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Partie II – De la naissance à la fin des dieux : l’évolution du paysage religieux entre âge du Fer et Antiquité tardive

Chapitre 6 – La fin des dieux : des ultimes pratiques religieuses à l’abandon des derniers sanctuaires

p. 523-572

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Texte intégral

« Le déclin, l’abandon ou la fermeture des lieux de culte, au cœur même de la cité, révèlent une fracture qui n’atteint pas seulement cette pièce maîtresse, mais l’ensemble des rouages mis en place dans l’Empire et garants de sa durée, la cité, la ville, ses notables, et des valeurs qui les rassemblent. »
L’Huillier, 2005, p. 273.

  • 109 Cf. l’analyse de l’édition traduite et commentée par J. Fontaine (Sulpice Sévère, Vie de saint Mart (...)

1Contrairement à d’autres secteurs de l’Empire romain, telles les provinces orientales ou africaines, rares sont les sources historiques qui permettent d’apprécier les transformations politiques, institutionnelles, économiques et religieuses qui bouleversent la vie des cités de la Lyonnaise au cours de l’Antiquité tardive (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 314). En ce qui concerne plus particulièrement la question des cultes et de leur évolution, l’« extrême et brutale raréfaction des inscriptions » (Van Andringa, 2017a, p. 311) que connaissent les Trois Gaules à partir du milieu du iiie s. de n. è. n’est ici compensée que par quelques textes, à l’exemple du recueil des Panégyriques latins, attestant la vitalité religieuse de la cité éduenne, notamment à travers les restaurations entreprises à Autun, son chef-lieu, au tournant des iiie s. et ive s. (Hostein et al., 2014, p. 206 et p. 217-218). À l’opposé, et près d’un siècle plus tard, la Vie de saint Martin, récit hagiographique publié en 397 par Sulpice Sévère, disciple de l’évêque de Tours, offre l’image – composée certes de faits historiques et de passages inventés109 – d’un acharnement sans précédent d’un prélat chrétien contre le paganisme, encore dynamique en dehors des grandes villes, mais peu à peu privé de ses lieux et de ses objets sacrés, au cours de destructions violentes.

2En complément de ces sources, les découvertes archéologiques réalisées depuis le xixe s. ont fourni une documentation suffisamment étoffée – mais dont l’interprétation pose parfois problème, nous y reviendrons – pour tenter de restituer et de retracer l’évolution du paysage religieux de plusieurs cités au cours de l’Antiquité tardive. En témoignent les dossiers réunis en 2014 dans un numéro thématique de Gallia, consacré à « la fin des dieux » (Van Andringa dir., 2014), auquel nous empruntons le titre de ce chapitre. Les études présentées sont révélatrices d’une « rupture lente, par pans successifs » (Van Andringa, 2017a, p. 317) des anciens cultes, amorcée dès la seconde moitié du iiie s. – si l’on exclut quelques sites délaissés plus précocement, pour des raisons variées – et s’achevant, pour les derniers sanctuaires, vers le début du ve s. Le déclin et la disparition des systèmes religieux polythéistes des cités relèvent donc d’un phénomène progressif, qui s’est étiré sur plus d’un siècle et demi, en parallèle de troubles militaires et de multiples transformations qui ont touché l’Empire et les Gaules, que ce soit à travers la réorganisation administrative des territoires, la reformulation du réseau des habitats ou encore la lente diffusion du christianisme (Ferdière, 2005, p. 292-303 ; dir. 2011, p. 124-134).

  • 110 Pour une présentation plus succincte de la fin des sanctuaires urbains en Belgique et en Lyonnaise, (...)

3Ce chapitre s’inscrit en particulier dans le sillage de deux contributions de l’ouvrage collectif précité, portant sur l’ouest de la province de Lyonnaise110 (Bretagne, Pays de la Loire et Normandies) et le centre-est des Gaules, incluant notamment la cité des Tricasses et le quart sud-oriental de celle des Sénons (Aubin et al., 2014 ; Hostein et al., 2014). Il est possible de compléter les observations effectuées dans ce cadre en intégrant les civitates comprises entre ces deux ensembles géographiques et en examinant, à partir d’une sélection de sites bien documentés, les témoins des pratiques religieuses et de l’organisation des sanctuaires au cours de l’Antiquité tardive. Pour comprendre comment évolue le maillage des lieux de culte, il est aussi utile d’aborder la chronologie générale des abandons, d’analyser les circonstances et les causes possibles de leur fermeture et, en guise d’ouverture, d’étudier le devenir de leurs ruines.

6.1. La fréquentation des lieux de culte durant l’Antiquité tardive : quels témoins ?

4Si les sanctuaires sont progressivement abandonnés, à quelques exceptions près plus anciennes, à partir de la seconde moitié du iiie s. (cf. infra, 6.2), une grande partie des sites à vocation religieuse reste fréquentée dans le courant du ive s., voire au tout début du ve s. Toutefois, l’interprétation des vestiges datés de ces décennies, en particulier lorsque leur découverte et leur étude sont anciennes, est parfois équivoque : on ne peut systématiquement affirmer que les cultes pratiqués depuis le Haut-Empire, au plus tard, perdurent – sous la même forme ou plutôt à l’issue d’une reformulation des activités rituelles – jusqu’à la désertion totale du site, comme l’ont montré notamment les deux synthèses réalisées au sujet de l’ouest et du centre-est des Gaules (Hostein et al., 2014, p. 193-207 ; Aubin et al., 2014). De fait, il est nécessaire d’analyser finement la stratigraphie et le mobilier relatif aux occupations de l’Antiquité tardive, du moins pour les ensembles les mieux renseignés, afin de distinguer les témoins d’ultimes pratiques religieuses de ceux qui attestent une réoccupation profane des lieux, notamment au cours de chantiers visant à récupérer les matériaux d’un sanctuaire partiellement ou complètement abandonné ; dans ce cadre, les mithraea doivent être considérés à part, puisque le mobilier qu’ils livrent est bien plus abondant que celui de la plupart des autres sanctuaires.

6.1.1. Entre maintien de l’activité religieuse et délaissement partiel ou total des aires sacrées

6.1.1.1. Identifier les ultimes gestes rituels

5D’un point de vue général, l’analyse du mobilier des sanctuaires a permis de mettre en évidence que le numéraire constitue la principale catégorie d’objets que l’on retrouve au sein des aires sacrées encore fréquentées au-delà du milieu du iiie s., tandis que les autres types de dépôts sont bien moins fréquents (cf. supra, 2.3.2.3).

6En effet, rares sont les lieux de culte qui ont livré des céramiques et des restes fauniques, ou encore des parures caractéristiques de l’Antiquité tardive, dont le nombre d’exemplaires est alors généralement peu important. Rappelons toutefois l’exemple du temple de Saint-Martin-de-Boscherville (S.87, ph. 3), près duquel a été enfouie, dans le sol de la cour sacrée, une douzaine de vases, contenant vraisemblablement des offrandes ou des déchets alimentaires liés à des pratiques rituelles ; parmi eux, une urne ovoïde, caractéristique des productions de black-burnished ware, aurait été produite à la fin du iiie s. ou au début du ive s., tandis que les autres formes renvoient également à la période tardo-antique (cf. supra, 2.2.1.3 ; Le Maho, 1995, p. 87).

7Aussi, évoquons de nouveau le lot remarquable de quatre parures en or et en pierres précieuses mis au jour sur le site de Cracouville près du Vieil-Évreux (S.78), dans une couche de destruction fouillée près du mur nord du temple (cf. supra, 2.2.3.2 ; Baudot, 1936, p. 82-84 ; Cliquet et al., 1996, p. 16). Ces bijoux, posés sans ordre apparent sur une tegula découverte au milieu des décombres, ont été datés, d’après des critères stylistiques, du iiie s., tandis que les monnaies les plus récentes du site, parmi celles qui ont pu être identifiées, sont datées du dernier tiers de ce siècle ou des premières années du ive s., puisqu’elles portent l’effigie de Claude II, de Postume et de Tetricus. Les données ne permettent pas de trancher entre l’hypothèse d’un ultime présent – de grande valeur, alors que les offrandes sont généralement modestes – fait à la divinité du sanctuaire, peu de temps avant la désertion de ce dernier ou en parallèle des travaux de démolition, et celle de biens précieux que l’on aurait dissimulés au sein d’un site en ruine, dans l’optique de les récupérer un jour.

8Quant aux offrandes par destination, elles sont aussi absentes des contextes les plus tardifs, à quelques exceptions près, pour lesquelles on ne peut néanmoins dire si ces objets ont été récemment introduits au sein des sanctuaires ou si, au contraire, ils y ont été déposés plusieurs décennies ou siècles auparavant, puis remaniés à la fin de l’Antiquité – à Pithiviers-le-Vieil (S.116), Macé (S.196) et Vannes (S.278), pour l’exemple des figurines en terre cuite (cf. supra, 2.2.2.1).

9Par ailleurs, il n’est pas toujours aisé de déterminer si les monnaies recueillies dans les sanctuaires fréquentés au cours de l’Antiquité tardive correspondent bien à des offrandes : il faut une nouvelle fois insister sur le fait que ces menus objets, en particulier les petits bronzes caractéristiques de la fin du iiie s. et du ive s., ont pu avoir été facilement perdus lors de visites, qu’elles soient ou non en rapport avec des activités religieuses. Cependant, dans plusieurs sanctuaires, l’accumulation remarquable de numéraire permet d’identifier certains espaces où l’on pratique manifestement encore la stips, ou du moins où l’on dépose ou jette une monnaie, sans que l’on puisse comprendre le sens de ces gestes (cf. supra, 2.2.3.1). La quarantaine de monnaies mise au jour dans la cella du temple de Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6 ; Collin et Boisbouvier, 1982 ; Aubin et al., 2014, p. 226-227) et dans celle de la villa de Mareuil-lès-Meaux (S.157, ; B. Foucray, in Bet et Delage dir., 2008, p. 242-244 et p. 1113-1135) est à ce titre significative et indique d’ailleurs que la statue de culte, au pied de laquelle les pièces devaient être lancées, posées ou enfouies, conserve manifestement sa place au sein de l’édifice jusque dans le courant du ive s. de n. è. Au demeurant, à Chênehutte (cf. supra, fig. 137), une couche de cailloutis a été mise en place au pied du mur occidental de la cella au plus tôt entre 330 et 335, comme en témoigne la découverte d’un nummus de Constantin II piégé à sa base ; elle a probablement été installée pour servir de support à une image de culte, peut-être dans le cadre d’une réfection sommaire et tardive du temple, auprès de laquelle se concentrent des monnaies émises jusqu’au règne de Gratien (367-383). Des lots plus ou moins importants de monnaies de la fin du iiie s. ou du ive s. ont aussi été découverts, entre autres, dans deux édicules de Macé (S.196, ph. 5 : 14 monnaies dans l’édicule D et 7 dans l’édicule ; Leclerc, 2005, p. 38 et 2006, p. 44 et p. 54), ainsi qu’à l’intérieur ou à proximité immédiate des temples de Saint-Ouen-de-Thouberville à La Londe (S.86 : 196 monnaies tardo-antiques ; Deglatigny, 1921, p. 59) et de Criquebeuf-sur-Seine (S.256 : 157 ; Vesly et Quesné, 1898, p. 415-430), dont l’exploration, plus ancienne, est cependant moins bien documentée.

10De même, les dizaines ou centaines de monnaies agglomérées jusqu’à la fin du ive s. ou le début du ve s. autour d’édicules sculptés – qui ont pu avoir supporté ou abrité une statue divine – à Jouars-Pontchartrain (S.127, C) et à Saclas (S.221, B), ou encore celles qui ont été vraisemblablement jetées dans les bassins de Saclas (S.221, C), de Sceaux-du-Gâtinais (S.225, A2) et de Genainville (S.260, B2 ; cf. supra, fig. 143), renvoient également à des pratiques attestées dans les lieux de culte des Gaules romaines depuis le début du Haut-Empire. Cependant, rappelons que le site de Saclas, par exemple, n’a livré aucune trace évidente de dépôts antérieurs au iiie s. ou au ive s. et que l’offrande de monnaies, dans ces contextes, paraît donc y avoir débuté tardivement (cf. supra, 2.2.3.1).

11Il faut probablement considérer que d’autres sanctuaires, dont la fouille a permis de collecter plusieurs dizaines ou centaines de monnaies tardo-antiques réparties en divers points de l’aire sacrée, ont également accueilli des dévots venus déposer une ou plusieurs pièces à une divinité, sans que l’on puisse définir les circonstances de leur geste. Ainsi, l’importante quantité de numéraire postérieur au milieu du iiie s. recueillie à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236 : 754 monnaies), Meaux (S.158 : 515), Bennecourt (S.254 : 257), Oissel (S.266 : 213 pièces, y compris dans les environs du péribole), Orléans (S.114 : 169), Allonnes (la Forêterie, s.: 145), Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, s.204 : 138 monnaies ; la Tannerie, s.205 : nombre de pièces non précisé) et peut-être, dans une moindre mesure, à Brienon-sur-Armançon (S.202 : 70), Jublains (S.32 : plus de 58), Yville-sur-Seine (S.90 : 46) ou Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74 : 37) s’explique difficilement par de simples pertes et il semble plus plausible d’y voir les témoins d’offrandes monétaires, du moins pour une partie de ces pièces. Sur ces sites, l’accroissement notable du numéraire à partir de la seconde moitié du iiie s. et durant le ive s. pourrait s’expliquer par le plus grand succès, à cette période, de la pratique de la stips, ou bien par l’arrêt de la collecte du numéraire offert aux divinités par les gestionnaires de l’espace cultuel, qui permettait jusqu’alors d’acheter des offrandes ou de couvrir diverses dépenses du sanctuaire. Toutefois, la comparaison avec d’autres types de contexte contemporains, à l’exemple des quartiers de l’agglomération de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (cf. supra, fig. 132), révèle aussi que l’abondance de monnaies n’est pas exclusive, durant ce siècle et demi, aux sanctuaires, mais qu’elle traduit une circulation massive et générale de nouvelles espèces qui irriguent les Gaules à partir du dernier quart du iiie s. (cf. supra, 2.2.3.1).

12En revanche, pour d’autres lieux de culte, il est bien plus délicat d’interpréter la présence de seulement quelques unités ou dizaines de monnaies, peut-être perdues, de la même façon que la découverte, dans les niveaux les plus récents, d’un petit nombre d’objets de parure, de tessons de céramique ou de restes fauniques pourrait être le signe d’une réoccupation ponctuelle ou de la fréquentation épisodique d’un site déjà désaffecté plutôt que d’ultimes dépôts à caractère religieux. Quelques exemples illustrent bien ces difficultés.

13Ainsi, au Mans (S.16 ; cf. supra, fig. 135 et 142), l’examen des monnaies découvertes dans le sanctuaire témoigne d’un apport de numéraire relativement régulier jusqu’à la fin du iie s., puis d’une raréfaction des pièces émises durant le iiie s. (6 exemplaires, dont une seule imitation radiée) et le ive s. (5 monnaies). En outre, l’étude céramologique semble confirmer que le site connaît une baisse de fréquentation après le iie s. de n. è. Quant à l’instrumentum provenant du site, il ne comprend aussi que de rares objets tardifs (une bague et une cuillère en argent, ainsi qu’un couvercle d’encrier en alliage cuivreux), attribués à la fin du iie s. ou au courant du iiie s. En bref, après un déclin vraisemblablement amorcé dès les dernières décennies du iie s., l’abandon définitif du site semble avoir lieu avant la fin iiie s., ou au plus tard dans le courant du ive s., et il est probable que les objets les plus récents aient été égarés lors de la visite d’un site en ruine et envasé (cf. infra, 6.3.1) plutôt que volontairement déposés dans un sanctuaire encore actif (Chevet et al., 2014, p. 132, p. 153 ; Aubin et al., 2014, p. 241-242 ; Chevet dir., 2016, vol. 1-1, p. 410-421 et vol. 1-2, p. 57-61).

14La situation est moins claire à Val-de-Reuil (S.269) : dans le courant du iiie s., alors qu’un petit hameau est aménagé au nord d’un sanctuaire fondé au début du Haut-Empire, on ne sait si ce dernier est encore fréquenté dans le cadre de cérémonies ou uniquement dans le but de récupérer les matériaux utiles à l’édification des nouvelles constructions – notamment pour caler les poteaux qui les structurent –, ou peut-être pour d’autres activités profanes. Parmi les 167 pièces émises entre le milieu du iiie s. et la fin du ive s., voire la première moitié du ve s., au moins une vingtaine a effectivement été découverte dans l’enceinte du lieu de culte, tandis que le reste se répartit à ses abords et surtout au sein même du modeste habitat groupé. Quoi qu’il en soit, l’absence de concentration évidente autour du temple, où seulement 3 monnaies constantiniennes fixent le terminus post quem de sa destruction durant le premier tiers du ive s., interdit d’y voir avec assurance des offrandes (Lukas dir., 2014, p. 102 et 130-131 ; 2018a, p. 121-124 et in Aubin et al., 2014, p. 245-246).

15De même, à Angers (le Château, S.3), la fouille des abords d’un probable temple sur podium (B) a mis en évidence la présence de niveaux de démolition contenant, outre des fragments de tuffeau et des débris de plomb issus du démantèlement de l’édifice, un tesson daté des années 170 de n. è. et 11 monnaies, dont la plus récente a été émise en 272. Si le bâtiment principal de ce sanctuaire urbain a donc vraisemblablement été démonté, au plus tôt, durant le troisième quart du iiie s., un niveau limoneux, qui scelle ces couches, a livré 48 autres monnaies, produites durant la première moitié du ive s., avant 341-346. On ne sait si cette accumulation relativement importante de numéraire résulte de pratiques religieuses qui ont pu se poursuivre après la destruction du temple, ou bien d’activités d’un autre genre, prenant place dans un espace où les dieux ont désormais disparu. Notons que le site est alors protégé par la nouvelle enceinte urbaine, bâtie vers la fin du iiie s. ou le début du ive s. sur le promontoire dominant la Maine (Brodeur dir., 1997, vol. 2, p. 104-112, pl. 150-157 et annexe D).

16Il va aussi sans dire qu’on ne peut comprendre dans quelles circonstances ont été déposées ou perdues les monnaies de la fin du iiie s. et du ive s. que les archéologues ont exhumées, sans enregistrement stratigraphique, dans les ruines de plusieurs sanctuaires explorés au cours du xixe s. ou durant la première moitié du xxe s. M.-C. L’Huillier (2005, p. 276) et W. Van Andringa (2017a, p. 320, notes 14 et 15) ont récemment mis l’accent sur le fait que la présence de monnaies tardo-antiques n’est pas un critère suffisant pour affirmer que des pratiques cultuelles sont maintenues dans un sanctuaire après le milieu du iiie s. Un examen attentif de la stratigraphie est indispensable pour déterminer, du moins lorsque la conservation des niveaux archéologiques le permet, si elles ont été volontairement introduites en tant que dons aux dieux ou bien si elles sont les témoins de la fréquentation sporadique d’un ancien lieu de culte dont les portes ont fermé et qui est peut-être en cours de destruction – d’autant plus que les strates formées dans le cadre des chantiers de récupération ont parfois livré de tels artefacts (cf. infra, 6.4.1).

6.1.1.2. Des lieux de culte reconstruits, réorganisés et parfois en partie désaffectés

17Si l’on ne peut définir les modalités exactes de l’occupation et des gestes réalisés au sein de nombre de sanctuaires qui sont restés fréquentés au cours de l’Antiquité tardive, il ne fait pas de doute que certaines enceintes à vocation cultuelle ont été réaménagées au cours de cette période, parfois en étant privées d’une partie de leurs équipements, tandis que des dépôts à caractère religieux ont continué d’y être introduits.

18À l’échelle du territoire considéré, les travaux engagés au sein du lieu de culte certainement public de l’Aumône/la Justice, implanté au cœur de l’agglomération secondaire sénone de Châteaubleau (S.204, ph. 3), sont a priori les uniques témoins – si l’on excepte les mithraea (cf. infra, 6.1.2) –, d’un projet d’envergure tardif, daté entre la fin du iiie s. et les premières décennies du ive s., ayant visé à embellir un sanctuaire préexistant. De fait, le tri- ou le quadriportique qui ceinture la vaste cour sacrée depuis la seconde moitié du iie s. est alors doublé, au plus tôt dans les années 270, d’une seconde galerie, donnant cette fois-ci sur l’extérieur du sanctuaire, et l’un de ses temples (A2) est reconstruit, peut-être quelques années ou décennies plus tard ; la découverte d’un nummus au nom de Constantin Ier, émis au plus tôt en 318-319 et pris dans la maçonnerie de l’un de ses murs, ne laisse pas de doute quant au caractère particulièrement tardif de son édification – à moins qu’il ne s’agisse d’une réfection ? D’autres réaménagements mineurs, telle la construction d’un édifice d’usage indéterminé (K) ou celle de courtes galeries reliant les multiples bâtiments de culte qu’accueille l’aire sacrée, ont aussi été attribués à cette même phase (Parthuisot et al., 2008, p. 60-61).

19Le cas singulier que constitue ce sanctuaire, situé à quelques dizaines de kilomètres de la limite nord-est de la province, trouve néanmoins quelques points de comparaison dans les cités voisines, extérieures à la Lyonnaise : le rhéteur éduen Eumène rapporte qu’une partie des lieux de culte d’Autun a été restaurée sous l’égide des empereurs à la toute fin du iiie s., tandis que dans la civitas des Tongres, en Germanie, plusieurs espaces cultuels – à Clavier, Matagne-la-Grande et Matagne-la-Petite, par exemple – ont indubitablement été pourvus d’équipements nouveaux ou agrandis (temples, galeries) entre la fin du iiie s. et la fin du ive s. (Hostein et al., 2014, p. 193 et p. 217 ; Paridaens et Cattelain, 2014 ; Vilvoder, 2014, p. 125-126). à l’échelle de la cité des Sénons, l’exemple du monument central de Châteaubleau est néanmoins unique, en l’état des connaissances, et les derniers travaux, intervenus environ un demi-siècle avant son abandon, semblent contemporains d’un réaménagement global de l’habitat groupé associé, dont certains quartiers sont abandonnés (Pilon, 2016, p. 33). On ne peut donc déterminer les causes d’un tel développement architectural, si ce n’est en évoquant le dynamisme de ce grand sanctuaire qui devait compter parmi les principaux du paysage religieux de la cité.

20Au sein d’autres lieux de culte du centre et de l’ouest de la Lyonnaise, les transformations que l’on perçoit semblent bien indiquer qu’une partie de leurs constructions est dégradée, voire démolie, dès le courant ou la fin du iiie s., alors que des offrandes – et en particulier monétaires – y sont encore introduites, parfois durant plusieurs décennies.

21C’est notamment le cas à Bennecourt (S.254, ph. 7), où l’étude minutieuse des vestiges les plus récents permet de retracer avec précision l’évolution de la zone des temples entre le iiie s. et le terme du ive s. (fig. 320 ; Bourgeois dir., 1999, p. 59-63). Les premiers réaménagements, datés autour des années 260-270, paraissent avoir affecté le plus grand des trois édifices de culte (B3) : trois fonds de vases (à l’origine complets ?) ont été régulièrement disposés le long du mur de la galerie nord, tandis que de petits foyers ont été installés dans les galeries nord et sud, dont ils ont rubéfié le sol et les murs. Puis, après l’étalement ponctuel de remblais limoneux, de nouvelles structures sont installées dans la galerie orientale : face à un modeste foyer, composé d’une couche d’argile encadrée par des pierres, une banquette constituée de tuiles est construite au pied du mur de la cella, dans une fosse peu profonde. Aux abords du foyer, une coupelle de bronze est calée par quelques pierres, tandis que plus au nord, dans la même branche de la galerie, un autre foyer est allumé sur le sol, et les cendres qui en proviennent, contenant un fragment de charnière et de grands clous rivetés – provenant de la combustion d’un meuble ou d’un élément de porte ? – ont été rejetées contre le mur. La céramique et les imitations radiées rattachées à cette ultime occupation du temple, servant vraisemblablement d’abri à des activités domestiques ou artisanales, sont datées du dernier quart du iiie s. ou des premières années du ive s. ; la découverte de deux fragments d’enduit peint, dans les mêmes niveaux, témoigne manifestement d’une dégradation du décor du temple, détérioré dès cette période. L’érosion des niveaux de la cella, dont le sol était surélevé, ne permet pas de déterminer si cette partie du temple B3 est également réoccupée à des fins profanes.

Figure 320 : Vestiges tardo-antiques du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) : plan global des vestiges de la fin du iiie s. et du ive s. (ph. 7 : a) ; aménagements du dernier tiers du iiie s. observés dans l’ancien temple B3, réoccupé dans le cadre d’activités domestiques ou artisanales (b).

Figure 320 : Vestiges tardo-antiques du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) : plan global des vestiges de la fin du iiie s. et du ive s. (ph. 7 : a) ; aménagements du dernier tiers du iiie s. observés dans l’ancien temple B3, réoccupé dans le cadre d’activités domestiques ou artisanales (b).

Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 12, fig. 2 ; p. 46, fig. 37 ; p. 55, fig. 48 ; p. 56, fig. 50 et p. 60, fig. 55.

22Par ailleurs, entre la fin du iiie s. et le milieu du ive s., les toitures des temples B3 et C2 et de la galerie D2, marquant probablement l’entrée principale du sanctuaire, se sont effondrées ou ont été volontairement démolies, par manque d’entretien ou dans le cadre d’une destruction organisée. Le démantèlement et la récupération partielle des maçonneries ont suivi de peu l’effondrement des couvertures, durant la seconde moitié du ive s. Les supports des statues de culte des temples B3 et C2, ainsi qu’un élément dressé devant le temple B3 (un autel ?) ont également été récupérés dans le courant du ive s. En contrepoint, le site continue d’être réaménagé, peut-être dans le cadre d’activités de récupération de matériaux ou d’une réoccupation profane du lieu : des fosses tardives, dont l’usage n’est pas connu, perforent le sol des anciennes cellae B3 et G, tandis qu’une auge en pierre est installée au pied de la cella C2 durant la seconde moitié du ive s. Plusieurs témoins semblent aussi indiquer que le dépôt d’offrandes, en particulier de monnaies – 257 exemplaires ont été émis entre la fin du iiie s. et les années 380 –, se poursuit en parallèle du chantier de démolition. Au demeurant, les nombreuses monnaies découvertes dans les remblais de démolition de l’édifice C2, postérieurs à l’effondrement de sa toiture, laissent penser que la pratique de l’offrande monétaire n’a pas cessé au sein de l’édifice en ruine. Deux épingles à tête anthropomorphe, attribuées au milieu du ive s., ont aussi été découvertes dans les mêmes niveaux et figurent peut-être aussi parmi les ultimes offrandes déposées au sein du sanctuaire, en cours d’abandon et de destruction.

23Ainsi, il semble qu’une partie du sanctuaire, notamment le temple B3, est désaffectée à la transition entre le iiie s. et le ive s., tandis que d’autres édifices, notamment le bâtiment C2, ont pu conserver leur fonction de chapelle, du moins pour y déposer des monnaies. L’image des derniers temps du lieu de culte est donc celle d’édifices délabrés, voire partiellement ruinés, mais que l’on fréquente encore dans le cadre de pratiques religieuses, probablement à titre individuel ; leur entretien n’est plus assuré et le site est rapidement transformé en carrière de pierre.

24Durant l’Antiquité tardive, le sanctuaire de Macé (S.196, ph. 5) semble aussi avoir été partiellement détruit et l’aire sacrée, alors recentrée autour d’un ensemble plus réduit de modestes structures, est réaménagée (fig. 321). Les pratiques religieuses évoluent en parallèle : le dépôt de monnaies semble devenir un geste plus fréquent, ou du moins l’un de ceux qui ont laissé les traces archéologiques les plus évidentes.

25Selon G. Leclerc (2007a, p. 137-138), cette phase, débutant durant le troisième quart du iiie s., est marquée par la « mise en place d’un sol de circulation et de condamnation constitué d’une couche de cailloutis homogène, épaisse d’une dizaine de centimètres au plus ». Ce niveau, qui ne couvre pas l’intégralité de l’ancienne cour sacrée enclose (cf. supra, fig. 298), a été installé après la destruction du porche d’entrée, de certains édicules, d’au moins plusieurs tronçons du péribole (notamment à l’est), et peut-être des temples A2 – dont l’intérieur a tout de même livré deux monnaies de l’Antiquité tardive (Leclerc, 2005, p. 30, fig. 8 ; 2007a, p. 137) – et B. Plusieurs aires empierrées ont été aménagées en surface de ce sol, notamment autour de l’édicule E, au sein duquel un foyer est installé : de plan circulaire ou rectangulaire, elles ont manifestement servi de fondation à une élévation inconnue – statue, autel ou autre, en bois ou en pierre ? Une zone rubéfiée, trahissant probablement l’existence d’une sole de foyer, a été observée à l’emplacement de l’ancien angle oriental du péribole de la phase 3.

Figure 321 : Vestiges du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne) à la fin du iiie s. et durant le ive s. (ph. 5).

Figure 321 : Vestiges du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne) à la fin du iiie s. et durant le ive s. (ph. 5).

Réal. S. Bossard, d’après Leclerc, 2007a, p. 19, fig. 10.

26À cette phase sont aussi associés plusieurs dépôts, réalisés sur les aires empierrées et dans les édifices, ou directement sur le sol de l’aire sacrée. Ainsi, la fréquentation du temple C, bâti au plus tard lors de cette phase, semble attestée par la découverte, en son sein, de 4 monnaies émises à la fin du iiie s. ou dans le courant du ive s. Un ensemble de 14 monnaies, de parures et de divers objets métalliques ou en os a été déposé dans l’édicule D ; un autre édicule (H), a reçu 7 monnaies postérieures au milieu du ive s. et deux fragments de figurine en terre cuite. Directement à l’est, près d’une petite stèle dressée, le squelette en connexion anatomique d’un chien, 22 monnaies, des débris de figurines en terre blanche et des tessons de céramique ont été découverts. Contrairement au site de Bennecourt, aucun aménagement particulier ne semble cependant indiquer qu’une partie de l’ancien sanctuaire a pu être réoccupée pour des activités profanes. En tout état de cause, les monnaies les plus récentes, frappées au cours du règne de Valens (364-378) et, pour un exemplaire plus tardif, de celui de Constantin III (407-411), indiquent que le site est fréquenté jusqu’à la seconde moitié du ive s., voire le début du ve s. de n. è.

