1Cet article présente une occupation inédite découverte à l’occasion d’une fouille préventive de l’Inrap à Ecouché (Orne). Une fenêtre de décapage de 2 500 m² a été ouverte autour d’une concentration de vestiges céramiques découverts lors d’un diagnostic archéologique réalisé par B. Herard (Inrap). Il s’agit d’un ensemble de vestiges immobiliers et mobiliers attribués à la fin du Néolithique ancien (culture de Villeneuve-Saint-Germain).
2La commune d’Écouché est située à proximité d’Argentan, en bordure du fleuve Orne, juste avant que celui-ci ne disparaisse dans les contreforts du Massif armoricain.
3Le site est implanté au sud du bourg d’Ecouché, à la limite des communes de Loucé et Joué-du-Plain (fig. 1). Il s’agit actuellement d’une zone de culture extensive qui occupe un plateau calcaire au relief peu marqué et à fort recouvrement limoneux. Le site est entouré de deux rivières affluentes de l’Orne qui coulent dans le bourg d’Ecouché ; la Cance, la plus proche des deux, coule à moins de 500 m en contrebas du gisement.
4Le contexte géologique de la plaine d’Argentan est très comparable à celui de la plaine de Caen (fig. 1). Le sous-sol est constitué de calcaire bathonien désagrégé reconnu sur une dizaine de mètres de hauteur (profondeur de la carrière). Une double pente naturelle est présente vers l’ouest et vers l’est de l’ordre de 3 %, à partir du site qui occupe le sommet très adouci d’un petit interfluve.
Figure 1 : Écouché « Carrière Méac », localisation du site et contexte topographique / Écouché “Carrière Méac”, site location and topographical situation
J.-M. Palluau et F. Charraud, Inrap.
5La stratigraphie locale est relativement complexe (fig. 2). Des phénomènes de colluvionnement importants ont en effet pu être observés, ainsi que différentes troncatures des sols. Le recouvrement limoneux total est de l’ordre de 1 à 1,2 m. Sur le substrat calcaire se développe par endroits une couche de limon orange très argileux et lacunaire, parfois épaisse de 0,10 mètre. Sur cette couche se développe un limon orangé stérile, assez argileux à sa base et beaucoup plus limoneux au sommet. Elle possède une puissance de l’ordre de 0,30 mètre. Au-dessus se trouve une couche de limon gris-orangé, dans lequel les vestiges néolithiques ont été découverts sous forme dispersés. D’après J.-P. Lautridou (com. pers.), ce niveau a subi une troncature, probablement assez faible, antérieurement à l’époque romaine. Ce niveau mesure en moyenne 0,3 m d’épaisseur. Au-dessus se trouve un niveau de colluvionnement constitué de limon argileux, à la base et dans lequel du mobilier gallo-romain a été découvert sous forme dispersée. Ce niveau qui mesure 0,2 m d’épaisseur est surmonté par les derniers 0,3 m de terre végétale, dans lequel se trouvent dispersés des vestiges néolithiques, romains et modernes.
Figure 2 : Coupe (ab), au nord du décapage, permettant de suivre les différents horizons formant la stratigraphie naturelle du site / Section (ab) to the north illustrating the various horizons that make up the natural stratigraphy of the site
J.-M. Palluau, Inrap.
6Le décapage de la fenêtre de fouille de 2 500 m² a permis de mettre en évidence un ensemble de structures rattachables au Néolithique ancien (fig. 3). Par ailleurs, un réseau fossoyé et quelques structures isolées ont été rattachés à la période gallo-romaine. Elles n’ont pas recoupé l’occupation néolithique.
7Les vestiges du Néolithique correspondent au plan d’un bâtiment situé au centre de l’emprise prescrite (fig. 3). Le décapage n’a pas pu être poursuivi vers l’ouest en raison de la présence d’une carrière de calcaire déjà en exploitation.
Figure 3 : Plan masse de la fouille, avec au centre (en noir) le bâtiment néolithique et ses fosses latérales associées / Site plan, the Neolithic building (black) and its lateral pits are located in the center
Les autres structures (en gris) sont des chablis, des structures linéaires gallo-romaines, ou des structures non datées. / Other features (grey) are of natural origin, Roman ditches or undated features.
J.-M. Palluau, Inrap.
