1Les premières recherches dans le domaine préhistorique ont eu lieu en Bretagne, à peine quelques années après les travaux fondateurs dans la Somme et dans le sud-ouest de la France. Il est d’ailleurs symbolique de repérer le passage de Jacques Boucher de Perthes à Morlaix, s’intéressant après bien d’autres aux monuments mégalithiques et à leur ancienneté, mais pas encore à la préhistoire ancienne. Le Paléolithique sera identifié en Bretagne dès la seconde moitié du xixe s. En quelques années, on découvre et étudie les sites de Roc’h Toul (le docteur Le Hir en 1869), du Bois du Rocher (Fornier et Micault en 1872) et du Mont-Dol (Sirodot, en 1872, publié en 1873). Ces années correspondent à celles de la naissance de la préhistoire à l’échelle nationale : la région suit donc le même mouvement et il n’est pas étonnant de voir y passer de nombreux chercheurs qui feront ou ont fait leurs preuves ailleurs, à l’instar du docteur J.-L. Capitan qui travaille en Bretagne entre 1918 et 1929.
2Toutefois, ces travaux pionniers vont rester très isolés, alors que ceux sur la préhistoire récente (Néolithique) se multiplient. Les principales études de la seconde moitié du xxe s. sont développées par Pierre-Roland Giot puis par Jean-Laurent Monnier, directeurs de recherches au CNRS, rattachés à l’université de Rennes 1, notamment au travers de sondages et de fouilles programmées atteignant un pic à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Daire et al., 2020). Ces travaux de terrain vont aboutir à des synthèses d’abord par la thèse d’État de Jean-Laurent Monnier intitulée Le Paléolithique de la Bretagne dans son cadre géologique (1980) qui permettra véritablement de faire rentrer le Paléolithique breton dans une autre dimension. Ce travail colossal sera suivi par l’encadrement de plusieurs thèses menées lors des deux décennies suivantes sur les grandes périodes d’occupation (Bourdin, 2006 ; Huet, 2006 ; Molines, 1999 ; Naudinot, 2010). L’action de ce chercheur a donc été décisive en permettant de recenser de très nombreux sites, notamment sur le littoral et de consolider les données archéologiques par une approche géoarchéologique, à travers l’analyse comparée de nombreuses coupes, devenues gisements de référence définissant ainsi un cadre chronostratigraphique de plus en plus complet (Laforge et Monnier, 2018).
3Cependant, à partir des années 2000, les opérations archéologiques portant sur la préhistoire ancienne sont de plus en plus rares. Les quelques entités mises au jour le sont essentiellement à la faveur de découvertes fortuites (lors de prospections, ou à la marge, lors de fouilles préventives). Elles n’ont pour la plupart pas débouché sur des études spécifiques.
4Pourtant, les quelques opérations archéologiques programmées menées dans la région ont permis de montrer à la fois la réalité de l’existence de sites pour l’ensemble des périodes paléolithiques, et la qualité des informations qui pouvaient être obtenues. Elles sont d’ordre et d’intérêt national pour la majeure partie et pour certaines, valorisées.
5En 2022, 345 sites (« entités archéologiques » – EA) répartis sur la péninsule bretonne étaient attribuées au Paléolithique (fig. 1) si l’on se base sur la carte archéologique nationale. Ces données étant très hétérogènes, il a été nécessaire de revenir quasiment site par site pour constituer une base parallèle sous QGIS. Ce travail a par ailleurs révélé la nécessité d’une ressaisie des EA paléolithiques dans Patriarche, afin d’en faciliter les interrogations futures. Les EA paléolithiques dénombrées représentent environ 1,5 % de l’ensemble des entités archéologiques de la région. Il s’agit d’un des taux les plus faibles du territoire national, fait dont nous nous efforcerons de comprendre les raisons dans cet article. Observons également que les opérations des vingt dernières années (prospections surtout) ont permis d’enregistrer un nombre substantiel de nouvelles entités pour cette période, de près de 15 %. Toutefois, un examen de détail montre qu’il s’agit pour un tiers environ d’entités attribuables au Paléolithique au sens large, sans plus de précision.
Figure 1 : Carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique en Bretagne.
Figure 1: Distribution of Paléolithiques archeological sites of Britanny.
6Un autre constat porte sur la qualité de ces entités. En effet, parmi les 345 connues, presque 25 % (82) ne correspondent qu’à des objets isolés, et parmi les 263 entités restantes, seules 195 présentent une attribution chronologique solide (sans présager des véritables études réalisées) (fig. 2).
Figure 2 : Histogrammes et tableau de classement associé des entités archéologiques (EA) du Paléolithique en Bretagne selon le type et la période.
Figure 2: Histograms and table showing the number of Palaeolithic sites by type and period.
7Avant d’aller plus loin, signalons que plusieurs travaux d’inventaire ont déjà été réalisés par le passé nous permettant de dégager les grandes tendances qui vont suivre. Citons, en plus de la synthèse de Jean-Laurent Monnier dans sa thèse (1980), les inventaires de Stéphan Hinguant au milieu des années 1990 sur les quatre départements bretons (Hinguant, 1996, 1997, 1998 a et 1998 b) et le mémoire de master 1 de Marie-Paule Jung (Jung, 2015). Ce dernier a été réalisé dans le cadre du PCR Paléolithique dirigé par A.-L. Ravon et M. Laforge dont nous aurons l’occasion de reparler.
8La grande majorité des entités archéologiques (hors objet isolé) a été identifiée à la faveur de prospections au sol, principalement en zone littorale, estran et/ou falaise et seuls 15 % ont donné lieu à des fouilles ou sondages, tandis qu’une majorité des entités révèlent une stratigraphie conservée ou un lien avec les dépôts pléistocènes en falaise permettant de les replacer dans un contexte chronostratigraphique (fig. 3).
Figure 3 : Diagrammes circulaires illustrant les différents contextes de découverte (gauche) et stratigraphiques (droite) des sites et indices de sites (dont sites majeurs).
Figure 3: Circular diagrams showing the different discovery (left) and stratigraphic contexts (right) of sites (including major sites).
9Afin de faciliter la lecture des cartes de répartition et du texte qui va suivre, les entités archéologiques ont été hiérarchisées pour chacune des périodes considérées en quatre types : site majeur, site avéré, indice de site et objet(s) isolé(s). Ces catégories sont basées notamment sur le nombre de pièces découvertes et parfois le caractère représentatif d’un type d’occupation (pour les sites majeurs), critères pouvant apparaître bien entendu comme un peu subjectifs.
10Le Paléolithique inférieur est représenté par 85 entités archéologiques (EA) réparties sur la péninsule bretonne (fig. 4), dont 35 sont uniquement des objets isolés et peu informatifs (choppers ou chopping-tools), pour 10 sites avérés, 36 indices de sites et 4 sites majeurs (fig. 4).
Figure 4 : Carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique inférieur.
Figure 4: Distribution map of Lower Palaeolithic archaeological entities.
11Pour le contexte géomorphologique, parmi les 50 EA hors objets isolés, la plupart se situent en zone littorale (actuelle), dont 1 en position d’abri (grotte marine de Menez Dregan), 3 en terrasses fluviatiles ou fluvio-marines, 13 en position de plateau ou sur un versant, tandis que pour 1 entité, le contexte est inconnu ou mal caractérisé (fig. 5).
Figure 5 : Répartition des contextes géomorphologiques des sites et indices de sites (dont sites majeurs) du Paléolithique inférieur sur un diagramme circulaire.
Figure 5: Distribution of the geomorphological contexts of the sites (including major sites) of the Lower Palaeolithic on a circular diagram.
La grotte marine de Menez Dregan, seule représentante de la catégorie « abri », figure à part des autres sites présents sur le littoral actuel.
The coastal cave of Menez Dregan, the only one of its kind is distinguished from other coastal sites.