27Plusieurs indices laissent penser qu’au cœur de l’agglomération secondaire de Genainville (S.260, ph. 4), le grand sanctuaire est également partiellement abandonné et démantelé, en particulier son temple monumental, dès la seconde moitié du iiie s., alors que d’autres espaces restent fréquentés dans le cadre de pratiques rituelles (fig. 322 ; Mitard, 1993, p. 267-280 ; Vermeersch, 2012, p. 238-240 ; Barrière et Vermeersch, 2017).

Figure 322 : Vestiges du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise) à la fin du iiie s. et durant le ive s. (ph. 4).

Figure 322 : Vestiges du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise) à la fin du iiie s. et durant le ive s. (ph. 4).

Réal. S. Bossard, d’après Vermeersch, 2012, p. 240, fig. 17.

28La stratigraphie du temple (A2), complexe, témoigne de plusieurs évènements survenus à partir des années 270. Dans un premier temps, plusieurs monnaies, dont les plus tardives sont à l’effigie de Tetricus (271-274), ont été volontairement déposées dans les deux cellae qu’il abrite. Au centre de la cella nord, une petite fosse rectangulaire, bordée de pierres et divisée en deux parties, a livré 10 monnaies ; dans la cella sud, 17 bronzes ont été rassemblés sur l’un des gros blocs taillés que l’on avait installés sur le sol, sans doute après les avoir prélevés dans les murs du temple, et dans un niveau cendreux épandu au pied de ce bloc. Dans la galerie nord du temple, avant que des niveaux cendreux ne se soient accumulés sur le sol, ce dernier a été creusé au pied du mur septentrional de la double cella pour en prélever un bloc de fondation. La dégradation du temple, sous la forme de prélèvements de blocs et donc de la destruction partielle des murs, a donc vraisemblablement débuté vers les années 270, peut-être en parallèle d’ultimes dons monétaires.

29Puis, entre les années 270 et les toutes premières années du ive s., un ensemble de couches riches en cendres, en charbons de bois et en tuiles fragmentées, d’épaisseur variable – atteignant parfois plusieurs dizaines de centimètres –, s’est formé dans l’ensemble du bâtiment et à ses abords septentrionaux. Le mobilier est particulièrement abondant et varié dans ces niveaux (monnaies, céramique, objets en verre, restes fauniques et malacofauniques, parures métalliques, fragments de statues en bronze, éléments d’huisserie et clous en fer). Les modalités de formation de ces couches, a priori hétérogènes, sont toutefois difficiles à caractériser à partir des seules informations réunies par P.-H. Mitard (1993, p. 322-324). Au sein de la cella sud, les vestiges de quatre possibles foyers ont été observés dans ces couches ; l’un d’entre eux reposerait sur un niveau de tuiles et serait recouvert par une seconde couche de même nature. Dans la galerie, les strates charbonneuses reposent parfois sur des lits de tuiles fragmentées, ou bien directement sur le sol argileux (fig. 323). Ce dernier a ici subi l’action d’un feu intense, dont témoignent des traces de rubéfaction évidentes ; les enduits peints et les moellons des murs présentent aussi les témoins d’un incendie. D’autres possibles foyers, bordés de blocs de pierre issus de la démolition du temple, ont pu avoir été aménagés dans les couches charbonneuses accumulées dans la galerie, mais leur description n’est pas suffisamment précise pour l’affirmer. Selon P.-H. Mitard, certains objets contenus dans ces couches (monnaies, restes fauniques, tessons de céramique) auraient été volontairement réunis sur une tuile ou entre des blocs. Les multiples couches charbonneuses du temple ont finalement été scellées par les nombreux débris issus de l’effondrement ou de la démolition des murs, dont plusieurs pans ont basculé vers l’intérieur ou l’extérieur du bâtiment. Néanmoins, certaines parties du temple ont dû rester accessibles lors du chantier de démolition et ont peut-être été réoccupées à titre profane : un foyer aménagé à 0,90 m au-dessus du dallage du sol, dans l’angle nord-ouest de la cella sud, est ainsi associé à une monnaie émise vers 313-315.

Figure 323 : Coupe stratigraphique réalisée au niveau de l’angle nord-est du temple A2 des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), où se sont accumulés des dépôts cendreux et des niveaux de démolition à partir des années 270.

Figure 323 : Coupe stratigraphique réalisée au niveau de l’angle nord-est du temple A2 des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), où se sont accumulés des dépôts cendreux et des niveaux de démolition à partir des années 270.

Réal. L. Guyard et al. (2012), d’après Mitard, 1993, p. 275, pl. I.

30Ainsi, les altérations observées sur les sols et les murs, et peut-être aussi une partie ou l’ensemble des couches charbonneuses accumulées dans le bâtiment et à ses abords, résultent probablement d’un ou de plusieurs incendies de l’ancien temple (cf. infra, 6.3.1), déjà partiellement démonté, mais l’existence de possibles structures de combustion et de dépôts organisés au sein de ces niveaux pose question. En l’état des connaissances, on ne peut dire si des offrandes sont encore pratiquées ponctuellement dans l’édifice ruiné à la fin du iiie s., ou si les vestiges reconnus sont les témoins d’une ou de plusieurs réoccupations profanes. En tout état de cause, il ne fait pas de doute que le temple a perdu son caractère monumental et que le déroulement du culte en a été profondément affecté. D’ailleurs, à l’ouest du temple dégradé, de nombreux fragments de stèles et de statuettes en pierre, représentant vraisemblablement des dévots (cf. supra, 2.2.2.1 et fig. 324), ont été rejetés sans ordre sur le sol de la cour, aux abords d’un bassin (F). Ils ont été mis au jour dans une couche cendreuse qui a aussi livré des débris de construction et des monnaies, dont les plus tardives sont au nom de Postume (260-269) (Mitard, 1993, p. 316). Ainsi, une partie des offrandes rassemblées dans le sanctuaire a pu être brisée et enfouie dès le second quart du iiie s., au moment de la destruction du temple voisin, le mobilier attribué au ive s. étant effectivement absent dans ce secteur.

Figure 324 : Sculptures fragmentaires en calcaire répandues sur le sol de la cour sacrée du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), entre le temple monumental (A2) et le bassin F, au plus tôt dans les années 260 de n. è.

Figure 324 : Sculptures fragmentaires en calcaire répandues sur le sol de la cour sacrée du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), entre le temple monumental (A2) et le bassin F, au plus tôt dans les années 260 de n. è.

In Mitard, 1993, p. 315, n 6.

31Cependant, dans l’angle sud-est de l’aire sacrée, en son point le plus élevé – et à l’abri des inondations qui ont sans doute amené à condamner une partie de l’aire sacrée dès la fin du iiie s., malgré le creusement d’un canal (cf. infra, 6.3.1) –, un édicule (G) a manifestement continué d’être fréquenté, sans être détruit. Il s’apparente à une petite cella quasi carrée, dépourvue de galerie, et a été édifié en utilisant des moellons vraisemblablement taillés à partir de blocs parallélépipédiques récupérés sur le site. Selon D. Vermeersch (2012, p. 239), la découverte d’une monnaie de Licinius (308-324), peu usée, dans son radier de fondation fournit un terminus post quem relativement précis pour son édification. Néanmoins, au moment de sa démolition, le bâtiment a été arasé jusqu’à ses fondations, et cette monnaie pourrait alors être intrusive. Dans ce cas, la construction de l’édicule G pourrait être plus ancienne et remonter peut-être au iie s. ou au iiie s. Quoi qu’il en soit, la mise au jour d’une quarantaine de monnaies des iiie s. et ive s. en son sein ou à ses abords semble confirmer que cet édicule est toujours fréquenté, entre autres pour y déposer des offrandes monétaires, après la démolition du temple principal. C’est manifestement aussi le cas du bassin B2 (au moins 23 monnaies du ive s.), alors que seulement 2 pièces émises entre 313 et 337, sans doute perdues, proviennent de l’ancien temple A2 (Mitard, 1996, p. 170-171, tabl. 1 et 2). Ainsi, les gestes rituels, qui se résument désormais – du moins d’après les traces que l’archéologie peut mettre en évidence – à de vraisemblables offrandes monétaires, n’ont été réalisés, à partir de la fin du iiie s., qu’autour de certains modestes équipements, édicules et bassins.

32À Sceaux-du-Gâtinais (S.225, ph. 4), ce sont les ravages d’un incendie, survenu au plus tôt à la fin du iie s. ou au début du iiie s. (cf. infra, 6.3.1), qui ont conduit à réaménager, dès le courant du iiie s., le monument à portiques où est vraisemblablement assuré le culte de la déesse Segeta depuis la seconde moitié du ier s. de n. è. (Roncin, 1977, p. 61-62 ; Vilpoux, 1995, p. 44-45 et 1996, p. 147-148). Les vestiges étudiés dans son tiers méridional laissent toutefois penser que seule une partie de cet espace, qui a pu accueillir diverses activités au cours du Haut-Empire et dont le temple principal n’a pas été découvert, continue d’être fréquentée dans le cadre de rituels à l’issue du sinistre (cf. supra, 1.1.3.2 et fig. 65). Selon toute vraisemblance, la toiture des ailes orientale et occidentale de la cour à portiques, effondrée, a alors été partiellement reconstruite, comme en témoigne un trou de poteau isolé, prenant appui sur un mur de l’une des anciennes salles. Par ailleurs, certaines pièces ont été réutilisées comme zones de stockage, où sont entreposés de gros vases en terre cuite, tandis que le sol bétonné d’une autre salle a été refait à plusieurs reprises et que le sol de la cour centrale a été exhaussé. En résumé, malgré leur entretien au cours des décennies qui ont suivi l’incendie, les portiques de l’édifice semblent avoir perdu de leur monumentalité ; les ultimes aménagements sont précaires et il est possible que les activités qui ont lieu au sein du complexe aient évolué et soient en partie profanes.

33Le courant du ive s. marque ensuite l’abandon progressif du monument. Durant la première moitié de ce siècle, les conduites d’eau ne sont plus nettoyées et servent de dépotoir pour l’enfouissement de déchets divers. Cependant, dans le bassin situé dans la cour centrale, plusieurs dizaines de monnaies, émises avant la fin du règne de Gratien (367-383) ou de Valentinien II (375-392), ont été jetées dans l’eau, peut-être avec d’autres types d’offrandes – si l’immersion de ces derniers n’est toutefois pas plus ancienne. Ainsi, plus d’un siècle et demi après l’incendie et la transformation du monument, des rites sont encore pratiqués dans le bassin, où a d’ailleurs été aussi rejetée une dédicace à la déesse honorée, gravée sur un disque en marbre. Le canal d’adduction d’eau du bassin est définitivement obturé au ve s. ou au vie s., si l’on se fie à une datation radiocarbone réalisée sur des fagots de bois qui y ont été rejetés.

34Au cours de la période tardo-antique, le jet de monnaies dans le bassin d’un sanctuaire, supposé à Genainville et à Sceaux-du-Gâtinais (cf. supra, 2.2.3.1), semble aussi avoir été pratiqué à Saclas (S.221, ; fig. 325). La couche inférieure de son remplissage a effectivement livré 55 monnaies, dont 50 ont été émises dans le courant du ive s., jusque sous le règne de Gratien (378-383), ainsi que des tessons de céramique, notamment de sigillée décorée à la molette, également attribuée au ive s. ; la partie supérieure de son comblement a piégé d’autres monnaies du ive s., dont la plus récente a été émise au nom d’Honorius (vers 394-395) (Manson et Noël, 1973a). Si peu de monnaies ont été collectées à l’intérieur même du temple (A), la fouille des environs d’une série d’édicules (B) et d’une fosse creusée entre ces derniers et le bâtiment de culte principal a permis de recueillir plusieurs centaines de pièces, en grande majorité datées du ive s. D’une manière générale, le numéraire, représenté par 1 657 pièces, est particulièrement abondant au sein du lieu de culte et témoigne d’une fréquentation active durant l’Antiquité tardive.

Figure 325 : Vestiges du sanctuaire du Creux de la Borne à Saclas (Essonne).

Figure 325 : Vestiges du sanctuaire du Creux de la Borne à Saclas (Essonne).

Réal. S. Bossard, d’après Dunet, 1988, p. 77, fig. 1 ; Pothin, 1997, p. 45, fig. 1 et Naudet, 2004, p. 212, fig. 111.

35Il est néanmoins probable qu’une partie de l’aire sacrée ait été utilisée à des fins profanes au cours de cette même période : dans le bâtiment oriental E, dont la fonction au cours du Haut-Empire n’est pas connue et qui semble désormais être en ruine, une construction sur poteaux et une fosse dépotoir, associées à des déchets caractéristiques de la métallurgie du bronze, ont été aménagées au cours des iiie s. et ive s. de n. è. et témoignent de la vraisemblable reconversion de cet espace au cours de l’Antiquité tardive (Pothin, 1997, p. 46 ; Naudet, 2004, p. 214).

36Évoquons aussi l’exemple du sanctuaire suburbain de Jublains (S.32, ph. 4), dont les derniers aménagements sont mis en œuvre à la fin du iiie s. ou au début du ive s. (cf. supra, fig. 191 ; Naveau et al., 1997, p. 131-134, p. 139-140, p. 143, p. 194 et p. 199). Le sol du portique extérieur continue d’être entretenu durant cette période, mais l’entrée orientale, qu’il dessert, est partiellement murée – et non complètement obturée, d’autant plus que le monument continue d’être fréquenté –, réduisant l’ouverture pratiquée dans le péribole de près de 2 m en largeur ; une imitation monétaire de la fin du iiie s., découverte dans le remblai sur lequel repose le perron associé à ce second état de l’entrée, fournit un terminus post quem utile. La réfection de l’accès occidental et en particulier de son seuil est peut-être datée de la même période, bien qu’aucun indice fiable ne permette de l’affirmer ; la maçonnerie grossière qui constitue la fondation de la nouvelle marche réemploie des blocs vraisemblablement issus des ornamenta du sanctuaire : des fragments à décor d’esses et plusieurs fragments d’une statue féminine assise y ont été piégés.

37À l’extérieur du péribole, adossé à son angle sud-est, un bâtiment d’environ 250 m² (E), possible dépendance du lieu de culte depuis le début du iie s., est pourvu, au plus tôt dans les années 270, d’un bassin rectangulaire chauffé au moyen d’un hypocauste, fonctionnant grâce à un foyer qui lui est accolé à l’est. Interprété comme un delubrum utilisé pour la purification des dévots avant qu’ils ne pénètrent dans l’enceinte religieuse, le bassin est vraisemblablement alimenté en eau depuis l’intérieur du sanctuaire, grâce à un système de puits (cf. supra, 1.1.3.1). Une dizaine de monnaies provient de cette probable annexe du sanctuaire, qui a pu aussi constituer un lieu de dépôt d’offrandes, en plus des ablutions que l’on y restitue (Naveau et al., 1997, p. 157-158 et p. 200).

38Ainsi, des réaménagements sont opérés au sein et en périphérie du lieu de culte vers la fin du iiie s. ; si la mise en place d’un dispositif thermal a priori en lien avec les pratiques cultuelles pourrait indiquer que l’activité religieuse reste dynamique, il est plus difficile d’expliquer le bouchage partiel des accès et le réemploi de blocs issus de la décoration du sanctuaire, alors privé d’une partie de ses ornamenta à cette fin. Doit-on envisager, comme pour les exemples précédents, qu’une partie de l’aire sacrée est désaffectée, et que d’autres activités prennent désormais place au sein du péribole ? D’ailleurs, deux grands foyers ont été mis en évidence sur les sols bétonnés du quadriportique, aux angles sud-est et sud-ouest, tandis qu’un alignement de zones brûlées et une fine couche de cendres ont été observés dans la moitié sud du portique occidental ; ces structures et rejets de combustion, non datés, ont peut-être fonctionné dans le cadre d’ultimes banquets sacrés, à moins d’envisager qu’ils ne soient postérieurs à l’abandon – partiel ? – du lieu de culte. Quoi qu’il en soit, la découverte ancienne d’une trentaine de monnaies constantiniennes, « dans un très petit espace » sans doute localisé au sein de l’aire sacrée (Barbe, 1865, p. 96), et celle – plus récente – de 7 autres pièces émises entre le début du ive s. et le règne de Magnence (350-353) laissent penser que les offrandes monétaires se poursuivent durant la première moitié du ive s. (Aubin et al., 2014, p. 231), mais les niveaux les plus récents, au cœur du sanctuaire, sont peu documentés et on ne peut définir avec précision la nature de l’occupation tardo-antique.

39Enfin, le lieu de culte d’Orléans (S.114, ph. 4) a aussi pu avoir été détruit, en plusieurs étapes, à partir de la fin du iiie s. ou le début du ive s. (fig. 326 ; Verneau et Noël dir., 2009, vol. 1, p. 297-312 ; Verneau, 2014, p. 103-108). Le démantèlement du temple A et, en particulier, de sa galerie périphérique, a pu avoir été réalisé en premier : une fosse, renfermant différents objets disposés avec soin (cf. infra, 6.3.2) et deux imitations radiées, produites au cours du dernier quart du iiie s. ou au tout début du ive s., recoupe effectivement les tranchées de récupération de ses murs. Puis, vers le troisième quart du ive s. de n. è., un niveau de démolition, contenant d’abondants débris de tuiles, est étalé sur le sol de la cour orientale du sanctuaire et à ses abords orientaux ; sa formation témoigne sans doute de la destruction des toitures du portique qui fermait cet espace à l’ouest, ainsi que d’autres bâtiments encore en élévation. Il est possible que l’épandage de fragments de tuiles ait avant tout servi à assainir et à stabiliser le terrain, humide, en vue d’une nouvelle occupation de la cour.

Figure 326 : Vestiges du sanctuaire (ou de l’habitat ?) de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) durant la seconde moitié du ive s. (ph. 4).

Figure 326 : Vestiges du sanctuaire (ou de l’habitat ?) de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) durant la seconde moitié du ive s. (ph. 4).

Réal. S. Bossard, d’après Verneau, 2014, p. 100, fig. 85 et p. 104, fig. 92.

40En effet, plusieurs indices montrent que le site continue d’être fréquenté et réaménagé après la démolition des couvertures. Le mur oriental de la cour, par exemple, est entretenu : un bac à chaux a été creusé à son pied, entaillant le niveau de tuiles. Par ailleurs, dans l’angle sud-ouest de la cour, c’est une probable construction légère (G), reposant sur une série de poteaux, qui succède au portique. Aucun mobilier n’est associé à cet édifice, mais une zone rubéfiée témoigne de l’aménagement d’un foyer, au pied du mur de péribole, qui reste probablement en élévation. L’espace interne d’un édicule préexistant (F, une cella ?) est aussi manifestement réorganisé dès la fin du iiie s. ou durant le ive s. : divers objets (deux monnaies, un jeton en terre cuite, des tessons de céramique et une statuette en calcaire) et des débris issus de la démolition d’un bâtiment – peut-être l’édicule même –, sont alors enfouis, en désordre, dans une fosse creusée dans sa partie occidentale – servait-elle, à l’origine, à assoir les fondations d’une base de statue de culte, alors récupérée ? Une fois cette fosse scellée, durant la seconde moitié du ive s., des tuiles ont été posées à plat contre le mur occidental de l’édicule, à l’intérieur de celui-ci, pour constituer un nouveau support dont le rôle n’a pu être déterminé.

41Par ailleurs, des monnaies sont encore accumulées sur le site au cours du ive s. : 128 pièces, dont au moins 8 sont datées de la seconde moitié du ive s., ont été mises au jour dans et sur les couches de tuiles. Treize autres monnaies, émises entre 330 et 392, ont aussi été regroupées en surface du niveau de tuiles, dans la partie orientale de la cour, dans une aire d’environ 15 cm de long pour 10 cm de large ; à titre d’hypothèse, elles ont pu avoir été réunies dans une bourse en matériaux périssables, qui n’aurait pas été conservée. Une fibule cruciforme, dont la production est attribuée aux années 350-410, des tessons de céramique datés du ive s. et un ensemble de quartiers de moutons ont également été découverts sur le nouveau sol, stabilisé par les débris de tuiles.

42Il ne fait donc aucun doute que le site continue d’être ponctuellement entretenu, voire réaménagé, mais la nature de cette occupation pose question. La présence de quartiers de viande, de monnaies et d’une fibule au sein de la cour pourrait être liée à la déposition d’ultimes offrandes, réalisée durant la seconde moitié du ive s. (Verneau, 2014, p. 106). Il est néanmoins tout à fait possible que d’autres activités, par exemple domestiques ou artisanales – siégeant au sein du bâtiment G ? –, ou simplement liées au démantèlement progressif des constructions maçonnées, soient à l’origine de tels enfouissements ou pertes : les monnaies postérieures à 348 sont somme toute peu nombreuses (17) et elles ont pu avoir été perdues, à l’instar de la fibule, durant la seconde moitié du ive s., au sein de la cour orientale de l’ancien sanctuaire, alors désaffecté depuis le milieu du siècle et transformé en modeste habitat. Dans ce cas, l’occupation à caractère profane aurait succédé à la fermeture du sanctuaire, dont la fréquentation dans le cadre de rituels a pu se poursuivre durant plusieurs décennies après la destruction partielle de son temple – si l’on admet que celui-ci est bien dégradé dès la fin du iiie s., même si le terminus post quem fourni par deux seules imitations radiées, dont l’enfouissement est postérieur à sa destruction, invite à la prudence.

43Que retenir de ces différents dossiers ? D’une part, que l’interprétation des vestiges les plus récents n’est guère aisée et qu’il est crucial de maîtriser avec finesse la stratigraphie du site et la chronologie du mobilier pour restituer la succession d’évènements, souvent multiples, survenus entre la fin du iiie s. et le courant du ive s. Au demeurant, pour la grande majorité des sites du centre et de l’ouest de la Lyonnaise, les données ne sont pas suffisamment précises pour appréhender leur évolution au cours de l’époque tardo-antique. D’autre part, qu’il ne fait pas de doute que certains sanctuaires publics – c’est certainement le cas des lieux de culte monumentaux de Jublains, de Genainville et de Sceaux-du-Gâtinais, et peut-être aussi des autres exemples évoqués – connaissent de profondes transformations dès le courant et surtout le dernier tiers du iiie s. Une partie de leurs équipements, et notamment le temple principal à Genainville, Bennecourt et peut-être Orléans et Macé, est désaffectée puis est rapidement démontée ou réoccupée pour des activités qui ne présentent a priori pas de rapport avec les cultes. Il est alors évident que ces sanctuaires, privés de certaines architectures plus ou moins monumentales, perdent de leur éclat, et qu’une partie ou l’ensemble des divinités, si elles ne disparaissent pas nécessairement, sont délogées de leur résidence.

44Des pratiques religieuses, on ne perçoit plus que l’offrande de monnaies, qui semble (re)devenir un geste courant entre la fin du iiie s. et le milieu, voire la seconde moitié du ive s. La topographie des dévotions évolue : la stips, pratiquée à titre probablement individuel, a désormais lieu au sein ou en périphérie de constructions de petite taille, généralement des édicules préexistants, ou bien dans des bassins qui, jusqu’alors, n’avaient jamais reçu de monnaies – ou peut-être en avaient peu reçu (cf. supra, 2.2.3.1). Si d’autres offrandes ont pu avoir été introduites au sein des aires sacrées ainsi reformulées, elles sont peu nombreuses et correspondent avant tout à des parures, à quelques céramiques ou à des restes fauniques, voire à des figurines, sans que l’on puisse toujours déterminer si ces objets étaient déjà présents au sein de l’aire sacrée et qu’ils ont été déplacés, ou bien s’ils y ont été apportés tardivement par les derniers cultores. En tout état de cause, l’espace dévolu aux actes religieux paraît avoir été resserré autour d’un ensemble de structures modestes, « petits îlots » (L’Huillier, 2005, p. 278) épargnés des démolitions, ou parfois en partie détruits, comme l’évoque l’état délabré des cellae C2 et G de Bennecourt au moment où elles ont servi de réceptacles aux ultimes dépôts de monnaies. Ces exemples trouvent d’ailleurs un parallèle intéressant sur le site du Gué-de-Sciaux à Antigny (Vienne), en territoire picton, où les pratiques religieuses de l’Antiquité tardive, entre la fin du iiie s. et le second quart du ive s., sont recentrées dans le quart sud-est du péribole, autour de trois édicules et d’une galerie, tandis que des monnaies continuent manifestement d’être déposées ou lancées à proximité de l’un des deux principaux temples, alors en cours de démantèlement (Bertrand dir., 2018, vol. I, p. 461-481). Ici, comme pour les sites de Lyonnaise, l’entretien des aires sacrées demeure limité à quelques travaux de faible ampleur, tandis que les offrandes ne sont a priori plus recyclées et que se poursuivent parfois, en une ou plusieurs étapes, les activités de destruction et de récupération des matériaux, visant à dépouiller les constructions les plus monumentales de leur parure.

45L’absence de témoignage écrit ne permet pas de savoir si les divinités honorées au sein de ces lieux de culte sont restées inchangées au-delà du milieu du iiie s., si certaines d’entre elles ont été oubliées, si d’autres sont apparues et ont investi des espaces jusqu’alors inoccupés – tels les bassins ? –, ou encore ont « déménagé » depuis leur temple, désormais en ruine, vers un autre point plus sommairement aménagé. En outre, il n’est pas certain que les statues de culte aient été conservées au sein de toutes les aires sacrées, en particulier de celles que l’on a démunies d’un ou de plusieurs temples ; se pose alors la question de la forme que revêt la manifestation divine dans ces sanctuaires délabrés. Quoi qu’il en soit, on est en droit d’estimer que les communautés qui fréquentent désormais ces sanctuaires ne sont plus les mêmes que dans le courant du Haut-Empire ; certains dévots (essentiellement locaux ?), dont on ne peut évaluer le nombre – mais qui semble toutefois peu important –, « reviennent dans quelques sanctuaires traditionnels qui ne sont plus entretenus pour la plupart, mais les rites ne sont plus encadrés par les fêtes publiques, sauf en de rares cas » (Van Andringa, 2017a, p. 314). En effet, il ne semble guère plausible d’imaginer que des cérémonies ouvertes à un grand nombre de participants, comme le suggèrent les capacités d’accueil de certains lieux de culte sans doute publics du Haut-Empire (cf. supra, 1.1.5.4), aient été encore organisées au sein d’aires sacrées partiellement détruites. Les traces d’éventuels sacrifices et de banquets collectifs sont d’ailleurs difficiles à mettre en évidence pour les quelques exemples évoqués, malgré la qualité de documentation réunie à leur égard. Notons à ce titre qu’à Bennecourt, comme l’a d’ailleurs relevé W. Van Andringa (2017a, p. 313), la présence plus importante de restes d’oiseaux et de poissons – mais aussi de porc –, dans les niveaux postérieurs au milieu du iiie s., marque un changement dans les pratiques alimentaires et, peut-être, l’arrêt des sacrifices communautaires ; on ignore néanmoins si ces reliefs de repas proviennent des couches liées aux édicules encore fréquentés dans le cadre de pratiques rituelles, ou bien de celles formées au cours de la réoccupation domestique ou artisanale de l’ancien temple à galerie périphérique (P. Méniel, in Bourgeois dir., 1999, p. 165-168).

46Malgré les lacunes documentaires propres à chaque dossier, on ne peut toutefois considérer que l’ensemble des lieux de culte des cités étudiées connaît une phase de déclin dès la fin du iiie s. Les variations chronologiques que l’on observe traduisent un phénomène progressif, imputable à l’histoire locale de chaque site et à la place que celui-ci occupe au sein de l’armature religieuse, mais aussi à la divinité honorée. L’examen des mithraea tardo-antiques révèle ainsi un dynamisme propre au culte qui y est célébré.

6.1.2. La vitalité des mithraea d’Angers et de Septeuil, deux cas particuliers

  • 111 Le site de Lillebonne (S.85) et celui de Jort (Calvados), qui n’a livré que des blocs sculptés en r (...)

47Les fouilles exécutées à Angers (S.2 ; Brodeur dir., 2014 ; Molin et al., 2015 et Brodeur et Petit, 2016) et à Septeuil (S.122 ; Gaidon-Bunuel, 2000 ; Barat, 2007, p. 329-335) ont fourni une documentation d’excellente qualité, qui permet de restituer l’organisation de deux mithraea fréquentés jusqu’à la toute fin du ive s., voire durant les premières années du ve s., ainsi qu’une partie des rites qui y étaient pratiqués111.

  • 112 Au total, ce sont près de 100 000 tessons de céramique et 50 000 restes fauniques qui ont été colle (...)

48Alors que celui d’Angers a été fondé dans un quartier périphérique de Iuliomagus dès les années 160-170 et qu’il a été reconstruit vers le milieu du iiie s. de n. è., le spelaeum de Septeuil a été aménagé, dans un ancien nymphée, alors abandonné et en partie démantelé, entre 355 et 360 – voire dès les années 340, si l’on considère que la première réoccupation des lieux, au cours de laquelle ont été allumés plusieurs foyers, est bien liée à l’installation d’une communauté mithriaque (cf. supra, 3.1.2.4). Tous deux ont livré les témoins d’une fréquentation tardo-antique intense, malgré les capacités d’accueil limitées à quelques dizaines d’individus, tout au plus, de leur salle cultuelle (cf. supra, 2.3.2.3). Il faut alors probablement envisager que les offrandes accumulées au sein des deux sanctuaires, en particulier des monnaies essentiellement tardo-antiques (711 à Angers et 1 311 à Septeuil), des vases dédicacés au Deo invicto et peut-être quelques parures, ainsi que les reliefs de sacrifices et de repas au cours desquels on consomme avant tout du porc et des gallinacés112, ne sont pas – ou sont peu – évacués des sites. Ces rejets y sont notamment regroupés dans des décharges aménagées aux abords de la salle semi-enterrée où se réunissent les initiés, à une fréquence que l’on ne peut pas déterminer. Au demeurant, la quantité de mobilier recueillie à Septeuil est d’autant plus considérable que ce mithraeum n’a été fréquenté que durant un demi-siècle.

