1Les avancées des dernières décennies en matière de connaissance du Paléolithique moyen en France reposent presque exclusivement sur un panel de sites stratifiés, de plein air, de cavités ou d’abris, fouillés lors d’opérations programmées ou préventives. Cette priorisation, ou plutôt cette orientation vers les sites les mieux préservés, en termes de qualité et de diversité des données, s’entend, naturellement, quand il s’agit d’alimenter en matériaux et échantillons parfaitement contextualisés certaines recherches très spécialisées. En revanche, elle induit un maillage géographique des connaissances très lâche, voire très inégal en densité, que seules des opérations de prospection systématique sont en mesure de densifier sous réserve de leur capacité à individualiser des unités archéologiques cohérentes, ayant a minima la dimension de leurs homologues fouillées en plein air. Si tous les vestiges paléolithiques découverts en surface ont généralement en commun d’y avoir été remaniés par les activités agricoles, toutes les situations sont observables, depuis des objets isolés jusqu’à de réelles concentrations circonscrites, qui traduisent des unités archéologiques cohérentes ayant valeur de site. Individualiser ces derniers requiert de pouvoir démontrer, i) que la totalité ou une partie des vestiges collectés en surface constitue une entité cohérente sur le registre chrono-culturel, ii) que cette entité présente également une unité spatiale.
2Accéder à ce niveau d’information pour les assemblages lithiques paléolithiques de surface, outre qu’il hiérarchise les occurrences sur la carte archéologique nationale, contribue à densifier le maillage des connaissances. Si cette étape peut apparaître de faible portée dans des régions où les sites paléolithiques stratifiés sont nombreux, elle constitue, pour bien des régions, la première évidence d’un peuplement significatif à la période considérée.
3L’individualisation d’un lot d’objets lithiques paléolithiques, dans un large assemblage constitué lors de prospections systématiques géoréférencées de plusieurs parcelles, sur un plateau du Gennois, dans le Saumurois (fig. 1), région où aucune occupation paléolithique n’a été fouillée à ce jour, nous a conduits à tenter de déterminer si ces vestiges correspondaient à un site démantelé par les activités agricoles ou bien au bruit de fond habituel pour ces périodes.
Figure 1 : Territoire d’étude et carte des indices de site et des sites avérés, à l’échelle du Saumurois, sur fond de BDAlti (IGN), avec données compilées issues de la carte archéologique nationale, des recherches d’AuGuRA, des données de M. Gruet (1976), de J. Mornand et A. Braguier (1992).
Figure 1: The study area and a map of the sites in the area of Saumur, from data taken from the National Arcaheology survey.
Réalisation SIG : L. Déodat.
4Frange orientale du Maine-et-Loire incluse dans le Bassin parisien, le Saumurois, qui occupe la rive gauche de la Loire, doit une partie de sa réputation à ses monuments mégalithiques hors norme (Gruet, 1967). Les témoignages du Paléolithique de la région du Saumurois, et plus largement de l’Anjou, sont rares. En 1976, Michel Gruet présentait une carte de répartition des industries moustériennes dans le bassin de la Loire (Gruet, 1976, p. 1090) qui montrait la pauvreté de nos connaissances pour cette période, ne comptant que cinq sites pour le département du Maine-et-Loire. De tous, Roc-en-Pail (Chalonnes-sur-Loire) apparaît le plus important (base PatriArche SRA/MCC ; no EA : 49 063 0001), avec plusieurs couches ayant livré du Paléolithique moyen, dans une stratigraphie de près de cinq mètres (Gruet, 1976 ; Soriano et al., 2021). À Mauges-sur-Loire, sur le site de la Martinière (La Pommeraye, no EA : 49 244 0001), les prospections ont livré une riche industrie moustérienne, mais on ne dispose d’aucune étude (L’Helgouach, 1975 ; Allard, 1986). Un autre gisement moustérien est mentionné à Coutures (fig. 1), sur le site du Bois Lévèque (no EA : 49 115 0003), à 5 km de Gennes (Mornand et Braguier, 1992, p. 131 ; Chaumont, 1995). Plus récemment, l’assemblage lithique collecté lors de prospections sur le site de La Marche (no EA : 49 125 0032), à Doué-la-Fontaine, a été publié (Neau, 2017). Enfin, le site paléolithique moyen de Villevêque, le cinquième mentionné par M. Gruet pour le département, se résume à quelques éclats Levallois très frais, collectés dans une basse terrasse du Loir (Gruet, 1976, p. 1092). Si le travail d’inventaire d’outils lithiques, réalisé en 1992 par A. Braguier et J. Mornand, dans leur ouvrage sur Les bifaces du Paléolithique inférieur et moyen en Maine-et-Loire (Mornand et Braguier, 1992), a permis de rajouter quelques gisements, le constat est clair : la connaissance de ces périodes du Paléolithique dans le département est très lacunaire, et la carte de 1976 a finalement peu évolué. Sur un rayon d’une vingtaine de kilomètres autour du site étudié ici, 38 entités archéologiques (EA) sont attribuées au Paléolithique, et une quarantaine de mentions sont faites dans l’ouvrage précité de Braguier et Mornand, ou dans les fiches non publiées de ce premier (Braguier et ADIA, inédit) (fig. 1).