8Onze trous de poteaux ont été attribués à l’architecture interne du bâtiment (fig. 4). Leur empreinte mesure entre 0,7 et 0,9 m de diamètre au niveau de l’encaissant limoneux ou calcaire. Ils s’enfoncent de 0,1 à 0,2 m sous le niveau de décapage, lui-même déterminé en fonction du niveau d’apparition des structures (0,8 à 0,9 m sous le sol actuel, sans tenir compte des phénomènes d’érosion et de colluvionnement mis en évidence). Les parois sont droites et le fond plan. Le remplissage est constitué de limon brun homogène faiblement anthropisé. Aucun mobilier n’a été découvert dans leur remplissage. Leur attribution à la période néolithique ne repose donc que sur leur agencement et leur disposition entre deux fosses interprétées comme des fosses latérales de bâtiment.
Figure 4 : Plan et coupes des structures du bâtiment néolithique / Plan and sections of the features that make up the Neolithic building
J.-M. Palluau et F. Charraud, Inrap.
9Malgré le faible nombre de poteaux retrouvés, leur répartition présente les principales caractéristiques du modèle architectural rubané. Ces 11 trous de poteau permettent de restituer le plan d’une habitation trapézoïdale, orientée est-sud-est/ouest-nord-ouest.
10L’emprise du bâtiment au sol, en tenant compte des poteaux extrêmes, mesure 19 m de long et entre 4 et 5,5 m de large. Les poteaux déterminent trois tierces (une seule est complète) ainsi qu’un dispositif d’entrée en Y (incomplet). Une quatrième travée à l’est est possible avec le poteau St. 32. Les rangées axiales sont espacées de 2 m. Les tierces quant à elles le sont de 4 à 7 m les unes des autres.
11Ce bâtiment semble très incomplet en ce qui concerne le nombre de poteaux conservés. Il est possible que cela corresponde aux supports les plus importants de l’architecture. Le modèle 4 d’A. Coudart (Coudart, 1998) peut toutefois être proposé à titre d’hypothèse, avec trois parties (arrière, centrale et avant), sur le rythme ●/●/●●●. Si cette proposition est valide, la partie arrière de la construction serait absente. La travée incomplète située à l’ouest pourrait correspondre au pignon du bâtiment. La partie centrale est de type à une travée, représentée par un dispositif en Y. La partie avant possèderait deux voire trois travées (selon que l’on considère ou pas le poteau St. 32), espacées de 3 à 4 mètres les unes des autres (possibilité d’un grenier léger). Aucun dispositif de couloir n’est visible sur le bâtiment.
12Deux poteaux surnuméraires situés sur la façade sud du bâtiment peuvent participer à un système d’entrée latérale. Ils sont placés à 1,5 m des poteaux internes de l’habitation et pourraient également correspondre à l’alignement de la paroi extérieure. La surface interne pourrait alors être estimée à 150 m².
13Elles diffèrent un peu de celles de l’architecture danubienne (Rubané et BVSG) proprement dite et se rapprochent davantage de celles du BVSG « à cordons » et tranchet (à l’instar des constructions identifiées en Seine-Maritime à Saint-Vigor-d’Ymonville [Marcigny et al., 2002]). Elles sont très étendues et très peu profondes (fig. 4).
14La fosse nord a été appréhendée lors du diagnostic. Ses dimensions définitives ne sont pas connues, mais un minimum de sept mètres sur deux peut être proposé. Un important lot mobilier, essentiellement céramique, en provient.
15La fosse sud, étudiée lors de la fouille, est beaucoup plus vaste. Elle semble border tout le côté de la maison et s’étendre sur 20 m de long et 12 m de large. Cependant, seuls les vestiges lithiques et céramiques nous suggèrent une telle étendue. Les creusements visibles les plus profonds se limitent à trois structures. La première est globalement circulaire et mesure 1,8 m de diamètre (St. 11). La suivante, ovalaire, mesure 4 m sur 2. La troisième atteint 10 m sur 4. Leur creusement descend à 15 cm sous le niveau de décapage (80 cm sous le sol actuel).
16Une dernière fosse, circulaire, est située en bordure latérale sud du bâtiment (St. 12). Elle mesure 1,6 m de diamètre et présente un profil en cuvette (fig. 4). La profondeur du creusement, ses parois rectilignes et son fond plat suggèrent l’hypothèse d’un usage comme silo. Elle a livré de très nombreux restes mobiliers lithiques et céramiques.
17En ce qui concerne la répartition du mobilier céramique et lithique, plusieurs constatations peuvent être faites (fig. 5). La concentration la plus importante a été mise en évidence au sud du bâtiment et semble correspondre à l’extension maximale de la fosse latérale sud. Le reste du mobilier se trouve piégé dans les autres structures néolithiques (St. 11 et 12 entre autre) et dans la fosse latérale nord, fouillée presque intégralement lors du diagnostic. Cette dernière a livré un lot céramique significatif, mais est très pauvre en éléments lithiques.