49Le tableau qu’offre la restitution de ces espaces est donc celui de lieux animés, où l’on sacrifie, partage un repas ou fait don d’un objet, parfois en s’acquittant d’un vœu, parmi d’autres pratiques qui n’ont laissé aucune trace. Les objets manipulés dans le cadre des cérémonies – du moins ceux qui ont pu être identifiés – ne diffèrent donc guère de ceux que l’on retrouve dans les autres espaces cultuels, publics ou privés, des cités du Haut-Empire et de l’Antiquité tardive, mais les quantités d’objets sont sans commune mesure avec la plupart des sites encore fréquentés après le milieu du iiie s. De fait, seuls de rares lieux de culte sans doute publics ont livré plusieurs centaines de monnaies tardo-antiques (cf. supra, 6.1.1.1) et les restes fauniques et céramiques y sont globalement peu abondants. Signalons d’ailleurs que la découverte de quelques militaria, à Angers en particulier, indique que des hommes armés – dont la présence au sein des mithraea de l’Empire est souvent attestée (Turcan, 2000, p. 37-39) – font vraisemblablement partie des initiés, à moins qu’il ne s’agisse d’accessoires liés au grade rituel de miles (cf. supra, 2.2.3.3, les militaria d’époque romaine). Plusieurs inscriptions, gravées sur une plaque en pierre ou incisées sur un vase, à Angers, témoignent aussi de la participation aux rites d’un esclave, dénommé Pylades, d’un certain [Val]entin[us] ou [Adu]entin[ius] ou encore d’un citoyen venu de la lointaine cité des Ambiens, qui ont fréquenté le site entre le iie s. et le ive s. (Molin et al., 2015).

50Le contraste est donc saisissant entre les lieux réservés au culte du dieu Mithra – bien que l’on n’en connaisse que deux sites au sein de l’aire géographique considérée – et les sanctuaires publics ou privés consacrés aux dieux protégeant les cités, diverses associations ou les familles. À partir de la seconde moitié du iiie s. et tout au long du ive s., ces derniers espaces, à quelques exceptions près, semblent présenter les signes d’un déclin, traduit par la réduction de l’aire sacrée, la quasi-absence d’entretien, la pratique de rites individuels et peu ostentatoires, la démolition partielle ou totale de leurs équipements ou une simple désertion des lieux. Le délaissement et le démantèlement des aires sacrées s’effectuent toutefois à des rythmes variables, qu’il convient d’examiner avant d’analyser les modalités et les causes possibles de leur abandon.

6.2. Des abandons progressifs : questions de chronologie

6.2.1. Dater l’abandon et la démolition d’un sanctuaire : aspects méthodologiques

51Les principaux fossiles directeurs utiles à la datation des phases les plus tardives des sanctuaires, ainsi que les problèmes que posent leur étude et leur interprétation, ont été présentés par les auteurs des récentes synthèses consacrées aux sanctuaires de l’ouest et du centre-est des Gaules (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 319 ; Hostein et al., 2014, p. 208-209 ; Aubin et al., 2014, p. 223-227). À de rares documents épigraphiques, s’ajoutent des lots de céramique plus ou moins abondants, dont l’étude détaillée n’a été menée que pour les découvertes les plus récentes, ainsi que des monnaies, souvent privilégiées par les archéologues, mais qui fournissent « un terminus post quem dont l’interprétation doit être modulée en fonction de la taille de l’échantillon, des données chronologiques disponibles dans l’environnement, de la connaissance de la circulation monétaire générale » (Aubin et al., 2014, p. 227 ; cf. supra, 2.2.3.1). L’apport des autres catégories de mobilier, tels les accessoires vestimentaires et les parures, est plus limité, car rares sont les objets de ce type que l’on peut rattacher aux phases les plus récentes des lieux de culte (cf. supra, 2.2.3.2).

52À l’échelle des cités centrales et occidentales de la Lyonnaise, parmi les 99 sanctuaires avérés pour lesquels les données chronologiques fournies, avant tout, par l’étude de la céramique ou du numéraire permettent de définir le terminus post quem de leur abandon, les deux tiers (soit 66 sites) ont livré des marqueurs suffisamment précis pour considérer cette proposition comme fiable (Bossard, 2021, vol. II, p. 197-205, tabl. J). Cette liste peut être complétée par quelques lieux de culte supplémentaires, d’où ne provient que peu de mobilier, mais qui sont intégrés à un habitat, dont la date d’abandon correspond probablement à celle de l’établissement associé. Les sites prospectés au sol et qui n’ont pas fait de l’objet de fouilles ont été écartés de cette enquête. L’intervalle d’un demi-siècle retenu comme terminus post quem correspond à la désertion définitive du lieu (cf. supra, fig. 294), dont une partie a toutefois pu avoir été désaffectée plusieurs décennies auparavant (cf. supra, 6.1.1.2). Il est d’ailleurs probable, pour certains sanctuaires, que les objets les plus récents aient été perdus au cours de visites postérieures à l’arrêt des pratiques religieuses, et les résultats obtenus doivent donc être considérés avec circonspection. Il faut aussi rappeler, avec C. Sotinel (2004, p. 43), que l’absence de témoins archéologiques d’une activité religieuse ne signifie pas nécessairement que l’usage religieux du lieu de culte disparaît, puisqu’elle peut aussi être imputée à d’autres facteurs (cf. supra, 2.1.3). Les rares espaces cultuels ayant livré une ou quelques monnaies du ve s. ont été rassemblés avec les sites abandonnés durant les années 351-400, d’autant plus que l’on ne peut affirmer avec certitude qu’ils restent bien fréquentés dans le cadre d’activités religieuses dans le courant du ve s. (cf. infra, 6.2.2.2).

53Il est intéressant de noter que parmi les 55 sanctuaires bien datés et au sein desquels ont été découvertes à la fois de la céramique et des monnaies, la datation fournie par l’examen de ces deux catégories de mobilier concorde peu ou prou dans 60 % des cas, tandis que les monnaies les plus récentes sont a priori plus tardives de quelques décennies – voire de plus d’un siècle – que les dernières productions en terre cuite pour 25 % des sites, et plus précoces que celles-ci pour les 15 % restants. Ainsi, pour plus d’un site sur deux, on constate une bonne corrélation entre les principaux types de fossiles directeurs ; les variations observées pour les autres sanctuaires dépendent sans doute de facteurs multiples, parmi lesquels peuvent figurer des pertes postérieures à l’abandon, des pratiques différenciées d’un lieu sacré à l’autre, la disparition d’une partie du mobilier ou encore l’étude incomplète du site et des zones de rejet de ses vestiges cérémoniels.

6.2.2. Chronologie générale des abandons

  • 113 Une telle évolution, marquée par un nombre inférieur d’abandons au cours de la première moitié du i (...)

54La courbe des abandons (cf. supra, fig. 294) révèle que le nombre de sanctuaires délaissés croît de manière quasi continue entre le début du iie s. et la fin du ive s., voire le début ou le courant du ve s. ; seule une baisse, certes peu marquée, s’observe durant la première moitié du ive s., pour les sites les mieux datés, mais elle pourrait être compensée en tenant compte également des sites dont la chronologie est moins assurée113. Dans tous les cas, la désertion des lieux de culte s’accélère de manière significative dans le courant du iiie s. et surtout à partir des années 250 ; rares sont donc les abandons que l’on peut dater du courant du Haut-Empire.

6.2.2.1. Des abandons précoces durant le Haut-Empire

  • 114 Les quelques sites pour lesquels le terminus post quem établi à partir des données de terrain est a (...)

55L’activité de quatre lieux de culte d’époque romaine a pu cesser dès la première moitié du iie s.114 Ils ont néanmoins livré peu d’objets, en particulier de monnaies, et il faut donc considérer avec prudence le terminus post quem proposé, d’autant plus que le mobilier des espaces cultuels a tendance à se raréfier, d’une manière globale, dans les sanctuaires à partir de la seconde moitié du ier s. de n. è. (cf. supra, 4.3.2.2). C’est notamment le cas des espaces cultuels d’Entrammes (S.31 ; Naveau, 2015, p. 116) et d’Épiais-Rhus (S.257 ; Simon et Lemoine, 1972), situés en périphérie d’une agglomération secondaire, de même qu’à Chanceaux-sur-Choisille (S.239 ; Hascouët et Rialland dir., 1993 ; Doyen et Dubois, 2016). Cependant, pour ce dernier site, l’essentiel des constructions de l’habitat groupé semble bien avoir été déserté dès la première moitié du iie s. et l’abandon précoce du sanctuaire pourrait alors accompagner une rétraction plus générale du tissu aggloméré. Enfin, à Plouër-sur-Rance (S.137), le modeste lieu de culte, muni de constructions en terre et en bois et sans doute privé, car associé à une probable villa, a pu disparaître dès le début du iie s., comme le suggère l’étude de la céramique (Menez dir., 1996). La valeur mémorielle qui y était probablement attachée, comme à Entrammes d’ailleurs, explique peut-être l’arrêt précoce des pratiques rituelles : ces dernières ont pu cesser avec la disparition ou le déménagement des descendants des familles qui ont fondé, au sein d’un ancien habitat gaulois, ces lieux de culte (cf. supra, 3.2.3.5 et 4.2.1).

56Le nombre d’abandons augmente progressivement entre la seconde moitié du iie s. et la première moitié du iiie s., au cours desquelles ce sont respectivement une demi-douzaine et une dizaine de sites qui ont été délaissés. Il est toutefois indispensable de rappeler que la pénurie du numéraire en bronze qui affecte les provinces gauloises de l’Empire, entre autres, entre la fin du iie s. et les années 260, explique certainement la rareté de numéraire que l’on retrouve pour cette période dans divers contextes, notamment cultuels (Hostein et al., 2014, p. 208 ; Aubin et al., 2014, p. 227 ; cf. supra, 2.2.3.1). Ainsi, lorsque le terminus post quem établi à partir de l’étude numismatique n’est pas corroboré par d’autres indices, la prudence s’impose et il est donc probable qu’une partie des sites que l’on suppose avoir été abandonné entre le dernier quart du iie s. et le milieu du iiie s. ait en réalité continué d’être fréquentée jusqu’à une date assez avancée du iiie s. – jusqu’aux années 260-270. Cependant, la présence de productions céramiques attribuées au plus tard à la fin du iie s. ou aux premières décennies du iiie s. et l’absence d’imitations radiées (cf. infra), à Chartres (Saint-Martin-au-Val, s.101 ; Bazin et al., 2014), Hecmanville (S.152 ; Maret dir., 2003, vol. 1, p. 13-18), Amboise (S.237 ; Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 27-28 et p. 61), Saint-Patrice (S.247 ; Guiot, 2003) ou encore Authevernes (S.253 ; Michel et al., 2014, p. 198-199), constituent de bons arguments pour envisager que, sur ces sites, les visites des dévots se raréfient, voire cessent bien au cours des dernières décennies du Haut-Empire.

6.2.2.2. De la seconde moitié du iiie s. au début du ve s.

57La grande majorité des sanctuaires – soit les deux tiers des sites bien datés et plus de neuf lieux de culte sur dix dont la chronologie est moins précise – a définitivement été désertée dans le courant de l’Antiquité tardive, entre la seconde moitié du iiie s. et la fin du ive s., voire le début ou le courant du ve s.

  • 115 Il s’agit des sanctuaires d’Athée (S.165 : une monnaie de Sévère III, frappée entre 461 et 465 ; Bo (...)

58Si l’identification de céramique tardo-antique, en particulier de sigillée produite dans les ateliers d’Argonne au cours des ive s. et ve s. – tandis que la chronologie des productions locales est moins bien connue, en particulier dans l’ouest des Gaules –, confirme dans nombre de cas que les sanctuaires restent fréquentés jusqu’à une date avancée de l’époque romaine, la chronologie des abandons postérieurs au milieu du iiie s. repose avant tout sur la datation du numéraire, quasi exclusivement en bronze. Cependant, la circulation de ce dernier a parfois été longue et sa présence ne fournit, rappelons-le, qu’un terminus post quem ; par ailleurs, une fraction des monnaies découvertes, nous l’avons déjà évoqué, a pu avoir été perdue accidentellement lors de visites qui n’avaient désormais plus de rapports avec l’activité religieuse. Les imitations radiées constituent cependant un bon marqueur du dernier quart du iiie s. et des premières années du ive s., tandis que les monnaies constantiniennes jalonnent la première moitié du ive s. ; aux occupations de la seconde moitié du ive s., sont associées de nouvelles monnaies issues de la réforme réalisée sous l’égide de Constance II en 348, mais aussi des imitations constantiniennes et des espèces valentiniennes et théodosiennes, toutefois peu abondantes dans l’ouest des Gaules (Hostein et al., 2014, p. 208 ; Aubin et al., 2014, p. 230-231 ; cf. supra, 2.2.3.1). Quant aux éventuels lieux de culte encore visités dans le courant du ve s., ils demeurent difficiles à identifier : la fermeture des ateliers monétaires gaulois, vers 395, a quasiment interrompu l’approvisionnement du territoire étudié en numéraire de bronze frais, puisque la pénétration des espèces désormais essentiellement frappées au sein des officines italiennes est particulièrement limitée (Doyen, 2007, p. 352-353 ; Chameroy, 2013, p. 89-90). Il faut probablement envisager qu’une partie des monnaies émises à la fin du ive s. ait pu être introduite au sein de certains lieux de culte plus tardivement, au début, voire dans le courant du ve s. Du reste, seulement quatre ou cinq sites ont livré une à quatre pièces produites durant le ve s., parfois à une date avancée115 (cf. supra, fig. 293) ; ces rares témoins d’une fréquentation particulièrement tardive sont peut-être liés aux visites épisodiques d’un site en ruine plutôt qu’à l’activité religieuse d’un sanctuaire encore entretenu.

59Ces différents fossiles directeurs ont été reconnus, en tout ou partie, au sein de l’essentiel des lieux de culte considérés, que leur datation soit précise ou non : au moins 20 sanctuaires ont pu être fréquentés jusqu’à la seconde moitié du iiie s., 24 ont été vraisemblablement désertés au cours de la première moitié du ive s. et 31 durant la seconde moitié du ive s., voire dans le courant du ve s.

60Pour aller plus avant et tenter de déterminer les causes de cet étalement, il est nécessaire de s’attarder sur les niveaux archéologiques que l’on peut dater des derniers moments de la vie des espaces cultuels, et les éventuelles traces qui ont pu avoir été laissées au moment de leur fermeture, mais aussi d’analyser plus finement les circonstances et les rythmes d’abandon en fonction de leur implantation et de leur statut supposé.

6.3. Discussion autour des modalités et des causes de la fermeture des sanctuaires

6.3.1. Inondations et incendies : de rares attestations

61Parmi les causes qui pourraient être à l’origine de la désertion de certains sanctuaires, il faut évoquer notamment la question des sinistres, naturels, accidentels ou volontairement déclenchés, qui ont pu les détruire ou les rendre en partie inaccessibles. Toutefois, l’interprétation des traces qu’une montée des eaux ou qu’un incendie ont laissées au sein de plusieurs sites archéologiques n’est pas toujours évidente et pourrait aussi indiquer que ces évènements, s’ils ont bien eu lieu, ne sont pas la cause de l’abandon, mais l’une de ses conséquences.

62Deux sanctuaires où l’eau abondait au cours du Haut-Empire ont ainsi été manifestement ennoyés durant les derniers temps de leur occupation. Le lieu de culte des Jacobins, dans un quartier périphérique du Mans (S.16), a été aménagé sur les rives du ruisseau de l’Isaac, où l’on jetait vraisemblablement des monnaies dès la fin du ier s. av. n. è. (Chevet et al., 2014 ; Chevet dir., 2016). Au cours du Haut-Empire, il a abrité un probable étang, que l’on aurait formé grâce à un système de retenue placé sur le cours d’eau. Les visiteurs du sanctuaire pouvaient manifestement y pratiquer la pêche, mais aussi y jeter des offrandes de divers types, ou bien les enfouir sur ses berges (cf. supra, 1.1.3.2 et fig. 67). L’analyse stratigraphique a révélé que l’aire sacrée, qui était donc sise au fond d’un vallon, a subi de fréquentes inondations, liées à des débordements de l’étang et du ruisseau. Celles-ci ont finalement abouti à son envasement, dès le iie s. de n. è. : près de 1 m de sédiments vaseux a recouvert l’emprise et les environs proches du plan d’eau. Plusieurs dépôts d’offrandes recoupent les couches liées au fonctionnement de l’étang et sont donc manifestement contemporains de périodes d’assèchements qui ont suivi ces épisodes de crue. C’est le cas d’au moins sept pots en terre cuite, contenant des morceaux de viande probablement offerts à une divinité (cf. supra, 2.2.1.3), de plusieurs dizaines de monnaies couvrant l’ensemble du iie s. (cf. supra, 2.2.3.1) ou d’un coffre de tuiles ayant servi de réceptacle pour des offrandes de diverses natures (cf. supra, 2.1.2.2). On ne peut déterminer si les débordements de l’étang, qui ont aussi affecté le secteur situé au-delà du mur occidental de l’enceinte, jusqu’à la rue adjacente, sont liés à un manque d’entretien du lieu de culte, qui reste toutefois fréquenté, ou bien s’ils ont progressivement entraîné son abandon. Néanmoins, au plus tard durant le dernier quart du iie s. de n. è., un système de dérivation des eaux du ruisseau de l’Isaac déporte leur écoulement au sud de l’enceinte et, ainsi, l’espace marécageux est asséché. Les derniers dépôts à caractère rituel, réalisés en partie supérieure des sédiments vaseux, ont vraisemblablement eu lieu lors de cette période, sur les berges de l’étang en voie d’assèchement. Malgré cet aménagement, la raréfaction globale du mobilier à partir de la fin du iie s. marque probablement une phase de déclin, voire d’abandon du lieu de culte, qui n’a livré que de rares objets des iiie s. et ive s. (cf. supra, 6.1.1.1). L’envasement du site, alors maîtrisé, ne peut donc expliquer à lui seul la fermeture du sanctuaire et il faut vraisemblablement lier cette dernière à la désertion plus globale du quartier périphérique dont il dépend (cf. infra, 6.3.3.1).

63Le sanctuaire monumental de Genainville (S.260), établi en fond de vallée et à l’emplacement où la nappe phréatique affleure, a probablement été en partie condamné dès la fin du iiie s., alors que son temple principal est fermé et commence à être démoli, et que les pratiques religieuses se concentrent désormais autour de certains bassins et d’un édicule situé sur le point le plus haut de la cour sacrée (cf. supra, 6.1.1.2 et fig. 322 ; Vermeersch, 2012, p. 235-239). En outre, la montée des eaux a sans doute posé problème dès le iie s. ou le courant du iiie s. et a pu rendre inaccessible, à une date que l’on ne peut préciser, une partie du lieu de culte. Un canal a d’ailleurs été creusé, au plus tôt à la fin du iiie s., dans l’angle sud-ouest de l’aire sacrée ; il est bordé au sud-ouest par une digue qui s’appuie sur l’ancien péribole, partiellement démonté. En tout état de cause, que cet aménagement soit contemporain des derniers dépôts reconnus au sein du sanctuaire ou bien qu’il en soit postérieur, le temple principal semble être resté hors d’eau jusqu’à sa destruction partielle et on ne peut donc seulement imputer son abandon aux risques d’inondation.

64Il est également permis de douter des conséquences qu’ont pu avoir des incendies survenus au sein de plusieurs sanctuaires sur l’activité religieuse de ces derniers : dans la plupart des cas, celle-ci avait peut-être déjà cessé lorsque les flammes se sont propagées dans le temple ou dans les portiques. Le feu qui a partiellement détruit les ailes orientale et occidentale du monument de l’agglomération secondaire de Sceaux-du-Gâtinais (S.225), vers la fin du iie s. ou le début du iiie s., constitue toutefois l’un des exemples d’incendie les plus précoces et semble bien avoir été à l’origine de l’abandon partiel du site, qui est néanmoins resté occupé dans le cadre d’activités variées jusqu’à la fin du ive s., au moins (cf. supra, 6.1.1.2). À une tout autre échelle, celle d’un petit lieu de culte urbain et sans doute privé, notons que l’incendie qui a ravagé le sanctuaire de la place des Épars à Chartres (S.100), durant le second quart du iiie s., n’a pas mis fin aux célébrations, puisque son temple est reconstruit à l’issue du sinistre et restera en activité durant plusieurs décennies, avant d’être finalement déserté et démoli durant la seconde moitié du iiie s. (Joly dir., 2010, p. 131).

65Les autres départs de feu attestés dans les sanctuaires, du moins pour ceux qui ont pu être datés, sont à l’origine d’incendies ayant eu lieu plus tardivement, entre la fin du iiie s. et celle du ive s. à Corseul, le monument du Haut-Bécherel (S.134) a été en grande partie détruit par le feu au cours du dernier quart du iiie s. ou dans les premières années du ive s., comme le suggère la mise au jour de trois imitations d’antoniniens, perdues ou jetées au sol avant qu’il ne brûle. De nombreuses traces évidentes d’un incendie généralisé, allumé à partir de foyers multiples et qualifié de volontaire par A. Provost, y ont été observées : sols et murs du temple et des galeries présentent les stigmates d’une forte chauffe, tandis que des débris d’enduits peints, de placages de marbre et de charpente ou de toiture calcinés recouvrent une partie des sols (fig. 327). Cette destruction intervient à une période où les incendies semblent fréquents dans plusieurs quartiers du chef-lieu voisin, ce qui pose la question d’éventuels troubles à l’origine de ces évènements. Il est cependant impossible de déterminer précisément la cause de l’incendie du monument religieux du Haut-Bécherel, qu’il soit accidentel ou délibéré. Par ailleurs, comme l’a noté A. Provost, l’absence de fragments d’architecture monumentale ou ornementale, de statuaire ou d’inscription, parmi les décombres générés au cours de l’incendie, pourrait s’expliquer par un démantèlement soigné du sanctuaire, que l’on aurait entrepris avant le sinistre : les pratiques religieuses auraient donc été interrompues un certain temps avant que le feu ne soit allumé (Provost et al., 2010, p. 219-224).

Figure 327 : Témoins de l’incendie survenu après 274 au monument du Haut-Bécherel à Corseul (Côtes-d’Armor) : rubéfaction de la base du parement externe d’un mur de la cella (a) ; vue d’un niveau d’incendie formé à l’extérieur de l’aire sacrée, à l’aplomb de l’accès au portique septentrional (b).

Figure 327 : Témoins de l’incendie survenu après 274 au monument du Haut-Bécherel à Corseul (Côtes-d’Armor) : rubéfaction de la base du parement externe d’un mur de la cella (a) ; vue d’un niveau d’incendie formé à l’extérieur de l’aire sacrée, à l’aplomb de l’accès au portique septentrional (b).

Cl. H. Paitier et A. Provost, in Provost et al., 2010, pl. II et IV.

66Des traces d’un feu intense et étendu ont aussi été perçues au sein du monument de la Forêterie à Allonnes (S.9), en particulier dans les galeries nord, ouest et sud du quadriportique, ainsi que dans une exèdre ; elles prennent la forme d’une couche de cendres, épaisse jusqu’à 15 cm, qui est directement recouverte par les niveaux de destruction du sanctuaire. Cette couche riche en matériaux brûlés contient, entre autres, une monnaie de bronze, frappée entre 321 et 323 et restée peu de temps en circulation. Elle fournit donc un terminus post quem précis, mais la présence, aussi, de multiples monnaies émises dans les années 330-340, dans les niveaux d’incendie et de destruction, témoigne probablement d’une activité qui a perduré durant ces deux décennies (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 351-354). L’abandon du sanctuaire a donc probablement eu lieu entre 330 et 350 ; l’incendie qui a détruit au moins une partie du quadriportique peut être la cause de sa désaffection, qu’il soit accidentel ou volontaire, à moins qu’il n’en soit une conséquence, et qu’il soit donc lié à sa clôture ou à sa démolition, délibérée, voire planifiée.

67Le probable incendie qui a détruit le temple du Villier à Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6), au sein duquel sont déposées ou jetées des offrandes monétaires jusqu’au règne de Gratien (367-383), est l’un des plus tardifs qui aient été identifiés (Boisbouvier et Bouvet, 1984, p. 26-27). Dans la cella, le niveau de destruction recouvrant le sol du ive s. s’est avéré riche en charbons, en cendres et en fragments de grès et de tuffeau rubéfiés. Si cet évènement marque probablement la fin des pratiques rituelles, on ne sait s’il a été volontairement déclenché ou s’il a eu lieu peu de temps après l’abandon du site.

68D’autres témoins de feux, moins bien documentés et limités au temple, à un bâtiment de l’aire sacrée ou bien plus étendus, ont aussi été signalés au cours des dernières décennies au Vieil-Évreux (S.79 ; cf. infra, 6.3.2), à Plouër-sur-Rance (S.137 ; Menez dir., 1996, p. 71, 76 et p. 103), Mauves-sur-Loire (S.167 ; Monteil et al., 2009, p. 173) et Genainville (S.260 ; Mitard, 1993, p. 271-276), tandis que de tels vestiges auraient également été observés à plusieurs reprises lors de fouilles plus anciennes, sans que l’on puisse vérifier aujourd’hui s’ils ont été correctement identifiés, à Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74 ; Poulain, 1915, p. 61-65), La Londe (Saint-Ouen-de-Thouberville, S.86 ; Vesly, 1920, p. 223 ; Deglatigny, 1921, p. 59), Berthouville (S.150 ; Quesné, 1988, p. 7), Cléden-Cap-Sizun (S.168 ; Châtellier, 1891, p. 211 ; Merlat, 1954, p. 159), Quimper (S.176 ; Le Men, 1876, p. 185-186), Saint-Jean-Trolimon (S.179 ; Le Men, 1878, p. 154 ; Châtellier, 1882, p. 153), Saint-Forget (S.182 ; Gory, 1867, p. 21) et Oissel (S.266 ; Vesly, 1909, p. 100). En aucun cas, on ne peut alors affirmer que l’éventuel incendie est responsable de l’abandon et qu’il a été volontairement provoqué pour détruire avec violence un lieu de culte en activité. Un accident, survenu lors de la réoccupation ponctuelle de sites délaissés depuis un laps de temps indéterminé, ou encore des incendies déclenchés « par le brûlage d’éléments non réutilisables et permettant de faciliter la gestion de l’exploitation des ruines » (Aubin et al., 2014, p. 235), constituent aussi d’autres hypothèses plausibles. Quoi qu’il en soit, le nombre de sanctuaires en partie détruits par les flammes est peu important à l’échelle du territoire considéré ; si certains feux ont pu conduire à l’arrêt de quelques cultes, ce phénomène est dans tous les cas resté marginal.

6.3.2. Cérémonies de clôture ou démantèlements organisés ?

69Peut-on envisager, du moins pour certains sites, que l’interruption des pratiques religieuses et la fermeture du sanctuaire aient été réalisées dans le cadre d’une ultime cérémonie, organisée par les autorités qui en assuraient la gestion ?

  • 116 Au total, ont été identifiés les fragments en alliage cuivreux d’une base gravée, d’une statue monu (...)

70Une telle hypothèse a été proposée à l’égard du grand lieu de culte central et sans doute public de l’agglomération secondaire du Vieil-Évreux (S.79), suite à la relecture d’un dépôt de grands et de moyens bronzes qui y avaient été exhumés en 1840 et des résultats de sondages plus récents (Guyard et al., 2012, p. 189-190 ; 2014, p. 42-45). L. Guyard et al. interprètent alors la dégradation et l’enfouissement de ces objets comme les vestiges d’une « cérémonie de clôture », dont le « caractère ritualisé […] montre clairement l’attachement aux divinités locales », auxquelles auraient été adressées de dernières offrandes. Les images métalliques, qui représentent notamment Jupiter et Apollon (cf. supra, 2.2.2.1), ont été inhumées dans les années 270, parmi d’autres débris en alliage cuivreux116, au sein du monument en cours de destruction. De fait, durant la même période, l’édifice central du sanctuaire a subi des dommages qui ont impliqué la perte de son statut de bâtiment de culte – démolition partielle des galeries de liaison des temples, de l’escalier du bâtiment de culte principal (G) et récupération de certains ornements lapidaires (Guyard et al., 2014, p. 42-44 ; Bertaudière et al., 2017, p. 74). Les objets métalliques avaient été pour partie mis au jour, au milieu du xixe s., sous un remblai d’argile et sur une épaisse couche de cendres – résultant d’un probable incendie non localisé –, reconnue dans le soubassement des galeries de liaison et formée après le remblaiement de cet espace à l’aide de gravats issus d’opérations de démolition, donc après l’arrêt des pratiques religieuses. Des sondages récemment réalisés à l’avant du temple G ont mis en évidence un niveau similaire et daté de la même période : un remblai charbonneux peu épais a livré des chutes de découpe provenant de statues en alliage cuivreux, des éléments d’armement, d’ameublement et de construction, des outils en fer et des rejets de consommation (Guyard et al., 2012, p. 179-182). Les différents actes de démontage ont précédé de peu la transformation des temples désaffectés en édifice fortifié (cf. infra, 6.4.2) et ont été qualifiés de « symboliques » par les auteurs de l’étude. En effet, la destruction des élévations et des images de bronze n’a été que partielle et résulterait de choix opérés dans le cadre d’une « phase de désacralisation » du lieu de culte, au cours de laquelle une partie des éléments aurait été récupérée par les hommes, afin de dépouiller le sanctuaire de ses attributs et de recycler la pierre et le métal réutilisables, tandis que l’autre, qui correspondrait – comme dans un sacrifice – à la part divine, aurait été enfouie sur place (Guyard et al., 2012, p. 187).