5À la lecture de ces données, outre le site de Coutures-Bois Lévèque, susmentionné, seulement quatre gisements significatifs peuvent être retenus, les autres mentions faisant référence à des objets isolés. Sur la terrasse rissienne de Chacé, près de Saumur, au lieu-dit les Vernes, 100 bifaces du Paléolithique inférieur et moyen, en grès, silex et meulière, ont été ramassés, décrits et dessinés (Mornand et Braguier, 1992, p. 12-73). À Distré, près de Saumur également, au bois de la Pège, un atelier de taille constitué essentiellement d’ébauches de bifaces et de bifaces a été révélé par les mêmes auteurs (ibid., p. 76-118). À Valanjou (aujourd’hui commune de Chemillé-en-Anjou), sur les plateaux de l’ancienne commune de Gonnord, 60 bifaces ont été ramassés (ibid., p. 157-163), répartis en plusieurs lieux-dits, mais avec quelques concentrations, notamment au Clos du Pressoir (16 bifaces). Sur le site de Pompierre, à Verrie, en limite communale de Chênehutte, 500 bifaces ont été découverts, ainsi que de nombreuses ébauches (information orale A. Reliat et M. Ballouard), à proximité d’un gîte de silicites (meulières, opale résinite, etc.). Plus spécifiquement dans notre zone d’étude, l’inventaire exhaustif des découvertes faites par des archéologues, tel que C. Le Goffic (1990), et compilées sur la carte archéologique, ou par des amateurs, n’a pas permis de révéler de sites, mais, là encore, simplement des découvertes d’objets isolés, parmi lesquels les bifaces tiennent souvent une place prépondérante du fait de leur forte visibilité. Tout ce travail de reprise des données anciennes nous a permis de dresser une carte des indices de site, sans doute bien en deçà de la réalité : elle reflète simplement l’avancée de la recherche (fig. 1). Ce constat vaut plus largement pour le Paléolithique de l’ensemble du Maine-et-Loire (Soriano et Dessoles, à paraître), à l’exception des très rares sites stratifiés, comme celui des Chaloignes (Marchand et al., 2009) ou celui de Roc-en-Pail (Soriano et al., 2021).
6La connaissance du peuplement paléolithique du Saumurois repose donc exclusivement sur des découvertes de surface. Si l’absence de tout cadre stratigraphique impose la prudence, délaisser totalement ces matériaux conduit à voiler un large pan des connaissances en matière de peuplement préhistorique pour la région. À cet égard, le travail de prospection systématique que nous avons réalisé, sur le micro-territoire du Gennois, montre qu’une approche systématique de tels contextes est possible et qu’il peut en résulter un apport de connaissances significatif. De nombreux objets ont été ramassés et géolocalisés, au gré des prospections, et notamment quelques bifaces acheuléens, permettant de faire remonter la fréquentation des lieux au Paléolithique inférieur, au moins entre 450 000 et 300 000 ans. Si, dans l’essentiel des cas, les seuils de détection ne dépassaient jamais un artéfact par are (= 100 m²), ne permettant donc pas d’établir la présence d’un site en tant que tel, dans un cas, la proportion de matériel était telle (entre 2 et 20 objets en moyenne et jusqu’à 100 par are) qu’un site du Paléolithique moyen de culture moustérienne a été clairement identifié : celui du Tertre Blanc 3 (SP-058), sur le plateau d’Avort, objet de cette étude.
7Le plateau d’Avort, situé à 20 km au nord-ouest de Saumur, domine, à 84 m d’altitude, le ruisseau d’Avort et celui du Meugon, son tributaire, qui s’écoulent à quelque 30 m en contrebas (fig. 2). À peine visible dans le paysage actuel, le ruisseau d’Avort descend doucement, du sud-ouest vers le nord-est, sur 5,9 km depuis sa source d’Avort, à 50 m NGF, jusqu’à son débouché dans la Loire, à 23 m NGF, au niveau du bourg actuel de Gennes. En surface, le plateau est constitué de sable éocène, mêlé à des spongiaires et à des meulières issues de formations lacustres. Ce niveau sableux (e6) recouvre les couches sénonienne (c4) et turonienne (c3), constituées respectivement de formations gréso-sableuses et de niveaux de craie blanche, tendre et finement glauconieuse, appelée localement tuffeau. Ce plateau, probablement par sa proximité avec ces cours d’eau, par l’existence d’une source, et par son abondance en matière première, a été propice aux installations humaines préhistoriques, mais aussi plus récentes, comme en témoignent les nombreux sites répertoriés lors de nos prospections systématiques (Déodat, 2015 ; 2016 ; 2017 ; 2018 ; 2021).
Figure 2 : Carte de la vallée d’Avort et du Meugon, avec, en exergue, le plateau étudié et le site du Tertre Blanc, au centre, à la confluence des deux ruisseaux, sur fond de RGE Alti (IGN).
Figure 2: The valley of the Avort and the Meugon showing the studied plateau and the terre Blanc site at the confluence of the two streams.
Réalisation SIG : L. Déodat.
- 1 Plusieurs opérations ont été entreprises, autorisées par le service régional de l’archéologie (SRA (...)
- 2 Association gennoise de recherches archéologiques (https://www.augura.org/).
- 3 Les cinq premières communes font partie, depuis 2019, de la nouvelle commune de Gennes-Val-de-Loir (...)
8Ce plateau a effectivement fait l’objet d’une prospection pédestre, entre 2015 et 2020, dans le cadre d’un programme de prospection diachronique1 avec l’association AuGuRA2. Pendant cinq ans, sur l’ensemble du territoire étudié, à savoir six communes du Gennois (Gennes, Chênehutte-Trèves-Cunault, Le Thoureil, Grézillé, Saint-Georges-des-Sept-Voies et Louerre3), 112 ha ont été prospectés de façon systématique, dont 60 ha sur des terres cultivées et 52 ha en forêt. Les parcelles mises en culture, prospectées après labour, représentent donc un peu plus de la moitié du travail accompli et ont permis la découverte de 24 691 artéfacts, tous types et toutes époques confondus : céramique, lithique, verre, métal, terres cuites architecturales, etc., du Paléolithique inférieur à la fin du Moyen Âge. Le plateau d’Avort, étudié spécifiquement ici, est recouvert en partie de forêt et en partie de terres mises en culture (75 ha), dont 32 ha ont été prospectés systématiquement (fig. 3). 3 570 artéfacts proviennent des parcelles de ce secteur et se répartissent comme suit : Époque contemporaine : 59 ; période moderne : 303, périodes médiévales : 407 ; période romaine : 1 016 ; Préhistoire : 1 583 ; Préhistoire ou Protohistoire : 88 ; Protohistoire : 35 ; époque indéterminée : 79.