12La répartition des EA de cette période ne semble pas le fruit du hasard avec une immense majorité de sites sur la côte sud de la Bretagne associés à des dépôts littoraux du début du Pléistocène moyen recouvrant d’anciens couloirs ou plateformes d’abrasion marine et parfois associés à l’accessibilité à des silex des cordons de galets littoraux (cas du célèbre Ero Vili de la baie d’Audierne). D’autres sites ne répondent pas exactement à ce modèle, comme ceux de Saint-Malo-de-Phily, de la Ville-Mein ou de l’île de Groix. Ces derniers, multiples, sont très particuliers, car positionnés malgré le caractère insulaire clairement en arrière du trait de côte actuel (Ravon, 2017).
13Les premières traces d’occupation humaines connues dans la région se situent en Ille-et-Vilaine, sur la commune de Saint-Malo-de-Phily (Monnier et al., 1981 ; Jumel et Monnier, 1990). L’industrie archaïque sur grès découverte en position secondaire dans une terrasse alluviale de la Vilaine évoque des racloirs ou des encoches, très frustes. Toutefois, un chopping-tool associé, confirme le caractère anthropique et l’ancienneté de l’ensemble. L’occupation pourrait se situer aux alentours du stade isotopique 15, vers 600 000 ans, sur la base de comparaisons avec les séquences lœssiques de la côte nord pourtant éloignées de près de 100 km. L’attribution chronologique de ces découvertes reste donc problématique à ce stade, surtout en l’absence de datations absolues.
14Les industries sur galets (choppers et chopping-tools) sont relativement fréquentes, mais les vestiges sont rarement découverts en contexte, fait d’autant plus problématique qu’il s’agit d’outils relativement ubiquistes et diachroniques. Les bifaces de cette période, d’attribution plus certaine, sont relativement rares et généralement isolés. Ils sont de forme amygdaloïde, généralement façonnés aux dépens de blocs de quartz ou de quartzite. Le site de la Ville-Mein à Planguenoual, connu uniquement par des ramassages de surface issus des labours, constitue l’un des ensembles les plus intéressants à cet égard. Une série de sondages réalisés en 1990 n’a pas permis de reconnaître de couche archéologique conservée. Cette occupation de plein air, dont les vestiges sont répartis sur une surface très importante (de l’ordre de 30 ha) est située sur un large plateau faiblement incliné vers la mer, distante de 3 km. Les nombreux bifaces découverts, principalement amygdaloïdes et assez lourds, sont associés à des outils frustes et atypiques (racloirs et denticulés). Le débitage Levallois y est également attesté. La série lithique sur grès lustrés à gros grains est en outre caractérisée par une forte patine et un émoussé éolien caractéristique (Lamotte et Monnier, 1997).
15Un autre groupe culturel a été défini pour la période ancienne, le Colombanien (du site éponyme de Saint-Colomban, à Carnac), distingué de l’Acheuléen typique par l’absence ou la rareté de biface (Monnier et Molines, 1993 ; Guibert et al., 2022). Toutefois, des travaux récents tendent désormais à le considérer comme un faciès moins caractéristique de l’Acheuléen, dont les assemblages sont toujours assez variables (Ravon, 2017).
16L’existence de structures de combustions et de véritables foyers aménagés fait de Menez Dregan I l’un des très rares sites européens, avec par exemple Terra Amata (Alpes-Maritimes), ou Vértesszőlős (Hongrie) à démontrer la maîtrise du feu vers 400 000 ans par les Homo erectus européens (Bister, 2005 ; de Lumley, 2006). À Menez Dregan, la fouille menée en continu entre 1991 et 2021 a permis de faire évoluer largement les connaissances sur le Paléolithique inférieur de l’ouest de la France. En effet, après plusieurs années consacrées à la zone la plus exposée du couloir d’abrasion marine (au sud), les recherches se sont concentrées sur la banquette supérieure, très bien conservée (fig. 6). Chacun des 15 niveaux d’occupation a pu être fouillé en planimétrie et faire l’objet de nombreuses analyses documentant les paléoenvironnements (charbons de bois par exemple). L’étude de l’industrie lithique, menée dans le cadre de deux thèses de doctorat, a également rendu possible une mise en perspective des modalités du débitage et des évolutions techniques des groupes qui se sont succédé dans la grotte (Molines, 1999 ; Ravon et Monnier, 2013 ; Ravon et al., 2016 ; Ravon, 2017, 2019).
Figure 6 : La grotte de Menez Dregan en 2020 à la fin de la fouille.
Figure 6: Menez Dregan cave in 2020 at the end of the excavation.
Cliché / Picture : A.-L. Ravon
17Grâce à ce travail et aux autres études menées sur le Paléolithique inférieur dans les dernières années : prospections sur l’île de Groix (Rouvière, dir.), projet collectif de recherches (Ravon et Laforge, dir.), on comprend désormais mieux comment le Colombanien vient s’articuler avec la culture acheuléenne présente par ailleurs. Ce qui était envisagé comme une véritable chronoculture redevient finalement un faciès culturel original, mais non exclusif.
18À ce titre, notons la ré-étude de la collection lithique du site de Pen Hat, sur la presqu’île de Crozon (Finistère), connue depuis près de 40 ans, mais restée jusqu’alors relativement confidentielle. Découverts en position primaire dans un paléosol hydromorphe pseudopodzolique altérant une plage ancienne datée, et corrélé avec le stade isotopique 11 (vers 400 000 ans), les vestiges lithiques mis au jour offrent des comparaisons intéressantes avec les niveaux inférieurs de Menez Dregan (couches 9 et 7) confirmant la variabilité des assemblages du Paléolithique inférieur européen (Van Vliet-Lanoë et al., 2021)
19Le Paléolithique moyen est représenté par 134 entités archéologiques (EA) réparties sur la péninsule bretonne (fig. 7), dont 29 objets isolés (bifaces notamment), pour 36 sites avérés, 64 indices de sites et 5 sites majeurs.
Figure 7 : Carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique moyen.
Figure 7: Distribution map of the Middle Palaeolithic archaeological entities.
20Pour le contexte géomorphologique, parmi les 105 EA hors objets isolés, la plupart se situent, comme pour le Paléolithique inférieur en zone littorale actuelle (92), parfois associé à la présence d’abris (8), en pied de falaise littorale essentiellement, 12 sont des sites de plein air en position de plateau ou sur un versant, tandis que pour 1 entité, le contexte est inconnu ou mal caractérisé (fig. 8).
Figure 8 : Répartition des contextes géomorphologiques des sites et indices de sites (dont sites majeurs) du Paléolithique moyen sur un diagramme circulaire.
Figure 8: Distribution of geomorphological contexts of sites (including major sites) of the Middle Palaeolithic on a circular diagram.
Les abris en pied de falaise marine, ou le long des rias, constituent les éléments de la catégorie « abri », à part des autres sites présents sur le littoral actuel.
The shelters at the base of the cliffs, or along the coastal rivers are apart from the other coastal sites.
21Là encore, la répartition des EA de cette période semble donc associée à la présence de dépôts pléistocènes, à ceci près qu’il s’agit ici des falaises lœssiques de la côte nord, dont certaines d’entre elles, dans la baie de Saint-Brieuc, constituent des coupes de référence comme à la Haute-Ville, Port-Morvan ou encore Nantois. Elles offrent des possibilités de corrélations avec des sites à faunes présents sous l’estran et la plage actuelle comme aux Vallées (Huet, 2010) ou à Piégu (Hallégouët et al., 1993) où ils sont associés à des lambeaux de heads à pendage très redressé, accrochés à la falaise rocheuse. Dans les deux cas, la fouille présentait des contraintes spécifiques au littoral : difficulté de fouiller en plan, recouvrement du site par la marée haute (fig. 9).
Figure 9 : Le site des vallées lors de la fouille en 2010
Figure 9: Les Vallées site during excavation in 2010.