Figure 5 : Plan de répartition des vestiges néolithiques au niveau du limon gris orangé. Les silex sont représentés par des triangles verts et la céramique par un rond de couleur rouge proportionnel à la quantité de tessons, détaillée dans le tableau. Les structures néolithiques sont en gris (crédits J.-M. Palluau et F. Charraud, Inrap). / Distribution of Neolithic features located in the grey-orange silt layer. The flint is indicated by green triangles and pottery by red circles the size being proportional to the quantity (see table). The Neolithic features are in grey. (credits J.-M. Palluau and F. Charraud, Inrap).
Les silex sont représentés par des triangles verts et la céramique par un rond de couleur rouge proportionnel à la quantité de tessons, détaillée dans le tableau. Les structures néolithiques sont en gris / The flint is indicated by green triangles and pottery by red circles the size being proportional to the quantity (see table). The Neolithic features are in grey.
J.-M. Palluau et F. Charraud, Inrap.
18En dehors de la zone occupée par le bâtiment et les fosses latérales, le mobilier a été découvert lors du décapage. Il est compris dans les limons à une profondeur de 0,6 à 0,8 m sous le niveau du sol actuel. Il occupe une vaste bande dans la moitié ouest de la fenêtre de fouille et est interprété, soit comme du mobilier piégé à partir de zones d’activité situés à proximité du bâtiment (enfouissement par des rongeurs, par diverses activités humaines… ?), soit comme la présence d’un ou plusieurs autres bâtiments à proximité, plus arasés, moins riches, ou simplement situés à l’extérieur de la fenêtre de fouille.
19Tous les vases ont été réalisés à partir d’une pâte à dégraissant granitique majoritaire. La taille des grains est variable suivant le module des vases, grossier pour les vases de stockage, plus fin pour les formes moyennes (fig. 6). Les micas sont faiblement représentés et de très petite taille. De minuscules grains blancs ont aussi été identifiés comme dégraissant secondaire sur la plupart des individus. Il semble s’agir d’os chauffés et pilés, à l’instar de ce que l’on rencontre parfois dans les corpus Cerny.
20Les techniques de montage ont été observées à partir des cassures récentes ou anciennes affectant les tessons. Le montage au colombin semble exclusif. Les éléments plastiques (boutons, cordons) ont tous été rajoutés. Le bon état de conservation des tessons permet d’observer les techniques de finition de surface. Le lissage est toujours soigné et identique sur les formes fines comme sur les formes de stockage. Il s’organise en bandes horizontales parallèles de deux à trois millimètres de largeur effectuées au lissoir (estèque en os ou sur galet).
21Les céramiques sont, à deux exceptions près, représentées par des formes en demi-sphère ou en deux tiers de sphère. L’une d’elles correspond à une forme ouverte en tiers de sphère (fig. 6 : st. 10). Un seul individu correspond à une forme fermée épaisse à profil en S (fig. 6, no 11).
Figure 6 : Mobilier céramique / Pottery
J.-M. Palluau, Inrap.
22Les formes hémisphériques présentent des diamètres moyens assez importants. Le plus petit individu mesure 17 cm de diamètre maximum contre environ 25 cm pour la presque totalité des autres. Une forme se démarque du lot : il s’agit d’un vase de stockage de 45 cm de diamètre. Sa lèvre est légèrement épaissie vers l’intérieur (fig. 6, no 1).
23Le diamètre de l’individu au profil en S n’est pas déterminable. Il appartient probablement à une forme de bouteille (fig. 6, no 11).
24Les décors se limitent à des éléments plastiques rajoutés, anses, cordons et boutons (fig. 6). Ils participent à des systèmes de préhension des vases, passages de liens réels ou figurés. Les anses sont placées au niveau du plus grand diamètre des vases au niveau des points d’inflexion, non marquées. Les boutons sont répartis régulièrement sur les lèvres des plus grandes formes, classiquement associées au stockage. Ils débordent systématiquement du haut du vase. Les cordons sont également présents uniquement sur les grandes formes. Ils correspondent à des bourrelets en relief disposés en oblique entre les anses et la lèvre (V-cordons) pour deux individus, et un cordon horizontal en faible relief reliant les anses entre elles sur un individu.
