théâtre de Jublains, ou encore celle d’un citoyen homonyme, C. Iulius Orgetorix, qui a financé la construction d’un édifice de spectacle de la ville de Meaux/Iatinum, en territoire melde, en fournissent deux exemples éloquents (AE, 1991, 1238 et CIL XIII, 3024 ; Maligorne, 2006, p. 164 ; Magnan, 2012, p. 128).

104Que la prise en charge financière des chantiers des grands sanctuaires ait été l’œuvre des civitates ou de leurs évergètes, qui ont d’ailleurs pu partager les frais (Monteil, 2012, vol. II, p. 307), on ne peut tenter d’expliquer l’étalement des travaux sans évoquer la monumentalité remarquable de certains de ces espaces publics, couvrant plusieurs hectares – à Chartres, à Sens ou au Vieil-Évreux –, enserrés par des portiques pouvant se développer sur plusieurs centaines de mètres et accueillant des temples, ornés avec faste, dont la cella dominait probablement l’horizon urbain. Les travaux engendrés par le développement des monuments religieux, s’inscrivant parfois dans des projets particulièrement ambitieux, figuraient vraisemblablement parmi les plus coûteux de la sphère publique, même si les informations à ce sujet manquent, et, comme le révèlent les dossiers les mieux renseignés, ils devaient être en partie menés de front avec d’autres chantiers d’importance. Le démarrage plus tardif de la monumentalisation de la plupart des grands sanctuaires des agglomérations du territoire, bien qu’ils aient souvent été pétrifiés dès la seconde moitié du ier s., s’explique probablement aussi par de telles contraintes : ce n’est qu’une fois que les cités ou leurs élites étaient libérées des frais occasionnés par les chantiers du caput civitatis qu’elles ont pu s’investir dans le développement des autres équipements publics, du moins pour ceux qui nécessitaient des coûts importants. Cette assertion repose toutefois sur un nombre d’exemples limités, puisque les civitates pour lesquelles il est possible de comparer les rythmes de mise en place des monuments religieux de la capitale et du territoire sont encore rares, et, pour en vérifier la pertinence, il sera donc nécessaire d’acquérir de nouvelles données.

5.3.2.2. Un réseau structuré : les sacra publica des cités, du chef-lieu au territoire

105À l’issue des derniers programmes de monumentalisation, achevés durant la seconde moitié du iie s. ou, au plus tard, au début du iiie s., les sanctuaires que l’on peut qualifier de publics ont peu évolué, à l’exception de quelques réaménagements qui, généralement, n’ont guère bouleversé leur organisation (cf. infra, 5.4). Répartis au sein du chef-lieu et du territoire – parfois vaste (cf. supra, fig. 2) – des civitates, ils constituent un réseau structuré de lieux plus ou moins monumentaux, servant d’écrin au culte des divinités intégrées au sein des panthéons publics dès la constitution des cités, ou ajoutées plus tardivement, au gré de de changements liés à l’histoire locale des communautés, tels que l’évolution de leur statut.

106Notre connaissance des sacra publica est encore lacunaire, car elle repose sur un nombre limité de sites archéologiques et de documents épigraphiques – souvent dépourvus de tout ancrage stratigraphique – que l’on peut assurément relier à la religion publique, tandis qu’aucun calendrier des fêtes religieuses célébrées au nom de la cité ne nous est parvenu, et que seuls de rares sacerdoces municipaux, affectés aux cultes correspondants, ont pu être enregistrés (Bossard, à paraître).

107Cependant, l’examen des vestiges conservés et identifiés apporte de précieuses informations sur l’organisation des cultes à l’échelle de la cité, notamment à travers l’étude de la répartition et de l’évolution des sanctuaires. Au-delà de variations propres à chaque cité, découlant de la façon dont celle-ci, autonome, gère la pratique de sa religion, il est possible de distinguer plusieurs grands sanctuaires civiques, implantés au cœur des civitates, au sein et en périphérie de leur chef-lieu, qui ont vraisemblablement accueilli le culte du ou des grands dieux protecteurs de la communauté, ainsi qu’un réseau plus ou moins dense d’autres lieux de culte, souvent moins monumentaux, disséminés sur le territoire et, tout particulièrement, dans les principales agglomérations secondaires. Il faut aussi s’interroger, à l’aune des données rassemblées pour la région étudiée, sur l’existence d’espaces cultuels publics situés au plus loin des villes-capitales, près des limites qui séparent les territoires des cités, et sur la pertinence de la notion, souvent évoquée pour les Gaules, de « sanctuaires de confins ».

De grands sanctuaires civiques, établis au cœur de la cité

108Plusieurs indices soulignent, sans surprise, la place prééminente du chef-lieu dans l’ancrage des cultes publics de la cité : la ville-capitale et ses environs proches concentraient sans doute une grande part des activités religieuses pratiquées au nom et aux frais de la civitas et, en particulier, les hommages rendus à des divinités occupant une place importante au sein du panthéon civique, ainsi qu’aux formes divinisées du pouvoir impérial.

109Sur le forum ou à ses abords devaient ainsi siéger une ou plusieurs divinités majeures, dont le culte était célébré, sans doute en étroite relation avec les hommages rendus à l’empereur, au sein de sanctuaires particulièrement monumentaux, figurant parmi les plus imposants de la cité. Si les temples identifiés au sein même de l’area forensis sont rares – seul l’exemple de Paris/Lutetia, dont le forum est vraisemblablement dominé par un temple sur podium (S.181) peut en effet être évoqué –, d’autres lieux de culte de grande ampleur ont été reconnus en bordure immédiate de plusieurs centres civiques, à Angers/Iuliomagus (S.3), à Jublains/Noviodunum (S.33), à Vieux/Aregenua (S.280) et à Vannes/Darioritum, ainsi que, de façon plus hypothétique car l’emplacement du forum est incertain, à Tours/Caesarodunum (S.248), Valognes/Alauna (S.251) et Rouen/Rotomagus (S.268) (cf. supra, 3.1.2.1). Les dimensions et les équipements de ces aires sacrées, déjà décrits, témoignent d’une monumentalité notable, malgré le cadre contraignant imposé par la trame urbaine, qui limite leur emprise à une surface – déjà remarquable – généralement comprise entre 3 000 et 5 000 m². En témoigne le nombre de points accordé, suivant le barème présenté supra (5.3.1.3 et fig. 306), qui s’échelonne, pour ces lieux de culte qui n’ont pourtant jamais été fouillés de manière exhaustive, entre 8,5 et 16 pt, pour une moyenne de 11,9 pt. Il est intéressant de noter que les temples classiques y sont peu rares : seuls ceux d’Angers et de Paris – voire l’un des deux édifices successifs de Valognes –, sans doute juchés sur un podium, ont pu avoir été bâtis selon des modèles architecturaux importés de Rome (cf. supra, 1.1.2.1, type D). En revanche, les autres bâtiments de culte identifiés, également dressés sur un podium avéré ou probable et dont l’élévation était certainement agrémentée d’un riche décor sculpté et plaqué, sont pourvus d’une ou de trois cellae centrales et d’une galerie périphérique, spécifique aux provinces nord-occidentales de l’Empire.

  • 98 À 4 km au sud d’Angers/Iuliomagus, l’agglomération secondaire de Sainte-Gemmes-sur-Loire (Maine-et- (...)

110Un autre ensemble de lieux de culte, également implantés au cœur des cités, se caractérise par une envergure et une monumentalité considérables, qui surpassent même celles des sanctuaires rattachés au centre civique et qui n’ont a priori jamais été égalées sur le territoire de la civitas : il s’agit de très grands temples, installés dans une cour enclose particulièrement vaste, qui prennent place en périphérie du chef-lieu, que ce soit à l’orée de la ville – à Jublains/Noviodunum (S.32), Chartres/Autricum (S.101), Sens/Agedincum (S.226) et Troyes/Augustobona (S.235) – ou plus en retrait, à quelques centaines de mètres, comme à Meaux (S.158), voire à plus de 1 km, à Corseul (S.134). Il est aussi possible de rattacher à cette série98 le monument de la Forêterie à Allonnes (S.9), qui répond aux mêmes caractéristiques et est situé à plus de 4 km au sud du Mans/Vindinum, voire le sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79), sis à moins de 6 km à l’est d’évreux/Mediolanum ; tous deux sont d’ailleurs rattachés à une importante agglomération secondaire, vraisemblablement cristallisée autour ou en bordure du grand sanctuaire, a priori préexistant dans les deux cas (cf. supra, 3.1.3.1). Néanmoins, pour le cas de Mediolanum, l’existence d’un autre imposant lieu de culte est soupçonnée en périphérie orientale de la ville antique, rue de la Justice (S.57) ; rien n’interdit toutefois qu’une couronne de grands sanctuaires publics, particulièrement monumentaux, ait été déployée dans un rayon plus ou moins long autour de certains chefs-lieux de Lyonnaise, à l’exemple de la topographie religieuse mise en évidence à Augst/Augusta Raurica, en Suisse (Péchoux, 2010, p. 170-183 ; Van Andringa, 2017a, p. 73-75). Au demeurant, il faut noter qu’à Allonnes et au Vieil-Évreux, comme à Corseul, le lien entre le lieu de culte et le chef-lieu est moins étroit que pour les autres exemples, situés précisément à l’articulation entre la ville et le territoire.

111Ces enceintes à vocation religieuse, présentées en détail supra (3.1.2.4 et 3.1.3.1), s’étendent souvent sur plus d’un demi-hectare et atteignent même, pour les vastes cités des Carnutes et des Sénons, près de 6 ha à Chartres (S.101) et plus de 10 ha à Sens (S.226), soit des valeurs rarement atteintes à l’échelle des Gaules romaines (Fauduet, 2010, p. 75 ; cf. supra, fig. 191, 192 et 219). En outre, dans plusieurs cas, les aires sacrées s’inscrivent dans des complexes monumentaux plus amples, comprenant notamment un théâtre à Meaux (S.158), et un ou plusieurs autres temples à Chartres (S.101) et probablement à Jublains (S.32). Ces ensembles monumentaux ont aussi pu accueillir d’autres types d’aménagements, liés aux cérémonies qui s’y déroulaient, tel qu’un grand bâtiment qui a pu servir à l’accueil de dévots ou à la préparation de banquets en bordure du péribole de la Motte du Ciar à Sens (S.226). Le ou les temples principaux de ces monuments sont ornés avec faste et couvrent plusieurs centaines de mètres carrés – et même plus de 3 000 m² à Sens – ; ils correspondent ainsi aux plus grands édifices de culte connus au sein de leur cité respective. Par ailleurs, ils sont systématiquement dotés d’une galerie périphérique, du moins pour les exemples dont le plan est connu, et se caractérisent parfois par un plan inédit – à Meaux, Corseul, Allonnes et sans doute Sens –, qui témoigne de la volonté de les distinguer clairement des autres bâtiments de culte de la cité, mais aussi de ceux des civitates voisines et des modèles romains. Il s’agit donc de leur conférer une identité propre, sans doute conçue lors d’un dialogue initié entre les élites civiques et des architectes de renom.

112De tels ensembles monumentaux, par ailleurs agrémentés de portiques et d’autres aménagements remarquables, tels des bassins ou des exèdres, cumulent un total de points nettement supérieur à celui des sanctuaires centraux des chefs-lieux, et avec lequel ne rivalisent que certains lieux de culte établis au sein d’agglomérations secondaires (cf. infra) : il est systématiquement supérieur à 16 pt et atteint même 25 pt à Allonnes, 26,5 pt à Chartres, 28 pt à Sens, 29,5 pt à Meaux et 37,5 pt au Vieil-Évreux, pour une moyenne de 25,7 pt (cf. supra, fig. 306). Ainsi, dans plusieurs cités, il est évident que les autorités locales ont souhaité bâtir au plus près du caput civitatis, ou bien à quelques centaines de mètres ou kilomètres de celui-ci, le sanctuaire le plus ample du territoire (Péchoux, 2010, p. 119-140). La comparaison à la même échelle des sanctuaires présumés publics ou de statut indéterminé de plusieurs cités de tailles diverses, telles celles des Aulerques Diablintes (fig. 311), des Aulerques Cénomans (fig. 312), des Coriosolites (fig. 313), des Meldes (fig. 314) ou des Sénons (fig. 315), est éloquente : le lieu de culte périurbain est invariablement le plus monumental de tous et est aussi celui qui a été doté des plus grandes capacités d’accueil. Au demeurant, il est utile de noter que les deux cours les plus vastes correspondent ici à celles des civitates les plus étendues, soit les Carnutes et les Sénons (cf. supra, fig. 2). Il est alors probable que plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’individus pouvaient s’y réunir lors des fêtes religieuses (cf. supra, 1.1.5.4). Bien que l’identité des cultores fréquentant ces aires sacrées ne soit que très rarement connue, puisque seules quelques dédicaces, à Allonnes (ILTG, 343-345 = AE, 1960, 319 et 2003, 1186), au Vieil-Évreux (CIL XIII, 3197) et à Chartres (Bazin et al., 2017, p. 103-107) mentionnent le nom de dévots – dont un esclave public, un affranchi, un pérégrin et un citoyen –, on est en droit d’estimer que ces sanctuaires monumentaux drainaient, lors de cérémonies organisées (chaque année ?) à titre public, une part importante des membres de la communauté civique, voire des individus venus de cités voisines. De fait, il est vraisemblable que la notoriété de ces lieux de culte et surtout des divinités qu’ils accueillent était établie au-delà même des limites du territoire, bien que l’on n’en ait aucun témoignage épigraphique, iconographique ou littéraire.

Figure 311 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Aulerques Diablintes.

Figure 311 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Aulerques Diablintes.

Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.

Figure 312 : Plan des sanctuaires publics présumés ou avérés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Aulerques Cénomans.

Figure 312 : Plan des sanctuaires publics présumés ou avérés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Aulerques Cénomans.

Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.

Figure 313 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Coriosolites.

Figure 313 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Coriosolites.

Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.

Figure 314 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Meldes.

Figure 314 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Meldes.

Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.

Figure 315 : Plan des sanctuaires publics présumés de la cité des Sénons.

Figure 315 : Plan des sanctuaires publics présumés de la cité des Sénons.

Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.

113Quelle pouvait être l’identité des propriétaires divins de ces différents monuments publics, dont la place centrale, au cœur ou en périphérie de la ville-capitale, comme la monumentalité défiant toute concurrence au sein de la cité, révèlent leur prédominance au sein de l’armature religieuse de la civitas dont ils dépendent ? Les données épigraphiques et iconographiques manquent souvent pour la déterminer avec assurance, puisque seuls deux dieux interprétés, Mars Mullo à Allonnes (S.9) et probablement Apollon Vatumogons dans un temple sans doute secondaire du complexe de Chartres (S.101), ont pu être identifiés de façon indubitable comme titulaires de lieux de culte périurbains, tandis que Jupiter Optimus Maximus, grand dieu du Capitole romain, pourrait avoir été honoré, sans certitude toutefois, dans le temple avoisinant le forum de Jublains (S.33) (cf. supra, 3.1.2.1, 3.1.2.4 et 3.1.3.1). Si l’on raisonne à partir des bâtiments de culte conservés, il peut être noté que chacune de ces aires sacrées de grande envergure accueille un temple monumental, dans la plupart des cas, ou bien un double – à Meaux (S.158) – ou un triple édifice de culte, à Vieux (S.280) et au Vieil-Évreux (S.79) ; il faut donc restituer, d’un cas à l’autre, un dieu ou une déesse unique, ou bien un couple ou une triade divine, au sein desquels un personnage ou l’autre a pu avoir la préséance – ce qui semble plausible sur ce dernier site, puisque le temple central y est plus grand que les deux autres.