Cliché / Picture : J.-L. Monnier
22À partir de 250 000 ans, on note comme sur l’ensemble de l’Europe une transformation des techniques et des modes de vie. En Bretagne, deux groupes principaux ont été définis, caractérisés par la présence ou l’absence de bifaces. Le premier groupe, à outils bifaciaux, est présent sur la côte nord, mais également en Cornouaille (sud du Finistère), autour de deux sites majeurs : le Bois-du-Rocher et Kervouster. Il présente une industrie sur grès lustrés. Les bifaces sont façonnés sur éclats et la technique Levallois est peu utilisée. Quelques hachereaux sur éclats sont également présents. Globalement, ce groupe culturel présente des similitudes avec le MTA (Moustérien de tradition acheuléenne) que l’on connaît ailleurs. Ce groupe est mal caractérisé d’un point de vue chronostratigraphique, malgré la fouille pluriannuelle de Kervouster avec une attribution au stade 4 et 3 pro parte (Monnier, 1998).
23Le second groupe moustérien est caractérisé par l’absence ou la rareté des bifaces. On le connaît uniquement sur la côte nord, mais sur une large période chronologique, au Saalien (stade isotopique 6) comme à Grainfollet (Saint-Suliac, Ille-et-Vilaine ; Laforge, 2012 ; Ravon et Laforge, 2016 a) ou au début du Weichselien comme à Goaréva (île de Bréhat), vers 80 000 ans, à fin du stade isotopique 5 ou au début du stade isotopique 4 (Huet, 2002).
24Enfin, on doit aussi évoquer le site du Mont-Dol, fouillé dès la fin du xixe s. par Simon Sirodot, qui a livré un important assemblage faunique (mammouth, cheval, rhinocéros antique…) attribué au stade 5d, vers 110 000 ans environ (Monnier et al., 1995).
25Les découvertes isolées de bifaces ou d’éclats du Paléolithique moyen réalisées lors des quinze dernières années lors de prospections ou de quelques fouilles préventives ont permis de préciser a minima l’aire de répartition des groupes moustériens, organisés selon deux faciès principaux (à bifaces et sans biface).
26Ces découvertes ont renforcé les données déjà acquises, à savoir que le Paléolithique moyen est majoritairement réparti sur la côte nord de la Bretagne, quand les sites du Paléolithique inférieur le sont uniquement sur la côte sud. Au nord, la présence de formations lœssiques saaliennes et weichséliennes est prédominante, alors qu’au sud, la sédimentation est globalement moins dilatée, mais avec des plateformes d’abrasion marine plus nombreuses, plus différenciées et parfois étagées, donnant accès à des occupations archéologiques plus anciennes (dès le début du Pléistocène moyen).
27La principale nouveauté de ces dernières années est l’identification de quelques vestiges lithiques du Paléolithique moyen dans le Finistère sud, par des prospections littorales réalisées dans le cadre du PCR Paléolithique par A.-L. Ravon et M. Laforge (Ravon et al., 2018). Ces observations renforcent la conviction de la présence bien réelle des Néandertaliens dans cette zone géographique, déjà mise en évidence à Kervouster et dans les couches anthropiques supérieures de Menez Dregan (couche 4), placées à la transition entre le Paléolithique inférieur et moyen (Ravon et Monnier, 2013). La présence de rognons de silex dans les cordons littoraux a pu très certainement y jouer un rôle en tant que pourvoyeurs de matière première lithique, comme c’est le cas pour le Paléolithique inférieur dans la baie d’Audierne.
28L’accès aux matières premières a été également le sujet de deux thèses (Bourdin, 2006 ; Huet, 2006), réalisées sous la direction de J.-L. Monnier et N. Molines et portant sur l’étude de collections de surface d’industries du Paléolithique moyen. Ces deux travaux universitaires ont permis de mettre en évidence les comportements techniques des groupes humains du Paléolithique moyen sur des matières premières de substitution aux silex, ces derniers étant uniquement présents sous la forme de galets littoraux souvent de petits modules. Ces industries en quartz, tufs kératophyriques, grès lustrés ou dolérites sont parfois accompagnés de silex, mais l’exploitation de deux matières de manière conjointe sur un même site ne s’accompagne pas d’objectifs de productions différents. Ils mettent en lumière une notion de supplémentarité, plutôt que de complémentarité (Huet, 2002 ; Huet, 2008 ; Monnier et Huet, 2019).
29Les travaux de S. Bourdin ont, quant à eux, permis de préciser les caractéristiques techniques du Moustérien à outils bifaciaux (variante du MTA), comprenant notamment des industries sur grès et quartzite de Kervouster, du Bois du Rocher, mais aussi des industries sur silex des marges du Massif armoricain comme à la Girardière (Sarthe). Ces sites, véritables usines à bifaces, montrent une installation des groupes humains directement sur les gîtes de matières premières, indifféremment des silex ou des grès-quartzites, mais dont la fonction ne se limite pas à celle d’atelier. Des activités connexes ont ainsi pu être mises en évidence (Bourdin-Launay et Molines, 2005 ; Bourdin, 2006).
30Ces deux études montrent qu’en Bretagne plus qu’ailleurs, du fait de l’absence de silex à l’exception du littoral actuel, le questionnement des approvisionnements en matières premières et la mise en évidence des gîtes primaires de roches taillables paraissent essentiels dans l’arrière-pays, notamment pour la détection des sites du Paléolithique, et particulièrement du Paléolithique moyen.
31Le Paléolithique supérieur ancien est représenté par 20 entités archéologiques (EA) uniquement réparties sur la côte nord (fig. 10), dont 6 objets isolés (principalement des pointes), pour 6 sites avérés, 7 indices de sites et 1 site majeur.
Figure 10 : Carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique supérieur ancien.
Figure 10: Distribution map of the Early Upper Palaeolithic archaeological entities.
32Pour le contexte géomorphologique, tous les 14 EA hors objets isolés se situent actuellement sur le littoral, dont 2 sont associées aussi à la présence d’abris en pied de falaise (fig. 11). À noter qu’aucune occupation associée à ces sites n’était en réalité en bord de mer, puisque le niveau marin était au minimum 60 m plus bas au début de l’Aurignacien par rapport à nos jours (Stéphan, 2019). Cela implique des distances minimales à la côte de 5 à 10 km pour les zones les plus proches (Léon et ouest du Trégor). L’éloignement étant bien plus important à la fin du Gravettien au cours du dernier maximum glaciaire, de l’ordre de 80 à 100 km, pour une régression de –120 m, c’est-à-dire une Manche presque totalement exondée. On peut ainsi raisonnablement penser qu’une grande partie des sites de cette période demeurent actuellement sous le niveau de la mer.
Figure 11 : Répartition des contextes géomorphologiques des sites et indices de sites (dont sites majeurs) du Paléolithique supérieur ancien sur un diagramme circulaire.
Figure 11: Distribution of geomorphological contexts of sites (including major sites) of the Early Upper Palaeolithic on a circular diagram.
Les abris en pied de falaise marine, ou le long des rias, constituent les éléments de la catégorie « abri », à part des autres sites présents sur le littoral actuel.
The shelters at the base of the cliffs or along the coastal rivers and are apart from other coastal sites.
33À l’exception du Solutréen, inconnu à ce jour en Bretagne, les sites identifiés balayent toute la chronologie de la première moitié du Paléolithique supérieur et livrent des pièces caractéristiques de chronocultures développées dans le reste du territoire français (travaux Y. Le Mignot notamment).
34Des occupations sont attestées dès le Châtelperronien (1 EA) avec une plus forte densité à l’Aurignacien (5 EA) et au Gravettien (4 EA), les autres (4 EA) ne présentant pas d’éléments suffisamment diagnostiques pour préciser leurs attributions chronoculturelles.