25Les formes hémisphériques se rapportent aux contextes de la seconde moitié du Néolithique ancien (BVSG « à cordons ») et du Néolithique moyen I. L’apparition de rares formes à profil en S correspondant à des bouteilles se rencontre au niveau régional sur les séries du Néolithique moyen I, comme Condé-sur-Ifs (Dron et al., 2016) ou Hébécrevon (Ghesquière et al., 1999). Les décors permettent davantage de précision. Les anses sont largement utilisées pendant tout le Néolithique ancien. Les cordons en V se rencontrent au niveau régional au BVSG « à cordons » (Mondeville, Valframbert : Chancerel et al., 2 006), voire à la transition avec le NMI (Condé-sur-Ifs : Dron et al., 2016). Les cordons horizontaux reliant les anses sont moins fréquents et renvoient au site de Saint-Etienne-en-Coglès (Cassen et al., 1998) attribué au BVSG « à cordons ». Les boutons appliqués sur la lèvre et débordant renvoient aux mêmes contextes BVSG « à cordons »/transition NMI, soit entre 5000 et 4800. L’absence de décors imprimés sur la céramique exclut les contextes du rubané récent/BVSG ancien et moyen, tandis que l’absence de pastilles au repoussé semble exclure le début du NMI, sous réserve de représentativité de la série.
26L’ensemble de ces caractéristiques resserre l’attribution sur le BVSG « à cordons » au niveau régional, par comparaison avec les séries de Mondeville, Saint-Manvieu-Norrey et Valframbert (Chancerel et al., 2006) et aux mêmes contextes sur les marges de la région, en Bretagne à Saint-Etienne-en-Coglès (Cassen et al., 1998) et en Normandie orientale à Guichainville (Ghesquière et al., 2014) et Saint-Vigor-d’Ymonville (Marcigny et al., 2002).
27La pièce en schiste correspond à un fragment d’environ 1/10e de la circonférence d’un classique anneau plat à couronne plutôt large (fig. 7). Elle a subi une altération dont l'origine, thermique ou taphonomique, est indéterminée. Cependant, un examen attentif permet d'identifier une argilite doublement schistosée. Cette forte transformation se perçoit sur les faces de l'objet sous la forme de fines bandes renvoyant alternativement plus ou moins nettement la lumière. Un tel aspect suggère le schiste du Pissot, variété intensément exploitée dans la plaine de Sées/Alençon et diffusée de la Basse-Normandie jusqu'à la région Centre et l'Île de France (Marcigny et al., 2004 ; Fromont et Marcigny, 2008). Malgré cela, la pièce d'Écouché est l'un des rares exemples de la circulation de ce matériau dans la plaine d'Argentan, où à la fin du Néolithique ancien on semble lui préférer une autre ressource régionale : le schiste tacheté (Fromont, 2008).
Figure 7 : Le fragment d’anneau en schiste / Fragment of a schist ring
N. Fromont, Inrap.
28Deux datations 14c ont été réalisées. Le matériel utilisable était très peu abondant. En l’absence de graine ou de caramel de cuisson, il a fallu se contenter d’un charbon et d’un fragment osseux, tous deux issus de la structure 12. Les résultats ne sont pas entièrement convaincants. La date sur charbon (Ly 5819oxa) est de 6150 ± 35, soit 5200-5000 BC et celle sur os (Ly 5820oxa) de 5715 ± 35, soit 4600-4500 BC. Les deux dates présentent un écart très important (un demi-millénaire !) que l’on a du mal à attribuer au seul effet « vieux bois ». Du reste, la première semble trop ancienne et la seconde trop récente. Il est difficile de faire davantage de commentaires sur ces datations, les deux restant malgré tout dans le champ des possibilités.
29Les trois structures « riches » ont chacune livré des artefacts en dolérite verte à grain plus ou moins fin (fig. 8). La structure 11 a livré un éclat, la structure 24 quatre éclats et la structure 12, soixante éclats. Deux autres éclats ont été découverts dispersés dans les limons.
30Il s’agit dans tous les cas d’éclats résultant du débitage de blocs de dolérite ou cornéenne. Leur module varie de manière importante depuis l’éclat épais d’une dizaine de centimètres de longueur ou de largeur jusqu’aux esquilles de moins d’un centimètre. La présence de l’ensemble de ces vestiges, particulièrement dans le remplissage de la structure 12, trahit une activité régulière et réalisée in situ.
Figure 8 : Les éclats de taille bifaciale en dolérite / Dolerite flakes from bifacial knapping
J.-M. Palluau, Inrap.
31Les plus gros éclats correspondent au dégrossissage de blocs à la surface plus ou moins arrondie. Sur ce type de matériau, les arêtes restent difficiles à lire, ainsi que les stigmates de préparation au débitage ou les bulbes. On peut toutefois constater que les talons sont toujours très réduits. L’hypothèse d’une percussion directe dure (silex, grès, voire dolérite) est à privilégier. Les roches telles que la dolérite ou la cornéenne s’avèrent en outre beaucoup plus tenaces que le silex (Tsobgou Ahoupe, 2007).