  • 99 C’est peut-être le cas d’Angers, où la terrasse monumentale qui accueillera le probable lieu de cul (...)

114À défaut de pouvoir nommer, dans la majorité des cas, le ou les propriétaires divins des temples reconnus, il est parfois possible de reconstituer, en examinant l’histoire et l’évolution du lieu de culte, le contexte dans lequel les cultes ont été forgés. Ainsi, les sanctuaires centraux des villes ont été fondés, du moins pour les quatre exemples dont la chronologie est renseignée (Paris, Tours, Angers et Vannes) au cours du Haut-Empire. L’emplacement de certains d’entre eux a pu avoir été réservé dès l’organisation de la ville et la délimitation des îlots urbains99, tandis que d’autres ont indubitablement succédé, à partir du dernier tiers du ier s. de n. è., à des quartiers résidentiels et artisanaux (à Paris, Tours et Vannes). Dans ce cas, si le culte a pu avoir été déplacé depuis un autre point du chef-lieu – par exemple, depuis une aire simplement dotée d’un autel, ou d’un temple modeste, qui prenait place sur le premier forum de la ville, et qui aurait été transférée, sous une forme monumentale, en bordure du nouveau centre civique ? –, il est aussi tout à fait possible que le sanctuaire ait été fondé ex nihilo, sur une décision prise par les élites civiques au moment de l’accession au droit latin, ou au plus tard quelques années après. En tout état de cause, l’aménagement de ces lieux de culte, plus ou moins étroitement associés à l’area forensis, ne semble pas avoir été antérieur à la création du chef-lieu et leur monumentalisation, précoce en regard de celles d’autres sanctuaires (cf. supra, 5.3.2.1), est probablement directement liée à l’évolution du statut juridique de la cité.

115Au contraire, les sanctuaires de périphérie urbaine s’inscrivent dans une histoire parfois plus complexe et plus longue, puisqu’au moins trois d’entre eux – à Jublains, Allonnes et Meaux, comme à Autun pour la cité voisine des Éduens (Barral et al., 2019, p. 70-71) – ont été construits à l’emplacement d’un lieu de rituels gaulois (cf. supra, 4.1.3), que leur occupation ait été ou non ininterrompue. Les autres sites ont vraisemblablement été fondés, au plus tard, dans le courant du ier s. ou au début du iie s. de n. è., mais les niveaux les plus anciens n’y ont été que rarement étudiés (cf. supra, 3.1.2.4). Certains d’entre eux assurent ainsi la pérennisation de la mémoire religieuse de la communauté civique et ont pu accueillir, comme à Allonnes avec Mars Mullo, une divinité ancestrale interprétée, créée ou du moins reformulée lors de l’organisation de la cité, dès le règne d’Auguste ou au cours des décennies suivantes, puis qui a reçu une consécration municipale au plus tard à l’issue de l’obtention du droit latin (Van Andringa, 2017a, p. 166-167). Les autres sites, s’ils ont bien été construits ex nihilo, ont probablement aussi accueilli une divinité majeure du panthéon public – interprétée ou non ? – qui aurait été forgée durant la période de gestation du système municipal ou, au plus tard, au moment de son évolution institutionnelle.

  • 100 Un flamine de Rome et d’Auguste est ainsi attesté à Évreux (CIL XIII, 3200), deux flamines d’August (...)

116Ainsi, les cultes publics semblent avoir été structurés, du moins dans certaines civitates, par deux pôles principaux, abritant chacun une à trois divinités majeures : l’un est situé au cœur de la ville, tandis que l’autre – ou les autres, dans certains cas – occupe sa périphérie, suivant un schéma bipolaire mis en évidence pour plusieurs cités des Trois Gaules par W. Van Andringa (2017a, p. 52-83 ; cf. aussi Péchoux, 2010 et 2016). Bien que les preuves manquent à l’échelle du territoire étudié, à l’exception – certes discutable – de l’exemple diablinte, le sanctuaire central, associé au forum, correspondrait à un « espace dévoué à l’empereur et aux grands dieux de l’État romain, parce que l’existence de la cité dépendait en premier lieu du prestige et de l’unité de l’Empire tout entier dans les mains de l’empereur et des dieux qui le protègent » (Van Andringa, 2017a, p. 82). L’édification de temples classiques – au demeurant très rares dans les cités étudiées (cf. supra, 1.1.2.1, type D) –, sur la place du forum ou à proximité, a alors peut-être été préférée à celle de formes plus locales, ces architectures empreintes de romanité étant particulièrement adaptées au culte de Jupiter et du pouvoir impérial divinisé. Néanmoins, le plan de la plupart des édifices de culte monumentaux bâtis au cœur des villes-capitales n’est pas d’origine romaine, puisqu’il s’inscrit dans la série des temples à galerie périphérique, élaborée dans les Gaules et les provinces voisines : les choix effectués témoignent d’adaptations locales, dont témoigne aussi la grande diversité de plan mis en œuvre à partir du schéma associant une cella et un déambulatoire. Par ailleurs, si l’on ne peut affirmer que les grands temples érigés au cœur des villes et auprès du centre civique accueillaient bien des hommages rendus à un aspect divinisé de la personne impériale, il est intéressant de noter qu’au sein des cités étudiées, les inscriptions mentionnant des sacerdoces municipaux proviennent exclusivement des chefs-lieux des cités et que, parmi eux, les prêtrises liées au culte impérial sont majoritaires100. Il est alors possible que les prêtres qui y sont cités aient présidé des cérémonies au sein de l’un des sanctuaires établis sur le forum ou à proximité, bien que l’on ne puisse en aucun cas localiser le lieu de culte en question.

  • 101 Nous reprenons ici l’expression préférée par C. Bonnet et V. Pirenne-Delforge (2013) à celle de « d (...)

117Quant aux titulaires des vastes sanctuaires périurbains – tirant pour plusieurs d’entre eux leurs origines d’un espace cérémoniel gaulois sans doute prestigieux, que le chef-lieu voisin ait ou non des antécédents gaulois (cf. supra, 4.1.3 et 5.2.1) –, il paraît plausible d’y voir de grands dieux publics, « des dii patrii chargés d’une connotation identitaire et collective », siégeant dans le plus monumental des lieux de culte de la cité, « trait d’union caractérisé de la ville et du territoire » (Van Andringa, 2017a, p. 156 et p. 82). Choisies dès les premières décennies du Haut-Empire par les communautés depuis peu intégrées au monde romain – et surtout par leurs élites (Raepsaet-Charlier, 2015, p. 176) –, entre le moment de la constitution en cité et l’acquisition du ius Latii, ces divinités tutélaires101 sont sans doute étroitement liées à la construction de l’identité et de la mémoire civiques. Ce lien est d’autant plus intime que certaines d’entre elles semblent avoir été façonnées en interprétant un grand dieu d’origine gauloise – du moins si l’on admet que Mullo, à Allonnes, était bien le dieu honoré dans le sanctuaire du second âge du Fer, ou encore qu’Apollon Vatumogons a été créé en interprétant une divinité locale, reformulée et intégrée au sein du lieu de culte monumental de Saint-Martin-au-Val à Chartres.

118À cet égard, il est d’ailleurs possible que le grand sanctuaire de Mars Mullo, à Rennes/Condate, uniquement connu grâce à une série de bases inscrites provenant des fondations de différentes sections du rempart tardo-antique (Pouille, 2008, p. 350-359), ait aussi pris place en périphérie de la ville antique. Le culte qui y est célébré à titre public a reçu vers 135 de n. è. un flaminat, selon le modèle adopté pour les grands dieux de Rome, dont le premier représentant est aussi prêtre municipal de Rome et d’Auguste et comptait parmi les citoyens les plus illustres de la cité (AE, 1969-1970, 405a ; Van Andringa, 2017a, p. 238) ; à l’instar du grand dieu des Aulerques Cénomans, Mars Mullo apparaît ici comme la divinité tutélaire des Riédones – ou du moins l’un de leurs principaux dieux protecteurs. En outre, les puissances divines territoriales des différents pagi de la cité étaient honorées auprès du Mars Mullo riédone, comme l’indiquent plusieurs inscriptions (cf. infra), de même que celles de la cité des Trévires l’étaient en bordure du grand sanctuaire de Lenus Mars à l’Irminenwingert, en périphérie occidentale de Trèves, en Allemagne (Scheid, 1991a). Une position suburbaine, assurant la liaison entre le chef-lieu et le territoire, serait alors tout à fait adaptée pour ce lieu de culte civique riédone, consacré également à un dieu interprété, qui est d’ailleurs identique à celui des Cénomans.

  • 102 La datation plus tardive de la monumentalisation du sanctuaire central du Vieil-Évreux, après le mi (...)

119D’un point de vue global, on ne peut donc définir un modèle unique de sanctuaire périurbain qui aurait été adopté par chacune des cités de la province au cours de la période julio-claudienne ou flavienne : le poids de l’histoire locale est prégnant et les rythmes de développement de ces sites, comme leur position par rapport au caput civitatis ou le nombre de divinités qui y sont honorées – voire le nombre même de lieux de culte monumentaux périurbains –, sont variables. Cependant, comme pour les temples établis auprès du forum qui ont pu être datés, il s’agit des espaces sacrés que les cités ont souhaité mettre en valeur, en les dotant d’une forme monumentale, dès la seconde moitié du ier s. de n. è.102, soit peu ou prou au moment de leur promotion juridique : il s’agit bien de sanctuaires civiques, évoluant en parallèle de la communauté et placés au centre des préoccupations religieuses de cette dernière.

D’autres sanctuaires publics, disséminés dans la civitas

  • 103 Cf. aussi, sur la question des cultes publics du territoire, les propos de M.-T. Raepsaet-Charlier  (...)

120D’une manière générale, les autres sanctuaires que l’on peut qualifier de publics, répartis sur l’ensemble du territoire des cités103, qu’ils « englobent en quelque sorte […] dans la communauté politique dont les temples sont les marqueurs » (Scheid, 2010, p. 143), se caractérisent par une monumentalité souvent moins marquée qu’au sein du chef-lieu, malgré d’amples variations morphologiques qui dépendent notamment de la cité étudiée, ainsi que par une diversité des contextes d’implantation.

121Il faut d’abord rappeler l’existence, au sein même des chefs-lieux – mais dans des insulae périphériques plutôt que centrales –, d’autres probables sanctuaires publics, à l’exemple de celui du Mans (S.16) ou de celui établi près de l’angle nord-ouest de la ville antique de Jublains (S.34 ; cf. supra, 3.1.2.2). A priori dénués de toute architecture monumentale – mais le premier n’a été que partiellement fouillé et le deuxième est essentiellement documenté par les résultats de prospections géophysiques –, ils occupent une surface importante dans l’espace urbain, correspondant dans les deux cas évoqués à un îlot ; celui du Mans s’est développé en parallèle de la ville-capitale, autour d’un ruisseau – et d’une résurgence ? – vraisemblablement habité par une divinité attachée au lieu. Sanctuaire sans doute important pour la communauté urbaine depuis la fondation du chef-lieu, il a probablement été conservé dans la carte des lieux de culte publics au moment de l’obtention du droit latin, mais n’a été doté d’un péribole maçonné que quelques décennies plus tard, au plus tôt vers 110-130. Quant à celui de Jublains, il accueille au moins trois temples qui ont pu, à titre d’hypothèse, réunir le culte de plusieurs divinités – honorées à titre public ou peut-être privé, pour certaines d’entre elles ? – liées à l’histoire locale des habitants de Noviodunum.

122À l’extérieur des chefs-lieux, outre les quelques sanctuaires particulièrement monumentaux qui ont été fondés en périphérie immédiate ou plus lointaine de ces derniers (cf. supra), une série de lieux de culte vraisemblablement publics, plus modestes et a priori isolés ou rattachés à un habitat plus ou moins développé, sont aussi attestés dans les environs de plusieurs villes-capitales, dans un rayon de 5 km, tandis que les autres se répartissent au sein des agglomérations du territoire ou, plus rarement, semblent avoir été à l’écart de tout habitat groupé.

123Dans certaines cités, signalons qu’un ou plusieurs sanctuaires présumés publics ont été identifiés à moins de 5 ou de 6 km – soit près d’une heure de marche – du caput civitatis (cf. supra, fig. 306). Outre l’exemple déjà évoqué du sanctuaire de la Forêterie, à Allonnes (S.9), dont la monumentalité est remarquable et qui abrite certainement le culte d’une divinité tutélaire de la cité, la périphérie du chef-lieu des Aulerques Cénomans est aussi occupée par un autre grand sanctuaire au sein de la même agglomération d’Allonnes – localisée à 4 km au sud du Mans/Vindinum –, aux Perrières (S.10 ; Biarne, 2006 ; Lucas et al., 2019), ainsi que par le lieu de culte a priori isolé de Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020), situé à 4 km au nord de la ville (cf. supra, 3.2.3.4). Contrairement à l’espace cultuel de la Forêterie, ces deux aires sacrées, dont les titulaires ne sont pas connus – une dédicace sur une stèle-buste indique cependant que Minerve est honorée, peut-être en tant que divinité secondaire, aux Perrières –, n’acquièrent pas une forme monumentale dès la fin du ier s., mais quelques décennies plus tard, dans le courant du iie s., alors que le chantier du lieu de culte de Mars Mullo est encore probablement en cours.

124Dans la civitas des Aulerques Éburovices, deux sanctuaires vraisemblablement publics ont été découverts dans le cadre d’opérations archéologiques préventives dans les environs d’Évreux/Mediolanum, au lycée Hébert (S.56 ; Doyen dir., 2002) et au Devant de la Garenne, sur la commune de Guichainville (S.61 ; Flotté et al., 1996), à respectivement 1 km et 5,5 km au sud-est. S’y ajoute, à plus de 6 km au sud-est, un ensemble de lieux de culte établis dans l’agglomération secondaire du Vieil-évreux (S.78-81), dont le monumental sanctuaire central (S.79), déjà mentionné supra, qui est l’un des plus grands de Lyonnaise. De même, toujours en Normandie, sur les territoires des Sagiens et des Viducasses, les lieux de culte de Macé (S.196 ; Leclerc, 2007b) et de Baron-sur-Odon (S.279) prennent place à 3,5 km au nord-ouest de Sées et à moins de 3 km au nord-ouest de Vieux/Aregenua, tandis que sur le Massif armoricain, celui de Vannes (S.278 ; Baillieu et Simon, 2000), dans la civitas des Vénètes, est sis à moins de 1 km au nord de la ville de Darioritum.

