Les auteurs remercient J.-C. Houssin et le Musée de Bretagne à Rennes pour avoir autorisé l’utilisation de deux clichés du matériel de la villa antique de Châtillon-sur-Seiche. Ils expriment également leur gratitude aux relecteurs de cet article qui ont grandement contribué à en améliorer la rédaction.

1. Introduction

1Les systèmes qui découlent de l’activité de pêche peuvent être groupés en trois catégories : systèmes d’acquisition, de transformation et de consommation qui intéragissent avec d’autres systèmes techniques. L’exploitation des poissons marins peut dépendre de différents facteurs environnementaux, comme les caractéristiques biologiques des proies et du milieu dans lequel elles évoluent, mais aussi des facteurs sociaux et techniques tels que les technologies employées ou les formes d’organisations sociales auxquelles les pêcheurs appartiennent (McGoodwin, 2003).

2Les techniques de pêche sont ainsi adaptées aux écosystèmes marins exploités, mais aussi aux espèces recherchées, et sont souvent l’aboutissement d’enseignements cumulés et d’une expérience considérable. L’organisation des sociétés, leur structure, et le but de l’opération (personnelle ou commerciale) sont aussi des éléments de la stratégie de pêche, plus ou moins importants selon les époques (Pollnac, 1988).

3Même si l’environnement n’est pas l’unique facteur déterminant, l’existence, dans l’Ouest de la France, de vastes estrans et de marées dont l’amplitude figure parmi les plus importantes au monde, après la baie de Fundy au Canada, est sans doute déterminante dans le développement des stratégies d’approvisionnement. Ce phénomène des marées, couplé à la diversité de configuration des côtes, explique le développement des multiples formes d’exploitation des estrans et de leurs ressources, en particulier de la « pêche à pied » qui, sous toutes ses variantes, apparaît autant comme un marqueur culturel et identitaire que comme un fait économique (Prigent, 1999).

6Si l’on dresse un panorama rapide des acquis concernant les périodes de la Préhistoire, pour le Mésolithique, peu de données précises sur les pêcheries sont actuellement disponibles, les références nous renvoyant vers le domaine scandinave (Pedersen, 1995 ; Fischer 2004) ou encore vers les îles britanniques (Irlande notamment) (O’Sullivan, 2000 ; Mc Quade et O’Donnell, 2 007). Dans l’Ouest de la France, il faut souligner le potentiel offert par la reprise de l’étude du site de Beg-er-Vil (Quiberon, Morbihan), daté du milieu de VI^e millénaire av. J.-C. (sous la direction de G. Marchand et C. Dupont). Le point fort de cette étude en cours est de combiner la fouille terrestre des structures archéologiques, les analyses archéozoologiques poussées, notamment sur la faune marine, et des investigations subaquatiques sur les structures immergées du voisinage immédiat du site archéologique. Pour le Mésolithique, l’archéologie des pêcheries et, plus largement, de l’exploitation des ressources littorales contribuera à la qualification des types d’occupation, selon que l’on est en présence d’un camp de base (de type Beg-er-Vil) aux activités diversifiées, ou d’une station logistique littorale aux activités spécifiques, telle la pointe Saint-Gildas à Préfailles (première moitié du VI^e millénaire av. J.-C.) (Dupont et Marchand, 2008). Jusqu’à une phase plus avancée de la Préhistoire récente, la principale question demeurera de savoir si la construction de barrages de pêcheries est forcément synonyme de sédentarisation et de permanence de l’habitat ou bien s’il faut envisager d’autres modalités d’exploitation, saisonnière ou alternative, divers groupes humains exploitant successivement les barrages (Billard et Bernard, 2016) .

7Nous proposons ici de poser les bases d’une réflexion pour la Protohistoire, au sens large, de la fin du Néolithique à l’époque gallo-romaine. Les divers inventaires qui sont à la base de cette étude s’inscrivent, plus largement, dans une dynamique de recherche qui s’est récemment développée à l’échelle européenne, visant à l’étude et à la préservation du patrimoine culturel côtier au sens large (littoral continental, îles, estuaires…), des occupations humaines littorales et des formes d’exploitation des ressources marines (Daire et al. [dir.], 2013). Au delà de la présentation d’un état des connaissances renouvelé, il s’agit ici de considérer le paradigme de la place des ressources aquatiques, majoritairement marines, dans l’économie de subsistance des populations du littoral et de l’intérieur des terres, abordé non seulement sous l’angle des techniques d’exploitation et de pêche mais aussi par les travaux embryonnaires sur l’instrumentum de pêche et ceux, encore peu répandus, relevant de l’archéozoologie. Il semblerait en effet que la consommation des « fruits de mer » ne soit pas une constante, et que l’influence de la mer sur les communautés littorales soit variable, dans le temps comme dans l’espace.

2. Les techniques de pêche : une documentation renouvelée mais des problèmes persistants

8« Ceux qui se livrent à la pêche marine ont partagé en quatre les moyens de la pratiquer. » Ainsi, s’inspirant de traités halieutiques antiques (Ovide, Oppien), H.-L. Duhamel du Monceau (1769-1782, t.1, section II, chap. VI) évoque-t’il successivement la pêche au filet (qui permet la capture de bancs de poissons) ; la pêche au harpon (la plus virile), qui peut être pratiquée à partir d’embarcations mais nécessite alors des rameurs ; la pêche à la nasse, technique considérée comme « perfide et ne convenant pas aux hommes libres », contrairement à la pêche à la ligne, vantée comme la plus subtile. Indépendamment de la valeur morale attribuée à chacune de ces techniques, le matériel et certaines structures archéologiques attestent de la pratique de la pêche sous ces diverses formes, mais nous offrent une documentation hétérogène, du point de vue spatial et chronologique, et parfois si discrète qu’elle a pu passer inaperçue dans de nombreux cas.

9Les côtes à marées de l’Ouest de la France sont particulièrement favorables à toutes les formes de pêche à pied, qu’elle soit manuelle et pratiquée à marée descendante, sans outil ou au moyen d’instruments très ubiquistes et intemporels (galets, crocs…), ou encore qu’elle fasse intervenir des structures de pièges, temporaires ou fixes. Cette forme de pêche permet de collecter poissons, crustacés, gastéropodes, mais aussi algues, oiseaux et mammifères marins, etc., une ressource renouvelée deux fois par cycle de 24 heures au gré des marées et des courants (Prigent, 1999). La pêche à la ligne pratiquée à partir du rivage correspond plus à une activité complémentaire de l’agriculture et de la pêche, pour ce qui concerne la capture de poissons, et est assimilée à une activité de loisir pour les périodes historiques (Cleyet-Merle, 1991). La pêche en mer nécessite, quant à elle, des moyens plus sophistiqués (embarcation) et des déplacements plus périlleux. L’archéologie protohistorique ne nous renseigne véritablement que sur les deux premières catégories de techniques de pêche, même si la dernière peut être indirectement appréhendée, dans de rares cas.

10Pour aborder l’étude des techniques de pêche, l’archéologue dispose soit de structures de pêche (barrages, fixes ou mobiles…), soit d’instruments (poids de filet, hameçons…), soit encore de restes fauniques, les assemblages de poissons archéologiques pouvant permettre de déterminer quels mécanismes de pêche ont été utilisés pour leur capture (Balme, 1983 ; Greenspan, 1998 ; Dréano et al., 2013, Desse-Berset, 1995 et 2009). La recherche s’appuie donc sur une démarche de plus en plus interdisciplinaire, associant investigations de terrain dans les domaines terrestre, subaquatique et intertidal, mais aussi archéologie « classique » et bioarchéologie (Mougne, 2015 ; Dréano et al., 2013, 2015 ; Dupont et al., 2013) ou encore ethnoarchéologie et démarche expérimentale (Billard dir., 2012).

11Dans le panel des techniques de pêche, la pêche embarquée laisse probablement moins de traces matérielles exploitables par l’archéologie et un pan d’information manque ici à l’archéologue. Dans ce cas, les études archéoichtyologiques viennent en partie pallier cette lacune grâce à la mise en évidence des milieux exploités, à travers l’analyse des spectres et des tailles des poissons pêchés (Clavel, 2001).

12En effet, les recherches liées à l’exploitation des ressources marines animales ont bénéficié de développements récents, liés à la prise en compte de ces taxons dès la phase de terrain, par des méthodologies de prélèvement et de tamisage adaptées, (à Ouessant ou encore à Hoedic, entre autres) et grâce à des études archéozoologiques approfondies et de plus en plus spécialisées (pour la région, voir notamment les travaux de A. Baudry, A. Borvon, B. Clavel, G. Desse, J. Desse et N. Desse-Berset, C. Dupont, Y. Dréano, P. Méniel, C. Mougne, A. Tresset…) (Mougne et Daire [dir.], 2015).

13L’étude des structures de pêche que sont les barrages de pêcheries s’est développée parallèlement dans les trois régions du grand Ouest de la France (Normandie, Bretagne et Pays-de-la-Loire) au cours des dernières décennies. En Basse-Normandie, les recherches ont débuté dans les années 1980 sous l’impulsion d’A. Lhomer (BRGM) et d’ A. Bouffigny (bénévole) rapidement rejoints par C. Billard et V. Bernard (Billard et Bernard dir., 2016), et ont été marquées par la fouille des vastes complexes de Saint-Jean-le-Thomas, plages de Pignochet et de Champeaux, les Falaises (Manche) ; ces opérations ont ensuite été complétées par des prospections sur des échelles plus larges, couplées à des SIG. Plus récemment, les quelques 300 pêcheries de Seine-Maritime ont fait l’objet d’une synthèse très documentée (Vincent, 2013).

14La Bretagne, rapidement suivie par les Pays-de-la-Loire, a connu une démarche différente qui a débuté par un inventaire systématique diachronique, porté par une vingtaine de chercheurs, bénévoles pour la plupart. Grâce au croisement de disciplines (histoire et archéologie) et de méthodes (dépouillement d’archives, photo interprétation, prospections au sol et aériennes, plus de 750 pêcheries fixes ont été recensées le long des côtes bretonnes (Daire et Langouët, 2008 et 2010). En Loire-Atlantique, un travail de recensement systématique a été mené dans le Pays-de-Retz (Tessier, 2004), dénombrant une centaine d’écluses entre la pointe de Saint-Gildas et une quinzaine sur la face externe de l’estuaire de la Loire tandis que le trait de côte du département de la Vendée a fait l’objet d’un suivi continu, révélant un minimum de 180 barrages, majoritairement en pierres (Large, 2008).