Figure 3 : Carte de répartition des objets, toutes époques confondues, avec localisation des parcelles prospectées et boisées, sur fond de BDAlti et BDCarto (IGN), centré sur le plateau d’Avort.
Figure 3: Distribution map of artefacts from all periods with the located of protected and wooded areas.
Réalisation SIG : L. Déodat.
9La prospection pédestre, ou prospection de surface, vise à découvrir de nouveaux sites, toutes époques confondues, mais aussi à mettre en évidence des pratiques diverses et des aménagements liés à l’occupation humaine (pratiques culturales, voies de passage, etc.). On retiendra comme définition du site celle mise en avant par A. Ferdière (1998) : « concentration de vestiges à la fois limitée dans l’espace (on peut en reconnaître les frontières) et dans le temps (les vestiges correspondent à une période déterminée, plus ou moins longue) ». Ces vestiges proviennent de sites archéologiques érodés et enfouis à faible profondeur et dont le mobilier et les matériaux, accrochés par la charrue, remontent en surface.
10Partant du postulat que « la surface concernée par la concentration des artéfacts correspond grosso modo à l’emprise du site » (Ferdière, ibid.), il apparaît évident qu’un travail de prospection méthodique et rigoureux est une source de données fiable pour la découverte de sites inédits. De manière complémentaire, l’idée que le matériel trouvé en surface hors site (bruit de fond) peut aussi correspondre à des pratiques particulières telles que des cheminements près desquels des artéfacts seraient jetés ou perdus par leurs utilisateurs, il apparaît alors que l’analyse des objets découverts dans des parcelles labourées est aussi susceptible de permettre d’appréhender globalement et précisément l’histoire de l’occupation dans un territoire donné (Poirier et Nuninger, 2012).
11Dans le cadre de nos prospections, et concernant les parcelles cultivées, la méthode sur sol nu développée par A. Ferdière (1998) a été appliquée : prospection en ligne selon les mêmes modalités (nombre de prospecteurs, distance de 10 m entre chacun, 1 ou 2 passages suivant le but recherché, sens de prospection par rapport à l’alignement du labour, etc.), ramassage de tous les artéfacts (fig. 4). En outre, une utilisation optimale du GPS a été décidée dès le lancement du programme : un point est pris pour chaque artéfact qui est mis en sac avec une étiquette portant le numéro du point GPS. Si l’on a ainsi généralement un artéfact par sac, dans les cas où plusieurs artéfacts se trouvent dans un rayon d’1 à 2 m, soit dans l’aire-limite de précision de la balise GPS, ceux-ci sont regroupés dans un même sac. Cette technique de géolocalisation de chaque objet au GPS, couplée à leur inventaire sur tableur et à leur intégration dans un SIG, permet de localiser chaque artéfact prélevé à 3 m près, et donc d’obtenir des cartes thématiques de répartition du mobilier très précises, pour ce mode de collecte, eu égard aux surfaces traitées. Les intérêts de la géolocalisation des vestiges observés/collectés en prospection ont d’ailleurs conduit récemment au développement d’applications sur smartphone (Poirier et al., 2019).
Figure 4 : Illustration de la méthode de prospection systématique en ligne, en plein champ, avec ramassage des objets et leur géolocalisation au GPS.
Figure 4: Systematic field walking in lines with the collection of artefacts and their location using GPS.
Clichés : L. Prum.
12Seuls certains types d’objets ont échappé légèrement à la règle, par exemple, pour les époques préhistoriques, les blocs de matière première à peine ébauchés et les éclats ordinaires, lorsqu’ils étaient très nombreux au sein d’un site avéré. Pour ces cas particuliers, une méthode par échantillonnage a été appliquée pour ce type d’objets – les autres objets (outils ou éclats avec traces d’utilisation et/ou enlèvements postérieurs au débitage) sont systématiquement ramassés. Après avoir circonscrit le site avec précision, des carrés de 2 × 2 m (suivant Nance et Ball, 1981) sont répartis tous les 25 m environ, équilibrés entre cœur et pourtours du site, à l’intérieur desquels tous les objets sont prélevés. Ainsi, la densité d’objets est définie pour chaque carré. Il suffit de procéder ensuite à une extrapolation pour avoir la densité de matériel sur l’ensemble du site.