71L’hypothèse d’une « clôture rituelle du sanctuaire » a toutefois été récemment battue en brèche par C. J. Goddard (2018, p. 269), qui considère, à juste titre, que le caractère rituel de la mutilation et de l’enfouissement de la statuaire en bronze n’est pas démontrable dans ce cas, tandis qu’aucune cérémonie de clôture d’un temple n’est documentée par les sources littéraires ou épigraphiques dans le monde gréco-romain. Il est probable que les opérations de tri et de démantèlement – voire d’incendie maîtrisé (cf. supra, 6.3.1) –, raisonnées et soignées, aient été en réalité effectuées en vue de réaménager le site en espace militaire, et que la configuration nouvelle du site, programmée, ait dicté les choix liés à la conservation ou à l’évacuation des équipements de l’ancien sanctuaire, et a fortiori de ses ornamenta, désormais jugés superflus. On ne peut cependant pas déterminer les raisons qui ont mené à conserver la statue de Jupiter quasi intacte, tandis que celle d’Apollon n’a été amputée que de ses bras ; voulait-on préserver ces images en mémoire des deux grands dieux, qui étaient auparavant peut-être représentés par une statue de culte plus monumentale, siégeant dans l’une des cellae du sanctuaire ? Par ailleurs, la comparaison effectuée par L. Guyard et al. entre les vestiges du Vieil-Évreux et ceux, contemporains, des lieux de culte de Bennecourt (S.254, ph. 7) et de Genainville (S.260, ph. 4), dont le temple principal a également été en partie détruit et réaménagé au cours du dernier quart du iiie s. (Guyard et al., 2012, p. 178-190), ne tient pas compte du caractère vraisemblablement profane, à notre sens, de la réoccupation tardo-antique de ces deux sites. L’examen des niveaux et des aménagements datés de cette période montre en effet, du moins à Bennecourt, que les activités qui se déroulent dans l’ancien édifice de culte sont manifestement liées à des pratiques artisanales ou domestiques, plutôt qu’à d’ultimes gestes rituels qui, eux, ont toutefois pu avoir lieu en d’autres points du sanctuaire, encore fréquentés dans le cadre d’un culte (cf. supra, 6.1.1.2).

72En tout état de cause, il ne fait pas de doute que, au Vieil-Évreux, le démantèlement partiel, l’enfouissement des résidus non recyclés et les travaux d’aménagement du complexe fortifié, de grande ampleur et affectant l’une des principales composantes de l’armature religieuse publique des Aulerques Éburovices, ont bien suivi une « fermeture programmée et dictée par les autorités dès la seconde moitié du iiie s. » (Guyard et al., 2014, p. 42 ; cf. aussi Van Andringa, 2017a, p. 310 ; cf. infra, 6.3.3). Cependant, les arguments manquent pour affirmer que ces opérations ont été en tout ou partie réalisées dans le cadre d’une ou de plusieurs cérémonies religieuses qui auraient entériné la clôture définitive du sanctuaire public.

73Sur d’autres sites, cette fois-ci ruraux et bien plus modestes, la découverte de fosses comblées tardivement, recelant des objets datés des derniers temps du sanctuaire ainsi que des débris issus de la démolition de ses édifices, pourrait aussi suggérer d’éventuels rituels associés à leur désaffectation et à leur destruction.

74Cette idée a notamment été évoquée au sujet du lieu de culte d’Orléans (S.114, ph. 4), dont le temple a pu avoir été en partie détruit dès la fin du iiie s. ou le début du ive s., tandis que les pratiques rituelles – et en particulier les offrandes monétaires – se poursuivent manifestement durant plusieurs décennies (cf. supra, 6.1.1.2 ; Verneau, 2014, p. 106-108). Alors que la cella du bâtiment de culte est probablement restée en élévation après l’abandon du site, puisqu’elle est transformée en mausolée au cours du haut Moyen Âge (cf. infra, 6.4.3), sa galerie a pu avoir été démolie plus précocement. De fait, dans son angle nord-ouest, une fosse (2 x 1,70 x 0,70 m), au fond plat et aux parois évasées dans leur partie supérieure, recoupe la tranchée de récupération des murs (fig. 328). Son comblement inférieur contient plusieurs objets en fer (des maillons de chaîne, un crampon, deux truelles et trois autres vraisemblables outils), des tessons de céramique et des moellons de calcaire ; le niveau sus-jacent comprend un ensemble d’objets (une louche ou un luminaire, des tiges et de grands clous en fer, trois jetons ou palets découpés dans des tuiles, un col d’amphore, de nombreux restes fauniques et un gros bloc de calcaire), soigneusement déposés sur cinq tuiles à rebord, elles-mêmes disposées à plat ; enfin, les couches supérieures de son remplissage ont livré des fragments de tuiles, des enduits de finition vraisemblablement issus des murs du temple et deux imitations radiées, caractéristiques des monnaies circulant durant le dernier quart du iiie s. et les premières années du ive s. Comme l’a noté F. Verneau, le mobilier en fer « ne semble pas refléter l’outillage d’une profession particulière », mais il comprend plusieurs objets qui ont pu avoir été directement prélevés du temple ou de ses équipements.

Figure 328 : Fosse creusée dans l’angle nord-ouest du temple de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) après la démolition de sa galerie (a) et planche de mobilier métallique issu de son comblement (b).

Figure 328 : Fosse creusée dans l’angle nord-ouest du temple de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) après la démolition de sa galerie (a) et planche de mobilier métallique issu de son comblement (b).

In Verneau, 2014, p. 106-107, fig. 98-99.

  • 117 Cette hypothèse a d’ailleurs été émise pour les fosses du site d’Authevernes (Michel et al., 2014, (...)

75Les fosses identifiées sur les autres sites, à Yville-sur-Seine (S.90 ; Guillier et al., 2020, p. 166-170), Nécy (S.148 ; Besnard-Vauterin et al., 2013, p. 209), Macé (S.196 ; G. Leclerc in Aubin et al., 2014, p. 244), Pussigny (S.244 ; Coutelas dir., 2015, vol. 1, p. 154-155) et Authevernes (S.253 ; Michel et al., 2014, p. 198-199 et p. 242), sont localisées dans la cour sacrée, à raison d’une ou de plusieurs structures par lieu de culte. De dimensions et de formes variées, elles ont servi à enfouir, à divers moments des iiie s. et ive s., des moellons, des débris de mortier voire d’enduits peints, des clous et des fragments de terres cuites architecturales, généralement mêlés à des tessons de céramique ou à des restes fauniques ou malacofauniques – vestiges de probables sacrifices, banquets ou offrandes alimentaires –, et parfois à de rares monnaies. Si la présence d’éléments issus de l’élévation de bâtiments probablement détruits depuis peu distingue ces structures des « fosses rituelles » que l’on retrouve, et parfois sur les mêmes sites, dans plusieurs sanctuaires du Haut-Empire (cf. supra, 2.1.2.2), aucun indice ne laisse cependant entendre que ces divers éléments ont été mis au rebut au cours d’une cérémonie particulière. Les débris ont été rejetés dans les fosses – creusées à l’occasion ou, à l’origine, pour un autre usage ? – sans organisation apparente et leur rejet a très bien pu avoir été motivé par la volonté de nettoyer un site en cours de démolition, peu de temps après son abandon117, et d’inhumer les quelques déchets ou matériaux qui ne pouvaient être récupérés.

76Ces quelques exemples laissent paraître les difficultés liées à l’identification d’éventuelles fermetures rituelles de sanctuaires (cf. aussi Aubin et al., 2014, p. 233). Bien que cette hypothèse ne puisse être totalement écartée dans certains cas – notamment à Orléans, où l’enfouissement soigné d’une sélection d’objets (symboliques ?) pourrait avoir eu lieu au moment de la destruction ou de la désaffectation du temple, en son sein même –, l’analyse des vestiges les plus tardifs suggère plutôt la mise en œuvre de chantiers de démantèlement organisés, au cours desquels les matériaux sont triés, recyclés ou ensevelis, afin de nettoyer le terrain et le rendre apte à être réutilisé à d’autres fins, par exemple pour sa mise en culture. À ces opérations de démantèlement de modestes lieux de culte font d’ailleurs écho les importants travaux de démolition qui sont engagés sur des sites bien plus monumentaux, après l’abandon des grands sanctuaires (cf. infra, 6.4.1).

77Si les vestiges contemporains de la fermeture des temples et de l’arrêt des pratiques religieuses sont donc peu nombreux et d’interprétation souvent délicate, l’étude du contexte d’implantation des sanctuaires, ainsi que de l’évolution des agglomérations ou des habitats ruraux qui sont associés à certains d’entre eux, est parfois riche en enseignements au sujet des raisons de leur abandon.

6.3.3. Des villes aux campagnes, du public au privé : des rythmes et des facteurs variés

78D’un point de vue global, l’examen des rythmes d’abandon des lieux de culte en fonction de leur contexte d’implantation révèle des tendances différentes entre les chefs-lieux, les agglomérations secondaires et les campagnes (fig. 329, a). Ainsi, les quelques sites abandonnés avant l’aube du iiie s. correspondent essentiellement à des sanctuaires ruraux, auxquels s’ajoutent de rares espaces cultuels installés au sein ou en bordure d’agglomérations secondaires. Puis, alors que le nombre de désertions de sanctuaires ruraux augmente considérablement dès la première moitié du iiie s., et qu’il restera élevé jusqu’à la fin du ive s., voire le début du ve s., les lieux de culte des agglomérations secondaires restent généralement fréquentés plus tardivement, jusque dans le courant du ive s. Il peut être noté que les sanctuaires établis au sein ou en bordure d’un caput civitatis semblent essentiellement avoir été délaissés durant la seconde moitié du iiie s. et après le milieu du ive s., mais les exemples bien documentés sont encore peu nombreux.

Figure 329 : Répartition des sanctuaires en fonction de leur date d’abandon définitif et de leur contexte d’implantation (a) ou de leur statut supposé (b).

Figure 329 : Répartition des sanctuaires en fonction de leur date d’abandon définitif et de leur contexte d’implantation (a) ou de leur statut supposé (b).

Réal. S. Bossard.

79Si l’on tient compte, à présent, du statut supposé des sanctuaires, on perçoit également des variations à l’échelle des cités étudiées (fig. 331, b). Jusqu’au milieu du iiie s., les abandons concernent avant tout des lieux de culte privés, dont la plupart dépend d’habitats ruraux (cf. infra). Puis, cette étape passée, le nombre de sanctuaires privés délaissés diminue progressivement jusqu’au terme du ive s. Cependant, il faut peut-être y ajouter une part des lieux de culte dont le statut n’a pu être déterminé, qui sont en majorité abandonnés assez tardivement, durant la première ou la seconde moitié du ive s. Les deux mithraea documentés ferment également leurs portes à la toute fin du ive s. ou au début du ve s. Quant aux édifices supposés publics, dont les exemples les plus monumentaux, installés en périphérie des chefs-lieux de cité, ont été qualifiés de grands sanctuaires civiques (cf. supra, 5.3.2.2), ils disparaissent surtout à partir de la seconde moitié du iiie s. – et même, plus précisément, à partir du dernier quart de ce siècle –, bien que la majorité d’entre eux ne soit définitivement désertée qu’au cours du ive s.

6.3.3.1. L’étiolement du réseau des sanctuaires publics

80En ce qui concerne le déclin des sacra publica, les disparités observées s’accompagnent aussi de différences assez marquées d’une civitas à l’autre et, en particulier, entre l’ouest de la province, dont les sanctuaires sont globalement laissés à l’abandon, voire démantelés, dès la seconde moitié du iiie s. ou durant les premières décennies du ive s. (Aubin et al., 2014, p. 231-233), et les cités centrales de la Lyonnaise, dont l’armature religieuse reste fréquentée, sous une forme ou une autre, souvent plus tardivement (fig. 330 et 331 et infra fig. 336 ; voir aussi les cartes de répartition supra, fig. 293, pour l’ensemble des sanctuaires, tous statuts confondus).

Figure 330 : La fin des sanctuaires publics ou de statut indéterminé : chronologie des abandons par cité, des Andicaves aux Namnètes.

Figure 330 : La fin des sanctuaires publics ou de statut indéterminé : chronologie des abandons par cité, des Andicaves aux Namnètes.

Réal. S. Bossard.

Figure 331 : La fin des sanctuaires publics ou de statut indéterminé : chronologie des abandons par cité, des Osismes aux Viducasses.

Figure 331 : La fin des sanctuaires publics ou de statut indéterminé : chronologie des abandons par cité, des Osismes aux Viducasses.

Réal. S. Bossard.

  • 118 De fait, la rareté des matériaux de construction (tuiles, éléments de dallage ou de placage, et end (...)

81Si l’on excepte les rares sanctuaires peut-être publics, mais peu monumentaux, dont l’activité semble cesser dès le iie s. (cf. supra, 6.2.2.1), le délaissement des principales composantes de l’armature religieuse des cités ne semble devenir prégnant qu’à partir du iiie s. Quelques sites majeurs semblent bien avoir été désertés, voire démolis, dès les premières décennies du iiie s. L’incendie qui a dévasté une partie du monument de Sceaux-du-Gâtinais (S.225) a sans doute porté un coup dur à sa vitalité, puisque les réaménagements postérieurs au sinistre semblent être restés sommaires (cf. supra, 6.3.1), tandis qu’au Mans, la baisse de fréquentation significative du site des Jacobins (S.16 ; Chevet et al., 2014, p. 132), au tournant des iie s. et iiie s., pourrait être liée à son envasement, mais aussi et surtout à l’abandon précoce et concomitant du quartier périphérique du chef-lieu auquel il appartient – phénomène d’ailleurs observé dès la seconde moitié du iie s. dans d’autres villes-capitales des Gaules (Maligorne, 2006, p. 177 ; Van Ossel, 2011, p. 16). De même, à Amboise (S.237), l’absence de vestige postérieur au début du iiie s. n’est pas exclusive au sanctuaire identifié, puisqu’elle caractérise l’ensemble des secteurs sondés dans la partie centrale du plateau des Châtelliers, jusqu’alors occupé par une agglomération secondaire (Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 27-28 et p. 61 ; 2009, vol. 1, p. 124-144). En revanche, il est plus difficile d’appréhender les causes qui ont mené, à la même période, à la disparition précoce du complexe monumental de Saint-Martin-au-Val, sis aux portes de Chartres (S.101). Les fouilles récemment entreprises sur ce site, qui devait figurer parmi les plus imposants lieux de culte de la Lyonnaise (cf. supra, 3.1.2.4 et 5.3.2.2) ne laissent place à aucun doute : plusieurs secteurs – ou l’intégralité ? – de cet ensemble monumental, notamment l’angle nord-ouest d’un vaste quadriportique et un probable temple intégré à un édifice pourvu de galeries (I), sont démontés dès la première moitié du iiie s. (Bazin et al., 2014 et 2017, p. 76-84 et p. 94-97). B. Bazin a émis l’hypothèse que la construction du monument n’aurait jamais été menée à son terme, pour des raisons incertaines – un manque de moyens financiers pour un projet trop ambitieux, des problèmes d’ordre technique, ou encore un besoin soudain de matériaux pour la reconstruction d’autres quartiers urbains ont pu être évoqués à ce titre118. Néanmoins, l’aire fouillée est trop réduite pour valider pleinement cette hypothèse et les activités de récupération et de transformation des matériaux qui s’y déploient dans le courant du iiie s. signalent cependant que les éléments en pierre et métalliques, notamment, devaient abonder dans ce secteur (cf. infra, 6.4.1).

  • 119 Cf. aussi, pour les provinces hispaniques et quelques comparaisons gauloises : Boube, 2012.

82Quoi qu’il en soit, le démantèlement du lieu de culte suburbain de Chartres, grand sanctuaire civique des Carnutes, a manifestement précédé de plusieurs décennies l’abandon de l’essentiel des monuments religieux des cités du centre et de l’ouest de Lyonnaise, survenu entre la fin du iiie s. et celle du ive s. Encore rares sont les données réunies au sujet de la fermeture des temples bâtis sur la place du forum ou à proximité immédiate de celui-ci (cf. supra, 3.1.2.1). À Angers, sur le site du Château (S.3), les premières destructions du vraisemblable sanctuaire intégré au centre monumental ont pu avoir été réalisées dès les années 270, bien que l’hypothèse d’un usage religieux perdurant durant la première moitié du ive s. ait aussi été évoquée (cf. supra, 6.1.1.1). Par ailleurs, si la démolition de l’area forensis de Paris (S.181) et de ses équipements, que l’on situe entre la seconde moitié du iiie s. et le courant du ive s., n’a pu être datée avec précision (Busson, 2019, p. 66 et p. 141-142), les indices recueillis dans d’autres villes119, en particulier dans les cités de l’Ouest, montrent bien que certains centres civiques sont en partie démolis ou transformés dès la fin du iiie s. À Vieux, dans le Calvados, d’abondants rejets de boucherie, mis au jour dans des niveaux datés de la seconde moitié du iiie s., témoignent ainsi de l’installation d’un important abattoir et donc d’un changement des activités pratiquées sur la place du forum, sans que l’on puisse déterminer si ces dernières s’inscrivent dans le cadre de fêtes publiques ou non (Jardel et Lelièvre, 2014, p. 184-185 ; Van Andringa, 2014, p. 6). À Vannes (Morbihan), les niveaux de démolition du centre monumental civique recèlent plusieurs monnaies, dont les plus récentes sont au nom de Tetricus et ne sont donc pas antérieures aux années 270 (S. Daré, in Galliou dir., 2009, p. 349). Enfin, à Corseul (Côtes-d’Armor), l’absence de mobilier de la fin du iiie s., dans un monument interprété comme le forum de la ville, plaide également en ce sens (Chevet et al., 2009, p. 138).

83L’abandon du centre monumental de Corseul semble d’ailleurs avoir été concomitant de la fermeture du grand sanctuaire public du Haut-Bécherel (S.134), établi à 1 km au sud-est du chef-lieu. Probablement démantelé avec soin vers le dernier quart du iiie s. ou le début du ive s., malgré la rareté des objets utiles à l’établissement d’une chronologie précise, il subit ensuite les dégâts d’un incendie qui marque la fin de sa fréquentation (cf. supra, 6.3.1). Sur le territoire des Coriosolites, notons aussi que le site du Mur à Comblessac (S.132), possible sanctuaire public associé à une agglomération secondaire (cf. supra, 3.2.3.3), n’a livré aucun objet postérieur à la fin du iiie s. (André et Dhenin, 1977 ; Triste, 2001).

84Plus à l’est, au cours des mêmes décennies, situées à la charnière entre les iiie s. et ive s., disparaît aussi une grande partie des monuments à vocation religieuse des cités des Aulerques Cénomans et Éburovices. La destruction partielle et méthodique des bâtiments du sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79), transformé en forteresse au plus tôt dans les années 270 (cf. supra, 6.3.2 et infra, 6.4.1 et 6.4.2), signe l’arrêt des cérémonies religieuses qui y étaient rendues au nom de la cité des Éburovices. Ferme alors – sans doute sur décision de l’ordo local, qui programme son démantèlement partiel – ce qui s’apparente au plus grand lieu de culte de la civitas, implanté à quelques kilomètres du chef-lieu de la cité, au cœur d’une agglomération secondaire dont les grands chantiers d’aménagement, aux thermes ou au macellum par exemple, s’arrêtent brutalement vers le milieu du iiie s., tandis que ses autres monuments sont désaffectés (Hartz, 2015a, vol. 1, p. 235 ; Bertaudière et al., 2017, p. 73-74). En périphérie de cet habitat groupé, la fréquentation du sanctuaire de Cracouville (S.78 ; Baudot, 1936, p. 82-84) paraît également cesser vers le dernier tiers du iiie s., terminus post quem retenu aussi pour les lieux de culte du lycée Hébert à Évreux (S.56 ; Pilon, 2001) et du Devant de la Garenne à Guichainville (S.61 ; Flotté et al., 1996, vol. 1, 1, 3.5 et 3.6 et vol. 2)les monnaies les plus récentes y sont respectivement à l’effigie de Tetricus (271-274), de Probus (278-279) et de Postume (260-269). Pour ces trois derniers sites, situés aussi à quelques kilomètres du caput civitatis, la rareté d’objets (céramique ou numéraire) postérieurs au terme du iie s. pourrait même indiquer que leur activité périclite dès le début ou le courant du iiie s., les quelques monnaies de la seconde moitié du iiie s. pouvant avoir été perdues au cours de travaux de démolition. En revanche, le sanctuaire de Saint-Aubin-sur-Gaillon (S.74), situé aux confins de la civitas, a livré une douzaine de monnaies émises au cours de la première moitié du ive s. et pourrait alors être resté en activité, bien que ces dépôts soient peu nombreux et qu’on ne connaisse pas l’état du site au cours de l’Antiquité tardive (Poulain, 1915).

85Le réseau des lieux de culte monumentaux des Cénomans paraît également avoir été délaissé dès le dernier quart du iiie s. ou, au plus tard, au début du ive s. : outre le sanctuaire du Mans (S.16), déjà probablement abandonné (cf. supra), les ultimes témoins de la fréquentation des principaux sites correspondent souvent à des monnaies officielles ou à des imitations produites entre les années 270 et les premières années du ive s., tandis que la datation des céramiques n’excède également pas le iiie s., à Allonnes (les Perrières, s.10 ; Biarne, 2006, p. 233), à Aubigné-Racan (S.11 ; Lambert et al., 2015, p. 88) – ou l’ensemble des monuments, qui relèvent d’un hypothétique habitat groupé, est d’ailleurs abandonné – et à Neuville-sur-Sarthe (S.18 ; Guillier dir., 2020, p. 144-147 et p. 209-210). À l’opposé, le sanctuaire sans doute principal de la civitas, dédié à Mars Mullo et implanté dans l’agglomération secondaire d’Allonnes (la Forêterie, S.9), à moins de 5 km du chef-lieu, pourrait avoir fermé ses portes plus tardivement, dans les années 330-350, décennies au cours desquelles un feu détruit le site (cf. supra, 6.3.1) : les monnaies de la seconde moitié du iiie s. (78 exemplaires) et de la première moitié du ive s. (45) y abondent, mais la quantité de tessons de céramique tardo-antique baisse significativement à la fin du iiie s. (Brouquier-Reddé et Gruel dir., 2004, p. 351-354 ; 2015, p. 81-82 et in Aubin et al., 2014, p. 240-241).

86Doit-on alors considérer que les autorités de la civitas des Aulerques Cénomans ont décidé de clôturer la majorité des sacra publica, à l’exception du grand sanctuaire civique, qui resterait encore en activité durant plus d’un demi-siècle ? D’autres exemples relevant du domaine public, déjà évoqués – à Macé (S.196, ph. 5) en territoire sagien, Genainville (S.260, ph. 4) et peut-être Bennecourt (S.254, ph. 7) chez les Véliocasses –, montrent qu’il faut faire preuve de circonspection : des monnaies sont parfois accumulées, probablement dans le cadre de dévotions individuelles, au sein de lieux de culte partiellement détruits, qui ne semblent plus servir à la célébration d’un culte à titre public (cf. supra, 6.1.1.2). L’arrêt de l’entretien de ces sanctuaires et la démolition d’une partie de leurs équipements fondamentaux marquent effectivement un tournant dans leur histoire : leur intégrité et leur monumentalité sont affectées, en particulier à Genainville, et il est difficile d’envisager qu’ils aient été encore aptes à accueillir les cérémonies et les sacrifices publics, tels qu’ils étaient organisés au nom de la cité depuis le courant du Haut-Empire. Il est possible qu’à Allonnes, comme pour d’autres monuments occupés au cours du ive s., les vestiges d’une telle dégradation et désorganisation du site – dès la fin du iiie s., alors que le numéraire constitue désormais, à peu de chose près, le seul marqueur d’une fréquentation tardive ? – n’aient pu être mis en évidence, faute d’une étude minutieuse des niveaux stratigraphiques les plus récents, en partie détruits lors des fouilles anciennes. On peut aussi envisager que le sanctuaire de la Forêterie n’ait été définitivement fermé et démoli qu’à partir de la mise en chantier de l’enceinte tardo-antique du Mans, chef-lieu distant de moins de 5 km, datée de la première moitié du ive s. (Meunier et Monteil dir., 2021, p. 25).

  • 120 Cf. aussi d’autres exemples évoqués par Maligorne, 2006, p. 177 ; Aubin et al., 2014, p. 232 ; Van  (...)

87Au demeurant, au sein de la plupart des chefs-lieux de cités, le démantèlement de séries de monuments publics et funéraires est d’ailleurs suggéré par la découverte de membra disiecta – blocs inscrits ou fragments de décor architectonique – remployés dans les fondations des enceintes urbaines construites durant l’Antiquité tardive, pour l’essentiel, entre les années 270 et 340 (Bayard, 2019). Ces dernières, « fossoyeuses de l’architecture publique » (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 317), sont effectivement édifiées dans le cadre de chantiers de grande ampleur et particulièrement coûteux, sans doute autorisés – voire commandés – par le pouvoir impérial, mais dont la charge financière devait être supportée par les cités et leurs élites (Maligorne, 2006, p. 183). Pour limiter les dépenses, celles-ci ont alors probablement « encouragé la récupération de matériaux sur des édifices qu’il n’était de toute façon pas possible de faire fonctionner » (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 318), dans les chefs-lieux ou dans leurs environs, ou qui avaient peut-être déjà été laissés à l’abandon depuis plusieurs années ou décennies. En ce qui concerne les éléments acheminés depuis des sanctuaires voisins – en tout en partie publics ? –, alors dépouillés de leurs ornamenta, voire de certaines ou de l’essentiel de leurs constructions, évoquons par exemple120 les bases de statues du lieu de culte de Mars Mullo à Rennes (CIL XIII, 3148-3152 et AE, 1969-1970, 405), des dédicaces à Vulcain et Minerve à Nantes (CIL XIII, 3104-3107 = AE, 2006, 828-830 ; 2007, 971-973 ; 2011, 761), d’autres à Apollon Auguste Atesmertus et à Serona au Mans (AE, 1983, 641-642), ou encore, si elle ne reposait pas sur la place du forum mais bien dans un sanctuaire – celui de la Motte du Ciar (S.226) ? –, la base monumentale érigée à Sens en l’honneur de la domus Augusta et de Mars, Vulcain et Vesta (CIL XIII, 2940).

88D’autres sanctuaires publics ont sans aucun doute été définitivement abandonnés plus tardivement, dans le courant du ive s., voire au début du ve s., bien que l’on puisse rarement préciser dans quelles conditions et à quels desseins les objets les plus récents – essentiellement des monnaies, plus ou moins nombreuses (cf. supra, 6.2.1) – y ont été déposés, s’ils n’ont pas été perdus. Le terme de la fréquentation de plusieurs lieux sacrés des cités occidentales de la Lyonnaise est ainsi daté de la première moitié ou du milieu du ive s., sans que l’on sache s’ils accueillent encore des cérémonies publiques ou s’ils ne sont désormais visités, depuis plusieurs années ou décennies, que par quelques dévots, sans aucun encadrement défini par les représentants de la civitas. En territoire vénète, l’espace cultuel de Bilaire, situé en périphérie de Vannes (S.278), semble ainsi avoir été déserté vers le début du ive s., comme le suggère le terminus post quem fourni par l’étude de la céramique et des monnaies mises au jour dans le temple (Baillieu et Simon, 2000, vol. 2, p. 28-31). Dans la cité des Aulerques Diablintes, l’activité du sanctuaire suburbain de Jublains (S.32) est a priori maintenue jusqu’au milieu du ive s. (cf. supra, 6.1.1.2), tandis que le lieu de culte rural de Juvigné (S.36) n’a livré que trois monnaies postérieures à la fin du iie s. et pourrait donc avoir été abandonné plus tôt, dès cette période ou dans le courant du iiie s. (Bossard et al., 2016, p. 28). Chez les Namnètes, la fouille du sanctuaire de l’agglomération de Mauves-sur-Loire (S.167) a également permis de recueillir, comme à Jublains, un lot de monnaies (19, en l’occurrence) attribué à la première moitié et au milieu du ive s., les plus récentes étant au nom de Magnence (350-353) (Monteil et al., 2009, p. 179) ; à Baron-sur-Odon (S.279), en territoire viducasse, la série de monnaies, moins abondante pour cette période – soit moins d’une dizaine de pièces – s’achève sur deux imitations produites au plus tôt entre 336 et 341 (Aubin et al., 2014, p. 229). Enfin, à la pointe occidentale de la province, les lieux de culte osismes ont également livré, parmi les monnaies les plus récentes, des émissions constantiniennes – à Cléden-Cap-Sizun (S.168), Quimper (S.176) et Saint-Jean-Trolimon (S.179) – ou au nom de Magnence, à Douarnenez (S.170). Néanmoins, les fouilles de ces sites sont en partie anciennes et rare est le numéraire de l’Antiquité tardive qui en provient ; il est possible, à l’exemple de Douarnenez (cf. infra, 6.4.2), qu’un modeste habitat ou un autre type d’occupation ait réinvesti, après le iiie s., un espace déjà abandonné.

89Ainsi, l’ensemble des sanctuaires supposés publics – et le constat est le même pour l’essentiel des lieux de culte privés, cf. infra, 6.3.3.2des cités occidentales de la Lyonnaise, des Osismes à l’ouest aux Aulerques Cénomans à l’est, n’a fourni aucun témoin d’une fréquentation religieuse postérieure aux années 350. Il faut toutefois considérer que, d’une manière générale, les marqueurs de la seconde moitié du ive s. sont peu nombreux dans cette région, notamment en raison de l’absence quasi généralisée, en particulier pour les sites ruraux de Bretagne et des Pays de la Loire, de numéraire postérieur au décès de Constance II (361) [Galliou, 2010, p. 93-94 ; Aubin et al., 2014, p. 231].

90À l’opposé, le terminus post quem de l’abandon de plusieurs sanctuaires localisés dans les cités centrales de la province, déterminé à partir d’arguments numismatiques et parfois céramologiques, est souvent plus tardif, car situé entre le milieu et la fin du ive s. Dans la cité des Carnutes, si le monument qui prend place en bordure du chef-lieu, à Saint-Martin-au-Val (S.101) est abandonné dès le courant du iiie s. (cf. supra), et que les vestiges du temple de Hanches (S.109 ; I. Renault, in Dugast, 2009, p. 63-73), voisin d’un théâtre, ne sont associés à aucun mobilier postérieur au iiie s., des dépôts de plusieurs dizaines de monnaies sont attestés à Orléans (S.114), a minima durant la première moitié du ive s. (cf. supra, 6.1.1.2), ainsi qu’à Jouars-Pontchartrain (S.127) jusqu’à la seconde moitié de ce siècle (Blin, 2000, p. 103 et 113). Sur ce dernier site, une grande partie du numéraire – qui comprend notamment 164 monnaies du ive s. – a d’ailleurs été accumulée, depuis le Haut-Empire (cf. supra, 2.2.3.1 et fig. 130), dans un enclos abritant un monument sculpté, accolé à l’est du péribole ; des monnaies y ont sans doute été jetées jusqu’à la démolition des structures et l’installation d’un habitat, dès la seconde moitié du ive s. ou le début du ve s., au sein de l’ancien sanctuaire, dont les activités avaient alors pris fin. À Pithiviers-le-Vieil (les Jardins du Bourg, s.116 ; Salé dir., 2011, p. 199 et p. 255-258) et à Bû (S.99 ; Fauduet, 1988), les monnaies du ive s. sont en revanche bien plus rares, puisque seulement 4 et 3 pièces témoignent, avec quelques tessons de céramique, d’une fréquentation tardive, peut-être sans lien avec la pratique d’un culte.