Figure 1 : Distribution des pêcheries de l’Ouest de la France (Normandie, Bretagne et Pays-de-la-Loire), toutes périodes et sources confondues, état de la recherche / Distribution of fisheries in the west of France (Normandy, Brittany and Pays-de-la-Loire), dating from all periods and data from all sources, latest results

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Doc. M.Y Daire, DAO L. Quesnel. / Doc. M.-Y. Daire, CAD L. Quesnel.

15L’état actuel de la recherche à l’échelle du grand Ouest de la France offre une vision d’ensemble des barrages de pêcheries fixes inventoriés, toutes périodes confondues et toutes sources cumulées (vestiges matériels, archives, textes…) (fig. 1). Au-delà des 1 600 structures inventoriées dans la zone d’étude, et qui placent le système de capture par barrage au cœur des dispositifs techniques les plus répandus, ce document fait apparaître des zones de « vides » relatifs. Ceux-ci peuvent correspondre à des conditions géographiques peu propices, mais aussi à des biais de la recherche ; par exemple, en Pays-de-la-Loire, si la Vendée, d’une part, et le Pays de Retz, d’autre part, sont extrêmement bien documentés, la côte de Loire-Atlantique comprise entre les estuaires de la Loire et de la Vilaine, paraît anormalement inoccupée (excepté le secteur de Pénestin, Morbihan). De même, la question subsiste de savoir si les côtes du Calvados ont été propices ou non au développement de cette technique de pêche. Dans ce contexte, si ce travail d’inventaire doit bien évidemment se poursuivre, les études futures devront toutefois développer des problématiques à des échelles spatio-temporelles variées et les nourrir à partir de l’abondante source de données déjà disponibles. Ainsi, quelques études de cas (infra) permettront d’amorcer cette démarche et d’en montrer le potentiel.

16Au titre des limites mises en évidence dans l’étude des pêcheries, la nature des matériaux de construction implique une difficulté persistante dans la datation des structures en l’absence de matière organique. En Bretagne et Pays-de-la-Loire, les barrages en pierre étant majoritaires, ce problème d’attribution chronologique reste prépondérant. En l’absence de fouille archéologique, les recherches ont dû s’orienter vers d’autres pistes. L’analyse de la position précise de ces anciennes installations par rapport au niveau marin, dont nous savons qu’il a subi une importante transgression au cours de l’Holocène, offre des possibilités de datation relative indirecte. Ainsi, le fait que des barrages soient submergés en permanence et inaccessibles lors des plus basses mers, fournit l’indication d’une chronologie ancienne (préhistorique) (Gandois et al., 2015).

17Pour les périodes plus récentes, avec des oscillations du niveau marin plus ténues, une contextualisation de certains barrages permet d’établir un lien (au moins théorique) avec des sites terrestres d’occupation plus ou moins proches et de proposer des hypothèses de travail qui doivent être utilisées avec circonspection.

18D’autres structures liées à l’exploitation des produits animaux d’origine marine témoignent indirectement de la pratique de la pêche. Il s’agit par exemple du vivier gallo-romain identifié dans l’estuaire de la Rance, plus précisément dans l’anse Solidor à Saint-Servan, qui est considéré comme une sorte de « vivarium ostreorum » (« parc à huîtres ») (Langouet, 2005, p. 65-66) (fig. 2) ou encore des cuves antiques dites « à salaisons » que l’on associe à des productions de type « garum » ou autres préparations à base de poissons et/ou crustacés (Driard, 2011).

Figure 2 : Vivier de l’anse Solidor à Saint-Malo / Breeding pond at l’anse Solidor at Saint-Malo

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Photo L. Langouët.

19Le travail d’inventaire réalisé sur l’instrumentum lié à la pêche (Gabaude, 2013a et b) s’est heurté à une documentation dispersée et inégale, avec des objets peu nombreux dans chaque corpus de fouille, et parfois mal identifiés dans les publications, d’où la nécessité d’un retour systématique aux collections, mais aussi à des problèmes taphonomiques, liés à la conservation des matériaux (métal ou matière organique). En amont, dès la phase de terrain, ces objets ont pu souffrir de certaines négligences, notamment les lests de filets en pierre et autres éléments du macro-outillage lithique en contexte protohistorique ou antique (Daire, 2007). Les enquêtes ont également révélé des confusions entre lests de filets et d’autres types d’objets, comme des maillets à gorge ou encore des pesons de tisserand. D’autre part, certains éléments de petite taille, comme les hameçons, peuvent facilement passer inaperçus lors des fouilles ; récemment, la pratique du tamisage à mailles fines sur le site de Port-Blanc à Hoedic (Morbihan) (Daire et Baudry, 2006 ; Daire et Baudry [dir.], 2018) a permis de découvrir huit hameçons que le prélèvement à vue, pendant la fouille, aurait certainement laissé passer. L’état de fragmentation de telles pièces dont la taille excède rarement la dizaine de millimètres, les rend difficilement identifiables. On peut donc légitimement s’interroger sur le nombre d’hameçons perdus ainsi dans les fouilles anciennes ou contemporaines.

20Enfin, une autre limite concerne la datation des instruments de pêche trouvés hors contexte, du fait de la faible évolution de ces outils au cours du temps. J.-J. Cleyet-Merle (1991) évoquait déjà le problème en traitant de l’utilisation contemporaine d’hameçon en bronze pour leurs propriétés plastiques (ils plient mais cassent rarement) et visuelles (les reflets du métal attireraient le poisson). Par ailleurs, ces outils s’oxydent moins facilement que les hameçons en fer. De même, les articles traitant spécifiquement des lests sur le littoral breton rappellent que, au début du xx^e siècle encore, les pêcheurs locaux employaient des pierres percées ou rainurés pour lester leurs filets (Bizien-Jaglin et Langouët, 1992 ; Dervilly et al, 1998 ; Langouët, 2003 ; Le Pache, 1995). Pour cette raison, un certain nombre de pièces retenues dans l’inventaire et retrouvées hors contexte archéologique ou sur un site aux multiples occupations ne font l’objet d’aucune attribution chronologique précise. Quelques exceptions existent cependant, car il est possible de donner un terminus post quem aux lests réalisés dans une tuile (tegula ou imbrex) ou dans une brique gallo-romaine, même s’il s’agit de découvertes isolées.

Tableau 1 : Panorama des vestiges archéologiques illustrant les diverses techniques de pêche identifiés dans l’ouest de la France / Table 1: Panorama of the archaeological remains showing the different fishing techniques used in Western France

3. Les ressources littorales disponibles et exploitées

21Le développement relativement récent des études archéozoologiques constitue une approche très complémentaire de celle des techniques de pêche, révélant les espèces capturées, consommées notamment dans le cadre alimentaire mais aussi reconnues parfois dans des contextes funéraires, cultuels ou artisanaux.

22Plusieurs synthèses ou monographies régionales portant sur l’Ouest de la France montrent que les groupes humains ayant occupé le territoire pendant les âges des Métaux et l’Antiquité étaient en contact étroit avec le milieu littoral dont ils ont exploité les diverses ressources. En témoignent les nombreux vestiges d’ateliers de bouilleurs de sel, les habitats côtiers et leurs amas coquilliers. Si la Bretagne et la Plaine de Caen sont particulièrement bien documentées, la faible diversité relative des ressources marines exploitées dans les Pays-de-la-Loire pourrait être d’origine méthodologique, du fait de la rareté des assemblages fauniques étudiés et de l’absence de protocole de prélèvement et de tamisage fin (Dupont, Mougne, 2015 ; Mougne, 2015 ; Mougne et al., 2014a, 2014b, 2015).

23Les études ichtyologiques, relativement nombreuses en Bretagne, ont porté notamment sur des contextes insulaires : le site de Mez Notariou sur l’île d’Ouessant (Le Bihan et Villard dir., 2001, 2010 ; Le Bihan et Méniel, 2002 ; Clavel 2010 ; Méniel, Clavel 2013) couvrant globalement l’ensemble de la Protohistoire et l’Antiquité ; les sites de Beg ar Loued à Molène (Dréano et al., 2013) et de Tariec Vraz à Landéda (Dréano inédit, en cours), dont l’occupation remonte à l’âge du Bronze ; et enfin les ensembles de l’île aux Moutons à Fouesnant (Finistère) (Daire et Hamon dir., 2013 ; Dréano 2008b ; Dréano et al., 2013), de Port Blanc à Hoedic (Morbihan) (Dréano 2008a ; Daire et Baudry [dir.], 2018), Triélen dans l’archipel de Molène (Daire et al. 2008) et Dossen Rouz à Locquémeau-Trédrez (Daire [dir.], 2011 ; Dréano 2011).

4. Le barrage de pêcherie : une technique de pêche largement répandue dans l’Ouest

24Le barrage de pêcherie apparaît comme une forme évoluée de la pêche à pied qui se pratique notamment sur les côtes à marées. Moins opportuniste (l’intentionnalité est matérialisée par la construction d’un barrage), cette technique n’en reste pas moins aléatoire quant à ses résultats qui sont effectivement liés au coefficient de la marée, aux conditions météorologiques, aux fluctuations des courants marins et, finalement, dépendent étroitement de l’éthologie des poissons !

25Dans l’Ouest de la France, l’importance considérable des marées détermine la présence de vastes estrans, faisant figure de véritables garde-manger qui présentent l’énorme avantage d’être réapprovisionnés deux fois par jour et de préserver les organismes vivants. L’une des formes d’exploitation de ces zones de balancement de la mer est liée à la construction de barrages de pêcheries, en pierre ou en bois, dont le principe s’établit dès le Mésolithique pour se poursuivre jusqu’à l’époque actuelle (fig. 3).

Figure 3 : Principe de fonctionnement d’une pêcherie / Working of a fishery

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D’après Daire et Langouët, 2010. / After Daire and Langouët, 2010.