125Peut-on considérer que ces divers édifices appartiennent à une couronne de sanctuaires, dont seuls quelques éléments auraient été découverts, qui ceinturerait le chef-lieu et en assurerait la protection symbolique ? Contrairement à l’exemple de Rome (cf. infra), ces lieux de culte ne marquent souvent pas les limites des cités, qui sont bien plus vastes, et leur implantation semble relever de facteurs multiples, sans doute spécifiques à chaque site. Caractérisés par une diversité de formes et d’équipements, ils sont rattachés à de grandes agglomérations probablement nées après la fondation de leur plus ancien sanctuaire – à Allonnes et au Vieil-Évreux, cf. supra – ou peut-être à des habitats plus modestes, plutôt qu’à des structures d’accueil (cf. supra, 3.2.3.3 pour celui de Baron-sur-Odon), ou bien sont manifestement isolés. Ils ont été fondés, au plus tard, autour du changement d’ère ou durant la première moitié du ier s. de n. è., puis dotés de constructions maçonnées à partir du milieu du ier s. ; ils succèdent parfois, à Vannes et à Baron-sur-Odon, à une occupation laténienne, dont la nature n’a pu être déterminée, mais dont la présence a peut-être été déterminante pour le développement du sanctuaire au cours de l’époque romaine. Les espaces cultuels cénomans de la Forêterie et de Neuville-sur-Sarthe, quant à eux, prennent le relai d’un lieu de rituels gaulois, bien que pour ce dernier site, la datation du premier état fossoyé de l’enceinte soit imprécise. Lorsque le réseau viaire desservant le cœur de la cité peut être restitué, il apparaît que ces sites bordent probablement l’une des voies qui rejoignent le caput civitatis – à Vannes, à Évreux ou à Baron-sur-Odon –, ou bien sont parfois implantés à plusieurs centaines de mètres en retrait – à Macé ? Quant à leur proximité avec le chef-lieu et l’éventuelle protection de ce dernier, on ne peut prouver qu’elle ait systématiquement été la raison principale de leur développement, d’autant plus que l’identité des divinités qui y sont vénérées ne peut globalement pas être déterminée et que l’on ignore donc leurs compétences respectives. Notons d’ailleurs que la périphérie de certaines villes-capitales, dans un rayon de plusieurs kilomètres, semble aussi avoir été attractive pour d’autres types d’occupation, en particulier pour les villae (Batardy et al., 2013, p. 155-156).

126Il est tout à fait possible que la répartition de ces quelques sanctuaires dans les environs du chef-lieu de plusieurs cités, en particulier pour ceux d’entre eux qui sont isolés, soit en fait fortuite, puisque d’autres lieux de culte que l’on peut supposer avoir été rattachés aux sacra publica ont été reconnus à plus grande distance du centre urbain et paraissent également s’inscrire dans un environnement rural – en dépit des réserves déjà émises à ce sujet, puisque leurs abords n’ont été que rarement étudiés (cf. supra, 3.2.3). C’est ainsi peut-être le cas des sanctuaires de Juvigné (S.36) chez les Diablintes, de Thomer-la-Sôgne (S.77) en territoire éburovice, de Bû (S.99) pour les Carnutes, ou encore de Cléden-Cap-Sizun (S.168) et de Saint-Jean-Trolimon (S.179) pour la civitas des Osismes. La liste de ces exemples pourrait être complétée par plusieurs dizaines d’autres sites ruraux, équipés d’un péribole maçonné qui enserre une cour de plusieurs milliers de mètres carrés et par un ou plusieurs temples peu monumentaux, mais dont le statut – privé ou public – est incertain, faute d’arguments favorables à l’une ou à l’autre hypothèse (cf. supra, 3.2.3.1). Il serait vain, en l’état des connaissances, de tenter d’expliquer au cas par cas les raisons qui ont déterminé le choix de leur emplacement, bien que certains facteurs semblent parfois avoir assuré un rôle prépondérant.

127Outre les espaces cultuels, plus ou moins développés, qui ont pu marquer les limites de la cité et ainsi affirmer l’emprise de cette dernière sur son propre territoire et face aux civitates voisines, que ce soit sur leur façade maritime pour les Osismes (Bossard, 2021, vol. I, p. 583-585) ou dans les terres pour les autres (cf. infra), il faut aussi considérer la valeur mémorielle de certains sanctuaires où l’on célèbre les sacra publica de la communauté civique. À Juvigné, à Saint-Jean-Trolimon ou à Bennecourt (S.254) – si ces lieux de culte ont bien été publics durant le Haut-Empire – et peut-être à Cléden-Cap-Sizun, la présence d’un espace cérémoniel laténien, qui a pu avoir été fréquenté par une communauté assez importante avant la conquête romaine, a probablement été un argument de poids lors de la définition des cultes des cités pérégrines au début de la période impériale ; ces espaces cultuels auraient été par la suite destinés aux sacra publica des civitates de droit latin et sont restés fréquentés tout au long du Haut-Empire, voire au-delà, a priori sans qu’une agglomération ne soit fondée à leurs abords (cf. supra, 4.1 et 5.2.1). Rares sont ceux que l’on a reconstruits sous une forme monumentale à partir de la fin du ier s. de n. è., puisque seul celui de Cléden-Cap-Sizun (qui cumule 7 pt, sans prendre en compte le ou les temples, inconnus), s’il succède bien à un lieu de culte préromain, se caractérise par des dimensions remarquables et par des équipements de grande envergure – dont une double galerie et des pavillons d’angle en façade orientale.

128D’une manière générale, l’image qui ressort de l’examen des sanctuaires ruraux et supposés publics est celle d’espaces qui n’ont pas bénéficié des grands programmes édilitaires qu’ont connu les lieux de culte des chefs-lieux et des principales agglomérations secondaires, malgré la construction, dans de rares cas, de portiques ou de temples plus ou moins monumentaux – à Juvigné (S.36 : 7,5 pt), Thomer-la-Sôgne (S.77 : 12,5 pt), Bû (S.99 : 7 pt) et Saint-Mars-Vieux-Maisons (S.161), par exemple, pour des sanctuaires peut-être de plus grande renommée ? La relative modestie de ces sanctuaires ruraux rend d’ailleurs compliquée – et ce point a déjà été évoqué supra (3.2.3.1) – la distinction entre les lieux de culte publics isolés et ceux qui ont pu avoir été gérés, à titre privé et dans les campagnes, par un ou plusieurs propriétaires terriens. Ce constat invite d’ailleurs à douter de l’isolement réel de certains sanctuaires relativement monumentaux, parfois associés à diverses constructions dont la nature est incertaine, qui, plutôt que d’avoir été implantés au milieu des champs ou avoir été associés à des édifices uniquement liés à l’accueil de dévots, ont peut-être été situés en lisière ou au sein d’une agglomération secondaire qui n’aurait pas été formellement reconnue, tel qu’à Aubigné-Racan (S.11), Montoire-sur-le-Loir (S.17), Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74), Comblessac (S.132), Berthouville (S.150), Douarnenez (S.170), La Chapelle-des-Fougeretz (S.184), Méréville (S.213), Saint-Hilaire (S.222) ou Baron-sur-Odon (S.279) (cf. supra, 3.1.3.1 et 3.2.3.3).

129En l’état de la recherche, l’essentiel des sanctuaires publics du territoire des cités et, en particulier, les plus monumentaux d’entre eux, a donc manifestement été intégré au réseau des agglomérations dites secondaires qui le structurent, et notamment dans les plus vastes d’entre elles (cf. supra, 3.1.3.1 et fig. 306).

130Dans les civitates centrales de la province, de grands ensembles monumentaux, associant souvent un sanctuaire à un théâtre (cf. supra, fig. 204), voire à d’autres monuments, ont ainsi été érigés au cœur ou à l’orée de plusieurs agglomérations, réparties en divers points du territoire. L’exemple des Sénons est sans doute le mieux documenté : d’imposants sanctuaires (cf. supra, fig. 315) ont été identifiés au sein de plusieurs habitats groupés localisés à plusieurs dizaines de kilomètres de Sens/Agedincum, à Châteaubleau (S.204-205 : 26 pt et 11,5 pt), Sceaux-du-Gâtinais (S.225 : 17 pt), Montbouy (S.217, 13,5 pt) et peut-être Triguères (S.230, 17,5 pt). D’autres lieux de culte, probablement publics mais moins monumentaux, existent aussi à Sognolles-en-Montois (S.229 : 9 pt) et Saint-Valérien (S.223 : 7,5 pt), ainsi que, s’ils sont bien associés à une agglomération, à Méréville (S.213 : 10,5 pt) et à Saint-Hilaire (S.222 : 4,5 pt). Sur le territoire des cités voisines, mentionnons aussi la présence des grands sanctuaires de Meilleray (S.234 : 14 pt) chez les Tricasses et de Chelles (S.180 : 12 pt) sur le territoire des Parisii, mais aussi et surtout des complexes monumentaux de Genainville (S.260 : 23 pt), pour les Véliocasses, et du Vieil-Évreux (S.79 : 37,5 pt), déjà évoqué, pour les Aulerques Éburovices.

131Plus à l’ouest, des lieux de culte vraisemblablement publics, dont la plupart est toutefois de moindre ampleur que ceux des cités précédemment évoquées, ont aussi été identifiés dans les agglomérations cénomanes – à Allonnes (S.9 : 25 pt et S.10 : 12 pt), Vaas (S.25 : 6 pt), Oisseau-le-Petit (S.21 : 8,5 pt) et probablement Aubigné-Racan (S.11 : 11,5 pt) et Montoire-sur-le-Loir (S.17 : 5,5 pt). Songeons aussi, en territoire turon, aux sanctuaires d’Amboise (S.237 : 12,5 pt) et de Chanceaux-sur-Choisille (S.239 : 5,5 pt), chez les Namnètes, à ceux d’Athée (S.165 : 14,5 pt) et de Mauves-sur-Loire (S.167 : 12 pt), ou chez les Vénètes, à ceux de Plaudren (S.74 : 6 pt) et de Rieux (S.277 : 7 pt).

132Les lieux de culte d’Allonnes (la Forêterie, S.9) et du Vieil-Évreux (sanctuaire central, S.79) correspondent aux sanctuaires les plus vastes et les plus monumentaux à ce jour identifiés au sein de leur cité respective ; les dieux auquel un culte y est rendu – Mars Mullo pour le premier ; Jupiter, Apollon et Gisacus, probablement parmi d’autres, pour le second – ont très certainement été considérés par les communautés civiques comme leurs divinités tutélaires (cf. supra). En revanche, les aires sacrées des agglomérations des autres cités sont plus restreintes que celle du sanctuaire périurbain, du moins lorsqu’il existe et qu’il a été identifié – pour les cités des Sénons, des Carnutes et des Meldes, notamment (cf. supra, fig. 314 et 315). Pour autant, dans certaines civitates, telles celles des Sénons et des Véliocasses, la mise en évidence de lieux de culte de grande envergure, construits en plusieurs étapes et généralement monumentalisés dans le courant du iie s. de n. è. (cf. supra, 5.3.2.1), souligne bien l’importance accordée tout au long du Haut-Empire aux cultes publics ancrés dans les grands habitats groupés du territoire. Il suffit d’ailleurs de considérer la chronologie des sanctuaires les plus imposants, souvent aménagés au moment de la fondation de l’habitat ou dès le début de son développement (à Châteaubleau, Amboise, Mauves-sur-Loire, Sceaux-du-Gâtinais ou Allonnes/les Perrières), voire antérieurs à ce dernier (à Allonnes/la Forêterie, Genainville et au Vieil-Évreux ?) pour comprendre que la création des agglomérations est étroitement liée à celle des lieux de culte du territoire. Selon toute vraisemblance, à Sceaux-du-Gâtinais, c’est même la présence d’une divinité patronnant des eaux – salutaires ? – qui a motivé la fondation d’une importante station thermale, Aquae Segetae (cf. supra, 3.1.3.1).

133La question des divinités honorées au sein des sanctuaires publics des agglomérations secondaires avérées ou probables, déjà abordée, reste souvent en suspens, à défaut de sources épigraphiques et iconographiques conservées et de qualité. Cependant, les quelques exemples connus (cf. supra, 3.1.3.1) montrent bien que les combinaisons divines sont multiples, d’autant plus que les divinités cohabitent fréquemment au sein des lieux de culte des agglomérations secondaires, puisqu’un tiers d’entre eux est équipé de plusieurs temples.

134Quelle était la place des puissances divines honorées au sein des habitats groupés du territoire dans le panthéon public de la cité ? Qui pouvait fréquenter leur sanctuaire, souvent éloigné de plusieurs dizaines de kilomètres du chef-lieu ? M. Dondin-Payre et J. Scheid ont insisté à plusieurs reprises sur le fait que ces lieux de culte, comme tout espace relevant des sacra publica, sont gérés par la civitas, et donc par les autorités siégeant au sein du chef-lieu. Ainsi, ils « ne sont pas isolés, ils regardent la cité, et suscitent la dévotion des fidèles dans un périmètre qu’on ne peut déterminer » (Dondin-Payre, 2006, p. 152), et « la population intéressée par le culte est celle de l’ensemble de la cité qui le gère, et aussi, comme il est d’usage, celle du voisinage » (Scheid, 2006, p. 443). De fait, les divers équipements publics des agglomérations « contribuent particulièrement à l’agrément des gens du lieu […] parce que, étant sur place, ceux-ci en profitent au quotidien, et parce qu’ils jouissent de l’attractivité ainsi conférée à leur localité », qu’il s’agisse de vicani – comme à Jouars-Pontchartrain – ou non (Dondin-Payre, 2012b, p. 157). De ce fait, il est probable que les sanctuaires, s’ils étaient bien accessibles en dehors des jours de fête religieuse, drainaient avant tout, peut-être tout au long de l’année, un cercle de dévots local, voire régional – c’est-à-dire à l’échelle de l’agglomération et des campagnes environnantes –, élargi à l’occasion par les voyageurs de passage.