13À partir du moment où des critères d’identification ont été bien définis, la concentration de mobilier archéologique permet d’identifier clairement des sites, de les délimiter dans l’espace et de les différencier des épandages et plus globalement du bruit de fond. Le premier critère défini est celui de seuil : il permet de distinguer des sites dans un semis aléatoire d’artéfacts (nombre d’objets par rapport à une surface donnée), selon la méthode définie par C. Gandini (2008). Pour des raisons de conservation différentielle des artéfacts, la variable de la période est à prendre en considération. Ainsi, pour le Paléolithique, nous avons considéré qu’à partir d’un artéfact en surface par are, soit 0,01 pièce/m², un site est avéré ; en deçà, il s’agit d’un bruit de fond pouvant s’expliquer de manière diverse (proximité de site, perte, cheminement, objets résidualisés par l’érosion). Il n’est pas rare que, lors de fouilles préventives sur des sites du Paléolithique inférieur et moyen de plein air, dans le nord-ouest de l’Europe, on observe une densité surfacique de vestiges lithiques (objets de moins de 2-3 cm exclus) qui soit inférieure à 0,1 pièce/m² et tombant jusqu’à 0,029 (par exemple Étricourt-Manancourt LGS, Bettencourt-Saint-Ouen N2A ; Locht, 2002 ; Hérisson et al., 2016). Ces densités sont encore supérieures au seuil que nous avons fixé pour valider l’existence d’un site paléolithique reconnu par prospection, mais il faut considérer qu’à un temps –t, la surface d’une parcelle agricole labourée, d’une part, n’offre pas une résolution d’observation équivalente à une surface de fouille (mécanisée en l’occurrence pour les références considérées), d’autre part, n’expose qu’une petite partie des vestiges contenus dans la tranche de labour, comme le rappelle Steinberg (1996, p. 369), citant plusieurs études en la matière. Selon les auteurs, la proportion des artéfacts observables en surface d’un labour par rapport à l’ensemble disséminé dans son épaisseur, varie de 0,3 % à un peu moins de 15 %, avec la plupart des estimations se plaçant autour de 5-6 %. Les propres résultats de Steinberg le conduisent à suggérer que 0,5 % du total des éclats de l’assemblage lithique est recueilli en surface des sites labourés du Néolithique ancien étudiés et même à une proportion moindre pour les sites du Néolithique récent et du Bronze ancien. L’expérimentation de Prost et Hesse (2004) confirme globalement ces observations. Enfin, la tranche de labour peut n’avoir remanié que partiellement la couche sédimentaire contenant originellement les vestiges. Sur ces bases, notre seuil peut être considéré comme pertinent. Si on retient la proportion haute de 5 %, alors notre seuil d’un artéfact en surface par 100 m² reflèterait un site ayant une densité totale de 0,2 pièce/m² si on recueillait en plus de la surface toutes les pièces qui sont dans la tranche de labour ; densité supérieure à celle des sites paléolithiques fouillés susmentionnés. Avec la proportion basse de 0,5 %, la densité totale atteint 2 pièces/m², soit deux fois la médiane de la densité que nous avons calculée à partir des données disponibles dans la littérature pour un corpus de 75 unités archéologiques du Paléolithique inférieur et moyen de plein air dans le nord-ouest de l’Europe fouillées de façon extensive (fouilles préventives ou non). Ajoutons que, pour ces périodes anciennes, à la différence des sites du Néolithique ou de la Protohistoire ancienne, un filtre taphonomique a pu appauvrir le stock initial, antérieurement à l’enfouissement ou de façon synchrone. Le seuil de densité de vestiges en surface à partir duquel nous individualisons un site paléolithique apparaît ainsi pertinent, d’autant qu’en réalité, au cœur des sites identifiés dans le cadre de nos prospections, nous avons récolté, entre 2 et 5 pièces par are, en moyenne, pour le site paléolithique dont il est question ici, et jusqu’à 12 pièces pour les plus fortes densités dans le cœur même du site, et pour les sites néolithiques, entre 4 et 9 pièces en moyenne pour 100 m² et jusqu’à 14 pièces pour les plus fortes densités, ce qui fait passer le seuil des 0,1 pièce/m².
14Il faut aussi considérer que, du fait des biais de collecte, tous les vestiges présents en surface peuvent ne pas avoir été vus et prélevés. En effet, quelles que soient les périodes considérées, la prospection comporte plusieurs biais. Ceux intrinsèques à la prospection tout d’abord et qui peuvent en minorer l’efficience : l’expérience individuelle (et collective) des prospecteurs, la visibilité du terrain au moment de l’étude, liée notamment aux pratiques culturales ou aux conditions météorologiques des jours précédents la collecte de mobilier (de fortes pluies survenues après labour feront par exemple ressortir les artéfacts) et la méthodologie même de prospection. Nous renvoyons à Banning et al. (2017) pour les discussions sur ces points. Ceux extrinsèques, ensuite, qui sont liés aux conditions géomorphologiques spécifiques à chaque contexte et à des potentialités afférentes de préservation et de visibilité des vestiges et des sites qu’ils composent : colluvions en bas de pente ou alluvions le long des cours d’eau pouvant masquer des sites, ou au contraire forte érosion ou acidité des sols pouvant avoir détruit entièrement les indices de sites ; déplacement des artéfacts sous l’effet de facteurs géologiques ou des pratiques agricoles. Nous renvoyons, par exemple, à Prost et Hesse (2004, fig. 5) pour l’illustration expérimentale des déplacements d’objets, induits par les travaux agricoles, et on trouvera dans Steinberg (1996) la synthèse de nombreuses références à ce sujet, dont des simulations informatiques. Ce dernier conclut que les sites peuvent, de ce fait, doubler en surface, mais pas tripler ni quadrupler. Une fois tous ces filtres déformants évalués, ou, en tout cas, bien pris en considération, la répartition des artéfacts, visible grâce à leur ramassage systématique et à leur géolocalisation, est une source de données incontestable pour identifier des associations et concentrations de vestiges qui individualisent des sites et définir, sur ces bases, les modalités d’occupation du territoire.
15La prospection a été effectuée sur un terrain agricole qui présente en surface une abondance de matière première, en l’occurrence de la meulière, sous une forme très fragmentée. Il en résulte la présence de nombreux géofacts, qui sont des objets naturels dont les fractures peuvent imiter celles d’origine anthropique dues aux actions de taille (Raynal et Magoga, 2000), mais aussi de matériaux portant des stigmates de fracturation mécanique liés aux engins agricoles (« agrifacts »), imitant elle aussi les stigmates de taille. Tous les objets issus de la zone prospectée qui présentaient de potentiels stigmates de taille ont donc été collectés et inventoriés, y compris les éclats ordinaires, mais certains blocs de matière première à peine ébauchés, eu égard à leur quantité, n’ont pas été prélevés. A posteriori, après étude du corpus, il apparaît que nombre des blocs et fragments de blocs ne présentant que peu de stigmates de taille potentiels qui avaient été prélevés étaient des agrifacts ou géofacts. Le corpus de vestiges lithiques initial, issu de trois campagnes de prospection (2015, 2019 et 2020), est ainsi de 2 718 pièces. La première étape de l’étude a donc consisté à différencier les géofacts et les agrifacts de la composante d’industrie lithique préhistorique. Nous nous sommes appuyés pour cela sur les caractéristiques des stigmates de taille (Inizan et al., 1995), sur la caractérisation des dommages imputables aux engins agricoles sur de l’industrie lithique préhistorique (Prost et Hesse, 2004), sur des critères taphonomiques (nature et distribution des altérations, relations chronologiques entre les différents stigmates) et, plus globalement, sur une lecture prenant en compte les répertoires typo-technologiques des périodes préhistoriques.