26Une des problématiques d’étude est la détermination des règles auxquelles est soumise l’implantation des barrages de pêcheries, au-delà, bien entendu, du seul impératif hydrodynamique (flux de marées, de rivière, courants). Pour les périodes anciennes, des questionnements subsistent quant aux rythmes d’exploitation des barrages de pêcheries, à l’identification des groupes à l’origine de leur construction et de leur utilisation. En effet, la diversité des formes d’exploitation des poissons selon les sites est probablement à relier aux modes d’occupations humaines, insulaires et côtières, mais aussi au contexte social, économique et culturel local et/ou régional. Les hypothèses liées aux utilisations artisanales des poissons et à une activité de transformation concernent davantage les périodes antique et médiévale, voire la toute fin de la Protohistoire, bien que des indices de conservation semblent apparaître dès la fin du Néolithique et continuer à l’âge du Bronze sur le site de Beg ar Loued (Dréano, inédit), et reposent à la fois sur l’étude des vestiges matériels d’installations caractéristiques, ainsi que sur l’étude complète des ossements de poissons et des structures archéologiques (Driard, 2011). Ainsi, pour l’Antiquité, pêche et salaisons sont intimement liées dans le cadre de la production de garum et de salaisons. Mais jusqu’à maintenant, les pêcheries et autres structures submergées ont été trop peu prises en compte en tant qu’éléments d’une chaîne opératoire complexe.

27On peut effectivement envisager divers scenarii où les choix seraient dictés par la ressource halieutique (zones plus riches en poissons, estuaires pour capturer à la fois des prises de mer et de rivière ?) (Fischer, 1997), par la topographie (configuration et accessibilité de l’estran ?), ou encore par l’implantation des communautés humaines (règles de proximité ?).

28Sur les côtes rocheuses, nombre de pêcheries mettent à profit une configuration naturelle de la côte favorable à leur implantation et limitant l’investissement lors de sa construction : anse naturelle, couloir d’écoulement occupant une faille entre des massifs rocheux…

29Au-delà des caractéristiques des côtes, des variations de marnage peuvent expliquer certaines différences dans la densité des barrages (fig. 1). Ceux des côtes de la Manche, compris entre 7,4 m à l’ouest et 14,4 m à l’est, permettent à certains estrans sableux de connaître de grands dégagements à marée basse (baie du Mont-Saint-Michel, estuaire de l’Arguenon, grève de Santec, etc.). En revanche, sur la côte atlantique, les marnages sont plus limités, de l’ordre de 6 m.

4. L’instrumentum

30Les instruments de la pêche ont fait l’objet d’une enquête bibliographique et archivistique approfondie, y compris dans les réserves de musées et dépôts de fouille, à l’échelle des trois régions de l’étude (Gabaude, 2013a). Si la thématique de cette contribution est tournée vers la pêche maritime, quelques outils se prêtent à une analyse critique en référence à la pêche en eau douce (rivière ou plan d’eau).

31La première remarque qui s’impose, au vu de la cartographie des sites ayant livré des instruments liés à la pêche, est la disparité géographique des données, particulièrement lacunaires pour la région normande et plus encore pour les Pays-de-la-Loire (fig. 4). à ce stade des recherches, nous pouvons présumer qu’il s’agit là d’un biais méthodologique, dans la mesure où les nombreux hameçons et navettes à filets de différentes époques issus de milieu fluvial (la Saône, le Doubs…) font l’objet de mentions dans la base Joconde du ministère de la Culture. En milieu maritime, les conditions de conservation des objets métalliques sont typiquement moins bonnes, ce qui constitue un biais pour les découvertes archéologiques potentielles.

Figure 4 : Carte des sites mentionnés dans le texte ayant livré des instruments ou outils liés à la pêche, toutes périodes confondues / Map showing sites mentioned in the text where fishing tools have been found dating to all periods

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D’après Gabaude, 2013a, actualisé par M.Y. Daire, DAO L. Quesnel. / After Gabaude, 2013a, brought up to date by M.-Y. Daire, CAD L. Quesnel.

32Les objets liés à la pêche ont été répartis en deux catégories correspondant à des techniques de pêche : d’une part, la pêche au filet, et, d’autre part, la pêche à la ligne. Dans les deux cas, il s’agit de pêches qui peuvent être pratiquées plus ou moins au large, à partir d’embarcations, ou bien à partir de la côte, en mettant à profit les flux de marée et les courants côtiers ou encore la présence de zones rocheuses.

Les instruments de la pêche au filet

33Les instruments de la pêche au filet sont liés soit à la fabrication et la réparation de ces derniers (navettes et aiguilles), soit à leur utilisation (lests ou poids).

Les navettes

34Si elles ne font pas partie intégrante des filets, les navettes et les aiguilles sont liées à la fabrication et à la réfection de ces dispositifs de capture (fig. 5, tab. 2). La navette est formée d’une tige plus ou moins longue terminée à ses deux extrémités par des fourches à deux branches. L’inventaire présente neuf navettes, dont les plus complètes mesurent environ 15 cm (longueur minimale car les objets sont souvent incomplets) (fig. 6 et n° 1, fig. 17) :

• deux d’entre elles sont en fer et issues du site de La Guyomerais à Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) (Leroux et Provost, 1990, p. 304) (n° 2, fig. 6) ;

• trois autres sont en bronze ; la première provient du site de production de salaisons de Kervel-Kerzgoasgen à Plonevez-Porzay (Finistère), fouillé par J.-P. Le Bihan (Sanquer, 1975, p. 351), la seconde du site antique de Monterfil à Corseul (Côtes d’Armor) (Kérébel, 1990, p. 30 ; Le Cloarec, 2001, p. 116, n° 35) et la dernière de la villa gallo-romaine de Mané Véchen à Plouhinec (Morbihan) (Provost, 2003) (n° 1, fig. 6) ;

• un autre objet à tige métallique (alliage cuivreux) a été retrouvé sur le site antique de Roz-Avel à Quimper (Finistère) en association avec des hameçons ; mais, dans la mesure où les extrémités sont manquantes, il est difficile de trancher formellement entre une aiguille et une navette (Le Bihan, 1986 ; Le Bihan et Villard, 2012, p. 585).

• Une navette en os mesurant environ 13 cm de long était associée à des mobiliers datés du iv^e siècle au sein de la villa gallo-romaine de Kervenennec à Pont-Croix (Finistère) (Galliou, 1977, p. 6) (n° 3, fig. 6) ;

• une autre navette en os provient d’un niveau gallo-romain d’arêtes de poisson du site de Kerhostin à Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan) (Bernier, 1966, p. 1) ;

• enfin, le site de La Fosse Touzé à Courseulles-sur-Mer (Calvados), site d’habitat de l’âge du Fer, a livré un objet en os très fragmenté, que nous sommes tentés d’interpréter comme une navette, par la présence de lests sur le site (Jahier, 1999).

Figure 5 : Principe de fabrication d’un filet de pêche et utilisation d’une navette / Manufacture of a fishing net and use of a shuttle

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D’après Seymour, 1994. / After Seymour, 1994.

Figure 6 : Navettes à filet / Net shuttles

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1 – Villa de Mané Vechen à Plouhinec (Morbihan) (d’après Provost, 2003). 2 – Villa de La Guyomerais à Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) (d’après Leroux et Provost, 1990). 3 – Villa de Kervenennec à Pont-Croix (Finistère) (d’après Galliou, 1977). / 1 – Villa Mané Vechen at Plouhinec (Morbihan) (after Provost, 2003). 2 – Villa La Guyomerais at Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) (after Leroux and Provost, 1990). 3 – Villa Kervenennec at Pont-Croix (Finistère) (after Galliou, 1977).

Les aiguilles à filet

35Les aiguilles à filet ressemblent aux aiguilles à couture, mais leur découverte en contexte littoral et en association avec des lests de filet incite à considérer qu’elles ont pu être utilisées pour la confection ou le ravaudage des filets (tab. 2).

36L’inventaire compte trois aiguilles en os, provenant du Morbihan et de sites datés d’époques différentes :

• le site de production de salaisons de poissons gallo-romain du Resto à Lanester (Morbihan) (André, 1981) ;

• les villages du second âge du Fer de Goulvars à Quiberon et Port-Blanc à Hoedic (Morbihan), (Hyvert et Le Bihan, 1990 ; Daire, inédit) (fig. 7).

Figure 7 : Aiguille en os de l’habitat laténien de Port Blanc à Hoedic (Morbihan) / Bone needle from the La Tène settlement of Port Blanc at Hoedic (Morbihan)

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Photo M.-Y. Daire.

Tableau 2 : Principales caractéristiques des aiguilles et navettes inventoriées / Table 2: Main characteristics of the inventoried needles and shuttles

37On notera que tous ces éléments, navettes et aiguilles, ont été découverts sur des sites à vocation domestique ou artisanale, au sein desquels on suppose donc une activité de fabrication ou de ravaudage de filets. Mais en ce qui concerne la pratique de la pêche au filet, un autre élément déterminant est la présence de lests.

Les lests de filet

38Une précision terminologique s’impose en préambule de la présentation des poids de pêche ou de filets, la documentation proposant les termes de lests, poids ou plombs (fig. 8). Nous avons éliminé le terme « peson » de manière à éviter toute confusion avec les poids de tisserand.

39Par ailleurs, concernant la limite de poids supérieure permettant de discriminer un lest de filet d’une ancre dormante ou d’un lest de bateau, nous avons opté pour celle de 15 kg retenue par une précédente publication (Langouët et al., 1999).

Figure 8 : Principe de lestage d’un filet de pêche (d’après Seymour, 1994) / Ballast of a fishing net (after Seymour, 1994)

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40Les lests de filet (fig. 9 et tab. 3) constituent la catégorie numériquement la plus importante de l’inventaire avec un nombre minimum d’individus s’élevant à plus de 300 objets de divers types, répartis entre les trois régions étudiées et sur la totalité de l’éventail chronologique.

41Ces lests de filet ont fait l’objet d’un certain nombre de publications monographiques ou régionales, notamment pour ce qui concerne le nord de la Haute-Bretagne (Bizien-Jaglin et Langouët, 1992 ; Dervilly et al., 1998 ; Langouët, 2003 ; Le Pache, 1995 ; Le Quellec, 2003) ou encore la Basse-Normandie (Carpentier et al., 2001).