135Il faut aussi rappeler, avec M. Dondin-Payre (2006b, p. 153), que « les relations entre chef-lieu et agglomérations ne sont pas définies par le cloisonnement mais par la complémentarité » : les cultes établis dans les habitats groupés du territoire concernent aussi la population résidant dans le caput civitatis – et sur l’ensemble du territoire qu’elle administre –, et inversement. Selon toute vraisemblance, les cérémonies qui y sont organisées sont également inscrites dans le calendrier religieux de la cité. Ainsi, lors des sacrifices offerts à la divinité – ou aux dieux et déesses, peut-être honorés conjointement dans le cas des sanctuaires dotés de temples multiples ? – le jour de sa fête, une foule de cultores venue de la cité, voire des territoires voisins pour les sites établis en limite de deux civitates (cf. infra), pouvait se réunir dans les grands sanctuaires des agglomérations secondaires, dont les capacités d’accueil sont souvent importantes. Au demeurant, dans les habitats dotés d’une parure monumentale particulièrement développée, la présence fréquente d’un grand théâtre, à proximité du lieu de culte principal, suggère que des ludi scaenici étaient donnés dans ce cadre et qu’ils attiraient une importante communauté, même s’il n’est pas exclu que ce type d’édifice ait aussi été utilisé pour des spectacles plus profanes. Au demeurant, le nombre considérable de places assises que l’on y restitue – de l’ordre d’une dizaine de milliers, pour les monuments les plus vastes – dépasse largement les besoins locaux et devait donc être adapté à l’accueil d’un grand nombre d’individus, pour partie étrangers à l’agglomération (cf. supra, 3.1.3.1). Sur le territoire des Bituriges Cubes, en Aquitaine, la présence d’un gradin d’honneur, dans l’orchestra du théâtre de Saint-Marcel/Argentomagus (Indre), pouvant recevoir plus d’une soixantaine d’individus, suggère d’ailleurs que les décurions de la cité venaient également assister aux spectacles offerts lors des fêtes religieuses (Dumasy, 2011, p. 208-209).

136La notoriété de ces sanctuaires et des dieux qu’ils abritent, ainsi que leur importance au sein des cultes de la cité, devaient toutefois varier d’un site à l’autre, comme en témoignent probablement les différences de taille des temples et de la cour sacrée, ou encore la large gamme de formes architecturales que l’on observe en comparant leur plan (cf. supra, fig. 218 et 219). Certains lieux de culte monumentaux, implantés dans une importante agglomération formant un doublon avec le chef-lieu de cité – à Allonnes ou au Vieil-Évreux (cf. supra) – ont manifestement accueilli, en raison de leur position centrale au sein de la cité et du prestige associé à leur ancienneté ou de l’identité des dieux qui y ont élu résidence, le culte de divinités tutélaires, étroitement liées à la destinée de la communauté civique.

137Il est probable, aussi, que d’autres lieux de culte aient accueilli des divinités « territoriales », mentionnées dans plusieurs documents épigraphiques des Gaules et des Germanies et notamment, pour la région étudiée, dans la cité des Riédones (Scheid, 1991a ; Van Andringa, 2017a, p. 258-262). En effet, du chef-lieu de la civitas, Rennes/Condate, provient une série de bases de statues inscrites qui ont été commandées et placées par trois notables riédones, et avec l’accord de l’ordo local, dans la basilique du sanctuaire du dieu Mars Mullo. L’importance de ce deus patrius, dont le culte était donc célébré dans le caput civitatis ou dans sa proche périphérie, est confirmée par un décret municipal qui mentionne l’existence d’un flaminat de Mars Mullo, d’abord assuré par T. Flavius Postuminus vers 135 de n. è. (AE, 1969-1970, 405a), qui est d’ailleurs l’un des trois évergètes. Le même texte indique aussi que les bases étaient dédicacées aux puissances divines des pagi, les numina pagorum, dont elles devaient soutenir la statue. Des différents supports, qui appartiennent vraisemblablement à une même galerie statuaire, ont été retrouvés cinq ou six fragments (CIL XIII, 3148-3152 et AE, 1969-1970, 405b et c) ; ils fournissent le nom des divinités tutélaires d’au moins trois pagi, parmi lesquelles figure Mars Mullo lui-même (pour les pagi Matans, Sextanmanduus et [---]inus), accompagné de Mercure Atepomarus pour le pagus Matans, ainsi que Mars Vicinnus, pour le pagus Carnutenus. Le lieu de culte urbain ou suburbain, abritant le culte d’un – ou du – grand dieu civique, incarne ainsi l’unité de la cité : les circonscriptions territoriales et leurs dieux tutélaires y sont incorporés et représentés (Van Andringa, 2017a, p. 208 et p. 261 ; cf. aussi Chastagnol, 1980 ; Maligorne, 2006, p. 139-140 ; Pouille, 2008, p. 350-359).

138Sur le territoire de la civitas Riedonum comme ailleurs, les preuves manquent toutefois pour localiser de façon certaine les éventuels sanctuaires publics des représentations sacrées des pagi, qui auraient été établis au sein même de leur circonscription respective, dans une agglomération secondaire ou peut-être à l’écart de tout habitat (Raepsaet-Charlier, 2015, p. 199 ; Van Andringa, 2017a, p. 262-267). Les armatures religieuse et urbaine des Riédones sont effectivement encore peu connues, tandis que l’on ignore tout du découpage territorial de la cité, si ce n’est le nom des trois pagi – mais peut-être étaient-ils plus nombreux ? –, dont l’emprise ne peut être en aucun cas restituée. Si l’on exclut les temples ruraux privés, rattachés à une villa, la liste des potentiels candidats riédones est courte : seul le sanctuaire de La Chapelle-des-Fougeretz (S.184), situé à 7,5 km au nord-ouest de Rennes, vraisemblablement associé à un modeste habitat et situé près d’un axe routier majeur (cf. supra, 3.2.3.3 ; Provost, 1991), présente l’ampleur et les équipements monumentaux digne d’un sanctuaire public. Sa cour est dominée par deux temples d’inégales dimensions, qui pourraient éventuellement avoir renfermé les statues de Mars Mullo et d’un dieu territorial ; l’absence de toute inscription impose néanmoins la prudence et on ne peut donc déterminer avec certitude l’identité des divinités qui y ont été honorées. À 5 km plus à l’ouest, la grande enceinte de Pacé (S.193) abrite trois temples et pourrait aussi avoir été gérée par la cité ; en revanche, le statut de quatre autres espaces cultuels a priori isolés, qui renferment un unique temple, souvent installé dans une cour délimitée par un péribole maçonné, ne peut être déterminé (Leroux, 2000).

  • 104 Comme à Rennes, les pagi des Trévires étaient représentés dans le sanctuaire suburbain de Lenus Mar (...)

139Ici comme ailleurs, il est cependant probable, comme l’a proposé W. Van Andringa (2017a, p. 264-267), que les sanctuaires bâtis pour honorer les divinités tutélaires territoriales aient été intégrés aux principales agglomérations secondaires, dotées ou non du statut de vicus. L’existence d’un possible lien entre le sanctuaire monumental d’un habitat groupé et un pagus est d’ailleurs suggéré par la découverte d’une inscription qui était affichée dans le théâtre de Briga à Eu (Seine-Maritime), dans la cité des Ambiens, voisine de la Lyonnaise. Elle commémore la construction d’un théâtre, offert par un notable de la civitas en l’honneur des puissances divines impériales, du pagus Catuslou(giniensis) et d’un deus dont le nom n’est pas conservé, mais qui a probablement été le titulaire du temple monumental identifié à proximité de l’édifice de spectacle. Néanmoins, M. Dondin-Payre a bien montré qu’en l’état des connaissances, on ne peut affirmer que le dieu en question est bien une puissance directement liée au pagus, ni non plus que l’agglomération ait pu être le chef-lieu de ce dernier, ce qui est abscons (Dondin-Payre, 2006, p. 148-151). Par ailleurs, la lecture du dossier épigraphique de Rennes, comme celui de Trèves104, révèle que les entités divines associées aux pagi pouvaient porter des théonymes gaulois, ou du moins une épithète traduisant une dimension locale. Sur le territoire des autres cités, des divinités comme Mars Mullo, chez les Namnètes (à Craon), Segeta et Mercure Solitumaros, pour les Sénons (à Sceaux-du-Gâtinais et à Châteaubleau), ou encore Mercure Canetonnessis, dans la civitas des Lexoviens (à Berthouville), ont pu assurer la protection de communautés résidant dans l’une des subdivisions de la cité, tout en étant intégrées au cadre municipal ; chacune d’entre elles est d’ailleurs honorée dans un imposant lieu de culte, parfois auprès d’autres dieux et déesses. Cependant, contrairement au panthéon d’autres cités des Gaules ou des Germanies (cf. notamment Scheid 1991a et Van Andringa, 2017a, p. 254-258), on ignore souvent si ces divinités étaient également honorées en d’autres points du territoire et surtout dans le chef-lieu, à l’exception du Mars Mullo namnète, attesté dans deux inscriptions de Nantes/Condevicnum (CIL XIII, 3101-3102), sans que l’on puisse déterminer si les dédicaces ont été réalisées dans un cadre public ou privé.

140En outre, dans plusieurs cités, la répartition relativement équilibrée des sanctuaires monumentaux, implantés au sein ou en bordure d’agglomérations secondaires disséminées sur l’ensemble du territoire (cf. supra, fig. 306), pourrait d’ailleurs refléter l’ancrage de grandes divinités tutélaires siégeant au sein de circonscriptions intégrées à la civitas, que ce soit chez les Sénons ou chez les Aulerques Cénomans (Gruel et al., 2008 ; Gruel et Joly, 2015, p. 124-125) – tandis que les lacunes documentaires grèvent l’analyse des autres territoires. Lors des cérémonies religieuses organisées à titre public, ces grands sanctuaires ont pu avoir été le point de convergence, avant tout, des habitants de la subdivision de la cité associée, mais aussi de représentants municipaux et, en fonction de la renommée du lieu, d’autres membres de la communauté civique, résidant à une distance plus grande, voire des individus issus d’une cité voisine.

141En tout état de cause, pour les civitates prises en considération dans cette étude, l’existence de pagi et de divinités associées n’est avérée que pour la cité riédone et, même si d’autres communautés civiques ont probablement adopté un découpage et un système de représentations sacrées similaires, force est de reconnaître que les sources épigraphiques manquent pour restituer en détail l’organisation des cultes publics à l’échelle du territoire. La mise en place et la structuration des sacra publica des cités constituent des phénomènes complexes et découlent de choix propres à chaque communauté, liés au déploiement de l’armature urbaine et à l’existence d’éventuelles subdivisions territoriales en dehors du chef-lieu, à la réappropriation de lieux de mémoire ancestraux ou encore à la reconnaissance de résidences divines associées à certains éléments naturels. À ce titre, un dernier point mérite une réflexion plus approfondie : il s’agit des sanctuaires publics qui ont pu avoir été volontairement installés par les autorités de la cité le long de ses limites, face aux autres civitates.

Quid des « sanctuaires de confins » ?

  • 105 Sans prétendre à l’exhaustivité, mentionnons notamment les travaux de G.-C. Picard (1973, p. 147) e (...)

142Depuis les années 1970, la question de l’existence de « sanctuaires de frontières » ou « sanctuaires de confins », que l’on aurait délibérément établis, en tant que repères symboliques, à la limite de plusieurs cités antiques, a été évoquée à de nombreuses reprises, en particulier au sujet des provinces gauloises105 – et parfois même de façon abusive, comme l’a récemment noté J. Scheid (2016, p. 25).

143La pertinence de cette notion a cependant été mise en évidence, pour le monde grec archaïque, par Fr. de Polignac (1996, p. 51-108 ; cf. aussi Gillot, 2006) : l’espace de la polis est structuré par un habitat principal, la ville, et par un ou plusieurs sanctuaires extra-urbains, souvent monumentaux, qui, par un processus d’appropriation de l’espace rural, représentent la souveraineté territoriale. Sièges de divinités protectrices et marqueurs des frontières de la cité, ils sont fréquentés au cours de divers rituels de passage, peuvent servir d’espaces de refuge ou encore accueillir des compétitions ou d’autres types de rassemblements ; ils symbolisent ainsi l’unification du corps social, tout en étant fréquentés, aussi, par les communautés voisines.

144L’implantation de lieux de culte majeurs aux confins de la cité est également un fait avéré dans le monde romain, notamment à Rome même. De fait, l’Urbs était ceinte d’une couronne de sanctuaires à l’aube de la période impériale, mais certains d’entre eux tirent leurs origines d’une période plus ancienne (Scheid, 1987 ; 2016). Dans le cadre d’un programme de restaurations religieuses, Octavien a effectivement pris l’initiative de fonder ou de réaménager au moins cinq espaces sacrés localisés à une distance de IV à VI milles – soit entre 5 et 9 km – de Rome, le long des voies qui rayonnent autour de cette dernière : il réaffirme ainsi les limites de son territoire en mobilisant notamment d’anciens lieux de mémoire. Les cultes qui y sont rendus comportent, comme en Grèce, des aspects guerriers et agraires, voire sont en relation même avec la notion de limite – pour le sanctuaire de Terminus – ; « toutes les divinités honorées sont censées empêcher les mauvaises influences physiques et spirituelles de violer le territoire de Rome, et notamment ses champs cultivés » (Scheid, 1987, p. 592). Lors des fêtes religieuses de ces dieux et déesses, inscrites dans le calendrier officiel, des processions sont organisées entre l’Urbs et la plupart de ces sanctuaires de confins : les célébrations ont d’abord lieu dans l’espace urbain, puis à la limite. Les rapports entre la ville et le territoire sont donc étroits.

  • 106 Parmi les traités des géomètres romains, un texte attribué à Frontin (De controversiis agrorum) exp (...)

145Par ailleurs, dans les cités de l’Empire, l’existence de sanctuaires publics installés en limite des territoires, pour que les dieux assurent « la protection d’un seuil topographique, où se noue le contact avec un monde potentiellement hostile » (Bertrand, 2015, p. 142-143), est aussi attestée par plusieurs sources littéraires et épigraphiques, en particulier en Italie et en Afrique du Nord. La littérature gromatique fait ainsi référence à des lieux de culte publics – des autels, des bois sacrés ou des temples – implantés en milieu rural et en position frontalière, surveillés par les autorités et parfois sources de conflits entre deux cités, ou bien entre une civitas et des particuliers qui sont en désaccord au sujet de leur emprise et de leur propriété106. De même, Pline le Jeune rapporte que le sanctuaire des sources du Clitumne, en Ombrie, qui relevait d’abord du territoire de la colonie latine de Spolète, a été octroyé par Auguste à celui de la nouvelle colonie romaine d’Hispellum, sans qu’il ne soit fait ici mention de contestations. Il est effectivement probable que le contrôle de sanctuaires de confins renommés ait été convoité par les cités dont ils occupaient les franges (Pline le Jeune, Lettres, VIII, 8 ; Scheid, 1996, p. 246-247 ; 2010, p. 149-150). L’étude des données archéologiques recueillies en Italie médio-adriatique a d’ailleurs montré que le marquage religieux des limites des territoires, au moment de la création d’une nouvelle communauté civique – à l’exemple de la colonie d’Hadria –, s’appuie parfois sur le réseau de lieux de culte préexistant : la prise en main de sanctuaires ancestraux et localisés aux limites d’un territoire dont prend possession une communauté naissante légitime ainsi son autorité en dehors du chef-lieu (Bertrand, 2015, p. 145-147). Enfin, évoquons l’exemple des cités limitrophes de Nola et d’Abella, en Campanie, qui ont possédé en commun un sanctuaire d’Hercule situé sur leur frontière, probablement vers la fin du iie s. av. n. è. ; l’accord des deux parties était sans doute nécessaire pour toute décision relative à sa gestion (La Regina, 2000 ; Estienne et Cazanove, 2009, p. 25).