35L’occupation la plus ancienne reconnue actuellement est celle d’Enez-Amon-ar-Ross (Kerlouan), qui pourrait être attribuée au Châtelperronien par la présence dans l’assemblage lithique de quelques pointes de Châtelperron et de couteaux de type Audi (Monnier, 1990). Pour l’Aurignacien, on connaît le site de Beg-ar-C’hastel (Kerlouan), qui a livré une belle série de lamelles Dufour, mais également deux pointes à dos évoquant une pointe de Châtelperron (Monnier, 1980). On citera aussi la petite série de l’îlot des Agneaux à l’ouest de l’île de Bréhat qui témoigne d’une halte temporaire d’un groupe de chasseurs aurignaciens lato sensu (Paulet-Locard, 1996). Parfois, les séries offrent des indices de comportements originaux, comme les pseudoburins du Raysse du site de Plasenn-al-Lomm (île de Bréhat, fig. 12), qui suivent la chaîne opératoire très complexe de ce type de production tout en s’en détachant) (Le Mignot, 2000). La fouille de ce site (1974-1979) a mis au jour un vaste habitat de plein air avec de possibles traces de structures, vestiges d’un campement saisonnier installé sur une plateforme dominant la paléovallée du Trieux (Monnier, 1982).
Figure 12 : Industries de Plasenn-al-Lomm.
Figure 12: Plasenn-al-Lomm industries.
1 et 2 : burin-pointe ; 3 : burin-nucléus du Raysse ; 4 et 5 : lamelle de la Picardie ; 6 : lame retouchée ; 7 : lame.
1 and 2 : burin-point ; 3 : Raysse burin-cor ; 4 and 5 : bladelet « de la Picardie » ; 6 : retouched blade ; 7 : blade.
Dessins / Drawings : C. Sarrazin
36Il s’agit pour l’heure d’une période pour laquelle les connaissances sont donc assez faibles et ont très peu progressé ces dernières années (voir la synthèse régionale complète d’Hinguant et Monnier, 2013) : les quelques sondages réalisés n’ont pas permis de préciser les occupations, réduites au mieux à l’état de lambeaux, mais on peut espérer que des travaux universitaires viendront combler ces lacunes dans les années à venir.
37Le Paléolithique supérieur récent et final est représenté par 28 entités archéologiques (EA) réparties sur la péninsule bretonne (fig. 13), dont 2 objets isolés (des pointes), pour 14 sites avérés, 11 indices de sites et 1 site majeur.
Figure 13 : carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique supérieur récent et final.
Figure 13: Distribution map of the Late Upper and Final Palaeolithic archaeological features.
38Pour le contexte géomorphologique, les 26 EA hors objets isolés présentent des types d’implantations très diversifiés (fig. 14) : 4 sur le littoral actuel, 6 sur un plateau ou un versant, 4 en abri, 5 en position dominante (promontoire/interfluve), 4 dans une zone humide ou dans un vallon, et 5 en fond de vallée à l’image du site de l’anse de Landroannec, découvert à l’occasion de la vidange du lac de Guerlédan (Kayser, 1998).
Figure 14 : Répartition des contextes géomorphologiques des sites et indices de sites (dont sites majeurs) du Paléolithique supérieur récent et final sur un diagramme circulaire.
Figure 14: Distribution of geomorphological contexts of sites (including major sites) of the Late Upper and Final Palaeolithic on a circular diagram.
Toutes les occurrences de la catégorie « abri » correspondent à des sites de l’intérieur des terres.
All the shelter sites are located in the hinterland.
39Parmi les assemblages dont l’attribution chronoculturelle est bien caractérisée, 2 seraient attribués à un Magdalénien mal caractérisé, 3 à l’Azilien ancien, 4 à l’Azilien récent ou final et 7 au « post-Azilien ».
40Cette période a été l’objet d’une certaine dynamique de recherche (prospections, fouilles programmées et thèse universitaire). Les travaux récents (Marchand et al., 2004 ; Naudinot, 2013) ont contribué à accentuer le hiatus d’occupations déjà entrevu pour les périodes solutréennes et magdaléniennes, même s’il faut garder en mémoire l’existence de quelques séries originales, comme celle du Breuil Durand (Laillé), rattachée à un Magdalénien à raclettes (Badegoulien), totalement inconnu dans la région. Ce hiatus pourrait être dû à un biais des recherches, mais sans doute aussi et surtout comme procédant de contraintes environnementales.
41Ainsi, les grandes steppes du Massif armoricain ont sans doute été assez peu fréquentées au cours du Pléniglaciaire, et l’existence de probables zones refuges, comme au Solutréen dans la vallée de l’Erve, à l’est du Massif armoricain (Barbier et Visset, 2000 ; Hinguant et Colleter, 2020). Comme pour le début du Paléolithique supérieur, on peut imaginer une fréquentation de territoires actuellement immergés, qui vont peu à peu se réduire avec une remontée du niveau marin de –120 à –60 m à la fin du Tardiglaciaire, et une forme de « reconquête » à partir des vallées fluviatiles (Aulne, Élorn, Blavet, Vilaine), pour les périodes plus récentes du Tardiglaciaire. À partir de l’Azilien ancien, on retrouve plusieurs marqueurs qui permettent même de suggérer des modes d’occupation du territoire bien définis. L’abri-sous-roche du Rocher de l’Impératrice (Plougastel-Daoulas) constitue aujourd’hui le site le mieux documenté à l’horizon de 14 500 cal BP (Naudinot, 2018). Il a livré un important assemblage de pointes de projectile qui témoignent d’activités vraisemblablement orientées sur la chasse ; la découverte de témoignages d’art mobilier (fig. 15) y est un élément notable (Naudinot et al., 2017), confirmant l’importance scientifique du site et renforçant l’intérêt de l’étude de cette chronoculture au plan national.
Figure 15 : Aurochs gravé sur plaquette de schiste, Rocher de l’Impératrice, Finistère
Figure 15: Engraved aurochs on a schist tablet, Rocher de l’Impératrice, Finistère
Responsable d’opération N. Naudinot (CEPAM), relevé E. et P. Paillet.
42Depuis 1999, 27 opérations archéologiques autorisées ont concerné le Paléolithique. Il s’agit de 5 opérations préventives et 22 opérations programmées.
43Cette « surveillance de travaux » a porté sur le suivi d’aménagements visant à conforter la falaise du quai Célestin-Bougié, au niveau de la base nautique. Une fouille à proximité immédiate, à flanc de falaise, avait livré en 1987 des occupations humaines du Paléolithique moyen autour de 180 000 ans, soit vers la fin du stade isotopique 7 et le début du stade 6 ; une présence humaine étant par ailleurs attestée dès le stade isotopique 9, vers 300 000 ans (Danukalova et al., 2015).
44L’opération de 2003-2004 n’a permis d’identifier que peu de vestiges anthropiques (8 pièces lithiques), mais une très grande quantité de vestiges fauniques a par contre été mise au jour et étudiée par P. Auguste (op. cit.).
45Il s’agit de la seule opération préventive où les indices paléolithiques ont été repérés dès le diagnostic. L’occupation très limitée était caractérisée par la présence de deux choppers, deux chopping-tools et un nucléus. À la fouille, les vestiges paléolithiques découverts ont été très peu nombreux et semblent hors contexte.
46Cette opération de sauvetage urgent a précédé un projet de déviation routière. Le Paléolithique n’avait pas été repéré au diagnostic. Le contexte géomorphologique étudiée par V. Deloze (Blanchet, ibid.) est intéressant, car il correspond à des placages résiduels d’une formation marine ancienne (sables à graviers et galets épars) piégée sur la rive droite d’une ria colmatée. La vingtaine d’objets mis au jour, dont sept outils ou pièces retouchés, est attribuable au Paléolithique inférieur (chopping-tool, biface partiel).