42Qu’ils soient en pierre ou en argile cuite, ces lests sont généralement des objets réutilisés ou transformés. Leur attribution chronologique pose, par ailleurs, un problème lorsqu’ils sont découverts en prospection, ou issus de fouilles anciennes, en particulier sur des sites ayant connu des occupations multiples. Aussi, par rapport à la première analyse proposée (Gabaude, 2013a et b), nous n’avons retenu ici que les lests de filets dont l’attribution chronologique pouvait être relativement fiable.

43Découverts en contexte archéologique, ces lests de filets sont généralement associés à des sites à vocation domestique ou artisanale, plus rarement funéraire (Les Hautes Coutures à Bénouville, Calvados ; Marcigny [dir.], 2001 ; Marcigny, 2004).

44Il n’est pas rare qu’un ensemble de lests provenant d’un même site, voire d’un même filet, mette en œuvre différents matériaux.

45Les lests en pierre (fig. 9 à 17) constituent la catégorie majoritaire ; ils sont souvent réalisés dans des galets, qui peuvent présenter une perforation naturelle, ou être aménagés d’une perforation ou d’une rainure.

46En ce qui concerne cette dernière catégorie, rappelons cependant qu’une confusion fréquente assimile ces pierres de lest rainurées à des maillets à gorge dont la fonction est bien différente, le critère discriminant étant la surface de percussion présente sur les uns et absente sur les autres (Daire, 2007). Bien sûr, une réutilisation de certains maillets à gorge comme pierre de lest ne peut être totalement exclue, notamment lorsqu’ils sont découverts en contexte littoral.

47En raison de ressources géologiques très diversifiées dans la région d’étude, les matériaux des poids de filets sont eux aussi très variés (granite, calcaire, silex, dolérite, schiste, grès…) et correspondent généralement à l’environnement proche.

48De nombreuses pièces sont en fait des éléments d’architecture ou des outils réemployés, principalement en terre cuite (fig. 15-16). Il s’agit notamment de briques, de tegulae ou d’imbrices et peut-être même dans un cas, d’un fragment de céramique blanche. L’exemplaire découvert dans un bâtiment gallo-romain sur l’île Lavret de l’archipel de Bréhat (Côtes-d’Armor) (Le Pache, 1995), en cours de perçage, n’a jamais été utilisé et illustre ainsi la récupération de ces matériaux. Un lest en granit d’Er Yoh, sur l’île de Houat (Morbihan) (n° d’inv. R82.77.917) a manifestement servi de percuteur (cupule visible) avant d’être réaménagé en lest par une encoche. Mais l’usage de pesons en argile cuite est attesté pour des périodes antérieures, si l’on en croit la découverte d’un lest de filet en argile cuite, associé au complexe de pêcheries de Pignochet à Saint-Jean-Le-Thomas (Manche) (Billard et Bernard dir., 2016, p. 322, fig. 282). Pour cet objet, C. Billard a d’ailleurs évoqué l’hypothèse qu’il s’agisse d’un poids d’épervier, hypothèse qui pourrait également s’appliquer à un lot important de petits galets standardisés trouvés dans une fosse du Bronze final à Barneville-Carteret.

49Les pesons en argile cuite, découverts lors des fouilles de la villa des Mielles à Saint-Cast-le-Guildo (Côtes-d’Armor), initialement mentionnés dans l’inventaire de Gabaude (2013a), n’ont pas été retenus ici, car ils doivent être considérés comme des pesons de tisserand. Ces blocs troncs pyramidaux, perforés, caractéristique de l’activité de production textile présentent une forme et un matériau caractéristiques et sont dépourvus de stigmate (usure, frottement) d’une utilisation comme lest de filet, qui aurait immanquablement laissé des traces sur l’argile.

50Enfin, des lests à filet en plomb, au nombre de 18, retrouvés au sein de la villa gallo-romaine de Mané Véchen à Plouhinec (Morbihan), sont de forme globalement cylindrique, obtenue par enroulement ou cintrage d’une bande de plomb dont l’épaisseur varie entre 6 et 11 mm, et dont les extrémités sont généralement effilées (fig. 18). La masse des éléments les mieux conservés varie de 88 à 212 grammes (Provost et al. publication en préparation). À Porchester Castel, ce type d’objet est qualifié de poids, sans précision quant au domaine d’utilisation (Cunliffe, 1975, p. 232-233, n° 167). À Lattes, des poids du même type ont été retrouvés en grande quantité, souvent regroupés, en place, et leur interprétation comme lests de filet ne fait aucun doute ; ils ont été découverts dans des niveaux couvrant une période allant du II^e s. av. au i^er siècle apr. J.-C. (Feugère, 1992, p. 147-148 et 155-156, fig. 8 et 9).

51À Mané Véchen, 12 lests ont été découverts groupés sur le sol ou dans un niveau d’incendie, au contact du sol, sous l’arc de passage entre les salles AN et AS (aile sud). Ils appartiennent manifestement à un filet abandonné à cet endroit, peu avant l’incendie de l’aile sud, qui est daté aux alentours de 282. D’autres lests proviennent de l’aile ouest, précisément du niveau d’occupation/abandon de la salle R et de ses abords (fin iii^e siècle).

52En résumé, la masse de ces poids de filets, lorsqu’elle a pu être renseignée, varie entre 37 g et un peu plus de 14,5 kg. Nous avons déjà souligné la subtile distinction entre lests de filet et pierre de mouillage quand on considère les pièces les plus imposantes. En ce qui concerne les plus légères (quelques dizaines de grammes), et notamment le petit galet à rainure de l’île aux Moutons (n° 1, fig. 14), ou encore le lest de Kerné à Quiberon (tab. 3), il semble que ces dernières étaient plus probablement utilisés pour lester une ligne de pêche qu’un filet.

Figure 9 : Distribution des lests de filets inventoriés, tous matériaux confondus / Distribution of the inventoried fish weights made out of different materials

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Doc. Gabaude, actualisé par Daire, DAO L. Quesnel. / Doc. Gabaude, brought up to date by Daire, CAD L. Quesnel.

Tableau 3 : Principales caractéristiques des lests de pêche datés / Table 3: Main characteristics of the dated fishing weights

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Figure 10 : Lests de filet en pierre / Stone fishing weights

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1 – Ploumanach, 2 – Plouvorn (Côtes-d’Armor).

Dessin du n° 1 : L. Langouët, du n° 2 : M.-Y. Daire, DAO L. Quesnel. / Drawing by n° 1: L. Langouët, du n° 2: M.-Y. Daire, CAD L. Quesnel.

Figure 11 : Lests en pierre du Lédano à Paimpol (Côtes-d’Armor) / Stone weights from Lédano at Paimpol (Côtes-d’Armor)

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53Dessin L. Langouët, DAO L. Quesnel. / Drawing L. Langouët, CAD L. Quesnel.

Figure 12 : Ensemble de lests en pierre de Carnac (Morbihan), Le Lizo, sauf n° 3 = Gradouresse / Stone weights from Carnac (Morbihan), Le Lizo, except n° 3 = Gradouresse

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Doc M.-Y. Daire.

Figure 13 : Ensemble de lests en pierre du Morbihan / Stone weights from the Morbihan

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1 – Mané Roullarde à la Trinité-sur-Mer, 2 – Kerhuen à Belz, 3 – Kérné à Quiberon, 4 – Locmiquel à Baden. / 1 – Mané Roullarde at la Trinité-sur-Mer, 2 – Kerhuen at Belz, 3 – Kérné at Quiberon, 4 – Locmiquel at Baden.

Doc M.-Y. Daire.

Figure 14 : Lests de filet du site de l’île aux Moutons à Fouesnant (Finistère) / Net weights from the site of île aux Moutons at Fouesnant (Finistère)

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Photo M.-Y. Daire.

Figure 15 : Lest en argile cuite de l’anse Solidor à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) / Terra cotta weights from l’anse Solidor at Saint-Malo (Ille-et-Vilaine)

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Dessin L. Langouët, DAO L. Quesnel. / Drawing L. Langouët, CAD L. Quesnel.

Figure 16 : Ensemble de lests en argile cuite de la grève de Cancale (Ille-et-Vilaine) / Terra cotta weights from la grève de Cancale (Ille-et-Vilaine)

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54

Figure 17 : Pesons en pierre / Stone loom weights

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1 à 4 – Courseulles-sur-Mer, 6 – Fleury-sur-Orne (Calvados), 7 – Guernesey (Îles anglo-normandes), 5 – Fragment de navette en os de Courseulles-sur-Mer (Calvados). / 1 à 4 – Courseulles-sur-Mer, 6 – Fleury-sur-Orne (Calvados), 7 – Guernesey (Îles anglo-normandes), 5 – Fragment of a bone shuttle from Courseulles-sur-Mer (Calvados).

Dessin A. Gabaude, DAO L. Quesnel. / Drawing A. Gabaude, CAD L. Quesnel.

Figure 18 : Plombs de lest de filet de la villa antique de Mané Véchen à Plouhinec (Morbihan) / Lead net weights from the Roman villa of Mané Véchen at Plouhinec (Morbihan)

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Les instruments de la pêche à la ligne

Les hameçons

55Les hameçons constituent le second groupe numériquement le plus important de l’inventaire après les lests de filet (tab. 4, fig. 19). Pour autant, leur nombre reste relativement modeste puisqu’on en dénombre seulement 32 exemplaires, répartis entre la Bretagne et les Pays-de-la-Loire, sur des sites datant majoritairement de l’Antiquité ou de la fin du second âge du Fer. Leur état de conservation est variable, allant du simple fragment de hampe à l’exemplaire parfaitement conservé.

56Il s’agit presque toujours d’hameçons « simples » à un crochet, sauf dans le cas d’une pièce découverte à la Guyomerais (Châtillon-sur-Seiche, Ille-et-Vilaine) qui est un hameçon double (fig. 22). Certains exemplaires possèdent une pointe dotée d’un ardillon empêchant le décrochage de l’hameçon une fois que le poisson est ferré (fig. 19, n° 1 et fig. 22).