32La majorité des éclats sont courts, voire larges, présentant de multiples arêtes résultant d’enlèvements antérieurs. Ils sont peu épais (moins de 12 mm) et généralement un peu arqués. Ces pièces semblent correspondre au façonnage d’un outil sur masse centrale, vraisemblablement de type hache/herminette. De nombreux éléments comparables avec les déchets de façonnage de haches en silex du site de Ri (Marcigny et al., 2011) ont ainsi pu être mis en évidence (éclats larges, peu épais, plus ou moins arqués…).
33De nombreuses esquilles ont également été relevées dans la structure 12, soit ramassés directement lors de la fouille de la fosse, soit récupérés lors du tamisage d’un prélèvement effectué dans la couche la plus riche. Celles-ci pourraient correspondre à la phase de finition de la préforme, soit directement avant la phase indispensable de bouchardage effectué sur les ébauches, soit au cours même de celle-ci.
34La découverte d’éclats de taille de dolérite n’a rien d’étonnant dans le contexte d’Ecouché, car le matériau est régional. Plusieurs exemples de taille (lié à des ébauches de haches) sont présents à proximité pour le Néolithique moyen, comme à Argentan « Arma Maquettes » (Leroy, 1991) ou Goulet « Le Mont » (Billard et al., 2014). Ce qu’il est important de souligner ici, c’est le caractère ancien de ces marqueurs de fabrication de haches/herminettes en dolérite, en contexte domestique qui plus est.
35La présence de haches polies en dolérite (provenant de la même grande zone géologique, la Mancellia) est toutefois bien reconnue dans les assemblages normands rattachées au BVSG « à cordons », comme à Guichainville « bât. 6 » (Ghesquière et al., 2014), Saint-Vigor-d’Ymonville « La Mare des Mares, ens. 10 » (Marcigny et al., 2002), ou encore Incarville (Bostyn, 2003).
36Les éléments de mouture sont représentés par quinze fragments appartenant à un nombre indéterminé de meules dormantes (fig. 9, no 1, 2, 4, 5, 6). Ils sont tous réalisés à partir de gros blocs de granite, au grain plus ou moins fin, disponibles à moins d’une heure de marche du site, soit directement dans les contreforts du Massif armoricain, soit dans les alluvions de l’Orne. Il s’agit dans tous les cas d’éclats épais correspondant à des fractures volontaires. Les bulbes et contre-bulbes sont toujours visibles sur les faces d’éclatement latérales. Le degré d’usure des pièces est très variable. Celles qui présentent un profil de front de travail plano-convexe sont peu usées et les traces de mises en forme encore très présentes (deux pièces). La plupart présente un profil plan ou plano-concave avec un poli d’usage régulier et couvrant. Aucune meule ne présente toutefois une concavité excessive ou une épaisseur réduite qui aurait pu interrompre son usage. Leur bris, systématique ici, correspond donc à une volonté délibérée de rendre les meules inutilisables.
37Les bords et surfaces supérieures des pièces sont rares. Les quelques individus présentant encore des surfaces suffisantes témoignent de la forme ovale d’origine des meules, d’une régularisation soignée des bords (débitage d’éclats puis bouchardage) et soignée de la face supérieure (bouchardage régulier).
Figure 9 : 1, 2, 4 à 6 : fragments de meules dormantes en granite ; 3 : molette à face active plano-convexe usée ; 7 à 14 : percuteurs en grès sauf le n° 5, en granite / 1, 2, 4 à 6: fragments of granite base querns; 3 : handstone with a used plano-convex active face ; 7 à 14 : sandstone hammer except for n° 5, granite
Le grisé signale les zones percutées. / The grey area illustrates the worked areas.
J.-M. Palluau, Inrap.
38Une molette est présente (fig. 9, no 3). Elle est fragmentaire et seule une moitié de la pièce est conservée. Elle est façonnée dans un granite à grain moyen. Sa forme est ovalaire. Les bords ont été soigneusement mis en forme et régularisés. La face supérieure est également bien régularisée par bouchardage. La face active est plano-convexe. Elle est fortement usée et les traces d’avivage sont pratiquement toutes effacées par l’usage.
39Les percuteurs en silex sont pratiquement absents dans la série (deux nucléus à éclat bouchardés). Ceux en grès sont nettement mieux représentés avec 9 individus entiers et 17 éclats. Un seul éclat de percuteur est en granite à grain fin et correspond à un petit instrument. Deux modules sont présents : les petits, de moins de 200 grammes, sont représentés par 5 individus. Les gros sont des pièces dont le poids est compris entre 0,5 kg et 1,2 kg (4 pièces) (fig. 9, no 7 à 9).