47La fouille de ce site protohistorique et antique a livré une série de 170 pièces lithiques dispersées. L’étude menée par S. Hinguant, N. Naudinot et M. Biard (Hinguant et al., 2016) a permis de proposer une attribution au FBT (Flat Blades and Bladelets Techno-complex, industries de transition du début de l’Holocène) d’après les objectifs et méthodes de débitage laminaires spécifiques mis en œuvre sur le site.
48Un biface a été découvert lors de la fouille de cet ensemble regroupant un enclos funéraire du premier âge du Fer et un habitat rural du haut Moyen Âge. L’objet, typique du Moustérien par sa forme et sa retouche, est resté totalement isolé malgré l’ouverture de tranchées spécifiques, jusqu’à 3 m de profondeur.
49Une bipointe de type azilien ancien a été découverte en fosse dans un ensemble remanié. Bien que hors contexte ce petit élément diagnostique signe une occupation azilienne proche. Une fouille préventive vient d’avoir lieu à proximité immédiate (Hinguant dir.), sur la commune de La Roche-Maurice et semble confirmer cette attribution.
50En résumé, les artéfacts sont la plupart du temps hors contexte, ou au mieux au sein de formations quaternaires extrêmement résiduelles, et seul un diagnostic en 15 ans a livré des indices paléolithiques qui ont été confirmés à la fouille. Dans les rares autres cas d’opération préventive, aucun artéfact n’a été repéré pendant la première phase d’opération et les quelques éléments paléolithiques n’apparaissent que de manière fortuite au moment de la fouille. Il est sans doute possible de mettre cette malchance répétée sur le compte de l’indigence numérique des vestiges paléolithiques, peu présents et donc peu repérables, surtout lors de diagnostics. Il faut aussi s’interroger sur les moyens alloués au diagnostic, les compétences scientifiques et techniques nécessaires en matière de préhistoire ancienne et le lien aux aménagements prévisionnels du projet qui empêchent souvent d’effectuer des sondages profonds.
51Les 22 opérations concernant l’archéologie programmée se divisent en 9 fouilles ou sondages, 12 prospections et 1 projet collectif de recherches.
52Seules quatre opérations de sondages programmés ont eu lieu depuis 1999. Elles se concentrent même sur la période 2000-2005.
53Le site de la Cadiais est connu depuis 1984 par des ramassages de surface suite à des labours profonds. Il s’agit d’un site de plateau, à proximité d’un méandre de la Vilaine et de sa confluence avec le Canut. Les sondages réalisés en 2000 ont permis de mettre en évidence la présence d’un site en place au sein d’un placage sableux d’origine pliocène à environ 50 cm de profondeur. La série lithique étudiée, de près de 800 pièces, présente comme caractéristiques un débitage orienté vers des productions lamino-lamellaires, par percussion directe à la pierre tendre. Les outils (127) comptent surtout des lamelles retouchées, quelques grattoirs, perçoirs, burins et lames mâchurées. S. Blanchet note un rapprochement avec les séries de Roc’h Toul et du Camp d’Auvours dans la Sarthe. La reprise de la série par N. Naudinot confirme la proximité avec ce dernier site en repositionnant la série dans un ensemble appartenant au complexe « FBT » attribué à la transition GS1-Holocène (Naudinot, 2010).
54Le site de Porz-Rolland a livré plusieurs ensembles attribués au Paléolithique moyen, mais une petite série est rapportée au Paléolithique supérieur (Hinguant, 1989). Les sondages réalisés par Y. Le Mignot n’ont toutefois pas permis de confirmer cette occupation en stratigraphie.
55Il s’agit là encore d’un site ayant livré à la fois du Paléolithique moyen et du Paléolithique supérieur en ramassage (dont un burin de Corbiac, attribuable au Gravettien). Les sondages ont confirmé l’existence de niveaux du Paléolithique supérieur, mais sous forme de lambeaux, peu exploitables.
56Deux opérations de sondages ont été conduites, l’une à Porh Morvil (2003) et l’autre à la pointe des Chats (2004 et 2005). Elles ont conduit à la reconnaissance de niveaux très sporadiques du Paléolithique ancien à galets aménagés sur la plage ancienne. Toutefois, les séries ont été revues dans le cadre d’une opération de prospection plus récente (Rouvière, 2014 ; Rouvière, 2016 ; Ravon, 2017) et le caractère anthropique de l’ensemble de l’assemblage s’avère sujet à discussion (voir infra).
57Cinq opérations de fouilles programmées ont également eu lieu pendant notre période d’étude. Deux d’entre elles peuvent être considérées comme des opérations d’ampleur et sont toujours en cours ou tout juste terminées (Rocher de l’Impératrice et Menez Dregan I). Trois autres correspondent plutôt à des opérations ponctuelles.
58Cette opération programmée correspond d’une certaine manière à un sauvetage urgent (fig. 9). Il s’agissait en effet de documenter le mieux possible un site du Paléolithique moyen mis au jour par les marées, sur l’estran de la plage des Vallées. Un unique niveau, attribué au stade isotopique 6 a été identifié (Ravon et Laforge, 2016 a). Il présentait de nombreux vestiges lithiques, majoritairement sur quartz et beaucoup de restes fauniques en mauvais état de conservation.
59Cette fouille menée en 2011 a permis de mettre au jour une occupation très courte du Paléolithique final, attribuée à un Azilien ancien. Le gisement, qui semble correspondre pour cette phase chronoculturelle à une halte de chasse, est localisé sous un abri-sous-roche ouvert au sein d’un chaos granitique (Marchand et al., 2014). Le niveau est très résiduel, endommagé par des interventions sur le site avant la fouille. Il était surmonté par des occupations mésolithiques identifiées lors de la découverte du site au milieu des années 1980.
60Il s’agit d’une opération ponctuelle menée dans le cadre du programme ALERT qui vise notamment à enregistrer un maximum de sites archéologiques menacés par l’érosion marine (Marchand et al., 2020). Sur l’îlot de Roc’h Santec, deux occupations du Paléolithique ont été repérées. La principale, attribuée au Paléolithique moyen, présente une puissance stratigraphique importante, mais n’a été que sommairement investiguée. Une autre occupation pouvant potentiellement être attribuée à la phase ancienne de l’Azilien avait été repérée anciennement dans le matériel récupéré en surface. Elle n’a pas pu être précisée lors de la fouille de 2015-2016. Des occupations plus récentes, du Mésolithique et de l’âge du Fer ont également été étudiées.
61L’ancienne grotte marine de Menez Dregan I, qui s’ouvre sur le littoral du cap Sizun (fig. 4 et 6), fait l’objet d’un important programme d’étude, débuté en 1991 (Monnier et al., 2016). Les occupations les plus anciennes reconnues (couche 9) semblent débuter lors du stade isotopique 12, autour de 450 000 ans. La séquence est organisée selon une succession d’occupations humaines utilisant la grotte lors des régressions (début de période froide) entrecoupées de transgressions marines, lors des périodes tempérées durant lesquelles des sédiments littoraux se mettent en place (plage ancienne, dune). La dernière occupation aurait eu lieu vers 280 000 ans et marque la transition avec le Paléolithique moyen dans la région. Dans les nombreux niveaux archéologiques ont également été identifiés des foyers plus ou moins structurés. Celui de la couche 9 correspondrait aux plus anciennes traces de maîtrise du feu actuellement connues sur le territoire français. Les séries lithiques obtenues pour chaque niveau sont abondantes et font de Menez Dregan I un site de référence pour la compréhension des évolutions dans les modes de débitage. La présence de faune est un autre élément notable, comme celle de charbons de bois, très abondants, permettant d’appréhender à la fois la reconstitution des biotopes, mais aussi le lien aux ressources. Signalons enfin que les datations absolues disponibles sur ce site (RPE et TL notamment) posent problème, en raison des caractéristiques radioactives inhérentes au socle rocheux orthogneissique (Voinchet et al. in Gaillard, 2016).