16Les variétés de meulière les plus homogènes et au grain le plus fin, localement abondantes, lesquelles ont été préférentiellement taillées par les Préhistoriques, sont aussi les plus fragiles et ont de ce fait été très affectées par l’activité agricole. Nous avons ainsi été confrontés à de nombreux éclats et leurs négatifs sur des fragments de meulière. Toutefois, l’analyse de leurs caractères techniques (nature des talons, angle de chasse, orientation, dimension et chronologie des enlèvements, fissurations, écrasement des corniches, fraîcheur des stigmates, etc.) et l’absence de toute organisation de ces stigmates de taille, relativement à un schéma opératoire préalable, fût-il peu élaboré, indiquaient sans ambiguïté qu’il s’agissait d’agrifacts.
17L’identification du talon, du bulbe en face inférieure, la présence de négatifs d’enlèvements en face supérieure, et parfois de tout autre enlèvement postérieur au débitage de l’éclat, sont autant d’indices de taille anthropique préhistorique et de témoignages de la chaîne opératoire ayant conduit à l’obtention d’un artéfact. L’organisation et l’ordonnancement de ces négatifs permettent, par ailleurs, de les positionner dans un volume débité, et dans la chaîne opératoire afférente, et de reconnaître parfois un type de débitage propre à une période de la Préhistoire : Paléolithique inférieur, moyen ou supérieur, Mésolithique ou Néolithique.
18Enfin, chaque objet lithique présente un état de surface qui lui est propre (fig. 5) : celui-ci témoigne des conditions de conservation de la pièce dans son environnement. Certaines sont très altérées, jusqu’à la désilicification, d’autres portent une patine dont la couleur varie, de blanchâtre à jaune en passant par le crème, d’autres encore ne sont pas patinées du tout. Si ces informations seules ne suffisent pas à donner une attribution chronologique, l’association récurrente entre un type d’altération et des caractères typologiques et technologiques permet, dans certains cas, d’affecter la pièce à une phase chrono-culturelle déterminée.
Figure 5 : Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Illustration des états de surface de l’industrie lithique attribuée au Paléolithique moyen. 1 : patine différentielle entre les faces d’un éclat Levallois ; 2 : patine blanc crème intense et cupules de gel postérieures ; 3 : patine beige jaunâtre.
Figure 5: The Tertre Blanc site (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Surface preservation of the Middle Palaeolithic lithic pieces. 1 – differential patina on a Levallois flake 2- cream coloured patina and frost damage 3- Beige-yellow patina.
Clichés : L. Déodat.
19Pour évaluer l’appartenance des objets lithiques taillés, issus de cette prospection, à telle ou telle période chronoculturelle, des critères typologiques, technologiques, ainsi que taphonomiques, ont été utilisés, en nous référant aux systèmes de production lithique, lesquels ont été largement décrits dans la littérature. Lorsque ces critères convergent, l’attribution est d’autant plus assurée. Si l’artéfact possède certains critères renvoyant à une période, mais que son attribution n’est pas certaine, il sera alors classé dans la catégorie « indéterminé » (Paléolithique indéterminé, Néolithique indéterminé…). De nombreuses pièces, bien qu’assurément taillées par l’homme préhistorique, n’ont pu être attribuées à une période déterminée en raison du manque de caractères discriminants (par exemple un éclat ordinaire, cortical, des fragments d’éclats, ou cassons illisibles technologiquement) ; l’attribution chronologique de ces pièces a alors été considérée comme « indéterminée », ce qui représente la majorité des pièces anthropiques. Des attributions erronées sont inévitables du fait de convergences typo-technologiques et de biais inhérents à l’expérience de l’opérateur, mais l’objectif de cette catégorisation est de faire émerger des tendances à l’échelle de l’assemblage lithique.
20Du corpus initial, nous avons écarté 1 135 objets ne présentant que des stigmates de fracture naturels, d’origine agricole, ou des stigmates douteux. Cette part, élevée, s’explique par la quantité de meulières naturellement présente en surface et par les difficultés à identifier avec certitude les objets anthropiques lors du ramassage même, avant lavage. De ce fait, les prospecteurs ont privilégié la sécurité en prélevant en nombre de potentiels objets lithiques anthropiques. Le corpus résiduel, soit 1 583 pièces d’origine anthropique, a ensuite été examiné, afin de le ventiler chronologiquement. Cette attribution n’a pu être effectuée que sur 727 artéfacts (soit 45,9 %). Les autres pièces anthropiques (n = 856, soit 54 %) entrent dans la catégorie chronologique « indéterminée » : si leur caractère anthropique est indubitable, leur attribution chronologique n’a pu être décidée, faute de critères discriminants pertinents (tabl. I).
Tableau I : Distribution des vestiges lithiques taillés par catégorie chrono-culturelle.
Table I: Distribution of knapped flint according to chrono-cultural category.
Période chronologique |
Nombre de pièces |
% |
Paléolithique indéterminé |
446 |
28,2 |
Paléolithique inférieur |
12 |
0,8 |
Paléolithique moyen |
193 |
12,2 |
Paléolithique supérieur |
6 |
0,4 |
Épipaléolithique |
2 |
0,1 |
Mésolithique |
14 |
0,9 |
Néolithique |
50 |
3,1 |
Moderne |
4 |
0,3 |
Indéterminé |
856 |
54,0 |
Total |
1 583 |
100 |
21Pour la Préhistoire, plusieurs occupations allant du Paléolithique au Néolithique se sont succédé sur le secteur prospecté (fig. 6). Parmi les 1 583 pièces anthropiques étudiées, 42,2 % appartiennent à la grande période du Paléolithique et 12,2 % ont été formellement identifiées comme appartenant au Paléolithique moyen, les autres périodes du Paléolithique (inférieur et supérieur) sont minoritaires. Un grand nombre de pièces a été catégorisé « Paléolithique indéterminé » (28,2 %). La présence néolithique est réelle, mais encore discrète (3,1 %). L’examen plus détaillé de l’abondante fraction « indéterminée » (54,0 %) par un spécialiste des industries de cette phase permettra possiblement d’en extraire des vestiges néolithiques supplémentaires.