91Sur le territoire voisin des Sénons, le sanctuaire périurbain de Sens (S.226), dont la monumentalité est remarquable, est très peu documenté ; on ne sait donc quel sens donner à la découverte de rares monnaies du ive s. et de quelques tessons de l’Antiquité tardive (Hure, 1941, p. 97-99, p. 105 et p. 108 ; Parruzot et Laubie, 1961 ; Debatty, 2006, p. 168). En revanche, il ne fait pas de doute que le lieu de culte de l’Aumône/la Justice, au cœur de l’agglomération de Châteaubleau (S.204), conserve une certaine vitalité durant la première moitié du ive s., au cours de laquelle il est d’ailleurs en partie reconstruit, avant que ne s’y développe, dès le troisième quart de ce siècle, un vraisemblable habitat (cf. supra, 6.1.1.2 et infra, 6.4.2 ; Parthuisot et al., 2008, p. 61). En périphérie de Châteaubleau, le sanctuaire des eaux de la Tannerie (S.205) a également livré les témoins d’une fréquentation importante jusqu’au milieu du ive s., tandis que les vestiges postérieurs, rattachés à la seconde moitié de ce siècle ou au début du ve s., semblent davantage liés à une réoccupation profane des lieux (cf. infra, 6.4.2 ; Revenu, 2008, p. 77). Enfin, à Saclas (S.221), le numéraire tardo-antique, dont la quantité est exceptionnelle (1 167 monnaies ont été dénombrées pour l’ensemble du ive s., dont 116 sont postérieures à 364), est le signe de passages répétés sur ce site de bord de voie, situé à l’entrée d’une agglomération secondaire ; les monnaies, dont la plus récente est au nom d’Honorius (vers 394-395), s’y concentrent notamment à proximité d’édicules et dans un bassin (cf. supra, 6.1.1.1).

92Un nombre important d’espèces émises au cours de la seconde moitié du ive s. a également été recueilli dans plusieurs sanctuaires des cités localisées à la limite nord-est de la province, au contact de la Gaule Belgique. Dans les environs du chef-lieu meldois, sur le site de la Bauve, à Meaux (S.158), le numéraire abonde jusqu’au troisième quart du ive s., avant de se raréfier – 175 monnaies sont datées des années 348-378, 5 du règne de Valentinien II (375-392) et 4 de la période comprise entre 388 et 402 –, à l’instar de la céramique après le milieu du siècle (Dhénin et Amandry, 1988 ; Wermeersch, 1998, p. 110-111). Plus au sud-est, le sanctuaire tricasse de La Villeneuve-au-Châtelot (S.236) a livré 162 monnaies postérieures à la réforme de 348, dont 2 petits bronzes produits entre 388 et 402 (Piette et Depeyrot, 2008 ; cf. notamment p. 50) ; au chef-lieu, le vraisemblable lieu de culte suburbain de la rue Jeanne d’Arc, à Troyes (S.235), a livré peu de traces d’une occupation tardive, mais il est assuré qu’il est en cours de démolition durant le ive s. (Driard, 2014, p. 30-36). Sur ces sites, à l’exception du dernier qui n’a livré que 12 monnaies tardo-antiques, la quantité singulière de monnaies émises après le milieu du ive s. laisse penser, même si leur contexte stratigraphique n’est pas renseigné, que l’offrande monétaire reste pratiquée jusqu’à une date avancée du ive s., voire au début du ve s. Le constat est le même pour les deux espaces cultuels véliocasses de Genainville (S.260) et de Bennecourt (S.254), continuant aussi d’être visités par des dévots qui y déposent manifestement des pièces jusqu’au dernier tiers du ive s., alors que le temple principal n’est plus fonctionnel depuis la fin du iiie s. (cf. supra).

93Au regard de ces dossiers, et s’il est certain qu’une partie des espaces publics des cités centrales de la Lyonnaise accueille encore des pratiques rituelles jusqu’à la seconde moitié du ive s. ou les premières années du ve s., on est en droit de s’interroger sur le rôle qu’ont tenu les autorités civiques dans leur gestion au cours de cette période tardive. Selon une proposition de M. Kasprzyk et d’A. Hostein (in Hostein et al., 2014, p. 207), qui se sont appuyés sur la lecture des Panégyriques latins et diverses données archéologiques et épigraphiques, l’entretien d’une grande part des sanctuaires publics et le bon déroulement des cultes, notamment des hommages rendus au pouvoir impérial, pourraient avoir été encore assurés dans les cités du centre-est des Gaules jusqu’aux années 330-340, en particulier dans les chefs-lieux. Au cours d’une phase suivante, s’étirant du second tiers du ive s. au début du ve s., les temples et leurs équipements auraient été maintenus dans les derniers sanctuaires encore en activité, accueillant des offrandes dont la gestion serait « de plus en plus désorganisée », tandis que disparaissent les attestations des cultes civiques et impérial.

94Le démantèlement précoce de certains sites majeurs, que ce soit dans le centre ou dans l’ouest de la province, mais aussi dans d’autres secteurs des Trois Gaules et des Germanies (Van Andringa, 2017a, p. 307-314), montre cependant que l’on porte atteinte dès les dernières décennies du iiie s. au maillage des sanctuaires publics de nombre de cités – dont celles des Aulerques Cénomans et Éburovices, des Coriosolites, des Riédones ou des Véliocasses, par exemple. La programmation de chantiers de démolition et le réemploi de blocs dans les ouvrages publics que constituent les enceintes urbaines sont vraisemblablement les témoins de décisions officielles, prises par les dirigeants des civitates, et non d’un étiolement désorganisé. En parallèle, le démontage partiel de certains sites vraisemblablement publics, où l’activité religieuse est alors recentrée autour de pôles d’apparence modeste, comme à Genainville ou à Macé, pourrait être la conséquence d’une évolution de leur statut : la cité agit-elle encore en leur sein, ou bien faut-il plutôt envisager qu’ils sont laissés à l’abandon et que leur démolition progressive et leur fréquentation sont désormais soumises au bon vouloir des habitants locaux, en particulier dans les agglomérations secondaires et dans les campagnes ? De même, faut-il considérer que dans d’autres cités – tels les Sénons, les Meldes ou les Tricasses, voire les Carnutes, si l’on excepte l’exemple pourtant significatif du lieu de culte monumental situé à l’orée de Chartres –, où l’occupation des sanctuaires ne semble pas ou peu fléchir avant le milieu ou la seconde moitié du ive s., l’activité religieuse se poursuit sans heurt après la seconde moitié du iiie s. ?

95Il faut de nouveau insister sur la difficile interprétation des marqueurs chronologiques les plus récents – et tout particulièrement des monnaies, qui constituent l’essentiel du mobilier recueilli dans les sanctuaires encore fréquentés au cours du ive s. –, ainsi que des gestes qui ont conduit à leur enfouissement. Les sites dont la conservation des niveaux les plus tardifs est optimale révèlent souvent une réorganisation de l’espace, voire un abandon partiel intervenu dès la fin du iiie s. ou la première moitié du ive s., et donc une configuration nouvelle de l’aire sacrée et, probablement, de la pratique des cultes (cf. supra, 6.1.1.2). Pour d’autres sanctuaires, l’abondance du numéraire du ive s., en particulier de la seconde moitié de ce siècle, ne peut donc être simplement perçu comme le signe d’une activité religieuse intense, qui continuerait d’être exercée dans un cadre public et en l’honneur des divinités que l’on y vénère depuis plusieurs siècles.

  • 121 Ce mouvement d’ouest en est avait été noté, aussi, par M.-C. L’Huillier (2005, p. 278) à partir d’u (...)

96Il paraît donc nécessaire d’acquérir de nouvelles données afin de pouvoir affiner la chronologie des abandons et, surtout, pour caractériser avec toute la précision souhaitable les phases d’occupation les plus tardives. Si des différences ont pu exister entre les cités occidentales, dont le réseau de sanctuaires publics semble globalement avoir été mis à mal dès la fin du iiie s., et celles du centre de la province, où l’activité religieuse a pu perdurer au moins jusqu’au milieu du ive s.121, des décalages s’observent aussi au sein même de certaines cités. Il est toutefois encore difficile, en l’état des connaissances, de déterminer si la destinée des lieux de culte publics résulte de choix opérés uniquement par chaque sénat local, dictant la fermeture globale ou progressive du réseau des sacra publica, ou bien si, dans certains cas, le maintien de l’activité a pu relever d’initiatives locales, sous l’impulsion de communautés de dévots souhaitant conserver l’un des sanctuaires du territoire. Les dépôts de monnaies réalisés sur des sites en partie désaffectés et reconvertis plaide toutefois en faveur de la seconde hypothèse.

6.3.3.2. La disparition des lieux de culte privés

97À l’instar des lieux de culte les plus monumentaux, les sanctuaires privés ont été peu à peu désertés, très probablement dès le Haut-Empire, pour les abandons les plus anciens, et surtout au cours des iiie s. et ive s. pour les autres (fig. 332 et infra, fig. 336).

Figure 332 : La fin des sanctuaires privés : chronologie des abandons par cité.

Figure 332 : La fin des sanctuaires privés : chronologie des abandons par cité.

Réal. S. Bossard.

98Les sanctuaires les plus modestes des agglomérations, que l’on peut supposer avoir revêtu un statut privé, ont manifestement été tous abandonnés au plus tard à la fin du iiie s. ou au début du ive s., à un moment où les quartiers dont ils dépendaient ont été désertés ou bien restructurés (cf. supra, 3.1.2.3 et 3.1.3.2). Parmi les rares exemples attestés en contexte de chef-lieu, le temple de la place des Épars, à Chartres (S.100), a été vraisemblablement détruit au cours de la seconde moitié du iiie s., alors qu’il avait été reconstruit peu de temps auparavant, à la suite d’un incendie intervenu dans le troisième quart de ce siècle (cf. supra, 6.3.1). Les matériaux de construction sont alors récupérés et l’ancienne cour sacrée est transformée en jardin. Quelques décennies plus tard, à la toute fin du iiie s., le terrain et ses abords sont scellés par un épais remblai d’argile, puis sont occupés, au cours de l’Antiquité tardive, par des installations à vocation artisanale (Joly dir., 2010, p. 130). Par ailleurs, à Vieux, les plus récents objets collectés au sein du site du musée archéologique (S.281), établi dans un quartier périphérique de la ville, correspondent à 17 antoniniens et imitations radiées, émis durant le dernier tiers du iiie s. ou les premières années du ive s., tandis que la datation des céramiques n’excède pas le début du iiie s. Ici, l’abandon du sanctuaire coïncide manifestement avec celui de l’ensemble de l’îlot, qui n’a livré que quatre monnaies du ive s., alors qu’une centaine de pièces a été enregistrée pour le iiie s. (Kerébel dir., 2000, vol. 1, p. 48-50 et p. 138-139).

99Implanté dans un quartier d’artisans de l’agglomération secondaire de Pouillé (S.243), le temple des Bordes semble avoir été délaissé plus tôt : la monnaie la plus récente est au nom de Marc Aurèle (161-192) et pourrait avoir été offerte ou perdue dès la fin du iie s. ou dans le courant du iiie s. (Amandry, 1982 ; Bourgeois, 1982). Comme à Vieux, la désertion de l’espace cultuel est a priori concomitante de celle du quartier environnant, qui n’a livré que de très rares témoins d’une fréquentation postérieure au milieu du iiie s. (Cadalen-Lesieur dir., 2016, p. 78).

100Parmi les édifices privés, on songera aussi aux mithraea, fondés en tout ou partie en périphérie d’habitats groupés au cours de l’Antiquité tardive – à Angers (S.2) ou à Lillebonne (S.85), et peut-être à Septeuil (S.122) – et qui se distinguent des autres sanctuaires par leur dynamisme et leur longévité (cf. supra, 3.1.2.4 et 6.1.2). De fait, les données précises recueillies à Angers et à Septeuil à partir des études céramologiques et numismatiques indiquent clairement que leur abandon n’intervient pas avant les années 390, voire au tout début du ve s. à Angers (Foucray, 1987, p. 41-42 ; Gaidon-Bunuel, 2000, p. 208 ; Brodeur dir., 2014, vol. 1, p. 150-155 et vol. 2, p. 54 ; J. Brodeur, in Aubin et al., 2014, p. 239-240). La désertion tardive de ces deux sites s’inscrit d’ailleurs dans une liste plus longue : au sein de plusieurs mithraea de l’est des Gaules et des Germanies, à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or), Sarrebourg (Moselle) ou Trèves (Allemagne, Rhénanie-Palatinat) par exemple, les plus récentes monnaies recueillies ont été produites au cours de la dernière décennie du ive s. ou de la première décennie du ve s. (Sauer, 1996, p. 29-30 et p. 85, map 2).

101Dans les campagnes, la destinée des lieux de culte privés documentés semble avant tout liée à celle des établissements ruraux dont ils dépendent, du moins pour ceux qui ne sont pas isolés (cf. supra, 3.2.2). La rareté d’objets provenant des temples et de leurs abords n’aide toutefois pas à cerner avec précision leur chronologie. Ainsi, à Richebourg (S.118), les monnaies issues du temple principal ne sont pas postérieures au principat d’Auguste et les tessons décrits se rattachent manifestement au ier s. de n. è., mais les quelques monnaies provenant du chemin qui donne accès à l’aire sacrée ont circulé entre le courant du iie s. et la première moitié du iiie s., et il est probable que celle-ci reste fréquentée tout au long du Haut-Empire. La résidence aristocratique associée est effectivement partiellement démolie dans les années 250-260, puis finalement abandonnée à la toute fin du iiie s. ou au début du ive s. (Barat, 1999 et 2007, p. 290-302).

102D’une manière générale, les espaces cultuels des villae ne semblent pas avoir été fréquentés au-delà de la date d’abandon de l’habitat auquel ils sont rattachés : en toute logique, les cultes cessent au plus tard lorsque les propriétaires, qui en assuraient la charge, quittent les lieux. Les établissements les plus modestes, fermes et petites villae, sont souvent abandonnés dès la fin du iie s. ou le début, voire le courant du iiie s., comme le suggère l’examen de la céramique, alors que les monnaies sont absentes ou presque : c’est le cas des habitats ruraux – avérés ou probables – de Bauné (S.4 ; Mare dir., 1995, p. 24-25), Saint-Martin-des-Entrées (S.82 ; Paez-Rezende et Adrian, 2014, p. 282), Mondeville (S.147 ; Besnard-Vauterin dir., 2009, p. 170-171 et p. 183-184), Nécy (S.148 ; Besnard-Vauterin et al., 2013, p. 209) ou Hecmanville (S.152 ; Maret dir., 2003, vol. 1, p. 13-18). De même, à Corbeilles (S.206 ; Poitevin dir., 2007, p. 97, p. 124-125 et p. 136 ; 2015, p. 362-364) et à Saint-Patrice (S.247 ; Guiot, 2003, p. 154-155 et p. 157 ; Guiot dir., 2003, p. 149-151), le terminus post quem déterminé à partir de l’étude du mobilier (céramique et monnaies) provenant de l’aire sacrée est tout à fait similaire à celui que l’on a pu établir pour l’abandon de l’habitat : il est situé au début ou dans le courant du iiie s. En revanche, à Guichainville (le Long Buisson, S.62), la partie résidentielle de la villa est délaissée dès le début du IIIe s., tandis que quelques tessons datés du iiie s. et du ive s., ainsi qu’un antoninien de Claude II, émis lors du dernier tiers du iiie s., relèvent d’une période de fréquentation ultérieure des abords de la ou des chapelles. L’enclos qui les accueille a alors peut-être été visité par les habitants d’un modeste hameau, constitué de plusieurs bâtiments sur poteaux, qui s’est développé aux ive s. et ve s. dans l’une des cours de l’ancienne exploitation, mais rien n’indique que des pratiques rituelles s’y déroulent encore (Guillier et Lourdeau dir., 2006, p. 136-168).

103Les plus imposantes villae restent souvent occupées jusqu’à la fin du iiie s. ou le courant du ive s., à Richebourg (S.118 ; cf. supra), Mareuil-lès-Meaux (S.157 ; Bet et Delage dir., 2008, p. 244 ; Griffisch et al., 2008, p. 669-670), Bais (S.183 ; Pouille dir., 2011, p. 214-222 et p. 367-370), Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192 ; Provost et Le Bouteiller, 1986, p. 66-67) ou Pannes (S.220 ; Renard et David dir., 1997 et Dondin-Payre et Cribellier, 2011, p. 556), par exemple. À Noyal-Châtillon-sur-Seiche, le mobilier piégé dans la couche de destruction associée au temple ou dans les tranchées de fondation épierrées de ses murs, composé de rares monnaies frappées avant le milieu du ive s. et de tessons de céramique sigillée d’Argonne, datés des années 360-390, indique que l’enclos à vocation religieuse continue d’être fréquenté ; à cette période, l’essentiel des aménagements de la pars rustica a pourtant été détruit, mais la résidence, désertée après le début du ve s., est encore habitée. Si les arguments manquent ici pour affirmer que le temple est encore en activité jusqu’à cette date, en revanche, à Mareuil-lès-Meaux, des monnaies sont bien déposées dans la cella A jusqu’aux années 320, au plus tôt. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la résidence voisine reste vraisemblablement occupée jusque dans le courant du ive s., et que, lorsqu’un atelier de potiers investit les lieux, probablement en ruine, au cours du troisième quart du ive s., la chapelle n’est manifestement plus fréquentée. Signalons aussi que les temples assurément associés à une villa dont la chronologie a pu être établie ont tous été abandonnés, au plus tard, durant la première moitié du ive s., voire le milieu du siècle à Carnac (S.272) – bien que seules deux monnaies postérieures au début du ive s., dont un bronze de Magnence (350), aient ici été récoltées parmi les vestiges du bâtiment de culte domanial (Miln, 1877, p. 151-153).

  • 122 La liste des exemples présentés ici peut sans doute être complétée avec de nombreux sites dont le s (...)

104Enfin, les autres lieux de culte ruraux, isolés ou dont le rattachement à une villa est plus incertain, mais dont la faible ampleur semble bien être liée à un statut privé, ont manifestement cessé toute activité à des dates très variées122. Le sanctuaire installé sur l’un des îlots rocheux des Haches à Saint-Jacut-de-la-Mer (S.138 ; Bizien-Jaglin dir., 2004, p. 77-106) est ainsi vraisemblablement abandonné dès la seconde moitié du iie s. de n. è., tandis qu’à Aunou-sur-Orne (S.195 ; Lejars et Pernet, 2005, p. 7 et 2007, p. 114), l’étude du mobilier a permis de fixer le terminus post quem de la fin de l’occupation dans le courant du iiie s. L’exemple du temple du Villier, à Chênehutte-les-Tuffeaux (S.6), qui pourrait constituer l’annexe d’un établissement implanté en contrebas d’une agglomération secondaire, montre au contraire que des monnaies peuvent être encore accumulées dans la cella d’un temple rural après le milieu du ive s. : parmi les 46 pièces qui en proviennent, 17 – dont 6 valentiniennes (364-378) – ont été produites après 348 (Collin et Boisbouvier, 1982 ; Boisbouvier et Bouvet, 1984, p. 25-26 et 28-29 ; Aubin et al., 2014, p. 226-227).

105Les rythmes des abandons des sanctuaires privés, parfois plus précoces que ceux des lieux de culte publics, sont donc étroitement liés à l’histoire des individus qui financent et gèrent les cultes qui y sont rendus : la désertion d’un quartier, du siège d’une association établie en périphérie d’une ville ou d’une exploitation domaniale entraînent l’abandon, voire la destruction du lieu où l’on honorait les dieux qui protégeaient leurs habitants ou leurs membres. Cependant, l’examen du mobilier, souvent peu abondant et peu varié, ne permet que rarement de certifier que l’activité religieuse ne périclite pas plusieurs années, voire plusieurs décennies avant ces évènements. Pour la plupart des sites, on ne sait donc si les divinités continuent d’être honorées jusqu’à ce que les temples et les chapelles ferment définitivement leurs portes ; le cas échéant, et à l’instar des sanctuaires publics, les traces des pratiques rituelles les plus tardives correspondent essentiellement à des monnaies, accumulées au sein des cellae. Quoi qu’il en soit, aucune installation cultuelle privée ne paraît avoir survécu – ou avoir été réinvestie – après l’abandon de l’établissement ou du quartier qui lui est associé : les cultes, communautaires, disparaissent avec les dévots qu’ils intéressent. Si ces derniers se sont installés en un autre lieu, leurs dieux ne semblent pas les avoir suivis, du moins à partir du iiie s., puisque l’on n’a aucune trace de l’installation d’un nouveau sanctuaire privé, à l’exception des mithraea, durant l’Antiquité tardive.

106Les exemples évoqués dans les pages précédentes montrent bien que le déclin des sanctuaires, qu’ils soient publics ou privés, est un phénomène qui s’inscrit dans le long terme, varie d’une communauté à une autre et se manifeste sous des formes diverses, depuis l’arrêt brutal et la reconversion du lieu sacré, alors désaffecté, au maintien partiel des activités religieuses. Les facteurs de ces mutations religieuses, qui s’accélèrent au cours de l’Antiquité tardive, sont sans doute multiples : la transformation des villes et des agglomérations de moindre envergure, ainsi que des modes d’occupation du sol dans les campagnes, affecte sans conteste le paysage religieux des cités. L’ensemble de ces changements témoigne d’une réorganisation des territoires, mais aussi d’une évolution sensible des sociétés et des modes de pensée entre le courant du iiie s. et les premiers temps du ve s. Si cette période est également marquée par les débuts de la christianisation des provinces nord-occidentales de l’Empire, l’examen des traces laissées par les premiers chrétiens révèle toutefois que la progression de la religion monothéiste ne peut expliquer à elle seule la disparition des sanctuaires que ceux que l’on qualifiait alors de païens fréquentaient encore.

6.3.4. Du polythéisme au christianisme dans le nord-ouest des Gaules

107Les témoins de la diffusion du christianisme au nord de la Loire laissent penser que celui-ci ne s’y est développé de manière prégnante qu’à partir du ive s. et des siècles suivants. De fait, si de premières communautés sont attestées dans les Gaules, à Lyon et à Vienne, dès 177, il faut attendre le courant et surtout la seconde moitié du ive s., voire la période mérovingienne, pour que les sources mentionnent explicitement les progrès de la mission chrétienne dans le diocèse civil des Gaules (Ferdière, 2011, p. 155-158 ; Prévot, 2014, p. 11-15) et en particulier, pour l’aire géographique qui nous intéresse, les provinces de Lyonnaise II, III et IV, telles qu’elles ont été définies à la fin du ive s. (fig. 333).

Figure 333 : Témoins de la diffusion du christianisme entre le ive s. et le vie s. en Lyonnaise II, III et IV : les premiers évêques et édifices chrétiens attestés.

Figure 333 : Témoins de la diffusion du christianisme entre le ive s. et le vie s. en Lyonnaise II, III et IV : les premiers évêques et édifices chrétiens attestés.

Réal. S. Bossard, d’après les données de Pietri et Biarne, 1987 ; Picard et al., 1992 ; Gauthier et Fixot, 1996 ; Monteil, 2012, vol. II, p. 308-312 ; Prévot et al. (dir.), 2014, vol. 1.

  • 123 Cf. les contributions rassemblées dans la collection de la Topographie chrétienne des cités de la G (...)

108À partir de 313, la politique de tolérance religieuse suivie par Constantin Ier marque la fin des persécutions contre les chrétiens de l’Empire et offre des conditions favorables au développement de leur religion, qui se répand alors progressivement dans les villes des Gaules. Les listes dressées à l’issue des assemblées conciliaires réunies entre le ive s. et le vie s. – bien qu’elles ne fournissent qu’une image lacunaire de la christianisation car elles ne rassemblent jamais tous les évêques (Guyon et al., 2016, p. 4) –, ainsi que quelques documents complémentaires, permettent de mesurer, avec approximation, les rythmes d’apparition des nouvelles communautés religieuses123 (fig. 333). Au concile d’Arles, convoqué par Constantin en 314, n’est présent – pour les provinces considérées – qu’Avitianus, évêque de Rouen, et il est alors possible, sans certitude toutefois, que les cités voisines, qui ne sont pas mentionnées, n’aient pas encore été évangélisées (Prévot, 2014, p. 15). Les attestations de communautés organisées autour d’un évêque se multiplient tout au long du ive s. (à Sens, Paris, Orléans et Troyes pour le pseudo-concile de Cologne, en 346, et à Tours, Angers, Nantes et peut-être Bayeux d’après diverses sources) et dans le courant des ve s. (Le Mans, Rennes et peut-être Vannes au concile d’Angers, en 453) et vie s. (Avranches, Coutances/Saint-Lô, Évreux, Exmes/Sées et Chartres au concile d’Orléans en 511, Lisieux en 538 et Meaux en 549).

  • 124 Pour les églises urbaines ou suburbaines mentionnées dans les paragraphes suivants, cf. les études (...)

109Dans les chefs-lieux des cités, les premiers chrétiens ont d’abord probablement disposé d’une simple salle de réunion, installée dans une demeure privée, avant que ne soient construites les premières églises, qui n’étaient alors pas nécessairement monumentales ou de plan basilical. Les plus anciens groupes épiscopaux identifiés dans les Gaules124, grâce à la mention explicite d’une ecclesia ou à la découverte des vestiges des édifices qui les composent – notamment d’une cathédrale, d’un baptistère ou d’une résidence épiscopale –, ne sont pas antérieurs au milieu du ive s., à l’exception de la plus ancienne église connue à Rouen, récemment attribuée, à partir de critères numismatiques, à la première moitié du ive s. ; elle pourrait alors avoir été bâtie par Avitianus, ou son successeur, avant d’être reconstruite à la fin du même siècle par Victrice. Tandis qu’à Tours, la construction de la première cathédrale serait l’œuvre, selon Grégoire de Tours, de l’évêque Littorius (337/338-370), et qu’à Orléans, elle est attribuée à Euverte, qui pourrait avoir été présent au concile de Valence en 374, les autres groupes épiscopaux des provinces de Lyonnaise II, III et IV semblent plus tardifs, du moins à partir des sources conservées, puisqu’ils seraient postérieurs au début du ve s. (fig. 333). Au demeurant, si la présence d’évêques est avérée dès le ive s., dans plusieurs cités, un laps de temps de durée variable a toutefois pu séparer la naissance d’une communauté et sa visibilité dans la ville (Beaujard, 2010, p. 205).

110Ce n’est généralement qu’à partir de la toute fin du ive s. et du ve s. que d’autres églises se développent, dans les chefs-lieux et dans certaines agglomérations du territoire, et relaient les cathédrales (fig. 333). Des édifices sont ainsi fondés au sein des villes ou dans leur périphérie, en particulier des basiliques associées à des sépultures de martyrs ou de saints évêques, telle la basilica Saint-Maurille à Angers, autour de laquelle s’est agrégée une nécropole entre les ve s. et viiie s., les églises Saint-Donatien et Saint-Similien près de Nantes, probablement fondées durant les ve s. et vie s., ou la basilique, achevée en 470/471, construite par Perpetuus à l’emplacement d’une petite chapelle, elle-même installée à l’emplacement de la tombe de saint Martin, enseveli près de Tours en 397. Ce dernier y avait d’ailleurs fondé, dès la fin du ive s., le monastère de Marmoutier, établi à l’écart du centre urbain, sur l’autre rive de la Loire.

111À plus grande distance des chefs-lieux, dans les campagnes et au sein des habitats groupés les plus modestes, rares sont les églises dont l’existence est avérée avant le viie s., du moins par des méthodes archéologiques. Cependant, si des édifices en terre et en bois ont pu ne laisser que des traces ténues, difficiles à identifier, a priori à partir du vie s. ou du viie s. (Bonnet, 1997 ; Schneider, 2014, p. 419 et p. 460), des bâtiments en pierre ont aussi pu exister dès le ve s. ou le vie s. à Alet (Saint-Malo, Ille-et-Vilaine), Jublains (Mayenne), à Gennes-Val de Loire (Maine-et-Loire) ou à Châteaudun (Eure-et-Loir), tandis qu’un monastère est fondé au Yaudet à Ploulec’h (Côtes-d’Armor) au vie s. (Robreau, 1984 ; Monteil, 2012, vol. II, p. 308-309 et 2017 ; Biarne, 2014). À Jouars-Pontchartrain (Yvelines), une vraisemblable église (fig. 334) et une petite nécropole sont implantées au sein d’un modeste habitat groupé au cours du ve s. ou du vie s. L’occupation prend ici le relai d’une agglomération secondaire, dont les origines remontent à la fin de La Tène finale, et il est intéressant de noter que l’édification de l’église, installée à l’emplacement d’un bâtiment antérieur, a eu lieu plusieurs décennies, voire plus d’un siècle après la fermeture – datée de la seconde moitié du ive s. – d’un sanctuaire sans doute public (S.127), localisé à une cinquantaine de mètres plus à l’est. Des fragments d’architecture, provenant d’un ou de plusieurs monuments antiques – colonnes, chapiteaux ou blocs de grand appareil, en tout ou partie issus de l’ancien sanctuaire ? –, ont d’ailleurs été remployés pour la construction de l’église (Blin, 2007, p. 92-194 ; 2016a, p. 185-188). Signalons enfin que les quelques temples d’époque romaine transformés en chapelle ou en mausolée durant le Moyen Âge l’ont généralement été au cours du viie s., après une période d’abandon de plusieurs siècles (cf. infra, 6.4.3).

Figure 334 : Vestiges de l’édifice de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines) interprété comme une église (ve-vie s.).

Figure 334 : Vestiges de l’édifice de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines) interprété comme une église (ve-vie s.).