62Il s’agit d’une occupation en abri-sous-roche dont le niveau principal est attribué à l’Azilien ancien. Plusieurs aspects, comme la faible densité de pièces, l’absence de structure ou une localisation des artéfacts bien circonscrite dans le fond de l’abri-sous-roche, tendent à suggérer une occupation courte du site par de petits groupes aziliens. La présence de très nombreuses pointes de projectile typiques (pointes à dos courbe notamment) souvent impactées, mais aussi de nombreux indices de fabrication de ces armes sur le site, suggère une utilisation comme halte de chasse. Le nombre important de lames brutes utilisées pour découper des matières organiques et fréquemment réaffutées (lames à retouche rasante) va dans le même sens. Toutefois, la présence d’une série importante de plaquettes de schiste gravées permet de proposer une fonction plus complexe pour ce site. L’étude de l’art mobilier a permis de mettre en évidence la coexistence de plusieurs modalités formelles de productions, avec d’une part des représentations figuratives se faisant l’écho des figurations classiques connues notamment dans l’espace franco-cantabrique au Magdalénien supérieur et d’autres types de motifs, abstraits, pouvant s’inscrire sans difficulté dans le répertoire iconographique de l’Azilien ancien (Naudinot et al., 2017). Il s’agit donc d’un site majeur pour la compréhension des évolutions techniques et artistiques de la fin du Paléolithique supérieur, ainsi que sur le rythme et les modalités de ce processus d’azilianisation des sociétés tardiglaciaires. Il reste pour l’heure un cas unique et isolé sur la péninsule bretonne.
63Parmi les douze opérations que nous avons recensées depuis 1999, seules trois ont été élaborées autour de la thématique « Paléolithique ».
64L’opération de prospection est en lien avec les sondages déjà décrits ci-dessus.
65L’opération a porté sur deux axes, le premier étant d’inventorier et d’étudier des séries issues de ramassages anciens. Ce travail préliminaire a permis d’éliminer un important ensemble lithique qui ne correspondait pas à des séries anthropiques, mais uniquement naturelles. En complément, des prospections ont été menées dans certaines zones de l’île afin de mieux identifier les potentiels géomorphologiques et archéologiques du littoral. Quelques sites avérés ou indices de sites ont également été documentés. Globalement, il ressort de l’étude des séries et de leur situation sur les différentes parcelles une concentration des vestiges lithiques dans certains talwegs et non en relation avec les plages anciennes comme cela avait pu être décrit précédemment (Ravon, 2017).
66Il s’agit d’une opération de prospection thématique originale, visant à identifier de possibles sites occupés entre Paléolithique final et Mésolithique. En effet, les modalités d’implantation dans les territoires lors de cette période de transition ont conduit plusieurs chercheurs à proposer des schémas d’occupations ponctuelles, mais réitérées dans certains contextes naturels avantageux comme les abris-sous-roche (Marchand et Naudinot, 2015). Les prospections menées en 2015-2016 ont permis d’identifier une centaine de lieux possibles d’implantation et de sélectionner plusieurs candidats. Malheureusement, aucun sondage n’est pour l’instant programmé pour confirmer ces hypothèses.
67Les neuf autres opérations sont des prospections diachroniques ou des prospections thématiques qui ne portaient pas spécifiquement sur le Paléolithique qui est donc apparu fortuitement ou de manière anecdotique. Il faut préciser également que jusqu’au début des années 2000, l’Azilien, actuellement classé dans le Paléolithique, était considéré régionalement comme « épipaléolithique ».
68Il s’agit d’une opération couplée de prospections et de sondages. Initiée en 1997, elle portait au départ uniquement sur un enrichissement des connaissances du Mésolithique. En témoignent ainsi les rapports des opérations de 1997 et 1998 et le sondage mené sur le site de La Gohérais 1 à Bourg-des-Comptes (Mésolithique moyen). Des découvertes réalisées sur les terrasses de la Vilaine en 1999 auront incité le responsable d’opération à réorienter en partie son opération en l’ouvrant vers les cultures du Paléolithique supérieur (Badegoulien et Azilien).
69En 1999 sont ainsi découverts les sites du Châtelier à Guichen, du Bout de Lande à Maure-de-Bretagne et de la Fosse-Auger à Saint-Senoux qui livrent des éléments lithiques attribuables à un Épipaléolithique mal déterminé (armatures de type pointes à dos, débitage lamino-lamellaire, nuclei à débitage alterne). Par ailleurs, le site du Breuil Durand à Laillé est attribué à un Magdalénien ancien (Badegoulien) à raclettes.
70Il s’agit d’une opération de prospection thématique centrée sur les études de matière première lithique et la question de la stratégie de gestion des matériaux. Les travaux s’organisent ainsi autour de gîtes de phtanites. Plusieurs sites d’exploitation de ces matériaux ont été repérés, attribuables pour l’essentiel au Mésolithique.
71Quelques sites paléolithiques ont également été découverts de manière incidente. À Carantec (Finistère), la station littorale de Roc’h Gored (étude Briagell Huet, 2006), attribuable au Paléolithique moyen (débitage Levallois et biface cordiforme) est ainsi signalée. À Ploulec’h (Côtes-d’Armor), le site de Gamarin 2 est considéré comme possiblement post-azilien, avec la découverte d’une « pointe à dos continu » comparée aux pointes de Federmesser ou à celles de Malaurie, marqueurs de la fin du Paléolithique.
72Les prospections menées depuis 1999 sur le littoral nord de ces deux départements ont permis d’identifier de très nombreux sites ou indices de sites paléolithiques, relevant essentiellement du Paléolithique moyen.
73C’est surtout sur les communes d’Erquy (Îlot Saint Michel, plage du Caroual, plage de Saint-Pabu…) ou de Fréhel (anse du Croc, les Grèves d’En Bas…) que des gisements potentiels ont été signalés. Les données restent peu développées, car elles sont limitées à des ramassages sur estran et des observations ponctuelles en coupe de falaise, dans des zones très endommagées par l’érosion marine.
74L’opération de prospection menée à Carnac a permis de préciser l’état du gisement éponyme de Saint-Colomban (fig. 4) et de plusieurs autres sites paléolithiques de la commune. Il a également permis d’identifier un autre site sur la pointe Churchill à proximité. Il s’agit d’un gisement de surface sur estran, attribuable également au « Colombanien », c’est-à-dire au Paléolithique ancien.
75Cette opération diachronique a permis de préciser quelques indices de la fin du Paléolithique supérieur, au-delà de l’île de Molène elle-même. Une nouvelle série lithique a pu être récoltée à Lann Gazel (Tremaouezan), site partiellement publié en 2001 (Le Goffic, 2001) et plusieurs sites ont été repérés sur les rives de l’Élorn (Front Braz, Kervafen à La Roche Maurice, Quinquis à Bodilis).
76L’opération de prospection diachronique a livré en 2002 quelques ramassages de pièces isolées attribuées au Paléolithique au sens large (Paléolithique moyen ?). Ces quelques éléments doivent être revus, car ils pourraient signifier une fréquentation de l’île avant le Mésolithique.
77Il s’agit d’une opération diachronique menée en 2003. Aucun site nouveau n’a été signalé, mais plusieurs gisements du Paléolithique ancien ou moyen ont été précisés.
78Plusieurs sites ont été revus dans le cadre du programme ALERT, dirigé entre 2014 et 2015 par Pau Olmos Benloch et depuis 2016 par Chloé Martin. On peut ainsi signaler le site de Runigou à Trébeurden (Finistère), attribué à la transition Paléolithique supérieur/Mésolithique ancien, pour lequel de nouveaux vestiges lithiques ont été découverts, ou encore les vérifications menées sur l’île de Sieck à Santec (Finistère).
79Il s’agit d’une prospection inventaire qui a livré plusieurs ensembles de séries attribuables au Paléolithique au sens large ainsi qu’au Mésolithique. Les sites identifiés sont enregistrés au sein de la carte archéologique et les séries mises à la disposition de chercheurs référents.