Figure 6 : Carte de répartition du mobilier d’époque préhistorique sur le plateau d’Avort (Gennes). En haut, sans les artéfacts du « Paléolithique indéterminé » ; en bas, avec ceux-ci.
Figure 6: Distribution of prehistoric artefacts on the Avort plateau (Gennes). Above: without the indetermined Palaeolithic artefacts, below: all artefacts.
Réalisation SIG : L. Déodat.
22Les rares objets caractéristiques du Paléolithique inférieur identifiés ici sont des bifaces acheuléens, entiers ou fragmentés (fig. 7), au nombre de quatre, accompagnés de quelques éclats de façonnage très patinés et altérés. Les éclats autres que ceux de façonnage, par exemple ceux issus des débitages peu élaborés de cette période, ne sont pas suffisamment discriminants et, s’ils sont présents, ont été classés dans la catégorie Paléolithique indéterminé. Tous les objets considérés d’âge paléolithique inférieur sont en meulière et présentent un état d’altération en moyenne plus avancé que pour les pièces attribuées au Paléolithique moyen, avec notamment une désilification plus importante.
Figure 7 : Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Bifaces acheuléens.
Figure 7: Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Acheulian Bifaces.
Dessins : S. Soriano.
Tableau II : Distribution chrono-culturelle des vestiges lithiques taillés attribués au Paléolithique.
Table II: Chrono-cultural distribution of flint artefacts dating to the Palaeolithic.
Période du Paléolithique |
Nombre |
% |
Paléolithique inférieur |
12 |
1,8 |
Paléolithique moyen |
193 |
29,4 |
Paléolithique supérieur |
6 |
0,9 |
Paléolithique indéterminé |
446 |
67,9 |
Total |
657 |
100 |
23Si on exclut les vestiges attribués au Paléolithique au sens large, la part du corpus attribuée au Paléolithique moyen est de loin la plus importante (tabl. II). Les objets présentent des états de surface comparables, ainsi qu’une cohérence sur un plan technologique : les plus caractéristiques sont issus du débitage Levallois, nucléus et éclats (Boëda, 1994). Nous avons remarqué une association forte entre présence de patine de couleur crème et attribution technologique à la période moustérienne : parmi les 193 pièces satisfaisant les critères extractifs attribués technologiquement au Paléolithique moyen, seules huit ne sont pas patinées. Les états de surface, ainsi que les degrés d’altération des pièces, sont assez homogènes. Ces pièces montrent une patine crème dominante, parfois différentielle d’une face à l’autre, plus légère que celle affectant les pièces attribuées aux périodes plus anciennes. Une minorité d’objets porte soit une patine plus claire, blanche ou beige, ou plus prononcée, jaune à orangée. Individuellement, ces conditions ne sont généralement pas suffisantes pour une identification assurée, mais leur présence conjointe avec des indicateurs typologiques et/ou technologiques rend cohérente l’attribution des objets au Paléolithique moyen.
24Si la nature extractive du corpus en exacerbe inévitablement les caractères typo-technologiques, nous en donnons tout de même un inventaire descriptif selon ces termes. La matière première est presque exclusivement de la meulière, locale, à laquelle s’ajoutent du silex turonien (N = 2) et un quartzite (N = 1). Les produits de débitage dominent très nettement (tabl. III) tandis que la production façonnée n’est représentée que par une petite pièce bifaciale (fig. 8, no 2), fortement grevée par une cupule de gel sur sa face convexe, et un fragment de biface. Cette petite pièce bifaciale, de section distale plano-convexe strictement hiérarchisée (les négatifs d’enlèvement avec contre-bulbes sont tous sur la face convexe), est originale, car elle diffère nettement des bifaces du MTA (Soressi, 2002). Pour autant, aucun parallèle ne s’établit avec des pièces bifaciales d’affinité orientale documentées dans des industries du Centre, comme Angé (Locht et al., 2015), ou de Bourgogne, comme à la grotte de La Verpillère I et II (Frick et Floss, 2017), ou à Vergisson IV (Vaissié et al., 2021). Parmi les nucléus, seize sont de conception Levallois (Boëda, 1994). Ceci fait écho aux nombreux éclats de cette nature identifiés (N = 76), ce qui en fait la conception de débitage la plus utilisée. Plusieurs nucléus, dans leur état d’abandon, présentent un unique négatif envahissant d’éclat Levallois (fig. 9, nos 1 et 3) et quelques éclats ont d’ailleurs été classés comme préférentiels. Toutefois, la modalité dominante est le débitage Levallois récurrent unipolaire ou bipolaire parallèle (fig. 8, no 4 ; fig. 9, no 4). La présence d’un débitage récurrent centripète est possible – quelques éclats ont été classés ainsi (N = 3) –, mais il y a aussi des éclats Levallois plus ubiquistes, qu’on ne peut associer à une modalité spécifique (fig. 9, no 2). Enfin, de rares produits suggèrent la recherche de pointes Levallois par une modalité convergente (fig. 8, no 1). Deux produits ont été classés comme pseudo-Levallois (fig. 8, no 3), mais seuls, sans nucléus présentant sans ambiguïté une organisation discoïde du débitage (Boëda, 1993), ils n’établissent pas le recours à cette conception de taille. Ils peuvent dans ce cas être issus d’un débitage Levallois récurrent centripète. On trouve deux nucléus sur lesquels le débitage a été organisé en séquences d’enlèvements unipolaires, plutôt parallèles, sur une ou deux surfaces. On peut leur associer des éclats à négatifs unidirectionnels parallèles (N = 30), parfois à pan cortical, ou orthogonaux (N = 2). Enfin, sur quelques nucléus (N = 5), l’organisation des enlèvements n’a pu être rapprochée d’un schéma de débitage spécifique. Deux nucléus sur éclat ont été débités selon une modalité Kombewa (Tixier et Turq, 1999), mais aucun éclat Kombewa n’a été isolé dans ce lot du Paléolithique moyen. L’outillage retouché sur éclat (N = 21) est assez monotone. Il comprend huit racloirs simples, six racloirs doubles, dont un sur un support laminaire et deux convergents, deux fragments de racloirs non spécifiés, deux pointes moustériennes, deux pièces tronquées-amincies (Bernard-Guelle et Porraz, 2001 ; Koehler, 2015) et une encoche.