40Le mobilier lithique d’Écouché présente des caractères peu communs sur les sites du Blicquy/Villeneuve-Saint-Germain de Basse-Normandie, à savoir :
-
une unique matière première locale employée, aucun apport exogène ;
-
un débitage d’éclats exclusif. Il n’existe aucun témoin technique de débitage laminaire standardisé sur le site, ni d’aucun schéma opératoire de façonnage, parmi les déchets de taille comme parmi les supports d’outils ;
-
un outillage sur éclat en grande partie expédient, assez éloigné des normes typologiques connues pour cet aire chronoculturelle, où de grands types d’outils typologiquement définis sur lame sont la norme.
41Le mobilier en silex comprend 846 vestiges (tableau 1) : ce décompte réunit les vestiges des structures 12 (646 vestiges), 24 (144 vestiges), 11 (51 vestiges) et 36 (5 vestiges).
Tableau 1 : Décompte du mobilier en silex des principales structures attribuées au Néolithique ancien / Table 1: Flint material and main features dating to the Early Neolithic
42Le seul silex utilisé est un silex jurassique bathonien local, qui provient vraisemblablement du calcaire d’Écouché (Coutard, 1998 ; Lasseur, 2001 ; Cliquet, 2001). Aucune matière exogène n’est représentée.
43Il se présente sous la forme de rognons biscornus de plus de 30 cm de long, au cortex blanc poudreux à zone sous-corticale grise pâle épaisse de 2 cm. La matrice est opaque et gris sombre, à petites mouchetures inférieures à 1 mm. Le calcaire d’Écouché affleure entre Écouché et Avoine. Il s’étend à l’est d’Écouché où il semble dépourvu de silex (autour d’Argentan). Il est surmonté par le calcaire de Sarceaux (Lasseur, 2001). Vers l’ouest et le sud-ouest, les placages d’argiles à silex de Rânes proviennent de la dissolution du calcaire d’Écouché. À Écouché, les rognons ont été apportés bruts d’extraction et dégrossis sur place. En témoignent 66 éclats épais et corticaux caractéristiques (toutes structures confondues) soit un peu moins d’un tiers des déchets de taille.
44En outre, de nombreuses plages corticales résiduelles sont encore présentes sur les supports de plein débitage (fig. 10, no 4 et 5). Il n’a pas été possible d’observer sur ces surfaces des traces d’extraction explicites (stries, traces d’impacts).
Figure 10 : Mobilier lithique de la structure 11 (1 à 3) et de la structure 24 (4 à 7). 1, 5 : grattoirs sur éclat ; 2 : burin sur lame ; 3 : éclat esquillé ; 4 : tranchet ou ébauche ; 6 : bitroncature sur éclat ; 7 : burin sur éclat / Lithic artefacts from the feature no 11 (1-3) and no 24 (4-7). 1, 5: Flake scrapers; 2 : blade burin; 3: flake ; 4: tranchet or rough ; 6: Bitruncated flake; 7: Flake burin sur éclat
F. Charraud, Inrap.
45Le schéma opératoire, très homogène d’une structure à l’autre, est orienté vers la production d’éclats courts et d’éclats allongés. Il n’y a aucun éclat technique caractéristique du débitage laminaire à la percussion indirecte. Les produits allongés ne sont pas issus d’un schéma opératoire laminaire standardisé. Seul un support d’outil a peut-être été obtenu par percussion indirecte (fig. 11, no 4). Un autre support présente des négatifs d’enlèvements laminaires très réguliers sur sa face supérieure (fig. 11, no 5), mais sa technique de détachement n’a pas été déterminée.
Figure 11 : Mobilier lithique de la structure 12. 1 : grattoir sur éclat ; 2 et 5 : lames tronquées ; 3 et 4 : burins ; 6 : éclat allongé retouché ; 7 : éclat épais denticulé ; 8 : éclat épais écaillé / Lithic artefacts from the feature n°12. 1: Flake scraper; 2 et 5 : truncated blades; 3 et 4: burins; 6: retouched flake; 7 : denticulated flake; 8: Flake
F. Charraud, Inrap.
46Deux types de supports de plein débitage ont été recherchés (tableau 1) :
-
Les éclats allongés : ils sont au nombre de 56 (soit 26 % du débitage, toutes structures confondues), dont 38 pour la seule structure 12 (24 % du débitage). Ils se caractérisent par une forme allongée et par une épaisseur importante. Ils sont tous obtenus par percussion directe dure selon un schéma unidirectionnel. Un soin notable est perceptible dans la préparation : les talons sont lisses, les corniches soigneusement abrasées dans de nombreux cas (fig. 10, no 5 ; fig. 11, no 6).