80Un projet collectif de recherches portant sur les premières occupations du Massif armoricain a été développé par A.-L. Ravon et M. Laforge entre 2015 et 2019. Ce programme a permis de proposer une révision des entités archéologiques référencées dans la carte archéologique grâce à l’appui d’un mémoire étudiant. Par ailleurs, au sein de ce programme, plusieurs études de collections (séries anciennes ou actuelles) ont été lancées. Il s’agissait donc d’un levier essentiel pour la dynamique scientifique régionale.
81Nous l’avons dit, la région Bretagne est caractérisée par un contexte environnemental très spécifique marqué par une géologie particulière (acidité des sols, absence de silex…), une position géographique en cul-de-sac, des formations superficielles diversifiées, mais souvent discontinues (terrasses alluviales, cordons littoraux anciens), parfois épaisses (lœss de la côte nord), mais souvent résiduelles (réflexions taphonomiques), et pour lesquelles le contexte géomorphologique est souvent déterminant pour l’implantation des sites : grotte marine, abri en pied de falaise… (fig. 6 et 16), parfois réinvestis sur le temps long (exemple de Menez Dregan). La rareté de la faune en contexte archéologique nous prive de nombreuses informations sur les paléoenvironnements comme sur les comportements de subsistance des groupes humains. En parallèle, si les industries lithiques sont bien représentées, les silex sont présents presque uniquement sous la forme de petits galets, au sein des cordons littoraux. Bien souvent, ce sont des roches de substitution qui ont été exploitées, parfois d’excellente qualité (grès lustrés tertiaires, microgranites, phtanites ou quartz).
Figure 16 : Rocher du Goaréva (île de Bréhat), typique d’un abri en pied de falaise
Figure 16: Goaréva rockshelter (Ile-de-Bréhat), typical of a shelter at the base of a cliff
Cliché : J.-L. Monnier lors de la fouille de 1973 / Photograph: J.-L. Monnier during the 1973 excavation
82Ces caractéristiques fondamentales de l’archéologie préhistorique en Bretagne apparaissent comme des contraintes, mais doivent pousser les préhistoriens à de nouvelles façons d’interroger les vestiges. Les matériaux lithiques endogènes, qui ont fait l’objet d’un axe de recherches privilégié au sein de l’unité mixte de recherches 6566 CReAAH ont permis par exemple de comprendre comment les hommes ont investi le territoire au fil du temps. La mise en place d’une lithothèque favorise les réflexions communes et diachroniques, les problématiques étant partagées tout au long de la Préhistoire. À l’image de ce travail, il convient de transformer les contraintes en plateformes de questionnements, en poussant plus avant les recherches méthodologiques. Sur des sujets variés comme les datations, les analyses génétiques dans les sédiments, les prospections géophysiques ou encore les SIG, l’archéologie préhistorique bretonne pourrait probablement servir de laboratoire d’essai.
83Comme cela a été évoqué au début de cet article, les sites du Paléolithique en Bretagne représentent environ 1,5 % de l’ensemble du patrimoine archéologique connu. Parmi les 345 entités archéologiques, un quart n’est renseigné que par des objets isolés, mais la très grande majorité est issue de ramassages plus ou moins exhaustifs et documentés, et rarement revus par la suite dans le cadre d’études plus complètes. Il convient tout de même de rappeler que même faible, ce résultat est en très grande partie le fruit d’une forte dynamique d’archéologues amateurs qui ont réalisé pendant plusieurs décennies un important travail de prospection qui doit être poursuivi et valorisé, notamment dans le cadre de participation à des programmes de recherche collectifs.
84Le premier travail à mener est donc un nettoyage qualitatif de la carte archéologique, afin d’homogénéiser les données, de hiérarchiser l’information et de faciliter les requêtes (type de site, contexte, période culturelle, etc.). Idéalement, chaque entité archéologique pointée devrait être revue sur place (ce qui suppose d’avoir accès à la collection) et sur le terrain afin d’en évaluer l’état et le potentiel, notamment en tenant compte du contexte géomorphologique et de la présence éventuelle de dépôts pléistocènes. Le matériel doit également impérativement être réexaminé, ne serait-ce que pour préciser les attributions proposées et évaluer l’intérêt scientifique de la série, avant d’envisager de nouvelles opérations sur le terrain (sondages, relevés stratigraphiques).
85Après cette première révision, il serait nécessaire de proposer la reprise de séries de plus ou moins grande ampleur, soit pour des étudiants (masters par exemple), soit pour des archéologues professionnels, intéressés par de nouveaux terrains de recherche ou par des collections de comparaisons.
86En parallèle, il convient impérativement de travailler sur l’aspect quantitatif des connaissances, en organisant des séries de prospections thématiques, en lien avec les prospecteurs et chercheurs, axées sur la recherche de vestiges du Paléolithique. Ces travaux pourront être menés en priorité dans les zones peu couvertes jusqu’à présent, notamment le long de certaines vallées vers l’intérieur des terres.
87Les travaux sur le Paléolithique ancien semblent devoir porter en priorité sur le site de Menez Dregan I, dont la fouille vient de se terminer. La publication monographique du gisement est une priorité scientifique de la région. Dirigée par A.-L. Ravon, elle rassemblera un important collectif scientifique.
88En parallèle, il serait important de relancer des prospections sur toute la côte sud, en ciblant les cordons littoraux perchés ou les « terrasses fluvio-marines » en arrière du trait de côte (fig. 17), ainsi que les anciens couloirs d’abrasion marine, aujourd’hui masqués par des dépôts de pente et susceptibles comme à Menez Dregan d’avoir façonné des grottes ayant pu servir d’abri.
Figure 17 : Carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique inférieur et moyen en lien avec la présence de formations superficielles quaternaires
Figure 17: Distribution map of Lower and Middle Palaeolithic archaeological entities in relation to the presence of quaternary surface formations
Données du BRGM / BRGM data
89Une réflexion prospective pourrait être menée sur les industries archaïques mises en lumière à Saint-Malo-de-Phily (Ille-et-Vilaine), dans une terrasse alluviale de la Vilaine et dont aucun équivalent n’a été encore trouvé ailleurs. Elle pourrait s’accompagner de prospections ciblées sur l’ensemble de la vallée de la Vilaine, qui constitue la seule « concentration » d’occupations humaines, hors littoral, sur une longue période : Paléolithique inférieur, moyen (objets isolés) et final.
90En Bretagne, la dualité des groupes culturels du Moustérien mis en évidence (groupes à bifaces et groupes sans biface) manque encore de précision. On a surtout du mal à caractériser le lien qui unit les deux ensembles et leur caractère contemporain ou non, et ce, même si de très nombreux sites sont connus et leurs séries parfaitement accessibles.
91Il convient donc de redynamiser les sites du Moustérien breton, dont certains présentent des potentiels archéologiques très importants. Le déficit de préhistoriens spécialisés sur ces périodes doit nous conduire à inciter de jeunes chercheurs (étudiants) ou des chercheurs en poste dans des institutions non basées en Bretagne à s’y intéresser. On pourrait par exemple envisager l’organisation d’un workshop destiné aux professionnels, afin de présenter quelques séries majeures. Ainsi, le Mont-Dol, dont la série lithique a été peu exploitée, notamment si on la compare à l’étude faunistique, pourrait constituer une porte d’entrée attrayante.
92Plus encore que pour les autres périodes, c’est sans doute en réinscrivant ces occupations dans des réflexions à l’échelle suprarégionale que l’on pourra dynamiser les travaux et faire connaître la richesse de ces vestiges. Ainsi, au-delà des frontières régionales, il existe des sites majeurs (la Cotte de Saint-Brelade à Jersey, Le Rozel en Normandie) qui constituent d’excellents jalons de compréhension des occupations néandertaliennes de l’Ouest.
93Une telle politique proactive impliquerait cependant un budget à court et moyen terme, notamment la possibilité de prise en charge de gratifications de masters sur des séries issues de ramassages ou de fouilles anciennes.