57Outre les quatre exemplaires découverts en prospection ou hors contexte archéologique, les sites ayant livré des hameçons ont principalement une vocation domestique ou artisanale. Ces objets sont absents des dépôts métalliques en milieu humide mais potentiellement présents sous forme de fragments dans le dépôt du bois de Lassay à Faveraye-Machelle (Maine-et-Loire) (Cordier et Gruet, 1975). À de rares exceptions près, la masse de chaque hameçon n’a pu être évaluée.

Figure 19 : Distribution des hameçons inventoriés dans l’Ouest de la France / Distribution inventoried fishing hooks from Western France

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Doc. Daire, DAO L. Quesnel. / Doc. Daire, CAD L. Quesnel.

Tableau 4 : Principales caractéristiques des hameçons inventoriés (Inc. = incomplet) / Table 4: Main characteristics of fishing hooks (Inc. = incomplete)

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58En ce qui concerne les matériaux des hameçons, 12 exemplaires sont en fer et proviennent majoritairement de sites d’habitat de l’âge du Fer, l’exemplaire de la villa antique des Bosséno à Carnac (Morbihan) (Miln, 1877) étant attribué à l’époque gallo-romaine. Généralement incomplets, huit de ces hameçons ont été découverts sur l’habitat gaulois de Port-Blanc à Hoedic (Morbihan) (Langouët et Daire, 2011 ; Langouët et Baudry, 2018) ; trois hameçons en fer, également incomplets, ont été mis au jour livrés lors des sondages du site pré-romain de l’île aux Moutons (Fouesnant, Finistère) (Daire et Hamon dir., 2013), le dernier venant de l’habitat de l’âge du Fer de Goulvars à Quiberon (Morbihan) (Hyvert et Le Bihan, 1990).

59Douze hameçons en bronze sont majoritairement issus de contextes antiques. Quatre exemplaires (complets et incomplets) ont été découverts lors des fouilles de l’habitat gallo-romain de la Guyomerais à Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) (Leroux et Provost, 1990). Deux hameçons en bronze ont été récemment découverts sur l’île de Sein (Finistère), à l’occasion d’un sondage pratiqué dans un amas coquillier (Dutouquet, information inédite) (fig. 20). Deux autres proviennent de l’habitat gallo-romain de Roz-Avel et du site de Saint-Hubert (Quimper, Finistère) (Le Bihan et Villard, 2012, p. 585). Lors des fouilles réalisées à l’anse Solidor, un hameçon a été trouvé dans le comblement de la machinerie gallo-romaine (Langouët, 1988). Deux hameçons, trouvés dans les dragages de la Vilaine, à Massérac (île de Meillac) (Loire-Atlantique), ont été réalisés à partir d’épingles en bronze (Briard et al., 1995) ; deux autres provenant de Guéméné-Penfao (Loire-Atlantique), dans la zone du Pont de Beslé, également réalisés à partir d’épingles tordues, pourraient être du même type (Cordier, 2009, p. 413 et fig. 317). Ces qautre derniers objets sont considérés comme des productions de l’âge du Bronze mais le contexte exact n’est pas renseigné.

60À cette même famille s’apparente un exemplaire complet, en alliage base cuivre, provenant de l’habitat gallo-romain du Grand Essart à Jard-sur-Mer (Vendée) (Seris, 2009).

61Une pièce particulièrement intéressante conservée au sein des collections du Musée Dobrée, à Nantes, est un hameçon en silex acheté en 1902, malheureusement sans contexte associé et non daté (non cartographié) (obs. pers. A. Gabaude). Il est peut-être à rapprocher d’un autre hameçon en silex, découvert dans la Seine à Vieux-Port (Eure), daté de l’âge du Bronze (Marcigny et al., 2005, fig. 43).

62Pour certains hameçons signalés dans des publications, comme les trois pièces fragmentées du dépôt de l’âge du Bronze du bois de Lassay, à Faveraye-Machelles (Maine-et-Loire) (Cordier et Gruet, 1975), le matériau n’a pas été déterminé. 

Figure 20 : Hameçons en bronze de l’île de Sein (Finistère) / Bronze fishing hooks from île de Sein (Finistère)

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Photo M.-Y. Daire.

Figure 21 : Hameçons / Fishing hooks

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1 – Les Essarts, Jard-sur-Mer (Vendée), 2 – Villa gallo-romaine du Bosséno à Carnac (Morbihan). / 1 – Les Essarts, Jard-sur-Mer (Vendée), 2 – Roman Villa of Bosséno at Carnac (Morbihan).

Cl. A. Gabaude, DAO M.Y. Daire. / Photo. A. Gabaude, CAD M.Y. Daire.

Figure 22 : Hameçons de la villa gallo-romaine de la Guyomerais à Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) (d’après Leroux et Provost, 1990) / Fishing hooks from the Roman villa of la Guyomerais at Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) (after Leroux and Provost, 1990)

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Les plombs de ligne

63On dénombre quelques lots de lests en plomb dans le département de la Manche, à Urville-Nacqueville en association avec un contexte d’habitat du second âge du Fer (Lefort, 2015) et à Jonville-Réville, dans un contexte moins bien daté (Carpentier, Ghesquière et Marcigny, 2001) (fig. 23), ainsi que dans la villa gallo-romaine de Mané Véchen, à Plouhinec (Provost, 2003 et publication en préparation) (fig. 24).

64Sur ce dernier site, ces plombs sont de forme tronc-pyramidale ou parallélépipédique, percés d’un trou de suspension à proximité du sommet, et d’un poids de 78 à 193 grammes. À Richborough, un objet de ce type, mais de forme triangulaire, d’un poids de 421,25 g, est qualifié de poids ou de lest (Bushe-Fox, 1949, Richborough 4, pl. XL, n° 155). Pour Hoffman, des plombs découverts dans l’épave du Grand-Congloué sont en réalité des pesons de filet ou, pour les plus grands, des plombs de sonde (Hoffman, 1965, Notice technique 16, pl. XLII, n° 13, 14, 15). L’identification de plombs de ligne est proposée par V. Carpentier, E. Ghesquière et C. Marcigny, à propos d’une découverte sur l’estran de Réville (Manche) (Carpentier et al., 2001, tableau 1 et fig. 2, n° 1, 2 et 3). Les auteurs précisent que, si ces plombs, découverts en prospection, ne sont pas datés, ils sont similaires aux plombs connus à l’âge du Fer sur le littoral bas-normand et que, par ailleurs, leur forme demeure inchangée jusqu’au xx^e siècle. En référence à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, et en précisant que cette technique est certainement antérieure au XVIII^e siècle, les mêmes auteurs indiquent que ces objets sont caractéristiques d’un mode de pêche précis, le plomb servant à lester une ligne de fond garnie d’un ou plusieurs hameçons. Le lest sert à maintenir l’hameçon le plus près du fond, ce qui justifie que son poids soit proportionnel à la rapidité du courant. Une telle technique est en effet parfaitement adaptée au contexte de la ria d’Etel où le chenal se caractérise par de forts courants.

65Quatre plombs proviennent du niveau d’abandon de la cour centrale de la villa de Mané Véchen, en bordure de la façade de l’aile ouest, daté du tout début du IV^e siècle.

66Il faut cependant noter qu’aucun hameçon n’a été découvert à Mané Véchen, malgré le tamisage pratiqué systématiquement avec une maille de 2 mm lors de la fouille des niveaux d’occupation et d’abandon.

Figure 23 : Plombs de ligne de Réville/Jonville (Manche) / Lead weights from Réville/Jonville (Manche)

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Dessin E. Ghesquière. / Drawing E. Ghesquière.

Figure 24 : Plombs de ligne de la villa antique de Mané Véchen à Plouhinec (Morbihan) / Lead weights from the Roman villa of Mané Véchen at Plouhinec (Morbihan)

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67Dessin A. Provost/Y. Dufay-Garel. / Drawing A. Provost/Y. Dufay-Garel.

Autres instruments de pêche

Instruments divers en contextes archéologiques

68Outre les hameçons et les filets, quelques instruments de pêche plus originaux retrouvés en un voire deux exemplaires montrent une autre facette de la pratique de la pêche en nous renseignant sur le type de poissons capturés. Ainsi, la découverte d’une foëne incomplète en fer dans la villa gallo-romaine de Mané Véchen à Plouhinec (Morbihan) atteste de la pratique de la pêche des poissons plats (Provost, 2003) (fig. 25). Son association avec une navette à filet et plusieurs lests tend à démontrer que les habitants de la villa pratiquaient régulièrement une pêche variée avec des outils spécifiques.

69De même, le vaste complexe de pêcherie de Pignochet à Saint-Jean le Thomas (Manche), a livré, outre une pêcherie de l’âge du Bronze, des outils liés autant à son entretien qu’à la capture des poissons (Billard et Bernard dir., 2016, p. 322-324). Ces éléments sont :

• un merlin en bois et bois de cerf qui pouvait servir à l’entretien de la pêcherie ;

• un objet fourchu et tressé en bois de noisetier considéré comme une possible épuisette, peut-être destinée à la récupération des poissons piégés dans la pêcherie ;

• un panier d’environ 50 cm de diamètre en bois de rosier et de tilleul.

Figure 25 : Foëne provenant de la villa antique de Mané Véchen à Plouhinec (Morbihan) / Fishgig from the Roman villa of Mané Véchen at Plouhinec (Morbihan)

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Dessin A. Provost et Y. Dufay-Garel. / Drawing A. Provost et Y. Dufay-Garel.

Les flotteurs et lests en bois

70Des écorces de peuplier ou de pin ont été employées pour la fabrication de flotteurs au cours de la Préhistoire récente (Baudais, 1989 ; Berzin, 2008). Leur épaisseur et leur rigidité permettent de les sculpter en plaquettes souvent perforées ou encochées. Ces essences présentes dans l’Ouest de la France pendant la période considérée se prêteraient bien à cet usage, mais il n’existe encore aucune mention de ce type d’objet en écorce dans l’Ouest de la France.

71À Urville-Nacqueville (Manche), A. Lefort a signalé la présence de deux possibles flotteurs en « bois dense » (pomoideae), ce qui semblerait en l’occurrence plus approprié pour des lests de filet (Lefort, 2010, p. 55).