Figure 8 : Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Industrie lithique du Paléolithique moyen. 1 : éclat Levallois à nervures convergentes (probable pointe Levallois ratée) ; 2 : pièce bifaciale ; 3 : racloir transverse sur pointe pseudo-Levallois ; 4 : éclat Levallois.
Figure 8: Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Middle Palaeolithic lithic pieces. 1- Levallois flake with convergent arris 2- biface 3-transversal racloir on a pseudo Levallois point 4- Levallois flake.
Dessins : S. Soriano.
Figure 9 : Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Industrie lithique du Paléolithique moyen. 1 : nucléus Levallois récurrent ; 2 : éclat Levallois ; 3 : nucléus Levallois préférentiel ; 4 : éclat Levallois.
Figure 9: Le Tertre Blanc (Gennes/Gennes-Val-de-Loire). Middle Palaeolithic lithic pieces. 1-levallois nucleus 2-levallois flake 3-preferential Levallois nucleus 4-Levallois Flake.
Dessins : S. Soriano.
Tableau III : Inventaire des vestiges lithiques taillés attribués au Paléolithique moyen, par catégorie de support, brut ou retouché.
Table III: Inventory of Middle Palaeolithic lithic pieces by category.
Support |
Brut |
Retouché |
Total |
Pièce bifaciale |
|
1 |
1 |
Fragment de biface |
|
1 |
1 |
Éclat entier |
86 |
15 |
101 |
Éclat, fragment proximal |
28 |
1 |
29 |
Éclat, autre fragment |
30 |
4 |
34 |
Nucléus |
23 |
1 |
24 |
Fragment de nucléus |
1 |
0 |
1 |
Casson |
2 |
0 |
2 |
Total |
170 |
23 |
193 |
25Enfin, 446 pièces sont classées en Paléolithique indéterminé : un critère technologique ou typologique permet de classer ces artéfacts dans la grande période du Paléolithique, mais il n’est pas assez distinctif pour proposer une attribution chronologique plus précise (Paléolithique inférieur, moyen ou supérieur). La patine de couleur crème est présente sur 80 % de ces pièces, tandis que pour les 20 % restants, seuls les caractères technologiques et typologiques propres au Paléolithique sont présents. Notons, dans cet ensemble, quelques fragments de bifaces ou de pièces bifaciales (N = 5) dont nous n’avons pas tranché l’attribution, au Paléolithique inférieur ou au Paléolithique moyen. Le Paléolithique moyen dominant parmi les vestiges attribués à une phase spécifique du Paléolithique, on peut raisonnablement penser que la majorité de la fraction classée « Paléolithique indéterminé » relève du Paléolithique moyen et qu’elle correspond à des sous-produits de débitage peu spécifiques.
26En ce qui concerne les matières premières, la grande majorité des pièces du corpus, toutes périodes confondues, est taillée dans de la meulière locale (91,7 %), suivi du silex du Thoureil, lui aussi local (tabl. IV). Le reste représente une dizaine de matières premières également réparties.
Tableau IV : Fréquence des matières premières dans l’assemblage lithique, toutes périodes préhistoriques confondues.
Table IV: Frequence of raw material in the lithic assemblage, all periods.
Matière première |
Nombre total lithique taillé |
% du nombre total lithique taillé |
Meulière |
1 425 |
90 |
Silex du Thoureil |
53 |
3,3 |
Silex de Thouars |
23 |
1,3 |
Grès |
8 |
0,5 |
Silex turonien |
18 |
1,3 |
Autre silex |
10 |
0,7 |
Opale |
14 |
0,8 |
Opaline |
11 |
0,7 |
Quartzite |
9 |
0,6 |
Calcédoine |
9 |
0,5 |
Quartz |
2 |
0,2 |
Silex crétacé |
1 |
0,1 |
Total |
1 583 |
100 |
27La présence paléolithique sur le plateau d’Avort est en tout cas bien marquée, en comparaison avec les autres concentrations d’outillage lithique étudiées, sur les communes de Gennes, de Louerre et du Thoureil, pour lesquelles les périodes du Néolithique prédominent largement. S’il y a toujours quelques pièces attribuables au Paléolithique et au Mésolithique, sur les sites néolithiques identifiés, celles-ci ne dépassent jamais 5 % du corpus. Par ailleurs, les périodes du Paléolithique inférieur et supérieur ne sont pas assez représentées sur l’ensemble du territoire étudié pour pouvoir conclure à des occupations avérées et les pièces attribuables à ces périodes ne constituent probablement qu’un bruit de fond ou bien, pour la phase ancienne, les résidus d’occupations totalement démantelées. Ce n’est pas le cas pour le Paléolithique moyen du plateau d’Avort, dont la concentration plus marquée témoigne de la présence d’une ou plusieurs occupations plus ou moins dispersées par les activités agricoles, voire par des phénomènes géologiques antérieurs.
28La présence d’objets du Paléolithique moyen est donc bien avérée sur tout le plateau d’Avort. Ceux-ci apparaissent de manière dispersée sur l’ensemble des parcelles prospectées et de manière très concentrée sur un petit secteur bien circonscrit dans l’espace (fig. 10). En effet, la lecture des cartes de répartition du mobilier montre que l’on a, en moyenne, un à deux objets par hectare, identifiés de façon certaine comme appartenant à la période du Paléolithique moyen, et que la densité augmente côté sud-est, pour atteindre 7 à 10 objets par hectare, puis les densités évoquées (2 à 5 objets par are) sur la surface patatoïde de 1 ha (extrémité SE de la parcelle ZO no 60), dans laquelle on situe ce site moustérien, soit 101 objets au total. En comparaison, pour les autres périodes du Paléolithique, aucune concentration de ce type n’est mise en évidence. Pour l’ensemble du mobilier lithique toutefois, on note deux plus fortes concentrations : l’une dans le secteur nord et l’autre dans le secteur sud-est, sur l’emplacement du site moustérien. Cela dit, une grande partie des objets étant d’attribution indéterminée, il n’y a pas lieu ici d’aller plus avant dans ces analyses de répartition spatiale.