  • 107 La limite occidentale des Sénons est même à 80 km, à vol d’oiseau, de Sens/Agedincum, tandis que le (...)

146Qu’en est-il dans les Trois Gaules, provinces pour lesquelles aucun texte ne confirme la présence de tels sanctuaires publics implantés à la limite de plusieurs civitates et, en particulier, dans les cités centrales et occidentales de la Lyonnaise ? Il faut tout d’abord rappeler deux points : d’une part, les territoires étudiés, de taille variable, couvrent généralement une surface bien plus importante que les cités grecques ou d’Italie (cf. supra, fig. 2) et, à l’exception de quelques chefs-lieux décentrés ou siégeant au sein d’un territoire relativement étroit, il faut souvent parcourir une vingtaine ou une trentaine de kilomètres, à tout le moins107, pour en atteindre les limites depuis la ville-capitale. D’autre part, la restitution des limites des cités est approximative et l’identification d’éventuels sanctuaires de confins est donc un exercice dont les résultats doivent être considérés avec circonspection.

147Cependant, la prise en compte d’un vaste terrain d’enquête, incluant une vingtaine de cités, et la définition d’une zone frontalière assez large, en intégrant l’ensemble des sites localisés à moins de 5 km d’une limite présumée, permettent d’identifier 66 sanctuaires avérés qui ont pu, malgré les réserves évoquées, avoir été fondés aux marges du territoire de deux ou de trois civitates (fig. 316). Notons que les zones de confins ne sont pas plus attractives que le reste du territoire, puisque la surface couverte par l’ensemble des points situés à moins de 5 km d’une limite correspond environ au tiers de l’emprise totale des cités étudiées, tandis que les lieux de culte reconnus dans cet espace représentent seulement un quart du corpus. Il faut cependant éliminer de la réflexion 17 sites qui relèvent vraisemblablement des sacra privata, dont deux sont en contexte d’agglomération – à Vieux (S.281) et à Pouillé (S.243) –, 8 autres ont été bâtis au sein d’établissements ruraux et les 7 derniers, implantés dans les campagnes, correspondent à de petits temples, parfois inscrits dans une enceinte fossoyée, qui ont probablement été gérés par un particulier plutôt que par la civitas. Enfin, 2 autres lieux de culte sans doute publics, mais prenant place au sein même d’un chef-lieu localisé en limite de la cité qu’il administre – à Rouen (S.268) et à Vieux (S.280), sont également à exclure, puisqu’ils ne peuvent être considérés comme des sanctuaires de confins.

Figure 316 : Sanctuaires localisés à moins de 5 km d’une limite supposée entre deux cités antiques.

Figure 316 : Sanctuaires localisés à moins de 5 km d’une limite supposée entre deux cités antiques.

Réal. S. Bossard.

148Parmi les 47 sites restants, potentiels sanctuaires publics aménagés près des limites territoriales de la cité – un tel statut est d’ailleurs tout à fait vraisemblable pour 15 lieux de culte relativement monumentaux –, 10 sont rattachés à une agglomération secondaire établie en bordure du territoire civique, tandis que 5 autres ont également pu relever d’un habitat groupé, dont l’identification est toutefois incertaine – à Aubigné-Racan (S.11), Bonnières-sur-Seine (S.95), Méréville (S.213), Saint-Hilaire (S.222) et Baron-sur-Odon (S.279), cf. supra, 3.1.3.1 et 3.2.3.3. L’ampleur de ces habitats avérés ou hypothétiques est très variable : certains d’entre eux, développés le long d’une voie majeure, sont modestes et peuvent être qualifiés d’agglomérations routières, à Vaas (S.25) et à Pécy (S.159-160) ; en raison de leur position frontalière, ils ont pu avoir été associés à des postes de péage, bien que les preuves manquent pour l’affirmer (Monteil, 2012, vol. II, p. 319). Les sanctuaires qui en relèvent, peu documentés dans les trois cas, ont peut-être revêtu un statut public, sans certitude toutefois. Dans tous les cas, il est probable que les dieux qui y siègent, notamment pour ceux dont les temples avoisinent l’axe de communication, aient été visités par des voyageurs autant que par les habitants de la station routière (cf. supra, 3.1.3.3).

149À l’opposé, d’autres agglomérations correspondent à de grands habitats groupés, équipés d’une panoplie monumentale plus ou moins développée, tels ceux de Meilleray (S.234), pour les Tricasses, d’Augers-en-Brie (S.153), chez les Meldes, de Mauves-sur-Loire (S.167), en territoire namnète, et probablement de Rieux (S.277), chez les Vénètes. Parmi les agglomérations secondaires de la cité sénone, mentionnons aussi celle de Châteaubleau (S.204-205), pourvue d’un imposant centre monumental (cf. supra, 3.1.3.1), à laquelle il faut peut-être adjoindre les sites de Méréville (S.213) et de Saint-Hilaire (S.222), dotés d’un grand sanctuaire autour duquel plusieurs constructions, repérées uniquement en prospection aérienne, pourraient correspondre à des habitations organisées en quartiers plutôt qu’à des logements occupés occasionnellement, au cours des fêtes religieuses. Le problème est d’ailleurs le même, en limite méridionale de la cité des Aulerques Cénomans, pour le complexe monumental de Cherré à Aubigné-Racan (S.11), dont l’éventuel habitat associé n’a pas encore été mis en évidence avec certitude (cf. supra, 3.2.3.3). Tandis qu’à Mauves-sur-Loire et à Châteaubleau, le développement des sanctuaires monumentaux a été mené en parallèle de celui de l’habitat, qui en est contemporain, le lieu de culte d’Aubigné-Racan se surimpose à un ancien espace cérémoniel laténien, bien qu’une interruption de plusieurs siècles ait pu marquer l’occupation de ce site entre l’âge du Fer et l’époque romaine et que la possible agglomération n’ait donc pas nécessairement été fondée autour d’un sanctuaire préexistant, du moins encore en activité (cf. supra, 3.1.3.1 et 4.1.3).

150En l’état des connaissances, on ne peut donc démontrer que de grands sanctuaires établis près des limites des cités ont polarisé la naissance d’habitats groupés au cours du Haut-Empire. Il semble tout à fait envisageable que les élites civiques aient décidé d’installer une agglomération secondaire d’envergure, équipée notamment d’un grand sanctuaire, près des limites de leur territoire pour affirmer leur autorité sur celui-ci, en s’appuyant ou non sur la présence de lieux de mémoire. Il faudrait alors parler d’« agglomérations de confins » (Doulan et al., 2014) plutôt que de simples « sanctuaires de confins », pour lesquelles on ne peut d’ailleurs pas déterminer le rôle et l’importance des cultes parmi les facteurs qui ont influé sur le choix de l’emplacement du nouvel habitat et les raisons précises de sa fondation. À Châteaubleau, l’ampleur exceptionnelle du sanctuaire central, aménagé dès les premiers temps du développement de l’agglomération, montre bien que les multiples divinités qui y étaient honorées avaient une place prépondérante au sein de cette dernière. Dans certains cas, il est même probable que les monuments associés à ces habitats, et en particulier leurs sanctuaires, aient contribué à marquer de manière significative « la présence de la cité face à ses voisins » (Scheid, 2006, p. 444 ; cf. aussi Monteil, 2012, vol. II, p. 319) : à Mauves-sur-Loire (S.167), par exemple, en territoire namnète, le temple monumental de Vieille Cour est établi en rebord d’un plateau qui surplombe de 70 m la Loire et domine son versant opposé, où s’étend, en contrebas, la cité voisine des Pictons, d’où il était sans doute visible.

151En ce qui concerne les 32 sites a priori ruraux et probablement localisés à proximité d’une limite entre civitates – soit un nombre somme toute peu important au regard de l’aire géographique considérée –, on ne sait, généralement, si la présence d’un tel élément a été déterminante ou non au moment de leur implantation. La plupart de ces sanctuaires semble avoir été relativement modeste, ou bien seul leur temple a été identifié – en particulier pour les exemples normands, à Beaumont-le-Roger (S.44-46), Quatremare (S.70), Cauverville-en-Roumois (S.83), La Londe (S.86 et S.263), Saint-Martin-de-Boscherville (S.87), Grand-Couronne (S.261) ou Louviers (S.264) –, et l’identification de leur statut relève donc de la gageure, même si l’hypothèse de constructions privées pourrait être privilégiée à celle d’édifices publics pour nombre d’entre eux. On ne peut également se prononcer avec certitude sur le rang des lieux de culte apparemment isolés et composés d’un unique temple, de dimensions moyennes, et d’une enceinte maçonnée de plan quadrangulaire – à Fouqueville (S.58), Garennes-sur-Eure (S.60), Illiers-l’évêque (S.64) ou Mordelles (le Bignon, S.188) –, d’autant plus qu’ils n’ont que rarement fait l’objet de fouilles.

152Quelques cas, mieux documentés, doivent néanmoins être discutés (fig. 317), bien que l’on ignore tout des divinités qui y étaient honorées et, souvent, des rites qui y étaient pratiqués. Les lieux de culte d’Hérouvillette (S.145) et de Pussigny (S.244) ont pu avoir été associés à des hameaux plutôt qu’à des structures d’accueil destinées aux dévots et, si cette hypothèse est correcte, il semble peu plausible d’y voir des espaces publics (cf. supra, 3.2.3.3). Le sanctuaire de Macé (S.196), fondé dès le début du Haut-Empire, situé à moins de 4 km au nord-ouest du chef-lieu de la cité des Sagiens et accueillant de multiples divinités, pourrait avoir été fréquenté dans le cadre de célébrations ayant lieu aussi dans la ville, et on ne peut prouver qu’il existe bien un lien avec la limite septentrionale du territoire, d’autant plus que l’on restitue le tracé de cette dernière à environ 5 km plus au nord (Leclerc, 2007b).

Figure 317 : Possibles « sanctuaires de confins », installés sur des points dominants du paysage, à la limite entre deux ou trois cités antiques.

Figure 317 : Possibles « sanctuaires de confins », installés sur des points dominants du paysage, à la limite entre deux ou trois cités antiques.

153Enfin, cinq sites, a priori localisés à la lisière de deux – à Auvers-le-Hamon (S.26 ; Gautier et al., 2019, p. 270), Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74 ; Poulain, 1915) et Guainville (S.108 ; Delémont et al., 2012) – ou de trois cités, pour ceux de Sablé-sur-Sarthe (S.24 ; Monteil, 2015) et de Bennecourt (S.254 ; Bourgeois dir., 1999), se caractérisent aussi par une position dominante : ils sont établis en rebord d’un plateau, voire au sommet d’une colline pour ceux de Guainville et de Bennecourt, qui surplombe une vallée ayant pu matérialiser une limite interterritoriale. Leur cour sacrée est occupée par un ensemble de deux ou trois temples, de dimensions variables et parfois relativement imposants, à Saint-Aubin-sur-Gaillon, à Sablé et peut-être à Auvers-le-Hamon. L’entrée des édifices de culte de ce dernier site n’est d’ailleurs pas située à l’est, mais à l’ouest, face au territoire auquel il appartient ; cependant, cette configuration a peut-être été avant tout privilégiée en raison de la topographie des lieux, en assurant l’accès aux temples depuis le sommet du plateau et non depuis le versant, s’étendant à l’est (cf. supra, 1.1.2.2). Si l’on peut émettre l’hypothèse de sanctuaires volontairement établis par une cité aux confins de son territoire pour en assurer l’encadrement symbolique et en marquer l’emprise, en y érigeant des temples visibles depuis les civitates voisines, force est de reconnaître que les arguments sont fragiles et que d’autres schémas interprétatifs pourraient être aussi proposés. L’ampleur du sanctuaire de Saint-Aubin-sur-Gaillon, près duquel a été reconnu un vraisemblable bâtiment d’habitation, pourrait ainsi suggérer qu’il prenait place en bordure d’une agglomération (cf. supra, 3.2.3.3), tandis que l’environnement proche du lieu de culte de Bennecourt n’est pas documenté. Ce dernier site, comme celui d’Aubigné-Racan (cf. supra), succède néanmoins à un enclos laténien, fréquenté dans le cadre de rituels, et il est possible que les autorités de la cité véliocasse aient décidé d’y implanter, au sommet d’une colline visible de loin, un lieu de mémoire qui était peut-être fréquenté, comme les autres sites, par des dévots venus des cités limitrophes. Néanmoins, dans ces cas comme pour les autres sites, les preuves manquent pour certifier qu’il s’agit bien d’espaces publics.

154En l’état des connaissances, il faut donc admettre que l’on n’est pas en mesure d’identifier avec certitude d’éventuels sanctuaires de confins au sein des cités étudiées, même si cette hypothèse peut être avancée pour quelques sites a priori isolés et surplombant leurs environs. S’ils ont bien existé, ils semblent n’avoir été que peu fréquents ou, du moins, ils ne présentent pas de caractéristiques morphologiques qui permettraient de les identifier en tant que tels. Par ailleurs, très rares sont ceux qui paraissent avoir investi un lieu à valeur mémorielle et les données recueillies ne permettent pas de déterminer l’identité de leurs propriétaires divins ; l’absence de données épigraphiques ne permet pas, au demeurant, de savoir si la gestion de certains lieux de culte limitrophes a été prise en main par deux cités voisines, ou au contraire si elle était revendiquée par une seule d’entre elles. Du reste, l’essentiel des espaces cultuels localisés à proximité des limites supposées des civitates sont probablement trop modestes pour avoir revêtu un statut public, bien qu’il faille rappeler aussi que la pose d’un autel suffit à définir un lieu de culte et qu’à l’écart des agglomérations, rares sont les sanctuaires particulièrement monumentaux. Quoi qu’il en soit, les grands sanctuaires implantés en périphérie de la cité sont le plus souvent intégrés à une agglomération secondaire, au sein de laquelle les activités religieuses ne semblent d’ailleurs pas avoir été prépondérantes. L’installation d’imposants lieux de culte n’est pas spécifique à ces habitats groupés, puisque l’on retrouve des sanctuaires tout aussi monumentaux, voire davantage, dans les autres agglomérations du territoire. La répartition des grands sanctuaires publics en dehors du chef-lieu, que ce soit à la limite même de la civitas ou à plus courte distance du chef-lieu, semble avant tout liée au déploiement équilibré d’agglomérations structurant le territoire (cf. supra). En guise de conclusion de ce dossier, évoquons les mots d’O. de Cazanove et de J. Scheid (2003, p. 7) qui, au sujet des sanctuaires de confins et autres « étiquettes commodes », écrivent avec justesse qu’« il ne s’agit pas de types figés, aux caractères invariants », puisque leur position limitrophe n’est qu’un trait parmi d’autres.