Des objets énigmatiques

72Les éléments dont la description suit sont plus problématiques, que ce soit du fait de leur mauvais état de conservation ou de la difficulté à déterminer leur fonction précise.

73Il s’agit notamment d’un outil de 14 cm de haut, découvert aux Plomarc’h à Douarnenez (Finistère), interprété soit comme une pointe de harpon, soit comme une extrémité de gaffe (instrument servant à la récupération des cordages sur les bateaux ou à écarter le bateau du quai) (Sanquer et Galliou, 1972).

74Par ailleurs, l’association au domaine de la pêche de deux lamelles en bronze découvertes sur le site gallo-romain de La Guyomerais, à Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine), découle probablement d’une erreur d’identification dans l’Inventaire du musée de Bretagne.

La question des galets biseautés

75La question du lien entre galets biseautés et pêche à pied est régulièrement évoquée, aussi bien des contextes préhistoriques que plus récents. L’hypothèse selon laquelle ces galets biseautés auraient pu servir d’outils pour décoller les patelles des rochers a été avancée à plusieurs reprises (Chevallier, 1998 ; Donart et al., 2012 ; Mougne, 2015, p. 456). En effet, ce type d’artefact est souvent découvert sur des sites côtiers du nord-ouest de l’Europe présentant une population élevée de patelles (Lacaille 1954, p. 218 ; Pailler et Dupont, 2 007). Encore aujourd’hui, certains habitants des côtes finistériennes collectent des patelles à l’aide d’un simple galet ramassé sur l’estran (Pailler et Dupont, 2 007). L’étude des traces d’impacts sur coquilles, réalisée par C. Mougne, a effectivement montré que des patelles des sites du Boisanne à Plouër-sur-Rance (Côtes-d’Armor) et de Beg ar Loued à Molène (Finistère) ont pu être collectées à l’aide d’un galet biseauté (Mougne, 2015).

76Cependant, compte tenu des multiples usages possibles de ces objets, qui ont aussi pu servir à briser des coquilles de crabes ou de bivalves, mais aussi des ossements, des noisettes… pour se limiter aux usages alimentaires, nous n’en proposons pas ici d’inventaire mais attirons l’attention des archéologues sur ce type de macro-outillage lithique présent à différentes périodes.

5. Synthèse et discussion

77La mise en perspective des données archéologiques et archéobiologiques relatives à l’exploitation des ressources aquatiques et notamment marines permet de proposer à la discussion plusieurs éléments de synthèse et des hypothèses, susceptibles de favoriser le développement de nouvelles pistes de recherche.

Techniques, espèces et milieux exploités

78La fouille récente de plusieurs sites préhistoriques et protohistoriques, et les études archéozoologiques associées, démontrent aujourd’hui que la pêche côtière est source d’un apport alimentaire régulier, à côté de la chasse et de l’élevage, et offre aux populations du littoral, au sens large, une nourriture plus variée qu’à l’intérieur des terres (Baudry, 2012). Les témoignages archéologiques illustrant la pratique d’une pêche au large sont si rares que l’on peut raisonnablement estimer que la pêche à pied (collecte des coquillages et exploitation des pêcheries) jouait un rôle de premier ordre dans l’acquisition des produits marins, en complément d’une pêche côtière saisonnière avec lignes et hameçons. En effet, quel que soit le site ou la période concernée, tous les poissons identifiés ont pu être pêchés depuis le rivage, sans avoir nécessairement recours à une embarcation (Dréano et al., 2013). Autre pratique évoquée à plusieurs reprises, la capture sur estran, voire le charognage d’animaux échoués, est envisagée dans le cadre de la consommation de mammifères marins, en lien avec les restes de phoque gris retrouvés à Molène, Ouessant, Triélen (Finistère) et Hoedic (Morbihan), ou encore les restes de cétacés identifiés à Molène ; Ouessant, Plouër-sur-Rance (Côtes-d’Armor) ou encore Nacqueville (Manche) (Tresset 2011, Méniel et Clavel 2013 ; Baudry 2012 ; Baudry et al. 2013 ; Lefort, 2015).

79L’exploitation des ressources marines semble cependant connaître une évolution au cours de la période considérée, soit 25 siècles, pondérée par des variations géographiques qui ne se résument pas à une dichotomie côte nord/côte sud (Manche vs Atlantique) mais découlent des faciès littoraux différents. Par ailleurs, le déséquilibre quantitatif de la documentation entre les régions de l’Ouest français peut partiellement s’expliquer par un accès à la ressource documentaire facilité en Bretagne, par la numérisation des rapports de fouille et de prospection (bibliothèque numérique du SRA Bretagne, accessible via GéoBretagne).

80La réflexion sur l’évolution chronologique des instruments de pêche reste aujourd’hui assez limitée ; bien entendu, on note des changements dans les matériaux des hameçons (majoritairement en fer à l’âge du Fer et en bronze aux époques qui précèdent mais aussi celles qui suivent). Par ailleurs, on souligne l’importance numérique des lests de filets en argile cuite pour les phases postérieures à la conquête de la Gaule. L’apparition des navettes ou aiguilles en alliage cuivreux est datée en Gaule du i^er siècle av. J.-C. (Le Bihan et Villard, 2012, p. 585), mais des exemplaires en os ou en bois ont probablement existé antérieurement. Le caractère assez intemporel des instruments de pêche à pied est illustré, entre autres, par la longévité des galets biseautés servant notamment à décoller les patelles ou ormeaux des rochers, outils ubiquistes présents dans les contextes archéologiques, du Néolithique jusqu’à la fin de l’âge du Fer au moins (et probablement bien au-delà).

81Les études archéozoologiques dans leur ensemble convergent pour établir que, pendant la Protohistoire, les habitants des littoraux de l’Ouest de la France ont principalement exploité la zone intertidale dont les ressources se renouvellent régulièrement, et sont facilement accessibles à pied. Les milieux rocheux sont particulièrement prisés, du fait de l’accessibilité des espèces qui y vivent, plus facilement repérables que celles vivant dans un environnement sableux (Mougne, 2015).

82Des spécificités régionales apparaissent cependant au sein des assemblages archéomalacologiques, avec une omniprésence de la patelle en Bretagne, simultanément absente en revanche des contextes bas-normands où la moule est souvent préférée (Mougne, 2015). Au sud de la Loire, les spectres varient selon les sites.

83Du point de vue chronologique, on note une certaine continuité générale entre l’âge du Bronze et l’âge du Fer, un changement se manifestant à partir de la fin de l’époque gauloise avec la consommation de palourde et d’huître, tandis que la consommation des fruits de mer gagne peu à peu l’intérieur des terres (Mougne, 2015). L’ostréiculture, telle qu’on la connait aujourd’hui, ne semble pas avoir été pratiquée par les Romains. Ces derniers n’élevaient pas les huîtres et prélevaient des individus adultes sur des bancs naturels qu’ils amélioraient gustativement ; le contrôle de la reproduction des huîtres ne semble guère intervenir en Europe avant les xvi^e-xvii^e siècles (Bardot-Cambot, Forest, 2013).

84En ce qui concerne l’archéoichtyologie, la représentation des sites ayant livré des restes de poissons dans l’Ouest de la France est inégale selon les périodes considérées avec 8 sites pour l’âge du Bronze, 10 pour l’âge du Fer et 24 pour l’Antiquité (tab. 5). Dans un tiers des cas, la présence d’os de poissons est évoquée sans véritable identification spécifique.

85La comparaison de ces sites selon les périodes montre une diminution du nombre d’espèces exploitées au cours du temps. En effet, à l’Âge du Bronze près de 18 espèces de poissons sont observées sur les sites étudiés. Le chiffre tombe à 15 espèces pour l’âge du Fer puis à 6 pour l’Antiquité. Cette faible diversité en poissons sur les sites d’époque romaine est certainement due à une hyper-spécialisation des contextes étudiés (usine à salaison), mais aussi à une pêche plus sélective sur certaines espèces faisant appel à des techniques et des lieux de captures plus ciblés.

Tableau 5 : Sites de l’âge du Bronze, de l’âge du Fer et antiques mentionnant la présence de poisson (P) ou ayant fait l’objet d’une étude ichtyologique (T) / Table 5: Sites dating to the Metal Ages and the Roman period that mention the presence of fish (P) or where an ichtological study (T) was carried out

Figure 26 : Nombre d’espèces de poissons observés sur les différents sites en fonction de la période d’occupation / Number of fish species observed on different sites according to chronology

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Figure 27 : Nombre de sites de l’Ouest de la France mentionnant les différentes familles ou espèces de poissons selon les périodes d’occupations / Number of sites in Western France mentioning families or species of fish according to period of occupation

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86La comparaison des espèces pêchées selon les périodes concernées (fig. 27) indique une exploitation des mêmes espèces ou familles de poisson tout au long des occupations avec une préférence pour les gadidés à l’âge du Bronze, surtout des petits poissons (loches et merlans) mais aussi des grands spécimens pour le cas particulier de Mez-Notariou (Ouessant). Pour cette période, la famille des anguilliformes mais surtout le bar et les sparidés sont préférés, avec une pêche plus ciblé sur la dorade royale. Pendant l’âge du Fer, l’exploitation des poissons s’élargit à l’ensemble des sparidés (dorades, pageots, pagre…) et s’intensifie pour les labridés, avec principalement la vieille commune. La période romaine tend vers une exploitation de plus petits poissons avec une pêche en grande quantité de clupéidés (sardines, harengs, sprats, aloses…), utilisés pour la confection des sauces de poissons notamment. Les rares sites de consommation ayant fait l’objet d’études, suite à des tamisages, montrent une exploitation plus diversifiée dans la continuité des périodes précédentes.

La pêche à l’âge du Bronze

87D’une manière globale, l’examen des vestiges archéologiques et archéozoologiques (notamment ichtyologiques) des sites de la façade Manche-Atlantique française dresse, pour l’âge du Bronze, le tableau d’un type de pêche basé sur l’exploitation du proche littoral, sans utilisation d’embarcation (Clavel et Dréano, 2009 ; Mougne, 2015).