-
Les éclats courts : clairement issus d’un procédé de taille multidirectionnel, ces éclats sont au nombre de 78 (soit 36 % du débitage), dont 52 pour la structure 12 (soit 33 % du débitage). Il s’agit d’éclats larges tous obtenus par percussion directe dure. D’une épaisseur moyenne avoisinant le centimètre, ils ne sont pas standardisés, mais présentent toutefois quelques caractères morphologiques récurrents. Leur face supérieure montre le plus souvent des négatifs d’enlèvements multidirectionnels, les talons sont lisses, le bord du plan de frappe n’est pas systématiquement abrasé.
47La préparation au débitage est simplifiée et peu dispendieuse en matière première. Le débitage est effectué au percuteur dur exclusivement. Aucune standardisation n’est perceptible dans l’exploitation des blocs, mais globalement, on peut supposer que les deux formes d’éclats recherchés (allongés et courts) sont obtenus successivement. Les éclats allongés ne peuvent être obtenus qu’en début d’exploitation quand le nucléus conserve un certain volume exploitable, permettant un schéma globalement unidirectionnel tandis que les éclats courts sont plutôt détachés en fin d’exploitation, selon un schéma multidirectionnel. Le nucléus est alors fréquemment réorienté. Arrivé à exhaustion, il présente une forme globuleuse et une taille réduite. Il n’est plus possible de distinguer un sens de débitage majoritaire. Il présente des négatifs d’enlèvements multidirectionnels de tailles diverses. De nombreux accidents de taille sont visibles à sa surface. Les nucléus à éclats sont au nombre de 16 dans l’assemblage, auxquels s’ajoutent 2 fragments. La structure 12 en compte 10, plus 1 fragment.
48L’assemblage comprend 79 outils, toutes structures confondues (tableau 1). Il ne comporte pas vraiment d’éléments typologiquement bien définis, tels qu’on en rencontre dans les séries du Villeneuve-Saint-Germain de la plaine de Caen. Il est réalisé essentiellement sur éclats (58 %) et masse centrale (18 %) On ne trouve aucune armature de projectile ni élément assimilable à une armature de faucille. Aucun tranchet typique n’est présent ; seules deux pièces façonnées sont interprétées comme de possibles ébauches de tranchet (fig. 10, no 4). Une bitroncature sur éclat a également été identifiée, sans pouvoir être rattachée à la famille des tranchets (fig. 10, no 6).
49L’outillage sur lame est très peu représenté : il se résume à deux burins (fig. 10, no 2 ; fig. 11, no 4). Les autres burins sont réalisés sur des éclats allongés (fig. 10, no 7 ; fig. 11, no 3).
50Les grattoirs sur lame sont également absents de la série. Les supports privilégiés pour ces outils sont des éclats de plein débitage (fig. 11, no 1) ou des éclats allongés (fig. 10, no 1 et 5), obtenus par percussion directe dure dans le cadre du débitage d’éclats effectué sur place. On compte 4 grattoirs.
51Deux autres supports allongés retouchés ont été reconnus. L’un présente une troncature oblique semi abrupte (fig. 11, no 2). L’autre arbore une série d’enlèvements à son extrémité distale : il ne s’agit pas d’une troncature mais d’enlèvements consécutifs à une utilisation (fig. 11, no 5). Les seuls réels outils sur masse centrale sont les percuteurs (5 exemplaires, plus 7 fragments) et les pièces esquillées (4). Deux pièces prismatiques indéterminées sont également présentes. Seul un perçoir a été reconnu dans la série.
52Pour le reste, l’essentiel de l’outillage est réalisé sur éclats : c’est le cas d’un perçoir et de 12 éclats allongés, 19 éclats épais et 8 éclats minces aménagés. À l’image des outils expédients des séries BVSG de la plaine de Caen, les supports peuvent être aménagés d’une retouche distale (fig. 11, no 6) et de plusieurs aménagements juxtaposés sur le même support (fig. 11, no 7). Certains éclats présentent des enlèvements d’utilisation évidents (fig. 11, no 8). Dans le cas des supports allongés et des supports épais, aucune standardisation ou morphologie prédéfinie n’est perceptible.
53En l’état actuel, l’industrie de la « carrière Méac » est d’une nature unique par rapport aux autres sites du BVSG des plaines jurassiques bas-normandes. La chaine opératoire de débitage d’éclats est entièrement réalisée sur place à partir de rognons apportés bruts d’extraction.