5.3.3. La place et l’évolution des cultes privés et de leurs sanctuaires

155Si les dernières décennies du ier s. et l’ensemble du iie s. marquent l’apogée de l’armature religieuse publique, le développement des sanctuaires privés n’est pas en reste au cours de cette même période, bien que les chantiers d’édification ou de reconstruction soient de moindre envergure et n’aboutissent pas, à l’exception de quelques sites discutables (cf. supra, 3.2.2.1), à leur monumentalisation. L’analyse du contexte d’implantation et des équipements des sanctuaires des cités prises en considération dans cette étude a permis d’identifier 77 lieux de culte (fig. 318) dont le statut a été sans doute (pour 45 sites) ou probablement (32 sites) privé (cf. supra, chapitre 3). L’examen comparé de leur évolution au cours du Haut-Empire (fig. 319) appelle plusieurs remarques au sujet de leur mise en place et de leurs transformations architecturales.

Figure 318 : Sanctuaires privés avérés ou probables et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Figure 318 : Sanctuaires privés avérés ou probables et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.

Réal. S. Bossard.

Figure 319 : Phasage des sanctuaires privés avérés ou probables, par cité.

Figure 319 : Phasage des sanctuaires privés avérés ou probables, par cité.

Réal. S. Bossard.

156La fondation, l’agrandissement ou l’embellissement des espaces appartenant aux sacra privata relèvent bien sûr d’initiatives indépendantes, chaque lieu de culte étant géré par un individu ou une communauté différente. Les plus anciens sanctuaires privés ont été structurés et dotés d’un temple dès la période augustéenne, si ce n’est au cours du second âge du Fer (cf. supra, 4.1.2.2 et 5.2.1). Cependant, leur apparition et leur multiplication dans les agglomérations et les villae, dès le début du Haut-Empire, résulte sans doute d’une organisation nouvelle des cultes privés. Celle-ci est étroitement liée, notamment, à la constitution de nouveaux groupes sociaux, forgés sur un modèle romain – telles les associations professionnelles –, ainsi qu’au développement des résidences et des domaines ruraux, où les propriétaires terriens souhaitent placer les activités de leur exploitation et leurs séjours à la campagne sous l’œil bienveillant des divinités, tout en ouvrant l’accès au culte de ces dernières à la main-d’œuvre agricole, voire à la population environnante (cf. supra, 3.2.2).

  • 108 Cf. notamment les exemples pompéiens, dont l’état de conservation est exceptionnel (Van Andringa, 2 (...)

157Peu d’informations ont pu être réunies à l’égard des espaces cultuels privés établis en contexte urbain et de leur devenir au cours des ier s. et iie s. de n. è. Il est probable, comme pour les sanctuaires des villae, que les activités religieuses des corporations, des quartiers ou des familles se déroulaient autour d’un simple autel, installé au sein d’une maison, d’un siège associatif ou dans la rue pour les sanctuaires de carrefour108 ; la construction d’une modeste chapelle et a fortiori d’un temple à galerie aurait alors été l’apanage des individus ou des communautés les plus aisés. À Vieux (S.281), l’édification d’un bâtiment de culte vers le début du iie s. de n. è., au sein de ce qui pourrait correspondre à un établissement privé de fondation plus ancienne, pourrait ainsi avoir succédé à la pose d’un autel, qui aurait suffi à la pratique de la religion jusqu’à ce que la communauté réunisse les fonds nécessaires à la construction du petit temple (Kerébel dir., 2000 ; cf. supra, 3.1.2.3). À Chartres (S.100 ; Joly dir., 2010, p. 129-131) comme à Pouillé (S.243 ; Bourgeois, 1982), au sein d’un autre chef-lieu et d’une agglomération secondaire, le bâtiment de culte, installé dans une étroite cour et bâti en matériaux périssables dans le premier cas, a été rénové à une ou à plusieurs reprises ; bien qu’il ait conservé une architecture modeste, son entretien témoigne de la vitalité des pratiques religieuses durant un ou deux siècles, au minimum.

158Dans les campagnes, les cultes privés prennent place au sein même des établissements ruraux, que ce soit des villae ou des exploitations plus modestes (cf. supra, 3.2.2), et probablement aussi dans des sanctuaires, enclos par des fossés ou par un péribole maçonné, isolés dans les champs, établis sur le domaine d’un particulier, ou peut-être cogérés par plusieurs propriétaires terriens (cf. supra, 3.2.3.5). Le statut de ces lieux de culte bâtis en plein champ est toutefois difficile à déterminer, puisque peu d’entre eux ont encore été étudiés et que leur fouille ne livre généralement qu’un nombre limité d’offrandes. S’il semble plausible de les considérer, du moins pour les plus modestes, comme des sanctuaires privés, on ne peut exclure l’hypothèse d’espaces cultuels bâtis aux frais de la cité, sur son propre territoire et à l’écart des principaux habitats agglomérés. Si on limite cependant l’enquête à l’examen des temples aménagés au sein ou en bordure des fermes et surtout des villae, il apparaît que leur développement est généralement cadencé par les réaménagements entrepris à l’échelle de l’habitat. Ainsi, et bien que certains temples aient été d’abord bâtis en matériaux périssables dès la fondation de l’établissement aux alentours du changement d’ère – à Richebourg (S.118) et peut-être à Bais (S.183) et à Bauné (S.4) –, l’essentiel des cellae identifiées paraît avoir été édifiée lors de la construction ou de la reconstruction plus tardive, sous une forme maçonnée, de la villa, comme on peut le supposer ou le démontrer à Montgermont (S.187), à Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192), Corbeilles (S.206) ou Saint-Patrice (S.247 ; cf. supra, 3.2.2.2). Il est néanmoins possible que les états les plus anciens de ces établissements, uniquement dotés de bâtiments en terre et en bois, aient été pourvus d’une première chapelle qui n’aurait pas été identifiée, ou bien que le culte était jusqu’alors pratiqué au sein même de la maison, avant qu’une cella ne soit dressée à l’extérieur de celle-ci et que la divinité reçoive son propre espace. L’aire sacrée a pu être progressivement dotée de nouveaux édifices de culte, comme on peut le supposer à Richebourg (S.118), à Bais (S.183) ou à Pannes (S.220), où l’accumulation de chapelles semble résulter d’ajouts successifs, non datés. Ces additions, suggérant l’élargissement du panthéon du domaine – à moins que les dieux correspondants aient déjà été honorés auparavant, sans posséder toutefois de cella –, pourraient avoir été l’œuvre du maître de maison, peut-être sur plusieurs générations ou des membres de sa famille. Il pourrait éventuellement s’agir aussi de certains individus travaillant sur le domaine, et qui étaient particulièrement investis dans la vie religieuse de ce dernier, à l’exemple, en Narbonnaise, de Niger, esclave de C. Satrius Silus et intendant du cellier du domaine Anarias, qui a offert une dizaine de plaques inscrites aux Mères Victorieuses, dans un sanctuaire sans doute privé d’Allan (Drôme ; Golosetti, 2015b).

159À l’instar des lieux de culte publics, la pétrification des sanctuaires privés, dans les agglomérations comme dans les campagnes, est manifestement engagée à partir du milieu du ier s., voire dès le second quart du siècle – à Bauné (S.4), Plestin-les-Grèves (S.173), Pouillé (S.243) (fig. 319). Néanmoins, l’emploi du bois et de la terre reste parfois privilégié tout au long du Haut-Empire pour l’élévation des constructions les plus modestes, qui reposent alors sur des solins de pierre, à Saint-Martin-des-Entrées (S.82), Chartres (S.100), Hecmanville (S.152) ou encore Vieux (S.281).

160Les formes architecturales déployées dans les lieux de culte privés sont rarement monumentales – en témoigne par exemple le nombre de points attribué supra, particulièrement faible (fig. 305 b et fig. 318). De fait, elles correspondent essentiellement, pour les temples, à de simples cellae ou à de modestes édifices pourvus d’un déambulatoire et dont le plan est généralement carré. Quelques exemples de plus grande ampleur ou plus originaux, exclusif à certaines villae, témoignent toutefois de l’opulence de certains propriétaires et de leur volonté de l’afficher, tout en agrémentant leur domaine de créations parfois inédites (cf. supra, 3.2.2.1). Il est intéressant de noter qu’aucun rapprochement évident ne peut être effectué entre l’architecture des édifices publics des chefs-lieux, où les notables possèdent sans doute leur résidence principale, et celle des temples qu’ils font bâtir au sein de leurs demeures rurales. En effet, en l’état des connaissances, le plan des bâtiments de culte des grands sanctuaires périurbains, par exemple, souvent original (cf. supra, 5.3.2.2), n’est pas reproduit, sous une forme plus réduite, dans les campagnes – ni au demeurant dans les agglomérations secondaires. Par ailleurs, dans les cités de l’ouest, les temples privés, avérés ou plus incertains, qui associent une cella et un pronaos ou un escalier et dont l’élévation – qui est toutefois sujette à caution – pourrait rappeler celle des temples classiques, ne trouvent pas de parallèle en ville, d’autant plus que les temples de plan rectangulaires et sur podium semblent avoir été très rares à l’échelle des cités étudiées (cf. supra, 1.1.2.1, types A1c et A2c). Peut-on envisager que leur architecture est imitée de celle du temple du forum de la cité ? Dans les civitates occidentales de la Lyonnaise, les quelques exemples connus d’édifices de culte rattachés à l’area forensis semblent au contraire intégrer systématiquement un large déambulatoire autour de leur(s) cella(e). En tout état de cause, les dessins des architectes devaient être tracés au cas par cas, dans le cadre d’un dialogue avec le propriétaire (cf. supra, chapitre 3) et, si des modèles ont pu être fréquents dans certaines régions, il est tout à fait possible qu’ils aient été spécifiques aux architectures privées, ou du moins qu’ils aient été prisés par les particuliers ; les plans carrés, comportant ou non une galerie périphérique, sont néanmoins demeurés très courants dans les campagnes comme dans les villes, tant en contexte privé que public.

161Le siècle et demi qui s’est écoulé à partir des années 40-50 de n. è. a donc profondément renouvelé le paysage religieux des cités centrales et occidentales de la Lyonnaise, comme ailleurs dans les Trois Gaules (Van Andringa, 2017a, p. 205-209). Les équipements des lieux de culte, jusqu’alors majoritairement construits en terre et en bois, laissent désormais place à des architectures maçonnées ; la plupart des temples, devant lesquels sont désormais dressés des autels en pierre, est parée d’une galerie périphérique, dont l’adjonction signe l’évolution d’un modèle élaboré au sein des provinces nord-occidentales de l’Empire, alors que les édifices de plan classique, importés directement de Rome, connaissent un succès très limité, y compris au cœur des villes-capitales. Tant dans le domaine public que dans la sphère privée, plusieurs expériences architecturales sont menées pour concevoir des édifices originaux et, du moins pour les sanctuaires gérés par la cité, d’une monumentalité parfois remarquable.

162La romanisation des institutions et des communautés des Gaules est accélérée par l’acquisition du droit latin dans le courant du ier s. de n. è., à une date que l’on ne peut pas préciser pour les cités étudiées. Ces dernières adaptent alors leur système religieux, progressivement mis en place depuis leur constitution en civitas. Plusieurs cités – si ce n’est la majorité, voire toutes, mais les lacunes documentaires ne permettent pas de trancher dans nombre de cas – accordent une place de choix à une divinité unique, ou à un petit groupe de dieux et déesses tutélaires, pour lesquels est édifié, en périphérie du chef-lieu, un vaste lieu de culte, sans doute le plus monumental de la civitas. Les autres dieux du panthéon public sont honorés dans un réseau de sanctuaires, agrandis et embellis en plusieurs étapes, qui sont répartis au sein du chef-lieu, dans les principales agglomérations secondaires du territoire et, dans une moindre mesure, au sein de sites vraisemblablement isolés dans les campagnes – liés à des divinités topiques ? L’organisation des cultes publics repose sur un réseau de divinités et de sanctuaires en grande partie défini dès le début de l’époque romaine, puisque rares sont les fondations postérieures aux années 50 de n. è. Ce maillage, peu à peu enrichi, avait été lui-même élaboré à partir d’un substrat plus ancien, en assimilant probablement les divinités ancestrales de la communauté aux grands dieux de Rome et, assurément, en se réappropriant des lieux de mémoire disséminés dans les agglomérations et sur le territoire. Le paysage religieux des cités de droit latin, lorsqu’il se stabilise vers la fin du iie s. – ou même dès la fin du ier s. de n. è. ou le début du iie s., puisque l’essentiel, voire l’ensemble des sanctuaires a désormais été créé – résulte donc d’une longue stratification et l’ancrage mémoriel y est prégnant. Les efforts financiers et humains considérables investis, sur plus d’un siècle, dans sa transformation et, en particulier, dans la monumentalisation des lieux de culte majeurs ont conduit à la mise en place d’un réseau reformulé et hiérarchisé, ajusté en fonction du système religieux de chaque cité et de l’organisation de son propre territoire. Les Sénons, par exemple, sont dotés d’une imposante série de lieux de culte publics particulièrement monumentaux, parmi lesquels les sanctuaires des eaux sont bien représentés, et d’un complexe religieux démesuré en périphérie immédiate de son chef-lieu, comme à Chartres pour les Carnutes. En revanche, d’autres cités, tels les Aulerques Cénomans, les Coriosolites et peut-être les Aulerques éburovices, ont manifestement choisi d’implanter le principal lieu de culte de la communauté civique – ou du moins le plus monumental – plus à l’écart du caput civitatis.

163L’armature religieuse des cités, dont l’essentiel des sites n’a sans doute pas encore été découvert, est complétée par un tissu sans doute dense de sanctuaires privés, dont seule une partie est dotée d’un ou de plusieurs temples et a donc été étudiée dans le cadre de cette enquête. Les lieux de culte de statut privé les mieux documentés sont localisés au sein des villae et leur développement, également remarquable entre la seconde moitié du ier s. et le iie s., doit être relié à l’épanouissement des résidences aristocratiques rurales, qui sont d’ailleurs progressivement pourvues de constructions maçonnées et de divers équipements de confort. Il est probable que les espaces cultuels associatifs se soient aussi développés au cours de cette période dans les villes, mais leur identification reste difficile au sein des cités considérées.

164Au cours de ce siècle et demi, les chantiers les plus longs et, sans doute, les plus coûteux ont été menés, bien évidemment, au sein des grands sanctuaires publics des villes-capitales et des agglomérations secondaires, souvent à l’emplacement de lieux de culte préexistants, dont l’emprise est alors augmentée et les constructions, restaurées voire monumentalisées. Si des rythmes différents peuvent être distingués entre les cités et au sein même de la civitas, entre son chef-lieu et son territoire, des datations précises n’ont pu être obtenues que pour un petit nombre de sites et les tendances observées devront être, au gré de nouvelles découvertes, peu à peu affinées. Cependant, dans l’ensemble des cités de l’ouest et du centre de la province, les derniers grands chantiers de monumentalisation semblent bien avoir eu lieu au cours de la seconde moitié du iie s. et, au-delà de ces quelques décennies, les nouveaux programmes de reconstruction ont manifestement été bien plus exceptionnels et de moindre ampleur.