88Malgré le problème récurrent de l’attribution chronologique des barrages de pêcheries, des recherches approfondies menées sur les sites de Saint-Jean-le-Thomas, de Pignochet et de Saint-Michel (Billard et Bernard dir., 2016) ont livré des éléments très précis pour la période allant de la fin 3^e millénaire au début du 2^e millénaire avant n.è., tant sur les techniques que sur les espèces exploitées.

89L’exceptionnelle découverte de restes de poissons piégés dans la pêcherie de Saint-Jean-le-Thomas (Manche) fournit des indications précieuses pour l’âge du Bronze. Outre l’abondance des écailles attribuées aux mulets, le cortège faunique établi à partir de l’étude des restes osseux comporte le mulet, l’alose, la grande roussette, la morue, le maigre et le hareng. Hormis l’alose, les espèces anadromes remontant les rivières pour frayer (comme le saumon) sont absentes, ce qui tend à indiquer que cette pêcherie fonctionnait principalement à marée descendante (Billard, 2012, p. 37).

90Les quelques sites terrestres des îles et îlots de l’archipel de Molène ont livré de très nombreux restes ichtyologiques conservés dans des niveaux coquilliers, principalement sur le site d’habitat campaniforme/Bronze ancien de Beg ar Loued, île Molène, qui à lui seul a livré plus de 200 000 restes (Pailler et al., 2009, p. 130-142 ; Dréano, 2012 ; Dréano à paraître 2018). On peut également citer les amas coquilliers de l’île Béniguet 200 (Dréano, inédit), de Litiri 1 et 2 (Gandois et al., 2015) et de Kemenez 22bis (Gandois, 2016), pour lesquels on commence à entrevoir un lien entre structures techniques de pêche (des barrages de pêcheries ayant été récemment identifiés dans l’archipel) et restes ichtyofauniques traduisant une pêche diversifiée concernant un large spectre de poissons (plus de 40 espèces de poissons différents), de toutes tailles (Gandois et al., 2015).

91Le site de Mez Notariou à Ouessant (Le Bihan et Villard, 2001 et 2010) a livré un lot de faune tout à fait exceptionnel, préservé grâce à un amas de coquilles. Sur le plan des espèces pêchées, les études archéo-ichtyologiques révèlent qu’à Ouessant, le lieu jaune est majoritaire, suivi par le bar, la vieille commune, la dorade grise et le pageot acarné (Clavel, 2010 ; Méniel, Clavel, 2013). Pour les niveaux de l’âge du Bronze, la majorité des espèces de poissons a pu être capturée près de la côte, à la ligne ou au filet mais aussi au moyen de barrages (Méniel et Clavel, 2013). Si les côtes à falaises de l’île d’Ouessant se prêtent peu à l’installation de barrages de pêcheries, les baies de Lampaul et du Stiff furent cependant des cadres favorables à l’implantation de tels dispositifs dont la chronologie reste toutefois à préciser (Daire et Langouët, 2010, p. 103-104). Cependant, les lieux jaunes de grands gabarits, identifiés sur le site, ont dû être pêchés dans les hauts fonds proches de l’île, ce qui a pu nécessiter l’emploi d’une embarcation (Clavel et Dréano, 2009).

92Toujours à l’âge du Bronze, les habitants du site de Beg er Loued, à Molène, ont pêché essentiellement de la dorade royale et du bar parmi une quarantaine d’autres poissons de taille moyenne (Dréano et al. 2013). La capture au moyen des barrages de pêcheries apparaît ici complémentaire d’une pêche opportuniste menée en parallèle de la pêche à pied. Cette pêche littorale était probablement réalisée tout au long de l’année, avec une préférence pendant l’été pour la dorade royale. De plus, cette espèce semble avoir fait l’objet d’un traitement de conservation particulier, car les plus grands individus n’ont pas été consommés sur place (Dréano, 2018 inédit)

93D’autre part, en ce qui concerne l’exploitation des invertébrés marins, l’archéomalacologie montre qu’à l’âge du Bronze, la patelle est omniprésente en Bretagne, parfois accompagnée d’oursins violets, comme sur le site de Mez Notariou à Ouessant, de pouce-pieds ou de plusieurs espèces de crabes. Les sites de Basse-Normandie révèlent, quant à eux, une consommation majoritaire de moules (Mougne, 2015, p. 485-493).

Les avancées concernant l’âge du Fer

94L’exploitation des ressources marines à l’âge du Fer a été récemment documentée grâce à plusieurs fouilles et études, parmi lesquelles celle de Port-Blanc sur l’île d’Hoedic (Morbihan) qui a permis de créer un référentiel archéozoologique, notamment grâce aux conditions taphonomiques exceptionnelles de conservation du dépôt qui, exploitées de manière optimale, on permis la mise en place d’une méthodologie efficiente (Daire et Baudry, 2006 ; Daire et Baudry [dir.], 2018).

95Concernant les poissons, la capture au moyen des barrages de pêcheries apparaît complémentaire d’autres techniques de prédation, à la ligne garnie d’hameçons ou encore au filet. Plusieurs techniques peuvent être mises en œuvre sur un même site parallèlement ou successivement, mais dans un laps de temps très court, comme c’est le cas de Port-Blanc sur l’île d’Hoedic (Morbihan). Sur ce site, les variations en taille d’individus ou en espèces des spectres de faune selon les niveaux archéologiques, sont mises en relation avec une évolution locale des techniques de pêche au cours de La Tène finale ; l’exploitation des barrages de pêcheries, dont plusieurs structures ont été identifiées dans le sud et l’ouest de l’île, semble laisser place à la pêche à la ligne, attestée par la série d’hameçons en fer récupérés grâce au tamisage des sédiments (Dréano et al., 2015).

96Au sein de l’habitat de l’île aux Moutons, à Fouesnant (Finistère), le sondage 2 a livré un ensemble archéo-ichthyologique présentant les mêmes caractéristiques qu’à Port-Blanc, à savoir une prédominance de la vieille commune avec près de 80 % des restes déterminés (Dréano et al., 2013). Cette prépondérance des labridés peut éventuellement s’expliquer par le choix des techniques de pêche représentées, à l’île aux Moutons, par des poids de pêche mais aussi par des hameçons en fer (Daire et Hamon [dir.], 2013).

97La prépondérance de cette famille de poissons, alors que les eaux bretonnes offrent une diversité de plus de 160 espèces (Boncœur, 2005), témoigne d’une économie de subsistance halieutique parfois considérée comme « peu élaborée », cadrant davantage avec l’exploitation d’une ressource alimentaire d’appoint (Dréano et al., 2015). Les espèces déterminées reflètent parfaitement une exploitation exclusive du proche milieu côtier rocheux.

98Bien que des structures de pêcheries soient présentes dans l’archipel des Glénan (Daire et Langouët, 2014), les habitants de l’île aux Moutons ne semblent pas avoir pratiqué ce type de capture qui permet de piéger une grande diversité de poissons tout au long de l’année.

99Le site de Triélen, dans l’archipel de Molène, présente un assemblage en poissons (en cours d’étude) aux proportions complètement différentes (Dréano in Daire et al., 2008), le bar et les sparidés tenant une place importante alors que les labridés sont quasi-absents. Cette différence peut s’expliquer par une différence de fonction du site et/ou de finalité dans l’exploitation du milieu.

100Daté du second âge du Fer, le complexe domestique et artisanal de Dossen Rouz à Locquémeau-Trédrez (Côtes-d’Armor), a livré quelques restes de poissons de mer (labre, congre, dorade royale) mais aussi de l’anguille (Dréano, 2011).

Figure 28 : Céramique in situ dans l’habitat gaulois de Port-Blanc à Hoedic (Morbihan), contenant une portion de deux vertèbres caudales de bar / In situ pottery from the Celtic settlement of Port-Blanc at Hoedic (Morbihan), containing a portion of two caudal vertebra of sea bass

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Détermination Y. Dréano ; cl. M.-Y. Daire. / Identification Y. Dréano ; photo. M.-Y. Daire.

101Plusieurs établissements du second âge du Fer associent activité de production salicole et barrages de pêcheries : la pointe de Saisies sur l’île de Groix, le Loguy à Pénestin, (Morbihan), Plounez à Paimpol, Les Ebihens à Saint-Jacut-de-la-Mer, Dossen Rouz à Trédrez-Locquémeau, Landrellec et Enez Vihan à Pleumeur-Bodou (Côtes-d’Armor), Roc’h Kroum à Santec, l’île d’Yoc’h à Landunvez (Finistère) (Daire, 2003). Cette association, combinée à la présence de vestiges archéo ichthyologiques pour certains de ces sites, conduit à se poser la question d’éventuelles fabrication de salaisons de poissons, hypothèse qui reste à démontrer pour les périodes antérieures à la conquête romaine. On note toutefois que, si certaines espèces avaient fait l’objet de fabrication de sauces (hareng, sardines) ou de conserves (maquereau, thons…) dès l’époque gauloise, il est possible que ces poissons aient été exportés entiers, sans laisser de trace archéologique. Ceci expliquerait, par exemple, la nette dominance des labridés au sein des ensembles fauniques de Port-Blanc et de l’île aux Moutons alors que de nombreux poissons plus nobles fréquentent les eaux de la baie de Quiberon et des environs des Glénan (Dréano et al., 2015).