In Blin, 2007, p. 194, fig. 3.

112Ces quelques jalons, restreints aux exemples les mieux documentés, suffisent pour comprendre que la diffusion du christianisme et l’édification de ses lieux de culte, dans les provinces considérées, n’a pas pu prendre de l’ampleur avant une date avancée du ive s. et qu’elle s’est surtout accéléré au cours du ve s., voire au début du haut Moyen Âge, durant la période mérovingienne. On ne peut donc raisonnablement pas imputer à l’attrait qu’a pu exercer le christianisme, ou à la violence de certains chrétiens, la désaffection et la destruction des lieux de culte, publics ou privés, désertés par dizaines dans le courant du Haut-Empire et surtout entre la fin du iiie s. et les premières décennies du ive s. (Bourgeois dir., 1999, p. 197 ; L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 320 ; Goodman, 2011, p. 172 ; Van Andringa, 2017a, p. 313). Qu’en est-il toutefois pour les abandons plus tardifs, datés du courant du ive s. ou du début du ve s. ?

113Dans l’Empire romain, la liberté religieuse était encore pleinement assurée du temps de Constantin Ier (306-337), dont les seules interdictions ont visé une partie des sacrifices privés, considérés comme dangereux par le pouvoir impérial. En revanche, le règne de ses fils – Constant (337-350) en Occident et Constance II (337-361) en Orient – a été ponctué par les premières lois antipaïennes (Gaudemet, 1990 ; Delmaire, 2004 ; Chuvin, 2009, p. 33 et p. 45 ; Boube, 2012, p. 368-375). Entre 341 et 356, une série de constitutions, conservées – comme les suivantes – dans le Code Théodosien (XVI, 10, 2 à 6), a effectivement interdit, sous peine de mort, de pratiquer les sacrifices et d’honorer les statues, et a aussi ordonné la fermeture de temples. En dépit de cet épisode répressif, l’empereur Julien (360-363), puis les membres de la dynastie valentinienne, ont été tout à fait tolérants – si ce n’est favorables – envers le polythéisme, avant que l’histoire des religions antiques ne marque un tournant avec les édits de Théodose Ier (379-395) et de ses successeurs. De fait, devenu religion d’État en 380, le christianisme est ensuite activement soutenu, au cours des décennies suivantes, par une législation agressive envers les pratiques païennes (Code Théodosien, XVI, 1, 2 ; XVI, 10, 7 à 24). S’en prenant d’abord aux sacrifices (381), puis à la vénération des idoles et à la visite des temples (391), celle-ci ordonne ensuite la destruction de ces derniers, d’abord en Orient, en invitant à des manœuvres conduites avec discrétion (399), puis, avec plus de force, en Occident (407). On décide alors de détruire les autels, d’enlever les statues de culte qui seraient encore en place et de confisquer les temples, qui doivent être transformés ou démolis ; ces injonctions sont renforcées par de nouvelles lois en 415 et, pour l’Orient, en 435.

  • 125 Cf. l’analyse proposée par J. Fontaine (1967) de la Vie de saint Martin de Sulpice Sévère ; cf. aus (...)

114Ainsi que l’ont souligné plusieurs auteurs, il est toutefois difficile d’évaluer le champ d’application et la portée réelle de l’arsenal législatif déployé par ces empereurs entre le milieu du ive s. et le courant du ve s., et donc de déterminer la gravité des conséquences que celui-ci a pu entraîner à l’égard du paysage religieux des provinces gauloises. Sans doute suivies, dans les cités de l’Empire, en fonction du zèle dont ont fait preuve les autorités locales, ces interdictions répétées sont le reflet de troubles religieux et des difficultés que le pouvoir impérial a éprouvé à imposer le christianisme, du moins dans certains secteurs du monde romain (Caseau, 2001, p. 71 ; L’Huillier, 2005, p. 275 ; L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 319-320 ; Boube, 2012, p. 375). À la fin du ive s., Sulpice Sévère, disciple de saint Martin, décrit d’ailleurs à plusieurs reprises, dans le récit hagiographique qu’il consacre à ce dernier, la lutte acharnée que mène l’évêque de Tours, qui a exercé entre 371 et 397, pour convertir les populations rurales du centre des Gaules et faire disparaître les espaces et les équipements encore utilisés dans le cadre des cultes. Si l’auteur mêle faits historiques et topoi chrétiens pour ériger le saint en modèle exemplaire125, dont les actes destructeurs semblent d’ailleurs en avance sur la politique impériale, son témoignage illustre cependant la vitalité certaine qui animait encore la religion polythéiste, du moins dans les espaces situés à l’écart des villes, durant le dernier tiers du ive s. (Hostein et al., 2014, p. 206-207).

115La confrontation du texte de Sulpice Sévère (Gallus. Dialogues sur les « vertus » de saint Martin, 3, 8, 4-7) et des données archéologiques, au sujet d’un fait se déroulant à Amboise/Ambacia, invite cependant à nuancer le propos de l’auteur, comme l’ont d’ailleurs fait d’autres chercheurs (notamment Creissen, 2014, p. 287). Celui-ci rapporte que Martin, en plus d’y avoir bâti une église, aurait détruit en recourant aux prières un imposant temple païen, décrit comme turriforme et localisé dans le castellum vetus d’Ambacia. Selon toute vraisemblance, cet édifice peut être situé sur le plateau des Châtelliers, dont la pointe occidentale est aujourd’hui occupée par le château royal d’Amboise, qui a pu succéder à une occupation (fortifiée ?) de l’Antiquité tardive (Laruaz dir., 2008, vol. 1, p. 18 ; 2009, vol. 1, p. 81-82 ; dir., 2017, p. 13). Il est cependant difficile d’associer le bâtiment de culte évoqué dans ce texte, s’il a réellement existé, au sanctuaire étudié au centre du plateau des Châtelliers (S.237), étant donné que son abandon, comme celui des autres quartiers fouillés de l’agglomération associée, semble avoir eu lieu plus d’un siècle avant les épisodes relatés par Sulpice Sévère et qu’aucune trace de destruction violente n’y ait été mise en évidence (Laruaz dir., 2006, p. 37). On ne peut toutefois exclure l’hypothèse de l’existence d’un autre lieu de culte, localisé à la pointe de l’éperon, qui serait resté en activité jusqu’à ce que Martin se résolve à le réduire à l’état de ruines.

116En outre, et malgré l’abondante littérature chrétienne, mais aussi païenne, célébrant ou dénonçant la destruction d’idoles ou de temples en divers points de l’Empire à partir du règne de Constantin (Caseau, 2001), il faut reconnaître que les preuves de destruction violente de sanctuaires au cours du ive s. ou au début du ve s. font défaut pour l’essentiel des sites étudiés, du moins pour ceux dont les états les plus récents sont bien documentés. De surcroît, l’examen des débris répandus dans les niveaux de démolition ne permet souvent pas de faire la différence entre des déchets rejetés par des démolisseurs peu soucieux de récupérer l’ensemble des matériaux disponibles et des éclats caractéristiques d’une destruction brutale. La disparition globale des statues de culte, sur lesquelles les stigmates d’actes iconoclastes pourraient être conservés, limite d’ailleurs les possibilités d’interprétation. En sus, la question des incendies, déjà évoquée (cf. supra, 6.3.1), n’apporte guère de réponse définitive : d’une part, assez rares sont les sinistres datés de la période marquée par la répression antipaïenne et, d’autre part, les feux ont pu avoir des origines diverses. L’éventualité d’une destruction volontaire pourrait néanmoins être envisagée, avec une certaine prudence, pour les deux mithraea fouillés à Angers (S.2 ; Brodeur dir., 2014, vol. 1, p. 150-155 et in Aubin et al., 2014, p. 239-240) et à Septeuil (S.122 ; Gaidon-Bunuel, 2000, p. 203-204), qui demeurent d’ailleurs en activité jusqu’aux années 390 ou 400, soit au moment où sont promulguées les lois incitant à la démolition des lieux de culte. Sur ce dernier site, le relief cultuel a été basculé et renversé au sol, tandis que d’autres éléments de statuaire fragmentaires, telle l’image de Mithra tauroctone, ont été rejetés dans le bassin octogonal situé dans l’espace accolé au spelaeum. Les témoins de gestes destructeurs semblent plus nombreux et plus évidents à Angers : des débris issus du décor sculpté de la salle, brisé en de nombreux fragments (fig. 335), ont été découverts épars sur le sol et en partie récupérés ; au demeurant, le visage de l’un des dadophores paraît avoir été délibérément martelé. En outre, certains niveaux de sol rubéfiés et des couches charbonneuses, qui renferment des moellons ainsi que des débris de terre cuite architecturale et de mortier issus du démantèlement du bâtiment, témoignent d’un incendie, qui pourrait toutefois être sans lien avec les activités de démolition. Si d’autres cas probables ou avérés de destruction d’images – notamment celles du dieu tauroctone – et de feux destructeurs ont été recensés dans plusieurs mithraea de la Bretagne et des Germanies romaines, et pourraient éventuellement être imputés à des groupes de chrétiens, ces actes ont eu lieu à diverses dates et n’ont d’ailleurs pas affecté l’ensemble des sanctuaires de Mithra. Les données sont insuffisantes pour déterminer avec certitude l’identité des individus à l’origine de telles actions, ainsi que leurs motivations, qui ont sans doute varié d’un exemple à l’autre (Sauer, 1996, p. 37-40, p. 46-47 et p. 63-69 ; Turcan, 2000, p. 119).

Figure 335 : Fragment de tête en calcaire représentant Mithra, issu de l’image de culte du mithraeum de la Clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).

Figure 335 : Fragment de tête en calcaire représentant Mithra, issu de l’image de culte du mithraeum de la Clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).

In Brodeur, 2013, p. 14, fig. 5.

117Ainsi, on ne peut que difficilement – et rarement – lier avec certitude la fermeture et la démolition des sanctuaires abandonnés au cours du ive s. ou du ve s. aux agissements des chrétiens, que ce soit sous l’impulsion d’un empereur défavorable au polythéisme ou à l’initiative d’un personnage ou d’une communauté locale véhémente. Si une partie des lieux de culte dont les derniers témoins d’une activité sont datés autour du milieu du ive s., relativement nombreux (cf. supra, 6.2 et 6.3.3), pourrait éventuellement avoir été condamnée à l’issue des premières mesures antipaïennes prises à l’échelle de l’Empire (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 319), l’imprécision des fossiles directeurs recueillis sur les sites archéologiques ne permet pas d’affirmer que leur abandon est bien concomitant, ou de peu postérieur, à l’application de ces lois. En outre, d’après les quelques sources disponibles, l’apparition des communautés chrétiennes dans les cités étudiées semble avoir été relativement tardive et, bien que l’on ne sache rien de leurs effectifs ni de leur position vis-à-vis des cultes traditionnels au milieu du ive s., il paraît peu probable qu’elles aient eu la force nécessaire pour imposer, dès cette période, la fermeture des sanctuaires encore en activité, notamment dans le centre de la province – dans les cités d’Orléans et de Sens, par exemple, déjà dotées d’un évêque, au plus tard, en 346.

118Les problèmes sont les mêmes pour les éventuelles destructions de la fin du ive s. ou du début du ve s., bien que les communautés chrétiennes locales soient alors probablement plus nombreuses et mieux structurées qu’auparavant, mais aussi, si l’on se fie à la lecture de la Vie de saint Martin, probablement plus soucieuses de mettre un terme aux pratiques religieuses polythéistes. Si l’absence de sanctuaire a priori fréquenté au-delà des premiers temps du ve s. illustre peut-être l’efficacité des actions menées contre le paganisme au cours de cette période, il faut aussi rappeler que les marqueurs chronologiques du ve s. sont encore peu connus et qu’on ne peut être certain qu’une partie des sites n’est plus visitée après l’aube de ce siècle. Il ne fait néanmoins aucun doute que, si les cultes polythéistes n’ont peut-être pas complètement disparu à cette date, ils n’étaient manifestement guère plus pratiqués dans les sanctuaires du centre et de l’ouest de la Lyonnaise. Dans tous les cas, le déclin de ces lieux de culte n’a pas été brutal et soudain, mais il s’inscrit dans la longue durée et débute bien avant que les premières lois antipaïennes ne viennent troubler les hommages rendus aux dieux.

6.3.5. La fin des dieux : essai de synthèse

119L’analyse des sanctuaires des cités centrales et occidentales de la Lyonnaise révèle donc que leur disparition, progressive, est un phénomène complexe, progressant à des rythmes variables en fonction de leur statut et des civitates, et dont les causes et les acteurs sont sans doute multiples. À cet égard, la trame récemment proposée par W. Van Andringa (2014 et 2017a, p. 307-320) pour retracer l’évolution des sanctuaires des Trois Gaules et des Germanies entre le troisième quart du iiie s. et le début du ve s., inscrite dans la lignée des réflexions publiées quelques années plus tôt par M.-C. L’Huillier et E. Bertrand (2006), est tout à fait pertinente pour le territoire ici étudié et peut donc être suivie dans les grandes lignes.

120Jusqu’au milieu du iiie s., rares sont les sanctuaires dont l’activité a déjà cessé (fig. 336). Les premières fermetures paraissent concerner avant tout de modestes lieux de culte privés, pour la plupart établis en milieu rural (cf. supra, 6.3.3.2). Ces disparitions doivent probablement être mises en relation avec la reconfiguration, à partir de la seconde moitié du iie s., du réseau des établissements parsemant les campagnes (Gandini, 2008, p. 413-415 ; Kasprzyk, 2018, p. 617 ; Spiesser, 2018, vol. 1, p. 119-120). De fait, l’abandon d’une partie des plus petites exploitations agricoles, dont certaines étaient dotées d’une ou de deux chapelles, à Saint-Patrice (S.247) ou à Guichainville (S.62) par exemple, a inévitablement entraîné la disparition des sanctuaires associés, voire de certains lieux de culte isolés et de faible ampleur, qui pouvaient être gérés et fréquentés à titre privé par les habitants des établissements voisins. Dans les agglomérations, les premiers abandons affectent manifestement des temples implantés dans des quartiers périphériques, délaissés dès la fin du iie s. ou la première moitié du iiie s., tel celui de Pouillé (S.243), dépendant d’un secteur à vocation artisanale. Les rares lieux de culte a priori publics qui disparaissent avant la fin du Haut-Empire connaissent manifestement le même sort que l’habitat groupé ou le quartier auquel ils sont rattachés (cf. supra, 8.3.3.1). Ainsi, au Mans (S.16), dans un îlot périphérique du chef-lieu des Cénomans, ainsi qu’à Chanceaux-sur-Choisille (S.239) et à Amboise (S.237), deux agglomérations secondaires du territoire turon, la désertion précoce d’une partie ou de l’ensemble de l’espace urbain, pour des raisons variées, mène apparemment à la clôture du sanctuaire qui y prenait place et qui ne semble plus fréquenté au-delà du iie s. ou du iiie s.

Figure 336 : Cartes des abandons des sanctuaires, du Haut-Empire au début du ve s.

Figure 336 : Cartes des abandons des sanctuaires, du Haut-Empire au début du ve s.

Réal. S. Bossard.

121Au sein de ce panorama, le démantèlement rapide du monument de Saint-Martin-au-Val, grand sanctuaire civique des Carnutes sis en périphérie de Chartres (S.101), est plus problématique et fait figure d’exception : doit-on considérer que seule une partie de cet immense complexe, dont l’étude n’a porté que sur une aire restreinte, est restée en activité en parallèle des premières démolitions, datées du début ou du courant du iiie s. ? Ou bien faut-il envisager que la fermeture totale du site témoigne de l’un des premiers exemples de clôture et de démontage d’un important sanctuaire public, antérieur de quelques années – ou décennies ? – au délaissement des autres composantes des sacra publica des cités ? Le dossier est incomplet, mais il faut probablement lier l’histoire de ce site, comme pour les autres abandons précoces, à des conjonctures locales, à l’égard desquelles la documentation réunie à ce jour reste muette.

122La situation change radicalement durant la seconde moitié du iiie s. et les premières années du ive s. (fig. 336) : les abandons et les dégradations des temples se multiplient soudainement et touchent désormais une part importante du maillage des sanctuaires publics, en plus de quelques temples privés, qui disparaissent alors avec les villae qui les accueillaient. La mise à mal de l’armature religieuse des cités concerne notamment certains grands monuments urbains ou périurbains de l’Ouest, à Corseul (S.134), Rennes, Le Vieil-Évreux (S.78 et S.79) et peut-être Angers (S.3). Elle touche aussi plusieurs lieux de culte publics, répartis dans les agglomérations secondaires de différentes cités de la province – à Genainville (S.260), Allonnes (les Perrières, s.10) ou Aubigné-Racan (S.11) – ou dans les campagnes, en particulier à proximité de chefs-lieux, comme à Vannes (S.278), Neuville-sur-Sarthe (S.18), Évreux (S.56) ou Macé (S.196), ou plus rarement à l’écart, comme à Bennecourt (S.254), s’il s’agit bien d’un sanctuaire public (cf. supra, 6.3.3.1). Les dégâts subis dans les chefs-lieux et leurs environs ne se limitent pas aux seuls lieux de culte, puisque c’est une grande partie du patrimoine monumental qui est démontée, notamment pour que leurs blocs soient retaillés et remployés dans l’édification des imposantes enceintes urbaines dont se dote la plupart des villes (Maligorne, 2006, p. 177-179).

123Cette vague de fermetures d’aires sacrées traduit sans conteste l’étiolement, plus ou moins marqué d’un territoire à l’autre, du réseau des sanctuaires publics des cités. Certaines de ces dernières semblent effectivement avoir été privées d’une grande part de leurs lieux de culte principaux, en particulier plusieurs civitates de l’Ouest – songeons notamment aux Aulerques Cénomans et Éburovices ou aux Coriosolites. Les données sont toutefois insuffisantes pour déterminer à quel moment ont cessé les pratiques religieuses collectives au sein de ces grands sanctuaires : doit-on situer la fin des sacrifices et des cérémonies publiques à l’instant même de leur fermeture et de leur démantèlement, ou bien n’étaient-ils plus fréquentés depuis plusieurs années, voire des décennies ? Certains des lieux de culte abandonnés dès la seconde moitié du iiie s. avaient fait l’objet de travaux de grande ampleur à la toute fin du iie s. ou au début du iiie s. et il faut donc envisager que leur déclin, s’il a eu lieu avant leur clôture définitive, n’est pas antérieur à la première moitié ou au troisième quart du iiie s. (cf. supra, 5.4).

124Quoi qu’il en soit, la véritable rupture intervient probablement entre les années 270 et 300/310, comme le suggère le terminus post quem déterminé, à partir des études numismatiques et céramologiques, pour l’abandon des sanctuaires évoqués (cf. supra, 6.2 et 6.3.3). C’est d’ailleurs à cette époque qu’Aurélien et ses successeurs reprennent en main, à partir de 274, les provinces nord-occidentales de l’Empire, qui étaient alors sous le contrôle des « empereurs gaulois » depuis une douzaine d’années (Ferdière, 2005, p. 292-294). Il paraît dès lors difficile de nier que la crise multiforme qui a marqué l’Empire romain au cours des décennies précédentes, avec ses conséquences, a affecté notamment les cités des Gaules et, manifestement, leurs systèmes religieux. Pour autant, comme l’ont souligné à juste titre M.-C. L’Huillier et E. Bertrand, « tenter de mesurer les conséquences locales des raids et incursions barbares, des usurpations et guerres civiles ainsi que des révoltes sociales sur l’état et le fonctionnement régulier des divers sanctuaires de l’Ouest, dans le cadre d’une enquête sur la phase finale de leur histoire, relève de la gageure. En effet si la trame générale de ces évènements traumatiques est connue, l’hétérogénéité, les hiatus et les lacunes des sources laissent planer en revanche bien des incertitudes sur leur impact local » (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 318). De fait, en aucun cas, on ne peut lier l’abandon d’un lieu de culte à un évènement historique précis.

125Si les causes d’un tel délaissement des sanctuaires publics ne peuvent être précisément définies, il ne fait guère de doute que celui-ci témoigne de changements substantiels dans l’organisation interne des cités et dans leurs pratiques religieuses célébrées à titre public. Une partie des espaces sacrés concernés par ces cultes, « mémoire des communautés » (L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 314), parfois fréquentés depuis plusieurs siècles et pour la plupart monumentalisés au cours des deux siècles précédents (cf. supra, 5.3.2), ferme définitivement ses portes, tandis que d’autres sont partiellement démolis et accueillent désormais des pratiques a priori individuelles, dans un cadre architectural probablement en partie ruiné. La cité et ses évergètes semblent alors se retirer de la gestion et de l’entretien des aires sacrées et ne plus organiser de cérémonies publiques dans leurs murs. Doit-on y voir la conséquence de difficultés d’ordre financier ? De tels problèmes ont déjà été évoqués au sujet de la phase de monumentalisation des principaux sanctuaires de plusieurs cités, dont la lenteur des chantiers pourrait traduire l’insuffisance des moyens de leurs commanditaires (cf. supra, 5.3.2.1). Au terme de plusieurs décennies de crises, et surtout face à la lourde charge financière que représente la construction des enceintes notamment urbaines, les civitates et leurs évergètes n’ont peut-être pu assurer à la fois l’édification de ces dernières et l’entretien des anciens monuments et des célébrations qui y étaient données (Bourgeois dir., 1999, p. 197-198 ; L’Huillier et Bertrand, 2006, p. 317-318 ; Boube, 2012, p. 389). Les restaurations, voire les constructions nouvelles entreprises au sein des sanctuaires publics après la fin du iiie s. sont en effet rarissimes, puisque seuls les travaux réalisés dans le lieu de culte central de l’agglomération de Châteaubleau (S.204), sont assurément postérieurs aux années 270 et pourraient traduire l’investissement tardif d’une cité, celle des Sénons, à la fin du iiie s. et au début du ive s., dans l’embellissement d’un sanctuaire public (cf. supra, 6.1.1.2).

126On ne peut toutefois expliquer la probable raréfaction des célébrations publiques et le démontage des grands sanctuaires uniquement par l’incapacité des élites locales à assurer le coût de la vie religieuse. Pour reprendre les mots de W. Van Andringa (2017a, p. 315 et p. 317), qui résument avec justesse la situation que l’on observe notamment en Lyonnaise, « l’abandon ou le déclin des sanctuaires dans les provinces de Gaule et de Germanie est bien entendu le corollaire inévitable de la faillite de l’évergétisme amenée par une crise économique et politique sans précédent, mais le fait que beaucoup de sanctuaires ne se soient jamais relevés implique une transformation en profondeur de l’un des fondements de la cité antique, celui de la religion publique, du cultus deorum organisé avec faste par les élites des municipalités comme fondement de l’autonomie locale. […] Avec les évènements du iiie s., on est passé d’une forme historique du polythéisme à une autre qui n’était plus articulée, ou moins qu’avant, sur l’organisation des cités. Les dieux ont changé et certains cultes sont tombés en désuétude pour ne plus jamais être restaurés. La religion publique, fondée sur les grands dieux historiques et le culte impérial, qui tenait chacun à sa place, fournissait les repères communautaires, définissait l’autonomie, s’est dissolue dans la réforme de l’état romain, la nouvelle hiérarchisation des territoires et la restructuration des cités ». Dans certaines cités, en particulier dans l’ouest de la province, la religion civique semble ainsi disparaître, ou du moins elle est reformulée et se manifeste éventuellement sous d’autres formes et en d’autres lieux, puisque les principaux sanctuaires sont désertés.

127Si M.-Th. Raepsaet-Charlier (2015, p. 129) a évoqué de possibles « solutions de rechange » qui auraient pu être mises en place par les élites civiques pour assurer des rites publics « devant de simples chapelles, par exemple, en des lieux provisoirement consacrés », c’est-à-dire des « manifestations temporaires [qui] ne marquent pas le terrain », force est de reconnaître qu’aucun indice probant de ce type de processus n’a pu être recueilli, à tout le moins dans les cités dont l’armature religieuse périclite dès la fin du iiie s. Les preuves manquent pour envisager, comme l’a proposé A. Provost (in Provost et al., 2010, p. 223) au sujet du monument du Haut-Bécherel (S.134), abandonné en périphérie de Corseul au plus tôt dans les années 270, que le culte qui était rendu dans les grands sanctuaires civiques alors désaffectés « est rapatrié en ville avec ses statues, ses objets cultuels, ses précieuses offrandes, ses autels ». La démolition partielle, dès le iiie s., de certains sanctuaires implantés sur les territoires, tels ceux de Genainville (S.260), de Sceaux-du-Gâtinais (S.225) ou de Bennecourt (S.254), parmi les mieux documentés, laisse plutôt penser que la priorité n’était plus donnée à l’entretien du réseau des lieux de culte civiques. Au demeurant, ces phénomènes rendent peu probable l’hypothèse d’un transfert des activités religieuses vers un autre pôle, alors qu’il aurait été probablement plus simple et moins coûteux de restaurer, même à moindre coût, les édifices préexistants pour qu’il soit encore possible d’y organiser des cérémonies publiques. Le fait que des dépôts de monnaies y soient encore accumulés, au sein de bâtiments à moitié ruinés ou en parallèle du développement d’activités profanes, montre au contraire que les cultes y perdurent parfois, manifestement sous une nouvelle forme, qui ne semble désormais plus être encadrée par la cité.

128À l’exception du site de Châteaubleau (S.204), déjà évoqué, et des mithraea, les lieux de culte qui subsistent au cours du ive s. ne paraissent donc plus avoir fait l’objet de restaurations, d’agrandissements ou d’embellissements. Les témoins de la fréquentation des sanctuaires, tant dans les espaces privés que « publics » – s’ils le sont encore, du moins dans le sens de « gérés par la cité » –, se résument généralement à des lots de monnaies, parfois accompagnées d’autres types d’objets, qui trahissent le passage répété de dévots. La quantité de numéraire atteint d’ailleurs des centaines d’exemplaires dans certains espaces cultuels, mais uniquement dans les cités centrales de la Lyonnaise (cf. supra, 6.1.1.1). On ne peut toutefois évaluer la fréquence et l’ampleur de ces visites en raison de la durée de circulation, parfois longue, des espèces et des contextes de découverte souvent mal renseignés, ou perturbés, mêlant pertes et dépôts volontaires. Quant à l’absence globale de restes fauniques et de céramiques, à de rares exceptions près – en particulier dans les mithraea (cf. supra, 6.1.2) –, elle suggère que les sacrifices et les banquets ne sont guère plus organisés au sein même des lieux de culte ; l’éventualité de déchets régulièrement évacués, qui pourrait expliquer cette déficience, paraît peu crédible pour cette période, puisque les monnaies abondent au sein de certains sites, alors que les autres types d’objets sont souvent très rares. De fait, la stips est bien l’une des rares pratiques encore attestées et les dépôts de monnaies paraissent être les témoins d’actes individuels, d’« une liturgie transformée ou simplifiée » (Van Andringa, 2017a, p. 318 ; cf. aussi Bourgeois dir., 1999, p. 197-198), d’autant plus que les modalités d’accumulation du numéraire sont parfois différentes de celles qui avaient cours durant le Haut-Empire (cf. supra, 2.2.3.1).

129L’interprétation des vestiges du ive s. est cependant délicate et on ne sait s’ils relèvent d’éventuelles célébrations collectives, en particulier pour les importantes séries monétaires collectées dans certains sanctuaires, ou plutôt d’actes individuels et ponctuels. La quantité considérable de numéraire recueillie dans les deux mithraea documentés, à Angers (S.2) et à Septeuil (S.122), montre pourtant que des lieux fréquentés par de petites communautés, rassemblant tout au plus une vingtaine ou une trentaine d’individus, peuvent concentrer des centaines de monnaies tardo-antiques (cf. supra, 6.1.2). Il est probable qu’une partie des autres espaces cultuels ait encore accueilli des cultores venus célébrer, à des dates précises ou plus aléatoirement, des divinités honorées depuis plusieurs siècles, mais rien n’indique qu’il s’agissait encore de foules de dévots réunies à l’occasion de fêtes publiques. En effet, on ignore tout de l’éventuelle implication des cités dans les sanctuaires qui étaient publics durant le Haut-Empire et qui sont encore fréquentés au cours du ive s. Si les écrits des panégyristes éduens « révèlent en creux le maintien de l’emprise des autorités civiques sur les cultes païens locaux » d’Autun et de son territoire au début du ive s. (Hostein et al., 2014, p. 206), rien n’est moins sûr pour les autres cités ni à une date plus avancée de ce siècle. Ainsi, à Allonnes (S.9), les nombreuses monnaies introduites ou perdues jusqu’au milieu du ive s. au sein du monument de la Forêterie, consacré à Mars Mullo au cours du Haut-Empire, sont-elles le signe d’une fréquentation encore intense, liée au maintien des célébrations publiques ? L’abandon des autres composantes principales de l’armature religieuse des Cénomans, dès la fin du iiie s., permet d’en douter (cf. supra, 6.3.3.1). Il est vrai que les cultes publics ont pu avoir été recentrés, à cette période et pour quelques décennies seulement, dans le principal sanctuaire de la civitas. Néanmoins, on ne peut écarter l’hypothèse, au regard de la situation observée dans d’autres lieux de culte contemporains, que le site de la Forêterie soit resté partiellement fréquenté par quelques dizaines ou centaines de dévots en parallèle d’un chantier de démolition long de plusieurs décennies, ou bien à l’issue de la destruction de certains de ses équipements. L’image globale qui ressort de l’analyse des sites du ive s. est plutôt celle de sites peu entretenus, voire ruinés, qui ne seraient plus fréquentés que par des groupes de cultores résidant dans les environs : « on pourrait parler pour le ive s. d’un paganisme de circonstance, pragmatique, articulé sur des cercles communautaires étroits, par opposition à l’ancien paganisme fondé sur la cité et encadré par les grands sacrifices publics ordonnés et financés par les magistrats et les prêtres » (Van Andringa, 2017a, p. 318-319). Le déclin des cultes publics au cours du ive s., voire dès le iiie s., n’est d’ailleurs pas spécifique à la province étudiée, puisque l’absence de restaurations du patrimoine religieux, du moins dans les villes, touche d’une manière générale l’ensemble des régions de l’Empire romain (Lavan, 2011, p. XLII-XLIII). En ce qui concerne plus spécifiquement le centre et l’ouest de la Lyonnaise, la mauvaise connaissance des niveaux les plus récents de la plupart des lieux de culte encore en activité durant le ive s. complique cependant la lecture des vestiges et on ne peut alors que rarement déterminer l’état du site et les circonstances des ultimes offrandes.