5.4. De la fin du iie s. au milieu du iiie s. : un paysage religieux figé ?

165À l’issue du iie s., l’arrêt, ou du moins le ralentissement de l’activité édilitaire, marque le début de temps nouveaux dans la vie des sanctuaires notamment publics et, si le paysage religieux des cités connaît une phase de déclin évidente à partir de la fin du iiie s. et tout au long du ive s. (cf. infra, chapitre 6), l’analyse des vestiges attribués aux décennies antérieures, couvrant la fin du iie s. et la première partie du iiie s., révèle une situation plus contrastée.

166À l’échelle du centre et de l’ouest de la Gaule Lyonnaise, le nombre de sites occupés décroît à partir de la première moitié du iiie s., mais la baisse est alors peu importante et ne deviendra significative qu’à partir de la fin du siècle et, surtout, du début du ive s. (cf. supra, fig. 291). Cette tendance résulte de l’absence globale de fondation nouvelle au-delà de la seconde moitié du iie s., alors que les premiers sites que l’on abandonne, du moins pour les mieux datés, le sont au cours des mêmes décennies. Ce phénomène s’amplifiera également au cours du iiie s. et, surtout, entre la seconde moitié du iiie s. et le début du ve s. (fig. 294 ; cf. infra, 6.2.2.2). Il faut néanmoins rappeler que les fossiles directeurs caractéristiques de la fin du iie s. et de la première moitié du iiie s., en particulier les monnaies, qui constituent souvent les seuls objets utiles à l’établissement de la chronologie des sites dont la fouille est ancienne, sont parfois difficiles à identifier. En effet, l’absence quasi générale de numéraire frais en circulation dans le nord-ouest des Gaules, entre la fin du règne de Commode et les années 250, a contraint les habitants des cités concernées à continuer d’utiliser les espèces plus anciennes, émises dans le courant du iie s., et les abandons que l’on date de ces décennies pourraient être en réalité plus tardifs de quelques décennies (cf. supra, 2.2.3.1).

167Par ailleurs, et bien que la grande majorité des lieux de culte soit encore fréquentée au cours de la première moitié du iiie s, les témoins de réaménagements postérieurs au terme du iie s. semblent particulièrement rares, y compris pour les sites dont l’étude est récente et la chronologie, bien cernée. De fait, aucun grand chantier de monumentalisation n’a manifestement été entamé après le tournant des iie s. et iiie s. et les travaux entrepris au sein de lieux de culte préexistants consistent soit à achever des projets en cours depuis plusieurs décennies, soit à doter l’aire sacrée de nouveaux équipements qui n’en bouleversent pas l’organisation générale, soit à assurer l’entretien des anciennes structures.

168Ainsi, certains des grands chantiers de la seconde moitié du iie s., étalés sur plusieurs décennies, ont vraisemblablement pris fin au cours des premières décennies du iiie s. À Mauves-sur-Loire (S.167), l’écart chronologique observé entre la datation des chapiteaux de tuffeau corinthiens qui coiffent les colonnes de la galerie et celle du décor d’applique marmoréen mis en œuvre dans la cella – et notamment d’un chapiteau de type dit « corinthien asiatique » –, respectivement attribués aux décennies centrales du iie s. et à la période sévérienne ou aux années qui l’ont suivie, va en ce sens (Monteil et al., 2009, p. 172). Un tel scénario pourrait aussi être envisagé – mais cette hypothèse devra être confirmée par une étude plus détaillée des membra disiecta – pour les monuments du Vieil-Évreux – le sanctuaire central (S.79 ; Bertaudière et al., 2017, p. 73) et celui de Cracouville (S.78 ; Cliquet et al., 1996, p. 14) –, de la Tannerie à Châteaubleau (S.205 ; Revenu, 2008, p. 77) et du Mesnil à Baron-sur-Odon (S.279 ; Vipard, 2002, p. 118), dont les blocs ouvragés et, à Cracouville, certaines peintures, ont été datés de la seconde moitié ou de la fin du iie s. et du début du iiie s.

169Par ailleurs, d’autres sanctuaires sans doute publics ont été pourvus de constructions nouvelles entre la fin du iie s. et le milieu du iiie s., mais ils sont peu nombreux et correspondent exclusivement, à l’instar des exemples précédents, à des sites localisés dans les villes – en particulier des agglomérations secondaires d’une certaine ampleur – ou dans la proche périphérie d’un caput civitatis. Par exemple, près de Vannes (S.278, ph. 5), au cours d’ultimes restructurations réalisées au sein d’un sanctuaire établi à 1 km de la ville antique, une enceinte de plan polygonal, qui accueille une partie des rituels depuis les premières décennies du ier s. de n. è., est bordée vers la fin du iie s. et le début du iiie s. d’une galerie périphérique. Celle-ci encadre alors une cour centrale, divisée en deux espaces par un mur – ou un muret ? – médian, tandis qu’un podium ou un escalier d’accès est bâti au contact de son mur sud-est, probablement à l’emplacement de son accès principal (Baillieu et Simon, 2000, vol. 1, p. 35-43). Peu de temps après, durant la première moitié du iiie s., le lieu de culte de Genainville (S.260, ph. 3), qui avait été monumentalisé au plus tôt dans les années 140 de n. è., est agrémenté d’un imposant portique, large d’environ 9 m, qui solennise désormais sa façade orientale, tandis qu’une deuxième porte est percée dans la galerie du temple principal et qu’un nouveau bassin est vraisemblablement creusé à une dizaine de mètres plus à l’ouest (Vermeersch, 2012, p. 238). Enfin, à Jouars-Pontchartrain (S.127, ph. 3), plusieurs transformations ont été datées par O. Blin du début ou du courant du iiie s. : le mur nord du péribole est reconstruit, la galerie du temple A est élargie et le temple B, situé à une trentaine de mètres au nord-ouest du sanctuaire enclos, est également réaménagé (Blin, 2000, p. 99-101).

170Certains lieux de culte privés continuent aussi d’être entretenus, bien que les données réunies à leur sujet soient moins nombreuses que pour les établissements publics. À Chartres (S.100, ph. 4), à l’issue d’un incendie qui ravage le quartier antique de la place des épars au cours du second quart du iiie s., un petit temple, intégré à un enclos donnant sur une ruelle, est rebâti de nouveau – et pour la dernière fois – en matériaux périssables (Joly dir., 2010, p. 131). Dans les campagnes, les preuves manquent en revanche pour affirmer que des temples de villae, ou bien de modestes sanctuaires isolés, sont édifiés ou reconstruits durant la première moitié du iiie s. ; en l’état des connaissances, les derniers travaux ne paraissent pas avoir outrepassé la fin du iie s. – à Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192, ph. 4-6 ; Provost et Le Bouteiller, 1986 et Provost, 1990, p. 20-21) ou à Val-de-Reuil (S.269, ph. 4 ; Lukas, 2018a, p. 118), par exemple. Plusieurs indices ténus laissent néanmoins penser que les lieux de culte ruraux sont encore fréquentés, et sont parfois même restaurés. À Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6), les résultats d’analyses archéomagnétiques indiquent que certaines tuiles du temple auraient été fabriquées dans le courant du iiie s., vers 220 de n. è., et témoignent alors – si on donne crédit à cette datation – d’une vraisemblable réfection du toit, et donc de l’entretien de l’édifice, à une période à laquelle ne se rattache pourtant aucun mobilier (Boisbouvier et Bouvet, 1984, p. 29). À Paule (S.172, ph. 2), plusieurs foyers ont été découverts au sein de la cour sacrée d’un modeste sanctuaire (cf. supra, 1.1.5.3) ; les rares tessons qui proviennent de ces structures liées à la cuisson sont datés du iiie s. de n. è., mais certains aménagements de ce type sont plus anciens (Menez et al., 2021, p. 206). Ici comme ailleurs, on ne peut toutefois exclure l’hypothèse d’aménagements utilisés dans un cadre profane, après l’abandon du sanctuaire ou du moins la désaffection d’une partie de son enceinte (cf. infra, 6.1).

171D’une manière générale, l’examen du mobilier des lieux de culte urbains ou ruraux révèle aussi que la plupart de ces derniers continue d’être visitée au-delà du iie s., bien que les objets introduits dans les aires sacrées soient assez rares après la seconde moitié du ier s. de n. è. et que les monnaies de la première moitié du iiie s., nous l’avons vu, y soient absentes, à de rares exceptions près (cf. supra, 2.3.2.2). Les principaux marqueurs chronologiques sont effectivement fournis par le numéraire et par la céramique, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement utilisés dans le cadre d’activités religieuses (cf. infra, 6.1). Cependant, à Pussigny (S.244), plusieurs fosses, parmi les nombreuses structures qui ont été creusées dans la cour sacrée afin d’enfouir notamment les restes de banquets ou d’offrandes alimentaires, ont été remblayées à la fin du iie s. ou dans le courant du iiie s., comme en témoignent des tessons de céramique, piégés dans leur remplissage, et deux datations radiocarbone (cf. supra, 2.1.2.1 et 2.2.1.3 ; Coutelas dir., 2015, vol. 1, p. p. 79-89 et p. 150-153). De même, l’offrande de monnaies se poursuit sans doute sans interruption sur certains sites entre le iie s., au plus tard, et le ive s. : la mise au jour d’importants lots de numéraire émis tout au long du Haut-Empire et durant l’Antiquité tardive, au sein de cellae, autour d’édicules ou sur les sols de la cour sacrée, l’atteste à plusieurs reprises – à Jouars-Pontchartrain (S.127 ; Blin, 2000, p. 102-103 et p. 108-111), Mareuil-lès-Meaux (S.157 ; B. Foucray, in Bet et Delage dir., 2008, p. 242-244 et p. 1113-1135) ou Genainville (S.260 ; Mitard, 1996), par exemple.

172Les témoins de l’activité des sanctuaires entre la fin du iie s. et le troisième quart du iiie s. sont donc variés. Si le paysage religieux des cités s’est stabilisé depuis quelques décennies, puisqu’aucun lieu de culte – du moins public – n’a été assurément fondé après le milieu, voire le début du iie s., on ne peut pour autant pas le considérer comme figé : certains monuments, certes peu nombreux et concentrés dans ou autour plusieurs habitats agglomérés, sont encore réaménagés et dotés d’éléments nouveaux qui contribuent à leur embellissement. Cependant, force est de constater que les programmes engagés au cours de ces décennies n’ont plus l’envergure des chantiers de monumentalisation qui ont métamorphosé l’armature religieuse des civitates entre le milieu du ier s. et la toute fin du iie s., voire les premières années du iiie s. Doit-on considérer qu’un tel ralentissement de la construction publique signe les prémices d’un essoufflement ? Il est probable que la situation ait varié d’une cité à l’autre et au sein même de la civitas, entre le chef-lieu, les agglomérations secondaires et le reste du territoire. Comme l’a rappelé Y. Maligorne (2006, p. 174) au sujet des cités de l’ouest de la province, « les villes n’étaient pas vouées à une croissance continue. Passées les phases d’urbanisation et de monumentalisation intensives – et ces programmes pouvaient donner lieu à de sérieuses difficultés –, il n’est que normal de voir décroître le nombre des nouveaux édifices », que leur vocation soit religieuse ou non. Si les sanctuaires monumentaux des chefs-lieux n’ont généralement pas livré de témoignages de reconstruction postérieurs à la fin du iie s., il faut aussi considérer que leur développement, parfois étendu sur plusieurs décennies, a sans doute déjà été mené à son terme et que la qualité des ouvrages n’impliquait alors guère d’entretien. L’évacuation régulière des offrandes et des vestiges des sacrifices et des banquets complique d’ailleurs l’identification des témoins d’une activité régulière ou au contraire plus sporadique qu’auparavant. À l’opposé, les travaux entrepris dans certains grands lieux de culte d’agglomérations secondaires sont la preuve du dynamisme de la vie religieuse au début du iiie s., voire à une date plus avancée de ce siècle. Plusieurs espaces cultuels privés, tant en ville que dans les campagnes, conservent aussi une certaine vitalité. L’analyse des données est toutefois équivoque pour d’autres sites, publics ou privés, et il ne fait guère de doute que certains sanctuaires ont bien été délaissés dès le début du iiie s., voire avant. Il est alors nécessaire d’étudier les rythmes et les modalités de l’abandon des composantes des paysages religieux pour tenter d’en déterminer les causes, de définir la place du fait religieux et de retracer l’évolution des cultes publics et privés au cours de l’Antiquité tardive.

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Notes

85 La fondation du sanctuaire a été considérée comme antérieure au milieu du ier s. av. n. è. lorsqu’il a été occupé de manière continue depuis le second âge du Fer. En cas de hiatus avéré entre les deux époques (cf. supra, 4.1.3), la date de fondation postérieure à la conquête césarienne a été retenue ; lorsque l’interruption chronologique n’est que présumée, la création du site a été considérée comme laténienne, mais sans certitude.

86 Les différents types de mobilier caractéristiques cette période charnière, étudiés d’une part par les archéologues protohistoriens et d’autre part par les spécialistes de l’Antiquité romaine, ont fait l’objet d’encore peu d’analyses synthétiques. Les difficultés relatives à l’identification des productions céramiques locales et régionales des dernières décennies du ier s. av. n. è. sont évoquées par exemple, pour l’ouest des Gaules, dans le récent ouvrage dirigé par Y. Menez (dir., 2018 ; en particulier p. 105, p. 344 et p. 442 pour les sites ruraux), tandis que la chronologie des importations de la toute fin du ier s. av. n. è. est mieux maîtrisée.

87 Cette expression a été empruntée au titre d’un récent ouvrage collectif dirigé par N. Belayche et V. Pirenne-Delforge (2015).

88 Tels les blocs du pilier des Nautes de Lutetia, dressé sous Tibère, ou peut-être les bases des statues offertes à Mars Mullo à Allonnes (S.9), si elles ne sont pas postérieures au milieu du ier s. de n. è. (Adam, 1984 ; Lavagne, 1984 ; Gruel et Brouquier-Reddé dir., 2004, p. 308-310 ; Van Andringa, 2006 ; cf. supra, introduction).

89 De récentes découvertes ont confirmé les racines laténiennes du sanctuaire de la Genetoye à Autun (Saône-et-Loire), capitale des Éduens au cours de l’époque romaine (Barral et al., 2019, p. 70), tandis qu’à Sens, le lieu de culte monumental de la Motte du Ciar est implanté au cœur d’une ancienne agglomération gauloise, mais on ne peut prouver qu’un sanctuaire y existait déjà avant la guerre des Gaules (Nouvel, 2015 ; Barral et al., 2019, p. 70-72). Voir aussi, pour la question des origines des grands sanctuaires de périphérie urbaine, Péchoux, 2010, p. 40-44.