102En ce qui concerne l’exploitation des invertébrés marins, l’âge du Fer correspond à une période de diversification des espèces pêchées. Même si la patelle, ou la moule selon les secteurs, continuent à dominer numériquement certains ensembles, le spectre archéomalacologique augmente de deux à cinq espèces selon les sites, avec l’arrivée de la coque, de la palourde ou encore de l’huître plate (Mougne, 2015). à partir du second âge du Fer, la consommation d’invertébrés marins semble gagner l’intérieur des terres, particulièrement en Plaine de Caen et au sud de la Loire, jusqu’à une distance de 120 km des côtes (Mougne, 2015, p. 492). Puis, dans les phases finales de l’âge du Fer, l’influence romaine se fait sentir dans les pratiques alimentaires, tant sur les sites bretons que normands, par la collecte et la consommation d’huîtres plates et de palourdes (Mougne, 2015 p. 492). Les recherches récentes ont également montré que l’exploitation tinctoriale de certaines espèces (murex et pourpes) remonte plus haut dans le temps qu’on ne le pensait, puisque des sites laténiens (Port-Blanc à Hoedic, Les Moutons à Fouesnant, le Loguy à Pénestin) témoignent de cette production de pourpre dès le second âge du Fer (Dupont, 2013)

L’Antiquité

103Si les preuves de préparation de salaisons font encore défaut pour l’époque pré-romaine en dépit de l’existence de nombreux ateliers de bouilleurs de sel, ce n’est pas le cas pour la période suivante. En effet, la production de sauces de poisson de type garum, salsamenta… et de conserves est maintenant clairement établie sur les rivages de la Lyonnaise, attractifs pour les élites romaines qui aimaient y avoir leur résidence (Driard, 2011 ; Charpentier, 2017 ; Daveau et al., 2 007 ; Rechin et al. dir., 2017).

104En dépit de l’absence de datation sur ce type de structure, certains barrages de pêcheries paraissent associés à des établissements artisanaux antiques, dédiés à des productions de salaisons ou de sauces de poissons, et postérieurs à la conquête (Charpentier, 2017). Il faut envisager, pour l’époque gallo-romaine, une exploitation contrôlée par l’administration romaine en place. Du fait du caractère parfois aléatoire des prises au sein d’un barrage de pêcherie, il serait concevable que plusieurs sources d’approvisionnement aient été combinées pour fournir en matière première ces usines à salaisons. On évoque aujourd’hui la possibilité que, suite aux guerres puniques, Rome ait concédé, d’abord à Carthage et dans ses colonies, puis dans l’ensemble des provinces, l’exploitation des salines et des pêcheries à des societates, en échange d’une redevance (Étienne, Mayet 2002, p. 19-22 ; Driard, 2011).

105L’époque gallo-romaine voit, dans l’Ouest de la France, l’implantation de grands complexes artisanaux, communément désignés sous le nom d’usines de garum. Le site des Plomarc’h à Douarnenez (Finistère) illustre cette volonté d’intensifier la production au niveau industriel avec la construction de cuves en batterie (Sanquer, 1977 ; Bardel, 2 007 ; Galliou, 2010, 191-194 ; Driard, 2011). Au pied de ces installations, en contrebas de la falaise, un barrage rectiligne de 1,50 m de hauteur conservée barre la petite crique donnant accès à l’atelier. Ce piège délimite une zone de capture idéale et surtout productive, à proximité de l’exploitation. L’accès depuis l’établissement artisanal à la crique est très difficile et un va-et-vient devait permettre de monter les prises directement en haut de la falaise, i.e. dans l’usine.

106Cette configuration se retrouve en territoire vénète avec les vestiges de barrages de pêcheries qui subsistent également en contrebas de l’établissement de salaisons du Resto, à Lanester (André, 1981 et 1983).

107La présence de restes de poissons au sein de ces installations côtières de traitement du poisson offre des possibilités d’analyse ichtyologique des spectres capturés. À Kerobistin, sur la commune de Combrit (Finistère), une couche de restes de poissons (principalement des sardines), épaisse d’une trentaine de centimètres, a été retrouvée au fond de l’une des cuves (Driard, 2011, p. 406). à Plomarc’h, Douarnenez (Finistère), le fond de certaines cuves de salaison était tapissé de vertèbres, écailles et têtes de sardines (Galliou, 2010, p. 189). Sur l’établissement romain de salaisons de la Falaise à Etel (Morbihan), des restes de petits poissons (clupéidés) associés à des cuves de salaison ont permis de valider la fonction de ce site (Driard, 2011). En effet, ces espèces étaient souvent utilisées dans la préparation de sauces. Récemment, des sondages archéologiques réalisés sur les ateliers de salaisons et de sauces de poissons antiques de Lanévry à Kerlaz (Finistère) ont renouvelé les connaissances autour des modalités de production (Driard, 2011). La sardine semble avoir été l’ingrédient principal des spécialités à base de poissons et de sel produites dans les cuves littorales de la province de Lyonnaise (salaisons ou sauces à base de poissons) ; cependant, d’autres espèces peuvent avoir été utilisées, comme le montrent les nombreux restes de gobiidés du port antique de Saint-Lupien à Rezé (Loire-Atlantique) par exemple (Borvon, 2017 ; Driard et al., 2017).

108Dans l’Antiquité, la pêche a fait l’objet de quelques traités (Ovide, Oppien…) citant les procédés employés par les pêcheurs en fonction des mœurs des poissons.

109Si les barrages de pêcheries peuvent être évoqués pour l’approvisionnement, au moins partiel, de ces installations de salaison, il est connu qu’à l’époque romaine, les poissons pouvaient aussi être conservés vivants afin d’être consommés frais. Un vivier à poissons a été identifié à Saint-Malo, dans l’anse Solidor, mais on ne sait pas avec quelles prises il pouvait être approvisionné (Langouët, 2005) ; il s’agit d’un bassin rectangulaire (5 m sur 7,30 m), taillé dans la roche, situé dans la fourche des voies. Profond de 1 m, il est pourvu d’un système de trop-plein et d’un trou de vidange et entouré sur trois côtés par une plateforme de 0,90 m de large. On y accède par un petit escalier (fig. 2).

110Les pêcheries offrent également une excellente alternative pour la consommation de produits frais, puisque les poissons n’y sont pas mutilés et peuvent être récupérés vivants, au moyen d’un haveneau ou d’une épuisette.

111L’instrumentum antique montre, dans la pratique de la pêche à la ligne, une évolution non seulement du matériau des hameçons (bronze) mais aussi de leurs dimensions, ce qui a une incidence dans les prises. Les très grands hameçons antiques de Quimper (Finistère), entre autres, semblent destinés à la capture de gros poissons, probablement des carnassiers. Ils pouvaient convenir notamment pour le bar, très présent dans l’Odet (Le Bihan et Villard, 2012, p. 585).

112Le site de la Plage Pignochet à Saint-Jean-le-Thomas conserve une exceptionnelle structure en bois datée du Bas Empire romain (215-382 apr. J.-C.) ; il s’agit d’un cercle d’environ 1,10 m de diamètre, constitué de pieux de chêne (Billard et Bernard, 2016), interprété comme un calage de nasse ou un vivier à crustacés ou coquillages.

113Du point de vue de l’archéomalacologie, la consommation des huîtres plates (Ostrea edulis) est connue dès le Mésolithique le long des côtes Manche-Atlantique françaises. Leur exploitation devient particulièrement importante à l’époque romaine et se poursuit pendant le Moyen Âge (Dupont et Rouzeau, 2015). Cette pratique semble trancher avec les périodes antérieures, les Gaulois semblant avoir préféré les patelles ou les moules aux huîtres au moins jusqu’à ce que de nouvelles pratiques alimentaires ne se développent avec l’adoption des usages romains (Bardot-Cambot, 2010).

114En résumé, les pratiques d’exploitation des ressources littorales dans une perspective alimentaire connaissent une certaine évolution, notamment avec la conquête romaine (salaisons, consommation d’huîtres, exportations de fruits de mer dans l’arrière-pays…). Cependant, les côtes à marées et les estrans rocheux du littoral Manche-Atlantique continuent d’être exploitées selon les techniques, ancestrales et variées (barrages de pêcheries, pêche à la ligne, au filet et pêche à pied), assurant diversité et abondance des prises.

Figure 29 : Applique en verre retrouvée dans la villa antique de Châtillon-sur-Seiche / Glass fitting found at the Roman villa of Châtillon-sur-Seiche

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Provost, 1990, p. 38.

Photo Jean-Claude Houssin, musée de Bretagne.

Figure 30 : Ustensiles de chasse et de pêche (pointes de flèches en fer, hameçons en bronze, navettes en fer) de la villa antique de Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine) / Hunting and fishing equipment (Iron arrowheads, bronze fishhooks, iron shuttles) from the Roman villa of Châtillon-sur-Seiche (Ille-et-Vilaine)

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Provost, 1990, p. 38.

Photo Jean-Claude Houssin, musée de Bretagne.

6. Conclusion et perspectives

115On peut souligner le paradoxe qui oppose le faible statut socio-économique généralement accordé à la pêche côtière dans son ensemble et, plus spécialement, à la pêche à pied et aux pêcheries, à l’importance des enjeux alimentaires et des rendements associés à ces pratiques. En effet, les époques historiques (Moyen Âge et époque moderne, principalement) font des parcs et pêcheries des enjeux de pouvoir, et ce non seulement en Bretagne (Prigent [dir.], 1999) mais aussi en Normandie (Billard, 2012), en Pays-de-la-Loire (Large et al., 2009), et plus généralement sur les côtes occidentales de l’Europe (Duhamel du Monceau, 1769-1782).

116La répartition différentielle des pêcheries selon les secteurs géographiques a été évoquée et, compte tenu du faible nombre de barrages formellement datés, il est encore difficile d’argumenter sur les choix des matériaux ou la morphologie des constructions, en fonction des lieux et des époques.

117Du point de vue de l’analyse géographique des données relatives aux instruments de pêche, aucune différence ne semble se faire jour entre les côtes de la Manche et celles de l’Atlantique, que ce soit au regard de la forme des hameçons ou du poids des lests de filet, pour s’en tenir aux catégories les mieux représentées numériquement. Une tendance générale à l’opportunisme et au recyclage est perceptible sur l’ensemble de la zone.

118Cette première synthèse permet toutefois de souligner le potentiel de cette recherche qui se présente comme un prélude à un travail plus important. Il y a fort à parier que, suite à la parution de cet article, des signalements de nouveaux instruments, outils, structures seront enregistrés. Il faut que l’archéologie de terrain prenne en compte, de manière plus systématique l’information relative à l’activité de pêche. Nous avons abordé cette dernière principalement sous l’angle alimentaire mais, bien au-delà de la sphère domestique, l’exploitation des ressources littorales peut être envisagée sous d’autres angles, qui touchent non seulement aux productions artisanales, mais aussi aux rituels, aux croyances ou à la symbolique, bref, à l’imaginaire et à la vie spirituelle des populations littorales et insulaires.