54Cette industrie à éclats n’est pas conditionnée par la qualité de la matière première, par ailleurs excellente, et la production est homogène.
55L’outillage réalisé sur éclat ne présente pas d’éléments vraiment caractéristiques de la période, en dépit d’une parenté morphologique avec certains types d’outils sur lame typiques du BVSG (grattoirs, burins). On ne trouve ni armatures de faucille, ni armatures de flèches, par exemple. La présence de tranchets est également remarquable.
56En Basse-Normandie, Écouché est donc le seul site du BVSG dépourvu de débitage laminaire standardisé et dont le débitage est orienté uniquement vers la production d’éclats.
57Les plus proches sites du Villeneuve-Saint-Germain présentant des industries semblables sont à rechercher en Haute-Normandie : les bâtiments fouillés à Saint-Vigor d’Ymonville (Marcigny et al., 2002) ont livré des caractères très proches (Charraud, 2007). Le site de Léry a également livré un abondant débitage d’éclats, caractérisé sur la base de plusieurs remontages (Bostyn, 1994). Comme à Ecouché, deux phases de débitage ont ainsi été mises en évidence : unidirectionnel dans un premier temps, devenant multidirectionnel suite à un ou plusieurs accidents de taille. On trouve également un débitage décrit de façon assez comparable à Passy « La Sablonnière » dans la vallée de l’Yonne (ibid.).
58Ce débitage est directement orienté en fonction du choix des supports pour un outillage domestique sur éclats, destiné à subvenir aux besoins du site. Clairement, à Écouché le débitage d’éclats n’est pas comme dans la plaine de Caen, une production d’appoint, venant compléter un outillage essentiellement laminaire. Il s’agit ici d’un segment à part entière du panel technique du Néolithique ancien, qui trouve des éléments de comparaison les plus nombreux à la fin du BVSG. Les plus proches exemples se situent plutôt dans la vallée de la Seine, comme à Saint-Vigor d’Ymonville (Marcigny et al., 2002) que dans la plaine de Caen, largement dominée par les industries à lames en silex du Cinglais. Une telle production locale à faible niveau de savoir-faire ne peut être considérée comme substitut ou complément : réalisée sur une matière première de qualité, elle est une part entière de la gestion de l’outillage.
59La fouille d’Écouché « Carrière Méac » a permis de mettre en évidence l’empreinte d’un bâtiment trapézoïdal de tradition rubanée, avec disposition des poteaux par tierces et rangées, en trois parties et avec fosses latérales. La conservation est toutefois partielle et seules les traces des poteaux les plus forts semblent conservées. Les fosses latérales sont très étendues et très peu profondes. Une structure circulaire, éventuellement de type silo, est présente entre la paroi externe estimée du bâtiment et la fosse latérale sud. Elle a piégé une partie importante du mobilier découvert sur le site. Par ailleurs, la présence de mobilier diffus à l’ouest et au nord de l’habitation suggère la présence soit de zones annexes, soit d’un autre système bâti à proximité. Le mobilier est relativement riche en comparaison des autres sites régionaux de la même période (108 outils lithiques, une quinzaine d’individus céramiques, des déchets de taille de dolérite).
60L’ensemble du mobilier peut être attribué au BVSG « à cordons », comme le suggère la céramique, bien en phase avec tous les contextes de Normandie et du Centre. Le mobilier lithique est moins caractéristique mais il est tout à fait compatible avec cette attribution. Le nombre important de grattoirs et la présence de tranchets bitronqués rappelle les contextes de Haute-Normandie davantage que ceux de la plaine de Caen. Le bracelet de schiste, s’il s’inscrit bien dans le même contexte semble bien isolé par rapport aux autres séries régionales où ces pièces sont souvent nombreuses (Valframbert, Saint-Manvieu-Norrey, Mondeville : Fromont, 2 008). Cette carence rappelle, comme pour le mobilier en silex, les contextes haut-normands. Elle témoignerait peut-être du caractère tardif de la série. L’industrie en dolérite/cornéenne est plus surprenante car elle correspond très certainement au façonnage de haches polies. Or, de telles pièces sont pour l’instant absentes des corpus du Néolithique ancien régional, très pauvres dans l’ensemble, et seul le site de Saint-Vigor-d’Ymonville en a livré plusieurs exemplaires en contexte BVSG « à cordons ». La mise en évidence d’une production de hache à Ecouché n’est donc pas une révélation mais reste un élément important dans la compréhension de l’économie de ces populations.