130Quoi qu’il en soit, alors que le christianisme, désormais favorisé par le pouvoir impérial, se diffuse progressivement dans les cités de Lyonnaise (cf. supra, 6.3.4), les abandons se poursuivent assurément dans le courant du ive s. et, en particulier, vers le milieu et au cours de la seconde moitié de ce siècle, voire au début du suivant (fig. 336). Sur le territoire des cités, les derniers temples privés des villae périclitent généralement avec les domaines dont ils dépendent (cf. supra, 6.3.3.2), tandis que d’autres lieux de culte, isolés ou rattachés à des agglomérations secondaires, ou même établis en périphérie de chefs-lieux – à Meaux (S.158), par exemple – restent parfois fréquentés jusqu’à la fin du ive s. De même, le dynamisme des mithraea n’est enrayé que durant la dernière décennie de ce siècle ou à l’aube du ve s. La violence de certains chrétiens envers le polythéisme, à l’exemple de saint Martin, et le succès naissant de leur religion ont pu accélérer la désertion des derniers sanctuaires, entre le terme du ive s. et le début du ve s., voire mener à leur destruction violente, bien que les témoins de tels dommages soient difficiles à identifier sur le terrain. En tout état de cause, le paysage religieux de la seconde moitié du ive s. semble se composer avant tout de sites désorganisés et dont la monumentalité, pour les plus imposants, avait dû être flétrie au fil des décennies précédentes par l’absence de travaux de réparation et par les matériaux peu à peu prélevés pour être recyclés. Si l’offrande monétaire est restée relativement fréquente sur quelques sites des cités centrales de la province durant le troisième quart, voire au cours des derniers temps du ive s., il est probable que les pouvoirs publics ne prenaient alors plus part, depuis un certain temps, à l’organisation des cultes polythéistes et au maintien des sanctuaires encore équipés de statues divines et d’autels. Ces lieux de culte, peut-être placés sous la protection de quelques notables locaux ou laissés ouverts à tout-va, sont les ultimes témoins « d’un paganisme qui n’était plus depuis longtemps irrigué par les grands sacrifices communautaires », mais qui, à la lecture de la Vie de saint Martin, était encore pratiqué, a minima en dehors des principales villes et dans un cadre exclusivement privé, sous la forme de dévotions individuelles, d’hommages rendus aux statues de culte ou de processions (Caseau, 2004 ; Hostein et al., 2014, p. 207 ; Van Andringa, 2017a, p. 318-319). Les traces laissées par les dévots dans les sanctuaires – du moins celles que l’archéologie peut mettre en évidence – disparaissent, sans doute avec les dieux dont les dernières images ont dû être abattues ou récupérées, au plus tard au début du ve s., alors que les païens de l’Empire romain sont progressivement mis en marge de la société (Lavan, 2011, p. XLII).

6.4. Le devenir des anciens sanctuaires, entre démantèlement et réappropriation

131L’histoire des temples et des autres annexes des sanctuaires antiques ne s’achève pas avec celle des dieux, car si une partie de ces constructions a certainement été démolie dès l’arrêt des pratiques religieuses, d’autres sont restées en élévation plusieurs siècles durant. Leurs ruines, marquant le paysage, ont parfois été réinvesties à des fins diverses, servant d’abri temporaire ou de lieu de résidence plus durable ; d’autres, plus rarement et après un hiatus de plusieurs siècles, ont été réaménagées par les chrétiens pour être transformées en chapelles ou en mausolées, tandis que des nécropoles se développent à leurs abords ou en leur sein.

6.4.1. Démolition et réemploi : transformer le lieu de culte en carrière

132Les témoins des destructions entreprises dans les sanctuaires désertés ou en cours d’abandon, dans le but d’extraire les matériaux pouvant être réutilisés pour d’autres usages, ont été conservés pour nombre de sites, depuis de modestes temples jusqu’à de grands monuments, dont l’élévation atteint aujourd’hui encore plusieurs mètres dans certains cas. Les niveaux formés au cours des opérations de démantèlement, lorsqu’ils ont pu être étudiés, révèlent alors que ce processus a pu s’étirer sur quelques décennies, voire plusieurs siècles, et que le démontage et le recyclage ont parfois fait l’objet d’un processus méthodique et planifié (cf. Aubin et al., 2014, p. 234-235, pour les cités de l’ouest de la Lyonnaise).

133Le débitage et la récupération des blocs et des moellons, voire des tuiles qui composaient l’élévation et la couverture des édifices, ont parfois été entrepris, jusqu’à leur destruction partielle ou totale, dès la fin de l’Antiquité, sans doute dans les années ou les décennies qui ont suivi la fermeture du lieu de culte. Ainsi, des niveaux de démolition, accumulés aux abords méridionaux du temple de la villa de Noyal-Châtillon-sur-Seiche (S.192) au cours du ive s., contiennent des débris de tuiles, des déchets de taille et de moulures ébauchées en schiste, ainsi que quelques dalles ou plaques de marbre. A. Provost y restitue alors un probable atelier de taille de pierre, installé au sein de l’ancien espace cultuel, mais on ne sait si les matériaux qui y étaient travaillés proviennent uniquement du temple ou, plutôt, des diverses constructions de la pars urbana (Provost et Le Bouteiller, 1986, p. 65-66). De même, un atelier de débitage et de façonnage de pierres de tuffeau a sans doute été aménagé, dès la seconde moitié du ive s., près du temple plus imposant de Mauves-sur-Loire (S.167), dont les environs proches étaient couverts d’une couche limoneuse, riche en éléments de tuffeau brisé voire émietté, dont certains sont moulurés, et de fragments de terres cuites architecturales (Monteil et al., 2009).

134À la même période, des ouvriers ont procédé à la destruction du monument sculpté qui se dressait dans un petit enclos accolé au péribole du sanctuaire peut-être principal de l’agglomération de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (S.127), et autour duquel des monnaies avaient été vraisemblablement lancées ou déposées jusqu’à la fin du ive s. Les blocs qui en formaient l’élévation ont alors été retaillés sur place et creusés pour être transformés, notamment, en sarcophages. Par ailleurs, des fours à chaux, aménagés à la fin du ive s. et au ve s. à une centaine de mètres plus à l’ouest, ont très vraisemblablement été utilisés dans le cadre du recyclage d’une partie des blocs issus des bâtiments du lieu de culte, mais aussi de propriétés privées voisines (Blin, 2000, p. 113 ; Blin, 2016a, p. 185-187).

135Si les blocs ou les moellons ainsi récupérés n’ont laissé aucune trace, les déchets générés au cours de leur extraction et de leur taille ont généralement été abandonnés sur place, s’amoncelant à proximité des édifices en ruine ou intégralement démontés. Ces rejets se concentrent alors au sein de couches d’épaisseur variable, recelant aussi des tuiles ou des briques brisées, ou encore des morceaux d’enduits peints ou non, qui ne pouvaient être réutilisés à d’autres fins. Par ailleurs, d’autres éléments non recyclables ont été enfouis, comme à Macé (S.196), dans une ou plusieurs fosses, parfois avec des objets de diverses natures – tessons de céramique, restes fauniques, monnaies, etc. – correspondant aux vestiges de cérémonies et d’offrandes (cf. supra, 6.3.2). Ces derniers, qui avaient été manipulés au sein du sanctuaire lorsqu’il était encore en activité et qui fournissent alors un terminus post quem pour sa démolition, sont parfois aussi présents dans les épandages de débris gisant auprès des édifices. Il est cependant difficile de distinguer les objets relevant des derniers temps de la fréquentation du lieu de culte de ceux qui auraient pu être perdus par les récupérateurs de matériaux, à l’issue de son abandon (cf. supra, 6.1.1).

136Les fouilles programmées ou préventives menées récemment sur certains grands monuments publics ont mis en évidence les vestiges d’importants chantiers, sans doute programmés dès l’Antiquité tardive par les autorités civiques pour récupérer ou recycler soigneusement tous les matériaux qui pouvaient l’être, et les réinvestir dans d’autres chantiers urbains. De tels travaux ont probablement été entrepris sur plusieurs sites où ils n’ont guère laissé de témoins, puisque le réemploi a été quasi systématique – à Corseul (S.134 ; Provost et al., 2010, p. 221-223), par exemple, pour les éléments lithiques, ou à la Forêterie à Allonnes (S.9 ; V. Brouquier-Reddé et K. Gruel, in Aubin et al., 2014, p. 240-241), pour les tuiles de la toiture. En revanche, les aménagements mis en place pour abriter ou faciliter les opérations de démontage et d’évacuation des matériaux ont parfois laissé des traces caractéristiques. À Chartres, par exemple, la destruction du monument périurbain de Saint-Martin-au-Val (S.101), survenue peu après sa désaffectation durant la première moitié du iiie s., semble avoir été étalée sur plusieurs décennies, probablement sur près d’un siècle. Dès le début des travaux, le pavillon nord-est et les galeries adjacentes commencent à être démolis : les moellons de calcaire et de silex et les blocs qui les composent sont retaillés sur place et récupérés, à l’instar des terres cuites architecturales, sans doute pour être remployés dans d’autres constructions. Dans le même temps, des bâtiments en matériaux périssables, dont témoignent deux séries de trous de poteau encadrant l’exèdre du pavillon nord-est, sont adossés à l’ancien monument, en cours de démolition ; ils peuvent correspondre à des ateliers, des logements ou des espaces de stockage provisoires, destinés à faciliter l’exploitation du chantier de destruction. En outre, deux ateliers de bronzier, où sont aussi pratiquées des activités de forge, sont aménagés dans les années 260, à quelques mètres plus au nord. Dans un temps relativement court, des produits métalliques, sans doute issus de l’ancien complexe monumental – dont des éléments de statuaire en alliage cuivreux ? –, y ont été recyclés. Enfin, au début du ive s., ce sont deux fours à chaux qui sont installés à une vingtaine de mètres plus au nord, pour transformer des blocs de calcaire extraits sur le site (Bazin dir., 2013, p. 116-127 ; Bazin et al., 2014, p. 19-21).

137Au Vieil-Évreux, la démolition du sanctuaire central (S.79) a été effectuée en deux étapes : la première a lieu dès la seconde moitié du iiie s., vers 275, et est sans doute entamée peu de temps après sa clôture définitive ; elle vise manifestement à priver le monument de certaines de ses composantes, dans l’optique de le transformer en édifice fortifié (cf. supra, 6.3.2 et infra, 6.4.2). Puis, peu après l’abandon de ce dernier, resté en activité jusqu’aux années 330, un nouveau chantier de démolition est mis en place au-devant de l’ancien temple principal pour démonter, débiter, scier et tailler des blocs et des éléments de décor prélevés sur le monument (Guyard et al., 2014, p. 48-50 ; Bertaudière et al., 2019, p. 476-495). Les fosses d’ancrage d’une possible machine de levage, qui aurait aidé au démantèlement des élévations, un probable chemin de chantier, délimité par des alignements de blocs, ou encore les vestiges d’un atelier temporaire, où l’on sciait les éléments architecturaux que l’on souhaitait récupérer, ont effectivement été reconnus dans un proche périmètre autour du bâtiment de culte désaffecté. Une partie des débris qui ont été jugés inutilisables ont été rejetés dans un puisard voisin de l’ancien temple, servant désormais de dépotoir.

138Enfin, à Troyes (S.235), les opérations de démolition ont également été divisées en plusieurs tranches, puisque le démontage, méthodique, a d’abord concerné la façade septentrionale du vraisemblable quadriportique du sanctuaire suburbain, à une date postérieure au milieu du iie s., puis sa galerie orientale, dans le courant du ive s., voire au début du ve s. ; les autres ailes n’ont pas été étudiées, tandis que la destruction du temple, postérieure à 330, n’a pu être datée avec précision. En raison de la rareté des fossiles directeurs utiles à la datation du chantier, on ignore toutefois si un temps d’arrêt a été véritablement marqué entre les différentes étapes, ou si le démantèlement progressif s’est inscrit dans un seul programme. Dans tous les cas, après avoir prélevé les éléments du décor plaqué ou peint, les ouvriers ont procédé à la récupération des maçonneries ; comme à Chartres, un atelier métallurgique a été installé dans l’ancien portique septentrional, alors disparu, sans doute afin de recycler les métaux provenant de l’architecture du monument, et peut-être de ses ornamenta. Dans ce secteur, des déchets de divers types (gouttelettes de plomb et débris de plaques et de tôles en alliage cuivreux, découpées en lamelles, fragments de moules ou de creusets en terre cuite, plusieurs dizaines de kilogrammes de scories) gisent au sol ou ont été piégés dans des fosses qui perforent ce dernier, à l’instar de plusieurs structures de combustion et de fosses de vidange riches en charbons de bois (Driard, 2014).

139Ces chantiers de plus ou moins grande ampleur ont rarement abouti à l’anéantissement total des élévations ; ils ont probablement été menés en fonction des besoins locaux en matériaux de construction, au cours d’une ou de plusieurs phases. Ainsi, au Haut-Bécherel, près de Corseul (S.134), en dépit d’un vraisemblable nettoyage et d’un incendie – dont les causes sont incertaines (cf. supra, 6.3.1) – de l’ancien sanctuaire monumental, le bâti de ce dernier a tout de même été en partie conservé, puisque sa cella s’élève encore de nos jours sur une dizaine de mètres de haut (fig. 51, a). Ses ruines ont d’ailleurs été fréquentées tout au long du Moyen Âge, probablement par des carriers à la recherche de matériaux à exploiter : des monnaies émises entre les xiie s. et xviie s. ont été découvertes dans les niveaux postérieurs à la destruction du lieu de culte (Provost et al., 2010, p. 224-225). À Genainville, le lieu de culte monumental des Vaux-de-la-Celle (S.260), dont la démolition a débuté dès la seconde moitié du iiie s. (cf. supra, 6.1.1.2), ainsi que le théâtre voisin ont également servi de carrière de pierre après l’Antiquité, en particulier durant la période mérovingienne. Certains blocs ont effectivement été retaillés sur place pour réaliser des sarcophages et des stèles, dont les produits finis ont été exportés au-delà du site, tandis que les ébauches inachevées ou les éléments accidentellement brisés lors de la fabrication ont été abandonnés sur place. Par la suite, des colluvions ont progressivement colmaté le fond de la vallée où se déployait l’ensemble monumental, et vers le xive s., ou plus tard, les alentours de l’ancien temple, alors en ruine et couvert d’un monticule, ont été mis en culture : en témoignent des traces de charrue ou d’araire observées sur certains blocs effondrés du monument (Mitard, 1993, p. 276-280 ; Vermeersch, 2012, p. 240 ; Barrière et Vermeersch, 2017, p. 117 ; Barrière et al., 2019, p. 32). Quelques tessons et monnaies épars attestent aussi la fréquentation, voire la réoccupation de ce site tout au long du Moyen Âge et de l’époque moderne, comme à Jublains (S.32), où l’ancien sanctuaire périurbain, abandonné vers le milieu du ive s. et laissé à l’état de ruines, a livré plusieurs témoins – des tessons de céramique et une monnaie – datés entre la fin du xve s. et le xviie s. (Naveau et al., 1997, p. 199-200). Les vestiges des monuments de la Forêterie à Allonnes (S.9 ; Bouvet dir., 2001, p. 107 ; Brouquier-Reddé, Gruel dir., 2004, p. 292) et de Meaux (S.158 ; Griffisch et al., 2008, vol. 2, p. 799) ont également été fréquentés jusqu’au xviiie s., pour y récupérer des pierres, comme l’indiquent plusieurs témoignages littéraires, pour le premier, et des plans anciens pour le second.

140Si une partie des vestiges de ces différents sites a été conservée en élévation jusqu’à nos jours, malgré les dégradations subies au cours des siècles, les édifices de la plupart des anciens sanctuaires ont été arasés jusqu’au sol, voire ont été dépouillés de leurs fondations, dans le cadre de récupérations intensives. Tandis que pour nombre de sites, l’absence de mobilier postérieur à l’Antiquité pourrait indiquer que la destruction est ancienne, pour d’autres, la présence d’objets erratiques semble au contraire indiquer que la disparition des derniers vestiges résulte de récupérations ou d’une mise en culture plus récente, datée entre le Moyen Âge et le xixe s. Ainsi, le remplissage des tranchées de récupération des murs des temples de Bauné (S.4 ; Mare dir., 1995, p. 15) et de Villeneuve-le-Comte (S.164 ; Bet dir., 2018, p. 72) recèle quelques tessons du haut Moyen Âge, tandis que ce sont des débris de céramiques produites entre le xve s. et le xixe s. qui proviennent de contextes similaires à Juvigné (S.36 ; Bossard et Dufay-Garel dir., 2016, p. 158-160). À Aubigné-Racan (S.11), la destruction du temple et la récupération de ses moellons et de ses blocs ont peut-être débuté dès la fin de l’Antiquité, puis se sont poursuivies dans le courant du Moyen Âge : leur remploi a pu servir à la construction de plusieurs églises situées dans les communes voisines, en particulier à Verneil-le-Chétif (Sarthe). Les ruines de l’ancien lieu de culte semblent donc avoir été activement exploitées en tant que carrière au xiie s. ; du passage des récupérateurs, témoigne d’ailleurs la découverte de tessons de céramique, de monnaies et d’une clef datés de cette période (Lambert et Rioufreyt, 2006, p. 225). Évoquons enfin l’exemple, parmi d’autres, du monument de la Motte du Ciar à Sens (S.226), qui était encore conservé sur près de 5 m de haut à la fin du xviiie s., avant qu’il ne soit activement exploité en tant que carrière de pierre jusqu’au milieu du xixe s. ; ces destructions tardives ont d’ailleurs déclenché, en 1844, les premières investigations archéologiques, menées en réaction à la disparition de ce fragment du patrimoine antique sénonais.

6.4.2. De nouveaux occupants : le déploiement d’activités profanes

141Dans d’autres sanctuaires abandonnés et partiellement ruinés, les vestiges postérieurs à l’arrêt des pratiques religieuses, qu’il s’agisse de mobilier ou d’aménagements plus ou moins durables, sont le signe d’une réoccupation des lieux pour des activités profanes, ayant eu lieu à diverses périodes (cf. Aubin et al., 2014, p. 235 pour les cités occidentales de la Lyonnaise). Pour autant, il n’est pas toujours évident d’interpréter les traces de fréquentations ultérieures, notamment lorsqu’elles se limitent à de rares tessons de céramique ou à quelques structures isolées, sans que l’on puisse déterminer si les anciens bâtiments sont encore partiellement en élévation ni s’ils ont été délibérément choisis comme refuge temporaire ou pour y établir un habitat plus pérenne. Ainsi, à Chilleurs-aux-Bois (les Tirelles, S.103), plusieurs fonds de cabane, un silo, des fours, un fossé de parcellaire et des fosses de morphologies diverses, datés entre le ive s. et le vie s., relèvent d’une réoccupation peut-être immédiate des abords de l’ancien sanctuaire, alors désaffecté. Si les murs de la cella du temple sont manifestement restés en élévation jusqu’au viiie s., au moins – en témoigne un petit lot de tessons de céramique du haut Moyen Âge, piégés dans les tranchées d’épierrement de ses fondations –, on ne peut prouver que cette construction a bien été réinvestie, ni de quelle manière, dans le cadre de ce modeste habitat alto-médiéval (Fournier dir., 2010, vol. 1, p. 271, p. 387-479 et p. 449-460 ; 2016, p. 63-80). De même, à La Villeneuve-au-Châtelot (S.236), une nécropole se développe au vie s. aux abords d’une possible chapelle, située à quelques dizaines de mètres au sud de l’ancien sanctuaire, abandonné depuis la toute fin du ive s. ou le début du ve s. ; trois grandes fosses datées du haut Moyen Âge, ainsi qu’une éventuelle concentration de cent-dix petits trous de poteau, indiquent que l’ancienne aire sacrée est également réoccupée, mais on ne peut caractériser l’état de ses ruines à cette époque (Piette, 1989, p. 253 et 2018, p. 173 ; Bataille, 2008, p. 48).

142Dans d’autres cas, il semble assuré qu’un habitat ou des installations à vocation artisanale ont été aménagés dans les murs d’un ancien sanctuaire, et ce peu de temps après que ne cessent les activités religieuses, généralement dès le courant du ive s. À Bennecourt (S.254, ph. 7), la réoccupation d’une partie du site à des fins profanes a même lieu dès la seconde moitié du iiie s., alors qu’il est encore manifestement fréquenté, jusqu’à la fin du ive s., par une communauté de dévots – s’agit-il des nouveaux occupants ou d’autres visiteurs, résidant dans les environs ? De même, à Orléans (S.114, ph. 4), l’ancien lieu de culte, dont plusieurs aménagements ont été détruits durant le troisième quart du ive s., continue d’être occupé par la suite, mais on ne peut dire ici si les pratiques religieuses se poursuivent en parallèle jusqu’à la fin du siècle, ou bien si les dépôts les plus tardifs sont uniquement liés aux activités domestiques et artisanales qui y étaient alors réalisées (cf. supra, 6.1.1.2).

143À Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, S.204), en revanche, la nature des vestiges identifiés laisse penser que durant le troisième quart du ive s., au plus tôt, la nouvelle occupation du site, d’une nature inédite et précaire, est bien dépourvue de tout lien avec d’éventuelles pratiques rituelles (Parthuisot et al., 2008 ; Pilon, 2012, p. 120 et 2016, p. 22 et p. 35). Celles-ci auraient alors pris fin quelques années auparavant, tout au plus, puisque les monnaies de la première moitié du ive s. sont abondantes et semblent ainsi avoir été introduites en tant qu’offrandes, tandis que l’un des temples de ce sanctuaire aurait été agrandi ou restauré au plus tôt en 318-319 (cf. supra, 6.1.1.2). Après le milieu du ive s., alors que l’agglomération associée est toujours occupée, les transformations opérées au sein de l’ancienne aire sacrée évoquent le développement d’un habitat ou d’artisanats variés, s’effectuant en parallèle de la destruction d’une partie des édifices. De fait, le sol de l’une des cinq cellae alignées (C2) de l’ancien lieu de culte est excavé et son espace est scindé en deux parties ; un four est installé à l’est et le sol environnant est recouvert de morceaux de planches et de pièces de bois, ensuite carbonisés. D’autres aménagements, cette fois-ci non datés, ont été identifiés dans un autre temple probablement désaffecté (A2), et pourraient en être contemporains : après destruction de son vestibule et décaissement de son sol, un lit de gravats y est répandu, puis un grand cadre en bois, couvert de planches et de fonction indéterminée, y est installé. Par ailleurs, après la démolition partielle ou totale de certains bâtiments de l’ancien sanctuaire, l’espace situé à l’ouest de la rangée de temples est remblayé sur plus d’un demi-mètre et, en surface, le sol de la cour est revêtu d’amas ponctuels de petits éclats calcaires et de plaques de mortier de chaux, issus de travaux réalisés à proximité des murs. La destruction du monument a d’ailleurs été poursuivie à la fin du ive s. ou au début du ve s., comme en témoigne le mobilier piégé dans le comblement des tranchées de récupération de plusieurs murs, puis le site semble avoir été abandonné durant plusieurs siècles.

144En périphérie septentrionale de la même agglomération secondaire, les aménagements sommaires qui sont mis en place dans la seconde moitié du ive s. au sein du sanctuaire des eaux de la Tannerie (S.205), comprenant notamment plusieurs foyers et une retenue d’eau, pourraient aussi relever d’une réoccupation profane, bien que les conditions des fouilles ne permettent ici de l’assurer (Revenu, 2008, p. 77). De même, c’est dans un cadre à demi ruiné qu’aurait été installé, à Douarnenez (S.170) et dès la première moitié du ive s., « une sorte d’habitation en fosse », qui aurait été creusée dans le temple alors désaffecté, « un parement de pierres sèches se superposant [à son] mur dérasé » – mais la documentation issue de la fouille est également imprécise. Quoi qu’il en soit, le site reste fréquenté, ou occupé, jusqu’à la fin du ive s., au minimum (Sanquer, 1979b, p. 68 et 1981, p. 327 ; Aubin et al., 2014, p. 235). Enfin, à Oisseau-le-Petit (les Busses ; S.20), plusieurs aménagements, sans doute tardifs mais dont la chronologie est incertaine, ont été bâtis dans l’enceinte du lieu de culte et notamment dans son quadriportique, probablement en partie démoli ; il s’agit de pièces quadrangulaires occupant ses angles, de foyers et d’un bac maçonné, ainsi que d’un nouveau sol bétonné. Ils pourraient être liés à des activités artisanales, notamment métallurgiques, dont témoigneraient deux importants amas de scories et de coquilles d’huîtres, rejetés au nord du péribole, peut-être dans le courant du ve s., tandis que la fin des pratiques religieuses est datée des dernières décennies du iiie s. ou du début du ive s. (Lambert et Rioufreyt, 1987 ; Monteil et al., 2015, p. 104-105).

145La transformation de l’ancien sanctuaire central du Vieil-Évreux (S.79), dès les années 270, constitue un cas à part – et même unique dans les Gaules, en l’état des connaissances–, puisque le monument, alors désaffecté et privé d’une partie de son ornementation et de ses équipements, est fortifié (cf. supra, 8.3.2 ; Guyard et al., 2012 et 2014, p. 48 ; Lepetz et Bourgois, 2018, p. 174-178 ; Bertaudière et al., 2019). De fait, il est dès lors ceinturé par un ensemble de fossés et de puissants talus, tandis que de probables constructions légères sont érigées dans l’ancienne cour – l’empreinte d’une sablière basse y a ainsi été identifiée (fig. 337). À la fréquentation de ce castellum, qui dure jusqu’aux alentours de 330, sont associés des traces d’artisanats, des tessons de céramique, des monnaies, mais aussi des ossements humains, découverts sur le bord du talus. Le comblement de l’un des puisards localisés dans les anciennes galeries de liaison des temples, qui a été remblayé à partir de cette phase, a aussi livré un abondant mobilier, lié entre autres à l’occupation militaire des lieux, et notamment des armes offensives et défensives. La fortification du site doit ici être mise en rapport avec le déploiement, à partir de la fin du iiie s., d’enceintes tardo-antiques dans les cités des Gaules, que ce soit au sein de leur chef-lieu ou sur leur territoire (cf. supra, 6.3.3.1 et 6.3.5 ; Kasprzyk et Monteil, 2017, p. 5-7). La position du sanctuaire, à quelques kilomètres d’Évreux, ainsi que les dimensions et la morphologie des anciens temples sur podium, qui pouvaient probablement constituer un refuge sûr en y apportant les remaniements adéquats, ont sans doute été déterminants lorsque la cité éburovice a procédé à la mise en défense de son territoire.

Figure 337 : Plan du castellum du Vieil-Évreux (Eure), réinvestissant entre le dernier quart du iiie s. et le premier tiers du ive s. l’ancien sanctuaire monumental de l’époque sévérienne.

Figure 337 : Plan du castellum du Vieil-Évreux (Eure), réinvestissant entre le dernier quart du iiie s. et le premier tiers du ive s. l’ancien sanctuaire monumental de l’époque sévérienne.

Réal. S. Bossard, d’après Bertaudière et al., 2019, p. 472, fig. 1.

146Enfin, sur d’autres sites, les aménagements à caractère profane qui ont pu être identifiés sont plus tardifs et les nouveaux occupants ont sans doute alors profité de la présence de murs, dont le bon état de conservation permettait d’y adosser ou de protéger des structures plus modestes, relevant d’un habitat ou d’un atelier artisanal. Ainsi, à Vannes (S.278), dans le courant du viiie s. ou du ixe s., un four est appuyé contre l’un des murs du sanctuaire de l’époque romaine ; à ses abords, un niveau de circulation et une fosse de vidange ont aussi été reconnus. Plus tardivement, vers le xiiie s. ou le xive s., une structure semi-circulaire en pierre, abritant deux petites fosses circulaires d’usage indéterminé, sera aussi bâtie au cœur du site et endommagera les maçonneries antiques (Baillieu et Simon, 2000, vol. 1, p. 43-44). Par ailleurs, à Troyes (S.235 ; Driard, 2014, p. 37), lorsque les ruines du sanctuaire périurbain antique sont gagnées, au xiiie s., par les faubourgs de la ville médiévale, le mur oriental de l’ancien péribole est reconverti en clôture d’un habitat, tandis qu’à Corseul (le Haut-Bécherel, S.134), au xvie s., le bâtiment central d’une ferme, encore en élévation aujourd’hui, est édifié contre le mur du portique méridional du monument, à l’extérieur de l’ancienne aire sacrée (Provost et al., 2010, p. 225).

6.4.3. Du temple à la chapelle ou au mausolée, de l’aire sacrée au cimetière : une reconversion souvent tardive

147Durant la période médiévale, et en particulier au cours du haut Moyen Âge, une quinzaine d’anciens sanctuaires a aussi été réoccupée à des fins funéraires (tabl. XI), tandis que seuls de rares temples ont manifestement été réaménagés pour être transformés en chapelles, alors associées à plusieurs sépultures.

Tableau XI : Caractéristiques des sépultures à inhumation postérieures à l’abandon des sanctuaires.