90 Leurs principaux oppida n’ont pas été identifiés et on ne sait donc si la butte du Vieux Mans, dont la topographie semble néanmoins particulièrement adaptée à ce type d’occupation, accueillait déjà une agglomération au cours du second âge du Fer (Remy, 2016, p. 50).

91 Dans certains cas, extérieurs au territoire choisi pour cette étude, il pourrait s’agir d’une divinité topique « transférée » vers un nouveau pôle au début de l’époque romaine, depuis un ancien lieu de culte qui était intégré à un habitat laténien désormais abandonné. De telles migrations divines ont par exemple été envisagées entre les villes-capitales de Villejoubert/Durotincum et de Limoges/Augustoritum pour les Lémovices, ou encore de Bibracte et d’Autun/Augustodunum pour les Éduens, à partir de la découverte de documents épigraphiques mentionnant, dans les chefs-lieux du Haut-Empire, deux divinités manifestement originaires des anciennes agglomérations gauloises (Van Andringa, 2017a, p. 63-66).

92 Il est probable que l’enceinte maçonnée attribuée à l’état 5 par G. Guillier ait directement succédé à la clôture que celui-ci rattache à l’état 3, étant donné que leur emprise et leur plan sont quasiment identiques (Guillier dir., 2020, p. 90-91).

93 Lorsque les limites de la cour sacrée n’ont pas été reconnues sur l’intégralité de leur tracé, une valeur minimale de la surface a été retenue, pour ne pas dévaloriser les sites concernés. Un même protocole a été appliqué pour l’emprise des temples. Cf. les chapitres 1 et 3 pour une présentation détaillée des équipements des sanctuaires et des monuments qui les environnent. Le décompte précis et le total de points obtenus pour chacune des phases de sanctuaires suffisamment bien renseignées sont reportés dans le tabl. I, in Bossard, 2021, vol. II, p. 184-196.

94 Les 134 sites dont la qualité des données a été jugée peu exploitable sont associés à un score moyen de 3,5 pt, tandis qu’il est égal à 7,5 pt pour les 69 sanctuaires dont la documentation est de qualité moyenne, 8,5 pt pour les 29 lieux de culte caractérisés par des informations de bonne qualité et 9,5 pt pour les 19 aires sacrées associés à une documentation excellente. Il faut néanmoins tenir compte du fait que les espaces cultuels les plus monumentaux ont aussi été, d’une manière générale, les plus étudiés ; l’écart considérable entre la moyenne calculée pour les sites les moins bien renseignés et les autres est tout de même significatif et souligne bien les limites de cette enquête.

95 La construction des thermes du Lycée Descartes pourrait aussi avoir eu lieu plus tardivement, dans le courant du iie s. – soit après l’achèvement supposé du bâtiment de culte (Galinié dir., 2007, p. 244 ; Galinié et al., 2007, p. 325 ; Ferdière et al., 2014).

96 La date du début du chantier pose néanmoins problème. De fait, les niveaux de remblais associés au chantier de construction du temple, bien documentés et alternant avec des couches de chaux et d’éclats de taille de blocs de calcaire, ont livré un as de Domitien, émis en 82 de n. è. Le mobilier céramique issu de ces mêmes strates renvoie également à un terminus post quem situé entre le dernier tiers du ier s. et le début du iie s. de n. è. Cependant, un décalage d’une cinquantaine d’années a été observé entre ces données stratigraphiques et les datations dendrochronologiques effectuées sur les pieux de fondation du temple, issus d’arbres qui auraient été abattus en 39 de n. è. ; il n’est toutefois pas spécifique à cet édifice mais se retrouve aussi sur d’autres sites de Tours. Aucune réponse satisfaisante n’a pu être apportée à cette question de décalage, bien qu’un éventuel problème de référentiel utilisé pour la datation des bois ait été évoqué (Jouquand, 2007, p. 189 et p. 192 ; Ferdière et al., 2014).

97 Voir notamment Andreau, 2017, pour un exposé synthétique des financements investis dans la construction des monuments des Gaules romaines, et Pichon, 2010, pour les interventions publiques et collectives recensées dans les sanctuaires publics des cités des Trois Gaules à partir de la documentation épigraphique.

98 À 4 km au sud d’Angers/Iuliomagus, l’agglomération secondaire de Sainte-Gemmes-sur-Loire (Maine-et-Loire) a aussi pu accueillir, comme à Allonnes, un grand sanctuaire voisin du chef-lieu, avec un théâtre et des thermes publics, bien que les preuves manquent pour identifier les vestiges d’un lieu de culte (Péchoux, 2010, p. 159-161 ; Monteil, 2012, vol. II, p. 302).

99 C’est peut-être le cas d’Angers, où la terrasse monumentale qui accueillera le probable lieu de culte, structuré au plus tard durant le ier s. de n. è., a pu avoir été aménagée autour du changement d’ère (Chevet et Pithon, 2015, p. 105).

100 Un flamine de Rome et d’Auguste est ainsi attesté à Évreux (CIL XIII, 3200), deux flamines d’Auguste sont mentionnés à Sens (CIL XIII, 2940) et un flamen ou un sacerdos Aug(usti) a pu exister à Meaux (CIL XIII, 3024) ; à Rennes (CIL XIII, 3148-3151 et AE, 1969-1970, 405), ce sont au moins trois citoyens qui ont été sacerdotes de Rome et d’Auguste. Enfin, un sacerdos, à Paris (CIL XIII, 3034), et une flaminique, à Tours (CIL XIII, 3079), ont aussi pu être attachés à une forme du culte impérial.

101 Nous reprenons ici l’expression préférée par C. Bonnet et V. Pirenne-Delforge (2013) à celle de « divinité poliade » (ou city-deity en anglais et Schutzgottheit en allemand) pour les monde grec et phénicien. Ces deux historiennes, de même que F. Quantin dans une contribution plus récente (2017), ont soumis à la critique la notion de divinité tutélaire dans les systèmes polythéistes de la Méditerranée antique, en montrant qu’il est nécessaire de prendre en compte l’histoire locale de chaque communauté : une même cité peut faire appel, à divers titres, à différentes divinités que l’on peut qualifier de tutélaires ; il est nécessaire de distinguer les représentations de dieux et déesses importants à l’intérieur même de la communauté, car protecteurs de ses membres, de celles qui sont construites en regard du monde extérieur, notamment pour les divinités associées à un sanctuaire particulièrement renommé et dont le rayonnement dépasse le périmètre de la cité.

102 La datation plus tardive de la monumentalisation du sanctuaire central du Vieil-Évreux, après le milieu du iie s. de n. è., semble indiquer que son développement, à l’instar d’autres lieux de culte d’agglomérations secondaires, relève d’un processus différent de celui des grands sanctuaires civiques évoqués au cours de ces paragraphes.

103 Cf. aussi, sur la question des cultes publics du territoire, les propos de M.-T. Raepsaet-Charlier (2015, en particulier p. 176-178 et p. 192-201), qui montre bien que la cité est directement impliquée dans la gestion des sanctuaires relevant des sacra publica et extérieurs au chef-lieu.

104 Comme à Rennes, les pagi des Trévires étaient représentés dans le sanctuaire suburbain de Lenus Mars à Trèves : deux exèdres, associés à un autel, y ont été dressés en l’honneur de la Maison divine, aux Génies des pagi et des pagani, ainsi qu’à Mars, Ancamna et Intarabus (Scheid, 1991a ; Van Andringa, 2017a, p. 260).

105 Sans prétendre à l’exhaustivité, mentionnons notamment les travaux de G.-C. Picard (1973, p. 147) et les contributions réunies dans les actes du colloque Caesarodunum de 1971 (Chevallier dir., 1973), dans lesquels a été intégrée à l’étude de la religion des cités antiques une dimension spatiale et a été notée la concentration de certains sanctuaires aux abords de limites territoriales. Plus récemment, signalons aussi qu’I. Fauduet a recensé à l’échelle de la France, en 1992, plus d’une centaine de lieux de culte localisés près de la frontière de deux cités (Fauduet, 2010, p. 44-45). Par ailleurs, la proximité de sites à vocation religieuse, et notamment de lieux de culte monumentaux, a été évoquée à plusieurs reprises à l’échelle des Gaules (Cavalieri, 2001, p. 34-36 ; Fauduet, 2010, p. 44-45) et plus particulièrement au sujet de certaines cités – les Ambiens (Agache et Bréart, 1981 ; Marchand, 1991) ; les Sénons, les Lingons et les Séquanes (Nouvel, 2006) ; les Helviens (Rémy, 2014) ; les Bituriges Cubes (Gandini et al., 2014, p. 300-307 ; Girond, 2015, vol. 1, p. 377-384) ou encore les Arvernes (Clémençon et Fauduet, 2016).

106 Parmi les traités des géomètres romains, un texte attribué à Frontin (De controversiis agrorum) expose ainsi une querelle opposant les Hadrumétains et les Thysdritaniens d’Afrique proconsulaire à l’égard de la propriété d’un temple de Minerve, d’ailleurs représenté par une vignette dans un manuscrit (Scheid, 2010, p. 143-148 ; cf. aussi Chouquer et Favory, 1992, p. 23 ; Bertrand, 2015, p. 101-102 et Hermon, 2017).

107 La limite occidentale des Sénons est même à 80 km, à vol d’oiseau, de Sens/Agedincum, tandis que les confins méridionaux des Carnutes sont distants d’environ 125 km de Chartres/Autricum.

108 Cf. notamment les exemples pompéiens, dont l’état de conservation est exceptionnel (Van Andringa, 2000c).

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Table des illustrations

Titre Figure 291 : Nombre de sanctuaires avérés occupés par demi-siècle, en fonction de la précision de leur datation.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 292 : Répartition spatiale des sanctuaires avérés par demi-siècle, du milieu du ier s. av. n. è. au milieu du iiie s. de n. è.
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Titre Figure 293 : Répartition spatiale des sanctuaires avérés par demi-siècle, du milieu du iiie s. au milieu du ve s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 294 : Nombre de sanctuaires fondés ou abandonnés par demi-siècle, en fonction de la précision de leur datation.
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Titre Figure 295 : Sélection de sanctuaires datés entre le milieu du ier s. av. n. è. et le milieu du ier s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 296 : Vestiges de l’atelier temporaire lié aux travaux de décoration du sanctuaire monumental de la Forêterie à Allonnes (Sarthe), installé au nord-est du temple en cours de construction : plan du premier et du second état de l’atelier (a et b) et schéma d’interprétation fonctionnelle du premier état (c).
Crédits D’après Brouquier-Reddé et Gruel (dir.), 2004, p. 325, fig. 45 ; Brouquier-Reddé et Cormier, 2011, p. 408, fig. 2.
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Crédits Réal. S. Bossard, d’après Provost et al., 2010, p. 38, fig. 15 et p. 139, fig. 126.
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Titre Figure 298 : Évolution du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Leclerc, 2007a, p. 19, fig. 10.
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Titre Figure 299 : Proposition de phasage des vestiges du sanctuaire de la Vieille Église à Meilleray (Seine-et-Marne), d’après l’observation d’images aériennes.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après une orthophotographie de l’IGN, datée du 16 juin 1996, et des clichés aériens de J. Roiseux, F. Girot et P. Lecœur (1996-2012) ; archives scientifiques du SRA d’Île-de-France.
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Titre Figure 300 : Évolution du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) entre la fin du ier s. av. n. è. et la fin du iiie s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 12, fig. 2 ; p. 40, fig. 29 ; p. 45, fig. 35 ; p. 46, fig. 37 ; p. 52, fig. 44 ; p. 55, fig. 48 et p. 56, fig. 50.
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Titre Figure 301 : Répartition des sanctuaires avérés en fonction du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 302 : Répartition des sanctuaires avérés avec mention du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité et de la qualité de la documentation associée.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 303 : Sanctuaires occupés au cours du troisième quart du ier s. de n. è. et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 304 : Sanctuaires occupés vers 200 de n. è. et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 305 : Répartition des sanctuaires en fonction du nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité et leur contexte d’implantation (a) ou leur statut présumé (b).
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 306 : Sanctuaires publics avérés ou probables et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 307 : Phasage des sanctuaires publics avérés ou probables, ou de statut indéterminé, par cité (des Andicaves aux Carnutes).
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 308 : Phasage des sanctuaires publics avérés ou probables, ou de statut indéterminé, par cité (des Coriosolites aux Vénètes).
Crédits Réal. S. Bossard.
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Titre Figure 309 : Évolution de deux sanctuaires monumentalisés entre la fin du ier s. et la fin du iie s. de n. è. : la Forêterie à Allonnes (Sarthe ; a) et les Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise ; b).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Brouquier-Reddé et Gruel (dir.), 2004, pl. II, fig. 7 et 2015, p. 78-81, fig. 27-28 ; Mitard, 1993, p. 42, pl. II ; Vermeersch, 2012, p. 233, fig. 5b, p. 239, fig. 16 et p. 240, fig. 17.
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Titre Figure 310 : Évolution du sanctuaire central du Vieil-Évreux (Eure), monumentalisé vers la fin du iie s. de n. è.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bertaudière et al., 2019, p. 472, fig. 1 et p. 474, fig. 2.
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Titre Figure 311 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Aulerques Diablintes.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.
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Titre Figure 312 : Plan des sanctuaires publics présumés ou avérés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Aulerques Cénomans.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-22.jpg
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Titre Figure 313 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Coriosolites.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-23.jpg
Fichier image/jpeg, 270k
Titre Figure 314 : Plan des sanctuaires publics présumés (a) et de statut indéterminé (b) de la cité des Meldes.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-24.jpg
Fichier image/jpeg, 532k
Titre Figure 315 : Plan des sanctuaires publics présumés de la cité des Sénons.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après diverses sources.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-25.jpg
Fichier image/jpeg, 564k
Titre Figure 316 : Sanctuaires localisés à moins de 5 km d’une limite supposée entre deux cités antiques.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-26.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Figure 317 : Possibles « sanctuaires de confins », installés sur des points dominants du paysage, à la limite entre deux ou trois cités antiques.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-27.jpg
Fichier image/jpeg, 296k
Titre Figure 318 : Sanctuaires privés avérés ou probables et nombre de points calculé pour évaluer leur monumentalité.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-28.jpg
Fichier image/jpeg, 696k
Titre Figure 319 : Phasage des sanctuaires privés avérés ou probables, par cité.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10490/img-29.jpg
Fichier image/jpeg, 798k
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Pour citer cet article

Référence papier

« Chapitre 5 – Organisation et évolution de l’armature religieuse des cités au cours du Haut-Empire »Revue archéologique de l'Ouest, Supplément 14 | -1, 461-522.

Référence électronique

« Chapitre 5 – Organisation et évolution de l’armature religieuse des cités au cours du Haut-Empire »Revue archéologique de l'Ouest [En ligne], Supplément 14 | 2024, mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 10 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rao/10490 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ppl

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