Figure 10 : Carte de répartition du mobilier du Paléolithique moyen, pour tout le plateau d’Avort, sous forme de points (en haut) et de densités (en bas).
Figure 10: Distribution map of Middle Palaeolithic artefacts from the Avort plateau using dots (above) and density (below).
Réalisation SIG : L. Déodat.
29Le point de départ de cette recherche était assez anodin, à savoir l’identification de quelques vestiges du Paléolithique moyen dans un ensemble d’industrie lithique constitué lors de prospections pédestres sur une parcelle cultivée située sur un plateau éocène du Gennois. Eu égard à la pauvreté des connaissances de cette période à l’échelle locale, comme à celle plus large du Maine-et-Loire, l’intérêt de caractériser cette composante s’est imposé. Il en a découlé deux questions qui fondent la présente étude : comment faire émerger cette potentielle industrie du Paléolithique moyen d’un ensemble multi-périodes de plusieurs milliers d’objets, et si elle représentait réellement une entité spatiale signifiante, c’est-à-dire un site, plutôt qu’un semis lâche de vestiges témoignant d’un bruit de fond archéologique ?
30Cette dernière question pouvait paraître de peu d’intérêt, mais si on considère les faibles densités de vestiges lithiques parfois observées lors d’opérations préventives ayant fouillé sur de très grandes surfaces des occupations du Paléolithique moyen (Locht et Depaepe, 2015), il est apparu primordial de déterminer si la densité des vestiges observée en surface reflétait une réelle concentration, interprétable comme un site au sens strict, plutôt qu’un bruit de fond ?
31L’étude présentée ici nous permet de répondre à ces interrogations. Sur ce plateau du Gennois, au lieu-dit Le Tertre Blanc, le nuage de vestiges de multiples périodes collectés en surface masquait un site du Paléolithique moyen de faible densité, mais d’extension relativement circonscrite. Les limites d’une telle étude sont explicites. Puisque la catégorisation chrono-culturelle procède par extraction et qu’elle laisse une part importante de vestiges lithiques qui n’est attribuée au Paléolithique qu’au sens large (tabl. II : Paléolithique indéterminé), voire qui n’est attribuée à aucune période (tabl. I : indéterminé), il est impossible, dans ce contexte de sites multi-périodes, d’arriver à une caractérisation typo-technologique et technoéconomique quantifiée qui soit représentative de la composition initiale des industries. Toutefois, on peut considérer que, puisque ce sont les vestiges les moins signifiants qui ne sont pas extraits, ceux qui le sont suffisent à caractériser qualitativement l’échantillon ainsi constitué. Si cet échantillon apparaît typologiquement et technologiquement cohérent, on admettra, sans toutefois pouvoir le démontrer, qu’il représente une unité chrono-culturelle. S’il y a un doute quant à sa cohérence, alors on ne pourra guère aller plus loin. Les biais inhérents aux assemblages de surface demeurent dans tous les cas, du moins tant qu’ils ne peuvent être confrontés à un assemblage de ce site recueilli en stratigraphie.
32Dans le cas du Tertre Blanc, le tri extractif techno-typologique conduit à un échantillon d’industrie lithique où les éléments d’une production Levallois sont omniprésents et sont associés à une typologie moustérienne, dominée par les racloirs, et à de rares éléments façonnés bifaciaux. Ces traits sont malheureusement peu discriminants chronologiquement à l’échelle du Paléolithique moyen et ne permettent pas de formuler d’hypothèse plus précise quant à l’âge de l’occupation, qui peut théoriquement s’inscrire entre 300 000 et 45 000 ans. Toutefois, en l’absence dans la région d’une couverture limono-lœssique significativement épaisse, la préservation d’une occupation du Paléolithique moyen ancien en position de plateau en dehors de pièges sédimentaires comme des dépressions karstiques, est très improbable. Il est ainsi plus probable que ce site, qui a gardé une certaine concentration spatiale, relève du Paléolithique moyen récent. Nous nous contenterons de signaler que des industries du Paléolithique moyen, dont le débitage Levallois constitue l’objectif principal de la production ou un des principaux, sont connues régionalement. Un site de surface important, en liaison avec des gîtes de silex du Bajocien/Bathonien, a été décrit à Doué-la-Fontaine, à moins de 17 km au sud (Neau, 2017), tandis qu’à 36 km vers l’ouest, dans la vallée du Layon, se trouve le site de Roc-en-Pail, dont toutes les industries du Paléolithique moyen antérieures au Moustérien Quina comportent une part importante de débitages Levallois (Soriano et al., 2021 ; Ahmed-Delacroix, 2022).
33La mise en évidence de ce site du Paléolithique moyen sur un plateau du Gennois vient démontrer que, même pour les périodes paléolithiques, dès lors que sont mises en œuvre des prospections systématiques, elles viennent combler les lacunes géographiques de notre connaissance des peuplements. Si la découverte rapportée ici ne bouleverse pas fondamentalement notre connaissance du Paléolithique dans le Saumurois, les résultats obtenus démontrent que l’investissement en matière de géolocalisation est exploitable pour les périodes paléolithiques et que le croisement de la catégorisation chrono-culturelle et de la géolocalisation permet de circonscrire des sites paléolithiques parmi une masse de vestiges relevant de multiples périodes. Une telle approche permet par ailleurs d’apporter des données pertinentes pour dimensionner et positionner une potentielle intervention de terrain destinée à rechercher des vestiges en position stratigraphique.