Commune Lieu-dit Nombre de sépultures Mode d’inhumation Localisation Mobilier et chronologie Bibliographie
S.11 Aubigné-Racan Cherré 39 En pleine terre, en cercueil ou dans un coffre en pierre, pour au moins 5 sépultures Le long des murs du temple Pas de mobilier ; haut Moyen Âge ? Lambert et Rioufreyt, 2006, p. 224
S.18 Neuville-sur-Sarthe Le Chapeau 11 En pleine terre ou en cercueil, dans un coffre en brique ou en pierre Deux ensembles à proximité du temple I et deux sépultures isolées dans les tranchées d’épierrement des murs de l’édicule G et du temple J 1 sépulture avec mobilier (boîte à sceaux, bouteille en verre et autres verreries) de la fin du iiie s. ou du début du ive s. ; 570-937 pour 4 sépultures (radiocarbone) Guillier (dir.), 2020, p. 147-161
S.36 Juvigné La Fermerie 1 En pleine terre Dans la double galerie située en façade orientale du sanctuaire - Bossard, 2014, vol. 1, p. 53
S.52 Condé-sur-Iton Le Val 1 ou 2 En pleine terre ; un sarcophage à moins de 100 m au nord À 8 m au sud-est du temple Fragment de plaque-boucle mérovingienne issue de la tranchée de récupération des murs du temple Le Maho et al. (dir.), 2007, p. 15 et 62
S.61 Guichainville Le Devant de la Garenne 4 à 6 En pleine terre Dans la cour du sanctuaire 771-959 et 1229-1381 pour 2 sépultures (radiocarbone) Flotté et al., 1996, vol. 1, 3.7 et vol. 2
S.78 Le Vieil-Évreux Cracouville 11 ? En pleine terre ? Dans le secteur oriental du sanctuaire, près de la construction T Quatre sépultures avec épée et troisième avec un ensemble d’objets datés de la fin du viie s. (fibules ansées, grande boucle de ceinturon en fer damasquiné d’argent et vase en terre noire contenant deux perles de verre) Bonnin, 1860, p. 12 et pl. XVI-XVII ; Baudot, 1936, p. 79, note 15 ; Cliquet et al., 1996, p. 15
S.87 Saint-Martin-de-Boscherville Abbaye Saint-Georges Plusieurs dizaines Sarcophages de craie, pour la plupart Une quinzaine de sarcophages dans le temple, réaménagé en chapelle funéraire, et au moins 4 autres au pied de ses murs À partir du viie s. Le Maho, 1995 ; Le Maho, 2004, p. 48-53 ; J. Le Maho, in Aubin et al., 2014, p. 247-248
S.101 Chartres Saint-Martin-au-Val Une vingtaine Sarcophages Dans l’église Saint-Martin-au-Val, édifiée dans la moitié occidentale du vaste quadriportique ve-viie s. Bazin (dir.), 2013, p. 92-93
S.114 Orléans La Fontaine de l’Etuvée 34 En pleine terre ? Moins de 10 dans l’ancien temple, en particulier dans sa cella, et une vingtaine au sud et au sud-ouest, réparties le long d’un même axe viie-xe s. (céramique et radiocarbone) Verneau et Noël (dir.), 2009, vol. 1, p. 418-427 ; Verneau, 2014, p. 108
S.150 Berthouville Le Villeret 12 ? En pleine terre, « sur les toitures affaissées » du sanctuaire Aux abords du temple A et dans la galerie des temples A et B - Le Métayer-Masselin, 1861, p. 419 ; Babelon, 1916, p. 17
S.151 Glanville Le Bois Émery 1 En pleine terre ? Dans la galerie du temple - Glanville, 1841
S.237 Amboise Les Châtelliers 1 En pleine terre, sur un lit de cailloux Au nord du temple - Peyrard, 1980
S.248 Tours Rue Nationale 13 (9 adultes et 4 enfants) ? Aux abords orientaux du temple 543-776 pour 3 sépultures (radiocarbone) Jouquand, 2007, p. 197
S.250 Portbail Le Clos Saint-Michel 3 Sarcophages Au pied du temple, contre son mur occidental À partir de la fin du viie s. ou du début du viiie s. ? Delahaye (dir.), 2008, p. 20-22 et 32
S.263 La Londe Le Vivier Gamelin 6 (4 adultes et 2 enfants) En pleine terre, dans les niveaux de démolition du temple ? Dans le temple Un adulte avec épée et poignard ; haut Moyen Âge ? Barbier de La Serre, 1890, p. 458-459 ; Hennion, 1975

Réal. S. Bossard.

148En ce qui concerne le développement d’espaces funéraires, les opérations archéologiques, menées parfois anciennement ou sur une emprise réduite, n’ont permis d’identifier qu’une seule tombe, généralement non datée, à trois ou quatre reprises, alors que dans plus d’un cas sur deux, c’est une dizaine à une trentaine de sépultures, pour la plupart datées entre le ve s. ou le vie s. et le xe s., qui ont été reconnues. Les inhumations, en pleine terre, dans des cercueils, des coffres formés de dalles ou de briques ou bien en sarcophage, ont alors eu lieu au sein même d’un ancien temple, dans cinq cas, ou bien – le plus souvent – dans la cour du sanctuaire de l’époque romaine, que ce soit aux abords d’un édifice de culte désaffecté ou à plus grande distance.

149Ainsi, à Neuville-sur-Sarthe (S.18), l’essentiel des sépultures est dispersé dans le secteur des temples méridionaux (I et J), tandis qu’une autre tombe a été implantée dans l’ancienne cour à quadriportique (cf. supra, fig. 264). Alors que les plus anciennes sépultures, dont une fosse pourvue d’un fond et de parois tapissées de briques, ont été aménagées dès la fin du iiie s., soit au moment de l’abandon du lieu de culte, les autres sont manifestement plus tardives, car datées, grâce à des analyses radiocarbone, entre le vie s. et le xe s. Ici comme pour d’autres sites, où les quelques inhumations sont éparpillées dans l’ancienne aire sacrée – à Condé-sur-Iton (S.52) et Guichainville (S.61), par exemple, mais aussi à Juvigné (S.36) ou à Amboise (S.237), où une seule tombe a été identifiée –, il semble peu probable que la présence de vestiges antiques, dont on ne connaît d’ailleurs pas l’état dans le courant du Moyen Âge, ait été déterminante lors de l’implantation des sépultures.

150Cependant, à Berthouville (S.50 ; fig. 338) et à Aubigné-Racan (S.11 ; fig. 339), les corps, non datés, ont été enterrés au pied des temples, voire à l’intérieur de leur galerie ou de leur vestibule, et leur orientation respecte globalement celle de ces édifices. Ces derniers devaient alors être encore partiellement en élévation – la destruction de celui d’Aubigné-Racan intervient d’ailleurs, pour l’essentiel, au xiie s., soit probablement après l’installation des sépultures (cf. supra, 6.4.1) –, mais aucun indice ne permet d’affirmer que leurs ruines étaient encore visitées en parallèle de la nécropole, voire qu’ils avaient été réaménagés à cette occasion.

Figure 338 : Vestiges de la partie occidentale du sanctuaire de Berthouville (Eure) et emplacement des inhumations postérieures à son abandon.

Figure 338 : Vestiges de la partie occidentale du sanctuaire de Berthouville (Eure) et emplacement des inhumations postérieures à son abandon.

In Babelon, 1916, p. 17.

Figure 339 : a : localisation des sépultures médiévales installées auprès de l’ancien temple d’Aubigné-Racan (Sarthe) ; b : vue de détail de deux inhumations.

Figure 339 : a : localisation des sépultures médiévales installées auprès de l’ancien temple d’Aubigné-Racan (Sarthe) ; b : vue de détail de deux inhumations.

In Lambert et Rioufreyt, 1987b.

151En revanche, pour d’autres exemples, l’association étroite entre les vestiges du temple, alors remaniés, et certaines sépultures indique sans conteste que l’ancien bâtiment de culte, vraisemblablement à l’état de ruines, est reconstruit, au plus tôt au cours du viie s., et sert désormais de mausolée ou de chapelle funéraire.

152Ainsi, la cella du temple de Saint-Martin-de-Boscherville (S.87), abandonné depuis la fin du iiie s. ou la première moitié du ive s., est convertie en chapelle funéraire durant la première moitié du viie s., puis plusieurs dizaines de sépultures, pour la plupart installées dans des sarcophages en craie, sont aménagées en son sein ou à ses abords (fig. 340). Avant d’être transformé, l’édifice était en partie ruiné, entouré d’une couche de terres noires recelant de nombreux débris de terres cuites architecturales ; la galerie et sa toiture étaient vraisemblablement déjà détruites. Une probable abside semi-circulaire est alors bâtie à l’est, tandis qu’une nouvelle porte est percée à l’ouest et qu’un autel de pierre est vraisemblablement érigé à l’intérieur de la chapelle. Cet édifice chrétien, mentionné dès le milieu du xie s. sous le vocable de Saint-Georges, perdurera au cours des siècles suivants et sera progressivement transformé et agrandi dans le courant du Moyen Âge (Le Maho, 1995 ; 2004, p. 48-53 et in Aubin et al., 2014, p. 247-248).

Figure 340 : Plan de la chapelle funéraire installée au viie s. dans la cella de l’ancien temple de l’abbaye Saint-Georges à Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime).

Figure 340 : Plan de la chapelle funéraire installée au viie s. dans la cella de l’ancien temple de l’abbaye Saint-Georges à Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime).

In Aubin et al., 2014, p. 247, fig. 193.

153De même, les alentours du petit temple de Portbail (S.250), dépendant peut-être d’une villa au cours de l’Antiquité (cf. supra, 3.1.3.5), ont livré de nombreux vestiges du haut Moyen Âge, notamment une importante nécropole et un baptistère de plan hexagonal, construit dans le courant du vie s. à une douzaine de mètres à l’est (fig. 341). Si l’on ne peut dater l’abandon du temple, il est tout à fait probable que ses murs étaient encore perceptibles lors de l’édification du baptistère, puisque ce dernier est associé à une canalisation d’évacuation d’eau qui s’infléchit vers le sud pour le contourner. Par ailleurs, trois cuves de sarcophages ont été installées à son pied, contre le mur occidental, et orientées suivant un axe identique à celui du bâtiment ; d’autres sépultures de l’époque médiévale ou moderne, antérieures au xviie s., recoupent ses fondations, de même qu’un trou de poteau, qui pourrait être lié à une restauration sommaire de l’édifice (Delahaye, 1999, p. 19-22 ; dir., 2008, p. 25). Fr. Delahaye a alors émis l’hypothèse que l’église Saint-Michel de Portbail, détruite peu après 1697 et dont la localisation n’est pas connue avec précision, aurait été fondée à l’emplacement du temple antique, dès le haut Moyen Âge, en réemployant en tout ou partie les murs de l’ancien édifice cultuel, alors désaffecté et peut-être réaménagé. Dans un premier temps, cette chapelle baptismale aurait été associée au baptistère, puis elle aurait progressivement acquis une vocation funéraire, dès la fin du viie s. ou le début du viiie s. ; ce cimetière s’est développé tout au long de la période médiévale, avant d’être abandonné peu après la démolition de l’église Saint-Michel. Toutefois, aucune fondation de mur postérieure à l’Antiquité n’a été clairement identifiée au cours des sondages réalisés sur le site : si l’ancien temple a pu être réoccupé par la chapelle au début du Moyen Âge, l’emplacement de l’église postérieure, détruite à la fin du xviie s., demeure inconnu (Delahaye dir., 2008, p. 20-22 et 32).

Figure 341 : Vestiges des probables chapelles funéraires mérovingiennes de Portbail (Manche) et d’Orléans (Loiret), aménagées dans les ruines d’anciens temples de l’époque romaine, et de leurs abords.

Figure 341 : Vestiges des probables chapelles funéraires mérovingiennes de Portbail (Manche) et d’Orléans (Loiret), aménagées dans les ruines d’anciens temples de l’époque romaine, et de leurs abords.

Réal. S. Bossard, d’après Delahaye (dir.), 2008, pl. 4 ; Verneau et Noël (dir.), 2009, vol. 1, p. 379, fig. 170.

154Il est probable que la cella de l’ancien temple d’Orléans (S.114), démantelé au plus tôt à la fin du iiie s. ou au début du ive s., ait également été réaménagée en vue d’être utilisée en tant que modeste monument funéraire, entre le viie s. et le ixe s., alors que les autres aménagements du sanctuaire semblent ne plus exister. En effet, alors que se développe une série de maisons en terre et en bois, le long d’un chemin établi à moins de 100 m à l’est, un ensemble dense de sépultures est installé dans l’ancienne cella ; ses murs, sans doute en grande partie détruits, sont manifestement complétés par une construction légère, dont témoignent trois trous de poteau (fig. 341 et 342). En outre, en bordure méridionale des ruines du temple, d’autres inhumations, plus éparses, vraisemblablement plus tardives et alignées sur un même axe, ont été mises en place le long d’un probable autre axe de circulation, ou peut-être d’une limite parcellaire (Verneau, 2014, p. 108).

Figure 342 : Vestiges du temple d’époque romaine de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) et des sépultures implantées durant le haut Moyen Âge en son sein et à ses abords.

Figure 342 : Vestiges du temple d’époque romaine de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) et des sépultures implantées durant le haut Moyen Âge en son sein et à ses abords.

Cliché P. Neury (Inrap), in Verneau, 2014, p. 108, fig. 100.

155En guise de complément, évoquons brièvement quelques sites moins bien documentés, tel le temple de La Londe (S.263), exploré en 1890, puis de nouveau sondé en 1975 : ces deux campagnes ont mené à la découverte, au sein même du bâtiment, d’au moins six inhumations (Barbier de la Serre, 1890, p. 458 ; Hennion, 1975). Quatre d’entre elles renferment les corps d’adultes, mis au jour au contact du sol, vraisemblablement sous les niveaux de démolition accumulés au sein du temple, et les deux autres correspondent à des tombes d’enfants, enterrés dans la galerie. L’un des adultes est accompagné d’une épée et d’un poignard, orientant probablement la datation de cet ensemble, ou du moins d’une partie des sépultures, durant la période mérovingienne. Enfin, à Chartres (Saint-Martin-au-Val, S.101 ; Bazin dir., 2013, p. 92-93) et peut-être à Châteaubleau (l’Aumône/la Justice, S.204 ; Pilon, 2016, p. 35), notons qu’une église a été bâtie dans l’emprise de deux imposants sanctuaires publics, qui étaient respectivement situés en périphérie d’un chef-lieu et au centre d’une agglomération secondaire, et qu’elle pourrait éventuellement avoir succédé à une construction antique. L’église prieurale Saint-Martin-au-Val a effectivement été fondée, selon la tradition, durant le ve s., au cœur de l’ancien quadriportique du grand sanctuaire civique de l’époque romaine, en partie démonté dès le courant du iiie s. – et dont certains vestiges étaient alors encore en élévation ? La découverte, dans la nef, d’une vingtaine de sarcophages datés du ve s. au viie s. semble le confirmer ; saint Lubin, l’un des premiers évêques de Chartres (549-552), aurait d’ailleurs été inhumé à Saint-Martin-au-Val. De même, à Châteaubleau, l’église du bourg a aussi été vraisemblablement bâtie dans la moitié occidentale de l’ancien lieu de culte. L’état le plus ancien de cet édifice chrétien est daté du xie s., mais aucune fouille n’y a été menée et on ne sait, comme à Chartres, s’il remplace un éventuel bâtiment de culte antérieur.

  • 126 Cf. notamment : Delacampagne et Hincker, 2004, p. 64 et Le Maho, 2004 pour la Normandie ; Golosetti (...)

156Ainsi, la transformation d’un ancien temple en chapelle ou en monument funéraire, lorsqu’elle est avérée, intervient systématiquement après une période d’abandon d’au moins deux siècles, et n’a manifestement concerné que de très rares lieux de culte désertés, en lien ou non avec un habitat alto-médiéval. Ces constats ne sont pas spécifiques au territoire étudié, puisque dans les autres régions des Gaules, seules quelques églises semblent également avoir réinvesti les murs d’anciens temples, et ce à partir du viie s.126 Il s’agit avant tout de modestes édifices, dont une partie peut correspondre à des chapelles privées, peut-être consacrées à la mémoire d’une famille aristocratique (Le Maho, 2004, p. 59-60 ; Aubin et al., 2014, p. 237). Il ne fait pas de doute qu’au moins certains temples étaient en ruine lorsqu’ils ont été reconvertis ; leur réappropriation par les chrétiens paraît alors avant tout témoigner de la récupération opportuniste de bâtiments dont le gros œuvre était encore bien conservé, plutôt que de la christianisation volontaire d’emblèmes du paganisme passé : « il ne s’agissait pas d’écraser le symbole d’une religion honnie, mais plutôt de trouver une nouvelle fonction à des bâtiments inutiles, voire devenus encombrants » (Creissen, 2014, p. 287 ; cf. aussi Aubin et al., 2014, p. 237). En outre, la transformation, au début du Moyen Âge, d’antiques constructions ruinées en édifices chrétiens, qu’elle traduise ou non une attitude nouvelle envers les vestiges du passé (Young, 1997, p. 250), n’est pas exclusive aux temples désertés, puisque des thermes désaffectés – à Entrammes et Jublains en Mayenne, pour la chapelle Sainte-Agathe à Langon (Ille-et-Vilaine) ou pour l’église Saint-Denis de Lillebonne (Seine-Maritime) –, ou encore d’anciennes villae, ont aussi été réaménagés en églises durant le haut Moyen Âge (Le Maho, 2004, p. 54-57 ; Aubin et al., 2014, p. 238). Au demeurant, il n’est pas assuré que l’on savait encore identifier les anciens lieux de culte de l’époque romaine dans le courant du viie s. et, si ce n’était pas le cas, leur récupération n’aurait alors rien de symbolique. De manière plus prosaïque, on peut envisager que les dimensions des cellae, relativement modestes et alors privées ou non de leur galerie périphérique, ainsi que leur élévation vraisemblablement turriforme, en faisaient des constructions appropriées pour accueillir un petit ensemble de sépultures tout en marquant le paysage, au seul prix de quelques travaux de faible ampleur.

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Notes

109 Cf. l’analyse de l’édition traduite et commentée par J. Fontaine (Sulpice Sévère, Vie de saint Martin), en particulier t. I, p. 185-206.

110 Pour une présentation plus succincte de la fin des sanctuaires urbains en Belgique et en Lyonnaise, cf. aussi : Pichon, 2018. À l’échelle des Gaules, mentionnons également la récente synthèse de P. J. Goodman (2011).

111 Le site de Lillebonne (S.85) et celui de Jort (Calvados), qui n’a livré que des blocs sculptés en réemploi, sont trop peu documentés et ne seront pas évoqués ici (cf. supra, 1.1.2.1, type E ; 3.1.2.4).

112 Au total, ce sont près de 100 000 tessons de céramique et 50 000 restes fauniques qui ont été collectés à Angers, et les fragments de plus de 200 vases et 14 275 ossements d’animaux qui proviennent de Septeuil (cf. supra, 2.2.1).

113 Une telle évolution, marquée par un nombre inférieur d’abandons au cours de la première moitié du ive s., a aussi été mise en évidence par S. Girond pour le paysage religieux de la cité des Bituriges Cubes, en Aquitaine, et, plus généralement, à l’échelle des Gaules (Girond, 2015, vol. 1, p. 193-194, p. 196, d’après Fauduet, Arcelin, 1993, et p. 515). Un accroissement progressif a en revanche été remarqué pour les sanctuaires du centre-est des Gaules (Hostein et al., 2014, p. 208-209).

114 Les quelques sites pour lesquels le terminus post quem établi à partir des données de terrain est antérieur au début du iie s. doivent être écartés d’emblée : à Guérande (S.166 ; Pirault, 2010) comme à Rosporden (S.178 ; Pouille, 2006a et b), la rareté du mobilier prélevé au cours des opérations archéologiques, qui n’est pas postérieur à la fin du ier s., interdit toute conclusion définitive.

115 Il s’agit des sanctuaires d’Athée (S.165 : une monnaie de Sévère III, frappée entre 461 et 465 ; Bodard de La Jacopière, 1871, p. 70-71), de Macé (S.196 ; Aubin et al., 2014, p. 231) et de Genainville (S.260 : 4 monnaies en argent, dont au moins 3 imitations, au nom de Valentinien III, postérieures au milieu du ve s. ; Mitard, 1996, p. 177 et p. 209-210), et peut-être du mithraeum d’Angers (S.3 : 4 monnaies émises entre 394 et 402 ; P.-A. Besombes, in Brodeur dir., 2014, vol. 2, p. 51-60) et du lieu de culte de La Chapelle-aux-Fougeretz (S.184 : une possible imitation de silique ; P.-A. Besombes, in Aubry dir., 2019, p. 129).

116 Au total, ont été identifiés les fragments en alliage cuivreux d’une base gravée, d’une statue monumentale probablement équestre, de deux grandes statues, de trois moyens-bronzes (dont Jupiter et Apollon) et de quatre statuettes (Azéma et al., 2012, p. 162).

117 Cette hypothèse a d’ailleurs été émise pour les fosses du site d’Authevernes (Michel et al., 2014, p. 242).

118 De fait, la rareté des matériaux de construction (tuiles, éléments de dallage ou de placage, et enduits peints, entre autres) au sein des couches de démolition, ou encore l’inachèvement du système d’égout qui dessert le portique oriental, pourraient suggérer que la construction a été interrompue avant son terme : les murs ainsi que les supports des galeries auraient été construits, mais ni la couverture des édifices ni les revêtements de leurs sols et de leurs murs n’auraient été mis en place (Bazin dir., 2013, p. 122 et 2014, p. 18-19 et p. 22-24).

119 Cf. aussi, pour les provinces hispaniques et quelques comparaisons gauloises : Boube, 2012.

120 Cf. aussi d’autres exemples évoqués par Maligorne, 2006, p. 177 ; Aubin et al., 2014, p. 232 ; Van Andringa, 2017a, p. 307-311.

121 Ce mouvement d’ouest en est avait été noté, aussi, par M.-C. L’Huillier (2005, p. 278) à partir d’une sélection de sites.

122 La liste des exemples présentés ici peut sans doute être complétée avec de nombreux sites dont le statut n’a pu être déterminé, faute d’une étude récente ou exhaustive de leurs vestiges, comme l’ont proposé G. Aubin et al. (2014, p. 233) pour les cités occidentales.

123 Cf. les contributions rassemblées dans la collection de la Topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines au milieu du viiie s., en particulier, pour les provinces étudiées, L. Pietri, in Pietri et Biarne, 1987, p. 14-16 ; B. Beaujard, J.-C. Picard, in Picard et al., 1992, p. 16 ; N. Gauthier, in Gauthier et Fixot, 1996, p. 16 ; cf. aussi Guyon et al., 2016, p. 74-75.

124 Pour les églises urbaines ou suburbaines mentionnées dans les paragraphes suivants, cf. les études et la bibliographie réunies dans les notices des volumes de la Topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines au milieu du viiie s. : Pietri et Biarne, 1987 ; Picard et al., 1992 ; Gauthier et Fixot, 1996 ; Prévot et al. (dir.), 2014, vol. 1. Au sujet des groupes épiscopaux, cf. aussi : Prévot, 2003 ; Beaujard, 2010, p. 208-211 ; Gauthier, 2014 ; Guyon et al., 2016, p. 27-28, p. 31-36.

125 Cf. l’analyse proposée par J. Fontaine (1967) de la Vie de saint Martin de Sulpice Sévère ; cf. aussi Sotinel, 2004, p. 49-51 ; Creissen, 2014, p. 287.

126 Cf. notamment : Delacampagne et Hincker, 2004, p. 64 et Le Maho, 2004 pour la Normandie ; Golosetti, 2014, p. 180-185 pour le sud-est des Gaules ; Girond, 2015, vol. 1, p. 528-532 pour la cité des Bituriges Cubes ; pour des exemples choisis à l’échelle des Gaules : Cartron, 2010 ; Goodman, 2011, p. 181-186 ; Creissen, 2014.

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Table des illustrations

Titre Figure 320 : Vestiges tardo-antiques du sanctuaire de la Butte du Moulin à Vent à Bennecourt (Yvelines) : plan global des vestiges de la fin du iiie s. et du ive s. (ph. 7 : a) ; aménagements du dernier tiers du iiie s. observés dans l’ancien temple B3, réoccupé dans le cadre d’activités domestiques ou artisanales (b).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bourgeois (dir.), 1999, p. 12, fig. 2 ; p. 46, fig. 37 ; p. 55, fig. 48 ; p. 56, fig. 50 et p. 60, fig. 55.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 376k
Titre Figure 321 : Vestiges du sanctuaire des Hernies à Macé (Orne) à la fin du iiie s. et durant le ive s. (ph. 5).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Leclerc, 2007a, p. 19, fig. 10.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 175k
Titre Figure 322 : Vestiges du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise) à la fin du iiie s. et durant le ive s. (ph. 4).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Vermeersch, 2012, p. 240, fig. 17.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-3.jpg
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Titre Figure 323 : Coupe stratigraphique réalisée au niveau de l’angle nord-est du temple A2 des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), où se sont accumulés des dépôts cendreux et des niveaux de démolition à partir des années 270.
Crédits Réal. L. Guyard et al. (2012), d’après Mitard, 1993, p. 275, pl. I.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-4.jpg
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Titre Figure 324 : Sculptures fragmentaires en calcaire répandues sur le sol de la cour sacrée du sanctuaire des Vaux-de-la-Celle à Genainville (Val-d’Oise), entre le temple monumental (A2) et le bassin F, au plus tôt dans les années 260 de n. è.
Crédits In Mitard, 1993, p. 315, n 6.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 761k
Titre Figure 325 : Vestiges du sanctuaire du Creux de la Borne à Saclas (Essonne).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Dunet, 1988, p. 77, fig. 1 ; Pothin, 1997, p. 45, fig. 1 et Naudet, 2004, p. 212, fig. 111.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-6.jpg
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Titre Figure 326 : Vestiges du sanctuaire (ou de l’habitat ?) de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) durant la seconde moitié du ive s. (ph. 4).
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Verneau, 2014, p. 100, fig. 85 et p. 104, fig. 92.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-7.jpg
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Titre Figure 327 : Témoins de l’incendie survenu après 274 au monument du Haut-Bécherel à Corseul (Côtes-d’Armor) : rubéfaction de la base du parement externe d’un mur de la cella (a) ; vue d’un niveau d’incendie formé à l’extérieur de l’aire sacrée, à l’aplomb de l’accès au portique septentrional (b).
Crédits Cl. H. Paitier et A. Provost, in Provost et al., 2010, pl. II et IV.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-8.jpg
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Titre Figure 328 : Fosse creusée dans l’angle nord-ouest du temple de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) après la démolition de sa galerie (a) et planche de mobilier métallique issu de son comblement (b).
Crédits In Verneau, 2014, p. 106-107, fig. 98-99.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-9.jpg
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Titre Figure 329 : Répartition des sanctuaires en fonction de leur date d’abandon définitif et de leur contexte d’implantation (a) ou de leur statut supposé (b).
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-10.jpg
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Titre Figure 330 : La fin des sanctuaires publics ou de statut indéterminé : chronologie des abandons par cité, des Andicaves aux Namnètes.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-11.jpg
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Titre Figure 331 : La fin des sanctuaires publics ou de statut indéterminé : chronologie des abandons par cité, des Osismes aux Viducasses.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-12.jpg
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Titre Figure 332 : La fin des sanctuaires privés : chronologie des abandons par cité.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 798k
Titre Figure 333 : Témoins de la diffusion du christianisme entre le ive s. et le vie s. en Lyonnaise II, III et IV : les premiers évêques et édifices chrétiens attestés.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après les données de Pietri et Biarne, 1987 ; Picard et al., 1992 ; Gauthier et Fixot, 1996 ; Monteil, 2012, vol. II, p. 308-312 ; Prévot et al. (dir.), 2014, vol. 1.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-14.jpg
Fichier image/jpeg, 797k
Titre Figure 334 : Vestiges de l’édifice de Jouars-Pontchartrain/Le Tremblay-sur-Mauldre (Yvelines) interprété comme une église (ve-vie s.).
Crédits In Blin, 2007, p. 194, fig. 3.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-15.jpg
Fichier image/jpeg, 151k
Titre Figure 335 : Fragment de tête en calcaire représentant Mithra, issu de l’image de culte du mithraeum de la Clinique Saint-Louis à Angers (Maine-et-Loire).
Crédits In Brodeur, 2013, p. 14, fig. 5.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-16.jpg
Fichier image/jpeg, 500k
Titre Figure 336 : Cartes des abandons des sanctuaires, du Haut-Empire au début du ve s.
Crédits Réal. S. Bossard.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-17.jpg
Fichier image/jpeg, 666k
Titre Figure 337 : Plan du castellum du Vieil-Évreux (Eure), réinvestissant entre le dernier quart du iiie s. et le premier tiers du ive s. l’ancien sanctuaire monumental de l’époque sévérienne.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Bertaudière et al., 2019, p. 472, fig. 1.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-18.jpg
Fichier image/jpeg, 245k
Titre Figure 338 : Vestiges de la partie occidentale du sanctuaire de Berthouville (Eure) et emplacement des inhumations postérieures à son abandon.
Crédits In Babelon, 1916, p. 17.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-19.jpg
Fichier image/jpeg, 358k
Titre Figure 339 : a : localisation des sépultures médiévales installées auprès de l’ancien temple d’Aubigné-Racan (Sarthe) ; b : vue de détail de deux inhumations.
Crédits In Lambert et Rioufreyt, 1987b.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-20.jpg
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Titre Figure 340 : Plan de la chapelle funéraire installée au viie s. dans la cella de l’ancien temple de l’abbaye Saint-Georges à Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime).
Crédits In Aubin et al., 2014, p. 247, fig. 193.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-21.jpg
Fichier image/jpeg, 964k
Titre Figure 341 : Vestiges des probables chapelles funéraires mérovingiennes de Portbail (Manche) et d’Orléans (Loiret), aménagées dans les ruines d’anciens temples de l’époque romaine, et de leurs abords.
Crédits Réal. S. Bossard, d’après Delahaye (dir.), 2008, pl. 4 ; Verneau et Noël (dir.), 2009, vol. 1, p. 379, fig. 170.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-22.jpg
Fichier image/jpeg, 165k
Titre Figure 342 : Vestiges du temple d’époque romaine de la Fontaine de l’Étuvée à Orléans (Loiret) et des sépultures implantées durant le haut Moyen Âge en son sein et à ses abords.
Crédits Cliché P. Neury (Inrap), in Verneau, 2014, p. 108, fig. 100.
URL http://journals.openedition.org/rao/docannexe/image/10495/img-23.jpg
Fichier image/jpeg, 858k
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Pour citer cet article

Référence papier

« Chapitre 6 – La fin des dieux : des ultimes pratiques religieuses à l’abandon des derniers sanctuaires »Revue archéologique de l'Ouest, Supplément 14 | -1, 523-572.

Référence électronique

« Chapitre 6 – La fin des dieux : des ultimes pratiques religieuses à l’abandon des derniers sanctuaires »Revue archéologique de l'Ouest [En ligne], Supplément 14 | 2024, mis en ligne le 18 novembre 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rao/10495 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12ppm

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