94En parallèle, il paraît également crucial de ne pas négliger l’arrière-pays, notamment le domaine lœssique de la côte nord (fig. 17), sans doute par l’intermédiaire des grands sites de surface comme le Bois du Rocher, dont les contextes stratigraphiques, encore trop peu renseignés, pourraient se révéler particulièrement utiles en vue de la détection de ces sites par l’archéologie préventive.
95Les données accessibles pour la première moitié du Paléolithique supérieur sont très rares et très disparates. Si beaucoup de sites ont été repérés lors de prospections ou signalés après des ramassages, peu ont fait l’objet de sondages, de fouilles, ou même d’une simple étude des séries.
96On pourrait envisager en priorité la reprise des séries anciennes, comme Beg-ar-C’hastel, qui a livré une intéressante série de lamelles Dufour (typiques de l’Aurignacien), mais également deux pointes à dos évoquant la pointe de Châtelperron.
97Le site de Plasenn-al-Lomm (île de Bréhat), fouillé dans les années 1970 et 1980 (Monnier, 1982), pourrait lui aussi faire l’objet d’un regain d’intérêt par sa position extrêmement septentrionale au sein du complexe « à burins du Raysse ». Le site joue un rôle fondamental dans la compréhension de la coexistence des groupes gravettiens. La série, déjà vue par Y. Le Mignot est le support d’une nouvelle étude de ce faciès (master 2 et thèse en cours de C. Sarrazin, encadrement D. Pesesse). La petite série de Karreg-ar-Yellan (Ploubazlanec), plutôt attribuée à un Gravettien récent, pourrait être également reprise et publiée dans un contexte de mise en comparaison de sites à une échelle large.
98Par ailleurs, les sites de Coalen (Lanmodez), des Amiets (Cleder) ou de Ti-Saozon (île de Batz) ont livré des pointes de la Font-Robert, typiques du Gravettien. Les assemblages doivent être revus afin de préciser l’attribution chronoculturelle fine de ces occupations. Le potentiel sur place des sites doit également être réévalué afin d’envisager des opérations ciblées (sondages, reprises de coupe), permettant de compléter les informations connues.
99L’augmentation du corpus des sites doit également être un objectif, sans doute en prenant en considération, plus qu’à toutes autres périodes, une paléogéographie ouvrant de vastes plaines steppiques et l’accès aux gisements primaires de silex en Manche (fig. 18) ; mais également un domaine lœssique sur la frange littorale susceptible d’avoir scellé les occupations au maximum de la dernière glaciation.
Figure 18 : Carte de répartition des entités archéologiques (EA) du Paléolithique supérieur et final en lien avec la présence des lœss de la côte nord (données du BRGM), des cours d’eau, des affleurements de silex au large et des territoires dégagés par la régression marine (données SHOM et EMODnet).
Figure 18: Distribution map of the Upper and Final Palaeolithic archaeological entities in relation to the presence of lœss on the northern coast (BRGM data), the watercourses, the outcrops of flint in the open sea and the territories cleared by the marine regression (SHOM and EMODnet data).
100En parallèle ou à l’issue de l’opération programmée en cours sur le site du Rocher de l’Impératrice (Plougastel-Daoulas), d’autres séries issues de ramassages ou fouilles ponctuelles, attribuées à la même période, à l’Azilien récent ou aux industries de transition avec le Mésolithique (FBT), pourraient faire l’objet de nouveaux examens en complément de celui mené par N. Naudinot dans le cadre de sa thèse de doctorat (2010).
101Certains sites, dont le potentiel archéologique est connu, pourraient également faire l’objet d’une reprise de travaux. C’est le cas de la grotte de Roc’h Toul (Guiclan), fouillée au xixe s. (Le Hir, 1869), ou encore de l’anse de Landroannec sur le lac de Guerlédan (Mûr-de-Bretagne).
102Pour les groupes de la transition GS1-Holocène, d’autres questions se posent, comme les interrelations entre les traditions laboriennes et ahrensbourgiennes au sein d’un vaste techno-complexe européen caractérisé par une production laminaire assez typée, ou encore une meilleure compréhension des structurations chronoculturelles internes de ces différentes traditions.
103Enfin, pour cette période mieux connue, il apparaît que la répartition des sites est clairement liée à un biais de prospections avec des zones complètement vides (nord-est de la Bretagne, vallée de l’Oust, reliefs du centre Bretagne en Côtes-d’Armor). Des campagnes ciblées pourraient ainsi être menées sur les abris-sous-roche de ces secteurs, ainsi que le long des vallées (fig. 18).
104La moindre conservation des matières dures d’origine animale et l’actuelle absence de Solutréen et de Magdalénien en Bretagne sont des freins importants à la reconnaissance de traces d’activités symboliques dans les sites du Paléolithique supérieur. Pour autant, il semble que le thème puisse là aussi faire l’objet d’une reprise d’étude. La découverte d’un important corpus gravé sur support lithique au Rocher de l’Impératrice vient rappeler que ces comportements ne sont pas absents de la région. Au moins un autre site attribué à l’Azilien récent a livré de l’art mobilier (Lann Gazel à Trémaouézan). D’autres séries mériteraient également d’être revues afin de vérifier la possibilité d’autres traces de témoignages symboliques (ex. : cortex gravés, présence de colorants…) et des découvertes fortuites pourraient être prolongées par une vérification des contextes archéologiques (fig. 19). Au-delà, des recoupements avec des collections provenant des marges du Massif armoricain devront être poursuivis.
Figure 19 : Tête animale (?) gravée sur galet de schiste, La Dominelais, Ille-et-Vilaine
Figure 19 : Animal head (?) engraved on a schist pebble, La Dominelais, Ille-et-Vilaine
Découverte : J.-L. Chateignier, CERAPAR ; relevé : E. Paillet / Discovery J.-L. Chateignier, CERAPAR; tracing: E. Paillet
105Au terme de ce bilan, on voit apparaître le biais principal qui pèse sur la dynamique de recherche actuelle sur la préhistoire bretonne. À l’exception des deux sites en cours de fouilles ou fouillés récemment, et malgré l’existence d’un projet collectif de recherches actif de 2015 à 2019, il est clair que les résultats resteront extrêmement limités tant qu’ils ne reposeront que sur la volonté — et la disponibilité — de quelques personnes.
106Ce déficit de professionnels (archéologues préhistoriens titulaires d’un poste) constitue un immense défi à relever. Il est d’autant plus paradoxal qu’il existe dans la région une formation universitaire sur le Paléolithique, répartie entre l’université de Rennes 1 et l’université Rennes 2. Plusieurs étudiants ont soutenu des DEA ou masters, voire des thèses, dans ces universités sans que cela vienne grossir durablement les rangs des chercheurs intéressés au Paléolithique régional. Sans doute est-il temps de réfléchir de manière globale à ces potentiels, en donnant avant tout envie aux étudiants de s’intéresser à la préhistoire locale en proposant des sujets de recherches académiques adéquats. Nous croyons ainsi plus que jamais à une réflexion collective et pluridisciplinaire de tous les acteurs concernés en agissant sur tous les leviers et les moyens d’action disponibles aussi bien en prospections, qu’en archéologie préventive et programmée. Cela passera aussi par une démarche prédictive en se basant à la fois sur la carte archéologique, mais également sur des raisonnements d’ordre géoarchéologique (abri, dépôts quaternaires, matières premières lithiques, implantation géographique des sites…). Enfin, une sensibilisation des acteurs de l’archéologie préventive s’avère incontournable notamment dans l’élaboration des cahiers des charges scientifiques, dans le choix des secteurs susceptibles d’être porteurs d’information et dans la mise en œuvre de techniques adaptées à la détection. Cette sensibilisation en cours, à l’image de ce qui a été réalisé dans d’autres régions, semble désormais porter modestement ses premiers fruits.